LesCinĂ©astes : les 25 films Ă  l'affiche ! Cette semaine : L'annĂ©e du requin, Vesper Chronicles, Sundown, Les Nuits de Mashhad, Dodo Toutes les sĂ©ances et horaires programmĂ©s du cinĂ©ma Les CinĂ©astes Ă  Le Mans (72000). SituĂ© dans le centre commercial de l'Aquaboulevard, Ă  proximitĂ© de la Porte de Versailles, le cinĂ©ma Gaumont Aquaboulevard vous accueille 365 jours par an pour vivre vos Ă©motions intensĂ©ment ! Profitez-en pour dĂ©couvrir l’expĂ©rience 4DX. Vous pouvez Ă©galement prolonger votre sĂ©ance dans les espaces conviviaux Ă  votre disposition en profitant d’une crĂšme glacĂ©e HĂ€agen gratuitAccĂšs PMRFauteuil DuoCasier Casque MotoFauteuil Duo et TrioSallesInstallez-vous dans l'une de nos salles de cinĂ©ma, et profitez d'un confort de projection pour votre sĂ©anceHĂ€agen-DazsHĂ€agen-Dazs Peanut Brutter Crunch, Salted Caramel, Cookies & Cream, Caramel Biscuit & Cream, Vanilla Pecan, Vanilla Caramel Almonds... quel parfum extrĂ€a-ordinaire allez-vous choisir aujourd’hui ? Peu importe, une crĂšme glacĂ©e HĂ€agen-Dazs, c’est toujours de la gourmandise Ă  l’état pur. Les crĂšmes glacĂ©es HĂ€agen-Dazs sont de fabrication 100 % françaiseWifi gratuitWifi gratuit Dans votre cinĂ©ma, vous pourrez bĂ©nĂ©ficier d'un wifi gratuit. IdĂ©al pour consulter les bandes annonces ou pour prendre vos e-billets et Ă©viter de faire la queue en PMRAccĂšs PMR AccessibilitĂ© pour les personnes Ă  mobilitĂ© rĂ©duite dans toutes les salles du cinĂ©ma. Un ascenseur est Ă  DuoDUO Des fauteuils Duo, grandes banquettes deux places avec accoudoir relevable, permettent de partager une sĂ©ance Ă  deux en toute tranquillitĂ© !Casier Casque MotoCasier Casque Moto Amis motards, nous mettons Ă  votre disposition des casiers The Keepers pour vos casques de Duo et TrioFauteuil Duo et Trio Des fauteuils Duo et Trio, grandes banquettes deux ou trois places avec accoudoir relevable, permettent de partager une sĂ©ance Ă  deux ou Ă  trois en toute tranquillitĂ© !
\n\n\n\n \nhoraires des séances du film la piÚce rapportée
LessĂ©ances de La PiĂšce rapportĂ©e (2021) au CinĂ©ma Altkirch - Palace LumiĂšre La PiĂšce rapportĂ©e. Informations sur le film. Sortie nationale le 01/12/2021. RĂ©alisĂ© par Antonin Peretjatko. Avec AnaĂŻs Demoustier, Josiane Balasko, Philippe Katerine, William Lebghil, Sergi Lopez. DurĂ©e : 1h26. - Genre : ComĂ©die. Bande-annonce. Synopsis. Un vaudeville romantique attendu au cinĂ©ma le 1er dĂ©cembre. La richissime Josiane Balasko va avoir une belle-fille et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle mĂ©fiante. Car son nigaud de fils, Philippe Katerine, est tombĂ© amoureux de la trop jolie AnaĂŻs Demoustier... qui a surtout Ă©tĂ© sĂ©duite par sa fortune, et qui ne se gĂšne pas pour fricoter avec William Lebghil Ă  cĂŽtĂ© ! La PiĂšce RapportĂ©e s'annonce comme une pure comĂ©die de Boulevard Le pitch officiel "Paul ChĂąteau-TĂȘtard, vieux garçon de 45 ans et pur produit du 16e arrondissement de Paris, prend le mĂ©tro pour la premiĂšre fois de sa vie et tombe amoureux d’une jeune guichetiĂšre, Ava. Leur mariage n’est pas du goĂ»t de maman », AdĂ©laĂŻde ChĂąteau-TĂȘtard, qu’on appelle aussi la Reine MĂšre. Pourtant cette derniĂšre s’en accommode un hĂ©ritier serait le bienvenu. Mais le bĂ©bĂ© tarde Ă  venir... Une guerre sans pitiĂ© s’engage entre les deux femmes, la Reine-mĂšre Ă©tant persuadĂ©e qu’Ava trompe son fils. Il doit bien y avoir un amant quelque part
" RĂ©alisĂ©e par Antonin Peretjatko, La PiĂšce RapportĂ©e sortira le 1er dĂ©cembre prochain au cinĂ©ma. LaPiĂšce rapportĂ©e. SĂ©ances. Aucune sĂ©ance programmĂ©e. Synopsis. Paul ChĂąteau-TĂȘtard, vieux garçon de 45 ans et pur produit du 16e arrondissement de Paris, prend le mĂ©tro pour la premiĂšre fois de sa vie et tombe amoureux d’une jeune guichetiĂšre, Ava. Leur mariage n’est pas du goĂ»t de « maman », AdĂ©laĂŻde ChĂąteau-TĂȘtard, qu’on appelle aussi la Reine MĂšre.
Bullet Train Aujourd'hui 20H15 22H30 Toutes les séances Krypto Et Les Super-animaux Aujourd'hui Toutes les séances La Ou Chantent Les ecrevisses Aujourd'hui Toutes les séances LA TRES TRES GRANDE CLASSE Aujourd'hui 20H30 Toutes les séances Les Minions 2 Il était Une Fois Gru Aujourd'hui Toutes les séances Les Vieux Fourneaux 2 Bons Pour L'asile Aujourd'hui 20H45 Toutes les séances Les Volets Verts Aujourd'hui 20H45 Toutes les séances Nope Aujourd'hui Toutes les séances One Piece Film - Red Aujourd'hui Toutes les séances Rumba La Vie Aujourd'hui 20H30 Toutes les séances Tad L'explorateur Et La Table D'emeraude Aujourd'hui Toutes les séances Top Gun Maverick Aujourd'hui 20H20 Toutes les séances Sonic 2 Aujourd'hui Toutes les séances Everything Everywhere All At Once Aujourd'hui Toutes les séances Kompromat Aujourd'hui Toutes les séances Dragon Ball Super Super Hero Aujourd'hui Toutes les séances Indochine Central Tour Au Cinema Aujourd'hui Toutes les séances
LaPiÚce rapportée à La Madeleine : les horaires et séances dans les cinemas à proximité de la ville de La Madeleine (Nord 59). A voir au Cinéma Paul-Desmarets.
Beast Beast Le Dr. Nate Daniels, revient en Afrique du Sud, oĂč il a autrefois rencontrĂ© sa femme aujourd’hui dĂ©cĂ©dĂ©e, pour y passer des vacances prĂ©vues de longue date avec ses deux filles dans une rĂ©serve naturelle, tenue par Martin Battles, un vieil ami de la famille, biologiste spĂ©cialiste de la vie sauvage. Mais ce repos salvateur va se transformer en Ă©preuve de survie quand un lion assoiffĂ© de vengeance, unique rescapĂ© de la traque sanguinaire d’ignobles braconniers, se met Ă  dĂ©vorer tout humain sur sa route et prend en chasse le docteur et sa famille. ! Avertissement des scĂšnes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilitĂ© des spectateurs VF SĂ©ances en version française. Cliquez sur l’horaire pour acheter vos places. Bullet Train Bullet Train De David Leitch Avec Brad Pitt, Joey King, Aaron Taylor-Johnson... Action DurĂ©e 2h07 AnnĂ©e 2022 NationalitĂ© USA Coccinelle est un assassin malchanceux et particuliĂšrement dĂ©terminĂ© Ă  accomplir sa nouvelle mission paisiblement aprĂšs que trop d'entre elles aient dĂ©raillĂ©. Mais le destin en a dĂ©cidĂ© autrement et l'embarque dans le train le plus rapide au monde aux cĂŽtĂ©s d'adversaires redoutables qui ont tous un point commun, mais dont les intĂ©rĂȘts divergent radicalement. -12 INTERDIT aux moins de 12 ans JUSTIFICATIF OBLIGATOIRE VF SĂ©ances en version française. Cliquez sur l’horaire pour acheter vos places. Esther 2 Les Origines Esther 2 Les Origines -12 Interdit aux moins de 12 ans Justificatif obligatoire VF SĂ©ances en version française. Cliquez sur l’horaire pour acheter vos places. La Ou Chantent Les ecrevisses La Ou Chantent Les ecrevisses De Olivia Newman Avec Daisy Edgar-Jones, Taylor John Smith... Thriller DurĂ©e 2h05 AnnĂ©e 2022 NationalitĂ© USA Kya, une petite fille abandonnĂ©e, a grandi seule dans les dangereux marĂ©cages de Caroline du Nord. Pendant des annĂ©es, les rumeurs les plus folles ont conru sur la "Fille des Marais" de Barkley Cove, isolant encore davantage la sensible et rĂ©siliente Kya de la communautĂ©. Sa rencontre avec deux jeunes hommes de la ville ouvre Ă  Kya un monde nouveau et effrayant ; mais lorsque l'un d'eux est retrouvĂ© mort, toute la communautĂ© la considĂšre immĂ©diatement comme la principale suspecte. VOST SĂ©ances en version originale sous-titrĂ©e. Cliquez sur l’horaire pour acheter vos places. VF SĂ©ances en version française. Cliquez sur l’horaire pour acheter vos places. LA TRES TRES GRANDE CLASSE LA TRES TRES GRANDE CLASSE De FrĂ©dĂ©ric Quiring Avec Melha Bedia, Audrey Fleurot, François BerlĂ©and... ComĂ©die DurĂ©e 1h40 AnnĂ©e 2022 NationalitĂ© France Sofia est une jeune prof de français, martyrisĂ©e par ses Ă©lĂšves. Croyant enfin tenir la mutation de ses rĂȘves, elle se lance dans des adieux explosifs et savoure sa revanche. ProblĂšme sa mutation est gelĂ©e, elle est dĂ©sormais en concurrence avec une professeure au CV irrĂ©prochable et ses Ă©lĂšves, plus remontĂ©s que jamais sont bien dĂ©cidĂ©s Ă  lui faire payer ses paroles. VF SĂ©ances en version française. Cliquez sur l’horaire pour acheter vos places. Les Vieux Fourneaux 2 Bons Pour L'asile Les Vieux Fourneaux 2 Bons Pour L'asile De Christophe Duthuron Avec Pierre Richard, Eddy Mitchell, Bernard Le Coq... ComĂ©die DurĂ©e 1h34 AnnĂ©e 2022 NationalitĂ© France Pour venir en aide Ă  des migrants qu’il cachait Ă  Paris, Pierrot les conduit dans le Sud- Ouest chez Antoine qui lui-mĂȘme accueille dĂ©jĂ  Mimile, en pleine reconquĂȘte amoureuse de Berthe. S’attendant Ă  trouver Ă  la campagne calme et voluptĂ©, les six rĂ©fugiĂ©s gouteront surtout Ă  la lĂ©gendaire hospitalitĂ© d’un village français. VF SĂ©ances en version française. Cliquez sur l’horaire pour acheter vos places. Les Volets Verts Les Volets Verts De Jean Becker Avec GĂ©rard Depardieu, Fanny Ardant, Benoit Poelvoorde... Drame DurĂ©e 1h37 AnnĂ©e 2022 "Les Volets verts" dresse le portrait d’un monstre sacrĂ©, Jules Maugin, un acteur au sommet de sa gloire dans les annĂ©es 70. Sous la personnalitĂ© cĂ©lĂšbre, l’intimitĂ© d’un homme se rĂ©vĂšle. VF SĂ©ances en version française. Cliquez sur l’horaire pour acheter vos places. Nope Nope De Jordan Peele Avec Daniel Kaluuya, Keke Palmer, Steven Yeun... Horreur DurĂ©e 2h10 AnnĂ©e 2022 NationalitĂ© USA Les habitants d’une vallĂ©e perdue du fin fond de la Californie sont tĂ©moins d’une dĂ©couverte terrifiante Ă  caractĂšre surnaturel. ! AVERTISSEMENT aux jeunes spectateurs Des scĂšnes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilitĂ© des spectateurs VF SĂ©ances en version française. Cliquez sur l’horaire pour acheter vos places. One Piece Film - Red One Piece Film - Red De Goro Taniguchi Animation DurĂ©e 1h58 AnnĂ©e 2022 NationalitĂ© Japon Luffy et son Ă©quipage s'apprĂȘtent Ă  assister Ă  un festival de musique attendu avec impatience. La chanteuse la plus populaire du monde, Uta, va monter sur scĂšne pour la premiĂšre fois. Celle qui n'est autre que la fille du lĂ©gendaire pirate Shanks Le Roux va rĂ©vĂ©ler la puissance exceptionnelle de sa voix qui pourrait bien changer le monde
 VOST SĂ©ances en version originale sous-titrĂ©e. Cliquez sur l’horaire pour acheter vos places. VF SĂ©ances en version française. Cliquez sur l’horaire pour acheter vos places. Rumba La Vie Rumba La Vie De Franck Dubosc Avec Franck Dubosc, Louna Espinosa, Jean-Pierre Darroussin... ComĂ©die DurĂ©e 1h 43min AnnĂ©e 19 janvier 2022 NationalitĂ© FRANCE Tony, la cinquantaine, chauffeur d’autobus scolaire renfermĂ© sur lui-mĂȘme, vit seul aprĂšs avoir abandonnĂ© femme et enfant vingt ans plus tĂŽt. BousculĂ© par un malaise cardiaque, il trouve le courage nĂ©cessaire pour affronter son passĂ© et s’inscrire incognito dans le cours de danse dirigĂ© par sa fille, qu’il n’a jamais connue, dans le but de la reconquĂ©rir et de donner un sens Ă  sa vie. VF SĂ©ances en version française. Cliquez sur l’horaire pour acheter vos places. Tad L'explorateur Et La Table D'emeraude Tad L'explorateur Et La Table D'emeraude De Enrique Gato Animation DurĂ©e 1h30 AnnĂ©e 2022 NationalitĂ© USA Le rĂȘve de Tad Stones est d’ĂȘtre reconnu comme un grand archĂ©ologue mais toutes ses tentatives pour se faire accepter par Ryan, le brillant chef d’expĂ©dition et ses collĂšgues tournent au fiasco. En ouvrant un sarcophage, il dĂ©clenche une malĂ©diction qui va mettre la vie de ses amis en danger. Pour mettre fin Ă  cette malĂ©diction et sauver Momie, Jeff et Bernardo, Tad et Sara se lancent dans de nouvelles aventures qui les conduiront du Mexique Ă  Chicago et de Paris Ă  l’Égypte. VF SĂ©ances en version française. Cliquez sur l’horaire pour acheter vos places. Thor Love And Thunder Thor Love And Thunder De Taika Waititi Avec Chris Hemsworth, Natalie Portman, Christian Bale... Aventure DurĂ©e 1h59 AnnĂ©e 2022 Alors que Thor est en pleine introspection et en quĂȘte de sĂ©rĂ©nitĂ©, sa retraite est interrompue par un tueur galactique connu sous le nom de Gorr, qui s’est donnĂ© pour mission d’exterminer tous les dieux. Pour affronter cette menace, Thor demande l’aide de Valkyrie, de Korg et de son ex-petite amie Jane Foster, qui, Ă  sa grande surprise, manie inexplicablement son puissant marteau, le Mjolnir. VF SĂ©ances en version française. Cliquez sur l’horaire pour acheter vos places. Top Gun Maverick Top Gun Maverick De Joseph Kosinski Avec Tom Cruise, Miles Teller, Jennifer Connelly... Action DurĂ©e 2h11 AnnĂ©e 2022 NationalitĂ© USA AprĂšs avoir Ă©tĂ© l’un des meilleurs pilotes de chasse de la Marine amĂ©ricaine pendant plus de trente ans, Pete “Maverick" Mitchell continue Ă  repousser ses limites en tant que pilote d'essai. Il refuse de monter en grade, car cela l’obligerait Ă  renoncer Ă  voler. Il est chargĂ© de former un dĂ©tachement de jeunes diplĂŽmĂ©s de l’école Top Gun pour une mission spĂ©ciale qu’aucun pilote n'aurait jamais imaginĂ©e. VF SĂ©ances en version française. Cliquez sur l’horaire pour acheter vos places. De L'autre Cote Du Ciel De L'autre Cote Du Ciel De Yusuke Hirota Animation DurĂ©e 1h40 AnnĂ©e 2022 NationalitĂ© Japon Lubicchi vit au milieu de grandes cheminĂ©es dont l’épaisse fumĂ©e recouvre depuis toujours le ciel de sa ville. Il aimerait prouver Ă  tous que son pĂšre disait vrai et que, par-delĂ  les nuages, il existe des Ă©toiles. Un soir d’Halloween, le petit ramoneur rencontre Poupelle, une Ă©trange crĂ©ature avec qui il dĂ©cide de partir Ă  la dĂ©couverte du ciel. VF SĂ©ances en version française. Cliquez sur l’horaire pour acheter vos places. Ducobu President ! Ducobu President ! De Elie Semoun Avec Elie Semoun, Gabin Tomasino, Émilie Caen... ComĂ©die DurĂ©e 1h25 AnnĂ©e 2022 NationalitĂ© France Une nouvelle annĂ©e scolaire dĂ©marre pour Ducobu ! A l’école Saint Potache, une Ă©lection exceptionnelle va avoir lieu pour Ă©lire le prĂ©sident des Ă©lĂšves. C’est le dĂ©but d’une campagne Ă©lectorale un peu folle dans laquelle vont se lancer les deux adversaires principaux Ducobu et LĂ©onie. A l’aide de son ami Kitrish et de ses nombreux gadgets, Ducobu triche comme jamais et remporte l’élection. VF SĂ©ances en version française. Cliquez sur l’horaire pour acheter vos places. Krypto Et Les Super-animaux Krypto Et Les Super-animaux Animation DurĂ©e 1h40 AnnĂ©e 2022 Krypto, le super-chien de Superman, se trouve face Ă  un dĂ©fi immense sauver son maĂźtre, enlevĂ© par Lex Luthor et son malĂ©fique cochon d’inde Lulu. Pour cela, il devra faire Ă©quipe avec une bande d’animaux au grand cƓur mais plutĂŽt maladroits. VF SĂ©ances en version française. Cliquez sur l’horaire pour acheter vos places. Les Minions 2 Il Ă©tait Une Fois Gru Les Minions 2 Il Ă©tait Une Fois Gru De Kyle Balda, Brad Ableson, Jonathan Del Val Animation DurĂ©e 1h28 AnnĂ©e 2022 NationalitĂ© USA Alors que les annĂ©es 70 battent leur plein, Gru qui grandit en banlieue au milieu des jeans Ă  pattes d’élĂ©phants et des chevelures en fleur, met sur pied un plan machiavĂ©lique Ă  souhait pour rĂ©ussir Ă  intĂ©grer un groupe cĂ©lĂšbre de super mĂ©chants, connu sous le nom de Vicious 6, dont il est le plus grand fan. Il est secondĂ© dans sa tĂąche par les Minions, ses petits compagnons aussi turbulents que fidĂšles. VF SĂ©ances en version française. Cliquez sur l’horaire pour acheter vos places. Sonic 2 Sonic 2 De Jeff Fowler Avec Malik Bentalha , Marie-EugĂ©nie MarĂ©chal , Emmanuel Curtil... Animation DurĂ©e 2h03 AnnĂ©e 2022 NationalitĂ© USA Bien installĂ© dans la petite ville de Green Hills, Sonic veut maintenant prouver qu’il a l’étoffe d' un vĂ©ritable hĂ©ros. Un dĂ©fi de taille se prĂ©sente Ă  lui quand le Dr Robotnik refait son apparition. AccompagnĂ© de son nouveau complice Knuckles, ils sont en quĂȘte d’une Ă©meraude dont le pouvoir permettrait de dĂ©truire l’humanitĂ© toute entiĂšre. VF SĂ©ances en version française. Cliquez sur l’horaire pour acheter vos places. Mad Max 2 Mad Max 2 De George Miller Avec Mel Gibson, Bruce Spence, Vernon Wells... Action DurĂ©e 1h37 AnnĂ©e 1982 NationalitĂ© USA Dans un futur non dĂ©fini, les rĂ©serves de pĂ©trole sont Ă©puisĂ©es et la violence rĂšgne sur le monde. Max, un ancien de la sĂ©curitĂ© routiĂšre, se port
Synopsis Paul ChĂąteau-TĂȘtard, vieux garçon de 45 ans et pur produit du 16e arrondissement de Paris, prend le mĂ©tro pour la premiĂšre fois de sa vie et tombe amoureux d'une jeune guichetiĂšre, Ava. Leur mariage n'est pas du goĂ»t de "maman", AdĂ©laĂŻde ChĂąteau-TĂȘtard, qu'on appelle aussi la Reine MĂšre. Pourtant cette derniĂšre s'en
Vous ĂȘtes iciAccueilLe contenu auquel vous essayez d’accĂ©der n’est pas disponible ! Le contenu auquel vous essayez d’accĂ©der n’est pas disponible ! erreur Mais alors pourquoi ĂȘtes-vous tombĂ©e sur cette page ? Si vous tentiez d’accĂ©der Ă  une page d’information ou un article d’actualitĂ©, ce contenu a Ă©tĂ© dĂ©publiĂ© car il faisait rĂ©fĂ©rence Ă  un Ă©vĂ©nement ponctuel et qui est terminĂ©. Si cet Ă©vĂ©nement est rĂ©current, le contenu sera de nouveau disponible lors de la prochaine vous tentiez de participer Ă  un concours, ce dernier est clĂŽturĂ©. Nous vous invitons Ă  revenir rĂ©guliĂšrement sur ou Ă  nous suivre sur les rĂ©seaux sociaux, pour connaĂźtre les prochains concours vous tentiez d’accĂ©der Ă  un formulaire en ligne, il n’est plus disponible pour le moment car il concerne une dĂ©marche ou une inscription qui est pour le moment suspendue. Il sera Ă  nouveau accessible dĂšs la reprise de la lĂ , vous pouvez, si vous le souhaitez, consulter l’un de nos trois portails pour dĂ©couvrir d’autres informations qui pourraient vous intĂ©resser Institutions & TerritoireActualitĂ© et agendaServices et dĂ©marches Retourner en haut de page LAPIÈCE RAPPORTÉE. Écrit et rĂ©alisĂ© par Antonin PERETJATKO - France 2020 1h26mn - Avec AnaĂŻs Demoustier, Philippe Katerine, Josiane Balasko, William Lebghil, Sergi Lopez, Philippe Duquesne D’aprĂšs la nouvelle de NoĂ«lle Renaude, Il faut un hĂ©ritier. (ATTENTION ! Cette page est une archive !) En une petite poignĂ©e de films, Antonin Peretjako s’est
N° 2262—— ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 TREIZIÈME LÉGISLATURE EnregistrĂ© Ă  la PrĂ©sidence de l'AssemblĂ©e nationale le 26 janvier D’INFORMATION FAIT en application de l’article 145 du RĂšglement AU NOM DE LA MISSION D’INFORMATION SUR LA PRATIQUE DU PORT DU VOILE INTÉGRAL SUR LE TERRITOIRE NATIONAL 1 PrĂ©sident M. AndrĂ© GERIN, Rapporteur M. Éric RAOULT, DĂ©putĂ©s. —— La mission d’information est composĂ©e de M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident ; Mme Arlette Grosskost, Mme DaniĂšle Hoffman-Rispal, M. Georges Mothron, M. Nicolas Perruchot, vice-prĂ©sidents ; M. Christian Bataille, M. Éric Diard, M. Christophe Guilloteau, Mme Françoise Hostalier, secrĂ©taires ; M. Éric Raoult, rapporteur ; M. Yves Albarello, Mme Nicole Ameline, M. François Baroin, M. Patrick Beaudouin, M. Gilles Bourdouleix, M. Pierre Cardo, Mme Pascale Crozon, M. Pierre Forgues, M. Jean-Paul Garraud, M. Jean Glavany, M. Michel Lefait, Mme Colette Le Moal, M. Lionnel Luca, Mme Jeanny Marc, Mme Martine Martinel, Mme Sandrine Mazetier, M. Jacques Myard, Mme George Pau-Langevin, Mme BĂ©rengĂšre Poletti, M. Jacques Remiller, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. François de Rugy AVANT-PROPOS DE M. ANDRÉ GERIN, PRÉSIDENT DE LA MISSION D’INFORMATION 13 AVANT-PROPOS DE M. ÉRIC RAOULT, RAPPORTEUR DE LA MISSION D’INFORMATION 15 INTRODUCTION 19 PREMIÈRE PARTIE DES PRATIQUES RADICALES, ENTRE ARCHAÏSME CULTUREL ET PROSÉLYTISME INTÉGRISTE 25 I.– UNE ORIGINE ANCIENNE, UN DÉVELOPPEMENT RÉCENT, UNE PRESCRIPTION NON ISLAMIQUE 25A. UNE PRATIQUE ANTÉRIEURE À L’ISLAM ET IMPORTÉE DES SOCIÉTÉS DU MOYEN-ORIENT 251. Des tenues vestimentaires avant tout caractĂ©ristiques des us et coutumes de sociĂ©tĂ©s du Moyen-Orient 25 2. Une pratique vestimentaire encore marginale apparue assez rĂ©cemment sur le territoire national 28 a L’étude citĂ©e par le ministre de l’IntĂ©rieur 1 900 femmes voilĂ©es intĂ©gralement 28 b Les Ă©lus locaux et les spĂ©cialistes du fait religieux musulman partagent le constat du caractĂšre marginal de cette pratique 29 c Une place croissante dans l’espace mĂ©diatique 30 d Une rupture par rapport Ă  l’évolution des comportements en Occident comme en Islam 31 B. UNE PRATIQUE TRÈS LARGEMENT CONSIDÉRÉE COMME NE PRÉSENTANT PAS LE CARACTÈRE D’UNE PRESCRIPTION OBLIGATOIRE 361. Une pratique nĂ©e d’une interprĂ©tation trĂšs minoritaire ne reposant sur aucun fondement textuel explicite et incontestable 36 2. Un rejet unanime par les reprĂ©sentants du culte musulman et des spĂ©cialistes de l’islam entendus par la mission 38 II.– LE SIGNE DÉVOYÉ D’UNE QUÊTE D’IDENTITÉ ET L’ÉTENDARD DE MOUVEMENTS COMMUNAUTARISTES ET RADICAUX 41A. DES CHEMINEMENTS PERSONNELS ENTRE SERVITUDE VOLONTAIRE, LIBERTÉS ALIÉNÉES ET SITUATIONS DE CONTRAINTES 421. La revendication pleine et entiĂšre du port du voile intĂ©gral, une servitude volontaire 43 a La recherche de puretĂ© par la pratique d’un culte plus austĂšre 43 b Une prise de distance par rapport Ă  une sociĂ©tĂ© jugĂ©e pervertie 46 2. Des libertĂ©s aliĂ©nĂ©es par le poids de l’environnement social 47 a Une propension au conformisme vis-Ă -vis des valeurs de la famille et de la communautĂ© 47 b Le souci d’une respectabilitĂ© dans un espace social menaçant 49 3. Une soumission dans un contexte marquĂ© par des situations de contraintes voire de violences 50 B. LE FRUIT D’UN ENFERMEMENT COMMUNAUTARISTE ET L’ÉTENDARD D’UN MOUVEMENT INTÉGRISTE LE SALAFISME 521. Le port du voile intĂ©gral manifeste un repli de nature communautariste dans certains territoires 52 2. L’étendard d’un projet intĂ©griste militant et prosĂ©lyte portĂ© par la nĂ©buleuse salafiste 56 a Un mouvement appelant Ă  un retour vers un Ăąge d’or perdu 57 b Une logique prĂ©dicatrice et missionnaire 59 III.– UN VÉRITABLE DÉFI PAR-DELÀ LE CONTRASTE DES SITUATIONS NATIONALES 67A. UN PHÉNOMÈNE LARGEMENT INEXISTANT DANS LES PAYS D’EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE 671. La RĂ©publique tchĂšque 67 2. La Bulgarie 68 3. La Roumanie 68 4. La Hongrie 68 5. L’Allemagne 69 B. DES SOCIÉTÉS HEURTÉES PAR CE PHÉNOMÈNE 711. La SuĂšde 71 2. Le Danemark 72 C. DES SOCIÉTÉS SE SENTANT MISES EN CAUSE DANS LEUR IDENTITÉ ET DANS LEURS LIBERTÉS 731. La Belgique 73 2. Les Pays-Bas 77 D. DES PAYS CONFRONTÉS À DES SURENCHÈRES COMMUNAUTARISTES 811. Le Canada 81 2. Les États-Unis 81 3. Le Royaume-Uni 83 DEUXIÈME PARTIE — UNE PRATIQUE AUX ANTIPODES DES VALEURS DE LA RÉPUBLIQUE 87 I.– LE PRINCIPE DE LAÏCITÉ EN LISIÈRE DU DÉBAT 87 A. RETOUR SUR LE PRINCIPE DE LAÏCITÉ 881. Un principe moteur dans la construction de notre vivre-ensemble 88 2. Un principe qui oblige l’État mais aussi les citoyens 88 B. LE PORT DU FOULARD ISLAMIQUE ET DU VOILE INTÉGRAL RENVOIENT À DES PROBLÉMATIQUES DISTINCTES 901. Le foulard Ă  l’école un signe ostensiblement religieux dans un lieu particulier 90 2. Le voile intĂ©gral une pratique contestĂ©e dans un espace indĂ©terminĂ© 92 3. Une atteinte Ă  la laĂŻcitĂ© au sens philosophique du terme plus qu’au sens juridique 93 II.– LA NÉGATION DE LA LIBERTÉ 95A. LA LIBERTÉ DE SE VÊTIR EN QUESTION 951. Si la libertĂ© de se vĂȘtir n’est pas absolue 95 2. 
 le port du voile intĂ©gral constitue bien une entrave Ă  cette libertĂ© 97 B. LES CONTRAINTES SUR LES MINEURES SONT PARTICULIÈREMENT INTOLÉRABLES 991. Des cas signalĂ©s de voile intĂ©gral sur des enfants de moins de dix ans 99 2. Des pressions sans cesse croissantes sur les jeunes filles dans certains quartiers 100 C. DES DÉRIVES SECTAIRES SONT À COMBATTRE 1011. La recherche d’une puretĂ© absolue en se coupant du monde 102 2. Des doutes quant aux visĂ©es politiques sous-jacentes Ă  cette dĂ©rive sectaire 105 3. Des dĂ©rives contraires Ă  nos lois 106 III.– LE REJET DU PRINCIPE D’ÉGALITÉ 107A. L’ÉGALITÉ DES SEXES ET LA MIXITÉ, PRINCIPES ESSENTIELS DE LA RÉPUBLIQUE 1071. L’égalitĂ© des sexes un principe constitutionnel 107 2. La reconnaissance par le droit international et europĂ©en 108 B. LE VOILE INTÉGRAL COMME SYMBOLE DE L’INFÉRIORISATION DES FEMMES 1091. Une marque d’apartheid sexuel 109 2. La rĂ©ification de la femme, premier maillon d’une chaĂźne d’asservissement 110 3. Le dĂ©sir de voir disparaĂźtre les femmes de l’espace public 111 C. LE SIGNE D’UN REFUS DE L’ÉGALE DIGNITÉ DES ÊTRES HUMAINS 1131. Une Ă©vidence au plan moral
 113 2. 
 plus difficile Ă  saisir au plan juridique 114 IV.– LE REFUS DE LA FRATERNITÉ 116A. MASQUER SON VISAGE POUR EXCLURE L’AUTRE 1161. Le visage miroir de l’ñme » Emmanuel LĂ©vinas 116 2. Une attitude fondamentalement perverse 118 B. LE REFUS DU VIVRE-ENSEMBLE 1191. Une forme d’incivilitĂ© 119 2. Une atteinte Ă  notre code social 120 TROISIÈME PARTIE — LIBÉRER LES FEMMES DE L’EMPRISE DU VOILE INTÉGRAL 123 I.– CONVAINCRE 123A. AFFIRMER SOLENNELLEMENT ET FERMEMENT LES PRINCIPES RÉPUBLICAINS PAR LE VOTE D’UNE RÉSOLUTION 1231. La rĂ©solution, nouvel outil aux mains du Parlement dont l’usage comporterait de nombreux avantages 124 a L’attrait de la nouveautĂ© 124 b Une procĂ©dure rapide 125 c L’affirmation de la compĂ©tence du Parlement 125 d Un impact potentiellement important tant auprĂšs de l’opinion que des agents publics 126 2. Un contenu multiforme 126 a RĂ©affirmer les principes rĂ©publicains 127 b Souligner les efforts accomplis par les acteurs de terrain qui combattent la pratique du port du voile intĂ©gral 128 c Rappeler la dĂ©termination de la reprĂ©sentation nationale Ă  lutter contre les discriminations 128 d Condamner les violences faites aux femmes et soutenir toutes les femmes contraintes de porter le voile intĂ©gral dans le monde 128 B. DIFFUSER LES PRINCIPES RÉPUBLICAINS PAR LA MÉDIATION, LA PÉDAGOGIE ET L’ÉDUCATION 1291. La mĂ©diation, premiĂšre des rĂ©ponses face au voile intĂ©gral 129 a Prendre en considĂ©ration la diversitĂ© des situations 129 b Mobiliser tous les acteurs compĂ©tents, et notamment les Ă©lus locaux 130 2. La pĂ©dagogie de la laĂŻcitĂ© et des valeurs de la RĂ©publique 131 a Renforcer la formation civique des primo-arrivants 131 b Mieux former les agents publics aux rĂšgles de la laĂŻcitĂ© et Ă  la gestion des incivilitĂ©s 132 3. Le rĂŽle fondamental de l’éducation et de la connaissance 134 a Faire de l’école un lieu de prĂ©vention des violences sexistes 134 b Mieux connaĂźtre la laĂŻcitĂ© 135 c La question de l’enseignement de la langue arabe et de la civilisation musulmane au sein de l’école de la RĂ©publique 136 C. LUTTER CONTRE LES PRÉJUGÉS ET RÉFLÉCHIR À UNE JUSTE REPRÉSENTATION DE LA DIVERSITÉ SPIRITUELLE 1381. Faire reculer les discriminations 138 2. RĂ©flĂ©chir aux moyens de respecter pleinement une juste reprĂ©sentation de la diversitĂ© spirituelle » 139 a La construction de lieux de cultes 140 b L’islam en Alsace-Moselle 141 c La reconnaissance symbolique des fĂȘtes des religions les plus reprĂ©sentĂ©es 141 II.– PROTÉGER 142A. MOBILISER ET RENFORCER LES INSTRUMENTS JURIDIQUES POUR LUTTER CONTRE LES VIOLENCES ET LES CONTRAINTES 1421. Combattre le port du voile intĂ©gral subi par des mineures 143 2. ProtĂ©ger les femmes victimes de contrainte au sein de leur couple 144 a Le juge civil est protecteur de la libertĂ© des femmes 144 b Des violences en passe d’ĂȘtre mieux reconnues au plan pĂ©nal 145 3. Sanctionner les prĂ©dicateurs fondamentalistes qui incitent au port du voile intĂ©gral 147 4. Lutter contre les dĂ©rives sectaires 148 B. RÉAFFIRMER LE SOUTIEN DE LA FRANCE AUX FEMMES PERSÉCUTÉES DE PAR LE MONDE 1501. Les valeurs de la France ont vocation Ă  dĂ©passer ses frontiĂšres 150 a Une longue tradition d’asile
 150 b 
qui a vocation Ă  s’appliquer aux femmes persĂ©cutĂ©es de par le monde 151 2. Prendre en compte, au titre de l’asile, la contrainte Ă  porter le voile intĂ©gral comme indice d’un contexte de persĂ©cution 151 a La crainte du fait de l’appartenance Ă  un groupe social 152 b La crainte du fait de la religion 153 c Les persĂ©cutions subies dans le cadre d’un combat pour la libertĂ© 153 C. CONFORTER LES AGENTS DES SERVICES PUBLICS ET TOUTES LES PERSONNES AU CONTACT DU PUBLIC 1541. Autant de rĂ©ponses que de services publics 154 a De nombreux services publics concernĂ©s 154 b Autant de rĂ©ponses que de services publics 155 2. Adopter une disposition gĂ©nĂ©rale pour conforter les agents des services publics 158 3. Une extension aux autres Ă©tablissements recevant du public ? 159 a Des restrictions peuvent dĂ©jĂ  ĂȘtre apportĂ©es au port du voile intĂ©gral dans ces Ă©tablissements
 159 b 
si elles ne sont pas fondĂ©es sur un motif discriminatoire 160 III.– INTERDIRE ? 161A. EMPÊCHER LA PRATIQUE DU PORT DU VOILE INTÉGRAL 1611. La gĂ©nĂ©ralisation des contrĂŽles d’identitĂ©, une voie problĂ©matique 162 2. Un meilleur contrĂŽle de l’admission au sĂ©jour et de l’attribution de la nationalitĂ©, une voie nĂ©cessaire mais insuffisante 163 a Faire du port du voile intĂ©gral un frein au sĂ©jour 163 b EmpĂȘcher l’acquisition de la nationalitĂ© française pour les femmes portant le voile intĂ©gral et pour leur conjoint 165 B. INTERDIRE LE PORT DU VOILE INTÉGRAL DANS L’ESPACE PUBLIC ? 1661. Une interdiction relĂšverait-elle de la loi ou de rĂšglement ? 167 a Au regard du principe de proportionnalitĂ©, une interdiction par voie de rĂšglement serait prĂ©fĂ©rable 167 b Mais cette solution n’est pas applicable en pratique 168 — Il n’est pas opportun de laisser les maires seuls face Ă  la pratique du port du voile intĂ©gral 168 — La voie rĂ©glementaire est en tout Ă©tat de cause impraticable 170 c Le passage par la loi, seule voie possible 171 2. Une interdiction serait-elle possible au regard de la Constitution et de la CEDH ? 171 a La laĂŻcitĂ©, un fondement inopĂ©rant 173 b La dignitĂ© de la personne humaine, une notion au contenu incertain 174 c L’ordre public, la piste la moins risquĂ©e 177 3. Pourrait-on sanctionner la violation de cette interdiction ? 181 a Sur qui les sanctions devraient-elles porter ? 181 b Quelles exceptions prĂ©voir ? 182 c Quelle devrait ĂȘtre la sanction ? 183 d La sanction pourrait-elle ĂȘtre appliquĂ©e ? 184 CONCLUSION LA CONTRIBUTION DE LA MISSION À UN LARGE ACCORD POLITIQUE 187 EXAMEN DU RAPPORT 189 SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS 203 PROPOSITION DE RÉSOLUTION PRÉSENTÉE PAR LA MISSION 207 CONTRIBUTIONS DES FORMATIONS POLITIQUES REPRÉSENTÉES À L’ASSEMBLÉE NATIONALE ET AU SÉNAT 211 CONTRIBUTIONS DES DÉPUTÉS MEMBRES DE LA MISSION 247 CONTRIBUTIONS DE GROUPES POLITIQUES REPRÉSENTÉS À L’ASSEMBLÉE NATIONALE 259 COMPTES RENDUS DES AUDITIONS ET DES TABLES RONDES 271 Audition de Mme Dounia Bouzar, anthropologue 271 Audition de M. Abdennour Bidar, philosophe 285 Table ronde rĂ©unissant des associations de dĂ©fense des droits des femmes Mme Françoise Morvan, vice-prĂ©sidente de la Coordination française pour le Lobby europĂ©en des femmes ; Mme Nicole CrĂ©peau, prĂ©sidente de la FĂ©dĂ©ration nationale SolidaritĂ© femmes ; Mme Sabine Salmon, prĂ©sidente de l’association Femmes solidaires, et Mme Carine Delahaie, membre de l’association ; Mme Françoise Laurant, prĂ©sidente du Mouvement français pour le Planning familial, et Mme Marie-Pierre Martinet, secrĂ©taire gĂ©nĂ©rale ; Mme Annie Sugier, prĂ©sidente de la Ligue du droit international des femmes ; Mme Olivia Cattan, prĂ©sidente de l’association Paroles de femmes ; Mme MichĂšle VianĂšs, prĂ©sidente de l’association Regards de femmes. 293 Audition de M. Michel Champredon, maire d’Evreux, et de M. Philippe Esnol, maire de Conflans-Sainte-Honorine, reprĂ©sentants de l’Association des maires de France 312 Audition de Mme Sihem Habchi, prĂ©sidente de l’association Ni putes ni soumises 317 Audition de Mme Élisabeth Badinter, philosophe 333 Table ronde rĂ©unissant des associations laĂŻques M. Joseph Petitjean, prĂ©sident de l’Association des libres penseurs de France, M. Marc Simon, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral, M. Hubert Sage, membre du conseil d’administration ; M. Philippe Foussier, prĂ©sident du ComitĂ© laĂŻcitĂ© RĂ©publique, M. Patrick Kessel, prĂ©sident d’honneur ; M. Marc Blondel, prĂ©sident de la FĂ©dĂ©ration nationale de la libre pensĂ©e, M. Christian Eychen, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral ; M. Yves Pras, prĂ©sident du Mouvement Europe et laĂŻcitĂ©, M. JoĂ«l Denis, vice-prĂ©sident, M. Claude Betteto, vice-prĂ©sident ; M. Jean-Michel Quillardet, prĂ©sident de l’Observatoire international de la laĂŻcitĂ© contre les dĂ©rives communautaires, M. Fabien TaĂŻeb, vice-prĂ©sident, M. Didier Doucet, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral ; Mme Monique VĂ©zinet, prĂ©sidente de l’Union des familles laĂŻques, Mme Marie Perret, secrĂ©taire nationale. 341 Audition de l’association Ville et banlieue de France M. Claude Dilain, prĂ©sident, maire de Clichy-sous-Bois ; M. Jean-Pierre Blazy, maire de Gonesse ; M. Renaud Gauquelin, maire de Rillieux-La-Pape ; M. Jean-Yves Le Bouillonnec, maire de Cachan ; M. Xavier Lemoine, maire de Montfermeil 353 Audition de Mme GisĂšle Halimi, PrĂ©sidente de l’association Choisir la cause des femmes 366 Audition de M. AndrĂ© Rossinot, maire de Nancy, auteur du rapport La laĂŻcitĂ© dans les services publics 371 Audition de M. Jean-Pierre Dubois, prĂ©sident de la Ligue des droits de l’homme, Mme Françoise Dumont, vice-prĂ©sidente, et M. Alain Bondeelle, responsable du groupe de travail sur la laĂŻcitĂ© 375 Audition de M. Mahmoud Doua, enseignant en anthropologie du monde arabo-musulman Ă  l’UniversitĂ© Bordeaux III 382 Audition de M. RĂ©my Schwartz, conseiller d’État, rapporteur gĂ©nĂ©ral de la commission Stasi 386 Audition de M. Mohammed Moussaoui, prĂ©sident du Conseil français du culte musulman ; M. Haydar Demiryurek, vice-prĂ©sident chargĂ© des rĂ©gions ; M. Chems-Eddine Hafiz, vice-prĂ©sident chargĂ© des commissions ; M. Fouad Alaoui, vice-prĂ©sident chargĂ© de la rĂ©forme et du plan ; M. Anouar Kbibech, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral. 390 Audition de M. Denys de BĂ©chillon, professeur de droit public Ă  l’universitĂ© de Pau, membre du Club des juristes. 410 Audition de M. Jean BaubĂ©rot, titulaire de la chaire d’histoire et sociologie de la laĂŻcitĂ© Ă  l’École pratique des hautes Ă©tudes. 422 Audition de M. Farhad Khosrokhavar, directeur d’études Ă  l’École des hautes Ă©tudes en sciences sociales 434 Audition de M. Jean-Michel Ducomte, prĂ©sident de la Ligue de l’enseignement 440 Audition de M. Dalil Boubakeur, recteur de la Grande MosquĂ©e de Paris. 447 Audition de Mme Ismahane Chouder et de Mme Monique Crinon, du Collectif des fĂ©ministes pour l’égalitĂ© 457 Audition de M. Samir Amghar, chercheur Ă  l’École des hautes Ă©tudes en sciences sociales, spĂ©cialiste du salafisme 467 Audition de Mme Yvette Roudy, ancien ministre 476 Audition de M. Abdelwahab Meddeb, enseignant Ă  l’UniversitĂ© Paris X 483 Audition de M. Henri Pena-Ruiz, philosophe 492 Audition de Mme Caroline Fourest, journaliste et sociologue 501 Audition de reprĂ©sentants d’obĂ©diences maçonniques Pour la Grande loge fĂ©minine de France Mme Denise Oberlin, grande maĂźtresse ; Mme Anne-Marie PĂ©nin, prĂ©sidente de la commission conventuelle de la laĂŻcitĂ© ; Mme Marie-France Picart, ancienne grande maĂźtresse, membre de la Haute autoritĂ© de lutte contre les discriminations et pour l’égalitĂ© HALDE ; Pour la Grande loge de France M. Jean-Michel Balling, membre ; Pour le Grand orient de France M. Patrice Billaud, vice-prĂ©sident. 510 Audition de Mme Anne Levade, professeur de droit public Ă  l’UniversitĂ© Paris XII 518 Audition de M. Benjamin Stora, historien 529 Audition de M. Patrick Gaubert, prĂ©sident de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisĂ©mitisme LICRA, prĂ©sident du Haut conseil Ă  l’intĂ©gration, M. GĂ©rard Unger, vice-prĂ©sident et M. Richard SĂ©rĂ©ro, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral 533 Audition de M. Bertrand Mathieu, professeur de droit public Ă  l’UniversitĂ© Paris I PanthĂ©on-Sorbonne 546 Audition de M. Guy Carcassonne, professeur de droit public Ă  l’UniversitĂ© Paris Ouest Nanterre La DĂ©fense 554 Audition de M. Tariq Ramadan 560 Audition de M. Jean-Pierre MarguĂ©naud, professeur de droit privĂ© Ă  l’universitĂ© de Limoges 573 Audition de M. Pascal Hilout, reprĂ©sentant de l’association Riposte laĂŻque. 579 Audition de M. Antoine Sfeir, journaliste, directeur des Cahiers de l’Orient 585 Table ronde sur le thĂšme du corps et du visage Mme Nadeije Laneyrie-Dagen, professeur d’histoire de l’art moderne Ă  l’École normale supĂ©rieure ENS-Ulm, Mme NilĂŒfer Göle, directrice d’études Ă  l’École des hautes Ă©tudes en sciences sociales 590 Audition de M. Bertrand Louvel, prĂ©sident de chambre et directeur du service de documentation et d’études Ă  la Cour de cassation et de Mme CĂ©cile Petit, premier avocat gĂ©nĂ©ral Ă  la Cour de cassation 599 Audition conjointe de M. Brice Hortefeux, ministre de l’IntĂ©rieur, de l’outre-mer et des collectivitĂ©s territoriales, de M. Xavier Darcos, ministre du Travail, des relations sociales, de la famille, de la solidaritĂ© et de la ville, et de M. Éric Besson, ministre de l’Immigration, de l’intĂ©gration, de l’identitĂ© nationale et du dĂ©veloppement solidaire 610 LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 629 ANNEXE N° 1 DÉLIBÉRATIONS DE LA HAUTE AUTORITÉ DE LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS ET L'ÉGALITÉ HALDE 643 ANNEXE N° 2 DÉCISION DU CONSEIL D’ÉTAT DU 27 JUIN 2008 656 AVANT-PROPOS DE M. ANDRÉ GERIN, PRÉSIDENT DE LA MISSION D’INFORMATION –– Le dĂ©bat national commence –– AprĂšs six mois de travaux, la mission d’information créée par la ConfĂ©rence des PrĂ©sidents le 23 juin 2009, rend aujourd’hui son rapport. Ce document fera rĂ©fĂ©rence ; c’est une certitude. Par son souci de clartĂ©, par le sĂ©rieux de son analyse, par ses jugements Ă©quilibrĂ©s, le rapporteur, M. Éric Raoult, auquel je souhaite ici rendre hommage, a parfaitement rendu compte du travail que nous avons accompli collectivement dans un esprit fondamentalement rĂ©publicain. Le rapport de la mission Ă©tablit un Ă©tat des lieux qui fait l’objet d’un accord de l’ensemble de la mission. Il montre aussi avec prĂ©cision en quoi le port du voile intĂ©gral porte atteinte aux trois principes qui figurent dans la devise de la RĂ©publique libertĂ©, Ă©galitĂ©, fraternitĂ©. Le voile intĂ©gral est une atteinte intolĂ©rable Ă  la libertĂ©, Ă  la dignitĂ© des femmes. C’est la nĂ©gation de l’égalitĂ© des sexes, de la mixitĂ© dans notre sociĂ©tĂ©. C’est finalement la volontĂ© d’exclure les femmes de la vie sociale et le rejet de notre volontĂ© commune de vivre ensemble. Concernant les prĂ©conisations contenues dans le rapport, la plupart d’entre elles recueillent l’accord de tous les membres de la mission. Quant Ă  la nĂ©cessitĂ© de recourir ou non Ă  la loi pour interdire le port du voile intĂ©gral dans l’espace public, la mission constate que si une grande partie de ses membres sont pour l’adoption d’une telle loi, cette proposition ne fait pas, Ă  ce jour, l’unanimitĂ©. Il faut encore essayer de trouver des voies de passage pour mieux cerner le contenu possible de cette loi de libĂ©ration. Le rapport montre toutes les pistes qu’on peut emprunter. Il appartiendra aux 577 dĂ©putĂ©s de se faire leur opinion sur la base du prĂ©sent rapport. Le dĂ©bat n’est donc pas clos et, pour tout dire, j’ai le sentiment qu’il ne fait que commencer dans notre pays mais aussi au-delĂ  de nos frontiĂšres. Ce dĂ©bat va d’ailleurs prendre une dimension plus large encore car, derriĂšre la question du voile intĂ©gral, c’est une rĂ©alitĂ© beaucoup plus inquiĂ©tante qui transparaĂźt. La burqa, le niqab et tout autre voile intĂ©gral ne sont que la partie immergĂ©e de cet iceberg que constitue l’intĂ©grisme fondamentaliste. Ce sont les menĂ©es Ă©videntes d’un certain nombre de gourous qui tentent de conquĂ©rir les esprits et qui font tant de ravages dans certains territoires de la RĂ©publique. Je l’ai, en 2004, personnellement vĂ©cu Ă  VĂ©nissieux avec la fameuse affaire de l’ imam » Bouziane, du nom de ce prĂ©dicateur qui fut expulsĂ© de France pour avoir appelĂ© Ă  la lapidation des femmes ou avec l’histoire de ces deux jeunes Ă©galement de VĂ©nissieux qui, aprĂšs un sĂ©jour en Afghanistan, se sont retrouvĂ©s en 2002 Ă  Guantanamo. Les tĂ©moignages que nous avons recueillis lors de nos auditions montrent aussi les difficultĂ©s et le malaise profond qu’éprouvent les personnes qui, chaque jour, sont au contact du public, que ce soient les agents d’état civil, les mĂ©decins, les employĂ©s de magasins, les enseignants. Les incivilitĂ©s se multiplient. Les violences et les menaces sur les personnes sont frĂ©quentes. On nous a ainsi rapportĂ© ces conflits qui dĂ©gĂ©nĂšrent dans les hĂŽpitaux – comme Ă  l’hĂŽpital femme-mĂšre-enfant de Bron dans la rĂ©gion lyonnaise – parce qu’un homme refuse que sa femme reçoive l’aide d’un mĂ©decin homme au moment d’accoucher. Ce n’est pas acceptable et Ă  chaque fois qu’a lieu une telle agression, c’est notre vivre ensemble fondĂ© sur l’Esprit des LumiĂšres qui est bafouĂ©. Face Ă  cela, la RĂ©publique doit rĂ©agir et les parlementaires doivent prendre leurs responsabilitĂ©s. C’est ce Ă  quoi invite le prĂ©sent rapport. AVANT-PROPOS DE M. ÉRIC RAOULT, RAPPORTEUR DE LA MISSION D’INFORMATION –– Rencontre avec Farah, jeune marseillaise voilĂ©e Ă  Damas, le 5 novembre 2009 –– Cette rencontre commence comme une visite culturelle au cƓur de Damas de cinq dĂ©putĂ©s de l'AssemblĂ©e nationale. Une rencontre fortuite mais peu banale qui m'a marquĂ© et que j'ai voulu rĂ©sumer dans ces quelques lignes. Cette rencontre est intervenue lors d'une mission en Syrie, conduite par Elisabeth Guigou, en prĂ©sence de François Loncle, Jacques Myard, Jean-Marc Nesme et moi-mĂȘme. AprĂšs plusieurs rencontres officielles dans un timing soutenu avec les autoritĂ©s syriennes, notre ambassadeur, Éric Chevallier, Ă  notre demande, avait organisĂ© une rapide visite guidĂ©e de cette MosquĂ©e des Omeyyades, au cƓur de Damas, monumentale et ancestrale, qui est un des Ă©difices les plus beaux du Proche-Orient. Notre allure de responsables Ă©trangers, mais surtout nos propos en français ont attirĂ© lors de cette visite deux jeunes femmes en burqa. L'une, seule, timide, n'a pas accompagnĂ© sa consoeur qui souhaitait engager un dialogue avec notre dĂ©lĂ©gation de dĂ©putĂ©s français. C'est au moment oĂč nous allions quitter l'esplanade de cette grande mosquĂ©e, que Farah a accostĂ© mon collĂšgue François Loncle. En voile intĂ©gral, avec quatre enfants, dont l'un en trĂšs bas Ăąge, emmitouflĂ© et cachĂ© du jour sous la robe de l'une d'entre elles, avec un fort accent du Sud de la France, celle-ci s'est adressĂ©e Ă  lui vous ĂȘtes des politiques français, je vous ai reconnu ! ». C'est dans nos sourires, mais sans voir le sien, que ce dialogue d'une demi-heure s'est engagĂ©. PlongĂ© dans les nouvelles relations diplomatiques, Ă©conomiques et culturelles franco-syriennes, je voulus absolument parler avec cette jeune femme de 35 ans, native de la citĂ© de la Castellane, Ă  Marseille, d'origine marocaine, qui vivait avec ses quatre enfants dans une totale dĂ©pendance de son compagnon koweĂŻtien, partageant son existence entre plusieurs pays du Proche et du Moyen-Orient. Farah voulait nous parler, non pour [se] justifier, mais pour [nous] expliquer le sens qu'[elle] donnait Ă  cette burqa », Ă  cet exil, Ă  cet engagement, Ă  cette pratique de puretĂ©. Une jeune française qui se rattachait Ă  nous, Ă  ce dialogue, jusqu'Ă  nous aider Ă  discuter le prix d'un sac Ă  dos avec ses trois enfants et son bĂ©bĂ© aux yeux Ă©blouis quand elle le sortait de sa robe noire. Oui, nous avons parlĂ© longtemps Ă  ce fantĂŽme attachant qui continuait Ă  nous parler, Ă  nous dire, Ă  nous expliquer le pourquoi de ce voile. Avec pudeur, elle nous rĂ©sumait sa vie, avec un gamin qui lui disait Maman, j'ai faim ! ». Je lui ai donnĂ© ce que j'avais sur moi, non pas mes billets qu'elle a refusĂ©s, mais une carte de visite avec mon numĂ©ro de portable ! Avant de la quitter, je lui ai dit que ma femme Ă©tait de Marseille, qu’elle connaissait Jean-Claude, le Maire et les gens de lĂ -bas ! ». Avec un accent couleur locale, elle m'a dit en me frĂŽlant le bras mais avec un ton diffĂ©rent dans la voix j’ai la foi, mais j’ai aussi la nostalgie du pays ». Farah est peut-ĂȘtre encore Ă  Damas, ou au Koweit ou en Arabie saoudite. En la quittant dans le souk avec mes quatre collĂšgues dĂ©putĂ©s, j’avais voulu tendre la main Ă  ce fantĂŽme prisonnier de ce voile qui masquait son identitĂ©, son pays, sa ville de Marseille. La foi, la nostalgie de cette Maman errante » qui tendait la main, non pour mendier mais pour ĂȘtre aidĂ©e, secourue, pour sortir d’une dĂ©tresse qui m’a bouleversĂ© pendant des jours ! Dans cette MosquĂ©e des Omeyyades, nous avons rencontrĂ© Farah qui avait commencĂ© par le voile simple, en bas d’un immeuble, puis avait dĂ» porter le voile intĂ©gral et qui, aujourd’hui, avait la nostalgie des quartiers, du bus et des marchĂ©s, des fĂȘtes et des bruits de son pays et de sa belle ville ! Farah n’est pas un fantĂŽme, c’est une jeune femme de France que je ne veux et ne peux pas oublier, car ce port du voile, ce n’est pas une libertĂ© fĂ©minine, c’est d’abord un oubli de soi, tout simplement une contrainte faite aux femmes ! C’est une errance personnelle, un retour vers le passĂ© ! En travaillant sur ce rapport, j’ai encore en tĂȘte le rire de Farah pour parler de Marseille et les larmes de sa voix pour parler de sa vie, de son avenir. Ce texte n’est pas mĂ©lo, ni larmoyant, mais c’est mon tĂ©moignage vĂ©cu. C’est pour les yeux de Farah » qu’avec AndrĂ© Gerin et tous les membres de notre mission, nous avons voulu travailler, Farah de Damas, du Koweit ou du Golfe, mais avant tout, Farah de Marseille ! Mesdames, Messieurs, Le port de la burqa, du niqab ou de tout autre voile intĂ©gral est un sujet incandescent, Ă  tel point que certains ont pu craindre qu’aborder publiquement cette question suscite passions, incomprĂ©hensions et conflits. Mais laisser se dĂ©velopper cette pratique contraire aux valeurs de la RĂ©publique, sans oser en dĂ©battre, par confort intellectuel ou, pire encore, par peur, n’est-ce pas prendre le risque d’ĂȘtre rattrapĂ© un jour par la rĂ©alitĂ© ? C’est justement pour prĂ©server l’avenir, pour permettre Ă  chacun, quelles que soient ses origines, ses convictions, sa confession, de vivre paisiblement dans notre RĂ©publique que nous avons souhaitĂ© affronter cette question avec la volontĂ© d’observer, de comprendre, de proposer. À l’évidence, une assemblĂ©e dĂ©mocratique est le lieu naturel pour engager ce dĂ©bat sereinement. Le PrĂ©sident de la RĂ©publique s’en est remis d’ailleurs aux parlementaires lorsque, s’exprimant devant eux au CongrĂšs de Versailles, le 22 juin 2009, il dĂ©clarait Le Parlement a souhaitĂ© se saisir de cette question. C'est la meilleure façon de procĂ©der. Il faut qu'il y ait un dĂ©bat et que tous les points de vue s'expriment. OĂč ailleurs qu'au Parlement pourraient-ils mieux le faire ? » C’est bien l’AssemblĂ©e nationale qui a entendu se pencher sur ce phĂ©nomĂšne nouveau que l’on voit se dĂ©ployer subrepticement sur certains territoires de la RĂ©publique et qui constitue une atteinte intolĂ©rable Ă  la dignitĂ© des femmes. C’est l’initiative de notre collĂšgue AndrĂ© Gerin 2, soutenue par de trĂšs nombreux dĂ©putĂ©s, puis par l’ensemble des groupes parlementaires, qui a conduit, le 23 juin 2009, Ă  la crĂ©ation, par la ConfĂ©rence des PrĂ©sidents de l’AssemblĂ©e nationale, de la mission d’information sur la pratique du port du voile intĂ©gral sur le territoire national 3, en application de l’article 145 de notre RĂšglement. La pratique du port du voile intĂ©gral surprend et mĂȘme stupĂ©fie bon nombre de nos concitoyens, de toutes origines, de toutes confessions ; elle les met mal Ă  l’aise et, souvent, les inquiĂšte. Dans un pays qui a fait de la civilitĂ©, de la courtoisie, une valeur sociale et mĂȘme politique, le fait de refuser d’échanger Ă  visage dĂ©couvert avec l’autre est ressenti comme une attitude de dĂ©fiance, de rejet voire de menace. Mais ce phĂ©nomĂšne du port du voile intĂ©gral – terme plus neutre et plus gĂ©nĂ©ral que l’on prĂ©fĂ©rera Ă  celui de burqa ou de niqab – est, avant toutes choses, marquĂ© par une grande complexitĂ©, tant dans son origine, ses manifestations que ses consĂ©quences et les moyens de lui faire face. Lorsque la ConfĂ©rence des PrĂ©sidents a créé cette mission d’information – de prĂ©fĂ©rence Ă  une commission d’enquĂȘte dont les mĂ©canismes apparaissaient, Ă  juste titre, trop lourds pour ce type d’investigation – chacun a eu conscience que ce travail supposerait de la nuance. Ce n’est pas Ă  nous qu’il appartient de dire si, in fine, cette exigence a Ă©tĂ© respectĂ©e – d’autres en jugeront – mais une certitude demeure sans vouloir employer des termes trop solennels, on peut dire cependant que la mission d’information n’a eu de cesse de s’inscrire dans une dĂ©marche profondĂ©ment rĂ©publicaine. Évidemment, une telle dĂ©marche constitue une prĂ©occupation gĂ©nĂ©rale et constante de tous les parlementaires, en toutes circonstances, mais pendant les six mois qui viennent de s’écouler et pour chacun des membres de la mission d’information sur la pratique du port du voile intĂ©gral, l’idĂ©e rĂ©publicaine fut bien une forme d’obsession au sens positif du terme ; elle s’est manifestĂ©e Ă  tous les stades des travaux de la mission, dans ses intentions, son fonctionnement et ses conclusions. Dans les intentions, tout d’abord. Les trente-deux membres, issus de tous les groupes qui composent l’AssemblĂ©e nationale, ont souhaitĂ© travailler sans prĂ©jugĂ© – ce qui ne signifie pas sans convictions – pour comprendre un phĂ©nomĂšne nouveau, dont ils avaient bien souvent l’expĂ©rience dans leur propre circonscription. L’objectif Ă©tait clair et il fut, dans ce paysage mouvant, complexe, un point fixe que les dĂ©putĂ©s ne quittĂšrent pas des yeux un instant il importe que tous les habitants de ce pays – quels que soient leur nationalitĂ©, leur origine, leur sexe, leur confession, leur opinion... – puissent vivre en bonne harmonie dans le respect de ce qui constitue le pacte rĂ©publicain et de ses trois valeurs fondatrices la libertĂ©, l’égalitĂ© et la fraternitĂ©. Pour traduire cette intention dans le fonctionnement mĂȘme de la mission, le prĂ©sident et votre rapporteur ont entendu ouvrir le plus largement possible les travaux, sans exclusive, en Ă©coutant toutes les tendances politiques, sociales, intellectuelles qui souhaitaient s’exprimer sur ce sujet, quels que soient les sentiments que l’on pouvait avoir parfois Ă  l’égard des propos tenus lors de ces auditions. Jugeons en plutĂŽt 211 personnes auditionnĂ©es, plus de quatre-vingts heures d’auditions ; des questionnaires adressĂ©s Ă  nos ambassades dans tous les pays de l’Union europĂ©enne, aux États-Unis, au Canada, en Turquie, dans plusieurs pays arabes ; un dĂ©placement en Belgique ; toutes les formations politiques nationales reprĂ©sentĂ©es Ă  l’AssemblĂ©e nationale ou au SĂ©nat consultĂ©es
 La mission a aussi fait le choix de la publicitĂ© de ses auditions – hormis quelques rares exceptions – et ce, en accord avec toutes les personnes entendues. La quasi-totalitĂ© des auditions ont Ă©tĂ© mises en ligne sur le site Internet de l’AssemblĂ©e nationale et au 1er janvier 2010, c’est plus de 100 000 connexions qui avaient Ă©tĂ© dĂ©nombrĂ©es. Par ce choix s’est exprimĂ©e la volontĂ© de porter le dĂ©bat hors les murs du Palais Bourbon. C’est aussi pour cette raison que la mission s’est dĂ©placĂ©e Ă  Lille, Ă  Lyon, Ă  Marseille et Ă  Bruxelles, qu’elle a consacrĂ© une journĂ©e Ă  des auditions pour la rĂ©gion parisienne, afin d’entendre les acteurs de premiĂšre ligne, confrontĂ©s Ă  la pratique du port du voile intĂ©gral. À cette occasion, les dĂ©putĂ©s ont pu constater que leur venue avait souvent permis Ă  ces acteurs des services publics, des associations, de dialoguer entre eux, d’échanger leurs expĂ©riences ; ce ne fut pas la moindre de nos satisfactions que de permettre ces rencontres. Certes, la rĂ©ussite d’une mission parlementaire ne se mesure pas au bruit mĂ©diatique » qu’elle suscite. Comme dĂ©putĂ©s nous menons bien souvent des travaux dans la discrĂ©tion, pendant de longs mois, pour faire ensuite des propositions qui sont rendues publiques. Mais il faut bien constater que rarement une mission d’information parlementaire aura suscitĂ© autant d’attention dans notre pays. Depuis plus de six mois, il ne s’est pas passĂ© une journĂ©e sans qu’un article paraisse sur la question du port du voile intĂ©gral. Tous les mĂ©dias ont rendu compte de nos auditions, de nos rĂ©flexions, de notre cheminement, de nos convictions mais aussi de nos hĂ©sitations sur un sujet aussi sensible. La qualitĂ© des travaux de notre mission a Ă©tĂ© reconnue, comme en tĂ©moignent les nombreux articles de presse les commentant 4. Il est apparu qu’il fallait que la parole soit ouverte et que nous puissions, d’une certaine façon, associer la sociĂ©tĂ© Ă  nos interrogations. À l’heure oĂč l’on attend du Parlement qu’il se rĂ©nove, une telle dĂ©marche se justifie pleinement sur de tels sujets de sociĂ©tĂ©. La maniĂšre dont le dĂ©bat s’est organisĂ© publiquement sur ce thĂšme sans jamais s’étioler montre que les dĂ©putĂ©s qui avaient dĂ©cidĂ© de se saisir de cette question ont pressenti fort justement qu’il y avait lĂ  un sujet qui travaillait en profondeur notre sociĂ©tĂ©. On a pu nous opposer qu’il s’agissait d’un Ă©piphĂ©nomĂšne, d’une tendance marginale, d’un prĂ©texte. Nos travaux prouvent, au contraire, que derriĂšre une pratique qui demeure encore – heureusement – trĂšs minoritaire, surgissent des questions fondamentales, des dĂ©fis Ă  relever, des choix politiques. ‱ Des questions fondamentales En dĂ©mĂȘlant l’écheveau que constitue cette pratique choquante, la mission a pu mettre en Ă©vidence des enjeux considĂ©rables. C’est tout d’abord la question des droits des femmes qui se pose et de l’implantation dans notre pays de traditions culturelles ou d’idĂ©ologies qui tentent d’imposer un rapport homme-femme fondĂ© sur la domination, la pression et mĂȘme la menace, ce qui est proprement inacceptable. En partie liĂ©e Ă  cette premiĂšre question, apparaĂźt la situation des mineures contraintes de porter de tels voiles intĂ©graux. Notre sociĂ©tĂ© ne peut tolĂ©rer que des enfants ou des adolescentes subissent un tel sort. On voit poindre aussi la question de la dignitĂ© des personnes. Sans cesse, lors de nos nombreuses auditions, a Ă©tĂ© posĂ©e cette question peut-on laisser un individu accepter voire revendiquer un tel signe d’asservissement et porter atteinte de la sorte Ă  sa propre dignitĂ© ? On a mis ainsi en Ă©vidence des Ă©lĂ©ments qui relĂšvent du comportement sectaire dans la revendication du port du voile intĂ©gral. Mais ce qui est Ă©galement en cause c’est le refus que nous devons et pouvons opposer Ă  des idĂ©ologies ou des systĂšmes de pensĂ©e qu’on peut qualifier de barbares » au sens oĂč ils nient l’idĂ©e de progrĂšs, de civilisation, de dĂ©mocratie, d’égalitĂ© entre les sexes
 On ne peut aussi Ă©videmment passer sous silence la laĂŻcitĂ© mĂȘme si les auditions ont largement montrĂ© – et assez rapidement d’ailleurs – que le port du voile intĂ©gral n’était pas une prescription de l’islam. Les risques en termes de sĂ©curitĂ© en raison du port d’un voile intĂ©gral ont Ă©galement Ă©tĂ© mis trĂšs justement en avant. Comment assurer la sĂ»retĂ© publique, principe figurant Ă  l’article 2 de la DĂ©claration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, si des individus dissimulent ainsi totalement leur visage ? Enfin, il apparaĂźt que, derriĂšre cette pratique, Ă©merge une question qui englobe peut-ĂȘtre toutes les autres la sociĂ©tĂ© française, notre ordre social fondĂ©s sur l’égalitĂ© et la fraternitĂ© peuvent-ils accepter cette fin de non-recevoir Ă  tout Ă©change humain que signifie le port du voile intĂ©gral ? On le voit, les questions posĂ©es par la pratique du port du voile intĂ©gral sont nombreuses et d’une sensibilitĂ© extrĂȘme. Mais ce phĂ©nomĂšne ne se contente pas de nous interroger, il nous somme de relever des dĂ©fis cruciaux. ‱ Des dĂ©fis Ă  relever Le principal de ces dĂ©fis est la capacitĂ© de la RĂ©publique Ă  faire face Ă  des courants dont la visĂ©e plus ou moins affichĂ©e est bien de la dĂ©stabiliser dans ses fondements. Ne nous y trompons pas c’est bien la question de notre systĂšme de valeurs qui est ici mise en cause ; c’est notre RĂ©publique que l’on teste de la sorte. Mais, pour autant, dans cette lutte contre de tels mouvements ou phĂ©nomĂšnes, nous devons aussi veiller Ă  rester fidĂšles Ă  nos valeurs. Comment ainsi gĂ©rer, en France, la diversitĂ© des cultures, des croyances, des identitĂ©s sans transiger sur l’essentiel ? Comment condamner cette pratique du voile intĂ©gral et la prohiber sans donner le sentiment que l’on s’attaque Ă  une partie de la population en raison de ses origines ou de sa confession ? Il ressort de nos auditions que le port du voile intĂ©gral n’est pas une prescription de l’islam mais une pratique culturelle pour certains et militante pour d’autres ; mais il est apparu de maniĂšre tout aussi Ă©vidente que notre RĂ©publique devait fortement encourager, conforter les reprĂ©sentants et les responsables de l’islam de France pour qu’ils puissent prendre toute leur part dans la lutte contre ces pratiques radicales qui donnent une image dĂ©formĂ©e de cette religion. Il faut que toutes celles et ceux qui, en France, souhaitent vivre la religion musulmane dans la libertĂ©, la dignitĂ© et le respect puissent trouver dans notre pays les moyens de le faire. C’est aussi, pour la France, un dĂ©fi Ă  relever et sans dĂ©lai. Nous souhaiterions que le prĂ©sent rapport soit perçu comme un message fort d’encouragement en ce domaine. Nous voulons convaincre, plus que contraindre. ‱ Des choix politiques La pratique du voile intĂ©gral est unanimement condamnĂ©e pour de nombreuses raisons que nous allons prĂ©senter. Mais les moyens de faire cesser cette pratique sur le territoire de notre pays ne sont pas des plus simples Ă  dĂ©finir en raison de la complexitĂ© du phĂ©nomĂšne – le port du voile est-il contraint, par la pression physique, morale ou sociale, ou est-il un choix personnel librement consenti, une conviction, une provocation ? –, en raison Ă©galement de la grande diversitĂ© des situations – dans les lieux privĂ©s, accueillant du public, dans la rue – et enfin, parce que le lĂ©gislateur doit respecter des impĂ©ratifs juridiques constitutionnels et europĂ©ens. La mission d’information a fait le choix de proposer des prĂ©conisations diverses, tout un Ă©ventail de solutions afin de saisir au plus prĂšs la pratique du port du voile intĂ©gral et les diffĂ©rentes situations qu’elle recoupe. L’objectif est, quant Ă  lui, sans ambiguĂŻtĂ© faire reculer et finalement disparaĂźtre cette pratique dans notre pays. Dans ses conclusions, la mission a souhaitĂ© mettre en avant les solutions qui unissent et non celles qui divisent. La RĂ©publique, c’est cette volontĂ© de permettre Ă  la multitude des citoyens de se penser comme un seul corps sans que personne ait Ă  abdiquer sa libertĂ© et son identitĂ© personnelle. Les prĂ©conisations que nous faisons ici – dont les forces politiques de notre pays auront maintenant Ă  dĂ©battre – n’ont d’autre but que de montrer qu’à travers une question difficile, il est possible d’ĂȘtre ferme et nuancĂ©, d’ĂȘtre respectueux de l’autre, tout en assumant un modĂšle de civilisation dont on peut tirer une lĂ©gitime fiertĂ© et qui tient en trois mots simples libertĂ©, Ă©galitĂ©, fraternitĂ©. PREMIÈRE PARTIE DES PRATIQUES RADICALES, ENTRE ARCHAÏSME CULTUREL ET PROSÉLYTISME INTÉGRISTE À l’issue de ses travaux, la mission d’information tient Ă  livrer un diagnostic empreint d’humilitĂ© mais non dĂ©pourvu de force sur le caractĂšre prĂ©occupant de la pratique du port du voile intĂ©gral. Au fil des auditions et des dĂ©placements qu’elle a pu rĂ©aliser depuis la tenue de sa rĂ©union constitutive, le 1er juillet 2009, la mission a certes pris la mesure de la diversitĂ© des situations, de la pluralitĂ© des facteurs expliquant ce phĂ©nomĂšne. Elle doit Ă©galement concĂ©der que cette pratique apparaĂźt sans doute difficilement quantifiable et qu’il convient d’apprĂ©cier avec prĂ©cautions certaines informations et certaines donnĂ©es. NĂ©anmoins, au terme de cet Ă©tat des lieux, plusieurs conclusions peuvent ĂȘtre tirĂ©es quant Ă  la nature et aux rĂ©alitĂ©s que recouvre le port du voile intĂ©gral il s’agit d’une pratique antĂ©islamique importĂ©e ne prĂ©sentant pas le caractĂšre d’une prescription religieuse ; elle participe de l’affirmation radicale de personnalitĂ©s en quĂȘte d’identitĂ© dans l’espace social mais aussi de l’action de mouvements intĂ©gristes extrĂ©mistes ; elle reprĂ©sente un dĂ©fi pour de nombreux pays. I.– UNE ORIGINE ANCIENNE, UN DÉVELOPPEMENT RÉCENT, UNE PRESCRIPTION NON ISLAMIQUE A. UNE PRATIQUE ANTÉRIEURE À L’ISLAM ET IMPORTÉE DES SOCIÉTÉS DU MOYEN-ORIENT 1. Des tenues vestimentaires avant tout caractĂ©ristiques des us et coutumes de sociĂ©tĂ©s du Moyen-Orient Retenu par la mission d’information de l’AssemblĂ©e nationale pour rendre compte de l’ampleur du phĂ©nomĂšne, le terme de voile intĂ©gral » recouvre, Ă  la vĂ©ritĂ©, une assez grande diversitĂ© de tenues vestimentaires voir encadrĂ© ci-dessous — le niqab, voile qui dissimule tout le corps, y compris le visage, Ă  l’exception des yeux ; — le sitar, voile supplĂ©mentaire qui cache y compris les yeux et que certaines femmes en jilbab font descendre le long du visage pour le couvrir, mĂȘme les mains devant ĂȘtre gantĂ©es afin qu’aucune partie de la femme ne soit visible ; — la burqa enfin, tenue recouvrant intĂ©gralement le corps et comportant un mince grillage devant les yeux. Mais par-delĂ  la diversitĂ© de ces tenues vestimentaires, l’étude de leur histoire semble indiquer que leurs origines remontent Ă  une Ă©poque antĂ©rieure Ă  la conversion Ă  l’islam des sociĂ©tĂ©s ou groupes au sein desquels elles sont portĂ©es. Il en va ainsi de la burqa, tenue des femmes appartenant au groupe des Pachtounes, tribu qui vit de part et d’autre des frontiĂšres de l’Afghanistan et du Pakistan. Lors de son audition, M. Dalil Boubakeur, recteur de la Grande MosquĂ©e de Paris, a affirmĂ© avec force que le terme existe bien dans la littĂ©rature antĂ©islamique arabe Antar Ibn Shahad mais c’est un archaĂŻsme qui n’a rien Ă  voir avec l’islam » 5. De mĂȘme, le niqab, principalement portĂ© aujourd’hui par les femmes des pays du Golfe arabo-persique, peut se prĂ©senter comme une tenue ayant des origines plus historiques que religieuses. M. Dalil Boubakeur a ainsi fait observer aux membres de la mission que le terme arabe de niqab, devenu n’gueb chez les Touaregs, dĂ©signe Ă©galement un voile couvrant le visage sauf les yeux et destinĂ© Ă  se protĂ©ger des ardeurs du soleil ou des vents du sable. Cette explication rejoint la thĂšse dĂ©fendue par Mme Dounia Bouzar, anthropologue du fait religieux, suivant laquelle la burqa [
] existait avant l’islam [...]. Comme la burqa, le niqab Ă©tait d’abord un vĂȘtement traditionnel. Mais certains savants ont rĂ©ussi Ă  l’imposer au dĂ©but du XXe siĂšcle en Arabie saoudite » 6. Si l’on en croit la plupart des spĂ©cialistes de l’islam, seul le hidjab, foulard dissimulant la tĂȘte et le cou et laissant le visage Ă  dĂ©couvert, pourrait ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une tenue vestimentaire fĂ©minine conforme aux principes de l’islam. De fait, ses caractĂ©ristiques apparaissent les plus proches des prescriptions vestimentaires formulĂ©es dans le texte coranique Ă  l’endroit des femmes et dont rend du reste compte l’étymologie de ce terme issu du verbe voiler » ou protĂ©ger ». D’autre part, la consĂ©cration de cette obligation vestimentaire pour les femmes, souvent bien antĂ©rieure Ă  la conversion Ă  l’islam, s’explique par la culture patriarcale imprĂ©gnant le fonctionnement de ces sociĂ©tĂ©s et conditionnant en leur sein la place des femmes. Ainsi, selon Mme Dounia Bouzar, certains spĂ©cialistes de la religion musulmane s’interrogent sur la rĂ©elle motivation du port du hidjab imposĂ© aux femmes dans le contexte historique des premiĂšres sociĂ©tĂ©s converties Ă  l’islam, certains estimant que porter le foulard Ă©tait simplement un moyen de protĂ©ger les femmes au VIIe siĂšcle dans une sociĂ©tĂ© violente [
] » 7. Parmi les facteurs d’ordre historique permettant de comprendre cette prescription, il convient sans doute d’ajouter l’infĂ©rioritĂ© du statut accordĂ© traditionnellement aux femmes dans des sociĂ©tĂ©s du Moyen-Orient. Dans son livre Un voile sur la RĂ©publique 8, Mme MichĂšle VianĂšs, que la mission d’information a par ailleurs auditionnĂ©e en sa qualitĂ© de prĂ©sidente de l’association Regards de femme 9, remarque que le port du voile pour une femme a Ă©tĂ© une prĂ©occupation dans de nombreuses sociĂ©tĂ©s traditionnelles mais qu’il ne s’agissait pas toujours de la manifestation d’un rigorisme extrĂȘme. En revanche, le voile a toujours Ă©tĂ© considĂ©rĂ© comme la matĂ©rialisation de la mise Ă  l’écart des femmes donc un acte discriminatoire, marqueur de la diffĂ©rence. Les auteurs du livre, Les animateurs face Ă  l’intĂ©grisme religieux et Ă  l’oppression des femmes 10, perçoivent quant Ă  eux, dans la culture imprĂ©gnant les familles issues de certaines sociĂ©tĂ©s musulmanes, l’existence de structures et de schĂ©mas de pensĂ©e, de reprĂ©sentation et d’action transformant les femmes en des biens Ă  prĂ©server qui permettent un Ă©change entre les familles ». Il s’agirait lĂ , dans le prolongement de ces auteurs, des vestiges d’un systĂšme patriarcal instituant la domination de l’homme sur la femme dont on peut du reste ressentir l’influence dans les sociĂ©tĂ©s imprĂ©gnĂ©es par les trois religions du Livre. Ainsi peut-on lire sous la plume de l’une des principales figures du christianisme, Saint Paul L’homme, lui ne doit pas se voiler la tĂȘte, parce qu’il est l’image et la gloire de Dieu ; quant Ă  la femme, elle est la gloire de l’homme. Ce n’est pas l’homme en effet qui a Ă©tĂ© tirĂ© de la femme mais la femme de l’homme, et ce n’est pas l’homme bien sĂ»r, qui a Ă©tĂ© créé pour la femme mais la femme pour l’homme. VoilĂ  pourquoi la femme doit discipliner sa chevelure Ă  cause des anges. » 11. 2. Une pratique vestimentaire encore marginale apparue assez rĂ©cemment sur le territoire national Tant du point de vue des pratiques observables que des reprĂ©sentations sous-jacentes entourant le culte musulman, la pratique du port du voile intĂ©gral par des femmes se rĂ©vĂšle ĂȘtre une nouveautĂ© sur le territoire national. a L’étude citĂ©e par le ministre de l’IntĂ©rieur 1 900 femmes voilĂ©es intĂ©gralement Un article de presse est venu en juillet indiquer le chiffre de 367 il n’était pas convainquant et n’a d’ailleurs pas convaincu. Plus sĂ©rieusement, selon une Ă©tude rĂ©alisĂ©e entre l’étĂ© et l’automne 2009 dont les chiffres ont Ă©tĂ© confirmĂ©s au cours de l’audition du ministre de l’IntĂ©rieur 12, M. Brice Hortefeux, si l’on pouvait conclure Ă  la quasi inexistence du phĂ©nomĂšne au dĂ©but des annĂ©es 2000, on observe aujourd’hui une multiplication du nombre des femmes voilĂ©es intĂ©gralement sur le territoire national. L’étude prĂ©citĂ©e Ă©value Ă  1 900, le nombre des femmes portant le voile intĂ©gral, en l’espĂšce le niqab, phĂ©nomĂšne au demeurant difficilement quantifiable mais vraisemblablement en augmentation. Le ministĂšre de l’IntĂ©rieur ne dispose, en revanche, d’aucun signalement concernant la prĂ©sence de femmes portant la burqa Ă  proprement parler. PrĂ©sence du voile intĂ©gral sur le territoire national 1 900 femmes porteraient le voile intĂ©gral sur le territoire national, dont 270 Ă©tablies dans les collectivitĂ©s d’outre mer 250 Ă  La RĂ©union et 20 Ă  Mayotte. Le phĂ©nomĂšne du port du voile intĂ©gral touche l’ensemble des rĂ©gions de mĂ©tropole, hormis peut-ĂȘtre la Corse. Les rĂ©gions principalement concernĂ©es sont ‱ L’Île-de-France 50 % des femmes portant le niqab en mĂ©tropole ; ‱ RhĂŽne-Alpes 160 cas rĂ©pertoriĂ©s ; ‱ Provence-Alpes-CĂŽte-d’Azur une centaine de cas recensĂ©s Le port du voile apparaĂźt toutefois circonscrit aux zones urbanisĂ©es et concentrĂ©es dans les citĂ©s sensibles des grandes agglomĂ©rations. d’aprĂšs les donnĂ©es tirĂ©es d’une Ă©tude rĂ©alisĂ©e entre aoĂ»t et dĂ©cembre 2009 par le ministĂšre de l’IntĂ©rieur b Les Ă©lus locaux et les spĂ©cialistes du fait religieux musulman partagent le constat du caractĂšre marginal de cette pratique Ce constat semble partagĂ© par de nombreux Ă©lus, en particulier ceux de banlieues et de quartiers dits sensibles ». Ainsi, au cours de l’audition trĂšs stimulante de membres de l’Association Ville et Banlieue, M. Claude Dilain, en sa qualitĂ© de prĂ©sident de cette association et de maire de Clichy-sous-Bois, Ă©voquait un phĂ©nomĂšne qui connaĂźt un dĂ©veloppement incontestable dans certaines villes » 13. M. Xavier Lemoine, maire de Montfermeil et Ă©galement auditionnĂ© en tant que membre de cette association, note pour sa part une Ă©volution par poussĂ©es selon les pĂ©riodes ». Cela Ă©tant, l’ensemble des Ă©lus s’accorde avec les pouvoirs publics pour qualifier le phĂ©nomĂšne de marginal. RencontrĂ©s Ă  l’occasion des dĂ©placements effectuĂ©s par la mission Ă  Lille 14, Lyon 15, Marseille 16 et au cours d’une journĂ©e consacrĂ©e Ă  la situation en Île-de-France 17, les acteurs de terrain livrent un mĂȘme diagnostic quant au caractĂšre trĂšs inĂ©gal de la manifestation de ce phĂ©nomĂšne. Les reprĂ©sentants des services publics sollicitĂ©s la Poste, des Ă©tablissements hospitaliers dont l’Assistance publique-HĂŽpitaux de Paris, l’Assistance publique des HĂŽpitaux de Marseille, l’HĂŽpital femme-mĂšre-enfant de Bron, les caisses locales d’allocations familiales, les Ă©tablissements scolaires des premier et second degrĂ©s, les rectorats et les universitĂ©s, les services sociaux sous l’autoritĂ© des dĂ©partements, les administrations, les commissariats de police, dans leur grande majoritĂ©, dĂ©clarent tout d’abord constater l’augmentation du nombre des jeunes filles portant un foulard simple. Dans l’accomplissement de leurs missions, leurs agents rencontrent moins de personnes portant le voile intĂ©gral – dont les cas demeurent Ă  l’évidence extrĂȘmement rares mais source de situations trĂšs conflictuelles – qu’ils ne se trouvent confrontĂ©s Ă  des incivilitĂ©s, des violences verbales ou physiques liĂ©es avant tout aux situations de prĂ©caritĂ© des usagers et aux difficultĂ©s que ceux-ci peuvent Ă©prouver Ă  Ă©tablir un dialogue. D’autres situations conflictuelles tiennent au refus d’ĂȘtre reçu par un homme ou par une femme selon le sexe de l’usager mais ne sont pas davantage en rapport avec le port du voile intĂ©gral. Il convient toutefois de noter que les services les plus confrontĂ©s aux problĂšmes posĂ©s par cette tenue sont les services de l’état civil. L’illustrent, par exemple, les quelques cas dont a fait Ă©tat M. Robert Guiot, adjoint au maire de Marignane, au cours de la table ronde organisĂ©e Ă  Marseille rĂ©unissant des Ă©lus locaux 18. D’aprĂšs son tĂ©moignage, les agents du service Population » se trouvent confrontĂ©s Ă  des jeunes filles auxquelles il faut demander d’enlever un ou plusieurs voiles afin de pouvoir s’assurer de leur identitĂ©. M. Robert Guiot a Ă©galement attirĂ© l’attention des membres de la mission sur le fait que les agents chargĂ©s de cĂ©lĂ©brer les mariages doivent faire face Ă  des personnes portant des insignes nationaux ou complĂštement voilĂ©es par provocation. Les prĂ©fets Ă  l’égalitĂ© des chances et dĂ©lĂ©guĂ©s Ă  la politique de la Ville soulignent Ă©galement le caractĂšre trĂšs minoritaire des cas de jeunes femmes portant un voile intĂ©gral et la difficultĂ© Ă  quantifier ce phĂ©nomĂšne. De fait, d’aprĂšs les chiffres rendus publics par le ministĂšre de l’IntĂ©rieur, le nombre des femmes intĂ©gralement voilĂ©es ne reprĂ©senterait que 3 personnes pour 100 000 habitants. c Une place croissante dans l’espace mĂ©diatique Cette progression d’un phĂ©nomĂšne au demeurant difficilement quantifiable se reflĂšte en second lieu dans la place croissante qu’occupe le port du voile intĂ©gral dans l’espace mĂ©diatique depuis quelques annĂ©es. Les premiers articles rendant compte dans la presse Ă©crite du port de la burqa en France ne paraissent en effet qu’en 2003. Avant cette date, dans l’imaginaire collectif, le terme de burqa renvoyait immanquablement au traitement rĂ©servĂ© aux femmes d’Afghanistan et au rĂ©gime des Talibans mais nullement Ă  la situation de femmes vivant dans notre pays. Devenue expression du langage courant et figurant Ă  ce titre dans le dictionnaire Larousse Ă  partir de 2004, la burqa s’impose Ă  compter des annĂ©es 2007-2008 comme l’un des sujets majeurs du dĂ©bat public et focalise de maniĂšre croissante l’attention des mĂ©dias. Des articles traitent, en effet, de la condition des femmes portant la burqa aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne, en Belgique et en Allemagne. En France, la dĂ©cision du Conseil d’État refusant en 2008 la naturalisation d’une femme portant ce voile intĂ©gral suscite de nombreux commentaires et Ă©crits. C’est alors que le nombre d’articles portant sur les pays occidentaux dĂ©passe celui traitant du port de la burqa dans les pays musulmans. LES ARTICLES ÉVOQUANT LE PORT DE LA BURQA DANS LE MONDE, DE 1993 À MARS 2009 MĂ©thodologie À partir des bases de donnĂ©es du Monde, qui portent sur la pĂ©riode 1991-2009, une recherche a Ă©tĂ© faite sur le mot clef burqa ». Les articles obtenus ont Ă©tĂ© classĂ©s en quatre catĂ©gories, selon qu’ils Ă©voquent le port de la burqa en Afghanistan, dans un autre pays musulman, en France ou dans un autre pays occidental. Afin d’éviter l’écho mĂ©diatique qu’a provoquĂ© la crĂ©ation de la mission d’information parlementaire, les donnĂ©es prises en compte pour 2009 s’arrĂȘtent en mars. Le premier article Ă©voquant le port de la burqa date de 1993. La prĂ©sente recherche ne concerne donc que la burqa et non l’ensemble des formes de voile intĂ©gral et ne porte que sur les articles publiĂ©s dans Le Monde. d Une rupture par rapport Ă  l’évolution des comportements en Occident comme en Islam En dernier lieu, le port du voile intĂ©gral reprĂ©sente une pratique nouvelle en ce sens qu’elle marque une rupture eu Ă©gard Ă  l’évolution des comportements observĂ©e sur prĂšs d’un demi-siĂšcle parmi les femmes en gĂ©nĂ©ral et, en particulier, les femmes musulmanes. Concernant la condition des femmes en gĂ©nĂ©ral, Mme Élisabeth Badinter a rappelĂ© lors de son audition que la maĂźtrise de leur corps par les femmes qui implique Ă©galement la libertĂ© de se vĂȘtir – et de se dĂ©vĂȘtir – comme elles l’entendent est en France un acquis rĂ©cent » 19, fruit d’ñpres luttes pour l’égalitĂ© des droits entre les sexes. Dans cette perspective, le port du voile intĂ©gral marque une rĂ©gression d’autant plus choquante que cette pratique heurte une conception enracinĂ©e dans la civilisation occidentale la communication entre membres de la sociĂ©tĂ© implique la possibilitĂ© de voir le visage d’autrui. Ainsi que l’a soulignĂ© Mme Élisabeth Badinter, le visage n’est le corps et il n’y a pas, dans la civilisation occidentale, de vĂȘtement du visage » 20, ce qu’a, au fond, confirmĂ© la mise en perspective Ă  laquelle les membres de la mission ont Ă©tĂ© invitĂ©s par Mme Nadeije Laneyrie-Dagen, professeur d’histoire de l’art moderne Ă  l’École normale supĂ©rieure ENS-Ulm. De son exposĂ©, il ressort en effet que grĂące au double hĂ©ritage de la GrĂšce et de Rome, oĂč la figure humaine est au centre de la culture et de l’art, donc de nos rĂ©fĂ©rences, le visage et le corps sont investis en Occident d’une force et d’une reconnaissance qui n’existent probablement pas dans autres cultures » 21. AprĂšs qu’au XVe et XVIe siĂšcles, le corps eut Ă©tĂ© rĂ©investi de valeurs positives, selon Mme Nadeije Laneyrie-Dagen, l’individu, la personnalitĂ© individuelle sont rĂ©investis dans la modalitĂ© du portrait, c'est-Ă -dire un Ă©lĂ©ment dĂ©limitĂ© au visage ». À la suite de ce changement dans le regard portĂ© sur le corps par rapport aux premiers siĂšcles du christianisme, on en vient dans la chrĂ©tientĂ© Ă  considĂ©rer ainsi que certaines parties du corps ont une valeur » et que le visage est la quintessence de la personne », la partie noble du corps. Au terme de cette Ă©volution de la civilisation occidentale, le visage n’est pas couvert. S’agissant du comportement des femmes de confession musulmane sur le territoire national, le port du voile marque Ă  l’évidence une rupture avec l’évolution constatĂ©e depuis le dĂ©but des annĂ©es 1960. À la suite de l’indĂ©pendance des pays du Maghreb entre 1956 et 1962 et jusqu’au milieu de la dĂ©cennie 1970, la France a reçu sur son sol des populations d’origine musulmane dont les femmes portaient le foulard. Du fait de l’intĂ©gration progressive de ces populations dans la sociĂ©tĂ© française et, en particulier, des enfants nĂ©s sur le territoire national, seules certaines femmes ayant vĂ©cu dans les pays du Maghreb et venant souvent d’un milieu rural ont observĂ© la coutume de porter le voile. Selon l’analyse de la sociologue Zahia Zeroulou, en effet, les personnes ayant grandi dans leur pays d’origine au sein du milieu rural Ă©prouvent davantage de difficultĂ©s Ă  s’intĂ©grer dans leur pays d’accueil que des personnes issues d’un milieu urbain, lesquelles admettent plus facilement l’évolution des mƓurs. À l’intĂ©gration progressive dans la sociĂ©tĂ© d’accueil, il importe d’ajouter un facteur dĂ©cisif sur lequel ont insistĂ© de nombreuses personnes auditionnĂ©es et qui nourrit l’indignation exprimĂ©e par Mme Leila Djitli, dans son livre Lettre Ă  ma fille qui veut porter le voile 22 le combat des femmes musulmanes elles-mĂȘmes en faveur de l’émancipation. Ce combat, inspirĂ© pour partie par la lutte des associations fĂ©ministes, portait sur la question des droits civils mais incitait, par ailleurs, Ă  prendre une certaine distance avec des dogmes » de la religion musulmane. Selon Mme Leila Djitli, les femmes de la gĂ©nĂ©ration antĂ©rieure estimaient que le voile ne faisait pas la bonne musulmane, ce qui motive aujourd’hui leur incomprĂ©hension face Ă  des jeunes filles revendiquant le droit de porter un voile intĂ©gral. Cette incomprĂ©hension peut ĂȘtre d’autant plus grande que le port du voile intĂ©gral ne correspond pas aux us et coutumes en vigueur au Maghreb dont sont originaires beaucoup de nos compatriotes de confession ou de culture musulmane. Devant les membres de la mission, Mme NilĂŒfer Göle, directrice d’études Ă  l’École des hautes Ă©tudes en sciences sociales, a fait le constat que les filles portant le foulard en France sont plutĂŽt en rupture avec la maniĂšre traditionnelle dont le portait leur mĂšre ou leur grand-mĂšre » 23. Au cours de son audition, M. Benjamin Stora a ainsi attirĂ© l’attention des membres de la mission sur le fait que la burqa ou le niqab n’appartiennent pas Ă  la tradition du Maghreb [...] dans ces pays, c’est le haĂŻk qui faisait figure de voile traditionnel jusqu’à la fin des annĂ©es 1970 [
] masquant le visage ou le jilbab, vĂȘtement qui recouvre entiĂšrement le corps » 24. M. Benjamin Stora observe que dans les annĂ©es 1970, notamment en Tunisie sous l’influence d’Habib Bourguiba, ces vĂȘtements appartenant Ă  la tradition religieuse, culturelle et patriarcale avaient pratiquement disparu » et que les voiles que nous connaissons aujourd’hui se sont implantĂ©s pendant les annĂ©es 1980 en rapport avec des Ă©vĂ©nements historiques trĂšs prĂ©cis », en l’espĂšce l’instauration de la RĂ©publique islamique en Iran 1979, le retrait des troupes soviĂ©tiques d’Afghanistan et la naissance officielle du Front islamique du salut FIS en AlgĂ©rie 1989. Ces Ă©vĂ©nements provoquent un vĂ©ritablement basculement au terme duquel selon M. Benjamin Stora, les vĂȘtements afghans, portĂ©s aussi bien par les hommes que par les femmes, deviennent l’expression de cette radicalitĂ© politique, [
] le signe d’appartenance Ă  des groupes en situation de guerre » 25. En outre, d’aprĂšs l’exposĂ© dĂ©veloppĂ© au cours de son audition 26 par M. Abdelwahab Meddeb, enseignant Ă  l’universitĂ© Paris X, le port d’un voile intĂ©gral dissimulant le visage apparaĂźt Ă©tranger Ă  certaines traditions de l’islam comme la tradition soufie. Une derniĂšre illustration de cette rupture par rapport Ă  l’évolution des comportements observĂ©s depuis les annĂ©es 1960 est offerte par les rĂ©actions de rejet que suscitent ces femmes portant le voile intĂ©gral parmi les musulmans eux-mĂȘmes. M. HervĂ© Chevreau, maire d’Epinay-sur-Seine27, indique ainsi que l’on a entendu, sur les marchĂ©s de sa commune, des musulmans croyants et pratiquants chapitrer ouvertement ces femmes qui se cachent complĂštement, en leur ordonnant de regagner un pays musulman. À cet Ă©gard, il paraĂźt utile de revenir sur la pratique du voile intĂ©gral dans les pays musulmans d’Afrique du Nord et en Turquie. Le voile intĂ©gral dans les pays musulmans d’Afrique du Nord et en Turquie A bien des Ă©gards, Ă  l’image de la situation des pays europĂ©ens, le port du voile intĂ©gral constitue dans les pays musulmans d’Afrique du Nord et en Turquie un phĂ©nomĂšne trĂšs marginal et reposant sur une vision ultra minoritaire de l’islam. Dans des sociĂ©tĂ©s ayant connu un mouvement de sĂ©cularisation et façonnĂ©es, pour certaines d’entre elles, par les politiques de modernisation engagĂ©es au lendemain des indĂ©pendances, les femmes se sont dĂ©parties des voiles qu’elles revĂȘtaient par respect des traditions et que l’on pouvait par exemple apercevoir dans les rues d’Alger en 1958, ainsi que M. Bertrand Louvel, prĂ©sident de chambre et directeur du service de documentation et d’études Ă  la Cour de cassation, en a rapportĂ© le tĂ©moignage devant les membres de la mission 28. Si l’on peut aujourd’hui observer ce que certains sociologues appellent une inflation des signes de religiositĂ© », ce phĂ©nomĂšne ne se traduit pas par un dĂ©veloppement de la pratique du port du voile intĂ©gral mais par la multiplication des foulards ou voiles simples dans l’espace public. Cette pratique se prĂ©sente comme le fait des plus jeunes gĂ©nĂ©rations et dans un contexte parfois marquĂ© par la lutte que se livrent les mouvements islamistes radicaux et les pouvoirs publics. A ces deux facteurs, s’ajoute le poids de la pression du groupe sur les individus, l’intensitĂ© de cette pression sociale sur les normes vestimentaires variant suivant l’histoire des sociĂ©tĂ©s et les contextes politiques nationaux. § Au Maroc Il n’y a pas de statistiques indiquant un dĂ©veloppement du port du voile intĂ©gral. Les donnĂ©es dont on dispose tendent, en revanche, Ă  montrer une forte augmentation du nombre des voiles simples dans un contexte marquĂ© par la poussĂ©e d’un islam radical depuis les annĂ©es 1990. Les voiles simples apparaissent de fait plus visibles en raison du quasi abandon des habits traditionnels tels que le hayek 29au profit des tenues europĂ©ennes ou de la djellaba. Par ailleurs, le port du voile simple reprĂ©sente, dans certains cas, un signe de ralliement identitaire utilisĂ© par certains mouvements islamistes. Cette pratique rĂ©sulte pour l’essentiel du poids vraisemblable d’un moralisme social », 48,9 % des femmes concernĂ©es affirmant ne pas avoir Ă©tĂ© influencĂ©es directement par des personnes 30. Le port du voile simple est limitĂ© dans les administrations publiques de sĂ©curitĂ© armĂ©e, gendarmerie, police et administration pĂ©nitentiaire, en particulier depuis les attentats du 16 mai 2003 Ă  Casablanca. Cependant, il n’existe pas de restrictions lĂ©gislatives ou rĂšglementaires destinĂ©es Ă  garantir la neutralitĂ© de l’espace public. § En AlgĂ©rie A notre connaissance, en AlgĂ©rie, on ne signale pas de cas de jeunes femmes portant le voile intĂ©gral. L’inflation des signes extĂ©rieurs de religiositĂ© ne traduit, d’ailleurs, que partiellement l’influence croissante de mouvements religieux intĂ©gristes tels que le salafisme. Ce mouvement exerce toutefois une influence croissante, notamment parmi les jeunes gĂ©nĂ©rations qui n’ont pas reçu l’hĂ©ritage soufi des traditions musulmanes locales et apparaissent plus permĂ©ables aux discours diffusĂ©s par des chaĂźnes satellitaires et sur certains sites d’Internet. § En Tunisie Le voile intĂ©gral est quasi unanimement considĂ©rĂ© comme contraire Ă  la tradition tunisienne et constitutif d’une atteinte Ă  la libertĂ© de la femme. Cette perception du voile intĂ©gral doit beaucoup Ă  la politique conduite de maniĂšre rĂ©solue par Habib Bouguiba et poursuivie depuis lors par l’Etat tunisien. Ainsi, en 2006, le ministĂšre des Affaires religieuses a dĂ©clarĂ© que le niqab, le tchador et la burqa Ă©taient des importations Ă©trangĂšres contraires Ă  la tenue traditionnelle tunisienne 31. A ce jour, le seul vĂ©ritable dĂ©bat porte sur l’opportunitĂ© d’interdire ou non le port du voile intĂ©gral sur le fondement de l’article 5 de la Constitution, lequel affirme La RĂ©publique tunisienne garantit l’inviolabilitĂ© de la personne humaine et la libertĂ© de conscience et protĂšge le libre exercice des cultes, sous rĂ©serve qu’il ne trouble pas l’ordre public ». Par ailleurs, les pouvoirs publics ont dĂ©jĂ  adoptĂ© par le passĂ© des mesures visant Ă  strictement encadrer le port du voile simple dans le secteur public, Ă  l’exemple de la circulaire 108 du 18 septembre 1981 publiĂ©e par le ministĂšre de l’Education nationale ce texte interdit ainsi le port du voile dans les Ă©tablissements Ă©ducatifs, scolaires et universitaires ainsi que dans la fonction publique ; les agents des Ă©tablissements publics et les Ă©lĂšves contrevenant Ă  cette rĂšgle seront respectivement licenciĂ©es et exclues ; le texte dĂ©conseille Ă©galement aux femmes de porter le voile en public. Il convient, en outre, d’observer que certaines universitĂ©s obligent les Ă©tudiantes, Ă  l’occasion de leur inscription, Ă  signer un engagement Ă  ne pas porter le voile. § En Libye Le voile intĂ©gral ne fait pas davantage dĂ©bat. Il demeure marginal dans la sociĂ©tĂ© au contraire du voile simple ou hidjab, dont le port est quasi gĂ©nĂ©ralisĂ©, y compris dĂšs le plus jeune Ăąge, par les jeunes gĂ©nĂ©rations citadines. MĂȘme si le pays se caractĂ©rise par l’absence de textes rĂ©glementant l’expression publique d’appartenance religieuse, il convient de souligner qu’en 2008, l’universitĂ© de Garyounes, Ă  Benghazi, a nĂ©anmoins interdit aux Ă©tudiantes le port du khimar et du niqab, au mĂȘme titre que celui de la casquette, chapeaux, t-shirts avec inscriptions en anglais, vĂȘtements serrĂ©s, colorĂ©s ou ornĂ©s
 ». Par ailleurs, M. Mouammar Khadafi, prĂŽne gĂ©nĂ©ralement une pratique libĂ©rale s’agissant du port de tenues vestimentaires exprimant l’appartenance religieuse. § En Turquie Le port du voile intĂ©gral, qui ne concernerait que 1,1 % des femmes, selon certains sondages, ne constitue pas un sujet de polĂ©mique et occupe une place trĂšs accessoire dans le dĂ©bat public au regard de l’importance accordĂ©e Ă  la question du port du voile simple ou du turban et de leur compatibilitĂ© avec le dogme de la laĂŻcitĂ© lĂ©guĂ© par Mustapha KĂ©mal AtatĂŒrk, le fondateur de la Turquie moderne. Toutefois, du fait de la prĂ©gnance de ce dogme, les institutions de l’Etat se montrent comme, en Tunisie, rĂ©solument hostiles Ă  cette pratique. Ainsi, en mai 2009, un juge a-t-il refusĂ© d’ouvrir une audience car une femme dans le public portait un voile intĂ©gral. En somme, le port du voile intĂ©gral constitue une pratique marginale et nouvelle tant au plan du nombre des personnes adoptant cette tenue vestimentaire que de son anciennetĂ© sur le territoire national et dans la pratique du culte musulman. Ce phĂ©nomĂšne apparaĂźt davantage liĂ© aux us et coutumes en vigueur dans certaines sociĂ©tĂ©s du Moyen-Orient avant leur conversion Ă  la religion musulmane ou, au contraire, Ă  des bouleversements historiques plus contemporains. En vĂ©ritĂ©, la pratique du port du voile intĂ©gral semble avant tout reposer sur une interprĂ©tation des textes coraniques et de la tradition musulmane qui prĂ©sente un caractĂšre trĂšs contestable et minoritaire. B. UNE PRATIQUE TRÈS LARGEMENT CONSIDÉRÉE COMME NE PRÉSENTANT PAS LE CARACTÈRE D’UNE PRESCRIPTION OBLIGATOIRE Dans la conduite de ses travaux, la mission n’a en aucune façon souhaitĂ© se livrer Ă  une exĂ©gĂšse des textes et de la tradition coraniques. Ses membres pensent, en effet, que dans le cadre de la RĂ©publique laĂŻque dont ils veulent rĂ©affirmer les valeurs, il n’appartient pas aux pouvoirs publics de s’immiscer dans des controverses thĂ©ologiques ou de dĂ©finir l’orthodoxie de quelque croyance que ce soit. Mais dĂšs lors que l’invocation d’un fondement religieux sert Ă  lĂ©gitimer une pratique, la mission ne pouvait dans sa rĂ©flexion Ă©luder la question des liens susceptibles d’exister entre la pratique du port du voile intĂ©gral et les prescriptions du Coran ou des Haddiths 32. De ses Ă©changes avec des reprĂ©sentants du culte musulman et des spĂ©cialistes de l’islam, la mission tire la conclusion que mĂȘme si il peut rĂ©pondre Ă  une aspiration religieuse, le port du voile intĂ©gral relĂšve d’une pratique trĂšs minoritaire du point de vue de la religion musulmane, pratique procĂ©dant d’une interprĂ©tation dĂ©pourvue de tout fondement textuel vĂ©ritablement explicite et incontestable et, Ă  ce titre, assez largement rejetĂ©e par les reprĂ©sentants du culte et les spĂ©cialistes du fait religieux musulman. 1. Une pratique nĂ©e d’une interprĂ©tation trĂšs minoritaire ne reposant sur aucun fondement textuel explicite et incontestable En premier lieu, ainsi qu’ont pu le rappeler les nombreux reprĂ©sentants du culte musulman et spĂ©cialistes de l’islam auditionnĂ©s, les passages du Coran Ă©voquant le voile portĂ© par les femmes ne mentionnent pas expressĂ©ment les voiles connus dans les pays musulmans contemporains et, a fortiori, pas la burqa ou le niqab. Ainsi, le recteur de la Grande MosquĂ©e de Paris, M. Dalil Boubakeur a indiquĂ© devant les membres de la mission, que dans les sourates 24-31 La lumiĂšre, 33-53 et 33-59 Les CoalisĂ©s, le voile Ă©voquĂ© correspond au jilbab et accessoirement, qu’ il n’y a pas en Islam de monachisme, ni de tenue monacale » 33, pas de tenue religieuse selon la sourate 57 al-Hadid. D’aprĂšs M. Antoine Sfeir, le hidjab doit sĂ©parer les croyantes des croyants au moment de la priĂšre du vendredi » mais il s’agit d’un tissu aux larges dimensions que l’on dispose Ă  la façon d’une tenture pour soustraire aux yeux lubriques des hommes le visage des femmes » 34. M. Antoine Sfeir a attirĂ© l’attention des membres de la mission sur le fait que dans le seul passage oĂč le voile est clairement citĂ©, le verset 59 de la sourate 33, le terme jalabib dĂ©signe un vĂȘtement couvrant le corps du cou aux chevilles ». Il ne s’agit donc pas d’un voile intĂ©gral assimilable au niqab ou Ă  la burqa. 35 En second lieu, l’ensemble des spĂ©cialistes de l’islam semble s’accorder sur le fait que les passages du Coran ordinairement invoquĂ©s par certains pour confĂ©rer au port du voile intĂ©gral un caractĂšre obligatoire prescrivent avant tout le respect d’une certaine pudeur. Se livrant Ă  l’exĂ©gĂšse des sourates prĂ©citĂ©es devant les membres de la mission, M. Dalil Boubakeur dĂ©clarait ainsi il y est question de voile, de pudeur et de respect dĂ» aux femmes qu’il faut prĂ©server » 36. Cette idĂ©e de pudeur se retrouve assez bien dans la prescription contenue dans la sourate 24 du verset 31 telle que citĂ©e devant les membres de la mission par M. Antoine Sfeir. En effet, dans le Coran, il est dit que les croyantes doivent ne montrer de leurs atours que ce qui en paraĂźt. Qu’elles rabattent leur voile sur leur gorge » ou encore Ă  la sourate 33, verset 59 prĂ©citĂ©e. Au fond, ainsi que le remarquait M. Samir Amghar au cours de son audition, les passages du Coran Ă©voquant le voile laissent subsister une incertitude, des interprĂ©tations divergentes quant Ă  ce que le voile doit recouvrir en sus du corps le visage ou seulement les cheveux »37. Tout en prescrivant le port d’un voile garantissant le respect de la pudeur des femmes, le texte coranique ne fournit pas davantage de prĂ©cisions sur l’étendue – au sens propre comme au sens figurĂ© – et sur les moyens de se conformer Ă  cette obligation. Ainsi, s’il partage l’idĂ©e selon laquelle le verset 31 de la sourate 24 appelle avant tout Ă  la vertu, Ă  la pudeur, au contrĂŽle de soi » 38, M. Abdelwahab Meddeb, enseignant Ă  l’UniversitĂ© de Paris X, juge pour sa part que cette sĂ©quence du texte coranique n’impose pas formellement aux femmes le port d’un voile. D’aprĂšs sa propre interprĂ©tation en effet, le verset de la sourate prĂ©citĂ©e s’adresse systĂ©matiquement aux deux sexes [...] aux croyants et aux croyantes, Ă  qui il est notamment conseillĂ© au verset 30 de baisser le regard et de prĂ©server leur sexe ». La thĂšse suivant laquelle les femmes devraient nĂ©cessairement porter un voile rĂ©sulterait de l’inĂ©gale portĂ©e pour les deux sexes de l’invitation Ă  la pudeur adressĂ©e aux hommes et aux femmes que M. Abdelwahab Meddeb perçoit et a analysĂ© en ces termes devant la mission [
] il est demandĂ© aux femmes un supplĂ©ment de vigilance, qui est Ă  l’origine de la dissymĂ©trie en lequel les docteurs de la foi interprĂ©tĂšrent la nĂ©cessitĂ© du port du voile pour elles – alors que, littĂ©ralement, le verset peut ĂȘtre entendu tout autrement, la pudeur recommandĂ©e aux femmes se limitant Ă  couvrir leur bustier » 39. En somme, toutes les personnes entendues considĂšrent que le port du voile intĂ©gral ne prĂ©sente pas nĂ©cessairement un caractĂšre obligatoire sur la base des textes du Coran. La convergence des analyses sur la nature du voile intĂ©gral reflĂšte, Ă  cet Ă©gard, le rejet unanime qu’inspirent cette pratique et la vision littĂ©raliste qui la sous-tend parmi les reprĂ©sentants du culte et les spĂ©cialistes de l’islam entendus par la mission. 2. Un rejet unanime par les reprĂ©sentants du culte musulman et des spĂ©cialistes de l’islam entendus par la mission En effet, au terme des nombreuses auditions rĂ©alisĂ©es par la mission, il s’avĂšre que l’ensemble des reprĂ©sentants du culte musulman et des spĂ©cialistes de l’islam caractĂ©rise le port du voile intĂ©gral comme une pratique dont le respect ne s’impose aucunement aux croyants. Au cours de leur audition, les membres du Conseil français du culte musulman CFCM ont ainsi solennellement dĂ©clarĂ© qu’ils considĂ©raient que le port du voile intĂ©gral n’est pas une prescription religieuse mais plutĂŽt une pratique religieuse fondĂ©e sur un avis trĂšs minoritaire » 40. Il s’agit mĂȘme aux yeux des membres du CFCM, d’aprĂšs les mots de son prĂ©sident, M. Mohammed Moussaoui, d’ une pratique extrĂȘme » que le CFCM ne souhaite pas voir s’installer sur le territoire national. Pour leur part, les reprĂ©sentants des Conseils rĂ©gionaux du culte musulman CRCM rencontrĂ©s Ă  Lille, Lyon et Marseille ont tenu Ă  prĂ©senter aux membres de la mission une position qui rejette le port du voile intĂ©gral en des termes identiques. S’exprimant au cours de la table ronde organisĂ©e Ă  Marseille 41, le prĂ©sident du CRCM de Provence-Alpes-CĂŽte d’Azur CRCM PACA, M. Khalid Belkahadir, a solennellement affirmĂ© que le port du voile intĂ©gral est une pratique religieuse qui ne repose sur aucune prescription du Coran, qui n’a pas le caractĂšre d’une obligation religieuse et qui est le fait d’une minoritĂ©. De mĂȘme que le CFCM, M. Khalid Belkahadira a dĂ©clarĂ© que le CRCM PACA ne voulait pas de la diffusion de cette pratique sur l’ensemble du territoire national et que sa prĂ©occupation majeure Ă©tait la crĂ©ation d’un islam de France apaisĂ©, ouvert, tolĂ©rant, de dialogue qui doit l’emporter sur des pratiques marginales. La position du CFCM et des CRCM se fonde, d’aprĂšs son prĂ©sident M. Mohammed Moussaoui, sur l’avis de la grande majoritĂ© des thĂ©ologiens musulmans », ce qui, du point de vue de l’orthodoxie musulmane, semble priver une telle pratique de toute lĂ©gitimitĂ© religieuse. En effet, selon l’exposĂ© de M. Fouad Alaoui, vice-prĂ©sident chargĂ© de la rĂ©forme et du plan, un avis minoritaire ne peut ĂȘtre adoptĂ© que s’il rĂ©pond Ă  deux objectifs l’adaptation Ă  un contexte particulier et la recherche d’un intĂ©rĂȘt commun ». Or, d’aprĂšs lui, les principales Ă©coles juridiques musulmanes s’accordent Ă  dire que les deux objectifs recherchĂ©s ne sont pas atteints. Cette lecture de l’islam et la pratique religieuse qui en dĂ©coule ne tendent ni Ă  une adaptation par rapport Ă  un contexte, ni Ă  la recherche d’un intĂ©rĂȘt commun ». Selon M. Anouar Kbibech, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du CFCM, c’est ce qui conduit le CFCM Ă  proclamer haut et fort que le port du voile intĂ©gral est totalement incompatible avec les conditions du vivre-ensemble en France et mĂȘme dans un certain nombre de pays musulmans » 42. La position du CFCM et des CRCM Ă  l’égard du voile intĂ©gral paraĂźt faire l’objet d’un assez large consensus parmi de grandes figures de la religion musulmane tant Ă  l’échelle nationale qu’internationale. Ainsi, comme on l’a vu, le recteur de la Grande MosquĂ©e de Paris, M. Dalil Boubakeur, a exprimĂ© un point de vue analogue Ă  celui des membres du CFCM quant Ă  l’absence de prescriptions religieuses imposant le port de la burqa ou du niqab. Lors de son audition devant les membres de la mission 43, M. Dalil Boubakeur a rĂ©pĂ©tĂ© qu’aucun extrait du Coran ne justifiait le port du voile intĂ©gral. Il relĂšve ainsi que les sourates 24-31 La LumiĂšre, 33-53 et 33-59 Les CoalisĂ©s Ă©voquent le jilbab mais ne mentionnent en aucun cas la burqa ou le niqab. Par ailleurs, il remarque d’aprĂšs le tĂ©moignage que rapporte le plus grand traditionaliste de l’islam Mohamed El-Bokhari, que la propre Ă©pouse du ProphĂšte, AĂŻcha, ne se couvrait au cours de son pĂšlerinage, ni la partie infĂ©rieure ni la partie supĂ©rieure du visage », mĂȘme durant le rite sacrĂ©. À l’échelle internationale, on ne peut passer sous silence la prise de position retentissante du cheikh de l’UniversitĂ© d’Al-Azhar, M. Mohammed Tantawi, Ă  l’encontre du port du voile intĂ©gral. À la tĂȘte de l’une des universitĂ©s les plus anciennes et des plus renommĂ©es en Égypte et au sein du monde musulman sunnite, le cheikh a, Ă  la suite d’une altercation avec une jeune fille de 11 ans intervenue au lendemain de la rentrĂ©e scolaire d’octobre 2009, dĂ©cidĂ© d’interdire l’accĂšs des Ă©tablissements dirigĂ©s par Al-Azhar aux Ă©tudiantes portant le niqab. Outre cette interdiction ne concernant que les citĂ©s universitaires de filles et les classes de filles au sein desquelles l’enseignement Ă©tait assurĂ© par des femmes, le cheikh a fait part de sa volontĂ© de faire Ɠuvre de pĂ©dagogie auprĂšs de l’ensemble de la population afin que chacun sache les obligations auxquelles il doit se conformer. Selon le cheikh Mohammed Tantawi, le port du voile intĂ©gral ne relĂšve pas d’une prescription religieuse mais uniquement de la coutume. Tout en admettant que chaque individu Ă©tait libre de ses choix, il a nĂ©anmoins estimĂ© que le port du niqab pouvait ĂȘtre interdit dans certaines circonstances, telles qu’une atteinte Ă  l’ordre public ou dans des situations exigeant la vĂ©rification de l’identitĂ© d’une personne. Il faut souligner Ă©galement aussi la position analogue exprimĂ©e publiquement devant les membres de la mission par M. Tariq Ramadan, qui estime lui-mĂȘme que le port du voile intĂ©gral ne relĂšve en aucune maniĂšre d’une obligation religieuse. Au cours de son audition, M. Tariq Ramadan a d’abord observĂ© que le niqab ou la burqa Ă©tait de tradition plutĂŽt asiatique » et que le nom a Ă©tĂ© propagĂ© Ă  travers le monde Ă  partir de la tradition ou de l’expĂ©rience afghane ». Rappelant ensuite que la trĂšs grande majoritĂ© des savants et courants sunnites et chiites estime que la burqa ou le niqab ne sont pas une prescription islamique » et que le consensus parmi les savants est que le foulard en est une mais pas le niqab et la burqa », M. Tariq Ramadan a indiquĂ© partager cette opinion et que dans cette optique, selon ses propres propos, il s’opposerait toujours Ă  ce qu’une femme soit contrainte de porter le voile », et donc a fortiori le voile intĂ©gral. En effet, de son point de vue, il est interdit en islam et mĂȘme contre l’islam d’imposer le voile – que cela soit le fait du pĂšre, du mari, de la mĂšre, de la communautĂ© ou de la sociĂ©tĂ© comme en Arabie saoudite ou en Iran » 44. RĂ©pĂ©tant, selon sa propre expression, que l’objectif est [
] le respect strict du cadre rĂ©publicain et laĂŻc [
] », M. Tariq Ramadan a, par ailleurs, jugĂ© que lorsqu’on a en face de nous des femmes engagĂ©es, dont la tenue vestimentaire pose des questions sur la comprĂ©hension de l’islam mais Ă©galement Ă  des moments donnĂ©s tout Ă  fait particuliers, quand il s’agit d’identifier la personne – comme on l’a vu au Canada – ou de la sĂ©curitĂ©, on ne doit alors mĂȘme pas se demander si l’interprĂ©tation de l’islam est la bonne au nom mĂȘme des prĂ©ceptes musulmans qu’elle dĂ©fendrait, cette femme est tenue de montrer son visage, d’ĂȘtre identifiĂ©e ou de garantir la sĂ©curitĂ© collective ». De son point de vue, cela ne se discute pas » 45. Ce jugement portĂ© sur l’absence d’obligation de porter le voile intĂ©gral trouve donc Ă  l’évidence un assez large Ă©cho parmi les spĂ©cialistes de l’islam auditionnĂ©s par les membres de la mission. Devant les membres de la mission, M. Abdenour Bidar, philosophe, a mĂȘme qualifiĂ© le voile intĂ©gral de vĂ©ritable pathologie religieuse », symptĂŽme d’ un rapport problĂ©matique de l’islam avec ses signes extĂ©rieurs et la condition qu’il impose aux femmes ». À ses yeux en effet, on peut juger que le port du voile intĂ©gral reprĂ©sente une exagĂ©ration, une radicalisation subjective de la recommandation coranique » 46 contenue dans les versets 30 et 31 de la sourate 24, lesquelles ne donnent aux femmes que l’injonction de se couvrir. Ainsi, l’analyse des propos tenus par l’ensemble des reprĂ©sentants du culte musulman ainsi que par les spĂ©cialistes auditionnĂ©s par la mission met en lumiĂšre la nature Ă©minemment partiale et discutable de l’interprĂ©tation des textes censĂ©s confĂ©rer au port du voile intĂ©gral le caractĂšre d’une prescription religieuse. Certes, la pratique du port du voile intĂ©gral comporte – selon la propre expression du prĂ©sident du CFCM, M. Mohammed Moussaoui – une connotation religieuse » 47. Toutefois, on ne saurait l’assimiler Ă  une pratique emblĂ©matique de l’islam, en particulier de l’islam de France. La pratique du port du voile intĂ©gral se caractĂ©rise Ă  l’évidence comme une dĂ©rive Ă  laquelle concourent de trĂšs nombreux facteurs dont l’étude laisse entrevoir la complexitĂ© mais qui prĂ©sentent deux dimensions principales une dimension individuelle qui tient Ă  l’affirmation radicale de personnalitĂ©s en quĂȘte d’identitĂ© dans l’espace social ; une dimension plus politique et mĂȘme gĂ©opolitique, le voile intĂ©gral pouvant Ă©galement reprĂ©senter l’étendard d’un projet militant et prosĂ©lyte mis en application par des mouvements intĂ©gristes et salafistes. II.– LE SIGNE DÉVOYÉ D’UNE QUÊTE D’IDENTITÉ ET L’ÉTENDARD DE MOUVEMENTS COMMUNAUTARISTES ET RADICAUX Il n’existe pas de profil type de la femme voilĂ©e intĂ©gralement mais quelques portraits. Les donnĂ©es fournies par le ministĂšre de l’IntĂ©rieur fournissent certes de prĂ©cieux indices de nature sociologique mais il convient nĂ©anmoins de manier ces chiffres avec quelques prĂ©cautions le recensement se rĂ©vĂšle d’autant plus dĂ©licat que beaucoup des femmes portant le voile restent confinĂ©es chez elles ou dans leurs quartiers de rĂ©sidence selon le constat Ă©tabli au cours de son audition par le ministre de l’IntĂ©rieur, M. Brice Hortefeux 48. Le profil des femmes portant le voile intĂ©gral La population des 1 900 femmes voilĂ©es intĂ©gralement prĂ©sente, d’aprĂšs ces donnĂ©es, les caractĂ©ristiques suivantes ‱ Des femmes relativement jeunes la moitiĂ© d’entre elles est ĂągĂ©e de moins de 30 ans et l’immense majoritĂ©, soit environ 90 %, a moins de 40 ans ; les jeunes filles mineures reprĂ©senteraient 1 % de cette population ; ‱ Des femmes pour la plupart de nationalitĂ© française plus prĂ©cisĂ©ment, 2/3 des femmes seraient françaises et, parmi elles, la moitiĂ© de ces femmes appartiendrait aux deuxiĂšme et troisiĂšme gĂ©nĂ©rations issues de l’immigration ; ‱ Les femmes voilĂ©es seraient, pour un quart d’entre elles, des converties Ă  l’islam, nĂ©es dans une famille de culture, de tradition ou de religion non musulmane. d’aprĂšs les chiffres communiquĂ©s au cours de son audition par M. Brice Hortefeux, ministre de l’IntĂ©rieur. En vĂ©ritĂ©, nulle femme ne peut prĂ©tendre reprĂ©senter Ă  elle seule et rendre compte de la pluralitĂ© des motivations individuelles ainsi que du poids des situations sociales sous-tendant cette pratique et son dĂ©veloppement sur le territoire national. Au fil de ses auditions et de ses dĂ©placements, la mission d’information a pu prendre la mesure de la trĂšs grande diversitĂ© des raisons avancĂ©es pour expliquer, parfois justifier la pratique du port du voile intĂ©gral. Ces raisons renvoient certes Ă  des cheminements personnels mais tĂ©moignent Ă©galement de conditions de vie dĂ©gradĂ©es dans certains de nos quartiers qui posent Ă  ces femmes la question de leur positionnement vis-Ă -vis de leur famille, de leur quartier et dans la sociĂ©tĂ© française. A. DES CHEMINEMENTS PERSONNELS ENTRE SERVITUDE VOLONTAIRE, LIBERTÉS ALIÉNÉES ET SITUATIONS DE CONTRAINTES Les membres de la mission ont Ă©tĂ© frappĂ©s par le discours de plusieurs jeunes femmes auditionnĂ©es ou qui se sont exprimĂ©es dans les mĂ©dias revendiquant le port du voile intĂ©gral comme ressortissant de leur libre arbitre. Sans remettre en cause la sincĂ©ritĂ© de ces tĂ©moignages ni mĂ©sestimer leur valeur, la mission d’information a reçu ces paroles comme un point de vue Ă©minemment personnel et ne reflĂ©tant pas nĂ©cessairement le vĂ©cu de toutes les femmes portant le voile intĂ©gral. Par ailleurs, l’affirmation d’un libre choix ne doit pas conduire Ă  exclure tout conditionnement affectant le libre arbitre d’un individu, l’existence d’une servitude volontaire », selon le titre fameux du discours de la BoĂ©tie. La mise en lumiĂšre de conditionnements plus ou moins conscients, de normes de conduites transmises par le milieu social et intĂ©grĂ©es souvent malgrĂ© lui par l’individu, constitue un acquis de la sociologie dont M. Abdennour Bidar a offert une synthĂšse assez Ă©clairante au cours de son audition Au sein de la conscience individuelle, un processus de culpabilisation peut se manifester vis-Ă -vis d’une norme qui devient majoritaire dans un environnement social. L’individu pense avoir choisi librement mais si l’on fait la gĂ©nĂ©alogie de ce choix, on se rend compte qu’une pression extĂ©rieure a pu contribuer Ă  faire naĂźtre l’idĂ©e que la norme se trouve lĂ . On peut donc avoir affaire, paradoxalement, Ă  des subjectivitĂ©s ou Ă  des libertĂ©s aliĂ©nĂ©es » 49. Pas plus que ce conditionnement psychologique et social, on ne saurait raisonnablement exclure l’existence de situations de contrainte sinon de violences qui, pour ne pas donner lieu Ă  de nombreux tĂ©moignages, n’en sont pas moins rĂ©elles et insupportables. Dans cette optique, trois motivations principales semblent se dĂ©gager de l’analyse des propos et comportements des femmes portant le voile intĂ©gral. 1. La revendication pleine et entiĂšre du port du voile intĂ©gral, une servitude volontaire La mission d’information n’entend nullement Ă©luder le fait que chez certaines jeunes femmes, le port du voile intĂ©gral relĂšve d’un choix et constitue mĂȘme une revendication. C’est dans cet esprit qu’elle a, d’ailleurs, tenu Ă  entendre plusieurs personnes et associations dont il Ă©tait de notoriĂ©tĂ© publique qu’elles ne partageaient pas nĂ©cessairement sa perception sur cette pratique. Il ressort de ces Ă©changes que les jeunes femmes portant le voile intĂ©gral semblent ĂȘtre animĂ©es par deux motivations en premier lieu, la recherche de puretĂ© dans la pratique d’un culte plus austĂšre ; en second lieu, la volontĂ© de prendre ses distances avec une sociĂ©tĂ© jugĂ©e pervertie. a La recherche de puretĂ© par la pratique d’un culte plus austĂšre En premier lieu, on ne saurait dĂ©nier toute rĂ©alitĂ© au sentiment et au dĂ©sir exprimĂ©s par certaines jeunes femmes de se montrer plus fidĂšles aux idĂ©aux, de se conformer plus strictement aux obligations qu’elles estiment prescrites par l’islam et ce, en portant un voile intĂ©gral. Ce dĂ©sir de puretĂ© religieuse, de vivre pleinement sa foi de musulmane, figure dans de nombreuses analyses du phĂ©nomĂšne et transparaĂźt en effet dans les diverses auditions rĂ©alisĂ©es par la mission. Ainsi Mme Kenza Drider, jeune femme vivant en Avignon et mĂšre de quatre enfants, s’est efforcĂ©e de convaincre les membres de la mission que le port du voile intĂ©gral constituait pour elle un choix tout Ă  fait libre et en l’absence de toute pression de sa famille ou de son conjoint. NĂ©e dans une famille d’immigrĂ©s d’origine marocaine et musulmane, aprĂšs son mariage, elle aurait pris ce parti au terme de recherches personnelles menĂ©es – selon son rĂ©cit – dans une librairie qui n’est pas salafiste » et qui ne l’aurait pas embrigadĂ©e. Souhaitant connaĂźtre le statut des femmes en islam, elle aurait dĂ©cidĂ© de porter un voile intĂ©gral afin de ressembler aux femmes du ProphĂšte, lesquelles dĂ©fendaient la cause des femmes et Ă©taient libres » 50. M. Bachir Dahamani, imam de la mosquĂ©e de la Capelette Bouches-du-RhĂŽne, auditionnĂ© dans le cadre de la table ronde rĂ©unissant Ă  Marseille des associations et des personnalitĂ©s musulmanes 51, interprĂšte Ă©galement le port du voile par certaines femmes comme la manifestation d’un dĂ©sir de ressemblance avec les femmes du ProphĂšte par la tenue vestimentaire. Au cours de cette mĂȘme table ronde, Mme Fatima Ouldkaddoure, directrice de l’association SCHEBAA, association intervenant dans les quartiers nord de Marseille, indiquait connaĂźtre des femmes qui, ayant d’abord portĂ© un simple foulard ou un voile partiel, avaient, de son point de vue, librement dĂ©cidĂ© de revĂȘtir un voile intĂ©gral pour vivre pleinement leur foi. Cette perception de certains acteurs de terrain correspond Ă  l’analyse dĂ©veloppĂ©e par de nombreux universitaires tels que M. Samir Amghar, chercheur Ă  l’École des hautes Ă©tudes en sciences sociales qui, sous la direction de M. Olivier Roy, a achevĂ© une thĂšse de doctorat en sociologie politique qui porte sur les dynamiques de rĂ©islamisation et sur les transformations de l’islamisme en Europe et, plus particuliĂšrement sur l’émergence et le dĂ©veloppement du salafisme en Europe. Devant les membres de la mission, M. Samir Amghar a expliquĂ© que c’est en lisant, en Ă©coutant sur Internet des imams prĂȘcher l’islam et la nĂ©cessitĂ© de porter le voile intĂ©gral que progressivement les jeunes femmes qui s’islamisent en viennent Ă  dĂ©sirer ou Ă  s’imposer de porter le niqab pour se comporter de maniĂšre plus conforme Ă  leur foi. Elles y voient le signe d’une plus grande islamitĂ© », d’une appartenance Ă  une Ă©lite, Ă  une avant-garde religieuse appelĂ©e Ă  guider la communautĂ© musulmane Ă©garĂ©e » 52. Cette aspiration Ă  la pratique d’un culte puriste par le port du voile intĂ©gral se manifeste tout particuliĂšrement parmi les converties Ă  l’islam. Selon la description du phĂ©nomĂšne qu’a donnĂ©e M. Abdennour Bidar devant les membres de la mission, le souci d’orthodoxie et de puretĂ© spirituelle [...] est souvent le fait des femmes converties Ă  l’islam ou qui se situent dans une dĂ©marche de retour Ă  la religion et de rĂ©appropriation personnelle d’un islam qui leur a Ă©tĂ© transmis culturellement et dont elles s’étaient dĂ©tachĂ©es. Ces deux situations se traduisent, selon la formule classique, par le " zĂšle du converti" » 53. Ces jeunes femmes converties adoptent un comportement qui, aux yeux de M. Abdennour Bidar, reprĂ©sente une exagĂ©ration, une radicalisation subjective de la recommandation coranique [...] alors que par souci de pudeur, le Coran recommande de ne pas tout montrer, certaines femmes choisissent de tout cacher 54 ». Une illustration de cette attitude peut, Ă  certains Ă©gards, se retrouver dans la dĂ©marche revendiquĂ©e par Mme Kenza Drider qui, d’aprĂšs les propos tenus devant les membres de la mission 55, ne porte pas un voile dont la description figure expressĂ©ment dans les textes mais un voile qu’auraient revĂȘtu les femmes du ProphĂšte, ce qui est le fait d’une minoritĂ©. Cette attitude observĂ©e chez les converties peut s’expliquer par la volontĂ© d’affirmer hautement un choix personnel qui ne rencontre pas l’assentiment d’une famille ou d’un entourage non musulman ou musulman mais hostile au port du voile intĂ©gral. Parmi les diverses motivations qui peuvent conduire une jeune femme Ă  se couvrir d’un voile intĂ©gral et mĂȘme du voile simple, de nombreux observateurs tels M. Benjamin Stora Ă©voquent le ressourcement identitaire mais Ă©galement le dĂ©fi lancĂ© aux parents » ou le dĂ©fi lancĂ© Ă  l’école » 56. La volontĂ© de faire sienne une pratique des plus rigoristes tĂ©moigne Ă©galement du dĂ©sir de conquĂ©rir une lĂ©gitimitĂ© auprĂšs d’un nouveau groupe d’appartenance dont on ne possĂšde pas la culture ou la religion du fait de ses origines familiales. Observant les rites d’une minoritĂ© en portant le voile intĂ©gral, la jeune femme voilĂ©e peut vouloir offrir une preuve Ă©clatante de la profondeur de sa foi afin d’obtenir une sorte de sĂ©same » dans sa nouvelle religion et marquer la distance qui la sĂ©pare dĂ©sormais de ses origines. Au cours de son audition par les membres de la mission, M. Mahmoud Doua, enseignant en anthropologie du monde arabo-musulman Ă  l’UniversitĂ© Bordeaux III, a proposĂ© une lecture similaire de ce comportement en dĂ©clarant Une autre catĂ©gorie sociale touchĂ©e par ce phĂ©nomĂšne est celle des Français de souche rĂ©cemment convertis, qui cherchent Ă  manifester publiquement leur nouvelle appartenance religieuse et leur attachement Ă  cette nouvelle identitĂ©. LĂ  encore, on trouve de nombreuses personnes confrontĂ©es Ă  des conflits familiaux » 57. Au fond, le voile intĂ©gral procure Ă  certaines jeunes femmes le moyen d’affirmer de maniĂšre radicale leurs convictions spirituelles et, dans une sorte de surenchĂšre, leur absolue singularitĂ© face Ă  une collectivitĂ© dont il arrive qu’elles rejettent les mƓurs. b Une prise de distance par rapport Ă  une sociĂ©tĂ© jugĂ©e pervertie En second lieu en effet, la dĂ©cision de porter le voile intĂ©gral peut traduire la distance que veulent prendre certaines jeunes filles par rapport Ă  une sociĂ©tĂ© dont elles jugent les valeurs non compatibles avec leurs croyances, leurs devoirs religieux et sans doute corrompues. Devant les membres de la mission, M. Samir Amghar a parlĂ© d’un hyper individualisme religieux » 58. Dans une perspective assez proche, M. Abdennour Bidar a dĂ©crit au cours de son audition ce que le politologue et spĂ©cialiste du monde musulman, M. Gilles Kepel appelle un islam de rupture » du point de vue subjectif de ces femmes, l’environnement occidental est considĂ©rĂ© comme littĂ©ralement impie et appelle une rĂ©action d’autoprotection et d’auto dĂ©fense, dont le voile est un moyen. Il s’agit lĂ  d’une radicalitĂ© protestataire face Ă  un environnement jugĂ© potentiellement contaminant – on pourrait d’ailleurs suggĂ©rer une analogie avec la combinaison intĂ©grale que l’on revĂȘt pour se protĂ©ger en milieu contaminĂ© » 59. Dans cette optique, le voile marquerait une nette distinction entre les purs et les impurs, ainsi que le rejet d’ordre symbolique d’un systĂšme de valeurs. M. Samir Amghar a ainsi indiquĂ© aux membres de la mission que les jeunes filles issues de l’immigration musulmane expliquent que porter le voile intĂ©gral est, pour elles, une maniĂšre d’exprimer une protestation, de manifester leur dĂ©saccord avec les valeurs dominantes de la sociĂ©tĂ© dans laquelle elles vivent, de mettre symboliquement cette sociĂ©tĂ© Ă  distance. Le voile intĂ©gral marque une rĂ©bellion symbolique contre l’ordre hiĂ©rarchique incarnĂ© par leurs parents, critiquĂ©s pour pratiquer un mauvais islam et contre l’ordre social » 60. En plus d’une volontĂ© de vivre pleinement leur foi, les jeunes filles portant le voile intĂ©gral invoquent, en particulier, une prĂ©occupation qui a attirĂ© l’attention des personnalitĂ©s reçues par la mission la protection de la pudeur fĂ©minine. Selon le point de vue exprimĂ© par Mme NilĂŒfer Göle devant les membres de la mission, l’affirmation de cette aspiration Ă  la pudeur rĂ©vĂšle tout d’abord que s’agissant du voilement dans l’islam, si la question du privĂ© et du public ne s’agence pas de la mĂȘme maniĂšre, il y a toujours cette question du visible et de l’invisible. Quelles parties du corps sont interdites ? Qu’est-ce qui est interdit dans le public ? » 61. Mme NilĂŒfer Göle Ă©met l’hypothĂšse que, par le port du voile intĂ©gral, des jeunes femmes pourraient revendiquer le droit de ne pas adhĂ©rer aux modĂšles de comportement et de s’affranchir des valeurs d’une sociĂ©tĂ© qui, favorisant l’exposition du corps des individus, manque Ă  leurs yeux de pudeur. Cette interprĂ©tation incite Ă  concevoir l’existence d’une sorte de politique de la pudeur » de la part de ces jeunes filles dans laquelle Mme NilĂŒfer Göle affirme discerner le besoin de se retirer de notre espace public qu’elles jugent obscĂšne ». Dans son esprit, les femmes ayant la possibilitĂ© d’îter le foulard se le rĂ©approprient [
] parce qu’elles se rappellent le domaine de l’intime, du secret, du sacrĂ©, un peu rĂ©futĂ© dans l’espace public. Pour elles, le privĂ© est non seulement de l’ordre du personnel mais aussi du secret. Elles se rendent publiques, visibles mais tout en rappelant quelle partie du corps ou quel comportement doit ĂȘtre interdit » 62. De fait, le voile intĂ©gral ne se rĂ©duit pas Ă  une tenue vestimentaire, Ă  un morceau de tissu. Il rend compte d’un systĂšme de valeurs et, surtout, met en lumiĂšre les sujĂ©tions d’ordre familial ou social pouvant peser sur les femmes qui le portent. 2. Des libertĂ©s aliĂ©nĂ©es par le poids de l’environnement social À supposer mĂȘme qu’il relĂšve d’un choix dĂ©libĂ©rĂ©, la sociologie enseigne que tout comportement porte la marque d’un contexte familial, social ou historique, a fortiori lorsqu’il revĂȘt le caractĂšre d’une norme de comportement du fait de sa rĂ©gularitĂ© et du caractĂšre d’obligation que les individus concernĂ©s peuvent lui prĂȘter. À cette aune et Ă  la lumiĂšre des analyses entendues par la mission, la pratique du port du voile intĂ©gral s’apparente parfois Ă  une norme de comportement qui s’impose Ă  l’individu et Ă  laquelle on peut trouver deux explications tout d’abord, une propension au conformisme vis-Ă -vis des valeurs de la famille et de la communautĂ© ; ensuite, le souci d’une respectabilitĂ© dans l’espace social. a Une propension au conformisme vis-Ă -vis des valeurs de la famille et de la communautĂ© En premier lieu, on peut imaginer que des jeunes filles puissent porter un voile intĂ©gral afin de complaire Ă  un entourage familial musulman leur propre famille ou de celle de leur conjoint particuliĂšrement sourcilleux sur le chapitre de la pudeur et de l’honneur des filles et croyant se conformer Ă  des prescriptions religieuses de l’islam. Cette attitude vaut Ă  l’évidence pour les jeunes femmes portant un voile simple. Ainsi, dans le livre Le foulard et la RĂ©publique 63, Mme Françoise Gaspard et M. Farhad Khosrokhavar montrent que dans un Ă©chantillon de cinq jeunes filles interrogĂ©es, sur trois jeunes filles portant le voile, deux d’entre elles portent le voile Ă  cause de leurs parents ; une autre jeune fille rĂ©pond qu’elle n’hĂ©siterait pas Ă  le porter si son fiancĂ© le lui demandait. Une seule jeune fille affirme qu’elle ne le mettrait en aucun cas. Pour rĂ©duit que soit cet Ă©chantillon, l’enquĂȘte menĂ©e par les auteurs de ce livre tend Ă  mettre en lumiĂšre le poids du milieu familial et l’impact des relations conjugales sur la dĂ©cision de porter un voile, en tout cas un voile simple. S’agissant de cette pratique, on peut en effet concevoir l’existence d’une dĂ©marche similaire commandĂ©e par le poids de l’environnement social et sur la famille et le souci de conformisme de celle-ci » que mettent en exergue les auteurs du livre, Les animateurs face Ă  l’intĂ©grisme religieux et Ă  l’oppression des femmes. L’une de ses auteurs explique ainsi de maniĂšre nuancĂ©e que la dĂ©cision de porter un voile simple est prise par des jeunes filles qui ne sont pas soumises Ă  des pressions familiales mais que motive l’envie de plaire aux membres de la famille et plus largement de la communautĂ© parce que les filles mettant le voile sont considĂ©rĂ©es comme des jeunes filles bien, saines et donc bonnes Ă  marier » 64. Ici, se manifeste assez nettement la peur du qu’en dira-t-on », comportement perceptible chez certaines familles d’origine musulmane pourtant Ă©tablies depuis de nombreuses annĂ©es sur le territoire national mais Ă©galement trĂšs remarquable chez les familles rĂ©cemment immigrĂ©es. À titre de tĂ©moignage et d’illustration, M. Antoine Sfeir s’est ainsi rappelĂ© devant les membres de la mission que l’une de ses Ă©tudiantes doctorantes qui, Ă  l’entrĂ©e de sa citĂ©, recouvrait ses cheveux d’un fichu afin [
] d’échapper aux sarcasmes des bandes, ainsi qu’aux remarques de son pĂšre qui craignait le qu’en dira-t-on » 65. Dans la contribution Ă©crite qu’il a adressĂ©e Ă  la mission 66, M. HervĂ© Chevreau, maire d’Epinay-sur-Seine, rapporte les propos assez similaires d’une directrice d’école de sa commune. Selon elle, pour faire admettre son Ă©pouse, rĂ©cemment convertie, au sein de sa famille, il serait plus commode pour un homme de confession musulmane, de la prĂ©senter entiĂšrement voilĂ©e, ce qui tĂ©moignerait de sa grande fidĂ©litĂ© aux prĂ©ceptes religieux et, d’une certaine maniĂšre, de la sincĂ©ritĂ© de sa conversion. Ce comportement chez certaines de ces familles peut s’expliquer par une socialisation absente ou incomplĂšte, un dĂ©faut d’intĂ©gration ainsi que par le choc que reprĂ©sente la vie dans une sociĂ©tĂ© d’accueil dont les valeurs peuvent trĂšs sensiblement diffĂ©rer de celles de la culture d’origine. Il s’agit en tout cas d’une explication pertinente selon les auteurs de l’ouvrage prĂ©citĂ© 67. Mme Anne-Gaelle Cogez, l’une des auteurs, explique ainsi que face Ă  un modĂšle social privilĂ©giant les valeurs et relations individuelles contrairement Ă  des sociĂ©tĂ©s au sein desquelles la vie de l’individu s’inscrit avant tout dans le cadre d’un groupe familial, de voisinage, les mĂšres tendraient assez naturellement Ă  s’investir dans le rĂŽle de garante des traditions, fĂ»t-ce au prix de la perpĂ©tuation de rĂšgles de comportement Ă  l’origine de leur aliĂ©nation en tant que femmes. Selon cette mĂȘme analyse, ce comportement quelque peu paradoxal se nourrirait Ă©galement de peurs tenaces, notamment celle de voir les enfants se dĂ©tourner de leurs racines culturelles ou religieuses. Selon Mme Anne-GaĂ«lle Cogez, l’islam servirait dans ce contexte d’ abri culturel » mais par manque de connaissance rĂ©elle du texte coranique, il existerait une assez grande confusion entre coutumes et enseignements religieux. b Le souci d’une respectabilitĂ© dans un espace social menaçant En second lieu, le port du voile intĂ©gral peut avoir pour origine le souci de respectabilitĂ© des filles et des jeunes femmes vis-Ă -vis de l’entourage dans des quartiers sensibles et en rĂ©ponse aux pressions que peuvent y exercer sur elles les garçons. La dĂ©tĂ©rioration des relations entre les deux sexes au sein de quartiers abritant des populations qui, par ailleurs, connaissent la prĂ©caritĂ© et en voie parfois de ghettoĂŻsation peut expliquer, dans certains cas, la pratique du port du voile intĂ©gral. De fait, ainsi qu’ont pu l’observer les auteurs de l’ouvrage, Les animateurs face Ă  l’intĂ©grisme religieux et Ă  l’oppression des femmes, les Ă©ducateurs et les travailleurs sociaux assistent une dĂ©gradation des relations entre les filles et les garçons, dĂ©gradation allant jusqu’à la rĂ©gression de la mixitĂ© dans certains lieux de vie ou certains quartiers. À titre d’illustration, dans ce livre, sont rapportĂ©es les insultes adressĂ©es Ă  la sortie du mĂ©tro de Lille par des garçons au motif qu’une jeune fille vivant dans leur quartier ne portait pas le voile et sortait maquillĂ©e. Ces insultes ne reprĂ©sentent du reste qu’un comportement parmi tant d’autres qui participent de la dĂ©gradation des relations entre garçons et filles, les conflits n’ayant pas toujours pour seul objet le port supposĂ© obligatoire du voile intĂ©gral. Autre auteur de ce livre, Mme Amandine Briffaut, prĂ©sidente de l’Association Ni putes, ni soumises Ă  Lille, rappelle l’histoire de la jeune Sarah, victime en janvier 2002 de plusieurs agressions sexuelles et plusieurs viols collectifs commis par des Ă©lĂšves d’un collĂšge de la ville de Roubaix et a pu observer, par ailleurs, que la violence et l’inĂ©galitĂ© entre les sexes affleurent assez aisĂ©ment dans les paroles Ă©changĂ©es entre les enfants d’un centre social. Dans certains centres sociaux qu’elle dĂ©crit, l’impossibilitĂ© de gĂ©rer des rapports devenus trop conflictuels et violents a ainsi rendu nĂ©cessaire la mise en place de groupes de filles avec des animatrices face Ă  des groupes exclusivement formĂ©s de garçons. Dans ce contexte, pour certaines jeunes femmes, le port du voile intĂ©gral est parfois utilisĂ© comme une protection, un gage de respectabilitĂ© donnĂ© Ă  des garçons qui peuvent volontiers recourir Ă  la violence verbale mais Ă©galement physique pour imposer des normes de comportement que malheureusement ils croient conformes au statut des femmes dans la sociĂ©tĂ©. Dissimulant leurs formes, les jeunes filles s’efforcent de ne plus paraĂźtre comme des objets de dĂ©sir, mais selon l’expression souvent entendue par des travailleurs sociaux Ɠuvrant dans ces quartiers, comme des filles bien ». L’éclairage apportĂ© au cours de son audition par M. Samir Amghar offre, de ce point de vue, une perspective similaire [
] le voile intĂ©gral est Ă©galement le signe d’une distinction sociale. Celles qui le portent et le revendiquent en tirent une grande fiertĂ© et le ressentent comme un symbole de respectabilitĂ©. En se salafisant et en portant le niqab, d’adolescentes elles deviennent des adultes respectĂ©es, notamment dans les quartiers populaires »68. Mais au fond, le port du voile intĂ©gral qui s’impose ou que l’on impose Ă  certaines jeunes femmes apparaĂźt comme le rĂ©vĂ©lateur de dĂ©rives plus graves Ă  l’Ɠuvre dans certains quartiers et dans une frange de la sociĂ©tĂ© française le retour Ă  des valeurs traditionnelles et parfois obscurantistes, issues d’un modĂšle de rapports sociaux et familiaux d’essence patriarcale qui consacre l’asservissement de la femme, la nĂ©gation de ses libertĂ©s et du droit Ă  disposer librement de son corps au nom d’un statut d’ĂȘtre prĂ©tendument infĂ©rieur et subalterne par nature. De ce point de vue, le voile intĂ©gral n’est que l’arbre qui cache la forĂȘt », une forĂȘt qui abrite des rĂ©alitĂ©s bien plus sombres encore, telles que la soumission des jeunes femmes dans un contexte marquĂ© par des situations de contrainte voire de violences. 3. Une soumission dans un contexte marquĂ© par des situations de contraintes voire de violences D’autres femmes, en effet, en France et Ă  travers le monde, dĂ©clarent vivre des situations de contrainte. Ainsi, au cours de leur dĂ©placement Ă  Bruxelles 69, les membres de la mission ont pu recueillir le tĂ©moignage d’une jeune femme de trente-trois ans prĂ©nommĂ©e Karima et auteur d’un livre 70 dans lequel elle fait le rĂ©cit d’un vĂ©ritable calvaire. Issue d’une famille ayant immigrĂ© en Belgique au cours des annĂ©es 1960, Karima raconte comment son pĂšre, en menaçant de mort ses propres enfants, lui aurait imposĂ© de porter un voile simple sous l’influence d’un imam radical dont il frĂ©quentait assidĂ»ment la mosquĂ©e. HabituĂ©e Ă  porter le voile, elle aurait intĂ©riorisĂ© cette pratique jusqu’à estimer que le voile faisait partie » d’elle. Selon son rĂ©cit, Ă  compter de ses 13 ans, par crainte qu’elle ne tombe amoureuse d’un non-musulman, ses parents l’ont empĂȘchĂ©e d’aller Ă  l’école au moyen de certificats mĂ©dicaux de complaisance renouvelĂ©s tous les trois mois. C’est alors qu’a commencĂ© une vĂ©ritable sĂ©questration, Karima faisant office d’esclave domestique. MalgrĂ© la saisine de l’assistante sociale Ă  laquelle elle avait Ă©crit, le service d’aide Ă  la jeunesse SAJ n’est pas intervenu, au nom du relativisme culturel, selon Karima. AprĂšs une visite chez un mĂ©decin et le dĂ©pĂŽt d’une plainte, elle a Ă©tĂ© placĂ©e par un juge dans une famille d’accueil. Ses parents l’ayant poussĂ©e Ă  reprendre contact avec eux en prĂ©tendant avoir changĂ©, elle a regagnĂ© le domicile familial oĂč tout se serait bien passĂ© bien pendant quelque temps jusqu’à un voyage au Maroc oĂč elle a Ă©tĂ© sĂ©questrĂ©e et battue pendant deux mois, menacĂ©e d’ĂȘtre mariĂ©e de force. Elle est parvenue Ă  rentrer en Belgique mais a Ă©tĂ© mariĂ©e civilement par procuration, au Maroc, par son pĂšre. AprĂšs avoir Ă  nouveau fui de chez elle et vĂ©cu en foyer, elle a entamĂ© une procĂ©dure d’annulation du mariage puis de divorce qui a finalement pris quatorze ans pour aboutir. Le livre tĂ©moignage dont provient ce rĂ©cit et qui lui vaudrait aujourd’hui menaces et insultes, l’a poussĂ© Ă  fonder une association. Dans le cadre de celle-ci, elle aurait menĂ© un test auprĂšs de dix mĂ©decins en leur demandant des certificats mĂ©dicaux de complaisance, ce qu’ont fait sept d’entre eux. Dans ce cadre, elle a Ă©galement aidĂ© des femmes Ă  qui l’on avait imposĂ© le voile intĂ©gral. On peut trouver d’autres rĂ©cits dans l’ouvrage dĂ©jĂ  citĂ©, Les animateurs face Ă  l’intĂ©grisme religieux et Ă  l’oppression des femmes. L’une des auteurs du livre, sous le pseudonyme de FaĂŻza, raconte par exemple l’histoire d’une jeune fille musulmane et pratiquante d’origine marocaine en France qui se comportait comme une vĂ©ritable lycĂ©enne », qui pour ĂȘtre acceptĂ©e par la famille trĂšs pieuse et pratiquante du jeune homme dont elle Ă©tait tombĂ©e amoureuse, se mit Ă  porter le voile. Dans le mĂȘme ouvrage, Mme Amandine Briffaut, par ailleurs militante de l’association Ni putes, Ni soumises Ă  Lille, rapporte Ă©galement le cas d’une jeune femme sĂ©questrĂ©e par ses parents pendant deux jours parce qu’ils exigeaient d’elles qu’elle ne sorte pas sans voile 71 et observe la multiplication des tĂ©moignages de jeunes filles se dĂ©clarant prĂȘtes Ă  porter le voile si leur futur mari le demandait. La mission doit convenir que les tĂ©moignages les plus nombreux ont trait Ă  l’obligation de porter des voiles simples mais on peut aisĂ©ment concevoir l’existence de situations oĂč les jeunes femmes subissent des pressions de mĂȘme ordre pour porter un voile intĂ©gral. Au cours de son audition 72, Mme Sihem Habchi, prĂ©sidente de l’Association Ni putes, ni soumises, a par exemple rapportĂ© l’histoire emblĂ©matique d’une jeune femme prĂ©nommĂ©e, elle aussi, Karima dont son association avait recueilli le tĂ©moignage. Cette jeune femme, commerciale de profession, s’est rĂ©signĂ©e Ă  porter le voile intĂ©gral en rĂ©ponse aux exigences croissantes et de plus en plus pressantes d’un mari qu’elle avait pourtant librement choisi et qui bascule dans le fanatisme aprĂšs deux annĂ©es de mariage parce qu’il retourne habiter dans son ancienne citĂ©. Expression d’un conformisme ou d’une dĂ©fĂ©rence vis-Ă -vis de la famille ou de la communautĂ©, fruit de la recherche de respectabilitĂ© sociale, de puretĂ© religieuse ou affirmation d’un besoin de prendre ses distances avec une sociĂ©tĂ© dont on condamne les valeurs, le port du voile intĂ©gral prĂ©sente, Ă  l’évidence, une dimension personnelle. De fait, l’analyse met en lumiĂšre chez ces jeunes femmes voilĂ©es la part des ressorts intimes, des attentes et des aspirations personnelles, la maniĂšre dont elles perçoivent et peuvent dĂ©terminer leur positionnement dans le cercle de la famille, dans l’enceinte du quartier ou plus gĂ©nĂ©ralement dans l’espace public. Cela Ă©tant, le port du voile intĂ©gral constitue aussi un phĂ©nomĂšne social, et donc une question politique, dĂšs lors que cette pratique est dictĂ©e par une situation d’enfermement communautaire ou participe d’une dĂ©marche militante et prosĂ©lyte conduite par des mouvements intĂ©gristes, les mouvements salafistes, qui se servent du voile comme d’un Ă©tendard. B. LE FRUIT D’UN ENFERMEMENT COMMUNAUTARISTE ET L’ÉTENDARD D’UN MOUVEMENT INTÉGRISTE LE SALAFISME Les informations recueillies au cours de leurs auditions et de leurs dĂ©placements mais Ă©galement l’expĂ©rience de terrain procurĂ©e par l’exercice de mandats locaux ont convaincu les membres de la mission que le port du voile intĂ©gral ne s’expliquait pas uniquement par des dĂ©marches individuelles et spontanĂ©es dans lesquelles pouvait entrer une part significative de conditionnement social ou de mĂ©connaissance. L’analyse du phĂ©nomĂšne tend, en effet, Ă  dĂ©montrer l’existence de situations de contrainte dont il apparaĂźt certes difficile d’évaluer le nombre mais dans lesquelles les femmes se voient imposer le port du voile intĂ©gral contre leur grĂ©. Aux yeux de la mission, ces situations de contrainte sont le fruit de deux logiques Ă  l’Ɠuvre depuis une quinzaine d’annĂ©es qui ont pour théùtre certains quartiers du territoire national mais Ă©galement certains pays du monde en premier lieu, un enfermement de nature communautariste et, en second lieu, la dĂ©marche militante et prosĂ©lyte d’un mouvement musulman intĂ©griste les salafistes. 1. Le port du voile intĂ©gral manifeste un repli de nature communautariste dans certains territoires Cette idĂ©e s’est imposĂ©e aux membres de la mission au fil des auditions et des dĂ©placements rĂ©alisĂ©s au cours desquels certains acteurs de terrain ont tĂ©moignĂ© de la corrĂ©lation potentielle entre le port du voile intĂ©gral et la situation de montĂ©e du communautarisme dans des quartiers oĂč les populations, souvent d’origine immigrĂ©e, subissent une grande prĂ©caritĂ© sociale. À titre d’exemple, au cours de la table ronde organisĂ©e Ă  Marseille et rĂ©unissant des reprĂ©sentants des services publics 73, des inquiĂ©tudes se sont faites jour concernant la montĂ©e des communautarismes dans certains quartiers de la ville. Il est observĂ©, en effet, que cette montĂ©e des communautarismes s’accompagne de l’apparition et de la multiplication des voiles simples parmi les jeunes filles. Certains voient, dans ce phĂ©nomĂšne, l’impact du mouvement de rĂ©islamisation que connaissent certains pays musulmans et qui gagne la France du fait du comportement des membres de certaines communautĂ©s. À ses yeux, ce mouvement doit Ă©galement beaucoup au pouvoir d’attraction qu’exercent les mouvements salafistes sur des populations pauvres au sein desquelles certains individus peuvent Ă©prouver le besoin de se rĂ©fugier dans l’absolu, et reçoivent volontiers des prescriptions pour guider leur comportement. Plus la norme ainsi proposĂ©e est simpliste, plus elle semble sĂ©duisante car elle dispense d’exercer son esprit critique et offre un mode d’emploi clĂ©s en main » face aux difficultĂ©s de la vie. Or, l’influence croissante de cette doctrine favorise un retour Ă  la superstition et impose des normes Ă  l’ensemble des femmes d’un quartier. Cette description de l’impact des difficultĂ©s de certains quartiers et de son importance dans le processus de renfermement communautariste qui conduit Ă  imposer aux jeunes filles le port d’un voile simple ou intĂ©gral, selon le cas illustre assez bien certains traits du phĂ©nomĂšne dit des grands frĂšres » dĂ©crit il y a dĂ©jĂ  quelques annĂ©es. Dans son livre, Ni Putes ni soumises 74, Mme Fadela Amara a montrĂ© comment le chĂŽmage de masse liĂ© Ă  la crise Ă©conomique du dĂ©but des annĂ©es 1990, en frappant massivement les populations les plus fragiles et notamment les ouvriers venus du Maghreb, avait contribuĂ© Ă  la dĂ©tĂ©rioration de la condition de la femme, au retour de normes traditionnelles aliĂ©nantes telles que le port du voile simple. D’une part, la perte durable d’un emploi privait les pĂšres de famille de l’autoritĂ© puisqu’ils ne pouvaient subvenir correctement aux besoins de leurs Ă©pouses et de leur famille, devoir incombant au patriarche dans les sociĂ©tĂ©s patriarcales dont pouvaient provenir les immigrĂ©s algĂ©riens et marocains. D’autre part, regroupĂ©s ensemble dans des citĂ©s-dortoirs » ou d’urgence Ă  leur arrivĂ©e en France, ils ne pouvaient prendre conscience que le modĂšle culturel dans lequel ils avaient Ă©tĂ© socialisĂ©s n’avait plus cours dans la sociĂ©tĂ© française contemporaine. Le dĂ©classement social des pĂšres a favorisĂ© un transfert de l’autoritĂ© symbolique, aux grands frĂšres » qui, pour certains d’entre eux, ont imposĂ© leur loi sur les citĂ©s dans lesquelles ils vivaient dans le dĂ©ni de la fĂ©minitĂ©. Car rencontrant souvent eux-mĂȘmes des difficultĂ©s d’insertion socio-professionnelle, ces jeunes hommes ont eu le sentiment de pouvoir rĂ©affirmer le primat de l’homme sur la femme que peut confĂ©rer la tradition, en imposant aux jeunes femmes un contrĂŽle de leurs frĂ©quentations, de leurs comportements en sociĂ©tĂ©, de leurs tenues vestimentaires et parfois mĂȘme de leur vie amoureuse et de leurs corps. Ce faisant, ainsi que le relĂšvent les auteurs de l’ouvrage Les animateurs face Ă  l’intĂ©grisme religieux et Ă  l’oppression des femmes citant Mme Fadela Amara, si le rĂŽle de ces grands frĂšres » Ă©tait d’abord de protĂ©ger leur sƓur et surtout leur virginitĂ© jusqu’à leur mariage, cette protection a pu se transformer en surveillance constante de toutes les filles du quartier et la nature des pressions que vivaient les jeunes filles a alors changĂ© les contraintes n’étaient plus celles imposĂ©es par les traditions, les familles, mais par les garçons ». Or, insiste Mme Amandine Briffaut, l’une des auteurs de ce livre et par ailleurs prĂ©sidente de l’association Ni putes, ni soumises Ă  Lille, dans ces quartiers et dans ces conditions, les jeunes ne peuvent avoir une vision globale de la sociĂ©tĂ© dans laquelle ils vivent et des principes qui dĂ©finissent cette sociĂ©tĂ© ». On constate dĂšs lors que l’isolement, la rupture du lien avec le reste de la sociĂ©tĂ© se soldent par le dĂ©veloppement d’une violence dans les rapports sociaux dont les premiĂšres victimes sont souvent les femmes. Si l’on adhĂšre Ă  cette analyse, on comprend mieux qu’une pratique telle que le port du voile intĂ©gral prospĂšre dans des quartiers tendant Ă  se refermer sur eux-mĂȘmes et oĂč les difficultĂ©s Ă©conomiques et sociales, l’expĂ©rience de discriminations poussent Ă  se rĂ©fĂ©rer Ă  des modĂšles idĂ©alisĂ©s, Ă  des traditions ayant cours dans le pays d’origine des familles. M. Mahmoud Doua, au cours de son audition, a particuliĂšrement attirĂ© l’attention des membres de la mission sur le fait qu’ il ne faut pas sous-estimer l’importance de la prĂ©caritĂ© sociale et du sentiment de relĂ©gation dans des quartiers ghettos pour comprendre le phĂ©nomĂšne du voile intĂ©gral » 75. À l’évidence, en effet, sous la question du port du voile intĂ©gral, se pose pour les jeunes issus de l’immigration, la question de l’identitĂ© celle de la dĂ©finition de sa personnalitĂ© entre une sociĂ©tĂ© française au sein de laquelle elles et ils sont nĂ©es et rĂ©ussissent Ă  s’insĂ©rer – parfois sans doute avec difficultĂ© – et le pays de leurs parents aux origines duquel parfois on les assigne. Le voile intĂ©gral peut, dans cette optique, permettre de renouer virtuellement avec un pays dont les parents n’ont pas nĂ©cessairement transmis les traditions ou la religion. A contrario, la pratique du port du voile intĂ©gral peut constituer l’affirmation d’une identitĂ© construite par pure opposition Ă  la sociĂ©tĂ© française. Selon l’analyse dĂ©veloppĂ©e par M. Benjamin Stora et qui repose sur son Ă©tude de l’histoire des immigrĂ©s venus du Maghreb, c’est parce que les enfants et les petits-enfants des immigrĂ©s arrivĂ©s sur le territoire national entre les annĂ©es 1920 et les annĂ©es 1960 n’envisagent pas un retour dans le pays de leurs parents et se considĂšrent français de maniĂšre Ă©vidente, banale et certaine qu’ils se posent la question de leurs origines » et sont en quĂȘte de leur histoire, de leur gĂ©nĂ©alogie personnelle, familiale et collective » 76. Or, d’aprĂšs l’expression mĂȘme de M. Benjamin Stora, cette recherche vient se heurter et, mĂȘme se fracasser, Ă  la fois sur l’histoire coloniale, et donc sur l’histoire conflictuelle avec la France, la sĂ©grĂ©gation et le racisme subis par leurs grands-parents, et Ă  la fois sur l’Islam ». Cette observation a amenĂ© M. Benjamin Stora Ă  considĂ©rer devant les membres de la mission que le voile renforce certainement le sentiment d’appartenance identitaire » des jeunes filles portant le voile et les installe dans une posture victimaire, soulignant les persĂ©cutions dont elles imaginent faire l’objet. Elles croient souvent Ă  l’existence d’une continuitĂ© entre la France coloniale et la France d’aujourd’hui ». Or, selon la mise en garde de M. Benjamin Stora, cette reprĂ©sentation imaginaire d’une sociĂ©tĂ© française qui perpĂ©tuerait l’esprit colonialiste, qu’on le veuille ou non, s’est installĂ©e dans les banlieues et chez beaucoup de jeunes » 77. Instrument de pĂ©rennisation du primat des hommes sur les femmes dans des quartiers subissant dĂ©classement et prĂ©caritĂ© sociale grandissante, parfois signe d’une recherche d’identitĂ© ou de sa construction par opposition Ă  la sociĂ©tĂ© française, le port du voile intĂ©gral reprĂ©sente aux yeux de la mission le symptĂŽme le plus Ă©vident du mal-ĂȘtre qui ronge une partie de la sociĂ©tĂ© française. D’autres manifestations de nature communautariste ont Ă©tĂ© portĂ©es Ă  la connaissance de ses membres tout au long de leurs travaux la persistance de cas mĂȘme extrĂȘmement marginaux de mariages forcĂ©s et de crimes d’honneur ; le dĂ©veloppement de commerces communautaires ; des injonctions explicites Ă  l’endroit de nos compatriotes censĂ©s ĂȘtre de culture musulmane et relatives Ă  un nĂ©cessaire respect du jeĂ»ne pendant le ramadan 78 ; le port d’insignes nationaux ou de voiles intĂ©graux au cours des cĂ©rĂ©monies de mariage 79 ; l’existence de demandes particularistes et de pressions Ă  l’encontre des services publics portant, par exemple, sur le droit de choisir ou de rĂ©cuser un agent selon son sexe, en particulier dans les services hospitaliers et au cours de cĂ©rĂ©monie de mariage, la distribution de plats Ă  base de viande hallal dans les services de restauration scolaire 80 ou encore la participation des enfants Ă  certaines activitĂ©s sportives telles que la piscine . Dans la contribution adressĂ©e Ă  la mission, M. HervĂ© Chevreau, maire d’Epinay-sur-Seine, signale ainsi que sur le territoire de sa commune, certains Ă©lĂšves refusent de se rendre au cours de natation lors du ramadan, par crainte d’avaler de l’eau pendant la journĂ©e ; par voie de consĂ©quence, ils ne se prĂ©sentent pas au cours, mĂȘme s’ils n’ont aucun justificatif pour cela. Concernant certaines entreprises, la mission a Ă©galement pris note de signalements trĂšs prĂ©occupants relatifs Ă  l’émergence d’organisations syndicales vouĂ©es Ă  la seule dĂ©fense de revendications confessionnelles, Ă  des refus de travailler au sein d’équipes mixtes, Ă  des rĂ©flexions portant sur la tenue vestimentaire des femmes ou encore Ă  des requĂȘtes visant Ă  obtenir la crĂ©ation de salles et de temps de pause pour la priĂšre. Ces comportements ne peuvent donner lieu dans le prĂ©sent rapport Ă  de longs dĂ©veloppements eu Ă©gard Ă  la question Ă  laquelle la mission entend d’abord rĂ©pondre. NĂ©anmoins, la mission d’information appelle les pouvoirs publics Ă  la plus grande vigilance et Ă  la plus grande fermetĂ© face Ă  des agissements aussi inacceptables. Elle espĂšre contribuer Ă  une vĂ©ritable prise de conscience de ce phĂ©nomĂšne. Car comme le voile intĂ©gral, ces conduites inacceptables procĂšdent dans de nombreux cas d’une entreprise ayant pour finalitĂ© d’imposer les normes supposĂ©es authentiques de la religion musulmane d’abord aux musulmans eux-mĂȘmes, par assignation identitaire », et ensuite Ă  l’ensemble de la communautĂ© nationale. Dans le cadre de cette entreprise, les jeunes femmes portant le voile intĂ©gral jouent leur rĂŽle, bon grĂ© mal grĂ©, en tant que porte-drapeau d’une dĂ©marche militante et prosĂ©lyte dĂ©veloppĂ©e par un mouvement intĂ©griste le salafisme. 2. L’étendard d’un projet intĂ©griste militant et prosĂ©lyte portĂ© par la nĂ©buleuse salafiste D’aprĂšs les propos tenus par l’ensemble des spĂ©cialistes de l’islam entendus par la mission, le port du voile intĂ©gral est inspirĂ©, dans un nombre non nĂ©gligeable de cas, par l’influence exercĂ©e par des groupes d’inspiration salafiste, mouvement musulman intĂ©griste, Ɠuvrant sur le territoire national et dans le monde Ă  la rĂ©islamisation des populations d’origine musulmane et Ă  la reconnaissance, tant dans l’espace public que dans le droit des sociĂ©tĂ©s occidentales, de rĂšgles dĂ©coulant de leur interprĂ©tation minoritaire des textes du Coran et de la tradition de l’islam. Le soutien, voire l’exhortation publique au port du voile intĂ©gral, rĂ©vĂšle deux traits majeurs de la nature et de l’action entreprise par cette nĂ©buleuse tout d’abord, un mouvement dont le rĂ©formisme apparent consiste en rĂ©alitĂ© Ă  la promotion d’une lecture littĂ©raliste et qu’on peut juger rĂ©trograde de la religion musulmane ; un mouvement missionnaire mettant en cause la libertĂ© des femmes musulmanes et s’efforçant d’obtenir la consĂ©cration de l’existence d’une communautĂ© musulmane distincte du reste de la sociĂ©tĂ© et bĂ©nĂ©ficiant de droits spĂ©cifiques. a Un mouvement appelant Ă  un retour vers un Ăąge d’or perdu De l’ensemble des auditions, il ressort, en effet, que le discours s’efforçant de justifier le caractĂšre obligatoire du port du voile intĂ©gral renvoie presque immanquablement aux mouvements salafistes. Devant les membres de la mission, MM. Samir Amghar 81, Abdelwahab Meddeb 82, Mahmoud Doua 83, Dalil Boubakeur 84, Antoine Sfeir 85, en leur qualitĂ© de spĂ©cialistes du fait religieux ou de reprĂ©sentants du culte musulman ont tous dĂ©celĂ© l’influence d’un corpus idĂ©ologique tirĂ© de l’enseignement d’une Ă©cole de jurisprudence musulmane qui nourrit le mouvement salafiste l’école juridique et thĂ©ologique hanbalite, du nom d’Ahmed Ben Hanbal. Au cours de son audition, M. Samir Amghar, chercheur Ă  l’École des hautes Ă©tudes en sciences sociales et spĂ©cialiste du salafisme, a ainsi expliquĂ© que l’école qui penche le plus en faveur du voile intĂ©gral est l’école hanbalite. Or, les salafistes prĂ©sents en France s’inscrivent dans cette filiation » 86. De fait, le caractĂšre littĂ©raliste du discours salafiste procĂšde Ă  la fois des fondements thĂ©oriques dont s’inspirent ces mouvements, ceux de l’école hanbalite, et des propres origines historiques de ce courant. Selon l’exposĂ© de M. Antoine Sfeir 87 qui rejoint le propos d’autres intervenants, le terme salafiste » provient du mot salaf » qui signifie le vrai, le pur et renvoie par extension aux pieux ancĂȘtres. Ce courant, dont les FrĂšres musulmans Ă©gyptiens, fondĂ©s en 1928 par Hassa al Banna, constituent la premiĂšre et la plus ancienne expression formelle et organisĂ©e, se prĂ©sente au dĂ©but du XXe siĂšcle comme un mouvement de rĂ©forme nĂ© en rĂ©action Ă  la colonisation europĂ©enne et ce qui est vĂ©cu comme une dĂ©cadence des pays musulmans. Ainsi que l’explique M. Antoine Sfeir, le mouvement des FrĂšres musulmans Ă©gyptiens s’élĂšve Ă  la fois contre la monarchie d’origine albano-macĂ©donienne [rĂ©gnant sur l’Égypte] et contre les accords Sykes-Picot, signĂ©s par la France et la Grande-Bretagne qui prĂ©voyaient, en 1916, le partage du Moyen-Orient. Les FrĂšres musulmans accusent les colonisateurs de dĂ©pecer la oumma, la grande communautĂ© des musulmans » 88. De leur rĂ©flexion sur les causes de la domination de l’Occident, les penseurs du salafisme concluent tous Ă  la nĂ©cessitĂ© de purifier et donc de ranimer la vie islamique. Mais de leur point de vue, rendre un destin mondial Ă  l’islam suppose de se rĂ©approprier le modĂšle originel lĂ©guĂ© par les fondateurs de l’islam au VIIe siĂšcle, Ă  savoir le ProphĂšte Mahomet et ses compagnons ou successeurs les plus proches, les Salaf ou pieux ancĂȘtres. Cette dĂ©marche implique de rejeter tout apport des siĂšcles suivants jugĂ© comme une corruption de l’enseignement mais, plus encore, de refuser toute interprĂ©tation des textes Ă  la lumiĂšre du contexte historique et des caractĂ©ristiques sociologiques des premiĂšres sociĂ©tĂ©s musulmanes. Il en ressort une approche littĂ©raliste des textes coraniques qu’à la maniĂšre de M. Antoine Sfeir, on pourrait rĂ©sumer de la maniĂšre suivante AprĂšs le ProphĂšte, rien de nouveau ». De fait, le port du voile intĂ©gral participe, Ă  bien des Ă©gards, de cette conception littĂ©raliste lĂ©guĂ©e par Ahmed ben Hanbal et relayĂ©e, selon M. Antoine Sfeir, par toute une lignĂ©e de thĂ©ologiens dont le Syrien Ahmad ibn Taymiyya, au XIVe siĂšcle et surtout, le Saoudien Mohammed Abdel Wahhab, au XVIIIe siĂšcle [
] qui donnera naissance au wahhabisme, auquel se rĂ©fĂšrent actuellement les monarchies saoudienne et qatari ». 89 M. Antoine Sfeir a ainsi observĂ© devant les membres de la mission que ce vĂȘtement marque la volontĂ© de se soumettre Ă  la domination du clan et du mĂąle » et signifie l’acceptation d’une lecture littĂ©raliste archaĂŻque et hautement discutable du Coran ». M. Antoine Sfeir a tenu Ă  remarquer qu’à l’aune des mentalitĂ©s de son Ă©poque, le ProphĂšte est Ă  l’origine d’avancĂ©es pour la condition fĂ©minine » telles que la rĂšgle suivant laquelle les femmes doivent hĂ©riter de la moitiĂ© de la part de l’homme. À rebours, les islamistes, de son point de vue, en ignorant dĂ©libĂ©rĂ©ment le contexte historique ou anthropologique, donnent une lecture erronĂ©e voire instrumentalisĂ©e de l’islam ». Analysant l’évolution de la signification du port du voile de part et d’autre de la MĂ©diterranĂ©e, M. Benjamin Stora a Ă©galement observĂ© que certains groupes politiques ont instrumentalisĂ© le voile », faisant de cet accessoire qui symbolise de maniĂšre Ă©vidente la diffĂ©rence et la sĂ©paration, une marque de dĂ©fi Ă  l’encontre des États arabes et des dĂ©mocraties europĂ©ennes » 90. Selon M. Benjamin Stora, dans la durĂ©e, ce dĂ©fi s’est peu Ă  peu transformĂ© en croyance le port du voile a alors Ă©tĂ© revendiquĂ© par d’autres factions comme une pratique religieuse consentie ». On touche lĂ  Ă  la dimension politique que revĂȘt Ă  bien des Ă©gards la pratique du port du voile intĂ©gral. Aux yeux de nombreux spĂ©cialistes et des membres de la mission, le voile intĂ©gral ne se rĂ©duit pas Ă  une simple tenue vestimentaire il affirme dans l’espace public des valeurs sĂ©parant celles qui le portent du reste de la sociĂ©tĂ© et la prĂ©tention de confĂ©rer Ă  une interprĂ©tation minoritaire de la religion musulmane le caractĂšre d’une norme s’imposant Ă  tous. Ce faisant, il signe le caractĂšre militant et prosĂ©lyte d’un mouvement missionnaire qui, s’efforçant d’obtenir la consĂ©cration de l’existence d’une communautĂ© musulmane sĂ©parĂ©e du reste de la sociĂ©tĂ© par des droits et devoirs spĂ©cifiques, met en cause les libertĂ©s individuelles et sape les fondements de la RĂ©publique. b Une logique prĂ©dicatrice et missionnaire Ultra-orthodoxe et puritaine », la mouvance que forment les groupes salafistes comporte certes de multiples tendances et se prĂ©sente mĂȘme, selon l’analyse de M. Samir Amghar, comme le seul courant islamiste, Ă  n’ĂȘtre pas organisĂ© et hiĂ©rarchisĂ© Ă  l’échelle nationale » 91. Au cours de son audition, M. Samir Amghar a ainsi dĂ©crit une mouvance au sein de laquelle n’existent que des associations locales constituĂ©es autour d’un imam prĂ©dicateur charismatique », formĂ©e de groupes qui fonctionnent de maniĂšre autonome les uns par rapport aux autres et n’ont pas de projet politique ». Pour autant, la mouvance salafiste n’en possĂšde pas moins des caractĂ©ristiques communes qui, pour l’essentiel des groupes Ă©tablis sur le territoire national, tiennent au piĂ©tisme, Ă  l’apolitisme, au caractĂšre non-violent de l’action ainsi qu’à une logique prĂ©dicatrice missionnaire » selon l’analyse dĂ©veloppĂ©e par M. Samir Amghar devant les membres de la mission 92. La mouvance salafiste se prĂ©sente tout d’abord comme piĂ©tiste parce que d’aprĂšs les propres mots de M. Samir Amghar, pour ses tenants, l’urgence n’est ni de politiser l’islam, ni de s’inscrire dans une logique guerriĂšre mais de convertir les musulmans sociologiques Ă  une pratique orthodoxe et puritaine de leur religion ». D’oĂč la prioritĂ© accordĂ©e, selon lui, Ă  deux tĂąches principales l’éducation religieuse, dans la mesure oĂč ils tiennent les musulmans installĂ©s en Europe pour des musulmans Ă©garĂ©s, pratiquant un mauvais islam, et la purification d’une religion qui est, selon eux, altĂ©rĂ©e par des pratiques hĂ©rĂ©tiques ». La deuxiĂšme caractĂ©ristique du mouvement, l’apolitisme, se traduit, selon M. Samir Amghar, par l’opposition Ă  toute forme d’engagement politique au nom de l’islam et l’invitation Ă  un certain dĂ©tachement vis-Ă -vis de la politique. Divers Ă©lĂ©ments peuvent, selon lui, en attester le constat du faible nombre de personnes se rĂ©clamant du salafisme dans les manifestations organisĂ©es par des associations musulmanes appelant Ă  s’opposer Ă  toute loi interdisant le port de signes religieux ostentatoires Ă  l’école en 2004-2005 ou encore le fait que les sites salafistes sur Internet aient invitĂ© Ă  ne pas se joindre aux manifestations organisĂ©es en janvier 2009 par des associations musulmanes en protestation contre l’opĂ©ration militaire menĂ©e par l’armĂ©e israĂ©lienne contre les territoires palestiniens. La troisiĂšme caractĂ©ristique du mouvement, la non-violence, trouve selon M. Samir Amghar une illustration dans la condamnation unanime exprimĂ©e publiquement par les autoritĂ©s religieuses du mouvement, aussi bien en France, qu’en Arabie saoudite, en Jordanie ou au YĂ©men » 93 Ă  la suite des attentats du 11 septembre 2001, de Madrid en 2004 et de Londres en 2005. De fait, le salafisme rĂ©volutionnaire dit djihadiste et le salafisme politique 94 n’occupent qu’une place extrĂȘmement minoritaire en France, et apparaissent quasi-inexistants contrairement Ă  la situation que peuvent connaĂźtre d’autres pays occidentaux. M. Samir Amghar a mĂȘme estimĂ© que la tendance djihadiste, prĂ©sente dans les mosquĂ©es au dĂ©but des annĂ©es 2000, en a disparu, ses imams ayant renoncĂ© Ă  tenir ce discours rĂ©volutionnaire sous la pression policiĂšre ». PrĂ©sence du salafisme en France Les pouvoirs publics recenseraient sur le territoire national — quelque 12 000 salafistes, contre 5 000 environ en 2004 selon une enquĂȘte des Renseignements gĂ©nĂ©raux rĂ©alisĂ©e en 2004 ; — une cinquantaine de lieux de culte musulman contrĂŽlĂ©s par des groupes salafistes sur les 1 900 localisĂ©s sur le territoire français. 41% des femmes portant le voile intĂ©gral Ă©volueraient dans la mouvance salafiste. d’aprĂšs les chiffres communiquĂ©s au cours de son audition 95 par M. Brice Hortefeux, ministre de l’IntĂ©rieur Toutefois, ainsi que M. Samir Amghar le relevait lui-mĂȘme face Ă  la mission, mĂȘme si le salafisme en France entretient un rapport nĂ©gatif avec son environnement », [..] exprimant un refus de se mĂȘler au reste de la sociĂ©tĂ© », un relatif dĂ©sintĂ©rĂȘt pour la sphĂšre politique, les institutions et les associations musulmanes, l’apolitisme qui le caractĂ©rise cependant n’exclut pas une dimension Ă©minemment politique » de son action. Certes, les mouvements salafistes ne semblent pas dĂ©sireux d’investir et d’infiltrer les institutions mais l’on ne saurait toutefois mĂ©connaĂźtre la portĂ©e des revendications qu’ils dĂ©fendent et dont le port du voile intĂ©gral n’offre qu’une illustration. Ainsi que le remarque M. Samir Amghar, les salafistes se dĂ©sectarisent et s’ouvrent progressivement sur la sociĂ©tĂ© » 96. Leurs revendications alimentent une pression insensible et diffuse tendant Ă  imposer la reconnaissance de commandements prĂ©tendument religieux applicables dans la totalitĂ© de l’espace public et Ă  laquelle serait assujetti l’ensemble de nos compatriotes de culture ou d’origine musulmane en tant que corps particulier dans la sociĂ©tĂ©. Au cours de son audition, M. Samir Amghar a ainsi Ă©voquĂ© l’impact du salafisme et l’influence que peuvent exercer les mosquĂ©es contrĂŽlĂ©es par cette mouvance sur les comportements dans les quartiers populaires, lorsque l’on dĂ©cide de se convertir Ă  l’islam ou de se rĂ©islamiser, on le fait bien souvent au contact du salafisme car c’est la seule offre religieuse qui y reste et qui apparaĂźt comme la plus lĂ©gitime et la plus authentique » 97. De son point de vue, plusieurs mosquĂ©es pourraient illustrer ce diagnostic dans l’agglomĂ©ration lyonnaise la mosquĂ©e Al Fourqan », mosquĂ©e salafiste » situĂ©e aux Minguettes, Ă  VĂ©nissieux », et une autre, Ă  Lyon mĂȘme, dans le huitiĂšme arrondissement », lesquelles sont trĂšs actives, faisant preuve d’un grand prosĂ©lytisme ». La mission a Ă©galement notĂ© que, d’aprĂšs M. Samir Amghar, c’est Ă  Argenteuil, bastion historique du salafisme, la premiĂšre ville oĂč il a commencĂ© Ă  se dĂ©velopper » que des femmes ont commencĂ© Ă  porter le voile intĂ©gral, mĂȘme si il convient de noter que l’imam de la mosquĂ©e du lieu, la mosquĂ©e As Salaam, a invitĂ© les jeunes filles Ă  dĂ©couvrir leur visage, considĂ©rant dans une logique de compromis que le voile intĂ©gral n’a pas sa place en France mais seulement dans les pays musulmans qui l’acceptent. À cet Ă©gard, il importe de souligner l’importance dĂ©cisive que revĂȘtent la formation et les prises de position des imams Ă  l’échelon local. Au cours de la table ronde rĂ©unissant des Ă©lus des Bouches-du-RhĂŽne 98, les membres de la mission ont Ă©tĂ© sensibles Ă  la mise en garde que leur a adressĂ© M. Robert Guiot, adjoint au maire de Marignane. Constatant en effet la multiplication des lieux de priĂšres dont les responsables s’autoproclamaient imams pour avoir lu quelques passages du Coran, il a notĂ© que ces personnes s’improvisant ministres du culte musulman contribuaient Ă  la diffusion de thĂšses intĂ©gristes, dĂ©rive rendant Ă  ses yeux nĂ©cessaire une plus Ă©troite surveillance par les pouvoirs publics de la dĂ©signation d’imams. Ce constat fait Ă©cho Ă  celui de nombreux acteurs de terrains auditionnĂ©s qui ont rendu compte de la multiplication des voiles intĂ©graux liĂ©e Ă  l’installation d’un nouvel imam prĂȘchant en ce sens auprĂšs des jeunes femmes frĂ©quentant la mosquĂ©e. Les problĂšmes inhĂ©rents Ă  la formation des imams mettent, par ailleurs, en lumiĂšre la question de l’influence nĂ©faste que peuvent exercer des groupes salafistes Ă©tablis Ă  l’étranger mais disposant de puissants relais sur le territoire national. Les thĂšses salafistes concernant l’obligation de porter un voile intĂ©gral bĂ©nĂ©ficient d’une audience d’autant plus grande que les moyens de communication modernes s’affranchissent de la barriĂšre de la distance et des frontiĂšres pour vĂ©hiculer les images et les idĂ©es. Les thĂšses salafistes peuvent se diffuser grĂące tout d’abord Ă  la rĂ©ception des chaĂźnes satellitaires Ă©mettant Ă  partir du Moyen-Orient et reçues sur le territoire national. Ces chaĂźnes en langue arabe peuvent offrir de vĂ©ritables tribunes et des outils de propagande favorisant le dĂ©veloppement du port du voile intĂ©gral. Plusieurs personnes auditionnĂ©es ont mis en garde la mission contre ce phĂ©nomĂšne. Ainsi, M. Abdelwahab Meddeb a-t-il dĂ©noncĂ© devant les membres de la mission 99 le rĂŽle qu’avait pu jouer la chaĂźne al-Jazira dans la propagation des thĂšses du prĂ©dicateur al-QardhĂąwĂź, ex-FrĂšre musulman Ă©gyptien. Ensuite, le dĂ©veloppement d’Internet favorise, selon la description donnĂ©e par Mme Dounia Bouzar 100, la crĂ©ation d’une communautĂ© virtuelle et de lieux propices Ă  la diffusion des prĂ©dications salafistes. Cette importance d’Internet dans la transmission du discours salafiste est Ă©galement attestĂ©e par l’exposĂ© de M. Samir Amghar qui dĂ©montre l’utilisation de la Toile par les groupes salafistes pour rendre publics leurs mots d’ordre, inviter Ă  ou dĂ©courager la participation des musulmans Ă  certaines manifestations Ă  l’exemple de celles organisĂ©es par d’autres associations musulmanes pour dĂ©noncer l’opĂ©ration militaire israĂ©lienne Ă  Gaza. La puissance des moyens de communication complĂšte de ce point de vue les relais du salafisme que constituent les imams et les organismes de cette obĂ©dience prĂ©sents et actifs tant sur le territoire national que dans le monde. Certains ont mis en avant la responsabilitĂ© des universitĂ©s islamiques saoudiennes ainsi qu’une instance telle que le Conseil europĂ©en de la fatwa et de la recherche dirigĂ©e par le prĂ©dicateur al-QardhĂąwĂź. Il ressort, en effet, de l’analyse dĂ©veloppĂ©e par M. Samir Amghar 101 et que partagent de nombreux spĂ©cialistes entendus par la mission, que la diffusion de thĂšses salafistes n’apparaĂźt pas sans rapport avec le fait que les imams des mosquĂ©es salafistes soient essentiellement formĂ©s en Arabie saoudite. De ce pays qui jouit d’un immense prestige en tant que berceau et gardien des lieux saints de l’islam, on Ɠuvre Ă  l’évidence et de notoriĂ©tĂ© publique, Ă  l’expansion de l’islam rigoriste inspirĂ© par le wahhabisme, doctrine dont se servent aujourd’hui les tenants d’un port obligatoire du voile intĂ©gral. Ainsi que l’explique M. Samir Amghar, Ă  partir des annĂ©es 1960, ce pays a voulu apparaĂźtre comme une superpuissance religieuse et a créé de nombreuses universitĂ©s islamiques qui, Ă  la diffĂ©rence de celles d’AlgĂ©rie, du Maroc ou d’Égypte, allouent des bourses Ă  leurs Ă©tudiants. Des reprĂ©sentants de ces Ă©tablissements dĂ©marchent les mosquĂ©es françaises pour recruter leurs futurs Ă©tudiants en thĂ©ologie » 102. Elles exercent ainsi un incomparable magistĂšre intellectuel en raison de la qualitĂ© de leur enseignement et du prestige attachĂ© Ă  leurs diplĂŽmes. De fait, on ne peut mĂ©connaĂźtre le poids de cette influence dans les cercles – pas nĂ©cessairement salafistes – qui prescrivent ou imposent le port du voile intĂ©gral. Le Conseil europĂ©en de la fatwa et de la recherche compte Ă©galement parmi les instances et les relais travaillant Ă  la diffusion des thĂšses salafistes et encourageant le port du voile intĂ©gral. Ainsi, au cours de son audition, M. Abdennour Bidar a tenu Ă  attirer l’attention des membres de la mission sur la volontĂ© affichĂ©e par cet organisme de dĂ©finir les rĂšgles de l’orthodoxie religieuse applicables auxquelles les musulmans ne sauraient se soustraire dans un espace public sĂ©culier et qui seraient, de surcroĂźt, opposables aux États. Il relĂšve ainsi l’existence d’un petit recueil de fatwas publiĂ© par le Conseil aux Ă©ditions Tawhid, dont la fatwa n° 6 prĂ©sente le port du foulard ou du voile simple khimĂąr 103 ou hidjab comme une obligation religieuse dont l’observation s’imposerait aux femmes. Cette prescription repose sur des versets dĂ©jĂ  citĂ©s dont les auteurs donnent une interprĂ©tation littĂ©raliste. Selon M. Abdennour Bidar, cette fatwa illustre la prĂ©tention de l’islam Ă  lĂ©gifĂ©rer puisqu’elle est supposĂ©e valoir pour tous les musulmans d’Europe ». Il remarque en effet que le voile n’est pas ici recommandĂ© il est imposĂ©. Les musulmans d’Europe sont supposĂ©s reconnaĂźtre l’autoritĂ© thĂ©ologique du Conseil europĂ©en de la fatwa et de la recherche, et donc renoncer Ă  leur libertĂ© personnelle de conscience, et les États europĂ©ens eux-mĂȘmes doivent accepter la prĂ©sence sur leur sol de cet islam lĂ©gifĂ©rant » 104. De fait, ce recueil de fatwas contient des prescriptions touchant aux aspects les plus divers de la vie quotidienne pour les femmes, telle que le maquillage ou le droit de porter un soutien-gorge. Aussi procĂšde-t-il d’une vision englobante sinon totalitaire il marque la volontĂ© de rĂ©gir tous les aspects de l’existence des individus en raison de leurs origines musulmanes ; l’implication ultime de cette dĂ©marche est de mĂ©nager au sein de l’espace public, une sphĂšre sĂ©parĂ©e au sein de laquelle prĂ©vaudraient des principes et des obligations propres Ă  une communautĂ©, corps intermĂ©diaire dont les religieux seraient les directeurs de conscience mais Ă©galement les intercesseurs pour le reste de la sociĂ©tĂ©. De fait, les prĂ©tentions affichĂ©es par le Conseil europĂ©en de la fatwa et de la recherche rendent crĂ©dible aux yeux des membres de la mission l’idĂ©e dĂ©veloppĂ©e entre autres par M. Abdelwahab Meddeb 105 celle d’une stratĂ©gie du grignotage » qui consiste Ă  arracher, par des revendications constantes Ă  l’encontre des systĂšmes juridiques, de nouveaux droits conformes aux normes religieuses qu’ils entendent promouvoir. D’aprĂšs les informations dont il a fait part au cours de son audition, dans cette instance [
], les militants sont exhortĂ©s Ă  agir avec agilitĂ© et dans la lĂ©galitĂ© afin de gagner en Europe des parcelles de visibilitĂ© en faveur de la loi islamique ». Ce qui l’amĂšne Ă  penser que c’est donc le dispositif juridique sĂ©culier qui est visĂ© par l’affaire de la burqa ». Du point de vue de la mission, le fond de cette analyse apparaĂźt d’autant plus recevable que l’on assiste sur le territoire national, dans certaines franges de la population, Ă  la montĂ©e d’un discours ayant pour finalitĂ© un traitement diffĂ©renciĂ© fondĂ© sur le respect de normes religieuses qui s’imposeraient aux musulmans. Ce discours Ă©voque Ă  bien des Ă©gards les thĂšses communautariennes » dĂ©veloppĂ©e par Charles Taylor et qui fondent en partie le concept d’accommodements raisonnables ayant cours au Canada. Dans le cadre thĂ©orique conceptualisĂ© par Charles Taylor, la communautĂ© politique, pour correspondre au projet d’épanouissement collectif qui en fait sa raison d’ĂȘtre, doit se donner des droits infrangibles », des droits Ă  satisfaire sans concession. Plus prĂ©cisĂ©ment, il faut distinguer selon Taylor d’un cĂŽtĂ© les libertĂ©s fondamentales – celles qui sont infrangibles donc verrouillĂ©es de maniĂšre inexpugnable – et de l’autre les privilĂšges et les immunitĂ©s qui sont importants, mais qui peuvent ĂȘtre abolis ou restreints pour des raisons de politique publique Ă  la condition qu’il y ait une raison urgente Ă  le faire » 106. De prime abord, cette restriction thĂ©orique tend Ă  placer le respect des droits individuels au-dessus de l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral dĂ©fini de maniĂšre abstraite dans la pensĂ©e de Rousseau et le projet rĂ©publicain français. Les thĂšses de Charles Taylor fondent en partie la lĂ©gitimitĂ© de droits diffĂ©renciĂ©s au nom de la reconnaissance de communautĂ©s composant une sociĂ©tĂ© multiculturaliste. Selon l’analyse dĂ©veloppĂ©e par les auteurs de l’ouvrage Les animateurs face Ă  l’intĂ©grisme religieux et Ă  l’oppression des femmes, cette lecture de Charles Taylor inspire des notables politico-religieux » qui ont lancĂ© des revendications identitaires en France. De leur point de vue, ces responsables les fondent sur le refus du principe d’intĂ©gration des individus spĂ©cifiques Ă  la RĂ©publique française et sur la demande d’une politique de reconnaissance Ă©galitaire de leur minoritĂ© comme une communautĂ© [
] ». Cette dĂ©marche, qui viserait, selon ces auteurs, Ă  la reconnaissance d’une communautĂ© comme un corps intermĂ©diaire », caractĂ©riserait l’intention [
] Ă  orienter la sociĂ©tĂ© française, le droit, les rapports sociaux et notamment les rapports de genre [
] » 107. Le Canada est un exemple trĂšs pertinent de cette tendance Ă  faire prĂ©valoir des droits que l’on pourrait qualifier d’individuels et communautaires au nom d’un certain multiculturalisme et d’un diffĂ©rentialisme. Historiquement fondĂ© sur un compromis Ă©tabli entre une majoritĂ© de culture anglophone et une minoritĂ© francophone, ce pays a, en effet, trĂšs tĂŽt Ă©tabli un systĂšme juridique reconnaissant des droits particuliers sur le fondement de l’appartenance Ă  la communautĂ© francophone. Ce systĂšme repose sur la Constitution canadienne ainsi que sur un texte de loi emblĂ©matique, Ă  valeur constitutionnelle, adoptĂ© en 1982 la Charte canadienne des droits et libertĂ©s. L’objet de la reconnaissance des droits de la personne par la Charte n’est pas l’assimilation mais l’intĂ©gration fondĂ©e sur les diffĂ©rences en vertu du statut constitutionnel reconnu au droit des minoritĂ©s et au multiculturalisme. À son article 27, la Charte affirme que son objectif est de protĂ©ger le patrimoine multiculturel des Canadiens. La Cour suprĂȘme du Canada a jugĂ©, en effet, que le droit des minoritĂ©s constitue l’un des quatre piliers de l’organisation des pouvoirs avec la primautĂ© du droit, le constitutionnalisme et le fĂ©dĂ©ralisme. La Charte canadienne des droits Ă©nonce ainsi des principes fondamentaux dont l’application dĂ©pend des normes lĂ©gislatives et de l’interprĂ©tation des juges. En l’occurrence, il appartient aux commissions et aux tribunaux des droits de la personne de dĂ©terminer le champ et les modalitĂ©s de l’interdiction de toute discrimination fondĂ©e notamment sur le sexe et la religion, de les relever et de les sanctionner. Or, la jurisprudence de ces juridictions ainsi que de la Cour suprĂȘme du Canada prĂ©sente des divergences et connaĂźt des revirements liĂ©s prĂ©cisĂ©ment Ă  l’évolution de la conception de la libertĂ© de religion. Ainsi, la libertĂ© de religion n’est pas absolue. L’article 1er de la Charte confĂšre aux tribunaux le pouvoir discrĂ©tionnaire d’imposer Ă  la libertĂ© religieuse des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se dĂ©monter dans le cadre d’une sociĂ©tĂ© libre et dĂ©mocratique ». En dehors de cette dĂ©finition de principe du droit aux accommodements raisonnables », il faut s’en remettre aux solutions dĂ©gagĂ©es par les juridictions pour chacun des cas d’espĂšce. Or, devant une juridiction, tout est sujet Ă  discussions au titre du droit aux accommodements raisonnables de la loi sur les droits de la personne. Ceci peut expliquer des solutions jurisprudentielles consacrant le droit de porter le voile intĂ©gral dans certaines circonstances de la vie civile et publique qui apparaĂźtraient inadmissibles en France. Ainsi, la Cour supĂ©rieure de l’Ontario a affirmĂ© le droit du juge Ă  dĂ©terminer les conditions de l’interrogatoire d’un tĂ©moin et l’a estimĂ© fondĂ© Ă  demander le retrait de son voile intĂ©gral Ă  une femme victime de viol qui refusait de l’îter devant la juridiction. NĂ©anmoins, la Cour a, par ailleurs, critiquĂ© les conditions dans lesquelles la dĂ©cision contestĂ©e Ă©tait intervenue en prĂ©cisant que le juge aurait dĂ», avant de prendre cette dĂ©cision, approfondir les motifs avancĂ©s par le tĂ©moin, analyser et apprĂ©cier la profondeur de ses motivations religieuses, ce qui n’avait pas Ă©tĂ© suffisamment fait en l’espĂšce. De mĂȘme, lors des contrĂŽles routiers, les policiers ne peuvent exiger le retrait du voile ; la femme portant un voile intĂ©gral peut voter sans se dĂ©couvrir. Le seul cas qui pourrait ĂȘtre considĂ©rĂ© comme attentatoire Ă  la dignitĂ© des femmes serait la polygamie mais la question est encore discutĂ©e. Cette attitude trĂšs libĂ©rale renvoie Ă  une vĂ©ritable culture politique qui imprĂšgne le droit et qui a amenĂ© la Cour suprĂȘme du Canada Ă  prĂ©ciser qu’il n’y avait aucune hiĂ©rarchie dans l’énoncĂ© des droits par la Charte. Mais cette culture et cet esprit des lois » canadiens dont dĂ©coule le principe du droit aux accommodements raisonnables » offre, par ailleurs, un cadre propice Ă  la multiplication des revendications identitaires les groupes religieux islamistes – suivant l’exemple de leurs prĂ©dĂ©cesseurs, Ă©glises adventistes, communautĂ© Bountiful 108 – ont compris qu’il valait mieux utiliser les arguments juridiques Ă  leur disposition – la Charte canadienne des droits et libertĂ©s, la loi sur les droits de la personne – et l’outil judiciaire pour revendiquer l’exercice de ce qu’ils considĂšrent comme leurs droits. On le voit, la pratique du port du voile intĂ©gral soulĂšve Ă  l’étranger, dans des sociĂ©tĂ©s aussi tolĂ©rantes que le Canada, comme sur le territoire national de vĂ©ritables questions de principe. Elle constitue pour les sociĂ©tĂ©s dĂ©mocratiques un vĂ©ritable dĂ©fi. III.– UN VÉRITABLE DÉFI PAR-DELÀ LE CONTRASTE DES SITUATIONS NATIONALES En plus des auditions et des dĂ©placements qu’elle a rĂ©alisĂ©s, la mission d’information a voulu s’enquĂ©rir auprĂšs des services diplomatiques français des manifestations que pouvait prendre Ă  travers le monde la pratique du port du voile intĂ©gral. À la lumiĂšre des informations communiquĂ©es par nos ambassades qu’il convient de remercier, on peut prendre la mesure de la diversitĂ© avec laquelle chaque sociĂ©tĂ© apprĂ©hende le phĂ©nomĂšne du voile intĂ©gral. Cette diversitĂ© des approches tient Ă©videmment Ă  l’importance relative de cette pratique et des problĂšmes qu’elle peut poser en termes de libertĂ©s et de sĂ©curitĂ© publiques mais Ă©galement Ă  la prĂ©sence de groupes musulmans intĂ©gristes radicaux au sein de chaque pays. Dans certains d’entre eux, cette pratique ne constitue pas mĂȘme un objet du dĂ©bat public en raison de la quasi-inexistence de ce vĂȘtement dans l’espace public et de l’absence de prises de position ou de revendications portant sur le voile intĂ©gral. A. UN PHÉNOMÈNE LARGEMENT INEXISTANT DANS LES PAYS D’EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE Cette situation prĂ©vaut dans la majeure partie des pays d’Europe. S’agissant des pays d’Europe centrale et orientale, nos services diplomatiques insistent sur l’absence de signalements concernant des jeunes femmes arborant un voile intĂ©gral ou de groupes islamiques radicaux prĂŽnant le port de cette tenue. Il en va ainsi en RĂ©publique tchĂšque, en Bulgarie, en Roumanie, en Hongrie, en Lettonie ou en Allemagne. 1. La RĂ©publique tchĂšque En RĂ©publique tchĂšque, la communautĂ© musulmane, trĂšs peu nombreuse et relativement bien intĂ©grĂ©e, se montre soucieuse de ne pas provoquer de dĂ©bats au sein du pays et ne revendique aucun droit en rapport avec des principes religieux, sinon que l’islam soit enseignĂ© de façon optionnelle dans les Ă©tablissements scolaires au mĂȘme titre que d’autres religions et que de nouveaux lieux de culte soient ouverts. Les organisations musulmanes officielles ne se sont pas exprimĂ©es sur le sujet du voile intĂ©gral. 2. La Bulgarie En Bulgarie, le voile intĂ©gral ne se rencontre que dans quelques cas trĂšs isolĂ©s, en l’occurrence ceux liĂ©s aux Ă©pouses de ressortissants Ă©trangers. Aucune femme voilĂ©e, mĂȘme lĂ©gĂšrement voilĂ©e, ne serait visible Ă  Sofia ou dans les principales villes du pays, la sociĂ©tĂ© bulgare tendant Ă  considĂ©rer cette tenue comme une discrimination Ă  l’égard des femmes. Dans ce pays oĂč l’islam est implantĂ© depuis le XVIe siĂšcle du fait de la conquĂȘte ottomane et se classe comme la deuxiĂšme religion du pays, existe de fait une tradition de tolĂ©rance partie intĂ©grante de l’identitĂ© nationale. Les courants radicaux, d’origine Ă©trangĂšre, ont enregistrĂ© jusqu’à prĂ©sent peu de succĂšs en Bulgarie. Les musulmans bulgares sont reprĂ©sentĂ©s par le Grand mufti de Sofia qui offre la figure d’un islam modĂ©rĂ©, bien intĂ©grĂ© dans l’État de droit et dans la sociĂ©tĂ©. À titre d’exemple, on ne relĂšve qu’un seul cas de contestation de la loi interdisant le port du voile Ă  l’école, requĂȘte rejetĂ©e par la commission de protection contre les discriminations et non soutenue par le Grand Mufti. En effet, d’aprĂšs le droit bulgare, l’expression publique d’appartenance Ă  une religion n’est pas limitĂ©e sous rĂ©serve de ne pas porter atteinte Ă  l’ordre public. 3. La Roumanie En Roumanie, oĂč les personnes de confession musulmane ne comptent que pour 0,3 % de la population, on ne rapporte pas davantage de cas de jeunes femmes portant le voile intĂ©gral. On ne constate aucune montĂ©e en puissance de courants radicaux. De mĂȘme, on ne recense aucune revendication Ă©manant des organisations musulmanes et visant Ă  Ă©tablir des rĂšgles dĂ©rogeant au droit commun. De fait, aucune manifestation ou attitude religieuse, port de vĂȘtements ou de symboles, n’a pour l’instant Ă©tĂ© perçue en Roumanie comme pouvant justifier une Ă©ventuelle rĂ©glementation restrictive Ă  la libertĂ© religieuse. 4. La Hongrie De mĂȘme en Hongrie, le voile intĂ©gral ne suscite aucun dĂ©bat public et ne pose aucun problĂšme pratique du fait de sa quasi-inexistence et de l’absence dans le pays d’un islam radical. Les organisations musulmanes hongroises ne dĂ©veloppent pas de revendications justifiĂ©es par des motifs religieux. Du reste, on ne connaĂźt pas d’exemples d’interdiction du voile intĂ©gral pour des motifs de sĂ©curitĂ© ou de nĂ©cessitĂ© d’identification. Il convient, en revanche, de noter que la Hongrie autorise le port du foulard dans l’espace public et dans les Ă©coles. Si un vĂȘtement religieux spĂ©cifique empĂȘchait, par exemple, un Ă©lĂšve de participer aux activitĂ©s scolaires, les autoritĂ©s hongroises estiment en effet que l’établissement scolaire peut rĂ©gler la question dans le cadre de ses propres compĂ©tences, par son rĂšglement intĂ©rieur. 5. L’Allemagne En Allemagne, la pratique du port du voile intĂ©gral n’occupe pas davantage le centre des dĂ©bats. Ce phĂ©nomĂšne semble en effet trĂšs marginal de sorte qu’il n’est pas apparu utile ou nĂ©cessaire Ă  la ConfĂ©rence allemande sur l’islam de se prononcer publiquement sur la question. De fait, d’aprĂšs le rapport Muslimisches Leben in Deutschland 109, 70 % des femmes musulmanes interrogĂ©es dĂ©clarent ne pas porter le foulard simple et 30 % d’entre elles indiquent le porter tous les jours ou occasionnellement. Il convient toutefois de remarquer que les femmes portant le voile se recensent pour l’essentiel parmi les femmes migrantes de la premiĂšre gĂ©nĂ©ration, femmes disposant de peu de contacts avec le reste de la population, maĂźtrisant souvent trĂšs peu la langue du pays et dĂ©pourvues de toute formation. De fait, on observe dans l’étude prĂ©citĂ©e que le taux de femmes portant le voile tous les jours dĂ©croĂźt pour les femmes de la deuxiĂšme gĂ©nĂ©ration. Du reste, la mise en place en septembre 2006 puis l’institutionnalisation de la ConfĂ©rence allemande de l’islam a contribuĂ©, en tant que lieux d’échange, Ă  conforter l’intĂ©gration Ă  la sociĂ©tĂ© allemande des populations d’origine musulmane et Ă  prĂ©venir la montĂ©e en puissance de groupes intĂ©gristes. Il faut dire que le dĂ©bat que pourrait susciter la pratique du port du voile intĂ©gral ne pose dans les mĂȘmes termes en Allemagne. La Loi fondamentale consacre le principe de neutralitĂ© de l’État vis-Ă -vis des religions. Il en dĂ©coule un dialogue organisĂ© et institutionnel entre la puissance publique État fĂ©dĂ©ral, LĂ€nder et communes et les communautĂ©s religieuses juridiquement reconnues telles que la ConfĂ©rence allemande de l’islam. En Allemagne, la neutralitĂ© n’est pas l’indiffĂ©rence puisque certaines questions doivent donner lieu Ă  une concertation entre l’État et les diffĂ©rentes communautĂ©s religieuses bĂ©nĂ©ficiant d’une reconnaissance juridique. Le principe de neutralitĂ© de l’État consacre le principe de la libertĂ© religieuse l’État ne peut interdire un culte, prescrire la maniĂšre dont chacun exerce sa libertĂ© de religion, prescrire aux communautĂ©s religieuses la maniĂšre dont elles doivent s’organiser. Dans cet esprit, la loi et la jurisprudence rendent lĂ©gitimes de nombreuses manifestations de croyances religieuses dans l’espace public. Par exemple, si un hĂŽpital n’a pas l’obligation constitutionnelle d’organiser ses services afin que les femmes qui le demandent aient la garantie d’ĂȘtre soignĂ©es par un personnel fĂ©minin, les autoritĂ©s estiment qu’il convient de tenir compte des convictions religieuses de la patiente et de lui assurer une prise en charge par des agents de sexe fĂ©minin si cela s’avĂšre possible. Les piscines amĂ©nagent des crĂ©neaux horaires spĂ©cifiques pour un public exclusivement fĂ©minin. S’agissant de la piĂšce d’identitĂ©, il est possible de se faire photographier avec un foulard Ă  la condition que le menton et le front soient dĂ©gagĂ©s. Le port du voile intĂ©gral ne semble avoir jamais posĂ© de difficultĂ©s dans les aĂ©roports pour contrĂŽler l’identitĂ© dĂšs lors que le contrĂŽle se dĂ©roule Ă  l’abri des regards. À l’école, les Ă©lĂšves sont autorisĂ©es Ă  porter un foulard simple dans l’enceinte de l’établissement. Il s’agit lĂ  de la manifestation du souci de respecter autant que possible l’expression de conviction religieuse que manifesterait le port d’une tenue et de limiter les restrictions pouvant lui ĂȘtre opposĂ©es. L’illustre assez bien l’arrĂȘt rendu par la Cour constitutionnelle le 24 septembre 2003. Dans cette espĂšce, la Cour a considĂ©rĂ©, en effet, que l’interdiction de porter le voile faite aux enseignantes, et au-delĂ  de celles-ci Ă  tout membre de la fonction publique, devait ĂȘtre fondĂ©e sur une base lĂ©gale. Six LĂ€nder ont, conformĂ©ment Ă  ce principe, adoptĂ© des textes lĂ©gislatifs interdisant aux enseignantes le port d’un signe ostensible d’appartenance religieuse Bade–WĂŒrtemberg, BrĂȘme, BaviĂšre, Basse–Saxe, RhĂ©nanie du Nord-Westphalie, Sarre. Les LĂ€nder de Berlin et de la Hesse ont Ă©tendu cette interdiction Ă  tout membre de la fonction publique. Les seuls cas oĂč la lĂ©gislation interdit ou permet l’interdiction de certains vĂȘtements ou le port de certains symboles se rĂ©vĂšlent relativement rares. Ils concernent essentiellement le port de symboles anticonstitutionnels, l’article 20 de la Loi fondamentale visant implicitement les symboles nazis. Toutefois, malgrĂ© le respect entourant l’expression de convictions religieuses, l’apparition de quelques voiles intĂ©graux crĂ©e nĂ©anmoins des remous dans l’opinion publique allemande. S’agissant de l’école, la presse nationale a ainsi relatĂ© les rĂ©actions suscitĂ©es par une affaire dans laquelle deux jeunes filles de dix-huit ans s’étaient prĂ©sentĂ©es Ă  leur lycĂ©e de Bonn vĂȘtues d’une burqa en mai 2006 et avaient Ă©tĂ© exclues des cours pendant deux semaines. MalgrĂ© un rĂšglement rapide sans action en justice, ce fait a donnĂ© lieu Ă  un dĂ©bat Ă  l’occasion duquel a Ă©tĂ© rĂ©clamĂ©e l’interdiction de la burqa dans les Ă©coles. En juin 2006, le ministre fĂ©dĂ©ral des Transports a fait savoir que la rĂ©glementation en vigueur n’autorisait pas, de fait, les femmes portant la burqa Ă  conduire un vĂ©hicule automobile puisque leur vue et leur ouĂŻe s’en trouvaient altĂ©rĂ©es. Le port du burqini 110 dans les piscines suscite Ă©galement des controverses. Ainsi, en 2009, devant le grand nombre de protestations reçues et le peu d’intĂ©rĂȘt manifestĂ© par les femmes concernĂ©es, le Land de Berlin a renoncĂ© Ă  Ă©tendre l’autorisation de baignade avec cette tenue qu’il avait accordĂ©e dans deux piscines Ă  titre expĂ©rimental, pendant les crĂ©neaux horaires rĂ©servĂ©s aux femmes. B. DES SOCIÉTÉS HEURTÉES PAR CE PHÉNOMÈNE 1. La SuĂšde La pratique du port du voile intĂ©gral se prĂ©sente en SuĂšde comme un phĂ©nomĂšne encore peu dĂ©veloppĂ© et relativement rĂ©cent. De fait, on ne dispose pas de chiffres concernant le nombre de jeunes femmes portant cette tenue. Les trĂšs rares cas recensĂ©s apparaissent insignifiants au regard d’une communautĂ© musulmane forte, d’aprĂšs les estimations, de 300 000 Ă  400 000 membres. Les problĂšmes de sĂ©curitĂ© et d’identification ne sont pas trĂšs frĂ©quents. Les communautĂ©s musulmanes s’expriment assez peu sur ce thĂšme dans les mĂ©dias. L’Ombudsman national instruit, en ce moment mĂȘme, sa premiĂšre plainte en rapport avec cette pratique, sur la saisine d’une Ă©tudiante en puĂ©riculture. Pour rĂ©cent et marginal qu’il soit, le phĂ©nomĂšne du voile intĂ©gral n’en suscite pas moins un vĂ©ritable dĂ©bat et des critiques au sein d’une sociĂ©tĂ© suĂ©doise trĂšs soucieuse de la paritĂ© entre les hommes et les femmes. Ainsi, selon les chiffres qui ont Ă©tĂ© communiquĂ©s Ă  la mission, 45 % des personnes interrogĂ©es se dĂ©clarent favorables Ă  une interdiction du foulard simple Ă  l’école et sur le lieu de travail. En 2003, l’Agence de l’Éducation avait jugĂ© que si le port du foulard ne posait a priori aucun problĂšme, une Ă©cole Ă©tait en droit d’interdire le port du voile intĂ©gral. Cette attitude de l’opinion publique et les positions prises par les institutions reflĂštent combien la paritĂ© homme-femme, l’égalitĂ© entre les individus constituent un socle fondamental du systĂšme de valeurs et de la vie de la sociĂ©tĂ© suĂ©doise. Par ailleurs, elles traduisent la difficultĂ© Ă©prouvĂ©e par une sociĂ©tĂ© trĂšs sĂ©cularisĂ©e Ă  concilier cette aspiration Ă  la paritĂ©, et un attachement non moins grand Ă  la libertĂ© de religion. En effet, la loi constitutionnelle sur laquelle repose depuis 1951 la libertĂ© de religion confĂšre aux citoyens le droit de pratiquer la religion de leur choix et, en consĂ©quence, la loi n’interdit pas le port de symboles religieux. Cela Ă©tant, la religion ne peut aller Ă  l’encontre ni des rĂšgles Ă©dictĂ©es par le lĂ©gislateur, ni de principes d’intĂ©rĂȘt supĂ©rieur pour la sociĂ©tĂ© suĂ©doise, tels que l’ordre public ou les droits et libertĂ©s d’autrui. Aussi, les institutions s’efforcent-elles de trouver des solutions de conciliation. L’Ombudsman national a, dans cet esprit, encouragĂ© les communes Ă  organiser des cours de natation sĂ©parĂ©s. Les employeurs ont Ă©tĂ© incitĂ©s Ă  trouver des compromis, s’agissant des tenues vestimentaires pouvant ĂȘtre portĂ©es sur le lieu de travail. En revanche, l’opinion publique et la classe politique ont unanimement rejetĂ© la proposition Ă©manant du prĂ©sident d’une organisation musulmane et qui tendait Ă  admettre l’édiction d’une lĂ©gislation spĂ©cifiquement applicable aux musulmans de SuĂšde dans certains domaines rĂšgles du divorce ou temps de priĂšre. 2. Le Danemark Les termes du dĂ©bat au Danemark prĂ©sentent d’assez grande similitude avec la situation observĂ©e en SuĂšde. Une enquĂȘte menĂ©e pour le Gouvernement danois par l’universitĂ© de Copenhague, citĂ©e dĂ©but janvier 2010 par la presse, rĂ©vĂšle que 3 femmes porteraient la burqa mais que 150 Ă  200 auraient revĂȘtu le niqab. 60 Ă  80 d’entre elles seraient des Danoises converties Ă  l’islam selon le quotidien Jylands-Posten. Cette pratique nourrit un dĂ©bat passionnĂ© dans l’opinion publique du fait des acteurs en prĂ©sence, d’un contexte particulier et des questions de principe soulevĂ©es. S’agissant des acteurs du dĂ©bat et des circonstances dans lesquelles il intervient, il convient de rappeler la maniĂšre dont le Danemark a Ă©tĂ© pris Ă  partie par des mouvements intĂ©gristes et radicaux depuis quelques annĂ©es. La crise des caricatures reprĂ©sentant le ProphĂšte Mahomet et les controverses violentes sur les thĂšmes du respect dĂ» aux religions et du blasphĂšme ont, en effet, provoquĂ© le dĂ©chaĂźnement de groupes intĂ©gristes qui ont organisĂ© des manifestations spectaculaires Ă  travers le monde Ă  l’encontre de ce pays. Au Danemark mĂȘme, des mouvements radicaux se sont emparĂ©s du dĂ©bat portant sur le hidjab, tenue par ailleurs largement tolĂ©rĂ©e dans la sociĂ©tĂ©. De fait, la pratique du port du voile intĂ©gral fait dĂ©bat dans la mesure oĂč la tradition nationale tend Ă  sacraliser l’égalitĂ© entre les hommes et les femmes et porte en elle-mĂȘme une conception de la libertĂ© de religion selon laquelle ce principe s’applique de maniĂšre absolue sous la seule rĂ©serve de la neutralitĂ© inhĂ©rente Ă  certaines fonctions publiques. Comme la SuĂšde, le Danemark doit dĂ©gager des solutions de compromis mĂ©nageant des principes fondamentaux tant dans l’esprit de la population qu’au plan juridique. La libertĂ© religieuse est un principe reconnu par la Constitution, laquelle dispose que nul ne peut, en raison de sa foi ou des origines, ĂȘtre privĂ© de ses droits civils et politiques, ni se soustraire Ă  l’accomplissement de ses devoirs civils ordinaires ». En vertu de ce principe, dans le cadre de la lĂ©gislation du travail, aucune interdiction d’un voile simple ou de signes religieux ostentatoires n’est imposĂ©e. Certaines incompatibilitĂ©s sont cependant admises telles que celles rĂ©sultant du port de l’uniforme de l’officier ou de la qualitĂ© de magistrat. Il convient de noter que si la loi islamique ne trouve pas d’application au Danemark, les imams peuvent cependant pratiquer des mariages selon le rite musulman, ce qui entraĂźne des consĂ©quences juridiques sur l’état civil des personnes. Les difficultĂ©s Ă©prouvĂ©es par le Danemark trouvent une autre illustration symbolique dans les polĂ©miques ayant pour objet le droit de porter un voile dans l’enceinte du Parlement ou devant les juridictions. Les dĂ©clarations en 2008 d’une candidate d’origine palestinienne affirmant vouloir se prĂ©senter au Parlement coiffĂ©e d’un hidjab et le rĂšglement interne autorisant le port du foulard dans l’enceinte parlementaire ont ainsi suscitĂ© de si violentes polĂ©miques que, sous la pression de l’opinion publique et de la classe politique, le gouvernement a procĂ©dĂ© Ă  l’annulation de ce rĂšglement. La disposition lĂ©gale instrument de cette annulation enjoint aux juges de ne pas apparaĂźtre dans une tenue telle qu’elle pourrait ĂȘtre comprise comme l’expression de sa religion ou comme l’expression d’une opinion spĂ©cifique sur des questions religieuses ou politiques ». À la suite des dĂ©bats qu’a connus le pays tout au long de l’annĂ©e 2009, le Premier ministre danois, M. Lars Loekke Rasmussen, a dĂ©clarĂ© le 19 janvier 2010 [
] la burqa et le niqab n’ont pas leur place dans la sociĂ©tĂ© danoise. Ils symbolisent une conception de la femme et de l’humanitĂ© Ă  laquelle nous sommes fondamentalement opposĂ©s et que nous voulons combattre dans la sociĂ©tĂ© danoise » [
]. C’est pourquoi nous souhaitons bannir ce vĂȘtement de la sociĂ©tĂ© danoise ». Tout en reconnaissant les limites juridiques » de l’interdiction du port de ce voile dans l’espace public, M. Lars Loekke Rasmussen a indiquĂ© que le gouvernement danois Ă©tait en train de discuter des moyens de limiter le port » de ce type de vĂȘtement pour appliquer sa politique anti-burqa, sans porter atteinte Ă  la Constitution danoise. C. DES SOCIÉTÉS SE SENTANT MISES EN CAUSE DANS LEUR IDENTITÉ ET DANS LEURS LIBERTÉS La possibilitĂ© d’un encadrement lĂ©gislatif ou rĂšglementaire du port du voile intĂ©gral constitue un sujet d’autant plus Ă  l’ordre du jour politique que certaines sociĂ©tĂ©s se sentent mises en cause dans leur identitĂ© et dans leurs libertĂ©s par cette pratique. Cette analyse correspond assez largement aux termes du dĂ©bat existant dans des pays tels la Belgique ou les Pays-Bas. Dans ces deux pays, en effet, le voile intĂ©gral occupe depuis quelques annĂ©es une place relativement importante parmi les prĂ©occupations de l’opinion publique, des formations politiques et du Parlement. 1. La Belgique Du dĂ©placement de la mission Ă  Bruxelles 111 et des informations transmises par l’ambassade de France, il ressort que la Belgique est confrontĂ©e Ă  un phĂ©nomĂšne certes rĂ©cent et sans doute marginal mais qui suscite un profond dĂ©bat. Le port du voile intĂ©gral apparaĂźt comme une pratique difficilement quantifiable, peut-ĂȘtre en augmentation mais presque insignifiante par rapport Ă  la communautĂ© musulmane. D’aprĂšs les reprĂ©sentants du Centre d’action laĂŻque CAL 112, on ne signalerait sur le territoire belge que 270 cas de femmes portant le voile intĂ©gral pour une communautĂ© musulmane pouvant ĂȘtre Ă©valuĂ©e entre 350 000 et 650 000 personnes. On observe certes la prĂ©sence de groupes radicaux composĂ©s de salafistes, de membres des FrĂšres musulmans et de self made muslims », radicaux Ă©clectiques prenant leur source dans un lien direct avec des thĂ©ologiens d’Arabie saoudite notamment via Internet et qui n’appartiennent Ă  aucune tendance institutionnalisĂ©e de l’islam. Toutefois, il apparaĂźt que la majoritĂ© des musulmans se dĂ©clare hostile au port du voile intĂ©gral. L’augmentation du nombre des femmes portant le voile intĂ©gral est davantage le signe d’une montĂ©e de l’orthodoxie que l’on observe Ă©galement dans d’autres religions qui pousse les fidĂšles Ă  exposer leur foi publiquement. Ce phĂ©nomĂšne n’est pas forcĂ©ment liĂ© au fondamentalisme et ne provoque donc pas systĂ©matiquement des conflits avec le reste de la sociĂ©tĂ©. Le fait qui retient actuellement le plus l’attention de l’opinion publique belge est la question du foulard et non celle du voile intĂ©gral. Ainsi une dĂ©putĂ©e a prĂȘtĂ© serment en foulard simple et des femmes mĂ©decins peuvent porter ce couvre-chef quand elles exercent. En revanche, une avocate a dĂ» retirer son foulard pour plaider et rĂ©cemment, des rĂšglements d’école ayant interdit le voile ont Ă©tĂ© portĂ©s devant le Conseil d’État qui a tranchĂ© sans prendre position au fond. On peut voir ici l’une des expressions des hĂ©sitations, sinon du malaise qu’éprouve la sociĂ©tĂ© belge dans son ensemble sur la question des lieux et des circonstances oĂč le port d’un foulard est concevable. Les mĂȘmes lignes de clivage peuvent se retrouver face au phĂ©nomĂšne du port du voile intĂ©gral. Comme en France, le dĂ©bat porte sur le niveau de la norme juridique et des autoritĂ©s Ă  mĂȘme d’interdire ou d’encadrer strictement cette pratique. Il n’existe pas de lĂ©gislation gĂ©nĂ©rale en Belgique relative Ă  la pratique du port du voile intĂ©gral. À l’échelon fĂ©dĂ©ral, Mme Christine Defraigne, sĂ©natrice, a lancĂ© le dĂ©bat en dĂ©posant au SĂ©nat une proposition de loi tendant Ă  interdire Ă  toute personne de circuler sur la voie publique et dans les lieux publics le visage masquĂ©, dĂ©guisĂ© ou dissimulĂ©. Mme Anne-Marie Lizin, sĂ©natrice et M. Alain Destesche, sĂ©nateur, ont dĂ©posĂ©, quant Ă  eux, une proposition de rĂ©solution portant sur la crĂ©ation d’une commission spĂ©cifique sur la question du port de la burqa en Belgique. MĂȘme s’il s’agit de la question du foulard, il convient Ă©galement de citer le dĂ©pĂŽt par le Mouvement rĂ©formateur, parti libĂ©ral de Belgique, de plusieurs projets de dĂ©crets devant les Parlements rĂ©gional et communautaire de Wallonie en octobre 2009. L’un de ces dĂ©crets prĂ©voit l’interdiction du port de tout signe religieux ostensible dans l’enseignement officiel mais seulement jusqu’à l’ñge de seize ans. Le caractĂšre relativement rĂ©cent de ces initiatives peut s’expliquer dans une certaine mesure par le fait que le dĂ©bat public porte davantage sur la question du foulard et que sur ce sujet, les formations politiques tardent Ă  prendre publiquement une position ferme. L’absence de lĂ©gislation gĂ©nĂ©rale sur le port du voile intĂ©gral tient Ă©galement aux difficultĂ©s que pose l’absence de fondements juridiques incontestables pour l’encadrement ou l’interdiction du port du voile intĂ©gral. En effet, la Constitution belge prĂ©voit, en son article 19, la libertĂ© des cultes, leur libre exercice public ainsi que la libertĂ© de manifester ses opinions en toute matiĂšre. Dans ce cadre, selon l’analyse qu’a exposĂ© Ă  la mission M. Édouard Delruelle, prĂ©sident du Centre pour l’ÉgalitĂ© des chances et la lutte contre le racisme 113, trois bases lĂ©gales pourraient servir de fondement Ă  une interdiction du voile intĂ©gral mais aucune ne se rĂ©vĂšle satisfaisante de son point de vue, l’ordre public ne peut ĂȘtre invoquĂ© que si l’identification des personnes est nĂ©cessaire conformĂ©ment Ă  la jurisprudence de la CEDH ; les notions de bonnes mƓurs et de morale publique, telles que dĂ©finies par la jurisprudence, n’incluent pas l’interdiction de se voiler le visage ; l’invocation des principes gĂ©nĂ©raux du droit ne serait pertinente que si un tribunal admettait le principe d’une interdiction reposant sur l’idĂ©e gĂ©nĂ©rale selon laquelle la personnalitĂ© juridique – d’oĂč dĂ©coule depuis le XIIIe siĂšcle la notion de droit subjectif – est fondamentalement liĂ©e Ă  la possibilitĂ© d’identifier une personne. De fait, en l’absence de lĂ©gislation gĂ©nĂ©rale, la question du port du voile intĂ©gral ne donne lieu actuellement qu’à des rĂšglements locaux de police pris par certains bourgmestres et dont le nombre, les motivations ainsi que la portĂ©e diffĂšrent sensiblement entre Flandres et Wallonie. On peut ici citer l’exemple des arrĂȘtĂ©s pris par deux bourgmestres rencontrĂ©s par les membres de la mission Ă  l’occasion de leur dĂ©placement Ă  Bruxelles 114. À la tĂȘte de la commune de Molenbeek, 80 000 habitants, situĂ©e Ă  la pĂ©riphĂ©rie de Bruxelles, M. Philippe Moureaux compte parmi les tout premiers bourgmestres Ă  avoir interdit le port du voile intĂ©gral sur le fondement de la nĂ©cessitĂ©, pour le maintien de l’ordre public, d’identifier les personnes. En 2005, aprĂšs consultation du Conseil des mosquĂ©es, qui ne s’est pas prononcĂ© contre une interdiction du voile intĂ©gral, il a pris un rĂšglement interdisant de se couvrir le visage dans l’espace public sauf autorisation du bourgmestre. En cas de violation de cette obligation, des procĂšs-verbaux sont dressĂ©s et des amendes administratives sont prononcĂ©es. Sur les 34 infractions constatĂ©es, 19 amendes ont Ă©tĂ© payĂ©es, 3 ont fait l’objet d’une procĂ©dure auprĂšs d’un huissier, un cas n’est pas poursuivi, 4 ne sont pas poursuivables, une personne est irrĂ©couvrable et 6 dossiers sont encore en cours. M. Philippe Moureaux a indiquĂ© Ă  la mission qu’à ce jour, la pratique est en rĂ©gression et des instructions ont Ă©tĂ© donnĂ©es afin de procĂ©der au constat de l’infraction avec tact se mettre Ă  l’écart, prĂ©fĂ©rer un procĂšs-verbal dressĂ© par une femme
. Un seul cas de provocation a pu ĂȘtre notĂ© une femme en voile intĂ©gral a souhaitĂ© rencontrer le bourgmestre. Elle a demandĂ© Ă  voir tous les textes qui prohibaient le port du voile intĂ©gral et est repartie avec une amende pour ne jamais revenir. Bourgmestre de Dison, 15 000 habitants, situĂ©e Ă  quinze kilomĂštres Ă  l’est de LiĂšge, M. Yvan Yllief a pris un rĂšglement identique Ă  la demande des mouvements fĂ©ministes et de la police locale, alors qu’une trentaine de femmes portait le voile intĂ©gral dans sa commune. Un dĂ©lai de grĂące d’un an a Ă©tĂ© laissĂ©. M. Yvan Yllief rapporte que le 1er janvier 2009, Ă  l’expiration de ce dĂ©lai de grĂące, une dizaine de femmes ont Ă©tĂ© verbalisĂ©es mais toutes ont indiquĂ© ne pas faire l’objet de pressions et ont acceptĂ© de retirer leur voile en prĂ©sence d’un homme. La procĂ©dure est la suivante interpellation, reconduite au domicile et dĂ©livrance d’une amende de 30 euros maximum. La contestation devant les tribunaux est systĂ©matique, qu’elle porte sur le rĂšglement ou sur les amendes individuelles. Aucune dĂ©cision de justice n’a encore Ă©tĂ© rendue. La consĂ©quence est que les femmes en voile intĂ©gral ne sortent plus de chez elles sauf pour le renouvellement de leur carte d’identitĂ©, pour lequel elles acceptent de retirer leur voile intĂ©gral mĂȘme en prĂ©sence d’un homme. L’importance de ces rĂšglements locaux de police constitue en soi une consĂ©quence de la complexitĂ© du paysage institutionnel belge. S’agissant du voile simple et des problĂšmes qu’il pose aux Ă©tablissements scolaires, la communautĂ© flamande s’est estimĂ©e compĂ©tente pour gĂ©nĂ©raliser dans son rĂ©seau l’interdiction du port du voile simple dans les Ă©tablissements scolaires. CĂŽtĂ© francophone, la question demeure pour l’instant du ressort de chaque Ă©cole, sauf intervention de la commune concernĂ©e. À titre d’exemple, la prĂ©sence de trois petites filles voilĂ©es Ă  l’école primaire de Dison a motivĂ© la prise d’un arrĂȘtĂ© communal d’interdiction du port du voile dans l’établissement, arrĂȘtĂ© jugĂ© rĂ©gulier par le Conseil d’État dans un arrĂȘt rendu le 7 octobre 2009. * * La rĂ©flexion sur la nĂ©cessitĂ© d’une mesure lĂ©gislative et l’ñpretĂ© des Ă©changes aux plans politique et juridique caractĂ©risent Ă©galement le dĂ©bat en cours depuis plusieurs annĂ©es aux Pays-Bas oĂč la question du port du voile intĂ©gral a donnĂ© lieu Ă  de nombreuses initiatives dans le cadre parlementaire. 2. Les Pays-Bas La question du port de signe religieux dans l’espace public au Pays-Bas intervient dans un contexte particulier. En effet, le mot laĂŻcitĂ© n’existant pas en nĂ©erlandais, si on veut aborder le sujet, il faut parler de sĂ©paration entre l’Église et l’État » scheiding tussen Kerk en Staat. Le principe de la sĂ©paration de l’Église et de l’État prĂ©voit que l’État reste neutre et traite toutes les religions de maniĂšre Ă©gale. Cela ne signifie pas que l’idĂ©e de laĂŻcitĂ© soit absente du dĂ©bat politique. La place de la religion dans la sociĂ©tĂ© nĂ©erlandaise a beaucoup Ă©voluĂ© au cours de ces derniĂšres dĂ©cennies 115. Bien que la population nĂ©erlandaise soit une des plus sĂ©cularisĂ©es du monde, l’attachement Ă  la laĂŻcitĂ© va en s’accentuant. Mais la laĂŻcitĂ© nĂ©erlandaise doit ĂȘtre interprĂ©tĂ©e comme donnant Ă  toutes les religions le droit Ă©gal de se manifester en public ; la sĂ©paration de l’Église et l’État n’a jamais signifiĂ© que l’espace public doit ĂȘtre libre de signes religieux. La question du foulard fait l’objet d’un dĂ©bat sensible aux Pays-Bas depuis 1985, annĂ©e au cours de laquelle les autoritĂ©s locales d’une ville 116 ont interdit Ă  des jeunes filles musulmanes de se couvrir la tĂȘte dans une Ă©cole publique. Face aux protestations des parents, le Parlement a fait rĂ©voquer l’interdiction. Une dĂ©cision adoptĂ©e en 1989 au sujet de la baignade mixte dans les Ă©coles est venue prĂ©ciser la position concernant les signes religieux, l’État Ă©tablissant que les principes gĂ©nĂ©raux de la libertĂ© de religion s’appliquent seulement aux Ă©coles publiques et peuvent ĂȘtre restreints dans le systĂšme privĂ©. Aujourd’hui, les signes religieux ostensibles posent rarement problĂšme dans la sphĂšre publique. Tant les tribunaux que la Commission pour l’égalitĂ© de traitement 117 CGB ont rĂ©pĂ©tĂ© Ă  plusieurs reprises que le foulard peut ĂȘtre interdit dans la sphĂšre publique seulement pour des motifs trĂšs restreints, comme des considĂ©rations de sĂ©curitĂ© ou une vĂ©ritable incompatibilitĂ© avec l’uniforme gouvernemental officiel. Pour ce qui est du voile intĂ©gral, en mars 2003, la CGB a maintenu l’interdiction dĂ©cidĂ©e par une Ă©cole d’Amsterdam concernant le voile intĂ©gral en classe. Dans cette affaire, la Commission a jugĂ© qu’un franc Ă©change entre l’élĂšve et l’enseignant Ă©tait plus important que le droit de porter le voile intĂ©gral. Ainsi, au Pays-Bas, le port de signes religieux ostensibles en particulier dans la fonction publique peut ĂȘtre interdit en se fondant sur une approche dite fonctionnelle », Ă©minemment pragmatique l’interdiction ne peut intervenir que si le port de ces signes est manifestement incompatible avec les fonctions exercĂ©es ou les devoirs qu’elles imposent. Le dĂ©bat sur le port du voile intĂ©gral illustre les rĂ©centes Ă©volutions laĂŻques que certains dĂ©finissent comme une francisation » de la politique nĂ©erlandaise. Le port du voile intĂ©gral ne concerne qu’une infime fraction de la population. En 2006, le rapport du groupe de travail installĂ© par le Gouvernement estimait que le nombre de femmes portant le voile intĂ©gral se situait entre 50 et 100. À ce jour, il n’existe pas d’étude chiffrĂ©e sĂ©rieuse sur ce point. Cependant, la question du port de voile intĂ©gral nourrit des dĂ©bats sociopolitiques virulents. Aux Pays-Bas, aucun texte lĂ©gislatif ou rĂšglementaire n’interdit le port du voile intĂ©gral dans les lieux publics. C’est le dĂ©putĂ© Geert Wilders, dissident du parti libĂ©ral VVD et fondateur du Parti pour la libertĂ© PVV, qui est Ă  l’origine du dĂ©bat politico-philosophique sur le voile intĂ©gral au Pays-Bas. Il a dĂ©posĂ© le 10 octobre 2005 une proposition de rĂ©solution tendant Ă  instaurer une interdiction gĂ©nĂ©rale du port du voile intĂ©gral dans les lieux publics. Le 20 dĂ©cembre 2005, la Seconde Chambre a acceptĂ© la proposition et a pris une rĂ©solution invitant le gouvernement Ă  Ă©dicter une telle interdiction gĂ©nĂ©rale. En rĂ©ponse Ă  cette rĂ©solution, le gouvernement a dĂ©signĂ©, en avril 2006, un groupe de travail composĂ© de juristes, de spĂ©cialistes de l’islam et d’un imam, chargĂ© de rĂ©flĂ©chir aux diffĂ©rentes solutions possibles. Ce rapport du groupe d’experts, publiĂ© le 3 novembre 2006, prĂ©conise des solutions in concreto applicables dans certains lieux ou dans certaines situations, rejetant la voie de l’interdiction gĂ©nĂ©rale. Le groupe de travail prĂ©fĂšre une solution qui se fonde sur des dispositions en vigueur et recommande une interdiction de tout vĂȘtement ou accessoire masquant l’identitĂ© d’une personne se limitant Ă  des lieux prĂ©cis ou Ă  des fonctions prĂ©cises. Il prĂŽne la mise en place de dispositions sectorielles. Pour les experts, il faut d’abord Ă©puiser toutes les voies sectorielles et, uniquement dans l’hypothĂšse oĂč elles se rĂ©vĂšlent insuffisantes, une interdiction plus gĂ©nĂ©rale pourrait alors ĂȘtre envisagĂ©e. Actuellement, diverses dispositions spĂ©cifiques permettent d’interdire ponctuellement ou localement le port du voile intĂ©gral. Il s’agit essentiellement de mesures de sĂ©curitĂ©. Le groupe de travail a indiquĂ© toutefois que le voile intĂ©gral n’était pas le seul code vestimentaire qui empĂȘche une identification, Ă©voquant le port obligatoire du casque sur les motos et scooters ainsi que le port de cagoule ou autres accessoires qui protĂšgent du froid. Ainsi, le groupe de travail a insistĂ© sur le fait que c’est uniquement dans des cas particuliers que se pose la question d’une identification efficace et nĂ©cessaire pour des raisons de sĂ©curitĂ©. Ceci vaut par exemple pour la fonction publique et de l’enseignement. Dans la fonction publique, le port du voile intĂ©gral est interdit sur la base d’une approche dite fonctionnelle ». C’est en se basant sur cette approche fonctionnelle que le ministre de l’Éducation envisage une interdiction du voile intĂ©gral dans les Ă©tablissements scolaires. Actuellement, il n’existe pas de rĂšgles gĂ©nĂ©rales. Plusieurs Ă©tablissements scolaires ont ainsi Ă©dictĂ© des interdictions, lesquelles ont Ă©tĂ© considĂ©rĂ©es comme lĂ©gitimes par la CGB. En 2004, celle-ci a, en effet, estimĂ© que les vĂȘtements couvrant le visage peuvent ĂȘtre interdits dans les Ă©tablissements scolaires parce qu’ils gĂȘnent l’identification ainsi que les relations personnelles et qu’ils constituent une source d’insĂ©curitĂ©. La Commission a toutefois prĂ©cisĂ© que les interdictions doivent ĂȘtre formulĂ©es de façon neutre » et ne contenir aucune allusion au fait que les vĂȘtements visĂ©s sont portĂ©s pour des raisons religieuses. À la suite du rapport du 3 novembre 2006, le gouvernement a annoncĂ© la prĂ©paration d’un projet de loi sur l’interdiction du voile intĂ©gral dans les Ă©tablissements de l’enseignement primaire et secondaire mais pas dans l’enseignement supĂ©rieur. Le projet de loi devait ĂȘtre prĂ©sentĂ© au Parlement au milieu de l’annĂ©e 2009, mais ne l’a toujours pas Ă©tĂ©, illustrant le malaise que toute rĂ©glementation sur le port du voile intĂ©gral suscite aux Pays-Bas. À cette mĂȘme fin, la loi sur les communes 118 permet Ă  certains conseils municipaux de prendre des arrĂȘtĂ©s qu’ils estiment nĂ©cessaires » pour des raisons de sĂ©curitĂ© publique. De tels arrĂȘtĂ©s ne peuvent pas ĂȘtre contestĂ©s s’ils sont motivĂ©s et s’ils obĂ©issent au principe de proportionnalitĂ©. Les experts du groupe de travail prĂ©cisent que ces interdictions communales ne peuvent pas aller jusqu’à exclure le port de voiles intĂ©graux tels que des burqas ou niqabs dans des lieux publics au sens strict tels que la rue ou des places publiques. Les interdictions doivent avoir un champ d’application encadrĂ© et limitĂ©. Ainsi, Ă  Maastricht, certaines dispositions communales encadrent les manifestations auxquelles donne lieu le carnaval. MalgrĂ© l’adoption des conclusions du groupe de travail par le Gouvernement et l’édiction de mesures spĂ©cifiques, le dĂ©bat sur le port du voile intĂ©gral a Ă©tĂ© relancĂ©. Le maire d’Amsterdam, M. Job Cohen, a ainsi publiquement envisagĂ© une rĂ©duction des allocations chĂŽmage des femmes portant le voile intĂ©gral et ne trouvant pas d’emploi pour cette raison. En 2006, un membre de son parti, M. Ahmed Aboutaleb, avait dĂ©jĂ  formulĂ© une telle proposition. Mais en 2007, le tribunal d’Amsterdam a rappelĂ© Ă  l’ordre la commune de Diemen aprĂšs que celle-ci eut effectivement retirĂ© l’indemnitĂ© d’assistance sociale d’une femme en burqa. En rĂ©action Ă  cette dĂ©cision, la Seconde Chambre du Parlement a adoptĂ© une rĂ©solution afin de permettre la rĂ©duction des indemnitĂ©s des femmes portant la burqa. Une rĂ©solution demandant Ă  mettre entiĂšrement fin Ă  l’indemnitĂ© n’a Ă©tĂ© soutenue que par le PVV Ă  l’époque. En 2007, le CDA Christen Democratish AppĂšl, parti des chrĂ©tiens dĂ©mocrates et la ChristenUnie ont votĂ© contre la proposition du PVV de retirer les indemnitĂ©s chĂŽmage aux porteuses de burqa. Le dĂ©bat sur le port du voile intĂ©gral au Pays-Bas est loin d’ĂȘtre achevĂ©, un apaisement semblait pourtant ĂȘtre intervenu Ă  la suite du rapport du groupe de travail. Si dĂ©bat parlementaire s’était enlisĂ© en 2006, la question est rĂ©apparue par la suite et de nouvelles initiatives parlementaires ont vu le jour. À la suite de la proposition de rĂ©solution tendant Ă  interdire le port du voile intĂ©gral du 10 octobre 2005, M. Geert Wilders a prĂ©sentĂ©, le 12 juillet 2007, une proposition de loi tendant Ă  modifier le code pĂ©nal afin que le port du voile intĂ©gral dans les lieux publics soit une infraction. Cette proposition prĂ©voit dans son article 1er que le port du voile intĂ©gral sera rĂ©primĂ© par une peine d’emprisonnement d’un maximum de douze jours ou une contravention de deuxiĂšme catĂ©gorie maximum de 3 350 euros. Le texte vise exclusivement le port du voile intĂ©gral burqa ou niqab et ne mentionne pas le port de casques ou de balaclava passe-montagne comme attendu par certains. Le CDA, qui avait largement soutenu la rĂ©solution de 2005 mais n’envisageait pas une interdiction qui concernerait exclusivement le voile intĂ©gral, souhaite, pour sa part, instaurer une prohibition plus neutre visant Ă  interdire l’ensemble des vĂȘtements permettant de masquer l’identitĂ© d’une personne afin de garantir l’ordre public et la sĂ©curitĂ©. En rĂ©action au texte du 12 juillet 2007 jugĂ© trop restrictif, le dĂ©putĂ© Henk Kamp VVD a dĂ©posĂ© Ă  son tour, le 24 janvier 2008, une proposition de loi tendant Ă  modifier la loi sur l’obligation d’identification ainsi que le code pĂ©nal. La proposition prĂ©voit l’interdiction du port de tout vĂȘtement ou accessoire empĂȘchant l’identification et Ă©rige en infraction pĂ©nale le fait de ne pas se conformer Ă  cette prescription. La peine encourue est une contravention de deuxiĂšme catĂ©gorie maximum de 3 350 euros. Ce texte ne vise donc pas exclusivement le voile intĂ©gral mais aussi les casques ou les balaclava passe-montagne. Le texte prĂ©voit un rĂ©gime d’exception si la personne masque son identitĂ© pour des raisons de sĂ©curitĂ©, de santĂ© ou si elle participe Ă  un Ă©vĂ©nement de nature culturelle ou commerciale autorisĂ© par le maire. Ainsi, le dĂ©bat trĂšs rĂ©cent sur l’éventuelle rĂ©duction voire la suppression des allocations chĂŽmage des femmes portant le voile intĂ©gral ainsi que le projet de loi du gouvernement sur l’interdiction du voile intĂ©gral dans les Ă©tablissements d’enseignement primaire et secondaire qui devrait ĂȘtre prĂ©sentĂ© au Parlement prochainement dĂ©montrent que le sujet fait encore polĂ©mique aujourd’hui et que cette question n’est pas encore rĂ©solue. Dans le mĂȘme sens, la CGB est saisie de plus en plus frĂ©quemment de litiges concernant le voile intĂ©gral. Ainsi, le 25 dĂ©cembre 2009, une jeune femme qui s’est vue refuser l’accĂšs au cabinet d’un mĂ©decin au motif qu’elle portait une burqa a saisi la Commission. Elle n’a pas pu assister Ă  la consultation de son fils ĂągĂ© de trois mois. Le porte-parole de la Commission a expliquĂ© que cette affaire Ă©tait de son ressort. En effet la fonction de mĂ©decin famille a pour objet de fournir un service qui ne peut pas ĂȘtre refusĂ© pour des motifs religieux ». D. DES PAYS CONFRONTÉS À DES SURENCHÈRES COMMUNAUTARISTES Dans des pays tels que le Canada, les États-Unis et le Royaume-Uni, on observe de vĂ©ritables surenchĂšres constitutives de dĂ©rives communautaristes. Il s’avĂšre, en effet, que des groupes musulmans radicaux et intĂ©gristes instrumentalisent les systĂšmes juridiques trĂšs favorables aux libertĂ©s et protecteurs des droits fondamentaux des individus pour obtenir la consĂ©cration de droits spĂ©cifiquement applicables aux habitants de confession ou d’origine musulmane. 1. Le Canada Au Canada, on l’a vu, cette dĂ©marche prospĂšre sur l’exploitation de la thĂ©orie juridique des droits aux accommodements raisonnables » voir p. 64 et suivantes. Notons toutefois que cette notion juridique suscite des interrogations de plus en plus prononcĂ©es dans ce pays. Aux États-Unis comme en Grande-Bretagne, on observe une pression plus diffuse, faite de recours devant les tribunaux invoquant la discrimination ou le non-respect de l’individu. 2. Les États-Unis La question du port du voile intĂ©gral y semble anecdotique. Il n’existe aucun recensement du nombre de jeunes femmes portant une telle tenue et les institutions islamiques reprĂ©sentatives ne se sont pas prononcĂ©es sur la question 119. Du reste, la communautĂ© musulmane, qui reprĂ©sente 0,6 % de la population totale 120, ne se signale pas par des revendications qui diffĂ©reraient de celles dĂ©fendues par d’autres groupes religieux. Ainsi, l’école, le sport ou la culture sont parfois organisĂ©s et dispensĂ©s par des organisations religieuses au sein de structures spĂ©cialisĂ©es. Par ailleurs, des solutions pratiques ont pu ĂȘtre trouvĂ©es qui permettent la prise en charge de femmes musulmanes par des mĂ©decins de sexe fĂ©minin. De fait, le caractĂšre extensif de la conception amĂ©ricaine de la libertĂ© religieuse peut expliquer que la question de la pratique du port du voile intĂ©gral ne soit rĂ©ellement apprĂ©hendĂ©e que par le prisme de la sĂ©curitĂ© publique et, depuis les attentats du 11 septembre 2001, de la prĂ©vention des actes terroristes. Aux origines de l’arrivĂ©e des PĂšres fondateurs dans le Nouveau monde, le primat confĂ©rĂ© au respect de la libertĂ© religieuse imprĂšgne en effet la sociĂ©tĂ© amĂ©ricaine et les pouvoirs publics. En atteste notamment le discours prononcĂ© le 5 juin au Caire par le PrĂ©sident Barack Obama qui a rappelĂ©, Ă  cette occasion, que du point de vue des États-Unis, le respect de libertĂ© religieuse garantit le droit de porter le voile. MĂȘme s’il Ă©tait question du hidjab, cette conception politique et culturelle de la libertĂ© religieuse favorise, jusqu’à un certain point, une relative tolĂ©rance vis-Ă -vis de pratiques telles que celle du port du voile intĂ©gral. En vertu du Premier amendement Ă  la Constitution des États-Unis, le CongrĂšs n’est pas, en effet, habilitĂ© Ă  adopter de loi empĂȘchant le libre exercice d’une religion ou Ă  Ă©dicter des rĂšgles particuliĂšres de nature Ă  avantager une religion par rapport Ă  une autre. Il en dĂ©coule le principe d’une neutralitĂ© absolue des pouvoirs publics en matiĂšre religieuse. Aussi, toute limitation Ă  l’expression de sa foi par un individu, y compris dans la sphĂšre publique, est regardĂ©e avec une grande circonspection, aussi bien par le lĂ©gislateur que par le juge et l’opinion. Dans sa jurisprudence fixĂ©e depuis 1990 121, la Cour suprĂȘme estime ainsi que les actes religieux ne peuvent ĂȘtre interdits que lorsqu’ils violent les devoirs sociaux ou mettent en danger l’ordre public comme ce fut le cas pour la polygamie. Ce faisant, la Cour suprĂȘme a procĂ©dĂ© Ă  un contrĂŽle plus souple des restrictions pouvant ĂȘtre imposĂ©es par un État Ă  l’exercice public d’une religion en abandonnant un strict contrĂŽle de proportionnalitĂ© entre la nature de l’atteinte et la mesure prise pour protĂ©ger l’intĂ©rĂȘt de l’État. Toutefois, il convient de noter que quatorze États fĂ©dĂ©rĂ©s ont pris, Ă  partir de 1999, des dispositions lĂ©gislatives consistant Ă  renforcer les droits des citoyens dans l’expression de leur foi. Ces dispositions ne sont cependant pas opposables aux rĂ©glementations prises par le Gouvernement fĂ©dĂ©ral. Si bien qu’aujourd’hui, l’autorisation du port du voile intĂ©gral demeure tributaire des restrictions prises par l’État fĂ©dĂ©ral pour assurer la sĂ©curitĂ© publique ainsi que des droits accordĂ©s aux citoyens par chaque État fĂ©dĂ©rĂ© et des solutions dĂ©gagĂ©es par les juridictions Ă  l’occasion de litiges particuliers. Au plan fĂ©dĂ©ral, la lĂ©gislation permet ainsi d’obtenir d’une personne qu’elle dĂ©voile son visage lors de contrĂŽles d’identitĂ© rĂ©alisĂ©s par des agences fĂ©dĂ©rales ; les photos apposĂ©es sur les passeports doivent laisser apparaĂźtre un visage nu. Un autre aperçu de la jurisprudence amĂ©ricaine est donnĂ© par la lecture de l’arrĂȘt rendu le 2 septembre 2005 par une cour d’appel de la Cour de district de Floride 122..En l’espĂšce, la Cour a donnĂ© raison Ă  l’État de Floride qui demandait Ă  une jeune femme, trois mois aprĂšs le 11 septembre 2001, de changer la photographie de son permis de conduire de sorte qu’elle y apparaisse Ă  visage dĂ©couvert et non pas voilĂ©e d’un hidjab ne laissant paraĂźtre que ses yeux. Si elle a reconnu le port du voile comme faisant partie de la croyance islamique et soulignĂ© la gravitĂ© de l’atteinte portĂ©e Ă  la loi, la Cour a cependant retenu que les femmes pouvaient s’en affranchir en prĂ©sence d’une femme ou d’un homme proche. Elle a accueilli les arguments de l’administration selon lesquels une femme photographe pouvait parfaitement prendre la photo et qu’une agent pouvait examiner le permis au cours d’un contrĂŽle routier. Au fond, le cadre juridique favorise des solutions de circonstance qui tĂ©moignent, de la part des pouvoirs publics, d’une grande circonspection vis-Ă -vis d’une interdiction formelle du port du voile intĂ©gral. Cette pratique suscite des interrogations similaires au Royaume-Uni qui ne sont pas sans consĂ©quence dĂšs lors qu’existent des groupes radicaux musulmans activistes. 3. Le Royaume-Uni À bien des Ă©gards, le Royaume-Uni, voisin de la France, fait actuellement l’expĂ©rience des limites d’une politique d’accueil des populations immigrĂ©es par le biais de la reconnaissance des communautĂ©s et de leurs droits dans une sociĂ©tĂ© multiculturelle. Certains journaux tentent rĂ©guliĂšrement de lancer le dĂ©bat mais sans grand succĂšs. La question du port du voile intĂ©gral n’a fait Ă©cho dans les mĂ©dias qu’à l’occasion d’une Ă©lection locale, lorsque le Home Secretary de l’époque, M. Jack Straw avait demandĂ© Ă  une jeune femme qui s’adressait Ă  lui de bien vouloir lui parler Ă  visage dĂ©couvert. De fait, la libertĂ© de porter le voile intĂ©gral ne fait pas l’objet de restrictions dĂ©finies par des textes lĂ©gislatifs. Il en va de mĂȘme s’agissant de la libertĂ© de porter des signes ostensibles d’appartenance Ă  une religion pour les agents des services publics. Dans ce cadre, on observe depuis quelques annĂ©es une multiplication des amĂ©nagements » officialisĂ©s par des textes loi, code pratique ou admis en fait dans l’organisation des services publics dont bĂ©nĂ©ficient entre autres les jeunes femmes musulmanes revendiquant le port du foulard. Ainsi, dans le cadre d’une activitĂ© professionnelle, une coiffeuse de confession musulmane portant le foulard a rĂ©cemment obtenu gain de cause lors de son procĂšs pour discrimination religieuse Ă  l’égard d’un salon de coiffure qui avait refusĂ© de l’embaucher au motif que le port d’un voile simple Ă©tait incompatible avec la prĂ©sentation demandĂ©e au personnel, lequel, devait incarner les performances de l’entreprise dans ce domaine d’activitĂ©. Certaines enseignes de grands magasins ont mis Ă  la disposition de leur personnel des uniformes amĂ©nagĂ©s permettant Ă  leurs employĂ©s de confession musulmane de porter un hidjab aux couleurs de l’enseigne et comportant son logo. L’advisory Conciliation and Arbitration Service ACAS 123 a Ă©dictĂ© un code de recommandation, aux termes duquel le code vestimentaire imposĂ© par l’employeur est prĂ©sentĂ© comme susceptible de constituer un motif quasi automatique de discrimination indirecte s’agissant par exemple du couvre-chef pour les hommes sikhs et les femmes musulmanes. En revanche, le port du voile simple relĂšve de la politique dĂ©finie par chaque Ă©tablissement scolaire. La consĂ©cration de ce principe dĂ©coule d’un jugement rendu par la Chambre des Lords en 2005 124, dans lequel la Chambre a estimĂ© qu’une Ă©cole pouvait interdire non seulement le niqab mais Ă©galement le jilbab. Le nouveau code pratique de mars 2007 prĂ©cise que les Ă©coles publiques ont le droit d’interdire aux Ă©lĂšves de porter le voile intĂ©gral pour des raisons de sĂ©curitĂ© et de qualitĂ© de l’enseignement. La question du port du voile intĂ©gral donne lieu Ă  des rĂ©ponses sectorielles et circonstanciĂ©es. Toute la difficultĂ© pour les pouvoirs publics et les juridictions rĂ©side dans la nĂ©cessitĂ© d’assurer le respect des croyances et la conciliation des diffĂ©rences, des droits propres Ă  chaque individu dans un espace public conçu comme nĂ©cessairement divers. Comme aux États-Unis, cette conception expose le pays Ă  une multiplication des demandes particuliĂšres qui, de la part de certains groupes religieux radicaux, peuvent s’assimiler Ă  une surenchĂšre. Citons que certains quartiers de Londres et des communes du grand Londres ont reçu le nom de Londonistan. On le voit, la pratique du port du voile intĂ©gral constitue un vĂ©ritable dĂ©fi pour les sociĂ©tĂ©s dĂ©mocratiques. À ce jour, chaque sociĂ©tĂ© s’efforce d’apporter des rĂ©ponses conformes Ă  son tempĂ©rament national. * * * La faiblesse du nombre de signalements de jeunes femmes portant cette tenue, le poids des motivations trĂšs personnelles ne sauraient en effet amener les pouvoirs publics Ă  traiter cette pratique comme un Ă©piphĂ©nomĂšne ». La pratique du port du voile intĂ©gral peut, en premier lieu, jeter l’opprobre sur l’islam en France ainsi que sur l’immense majoritĂ© de nos compatriotes d’origine ou de confession musulmane. Elle nourrit les amalgames et favorise la stigmatisation d’une frange de notre population qui entend faire pleinement partie de la communautĂ© nationale et mener son existence et, Ă©ventuellement, vivre sereinement sa foi dans le respect des lois de la RĂ©publique. C’est manifestement le voile intĂ©gral qui stigmatise les musulmans, comme un retour au Moyen Âge en plein XXIe siĂšcle. En second lieu, parce qu’elle rĂ©vĂšle les risques d’un enfermement communautariste, le dĂ©sarroi de certains habitants des quartiers populaires touchĂ©s par la paupĂ©risation et le travail de sape que rĂ©alisent des mouvements intĂ©gristes, la pratique du port du voile intĂ©gral remet profondĂ©ment, symboliquement, et concrĂštement en cause le pacte rĂ©publicain. La RĂ©publique ne se rĂ©duit, pas en vĂ©ritĂ©, Ă  des institutions politiques. Elle repose sur une histoire, des valeurs universelles que chacun peut s’approprier. La France, c’est avant tout une communautĂ© de citoyens animĂ©e d’un vouloir vivre ensemble. C’est sans doute cette exception française » qui vaut aujourd’hui Ă  notre pays d’ĂȘtre l’objet d’une attention toute particuliĂšre sur l’enjeu dĂ©cisif du port du voile intĂ©gral. Car plus qu’ailleurs, cette pratique relĂšve d’une question de principe elle est, en effet, un vĂ©ritable dĂ©fi lancĂ© aux valeurs de la RĂ©publique. DEUXIÈME PARTIE — UNE PRATIQUE AUX ANTIPODES DES VALEURS DE LA RÉPUBLIQUE Les personnes auditionnĂ©es par la mission ont trĂšs largement fait part de leurs inquiĂ©tudes pour la cohĂ©sion nationale que l’extension du port du voile intĂ©gral peut menacer. Cette pratique remet trĂšs clairement en cause les valeurs rĂ©publicaines auxquelles nous sommes tous attachĂ©s et son dĂ©veloppement ne manquerait pas d’ĂȘtre lourd de conflits dans notre sociĂ©tĂ©. Les membres de la mission ont constatĂ©, trĂšs rapidement, au cours des auditions que la question de la laĂŻcitĂ© n’était pas tout Ă  fait au cƓur de la problĂ©matique, mĂȘme si elle ne lui est pas totalement Ă©trangĂšre, en particulier parce que le port du voile intĂ©gral n’est pas une prescription de l’islam. Mais il a Ă©tĂ© vite tout Ă  fait Ă©vident que cette pratique remettait en cause le triptyque rĂ©publicain contenu dans notre devise. En cela, et comme l’a soulignĂ©, notamment, M. Patrick Gaubert, prĂ©sident de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisĂ©mitisme LICRA, le voile intĂ©gral est une atteinte au vivre ensemble » 125. Il constitue une intrusion violente et difficilement supportable dans notre RĂ©publique. Dans cet espace public qui est le lieu d’échanges et de rencontres entre les citoyens, cette pratique est une forme de repli sur soi, au nom d’une conception de la vie et de la sociĂ©tĂ© aux antipodes de la tradition de notre pays. Une telle pratique peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une atteinte permanente Ă  notre projet commun. Plus qu’une atteinte Ă  la laĂŻcitĂ©, cette pratique est une nĂ©gation du principe de libertĂ© parce qu’elle est la manifestation d’une oppression. Par son existence mĂȘme, le voile intĂ©gral bafoue aussi bien le principe d’égalitĂ© entre les sexes que celui d’égale dignitĂ© entre les ĂȘtres humains. Le voile intĂ©gral exprime enfin, et par nature, le refus de toute fraternitĂ© par le rejet de l’autre et la contestation frontale de notre conception du vivre-ensemble. I.– LE PRINCIPE DE LAÏCITÉ EN LISIÈRE DU DÉBAT De prime abord, la pratique du voile intĂ©gral semble contradictoire avec le principe de laĂŻcitĂ©. Mais Ă  bien y regarder, cette premiĂšre Ă©vidence mĂ©rite des nuances. En cela, le dĂ©bat sur le voile intĂ©gral se distingue trĂšs nettement de celui du foulard Ă  l’école que nous avons connu il y a plusieurs annĂ©es. A. RETOUR SUR LE PRINCIPE DE LAÏCITÉ Rappelons de maniĂšre rapide en quoi consiste le principe de laĂŻcitĂ©. 1. Un principe moteur dans la construction de notre vivre-ensemble Comme chacun le sait, c’est la loi du 9 dĂ©cembre 1905 de sĂ©paration des Églises et de l’État qui a consacrĂ© ce principe. Il peut se dĂ©cliner selon trois modalitĂ©s importantes la libertĂ© de conscience et le libre exercice des cultes sous les seules restrictions nĂ©cessaires au maintien de l’ordre public et la neutralitĂ© de la RĂ©publique qui ne reconnaĂźt ni ne salarie aucun culte. Mais comme le rappelait M. AndrĂ© Rossinot, la laĂŻcitĂ© est d’abord un idĂ©al avant d’ĂȘtre une norme juridique crĂ©atrice de droits et d’obligations. Le caractĂšre laĂŻque de la RĂ©publique ne sera dĂ©finitivement acquis que si toutes les composantes de la sociĂ©tĂ©, et notamment les populations issues de l’immigration, voient dans ce principe une chance, une garantie de pouvoir exercer librement leur culte et, plus gĂ©nĂ©ralement, une valeur indissociable des notions de libertĂ© et d’égalitĂ©. » 126 Le principe de laĂŻcitĂ© doit ĂȘtre – aujourd’hui plus encore qu’hier – l’un des moteurs les plus puissants de l’intĂ©gration. Il favorise l’insertion des plus jeunes dans la sociĂ©tĂ© en garantissant le respect de leur libre-arbitre dans le processus de transmission des savoirs. Il conditionne l’accĂšs de tous les Français Ă  la citoyennetĂ© rĂ©publicaine, en assurant la neutralitĂ© de l’État vis-Ă -vis des choix spirituels et religieux. Il permet, enfin, l’intĂ©gration Ă  la communautĂ© nationale de ceux qui rejoignent la France pour y travailler et y vivre, n’interfĂ©rant pas dans leur culture et leur religion tout en les protĂ©geant contre les discriminations et l’intolĂ©rance. 2. Un principe qui oblige l’État mais aussi les citoyens Les grands Ă©quilibres issus de la loi de 1905, auxquels l’article 1er de notre Constitution 127 a donnĂ© toute leur force, sont un Ă©lĂ©ment essentiel de notre contrat social corollaires de la libertĂ© de conscience, qui garantit Ă  chaque citoyen le libre choix de ses options spirituelles et religieuses, les articles 1er et 2 de cette loi expriment la volontĂ© des autoritĂ©s publiques de s’abstenir de toute intervention, de toute discrimination, de toute contrainte dans le domaine spirituel et religieux. Ils assurent les mĂȘmes droits aux croyants et Ă  ceux qui ne se rĂ©clament d’aucune religion. Ce principe de laĂŻcitĂ© a pour consĂ©quence la neutralitĂ© des services publics qui ne doivent comporter aucun emblĂšme religieux et dont les agents doivent s’abstenir de tout comportement dĂ©montrant une appartenance religieuse afin de respecter les croyances et convictions des usagers. Les agents publics et les usagers se trouvent ainsi dans le cadre de leur service dans une situation juridique diffĂ©rente, la libertĂ© d’expression des agents publics Ă©tant beaucoup plus restreinte que celle des usagers. Mais en retour, le principe de laĂŻcitĂ© interdit Ă  quiconque de se prĂ©valoir de ses croyances religieuses pour s’affranchir des rĂšgles communes rĂ©gissant les relations entre collectivitĂ©s publiques et particuliers. La RĂ©publique respecte bien toutes les croyances mais, en contrepartie, les citoyens doivent aussi respecter un devoir de discrĂ©tion dans l’extĂ©riorisation de leurs convictions religieuses. Comme le soulignait M. Patrice Billaud, vice-prĂ©sident du Grand orient de France Dans l’espace public, la libertĂ© individuelle doit s’exprimer dans les limites culturelles de la communautĂ© nationale Ă  une pĂ©riode donnĂ©e. » 128 Il convient donc de trouver un Ă©quilibre entre, d’une part, la libertĂ© de conscience et d’expression des convictions religieuses et, d’autre part, la libertĂ© d’autrui et le respect de la neutralitĂ© dans la sphĂšre publique. C’est Ă  cet Ă©quilibre que le PrĂ©sident de la RĂ©publique, M. Nicolas Sarkozy, a fait rĂ©fĂ©rence de maniĂšre trĂšs explicite dans sa tribune dans le quotidien Le Monde, le 9 dĂ©cembre 2009, en faisant appel Ă  un esprit de tolĂ©rance pour que le respect des diffĂ©rences ne soit pas perçu comme une menace pour la volontĂ© de vivre ensemble. C’est ainsi qu’il a Ă©crit Car une fois encore, la laĂŻcitĂ© ce n’est pas le refus de toutes les religions, mais le respect de toutes les croyances. C’est un principe de neutralitĂ©, ce n’est pas un principe d’indiffĂ©rence. » Il ajoutait pour conclure son article 
chacun doit savoir se garder de toute ostentation et de toute provocation et, conscient de la chance qu’il a de vivre sur une terre de libertĂ© doit pratiquer son culte avec l’humble discrĂ©tion qui tĂ©moigne non de la tiĂ©deur de ses convictions mais du respect fraternel qu’il Ă©prouve vis-Ă -vis de celui qui ne pense pas comme lui, avec lequel il veut vivre » 129. Le Conseil constitutionnel dans sa dĂ©cision du 19 novembre 2004 sur les traitĂ©s europĂ©ens 130 a d’ailleurs soulignĂ© que la Convention europĂ©enne des droits de l’homme et de sauvegarde des libertĂ©s fondamentales CEDH avait pris acte de la valeur du principe de laĂŻcitĂ© en reconnaissant aux États une large marge d’apprĂ©ciation pour dĂ©finir les mesures les plus appropriĂ©es pour concilier libertĂ© du culte et principe de laĂŻcitĂ©. En fait, la question du port du voile intĂ©gral pose beaucoup plus la question de la diffĂ©renciation des droits entre citoyens que de l’application de la laĂŻcitĂ©. Certaines personnes auditionnĂ©es par la mission ont cherchĂ© Ă  faire une comparaison entre le port du foulard Ă  l’école et celui du voile intĂ©gral au regard du principe de laĂŻcitĂ©. Un consensus s’est dĂ©gagĂ© cependant pour relever les diffĂ©rences fondamentales entre les deux situations. La mission estime que ces deux questions sont tout Ă  fait distinctes et ne mettent pas en jeu de la mĂȘme façon le principe de laĂŻcitĂ©. B. LE PORT DU FOULARD ISLAMIQUE ET DU VOILE INTÉGRAL RENVOIENT À DES PROBLÉMATIQUES DISTINCTES 1. Le foulard Ă  l’école un signe ostensiblement religieux dans un lieu particulier La loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laĂŻcitĂ©, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les Ă©coles, collĂšges et lycĂ©es publics a introduit dans le code de l’éducation les dispositions suivantes Art. L. 141-5-1. – Dans les Ă©coles, les collĂšges et les lycĂ©es publics, le port de signes ou tenues par lesquels les Ă©lĂšves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. Le rĂšglement intĂ©rieur rappelle que la mise en Ɠuvre d’une procĂ©dure disciplinaire est prĂ©cĂ©dĂ©e d’un dialogue avec l’élĂšve. » On se souvient des dĂ©bats que le vote de cette loi suscitĂšrent avec la remise du rapport de la mission d’information sur les signes religieux Ă  l’école prĂ©sidĂ©e par M. Jean-Louis DebrĂ©, alors prĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale 131 et celui de la commission prĂ©sidĂ©e par M. Bernard Stasi 132. Le parallĂšle entre le dĂ©bat sur foulard islamique et le voile intĂ©gral tient Ă©videmment au fait que l’on parle du port d’un signe vestimentaire ayant une symbolique religieuse – en tout cas pour certains, et avec les nuances que nous avons apportĂ©es dans la premiĂšre partie Ă  ce sujet. Évidemment, la question de la visibilitĂ© de l’islam en France peut sembler Ă©galement conjuguer les deux dĂ©bats. Mais des diffĂ©rences trĂšs fortes apparaissent dĂšs que l’on se penche plus prĂ©cisĂ©ment sur la pratique du port du voile intĂ©gral. Ces particularitĂ©s sont de deux ordres tout d’abord, en 2004 on visait un service public, oĂč pouvait donc s’appliquer trĂšs clairement le principe de laĂŻcitĂ© ; ensuite, il s’agissait d’un service public bien particulier, celui de l’enseignement maternel, primaire et secondaire, lequel concerne des enfants et des adolescents, dont on considĂšre qu’ils doivent lĂ©gitimement bĂ©nĂ©ficier d’une protection renforcĂ©e. Tout en ayant la libertĂ© de conscience, ils n’ont sans doute pas la maturitĂ© suffisante pour forger leur conscience de maniĂšre totalement libre ; c’est la raison pour laquelle on considĂšre que la disparition de tout signe qui manifeste ostensiblement une appartenance religieuse est conforme Ă  l’exigence de laĂŻcitĂ©. Lors de son audition, le professeur Denys de BĂ©chillon a insistĂ© sur la spĂ©cificitĂ© de la loi de 2004. Il a ainsi dĂ©clarĂ© L’esprit de cette loi est que l’État est porteur d’une responsabilitĂ© singuliĂšre Ă  leur Ă©gard. Il est donc trĂšs logique que cette mĂȘme loi ne prĂ©voie rien de tel Ă  l’adresse des Ă©tudiants des universitĂ©s, par exemple. On n’y a plus affaire Ă  des enfants prĂ©sumĂ©s mallĂ©ables, mais Ă  de jeunes adultes dont le discernement est Ă©tabli ou doit ĂȘtre prĂ©sumĂ©. Il n’y a donc pas lieu de les protĂ©ger. » 133 Parmi les personnes entendues par la mission – et notamment les principaux de collĂšges ou les proviseurs de lycĂ©es rencontrĂ©s lors des dĂ©placements – un consensus semble s’établir pour constater que la loi de 2004 a fortement rĂ©duit les problĂšmes qui avaient pu rĂ©sulter du port du foulard dans les Ă©tablissements publics d’enseignement les jeunes filles qui portent le foulard se dĂ©voilent dĂ©sormais Ă  l’entrĂ©e des Ă©tablissements. L’école peut ainsi demeurer un terrain neutre. Chacun reconnaĂźt aussi le cĂŽtĂ© positif de la dĂ©marche de mĂ©diation obligatoire imposĂ©e par la loi de 2004 avant toute dĂ©cision de sanction. Comme le constatait Mme Hanifa ChĂ©rifi 134 dans son premier rapport sur l’application de la loi, un an aprĂšs l’entrĂ©e en vigueur du dispositif, le nombre d’exclusion Ă©tait restĂ© marginal pour atteindre 47 pour l’annĂ©e 2005 pour 639 Ă©lĂšves portant des signes ostensibles. De mĂȘme, rien n’indique que cette loi a conduit Ă  une dĂ©scolarisation massive des jeunes filles ni Ă  un transfert notable au bĂ©nĂ©fice de l’enseignement confessionnel musulman ou non. Des difficultĂ©s subsistent nĂ©anmoins concernant notamment les cours de natation, comme cela a Ă©tĂ© signalĂ© Ă  la mission, Ă  Lyon et Ă  Marseille par exemple. L’absentĂ©isme y est considĂ©rable dans certains Ă©tablissements ; de nombreuses jeunes filles trouvent moyen d’obtenir des certificats mĂ©dicaux de complaisance pour ne pas suivre cet enseignement, ce qui n’est Ă©videmment pas acceptable. Lors de son audition, Mme Annie Sugier, prĂ©sidente de la Ligue du droit international des femmes, a fait le mĂȘme constat Alors que le sport compte 30 % de licenciĂ©s au niveau national, ils ne sont plus que 10 % dans les citĂ©s, dont un quart de filles. Le monde du sport ne doit pas rester indiffĂ©rent Ă  la lente exclusion des filles des domaines sportifs. » 135 La loi de 2004 n’a pas mis fin au phĂ©nomĂšne du port du foulard. Ce n’était pas son objet qui Ă©tait de prĂ©server la neutralitĂ© de l’enseignement public. En cela, elle constitue une rĂ©ussite. 2. Le voile intĂ©gral une pratique contestĂ©e dans un espace indĂ©terminĂ© Lors de l’audition du 16 dĂ©cembre 2009, M. Xavier Darcos, ministre du Travail, des relations sociales, de la famille, de la solidaritĂ© et de la ville a bien rĂ©sumĂ© les principes juridiques mis respectivement en jeu par le foulard islamique et le voile intĂ©gral. Parlant de la loi de 2004, il a estimĂ© que Cinq ans plus tard, chacun s’accorde Ă  reconnaĂźtre que cette loi a permis de trouver un Ă©quilibre entre deux principes auxquels nous sommes trĂšs attachĂ©s la neutralitĂ© de l’espace scolaire et la libertĂ© reconnue Ă  chacun de pratiquer le culte de son choix. » 136 Selon lui, la mĂ©thode utilisĂ©e pour la loi sur les signes religieux Ă  l’école constitue un prĂ©cĂ©dent dont on pourrait ĂȘtre tentĂ© de s’inspirer pour rĂ©pondre Ă  la question du voile intĂ©gral. Mais M. Xavier Darcos a aussi appelĂ© Ă  la prudence car ces deux questions sont, en rĂ©alitĂ©, fort Ă©loignĂ©es l’une de l’autre. » La question de la laĂŻcitĂ©, notamment, ne se pose pas dans les mĂȘmes termes. Dans le cas de l’interdiction du voile Ă  l’école, il allait de soi que l’expression d’une conviction religieuse entrait en contradiction avec le caractĂšre laĂŻque de l’institution scolaire. Le cadre Ă©tait celui d’un espace circonscrit et d’une rĂšgle d’interdiction parfaitement claire. Le port du voile intĂ©gral se pratique dans un espace indĂ©terminĂ© oĂč l’expression d’une opinion, mĂȘme religieuse, est un droit fondamental. Interdire le port du voile intĂ©gral au nom du principe de laĂŻcitĂ© reviendrait, Ă  mon sens, Ă  redĂ©finir radicalement la portĂ©e de ce principe pour le rendre applicable non seulement aux services publics, mais aussi Ă  la totalitĂ© de l’espace public. À supposer qu’une telle solution soit constitutionnelle, elle constituerait une rĂ©ponse sans doute excessive, parce que trop gĂ©nĂ©rale, au problĂšme trĂšs particulier du port du voile intĂ©gral. » 137 M. Xavier Darcos a, par ailleurs, soulignĂ© que ces deux questions participent de deux approches trĂšs diffĂ©rentes de la libertĂ© individuelle La loi interdisant le port ostensible des signes religieux Ă  l’école participait d’une volontĂ© de protĂ©ger les jeunes filles mineures de tout prosĂ©lytisme. L’institution scolaire considĂšre, en effet, que la libertĂ© d’opinion ou de croyance d’élĂšves encore jeunes et insuffisamment Ă©clairĂ©s n’est pas pleine et entiĂšre. Dans le cas qui nous occupe, le port du voile intĂ©gral n’est pas le fait de jeunes filles dont le discernement serait altĂ©rĂ©, mais de femmes adultes, qui, pour la plupart, affirment porter volontairement ce vĂȘtement. » 138 Pour rĂ©pondre Ă  la question posĂ©e par le port du voile intĂ©gral, il n’est donc pas possible de s’inspirer directement de la loi de 2004. Cette pratique suppose des solutions qui lui sont propres. Comme nous l’avons dĂ©jĂ  mentionnĂ©, un point cependant doit attirer notre attention ; c’est l’obligation faite en 2004 de passer nĂ©cessairement par une mĂ©diation avant d’appliquer la loi dans toute sa rigueur. Ce dialogue prĂ©alable est un bon principe. Nous verrons dans la derniĂšre partie du rapport comment le mettre en Ɠuvre pour le voile intĂ©gral. 3. Une atteinte Ă  la laĂŻcitĂ© au sens philosophique du terme plus qu’au sens juridique Le port du voile intĂ©gral dans l’espace public n’est pas, en soi, une atteinte au principe de laĂŻcitĂ© juridiquement parlant. Car le respect de ce principe s’impose aux collectivitĂ©s publiques et non aux individus qui sont libres de manifester leurs convictions religieuses ou spirituelles Ă  partir du moment oĂč ils respectent autrui ainsi que l’ordre public. Cette analyse a fait l’unanimitĂ© des professeurs de droit auditionnĂ©s par la mission 139. Pour le professeur Bertrand Mathieu 140, le principe de laĂŻcitĂ© est inopĂ©rant pour rĂ©glementer cette pratique car, en droit français, il ne peut pas conduire Ă  interdire de maniĂšre gĂ©nĂ©rale la manifestation publique d’opinions religieuses dans la sphĂšre sociale. » Il convient de garder Ă  l’esprit que dans un souci de protection des libertĂ©s, ce sont l’État, les pouvoirs publics et les services publics qui sont soumis au principe de laĂŻcitĂ©, non les individus, le corps social et l’espace public. On ne peut donc pas justifier une rĂ©glementation gĂ©nĂ©rale du port de vĂȘtements manifestant une opinion religieuse par ce principe lorsque sont en jeu non pas les rapports entre les individus et les pouvoirs publics ou les services publics, mais les rapports entre personnes. En outre, il faudrait alors rĂ©glementer l’usage de tout vĂȘtement symbolisant une identitĂ© religieuse en public, ce qui n’est pas imaginable. Le professeur Guy Carcassonne partage ce point de vue et rĂ©fute le recours Ă  ce principe pour justifier d’une interdiction du voile intĂ©gral. Il a ainsi indiquĂ© lors de son audition que La laĂŻcitĂ© n’est pas un fondement imaginable comme vous le savez, ce principe s’impose Ă  la RĂ©publique, en aucun cas aux citoyens. La RĂ©publique peut se fixer des rĂšgles, procĂ©dant de la notion de neutralitĂ©, mais elle ne peut y soumettre les consciences. Sur le plan pratique, une loi d’interdiction fondĂ©e sur la laĂŻcitĂ© ouvrirait une brĂšche tous les signes extĂ©rieurs d’appartenance religieuse seraient prohibĂ©s, sauf Ă  introduire des discriminations injustifiables. » 141 Certes, lors de son audition par la mission, M. Hubert Sage, reprĂ©sentant l’Association des libres penseurs de France, a plaidĂ©, quant Ă  lui, pour un ordre public laĂŻc et a justifiĂ© une interdiction du voile intĂ©gral au nom de ce principe. Il a ainsi dĂ©clarĂ© Nous considĂ©rons que l’interdiction du port du voile intĂ©gral ne doit pas seulement relever d’un impĂ©ratif de sĂ©curitĂ© publique – il suffirait de faire appliquer les lois existantes – mais doit ĂȘtre prononcĂ©e au nom de notre ordre public laĂŻc, qui garantit les libertĂ©s individuelles et prĂ©serve les opinions d’autrui. » 142 Mais, par cette dĂ©claration, M. Hubert Sage n’adoptait pas une prise de position juridique ; il signifiait qu’au nom de la neutralitĂ© de l’espace public, il fallait trouver des solutions permettant d’endiguer l’extension du port du voile intĂ©gral. C’est aussi le sens de l’intervention de Mme Yvette Roudy ou de M. Antoine Sfeir, lorsqu’ils furent auditionnĂ©s par la mission. C’est ainsi que Mme Yvette Roudy a dĂ©clarĂ© ...c’est notre RĂ©publique, notre État de droit, notre principe de laĂŻcitĂ© qui se trouvent attaquĂ©s. Or le principe de laĂŻcitĂ© est inscrit dans la Constitution. Il serait inconstitutionnel d’accepter de revenir dessus. Nous devons ĂȘtre fiers de ce principe de laĂŻcitĂ©, qui est propre Ă  la France. » 143 Quant Ă  M. Antoine Sfeir, il a rappelĂ© la dimension pacificatrice de la laĂŻcitĂ© Le dĂ©bat sur la burqa doit ĂȘtre replacĂ© sur ses deux pieds la laĂŻcitĂ© et l’intĂ©gration. Ce sont les fondements de la RĂ©publique l’intĂ©gration dans la citoyennetĂ© et une laĂŻcitĂ© qui englobe, quand les religions dĂ©nouent les liens sociaux. Il ne faut pas confondre la religion, organisation temporelle d’une communautĂ©, et la foi, adhĂ©sion volontariste Ă  une croyance. Contrairement Ă  ce que veut signifier le voile, la foi reste cantonnĂ©e Ă  la sphĂšre privĂ©e et ne prĂ©tend pas s’approprier la sphĂšre publique. [
] Mais la loi de 1905 est parfaitement claire et sĂ©pare, de façon tranchĂ©e, la sphĂšre publique et la sphĂšre privĂ©e. En aucun cas notre laĂŻcitĂ© ne doit ĂȘtre anti-religieuse, ou mĂȘme areligieuse. Elle doit ĂȘtre gĂ©nĂ©reuse, ouverte, partagĂ©e. » 144 Les dispositions de la loi de 1905 ne sont donc pas violĂ©es en tant que telles, par le voile intĂ©gral mais l’esprit du principe de laĂŻcitĂ© est manifestement malmenĂ©. C’est sans doute plus solidement encore sur le fondement du triptyque rĂ©publicain classique qu’il faut s’appuyer. On constate que la pratique du voile intĂ©gral se rĂ©vĂšle contraire aux trois principes de notre devise. Elle ne lui est pas seulement contraire ; elle porte, en elle, les germes d’une remise en cause de ses principes. II.– LA NÉGATION DE LA LIBERTÉ Le voile intĂ©gral nie le principe de libertĂ© sur plusieurs plans. Mais il faut d’abord Ă©vacuer une question celle de la libertĂ© de se vĂȘtir. Cette libertĂ© n’est pas un absolu et comme toute libertĂ©, elle peut souffrir de limitations. ImposĂ© par la contrainte ou par la pression individuelle ou sociale, le voile intĂ©gral nie clairement la libertĂ© de choix des femmes. C’est, Ă  l’évidence, le cas pour les mineures, surtout les plus jeunes d’entre elles. Le port du voile intĂ©gral traduit aussi des dĂ©rives de nature sectaire dont on connaĂźt les consĂ©quences terribles pour les individus qui les subissent. Lutter contre le port du voile intĂ©gral c’est donc faire Ɠuvre de libĂ©ration. A. LA LIBERTÉ DE SE VÊTIR EN QUESTION 1. Si la libertĂ© de se vĂȘtir n’est pas absolue Une premiĂšre difficultĂ© apparaĂźt, de prime abord, sur la maniĂšre de qualifier le port du voile. S’agit-il vraiment d’une simple question de libertĂ© de se vĂȘtir Ă  sa guise ? Au-delĂ  de la question vestimentaire, ne voit-on pas dans cette piĂšce de tissu un tout autre symbole ? Pour certaines des personnes entendues, comme Mme Élisabeth Badinter, il n’est d’ailleurs pas Ă©vident de qualifier de vĂȘtement un tissu qui recouvre le visage alors que mĂȘme le visage n’a jamais l’objet d’un tel traitement dans les sociĂ©tĂ©s occidentales. La libertĂ© de se vĂȘtir n’est Ă©voquĂ©e par aucun des textes fondamentaux rĂ©gissant la RĂ©publique française. Sans doute, est-ce parce que cela a semblĂ© une Ă©vidence. En effet, il n’est habituellement pas discutĂ© que ce droit est une application Ă©lĂ©mentaire et Ă©vidente du droit naturel Ă  la libertĂ©, laquelle consiste, selon la DĂ©claration des droits de 1789, Ă  pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas Ă  autrui » article 4. Et comme, poursuit la DĂ©claration de 1789 La Loi n’a le droit de dĂ©fendre que les actions nuisibles Ă  la sociĂ©tĂ©. Tout ce qui n’est pas dĂ©fendu par la Loi ne peut ĂȘtre empĂȘchĂ©, et nul ne peut ĂȘtre contraint Ă  faire ce qu’elle n’ordonne pas. » article 5. Il est vrai aussi que notre droit s’est internationalisĂ© et que notre ordre juridique intĂ©rieur est dĂ©sormais coiffĂ© par des textes de degrĂ© supĂ©rieur dans l’échelle des normes, en particulier par la CEDH 1950 et la Charte des droits fondamentaux de l’Union europĂ©enne entrĂ©e en vigueur le 1er dĂ©cembre 2009. Mais c’est en vain qu’on y cherche une quelconque allusion directe Ă  la libertĂ© de se vĂȘtir Ă  sa guise. Certains ont pu Ă©voquer la possibilitĂ© de rattacher le port du voile intĂ©gral Ă  la libertĂ© de pensĂ©e, de conscience voire de religion dĂ©finie par les deux textes prĂ©citĂ©s comme la libertĂ© de manifester sa religion individuellement ou collectivement, en public ou en privĂ©, par le culte, les pratiques et l’accomplissement des rites article 9 de la CEDH et article 10 de la Charte des droits fondamentaux. M. Bertrand Louvel, prĂ©sident de chambre Ă  la Cour de Cassation a ainsi expliquĂ© au sujet de la libertĂ© de se vĂȘtir La DĂ©claration de 1789 permet une protection trĂšs forte du droit de se vĂȘtir de la maniĂšre que l’on veut en France. L’annulation rĂ©cente par le juge administratif d’un arrĂȘtĂ© du maire d’une station balnĂ©aire en est une nouvelle preuve 145 l’édile avait cru pouvoir interdire aux hommes de se promener en tenue de bain dans les rues de sa commune, estimant cette tenue contraire Ă  la dĂ©cence. La juridiction administrative a jugĂ© qu’aucun motif suffisant ne fondait cette interdiction. Comme on le constate, le droit de se vĂȘtir comme on veut est trĂšs fortement protĂ©gĂ© dans notre environnement juridique » 146. La juridiction administrative a jugĂ©, en l’espĂšce, qu’une telle mesure ne rĂ©pondait Ă  aucun impĂ©ratif de sĂ»retĂ©, de sĂ©curitĂ© ou de salubritĂ© publique, et que la simple allĂ©gation d’immoralitĂ© d’une tenue vestimentaire, Ă  la supposer Ă©tablie, car il s’agit lĂ  d’une apprĂ©ciation essentiellement subjective, ne pouvait fonder une telle interdiction. Pourtant des restrictions Ă  la libertĂ© de se vĂȘtir existent bien pour des raisons liĂ©es Ă  la vie en collectivitĂ©, c’est d’ailleurs ce que laisse entendre ce jugement. Selon M. Bertrand Mathieu, si la libertĂ© de se vĂȘtir constitue un Ă©lĂ©ment de la libertĂ© individuelle, voire de la libertĂ© de manifester ses opinions, elle peut ĂȘtre, en droit français, limitĂ©e au nom d’objectifs constitutionnels comme la sĂ©curitĂ© publique ou l’ordre public, ou du respect des droits d’autrui. Elle est d’ailleurs rĂ©glementĂ©e, le meilleur exemple Ă©tant la rĂ©glementation du naturisme dans les lieux publics. Quand une personne sort sur la voie publique, elle entre dans des situations de relations juridiques avec les tiers, soit avec l’autoritĂ© publique, soit avec des personnes privĂ©es dans le cadre, notamment, des relations contractuelles. C’est dans ce domaine que peuvent intervenir les impĂ©ratifs de sĂ»retĂ© publique, de protection des droits des tiers ou d’hygiĂšne. La Cour de cassation a ainsi dĂ©boutĂ© un salariĂ© que son employeur avait sanctionnĂ© pour le port d’un bermuda au travail 147. De mĂȘme un proviseur de collĂšge a-t-il pu lĂ©galement interdire Ă  un professeur le port d’un bermuda, bien que le collĂšge soit situĂ© en Guyane, oĂč la chaleur et l’humiditĂ© sont, il est vrai, particuliĂšrement lourdes
 Toujours dans le domaine contractuel, des impĂ©ratifs d’hygiĂšne peuvent entraĂźner des restrictions vestimentaires. L’accĂšs aux piscines est conditionnĂ©, par voie de rĂšglement, au port de certaines tenues de bain. Les hĂŽpitaux sont habilitĂ©s Ă  imposer aux personnes hospitalisĂ©es des tenues conformes aux nĂ©cessitĂ©s sanitaires. Les personnes intervenant dans le traitement d’aliments doivent aussi se soumettre Ă  certaines prescriptions vestimentaires. La libertĂ© de se vĂȘtir – comme toute libertĂ© – peut donc se voir imposer des restrictions au nom de principes essentiels. Surtout, on doit constater que le dĂ©veloppement de pratiques comme le port du voile intĂ©gral peut conduire, par le jeu de la pression communautaire, Ă  restreindre la libertĂ© de se vĂȘtir des autres femmes. Ce phĂ©nomĂšne de contrainte sociale et psychologique est aujourd’hui bien tangible. Il est inquiĂ©tant et inacceptable. 2. 
 le port du voile intĂ©gral constitue bien une entrave Ă  cette libertĂ© Comme l’ont soulignĂ© plusieurs personnes entendues par la mission, la libertĂ© de se vĂȘtir renvoie Ă  d’autres aspects de la libertĂ© beaucoup plus discutĂ©s. Mme Élisabeth Badinter a ainsi soulignĂ© que la libertĂ© d’habillement proclame en creux la libertĂ© des droits le droit Ă  une sexualitĂ© libre, le droit de ne pas ĂȘtre vierge quand on arrive au mariage et de n’avoir de comptes Ă  rendre Ă  personne
 » 148 Le port du voile intĂ©gral remet en cause la maĂźtrise de leur corps par les femmes et a une portĂ©e symbolique trĂšs forte en terme de sexualitĂ©. Plusieurs personnes auditionnĂ©es ont attirĂ© l’attention de la mission sur le fait que la libertĂ© de se vĂȘtir n’existait plus depuis plusieurs annĂ©es dans certains quartiers tellement la pression sociale est forte sur les jeunes filles. Mme Élisabeth Badinter a ainsi tĂ©moignĂ© Je me suis trouvĂ©e un jour avec Sihem Habchi, que vous venez d’entendre, au collĂšge Françoise-Dolto, Ă  Paris, lĂ  oĂč avait Ă©tĂ© tournĂ© le film Entre les murs, pour y engager un dialogue avec les collĂ©giens, aprĂšs que le film La journĂ©e de la jupe leur eut Ă©tĂ© projetĂ©. Une poignĂ©e seulement des collĂ©giennes prĂ©sentes portait une jupe. Alors que, me tournant vers l’une des autres, d’origine maghrĂ©bine, je lui faisais valoir qu’elle pourrait en faire autant, j’ai entendu une rĂ©ponse qui m’a Ă©pouvantĂ©e Les Françaises le peuvent, mais pas les Arabes ». Assis Ă  ses cĂŽtĂ©s, un adolescent ĂągĂ© sans doute de 14 ans a ajoutĂ© Chez nous, on met le voile, pas la jupe »  » 149 Elle a ainsi expliquĂ© que peu Ă  peu le voile semblait devenir un idĂ©al ou un objet de comparaison avec des vĂȘtements ordinaires dont il faut mesurer l’aspect acceptable par rapport Ă  l’exigence de pudeur. Le risque est que cette banalisation s’observe aussi pour le voile intĂ©gral. Mme Élisabeth Badinter a poursuivi en dĂ©clarant Si, donc, on laisse le voile intĂ©gral se banaliser, il deviendra peu Ă  peu, inĂ©vitablement, l’uniforme de la suprĂȘme puretĂ© que l’on rĂ©clamera des jeunes filles et, Ă  son tour, il gagnera progressivement des adeptes au sein des milieux les plus traditionnels oĂč, Ă©videmment, les jeunes filles ignorent leurs droits. Pour dire les choses brutalement, on prend la voie du la burqa, c’est mieux que le voile » – et alors il sera toujours plus difficile aux jeunes filles concernĂ©es de dire non » au voile et de lui prĂ©fĂ©rer la jupe. Or, si nous avons une libertĂ© de se vĂȘtir Ă  dĂ©fendre, c’est celle-lĂ . » 150 Mme Sihem Habchi a dressĂ© un constat tout aussi alarmant en rappelant que cette situation est dĂ©jĂ  ancienne La soumission commence lĂ  nous ne nous appartenions plus et notre vie quotidienne Ă©tait rythmĂ©e par la routine du respect des horaires, puis du respect d’une tenue vestimentaire rĂ©glementaire oĂč la jupe Ă©tait bannie et, enfin, d’un contrĂŽle de la sexualitĂ© avec l’établissement de la sacro-sainte virginitĂ© comme baromĂštre. » et elle ajoutait Les rumeurs sur les filles faciles constituent un autre moyen de pression seul le port du voile garantit le respect. » 151 Mais ces exigences enferment les femmes dans un engrenage IndĂ©niablement, le voile ne nous permettait pas d’échapper aux chaĂźnes machistes puisqu’il fallait respecter les rĂšgles certaines n’allaient plus Ă  la piscine, refusaient d’assister aux cours de biologie et disparaissaient lors des cours de sport. Elles Ă©taient soumises Ă  la loi des hommes, aux obscurantistes. Symbole de la sociĂ©tĂ© machiste et de l’exclusion assumĂ©e et revendiquĂ©e, le voile est un marqueur pour scinder la population française. L’avĂšnement de la sĂ©grĂ©gation a lieu quand les victimes intĂšgrent l’oppression et revendiquent leurs chaĂźnes. » Au-delĂ  de la libertĂ© de se vĂȘtir et d’affirmer ainsi sa fĂ©minitĂ© d’autres principes tout aussi essentiels se jouent avec le voile intĂ©gral. Il s’agit d’un vĂ©ritable dĂ©ni de la personne dans ce qu’elle a de plus unique. C’est ainsi que Mme Marie Perret, de l’Union des familles laĂŻques dĂ©crit le phĂ©nomĂšne de dĂ©personnalisation qui est Ă  l’Ɠuvre Le port du voile intĂ©gral n’a pas seulement pour effet de dĂ©rober l’identitĂ© de son porteur, mais aussi de le rendre indistinct, indiffĂ©renciable. Porter le voile intĂ©gral revient Ă  signifier je ne suis personne ». Il s’agit d’un dĂ©ni de singularitĂ©. Or, la singularitĂ© est indissociable du concept de citoyen. Un citoyen n’est pas un sujet abstrait, il doit ĂȘtre reconnu. Le port du voile intĂ©gral a Ă©galement pour effet de rejeter l’autre Ă  une distance infinie. La burqa est une façon de signifier que tout contact avec autrui est une souillure. Elle crĂ©e, de façon visible, une classe d’intouchables. » 152 Cette coupure de tout lien social est particuliĂšrement prĂ©judiciable pour des adolescentes dont la personnalitĂ© est encore en devenir. Comment rĂ©ussir son intĂ©gration sociale lorsque le monde extĂ©rieur vous est prĂ©sentĂ© comme impur et dangereux ? Une des questions les plus dĂ©licates soulevĂ©e par le voile intĂ©gral est l’apprĂ©ciation de la libertĂ© de choix de la personne qui le porte, tout particuliĂšrement lorsqu’il s’agit de jeunes filles mineures. B. LES CONTRAINTES SUR LES MINEURES SONT PARTICULIÈREMENT INTOLÉRABLES 1. Des cas signalĂ©s de voile intĂ©gral sur des enfants de moins de dix ans S’il est difficile d’apprĂ©cier le degrĂ© de libertĂ© des femmes qui portent le voile intĂ©gral car le choix que certaines semblent faire peut ĂȘtre aussi le fruit de pressions psychologiques, il est tout Ă  fait clair que, pour les mineures qui portent le voile intĂ©gral, et en particulier les plus jeunes d’entre elles, de telles pratiques sont intolĂ©rables, mĂȘme si selon le ministre de l’IntĂ©rieur, M. Brice Hortefeux 153, 1 % seulement des femmes qui portent le voile intĂ©gral sont ĂągĂ©es de moins de dix-huit ans. M. Yves Pras, du Mouvement Europe et laĂŻcitĂ© a d’ailleurs fait part de son indignation Ă  ce sujet la sphĂšre privĂ©e peut ĂȘtre le lieu de pressions, comme pour beaucoup de mineures portant un voile semi-intĂ©gral. À elle seule, cette question justifierait l’intervention du lĂ©gislateur. » 154 La question est d’ailleurs plus large que celle du voile intĂ©gral. Le port d’un tel voile est l’expression extrĂȘme de cette volontĂ© de certains de contraindre, dĂšs le plus jeune Ăąge, ces petites filles. Il s’agit de leur faire intĂ©grer l’idĂ©e que la soumission aux garçons est dans l’ordre des choses, immuable, naturelle, incontestable. Comme l’a soulignĂ© Mme Sabine Salmon, prĂ©sidente de l’association Femmes solidaires, il est impensable que, dans notre pays, signataire de cette convention, [des droits de l’enfant des Nations Unies] des fillettes portent des signes de soumission Ă  leur pĂšre ou Ă  leur frĂšre » 155. Cette responsable associative a tĂ©moignĂ© avoir vu Ă  plusieurs reprises des enfants d’environ huit ans totalement voilĂ©es. Des tĂ©moignages sont Ă©galement parvenus Ă  la mission montrant dans un quartier d’une ville de la rĂ©gion parisienne, une toute petite fille presque intĂ©gralement voilĂ©e, seuls le bout de son nez et ses yeux dĂ©passant d’un voile lui recouvrant tout le corps. Mme Sabine Salmon a attirĂ© l’attention de la mission sur le fait que ces fillettes sont considĂ©rĂ©es par ceux qui les voilent comme des objets de tentation pour des hommes adultes. » et a conclu son propos en affirmant On ne peut considĂ©rer, s’agissant de mineures, que le port du voile est librement consenti.» 156 Lors de son audition, elle estimait avec beaucoup de force, que c’était intolĂ©rable. On ne peut que partager son point de vue. 2. Des pressions sans cesse croissantes sur les jeunes filles dans certains quartiers Lors de son audition, Mme Sihem Habchi, prĂ©sidente de l’association Ni putes ni soumises, a dressĂ© un tableau tout aussi sombre de la situation des jeunes filles dans les quartiers. Élargissant son propos au-delĂ  de la seule question du port du voile intĂ©gral, elle a observĂ© que c’est sur elles que la pression la plus forte Ă©tait exercĂ©e. Pour Mme Habchi, la pratique du voile intĂ©gral apparaĂźt comme le point culminant d’une Ă©volution en France d’une vision archaĂŻque du rĂŽle des femmes, confinĂ©es dans la sphĂšre sexuelle, loin du champ Ă©conomique et social. La burqa symbolise l’apogĂ©e d’un systĂšme de relĂ©gation des femmes qui prend sa source dans nos quartiers populaires. » 157 Cette pression sur les jeunes filles est un phĂ©nomĂšne dont les racines sont anciennes. C’est ainsi qu’elle a constatĂ© Les symptĂŽmes sont visibles depuis vingt ans. Ni putes ni soumises s’est constituĂ©e en opposition Ă  la rĂ©duction de plus en plus grande des espaces de libertĂ© des femmes musulmanes. Nous avons – faut-il le rappeler ? – payĂ© le prix, et cher filles rasant les murs et soumises Ă  un contrĂŽle obsessionnel de leurs allĂ©es et venues dans l’espace public par les frĂšres d’abord puis l’ensemble des hommes. La soumission commence lĂ  nous ne nous appartenions plus et notre vie quotidienne Ă©tait rythmĂ©e par la routine du respect des horaires, puis du respect d’une tenue vestimentaire rĂ©glementaire oĂč la jupe Ă©tait bannie et, enfin, d’un contrĂŽle de la sexualitĂ© avec l’établissement de la sacro-sainte virginitĂ© comme baromĂštre. » 158 Rejetant l’idĂ©e communĂ©ment admise que ces jeunes filles seraient volontaires, elle a insistĂ© sur la violence de la pression sociale ParallĂšlement Ă  la montĂ©e de la violence envers les femmes, la pression sur le corps dans l’espace public est devenue de plus en plus forte. Le harcĂšlement physique et moral devenait insupportable. » 159 Il semble bien, en effet, que des jeunes filles, arrivant Ă  l’adolescence se sentent en danger dans certains endroits et que, face Ă  cette pression masculine, machiste, elles trouvent dans le voile et plus encore dans le voile intĂ©gral une forme de refuge qui leur permet de circuler Ă  peu prĂšs tranquillement. M. le prĂ©sident AndrĂ© Gerin a aussi tĂ©moignĂ© auprĂšs des membres de la mission d’une rĂ©alitĂ© qui traduit la violence des pressions subies par les jeunes filles. Il a ainsi fait Ă©tat d’un collĂšge de la rĂ©gion lyonnaise oĂč des jeunes filles ont demandĂ© au proviseur de l’établissement de leur amĂ©nager un vestiaire oĂč elles pourraient changer leurs vĂȘtements et se vĂȘtir comme les autres jeunes filles alors qu’en dehors elles se disent contraintes de porter des vĂȘtements amples, cachant tout signe de fĂ©minitĂ©. Face Ă  cet Ă©tat de fait, la mission souhaite insister sur l’urgence de la mobilisation des acteurs sociaux et des reprĂ©sentants de la Justice pour ne pas donner l’impression aux adultes les plus radicaux qu’ils ont tout pouvoir sur ces jeunes filles. Des moyens juridiques existent pourtant – on le verra dans la derniĂšre partie de ce rapport – mais ils sont encore peu utilisĂ©s car nombreux sont les professionnels qui Ă©prouvent une rĂ©ticence Ă  rĂ©agir au risque d’apparaĂźtre comme stigmatisant certaines populations en raison de leur origine. La situation des mineures prĂ©occupe particuliĂšrement la mission d’information. Pour ces filles, et parfois mĂȘme ces petites filles, il faut agir sans tarder. C’est leur libertĂ© actuelle qui est ainsi niĂ©e alors qu’elles ne sont absolument pas en mesure de refuser, d’échapper Ă  ces pressions, Ă  ces contraintes, Ă  ces menaces. Mais c’est aussi leur libertĂ© future que l’on met en cause. Nul doute que de tels traumatismes ne peuvent ĂȘtre surmontĂ©s que difficilement, comme toute forme de maltraitance. La fragilitĂ© de leur situation a beaucoup touchĂ© les membres de la mission et des actions vigoureuses doivent ĂȘtre menĂ©es pour assurer leur protection. Cette fragilitĂ© que l’on constate chez les mineures peut aussi toucher des femmes adultes. L’obligation du port du voile intĂ©gral a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e par plusieurs personnes auditionnĂ©es comme un comportement de type sectaire de repli sur le groupe qui dĂ©tient la vĂ©ritĂ© alors que le reste du monde est marquĂ© par l’impur. La mission est tout autant prĂ©occupĂ©e par de telles dĂ©rives qui constituent une atteinte intolĂ©rable Ă  la libertĂ©. C. DES DÉRIVES SECTAIRES SONT À COMBATTRE De nombreuses personnes auditionnĂ©es ont soulignĂ© les points de ressemblance entre cette dĂ©marche rigoriste de recherche de puretĂ© par la pratique du voile intĂ©gral et les obligations imposĂ©es par les organisations sectaires. En revanche, des divergences sont apparues sur la portĂ©e de cette dimension sectaire, certains mettant en avant le caractĂšre peu organisĂ© de cette mouvance, d’autres au contraire, soulignant que ces actions avaient vĂ©ritablement pour but de saper les fondements dĂ©mocratiques des sociĂ©tĂ©s occidentales. 1. La recherche d’une puretĂ© absolue en se coupant du monde Mme Caroline Fourest a fait remarquer la difficultĂ© de trancher la question du libre consentement des intĂ©ressĂ©es Le port du voile intĂ©gral est Ă  rapprocher d’une dĂ©marche sectaire, avec tout ce que cela comporte d’aliĂ©nation volontaire, sachant qu’il est Ă©minemment complexe de faire la part entre celles qui le portent dĂ©libĂ©rĂ©ment et celles qui le portent par choix. Lorsque vous interrogez des tĂ©moins de JĂ©hovah ou des scientologues, ils vous disent d’ailleurs rarement qu’ils appartiennent Ă  une secte. Pour eux, c’est un choix qu’ils ont fait et qui les rend parfaitement heureux. » 160 Lors de la premiĂšre audition organisĂ©e par la mission, Mme Dounia Bouzar a analysĂ© trĂšs prĂ©cisĂ©ment les caractĂ©ristiques du discours sectaire 161. Cette analyse Ă©tant le fruit d’un long travail de recherche et d’une dĂ©monstration trĂšs cohĂ©rente, de longues citations de son audition seront reprises car elles permettent d’apprĂ©hender les diffĂ©rentes dimensions du phĂ©nomĂšne sectaire. ‱ La dĂ©marche sectaire ou la volontĂ© de se retrancher du monde commun Mme Dounia Bouzar analyse trĂšs bien la volontĂ© d’exclusion de ceux qui se pensent appelĂ©s Ă  une pratique pure et rigoriste de leur religion Cette affirmation n’est ni un procĂšs d’intention ni un jugement de valeur, mais le rĂ©sultat de l’étude de l’effet du discours alors que le mot religion » vient du latin relegere et religare, c’est-Ă -dire accueillir » et relier », le mot secte » signifie suivre » et sĂ©parer ». C’est donc bien l’effet du discours qui me permet de le qualifier de sectaire lorsque la religion provoque de l’auto-exclusion et l’exclusion des autres, on peut parler de secte. On utilise la religion pour construire une frontiĂšre infranchissable entre l’adepte et les autres, frontiĂšre matĂ©rialisĂ©e, dans notre cas, par le niqab, ce drap noir qui a au moins le mĂ©rite d’ĂȘtre sans ambiguĂŻtĂ© sur sa fonction celle d’ĂȘtre une coupure, une frontiĂšre infranchissable. » 162 ‱ Le discours salafiste propose une dĂ©marche de purification On a dĂ©jĂ  prĂ©sentĂ© le mouvement salafiste dans la premiĂšre partie. Rappelons les Ă©lĂ©ments qui peuvent l’assimiler, par certains aspects, Ă  une dĂ©rive sectaire. Mme Dounia Bouzar a montrĂ© que le discours salafiste est un processus de purification interne. Les salafistes se prĂ©sentent comme un groupe purifiĂ©, possĂ©dant la vĂ©ritĂ© et supĂ©rieur au reste du monde les juifs, les chrĂ©tiens, mais aussi les autres musulmans qui ne sont pas comme eux. Pour fortifier ce groupe purifiĂ©, le prĂ©dicateur gourou explique qu’il existe un complot pour maintenir les musulmans en position de dominĂ©s. Il assure que leur groupe est en danger parce que les autres » ont compris qu’il dĂ©tient, lui, la vĂ©ritĂ©. Le discours salafiste a besoin de la haine Ă  l’égard de l’Occident pour faire autoritĂ© et c’est en accentuant le sentiment de persĂ©cution qu’il trouve sa justification. Les adeptes doivent considĂ©rer les autres » comme un tout nĂ©gatif afin de se percevoir comme un tout positif. Les prĂ©dicateurs gourous transmettent une idĂ©e de la religion sublimĂ©e qui fait rĂȘver les jeunes de toute puissance. » 163 Mme Dounia Bouzar a soulignĂ© qu’ Il s’agit d’exagĂ©rer les ressemblances entre adeptes et d’exacerber les diffĂ©rences avec les autres », l’extĂ©rieur, parce qu’à l'intĂ©rieur du groupe, les uns ne doivent pas se distinguer des autres, le je » doit devenir un nous ». Toute diffĂ©rence doit ĂȘtre anĂ©antie. On coupe les jeunes de leur famille pour qu’il n’y ait pas de diffĂ©rences entre eux. La transmission familiale du savoir religieux est remise en cause ce que leur pĂšre dit de l’islam n’est pas valable puisque seul le groupe possĂšde la vĂ©ritĂ©. Et au mĂȘme titre que les diffĂ©rences familiales, les diffĂ©rences sexuelles sont bannies les groupes ne sont pas mixtes. La dĂ©sexualisation est totale, car si on n’élĂšve pas un mur entre les hommes et les femmes, les uns et les autres pourraient prendre conscience qu’il existe des diffĂ©rences entre eux. » 164 ‱ Le discours salafiste propose un monde virtuel, supĂ©rieur au monde rĂ©el dominĂ© par les impurs Mme Dounia Bouzar a trĂšs bien expliquĂ© comment ses jeunes sans racines ni ancrage territorial arrivaient Ă  croire Ă  cette adhĂ©sion Ă  une grande communautĂ© virtuelle des croyants Le discours salafiste diabolise le monde extĂ©rieur et propose aux jeunes un monde virtuel. On uniformise leur vision du monde. Tous ceux qui sont contre eux le sont pour diviser et pour mieux rĂ©gner. Ces jeunes en arrivent ainsi Ă  subir des modifications psychiques au point qu’ils semblent ĂȘtre en Ă©tat de quasi-hypnose, animĂ©s par un mimĂ©tisme effrayant. Alors que le lien territorial, quel qu’il soit, semble protĂ©ger les jeunes, le discours salafiste explique au contraire que se sentir de nulle part signifie que l’on est Ă©lu, que l’on est supĂ©rieur aux Arabes, aux EuropĂ©ens, aux Asiatiques et, bien entendu, aux AmĂ©ricains. C’est en cela qu’il propose un territoire de substitution virtuel. Ce n’est pas pour rien d’ailleurs que 99 % de l’endoctrinement se fait par un moyen de communication virtuel Internet. Ce n’est qu’une fois endoctrinĂ©s que les internautes se rencontrent. » 165 D’autres personnes auditionnĂ©es ont fait des remarques similaires sur les aspects fanatiques de cette pratique. M. Mahmoud Doua,166 enseignant en anthropologie du monde arabo-musulman Ă  l’UniversitĂ© Bordeaux III, a comparĂ© cette forme rigoriste Ă  une "pratique adolescente" de la religion Ă  une volontĂ© de rupture par rapport Ă  une forme plus conventionnelle de religiositĂ© ». Il ajoutait, parlant de ces jeunes tentĂ©s par des formes extrĂȘmes de pratique Certains sont tentĂ©s par l’hijra c’est-Ă -dire par un exode vers les pays islamiques car ils ne veulent plus vivre au milieu des kafir ou mĂ©crĂ©ants. Cette fuite loin de l’environnement quotidien est un leurre car ces jeunes sont de culture europĂ©enne et auraient du mal Ă  s’adapter au mode de vie oriental. » 167 Cette dĂ©marche spirituelle sectaire donne aussi l’illusion de s’inscrire dans une filiation sacrĂ©e Le discours salafiste fait croire aux jeunes que la seule façon de possĂ©der la vĂ©ritĂ© consiste Ă  raisonner comme les pieux ancĂȘtres. Au lieu de se rĂ©fĂ©rer au ProphĂšte, on s’identifie Ă  lui. On ne se rĂ©fĂšre pas Ă  lui, comme un croyant habituel, pour trouver du sens Ă  son existence et construire sa vie sur terre. On ne raisonne que par analogie. On enjambe la chronologie pour entrer dans un temps sacrĂ©. On rejoue l’époque de ce que l’on considĂšre comme la crĂ©ation du monde, du premier temps de l’islam. En rĂ©pĂ©tant de maniĂšre obsessionnelle les rituels, on recrĂ©e l’atmosphĂšre sacrĂ©e du temps oĂč Dieu a parlĂ©. On donne l’illusion aux jeunes d’ĂȘtre proches de Dieu. On leur demande du mimĂ©tisme alors qu’un croyant habituel se ressource pour trouver du sens Ă  sa vie. » 168 Le discours salafiste rend tout-puissant et conduit Ă  contester l’autoritĂ© des imams. Sous prĂ©texte que seul le Coran fait autoritĂ©, qu’il n’y a pas de clergĂ© et que l’imam ne sait pas, ils dĂ©cident qu’eux seuls savent ce que Dieu a dit puisqu’il n’y a personne au-dessus d’eux Ă  part Dieu. Pour sa part, Mme Élisabeth Badinter a Ă©galement repris l’analyse selon laquelle ces comportements avaient une dimension sectaire. Elle a fait valoir que, contrairement Ă  ce qui se passe dans les pays anglo-saxons, la libertĂ© de conscience et d’expression n’est pas complĂšte en France. Nous combattons les idĂ©ologies destructrices que sont, par exemple, le nazisme, le racisme, l’antisĂ©mitisme. Nous combattons toutes les idĂ©ologies qui portent atteinte Ă  la dignitĂ© humaine. Nous luttons contre les sectes qui, elles aussi, en appellent Ă  la libertĂ© de conscience, car nous considĂ©rons prĂ©cisĂ©ment qu’elles embrigadent les esprits, lesquels en perdent leur libertĂ© de penser. D’ailleurs, tous ceux qui parviennent Ă  s’arracher aux griffes des sectes reconnaissent ensuite qu’en leur sein ils n’avaient plus de volontĂ© propre. » Elle a poursuivi son propos en indiquant que le port du voile intĂ©gral est l’étendard des salafistes, considĂ©rĂ©s comme une secte offensive par la plupart des musulmans. Pourquoi ferions-nous une exception pour cette secte-lĂ , qui prĂŽne une servitude volontaire conduisant Ă  une sorte d’auto-mutilation civile par invisibilitĂ© sociale ? » 169 2. Des doutes quant aux visĂ©es politiques sous-jacentes Ă  cette dĂ©rive sectaire Face Ă  ces comportements sectaires, des divergences de vues demeurent certains mettent en avant l’inorganisation de ces mouvements alors que d’autres y voient une maniĂšre souterraine de remettre en cause la laĂŻcitĂ© de l’espace public, de procĂ©der Ă  une conquĂȘte des territoires et, dĂšs lors, de saper les fondements de la RĂ©publique. Selon M. Farhad Khosrokhavar, directeur d’études Ă  l’École des hautes Ă©tudes en sciences sociales, le voile n’est pas un phĂ©nomĂšne sectaire dans la mesure oĂč n’existent pas d’organisation identifiable, ni de personnage charismatique fĂ©dĂ©rant les personnes autour d’un certain nombre de normes. Pour autant, on y dĂ©cĂšle une dimension sectaire en portant le voile, je suis une bonne musulmane et je me sĂ©pare des autres qui ne le sont pas. Le voile intĂ©gral est une façon de souligner primordialement la sĂ©paration des purs et des impurs, des musulmans et des non musulmans, ou des vrais musulmans et des musulmans inauthentiques » 170. Cette analyse est partagĂ©e par M. Samir Amghar qui souligne que les salafis ne pratiquent pas de lobbying politique. Il estime ainsi que les salafis ne se situent pas du tout dans la logique entriste qui peut ĂȘtre celle des FrĂšres musulmans ou de l’UOIF Union des organisations islamiques de France. La sphĂšre politique ne les intĂ©resse pas du tout. » 171 MĂȘme si leur prosĂ©lytisme est trĂšs dynamique, ils ne semblent pas avoir d’intention de s’engager dans l’organisation de la citĂ©. M. Samir Amghar a insistĂ© sur le fait que le courant salafiste est le seul Ă  n’ĂȘtre pas organisĂ© et hiĂ©rarchisĂ© Ă  l’échelle nationale » 172. D’autres personnes auditionnĂ©es n’ont pas eu la mĂȘme apprĂ©ciation. M. Abdelwahab Meddeb, enseignant Ă  l’UniversitĂ© Paris X, estime, quant Ă  lui, qu’il existe une stratĂ©gie pour influer sur l’ordre juridique des pays europĂ©ens Nous estimons aussi qu’avec la burqa, nous nous confrontons Ă  une stratĂ©gie du grignotage » 173. Il a attirĂ© l’attention de la mission sur les risques de pression pour que les prescriptions coraniques deviennent la norme applicable aux musulmans, ce statut personnel primant les lois des dĂ©mocraties. C’est ainsi qu’il a dĂ©clarĂ© Au-delĂ  des cas isolĂ©s et singuliers, au-delĂ  des converties zĂ©lĂ©es, il ne faut jamais perdre de vue que des islamistes, mais aussi de pieux salafistes, appliquent les recommandations du Conseil europĂ©en de la fatwa – dirigĂ© par le prĂ©dicateur al-QardhĂąwĂź, ex-frĂšre musulman Ă©gyptien qui agit Ă  l’horizon du monde en parlant depuis le Qatar, prĂ©cisĂ©ment de la tribune que lui offre la chaĂźne satellitaire al-Jazira. » 174 Comme on l’a vu, M. Abdennour Bidar, philosophe, a lui aussi soulignĂ© les risques politiques de ces mouvements sectaires en dĂ©nonçant l’influence de ce mĂȘme Conseil europĂ©en de la fatwa. Il a ajoutĂ©, par ailleurs, que cet organe intĂ©griste entretenait une certaine confusion en prenant toutes les apparences de la respectabilitĂ© et en usant par exemple pour ses publications d’une couverture arborant des couleurs proches de celles du drapeau de l’Union europĂ©enne. Les proches de ce Conseil europĂ©en » mettent aussi souvent en avant le fait d’avoir Ă©tĂ© consultĂ©s par les instances europĂ©ennes pour se donner une vĂ©ritable lĂ©gitimitĂ© et des gages de reprĂ©sentativitĂ©. La mission d’information n’est pas en mesure de dĂ©terminer prĂ©cisĂ©ment s’il existe ce qu’on pourrait qualifier un projet salafiste. La rĂ©alitĂ© est plus nuancĂ©e mais elle n’en est pas moins inquiĂ©tante comme l’est tout phĂ©nomĂšne sectaire qui, de maniĂšre pernicieuse, entend Ă©tendre son influence et conquĂ©rir les esprits. 3. Des dĂ©rives contraires Ă  nos lois Face Ă  ces comportements sectaires, les dĂ©mocraties ne sont pas impuissantes. La France dispose ainsi d’une lĂ©gislation contre les dĂ©rives sectaires assez Ă©laborĂ©e. Lors de son audition par la mission, Mme Monique Crinon 175, du Collectif des fĂ©ministes pour l’égalitĂ©, a suggĂ©rĂ© de s’inspirer de cette lĂ©gislation pour combattre cette forme de fondamentalisme religieux qui utilise les mĂȘmes moyens d’oppression que les sectes. Il s’agirait, en effet, d’éviter de punir les victimes alors que ce sont les instigateurs qui doivent ĂȘtre combattus. La France s’est dotĂ©e d’une telle lĂ©gislation avec la loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 tendant Ă  renforcer la prĂ©vention et la rĂ©pression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertĂ©s fondamentales. La France dispose aussi de la mission interministĂ©rielle de vigilance et de lutte contre les dĂ©rives sectaires Miviludes créée, Ă  l’initiative du gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin, par le dĂ©cret n° 2002-1392 le 28 novembre 2002. Cet organisme, prĂ©sidĂ© par notre ancien collĂšgue, M. Georges Fennec, mĂšne une action d’observation et d’analyse du phĂ©nomĂšne sectaire Ă  travers ses agissements attentatoires aux droits de l’homme, aux libertĂ©s fondamentales et autres comportements rĂ©prĂ©hensibles. Il coordonne l’action prĂ©ventive et rĂ©pressive des pouvoirs publics Ă  l’encontre des dĂ©rives sectaires et contribue Ă  la formation et l’information de ses agents. Enfin, il mĂšne une action pĂ©dagogique pour informer le public sur les risques voire les dangers auxquels il est exposĂ© et facilite la mise en Ɠuvre d’actions d’aide aux victimes de dĂ©rives sectaires. Le Parlement n’est donc pas restĂ© passif face aux dĂ©rives sectaires mĂȘme si apprĂ©hender ce phĂ©nomĂšne n’est pas chose facile. Le port du voile intĂ©gral est l’expression de telles dĂ©rives qu’il faut absolument combattre et les instruments de lutte contre les pratiques sectaires doivent pouvoir ĂȘtre utilisĂ©s Ă  cet Ă©gard. * * La pratique du port du voile intĂ©gral est bien une atteinte portĂ©e au principe de libertĂ©. Parce qu’elle rĂ©sulte, bien souvent, de pressions plus ou moins diffuses, explicites, on ne saurait l’assimiler Ă  la simple volontĂ© de se faire remarquer. Le voile intĂ©gral est bien le symbole d’un asservissement, l’expression ambulante d’un dĂ©ni de libertĂ© qui touche une catĂ©gorie particuliĂšre de la population les femmes. En cela, il constitue aussi une nĂ©gation du principe d’égalitĂ©. III.– LE REJET DU PRINCIPE D’ÉGALITÉ Le principe d’égalitĂ© est au fondement mĂȘme de notre RĂ©publique et de nos textes fondamentaux. Est-il besoin de rappeler l’article 1er de la DĂ©claration des droits de l’homme et du citoyen selon lequel Les hommes naissent et demeurent libres et Ă©gaux en droit. » Ce principe est Ă©galement proclamĂ© dans tous les textes internationaux relatifs Ă  la protection des droits. On peut ainsi citer la DĂ©claration universelle des droits de l’homme votĂ©e par l’AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale de l’Organisation des Nations Unies le 10 dĂ©cembre 1948. Cette dĂ©claration proclame dans son prĂ©ambule la dignitĂ© de toute personne humaine quel que soit son sexe ou son origine sociale. » Le texte Ă©nonce aussi que la reconnaissance de la dignitĂ© inhĂ©rente Ă  tous les membres de la famille humaine et leurs droits Ă©gaux et inaliĂ©nables constituent le fondement de la libertĂ© de la justice et de la paix dans le monde ». A. L’ÉGALITÉ DES SEXES ET LA MIXITÉ, PRINCIPES ESSENTIELS DE LA RÉPUBLIQUE 1. L’égalitĂ© des sexes un principe constitutionnel Depuis 1971 176, le Conseil constitutionnel considĂšre que la DĂ©claration des droits de l’homme de 1789, et le PrĂ©ambule de la Constitution de 1946, notamment, font partie du bloc de constitutionnalitĂ©, c’est-Ă -dire que leurs principes font partie intĂ©grante du droit positif et peuvent fonder une dĂ©cision d’annulation si une loi contrevenait aux principes Ă©noncĂ©s dans ces textes. Dans son troisiĂšme alinĂ©a, le prĂ©ambule de la Constitution de 1946 proclame, comme un principe particuliĂšrement nĂ©cessaire Ă  notre temps » celui de l’égalitĂ© des sexes. Ainsi, aux termes du prĂ©ambule La loi garantit Ă  la femme, dans tous les domaines, des droits Ă©gaux Ă  ceux de l’homme. » La Constitution de 1958 fait aussi toute sa place Ă  ce principe puisque l’alinĂ©a 2 de l’article 1er, dans sa rĂ©daction rĂ©visĂ©e par la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008, dispose que La loi favorise l’égal accĂšs des femmes et des hommes aux mandats Ă©lectoraux et fonctions Ă©lectives, ainsi qu’aux responsabilitĂ©s professionnelles et sociales. » L’une des valeurs fondamentales de la Constitution est bien l’égalitĂ© entre les femmes et les hommes, comme soubassement d’une autre valeur tout aussi fondamentale bien qu’elle n’apparaisse pas dans la lĂ©gislation en tant que telle, il s’agit de la mixitĂ©. 2. La reconnaissance par le droit international et europĂ©en Le texte le plus significatif pour ses implications en termes de libertĂ© et d’égalitĂ© entre les femmes et les hommes est sans doute la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales que la France a ratifiĂ© le 3 mai 1974. Ce texte ne consacre pas le principe de l’égalitĂ© entre les sexes mais Ă©nonce un principe de non-discrimination dont la consĂ©quence est de rendre illĂ©gal tout acte justifiant un traitement diffĂ©rent en raison du sexe. C’est ainsi que l’article 14 de la Convention Ă©nonce La jouissance des droits et libertĂ©s reconnus dans la prĂ©sente Convention doit ĂȘtre assurĂ©e, sans distinction aucune, fondĂ©e notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance Ă  une minoritĂ© nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. » Enfin les textes communautaires affirment l’égalitĂ© des citoyens. C’est ainsi que TraitĂ© instituant la CommunautĂ© europĂ©enne comporte un article 13 affirmant le principe de non-discrimination et un article 141 sur l’égalitĂ© entre les femmes et les hommes. Il convient aussi de rappeler l’action des Nations Unies pour faire avancer le droit des femmes. DĂšs 1946, l’Organisation des Nations Unies ONU a intĂ©grĂ© la notion d’égalitĂ© dans le processus de coopĂ©ration internationale, avec la crĂ©ation de la Commission de la condition de la femme. Par la suite, les dĂ©cisions prises lors des confĂ©rences mondiales pour faire reconnaĂźtre les droits de toutes les femmes ont constituĂ© des lignes directrices pour l’action des États. AprĂšs Mexico 1975, Copenhague 1980 et Nairobi 1985, la confĂ©rence de PĂ©kin 1995 a permis d’établir une vĂ©ritable charte refondatrice des droits des femmes. Par ailleurs, dĂšs 1983, la France a ratifiĂ© la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination Ă  l’égard des femmes CEDAW. Cette convention a permis de faire avancer concrĂštement la cause des femmes et fait l’objet tous les quatre ans d’un bilan d’application que chaque État doit remettre au bureau de l’administration de l’ONU qui suit l’application de cette convention. L’article 1er donne une large dĂ©finition de la discrimination, basĂ©e sur l’accĂšs pour les femmes Ă  l’exercice de tous leurs droits humains et libertĂ©s fondamentales. Les articles 2 Ă  4 Ă©numĂšrent des outils lĂ©gaux et des actions Ă  mettre en Ɠuvre atteindre l’égalitĂ© juridique, initier des politiques pour l’égalitĂ© et contre les discriminations, publier des chiffres ventilĂ©s par sexe concernant les diplĂŽmes, les postes Ă  responsabilité , utiliser des mesures temporaires spĂ©ciales aussi appelĂ©es "actions positives" pour corriger des situations d’inĂ©galitĂ© de fait subies par les femmes, etc. L’article 5 insiste sur le rĂŽle que joue, dans les comportements discriminatoires, une vision stĂ©rĂ©otypĂ©e des rĂŽles attribuĂ©s aux hommes et aux femmes dans la sociĂ©tĂ©. La Convention impose donc de faire tous les efforts possibles pour bannir ces comportements, notamment en jouant sur le partage des responsabilitĂ©s familiales et mener une politique sociale qui permette une conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle. B. LE VOILE INTÉGRAL COMME SYMBOLE DE L’INFÉRIORISATION DES FEMMES 1. Une marque d’apartheid sexuel Comme le rappelait M. Philippe Foussier, du ComitĂ© laĂŻcitĂ© RĂ©publique lors de son audition par la mission le port de la burqa nous interpelle car il renvoie au dĂ©bat sur la revendication de droits diffĂ©renciĂ©s et fait Ă©cho Ă  la montĂ©e des communautarismes. Mais il est d’abord l’illustration emblĂ©matique d’une rĂ©gression des droits et de la dignitĂ© de la femme dans notre sociĂ©tĂ©. » 177 Cette analyse est partagĂ©e par Mme Élisabeth Badinter qui a attirĂ© l’attention de la mission sur les dangers du diffĂ©rentialisme des droits. C’est ainsi qu’elle a dĂ©clarĂ© 
 j’observe qu’il existe de l’égalitĂ© des sexes deux apprĂ©hensions opposĂ©es. L’une, la nĂŽtre, celle des dĂ©mocraties, est celle que l’on retrouve dans la DĂ©claration universelle des droits de l’homme et que l’on peut rĂ©sumer en quatre mots mĂȘmes droits, mĂȘmes devoirs. Ici, la notion abstraite d’humanitĂ© l’emporte sur les diffĂ©rences biologiques, notamment sur la diffĂ©rence sexuelle. Puis il y a l’autre, celle des obscurantistes, celle aussi dont ont usĂ© certains dĂ©mocrates sincĂšres, les naturalistes. Pour eux, droits et devoirs diffĂšrent selon les sexes ; les sexes sont Ă©gaux dans leurs diffĂ©rences. C’est le modĂšle de la complĂ©mentaritĂ© des sexes, oĂč l’un est ce que l’autre n’est pas. L’idĂ©e fĂ©dĂ©ratrice d’une humanitĂ© commune, d’une citoyennetĂ© abstraite, n’a plus cours. Nos droits et nos devoirs sont diffĂ©rents, mais ils seraient Ă©quivalents. » 178 Mme GisĂšle Halimi, prĂ©sidente de l’association Choisir la cause des femmes, et dont on connaĂźt tous les combats, a soulignĂ© que le voile intĂ©gral s’oppose bien sĂ»r au principe constitutionnel d’égalitĂ© entre les sexes, mais plus fondamentalement, il signifie que les femmes qui le portent ont intĂ©grĂ© leur propre infĂ©riorisation » 179. Lors de son audition, elle poursuivait en jugeant que La burqa est une forme d’apartheid sexuel. D’un cĂŽtĂ©, le monde des hommes, relationnel et ouvert, de l’autre, celui des femmes, contraint et clos. Cet Ă©tendard de l’infĂ©riorisation des femmes est inacceptable car contraire Ă  notre dignitĂ©. » Mme MichĂšle VianĂšs, prĂ©sidente de l’association Regards de femmes, a insistĂ© sur la portĂ©e symbolique de cette relĂ©gation des femmes Le voile, stigmate de discrimination, de sĂ©paration et de fantasmes sexuels, fait considĂ©rer les femmes comme propriĂ©tĂ© de leur mari et a pour objectif de les rendre intouchables par les autres hommes, mĂȘme les mĂ©decins. L’affichage ostensible du marquage archaĂŻque, possessionnel et obsessionnel du corps fĂ©minin est le cheval de Troie de l’islam politique, qui montre ainsi sa capacitĂ© Ă  occuper les espaces et les esprits. Cette stratĂ©gie de prise de contrĂŽle du corps des femmes par l’obĂ©issance Ă  un code vestimentaire cĂ©leste de bonne conduite est inacceptable ! » 180 Toutes les personnes auditionnĂ©es, lors de la table ronde rĂ©unissant les associations de dĂ©fense des droits des femmes, ont insistĂ© sur le caractĂšre inacceptable de cette disparition imposĂ©e de l’espace public. TolĂ©rer le voile intĂ©gral au prĂ©texte que ces femmes appartiendraient Ă  une autre culture n’est pas recevable. Le relativisme culturel est utilisĂ© pour interdire Ă  des personnes d’avoir accĂšs aux principes universels de dignitĂ© et de droit humain, sous prĂ©texte que, dans leur pays de naissance ou d’origine familiale, ces principes ne seraient pas respectĂ©s. 2. La rĂ©ification de la femme, premier maillon d’une chaĂźne d’asservissement De nombreuses personnes auditionnĂ©es ont soulignĂ© que le voile intĂ©gral dĂ©niait toute individualitĂ© Ă  la femme, comme si chaque femme Ă©tait interchangeable avec une autre. Il s’agit bien d’une tentative de rĂ©ification de la femme Ă  qui est refusĂ©e toute existence sociale. M. AndrĂ© Rossinot, ancien ministre, auteur d’un rapport sur La laĂŻcitĂ© dans les services publics, a bien montrĂ© toutes les implications symboliques du port du voile intĂ©gral Que signifie la burqa ? Elle manifeste qu’une femme est la propriĂ©tĂ© de son mari, de son pĂšre ou de son frĂšre, et qu’elle ne doit pas ĂȘtre vue par d’autres hommes ; que les femmes ne sont pas propriĂ©taires de leur image, qu’elles ne sont pas libres de se montrer, d’exister pour l’extĂ©rieur, encore moins de sĂ©duire. Le port de la burqa est le premier maillon d’une chaĂźne conduisant au mariage arrangĂ©, au mariage forcĂ© et Ă  tous les asservissements et aliĂ©nations qui s’en suivent. La femme peut ĂȘtre une monnaie d’échange entre deux groupes, deux familles. La dimension monĂ©taire de la burqa annihile toute individualitĂ©. Toutes les burqas sont identiques comme la monnaie, la femme est une entitĂ© abstraite. En un mot, la femme, dans sa spĂ©cificitĂ©, disparaĂźt la burqa est un uniforme qui la rĂ©duit Ă  l’anonymat. » 181 Pour Mme Sabine Salmon, PrĂ©sidente de l’association Femmes solidaires, le voile intĂ©gral symbolise l’infĂ©rioritĂ© de la femme 182 Le port du voile exclut les femmes de l’espace public. Le voile intĂ©gral est un signe militant d’appartenance Ă  un projet de sociĂ©tĂ© qui crĂ©e un espace privĂ© au sein mĂȘme de l’espace public et dans lequel les lois de la RĂ©publique n’ont pas d’effet. Avant de voir la femme, on voit sa religion. Le voile intĂ©gral encourage l’endogamie, les ghettos, le communautarisme. Dissimuler son visage, c’est nier sa propre identitĂ©, au profit d’une physionomie collective. » M. Henri Pena-Ruiz, philosophe, a aussi insistĂ© sur l’atteinte aux droits des femmes symbolisĂ©e par le voile intĂ©gral Le voile intĂ©gral n’est pas analysable d’abord comme un simple signe religieux. Il est tout Ă  la fois un instrument et un symbole d’aliĂ©nation – aliĂ©nation de la personne singuliĂšre Ă  une communautĂ© exclusive qui se retranche de l’ensemble du corps social en entendant imposer sa loi propre contre la loi commune – et ce, paradoxalement, au nom mĂȘme de la dĂ©mocratie que rend possible cette loi commune. » 183 En l’occurrence la personne qui est ainsi aliĂ©nĂ©e est toujours une femme. M. Tariq Ramadan lui-mĂȘme a convenu que le voile intĂ©gral nuisait Ă  la libertĂ© des femmes. Il a dĂ©clarĂ© sans ambiguĂŻtĂ© il est interdit en islam et mĂȘme contre l’islam d’imposer le voile – que cela soit le fait du pĂšre, du mari, de la mĂšre, de la communautĂ© ou de la sociĂ©tĂ© comme en Arabie saoudite ou en Iran. Je m’opposerai toujours Ă  ce qu’une femme soit contrainte de porter le voile. C’est pour moi une dĂ©marche dĂ©terminante. ». Il a pris position publiquement contre le voile intĂ©gral et expliquĂ© avoir dĂ©montrĂ©, textes Ă  l’appui, que l’un des savants les plus importants de la tradition salafie, Nasir ud-DĂźn Al-Albani, considĂ©rait que le port du hijab qui ne couvre pas la face Ă©tait la vraie position de l’islam, mĂȘme si, pour sa propre Ă©pouse, il avait optĂ© pour le port du niqab. » 184 TrĂšs clairement, M. Tariq Ramadan a indiquĂ© devant la mission Cette pratique constitue-t-elle une atteinte aux droits des femmes ? Oui. Restreint-elle la libertĂ© des femmes ? Oui. Est-elle contraire Ă  la dignitĂ© humaine ? Oui. » 185 3. Le dĂ©sir de voir disparaĂźtre les femmes de l’espace public C’est la traduction de l’idĂ©e que la femme est intrinsĂšquement dangereuse car porteuse de dĂ©sordre. Le voile intĂ©gral est, en mĂȘme temps, un instrument de soumission de la femme qu’il dessaisit de sa libertĂ©, de sa visibilitĂ© assumĂ©e, de son Ă©galitĂ© de principe avec l’homme. AliĂ©nĂ©e par une tenue qui la cache, la femme ne peut plus exister comme sujet, se montrer en sa singularitĂ©. M. Henri Pena Ruiz, philosophe, a ainsi rappelĂ© Se montrer, ce serait nĂ©cessairement provoquer l’homme, comme si c’était Ă  elle d’éviter toute incitation et non Ă  l’homme de savoir retenir son dĂ©sir. Dans Bas les voiles, Mme Chahdortt Djavann a analysĂ© la signification aussi sexiste et discriminatoire qu’humiliante du voile. Tu trahis ta communautĂ© ! » Mme Fadela Amara, en 2003, rappelait cette accusation menaçante lancĂ©e contre les femmes qui montraient leur visage et leur chevelure, voire leurs bras et leurs jambes. » 186 La dissimulation presque totale efface la personne, la rĂ©ifie, la rĂ©duit Ă  n’ĂȘtre qu’un Ă©chantillon anonyme d’une communautĂ© sĂ©parĂ©e. Le voile intĂ©gral est un symbole pour anĂ©antir les principes Ă©mancipateurs de la RĂ©publique. On ne saurait accepter de telles pratiques au nom de la tolĂ©rance car cela reviendrait Ă  accepter l’inacceptable, M. Henri Pena Ruiz poursuivait en soulignant Une telle dĂ©personnalisation, curieusement accomplie au nom de l’identitĂ© culturelle, ne mĂ©rite Ă  mon sens qu’un seul nom, celui d’aliĂ©nation. Bien des femmes se sont d’ailleurs insurgĂ©es contre un tel dĂ©ni d’identitĂ© et de libertĂ©, de singularitĂ© et d’égalitĂ©. Je n’y insisterai pas davantage, sinon pour dire qu’à l’évidence la RĂ©publique ne saurait consacrer une telle aliĂ©nation qui n’avoue pas son nom ». M. Abdennour Bidar, philosophe, a insistĂ© sur la portĂ©e symbolique de ce vĂȘtement qui empĂȘche toute communication Un argument trĂšs important que l’on peut opposer au port de la burqa est donc que le milieu culturel environnant ne saurait accepter une pratique que la majoritĂ© perçoit comme manifestant une certaine violence symbolique. » 187 Il a poursuivi son propos en s’interrogeant sur la signification de ce vĂȘtement qui devient une sorte de prison ambulante Nous pouvons mĂȘme nous demander si une femme qui porte la burqa se situe dans l’espace public. Il y a, en effet, derriĂšre la volontĂ© de ne pas se montrer, l’idĂ©e de ne pas apparaĂźtre dans cet espace, d’ĂȘtre comme enfermĂ© dehors » – ce qui est d’ailleurs une contradiction intenable. » Mme Nadeije Laneyrie-Dagen, professeur d’histoire de l’art moderne Ă  l’École normale supĂ©rieure ENS-Ulm, a Ă©voquĂ©, quant Ă  elle, cette image trĂšs Ă©vocatrice du gynĂ©cĂ©e Pour moi, c’est ce voile intĂ©gral qui est une extension de ce que j’ai appelĂ© le gynĂ©cĂ©e, un espace qui enferme les femmes dans un espace qui est non pas public – au contraire des apparences – mais un prolongement de l’espace privĂ©. Ses caractĂ©ristiques en font un Ă©lĂ©ment de refus Ă©videmment rĂ©trograde d’une place de la femme dans un espace public. » 188 Le principe d’égalitĂ© entre les femmes est ici clairement mis en cause par le port du voile intĂ©gral. Mais au-delĂ , c’est le principe de l’égale dignitĂ© entre les femmes et les hommes et plus largement entre les ĂȘtres humains que traduit cette pratique. C. LE SIGNE D’UN REFUS DE L’ÉGALE DIGNITÉ DES ÊTRES HUMAINS 1. Une Ă©vidence au plan moral
 Le voile intĂ©gral dĂ©nie Ă  celle qui le porte, volontairement ou non, toute individualitĂ© et, ce faisant, toute dignitĂ©. Or l’égale dignitĂ© des ĂȘtres humains est le fondement philosophique, presque anthropologique, du principe d’égalitĂ© dans notre RĂ©publique. C’est tout le sens des dispositions qui ouvrent le PrĂ©ambule de 1946, au lendemain de la Seconde guerre mondiale Au lendemain de la victoire remportĂ©e par les peuples libres sur les rĂ©gimes qui ont tentĂ© d’asservir et de dĂ©grader la personne humaine, le peuple français proclame Ă  nouveau que tout ĂȘtre humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possĂšde des droits inaliĂ©nables et sacrĂ©s ». Ce n’est pas non plus un hasard si l’un des premiers principes proclamĂ© par ce PrĂ©ambule est, comme on l’a vu, celui relatif Ă  l’égalitĂ© des femmes et des hommes, dans tous les domaines. Certes le principe de la dignitĂ© de la personne humaine n’est pas Ă©crit comme tel dans la Constitution. Mais comme l’a rappelĂ© M. Bertrand Mathieu, lors de son audition 189, le Conseil constitutionnel a dĂ©duit ce principe du PrĂ©ambule de 1946 dans sa dĂ©cision du 27 juillet 1994 190. M. Denys de BĂ©chillon, professeur de droit public Ă  l’universitĂ© de Pau a rappelĂ© Ă  propos des intentions du PrĂ©ambule de 1946 La philosophie humaniste Ă  laquelle renvoie cette intention est sans Ă©quivoque la dignitĂ©, c’est le droit dont disposent Ă©galement tous les hommes de n’ĂȘtre dominĂ©s et asservis par personne ; c’est la prĂ©rogative de pouvoir refuser l’injonction d’un autre homme. Par voie de consĂ©quence, c’est aussi l’égale libertĂ© de vouloir et de consentir, c’est-Ă -dire la libre disposition de soi qui se trouve ainsi consacrĂ©e et mise en scĂšne. » 191 Au plan moral, cette affirmation a suscitĂ© un large consensus des personnes auditionnĂ©es. Le voile intĂ©gral porte atteinte Ă  la dignitĂ© des femmes et mĂ©connaĂźt le principe d’égale dignitĂ© des ĂȘtres humains. En revanche, des divergences sont apparues pour savoir si cette maniĂšre de dĂ©nier toute dignitĂ© pouvait avoir des consĂ©quences juridiques comme Ă©tant une violation des principes fondamentaux de notre RĂ©publique qui reconnaĂźt Ă  tout citoyen des droits imprescriptibles. 2. 
 plus difficile Ă  saisir au plan juridique On a pu observer, sur ce point des rĂ©serves de tous les juristes auditionnĂ©s, y compris ceux qui, comme le professeur Mathieu, semblaient regretter cet Ă©tat du droit. Tant pour lui, que pour les professeurs de BĂ©chillon, Levade, Carcassonne, ou MarguĂ©naud, le principe de dignitĂ©, tel qu’il est entendu par le Conseil constitutionnel ou la Cour europĂ©enne des droits de l’homme, ne permet pas de saisir correctement la question qui nous prĂ©occupe. Deux Ă©lĂ©ments sont apparus au fil des auditions — le principe de dignitĂ© entend protĂ©ger les individus contre les atteintes subies par un tiers, qu’il s’agisse d’un autre individu, d’un groupe d’individus ou d’une autoritĂ© publique ; — en dĂ©pit d’une dĂ©cision du Conseil d’État bien connue, relative au lancer de nain 192, il est trĂšs difficile d’affirmer que la reconnaissance du principe de dignitĂ© sur le plan constitutionnel a pour consĂ©quence de permettre Ă  l’État de juger de la dignitĂ© des personnes pour les protĂ©ger contre elles-mĂȘmes. Pour M. Bertrand Mathieu, le principe de dignitĂ© constitue une sorte de pont entre l’égalitĂ© et la libertĂ©. Reprenant la dĂ©cision du Conseil constitutionnel prĂ©citĂ©e, il a indiquĂ© Ă  la mission que Par voie de consĂ©quence, c’est aussi l’égale libertĂ© de vouloir et de consentir, c’est-Ă -dire la libre disposition de soi qui se trouve ainsi consacrĂ©e et mise en scĂšne. Au sens de 1946, la dignitĂ© associe Ă©galitĂ© et libertĂ©, et attribue le plus grand rĂŽle au libre arbitre chacun a le mĂȘme libre arbitre, le mĂȘme droit que son voisin de gouverner son propre corps et son comportement dans la citĂ©. VoilĂ  le legs juridique et philosophique Ă  partir duquel le Conseil constitutionnel a forgĂ© le principe constitutionnel de la dignitĂ©. Si l’on en reste Ă  ces solides prĂ©misses, il n’y a rien lĂ  qui puisse justifier un gouvernement extĂ©rieur des corps et des consciences. Tout au contraire, il y a tout ce qu’il faut pour protĂ©ger la libertĂ© de chacun de se comporter comme il l’entend dans le respect de l’égale libertĂ© d’autrui. » 193 Il concluait son propos en estimant que le principe de dignitĂ© Ă©tait bien atteint par le port du voile intĂ©gral Si l’on admet que le principe de dignitĂ© impose tant la reconnaissance en chaque individu d’une mĂȘme appartenance Ă  l’humanitĂ© que l’interdiction de traiter un ĂȘtre humain en fonction d’une fin qui lui est Ă©trangĂšre, il est possible de considĂ©rer que cet enfermement de la femme et cette nĂ©gation de son identitĂ© constituent une forme d’atteinte Ă  la dignitĂ©. » Dans le rapport rendu par le comitĂ© de rĂ©flexion sur le PrĂ©ambule de la Constitution prĂ©sidĂ©e par Mme Simone Veil 194, il a Ă©tĂ© proposĂ© de complĂ©ter le texte de la Constitution pour y faire figurer le principe de dignitĂ© de la personne. Ce comitĂ©, instituĂ© par le PrĂ©sident de la RĂ©publique en avril 2008, a conclu ses travaux en estimant ni souhaitable, ni utile de proposer d’importants enrichissements du prĂ©ambule au regard de l’ampleur de notre corpus constitutionnel ». Autrement dit, pour le comitĂ©, une politique ambitieuse de lutte contre les inĂ©galitĂ©s est possible dans le cadre constitutionnel actuel ». Il a jugĂ© que la loi restait le vecteur le mieux appropriĂ© Ă  la rĂ©forme ». Il est donc notable que le seul amĂ©nagement des textes conseillĂ© par le comitĂ© Veil a Ă©tĂ© l’introduction Ă  l’article 1er de la Constitution de la reconnaissance du principe d’égale dignitĂ© de chacun. Le ComitĂ© note que la France est l’une des rares dĂ©mocraties Ă  ne pas avoir inscrit l’idĂ©e de dignitĂ© dans sa Constitution. Il constate que la dignitĂ© est un concept polysĂ©mique qui renvoie Ă  une qualitĂ© attachĂ©e Ă  la personne humaine, qualitĂ© qui peut ĂȘtre opposĂ©e par chaque homme Ă  des tiers, mais aussi au fait de se montrer digne de la condition humaine, qualitĂ© opposable Ă  l’homme par des tiers. Dans ce dernier cas, la dignitĂ© limite la libertĂ© de chacun, car l’homme n’est plus libre de disposer de lui-mĂȘme, alors que dans la conception prĂ©cĂ©dente il est seulement tenu de ne pas disposer des autres. Le consensus ne s’est Ă©tabli au sein du ComitĂ© que sur la conception libĂ©rale, une majoritĂ© de ses membres rejetant tout contrĂŽle social excessif que fait peser sur la vie moderne un usage trop moralisant du terme ». Il a donc suggĂ©rĂ© qu’il soit fait rĂ©fĂ©rence Ă  l’ Ă©gale dignitĂ© ». Plus encore, il a voulu prendre la plus grande distance possible avec l’autre dignitĂ©, celle qui fonde les restrictions Ă  la libertĂ© individuelle, en posant notamment que dans l’esprit de beaucoup, la dĂ©finition de la maniĂšre de se conduire dignement, dans la relation de soi Ă  soi, reste fondamentalement une affaire de choix, de libertĂ© et, pour tout dire, d’autonomie. Rien ne permet de dire qu’un consensus constitutionnel puisse s’établir au-delĂ  ». Le ComitĂ© a donc optĂ© pour une rĂ©daction trĂšs prĂ©cise dans l’article 1er de la Constitution, selon laquelle la France reconnaĂźt l’égale dignitĂ© de chacun ». Au-delĂ  de ces dĂ©bats juridiques, il ne fait nul doute, pour la mission, que moralement, la pratique du voile intĂ©gral est l’expression d’un rejet de l’égale dignitĂ© entre les ĂȘtres humains. À ce titre, on ne peut que la condamner trĂšs solennellement comme le firent les Constituants de 1946 dans le PrĂ©ambule qui refusaient l’asservissement et la dĂ©gradation de la personne humaine. IV.– LE REFUS DE LA FRATERNITÉ Au-delĂ  des principes juridiques clairement normatifs que sont l’égalitĂ© et la libertĂ© qui sont bafouĂ©s par la pratique du voile intĂ©gral, c’est tout le lien social qui est menacĂ© par ce phĂ©nomĂšne car le voile intĂ©gral remet en cause le sentiment de fraternitĂ© et de solidaritĂ© entre les citoyens. A. MASQUER SON VISAGE POUR EXCLURE L’AUTRE 1. Le visage miroir de l’ñme » Emmanuel LĂ©vinas Lors de la premiĂšre journĂ©e d’auditions de la mission, M. Abdennour Bidar a insistĂ© sur la violence symbolique reprĂ©sentĂ©e par le port du voile intĂ©gral qui rend, selon lui, impossible toute vie sociale et toute empathie interpersonnelle. Il a ainsi rappelĂ© l’importance du visage dans les relations sociales 
la condition premiĂšre pour rencontrer quelqu’un est d’avoir affaire Ă  son visage. Comme le disait Emmanuel LĂ©vinas, le visage de l’autre me parle ». Dans notre tradition culturelle, cette partie du corps a toujours Ă©tĂ© le miroir de l’ñme. En ne me donnant pas Ă  voir son visage, l’autre oppose une fin de non-recevoir Ă  l’exigence de communication inhĂ©rente Ă  l’espace public. À ce titre, je suis fondĂ© Ă  considĂ©rer son comportement comme une violence symbolique qui m’est infligĂ©e. » 195 Il a poursuivi son propos en soulignant le paradoxe du port du voile intĂ©gral qui constitue la nĂ©gation du contact avec autrui tout en imposant Ă  l’autre une relation inĂ©galitaire. M. Abdelwahab Meddeb a voulu, quant Ă  lui, situer l’importance du visage dans une perspective historique, au regard notamment de la tradition musulmane. Avec le voile intĂ©gral, le critĂšre d’une identitĂ© franche disparaĂźt. Comment, dĂšs lors, respecter l’intĂ©gritĂ© du corps ? Il s’est interrogĂ© pour savoir si la conquĂȘte sĂ©culaire de l’habeas corpus n’exigeait pas un visage et un corps visibles, reconnaissables par l’accord du nom et de la face pour qu’autour de leur clartĂ© fonctionnent l’état civil et le pacte dĂ©mocratique. Il a ainsi dĂ©clarĂ© devant la mission L’éclipse de la face occulte la lumiĂšre Ă©manant du visage et accueillant Ă  travers l’autre le miroir oĂč se reflĂšte le miracle de la vie, oĂč se reconnaĂźt la plus franche des Ă©piphanies divines, rĂ©vĂ©lation qui a tant inspirĂ© la vie de l’esprit et du cƓur de bien des musulmans dans l’histoire de l’islam. » 196 Il a aussi rappelĂ© l’importance du soufisme qui est une tradition opposĂ©e aux prĂ©supposĂ©s du salafisme Les soufis voyaient, en effet, le signe de Dieu dans le miracle surgi de la face humaine, surtout lorsqu’elle se pare des traits qui animent un visage de beautĂ© fĂ©minin. On remonte ainsi, de visage en visage, du visible Ă  l’invisible, de l’humain au divin, selon la parole prophĂ©tique, inspirĂ©e de la Bible, qui dit que l’homme a Ă©tĂ© façonnĂ© Ă  l’image de Dieu. "Tout est pĂ©rissable, ne perdure que la face de Ton seigneur ", proclame le Coran sourate LV, versets 26-27, qui loue ainsi la pĂ©rennitĂ© de la face divine en tant qu’absolu dont la trace de splendeur se reflĂšte sur le support que lui tend tout visage humain. » 197 Il a poursuivi en indiquant que le voilement du visage par un tissu aussi noir que la robe qui couvre la Ka’ba appelĂ©e aussi burqa, dessaisit l’humain de la franchise qu’exigent aussi bien le politique que l’esthĂ©tique, l’éthique ou la mĂ©taphysique. C’est un masque qui annule le visage, qui l’abolit, nous cachant les intensitĂ©s tĂ©moignant de l’altĂ©ritĂ© qu’Emmanuel Levinas a saisie et dont nous recueillons les prĂ©coces rudiments chez de nombreux penseurs de la millĂ©naire tradition islamique, qui ont mĂ©ditĂ© le franc face-Ă -face entre eux et leur Seigneur Ă©prouvant leur singularitĂ© dans l’esseulement du retrait. » 198 M. Abdelwahab Meddeb concluait ses propos en soulignant que le niqab ou la burqa, radicalisation du hijĂąb qui voile les cheveux et laisse le visage Ă  dĂ©couvert, est un crime qui assassine la face, privant l’humain de son ouverture infinie vers l’autre qui vient. Ce costume prĂ©tendument islamique transforme les femmes en prisons ou en cercueils mobiles, exhibant au cƓur de nos citĂ©s des fantĂŽmes barrant l’accĂšs aux vĂ©ritĂ©s invisibles qui s’extraient du visible. » 199 On voit que de nombreuses personnes auditionnĂ©es ont soulignĂ© l’importance symbolique du visage, en se rĂ©fĂ©rant souvent Ă  la philosophie d’Emmanuel LĂ©vinas qui en fait un thĂšme central de son Ɠuvre notamment dans son ouvrage TotalitĂ© et infini. 200 Votre rapporteur n’entend pas Ă©videmment aller plus avant en la matiĂšre mais il importe de rapporter des rĂ©fĂ©rences qui lui ont Ă©tĂ© donnĂ©es par plusieurs des personnalitĂ©s auditionnĂ©es. Ainsi, Emmanuel LĂ©vinas Ă©crivait Ce que je vois d’autrui c’est son visage, non pas entre autres choses Ă  voir de lui, mais ce que je vois d’abord. C’est Ă  son visage que s’adresse ma quĂȘte, que se fixe mon regard attentif. Le visage est visible. Mais dans le visible le visage a un statut particulier il est en mĂȘme temps expressif. Il ne se laisse pas enfermer dans une forme plastique. Il dĂ©borde ses expressions. Il est irrĂ©ductible Ă  une prise, Ă  une perception prĂ©datrice. » Emmanuel LĂ©vinas a ainsi dĂ©veloppĂ© l’idĂ©e qu’au-delĂ  du contact social entre deux ĂȘtres la rencontre en face Ă  face a une dimension beaucoup plus profonde. L’accĂšs au visage en tant que visage est d’emblĂ©e Ă©thique. Comme il l’écrivait dans TotalitĂ© et infini Je ne me contente pas de regarder le visage de l’autre homme ; je me sens responsable de lui, obligĂ© par son dĂ©nuement, la nuditĂ© essentielle de son visage exposĂ© Ă  toutes les violences. » Dans Éthique et infini 201, il a dĂ©crit la complexitĂ© de la communication Ă  autrui et de la perception de l’autre. C’est lorsque vous voyez un nez, des yeux, un front, un menton, et que vous pouvez les dĂ©crire, que vous vous tournez vers autrui comme vers un objet. La meilleure maniĂšre de rencontrer autrui, c’est de ne pas mĂȘme remarquer la couleur de ses yeux ! Quand on observe la couleur des yeux, on n’est pas en relation sociale avec autrui. La relation avec le visage peut certes ĂȘtre dominĂ©e par la perception, mais ce qui est spĂ©cifiquement visage, c’est ce qui ne s’y rĂ©duit pas. » À travers cela, apparaĂźt l’idĂ©e que le visage, animĂ© par des expressions, est un tout qui ne peut ĂȘtre rĂ©duit Ă  l’un de ses Ă©lĂ©ments. DĂšs lors, ne voir que les yeux d’une femme, le reste de son visage Ă©tant entiĂšrement masquĂ© – et parfois mĂȘme ses yeux sont voilĂ©s – c’est ĂȘtre condamnĂ© Ă  s’adresser Ă  cette personne humaine comme Ă  un objet. Ces quelques citations permettent de comprendre toute la richesse d’un contact en face Ă  face entre deux personnes. Être rĂ©duit Ă  de purs Ă©changes verbaux sans ĂȘtre mesure de sentir l’émotion de l’autre affaiblit considĂ©rablement la portĂ©e du dialogue entre ĂȘtres humains. La personne contrainte de cacher son visage perd ainsi toute sa spĂ©cificitĂ© et d’une certaine maniĂšre de son humanitĂ©. 2. Une attitude fondamentalement perverse Marquant ainsi beaucoup les membres de la mission, Mme Élisabeth Badinter a soulignĂ© que le visage n’est pas le corps et il n’y a pas, dans la civilisation occidentale, de vĂȘtement du visage ». Elle a interpellĂ© les membres de la mission en considĂ©rant qu’il fallait choisir entre deux libertĂ©s invoquĂ©es doit-on respecter la libertĂ© de se couvrir le visage en considĂ©rant que le voile intĂ©gral est un vĂȘtement comme un autre, ou devons-nous au contraire protĂ©ger la libertĂ© des plus faibles, celles qui n’ont pas le droit Ă  la parole et qui, de facto, n’ont dĂ©jĂ  plus le droit de se vĂȘtir comme elles l’entendent ? » 202 Pour elle, le voile intĂ©gral n’est pas un vĂȘtement comme un autre elle considĂšre que son port marque une rupture du pacte social, un refus d’intĂ©gration et un refus du dialogue et de la dĂ©mocratie. Cette absence dĂ©libĂ©rĂ©e de contact avec autrui ruine toute fraternitĂ© et empathie avec autrui. Mme Élisabeth Badinter a beaucoup insistĂ© sur cet aspect qui jusqu’ici avait Ă©tĂ© rarement Ă©voquĂ© Le port du voile intĂ©gral est contraire au principe de fraternitĂ© 
 et, au-delĂ , au principe de civilitĂ©, du rapport Ă  l’autre. Porter le voile intĂ©gral, c’est refuser absolument d’entrer en contact avec autrui ou, plus exactement, refuser la rĂ©ciprocitĂ© la femme ainsi vĂȘtue s’arroge le droit de me voir mais me refuse le droit de la voir. Outre la violence symbolique de cette non-rĂ©ciprocitĂ©, je ne peux m’empĂȘcher d’y voir l’expression d’une contradiction pathologique d’une part, on refuse de montrer son visage au prĂ©texte que l’on ne veut pas ĂȘtre l’objet de regards impurs – incidemment, c’est avoir une singuliĂšre vision des hommes que de penser que tout homme regardant une femme ne pense qu’à la violer –, d’autre part, on se livre Ă  une vĂ©ritable exhibition de soi, tout le monde fixant cet objet non identifiĂ©. En suscitant ainsi la curiositĂ©, on attire des regards que l’on n’attirait peut-ĂȘtre pas quand on allait Ă  visage dĂ©couvert – bref, on devient un objet de fantasme. » 203 Dans cette possibilitĂ© d’ĂȘtre regardĂ©e sans ĂȘtre vue et de regarder l’autre sans qu’il puisse vous voir, Mme Élisabeth Badinter considĂšre qu’il existe une forme de jouissance perverse la jouissance de la toute-puissance sur l’autre, la jouissance de l’exhibitionnisme et la jouissance du voyeurisme. Par cette invisibilitĂ© visible, les femmes qui portent le voile intĂ©gral sont un paradoxe en soi. Elles essaient de passer inaperçues alors qu’on ne voit qu’elles. En se prĂ©sentant ainsi au regard des autres, elles expriment, plus ou moins consciemment – pour certaines d’entre elles qui font ce choix – le dĂ©sir inavouĂ© d’ĂȘtre remarquĂ©es, examinĂ©es, scrutĂ©es. Peut-on fonder une sociĂ©tĂ© sur une telle vision des relations humaines ? AssurĂ©ment non. B. LE REFUS DU VIVRE-ENSEMBLE 1. Une forme d’incivilitĂ© Lors de son audition, et bien qu’appelant Ă  une certaine prudence dans l’analyse du phĂ©nomĂšne du port du voile intĂ©gral, Mme NilĂŒfer Göle, directrice d’études Ă  l’École des hautes Ă©tudes en sciences sociales, a constatĂ© que le voile intĂ©gral – je rĂ©ponds lĂ  aussi sur la rĂ©gression – est bien un Ă©lĂ©ment de contre-modernitĂ©. Je n’ai pas fait d’équivalence entre la burqa, le hijab et le voile. Celles qui portent le voile essaient de remettre en cohĂ©rence leur pratique et leur foi. Ce n’est pas facile. Les incohĂ©rences sont nombreuses. En mĂȘme temps, seule la dĂ©mocratie laisse une place Ă  l’incohĂ©rence. Hors l’incohĂ©rence ne subsiste que le purisme. Le port de la burqa est une pratique puriste, de personnes qui pensent qu’il n’y a pas de place pour l’expĂ©rience vĂ©cue de la modernitĂ©. Dans ce sens, il peut en effet ĂȘtre compris comme une rĂ©gression ou, Ă  tout le moins, une volontĂ© de rupture trĂšs radicale avec la rĂ©ciprocitĂ© et l’échange. » 204 Or, dans la RĂ©publique, la rĂ©ciprocitĂ© et l’échange sont deux notions essentielles. La sociĂ©tĂ© française est profondĂ©ment marquĂ©e par la notion de civilitĂ© » et ce, depuis la pĂ©riode classique. DerriĂšre ce terme, il y a l’idĂ©e que, dans une sociĂ©tĂ©, les mƓurs doivent ĂȘtre policĂ©es, respecter des rĂšgles afin de permettre un Ă©change civilisĂ© entre les individus. Ce n’est pas un hasard si, dans notre langue, on trouve des termes aussi proches civilitĂ©, civisme, citĂ©, citoyennetĂ©, civilisation, ou politesse, politique. Si l’on reprend les mots de Norbert Elias, ce grand sociologue qui se pencha sur l’apparition de la civilitĂ© dans les mƓurs françaises, la civilisation des mƓurs » 205 est une dynamique qui marqua profondĂ©ment l’Occident en rĂ©action Ă  des attitudes considĂ©rĂ©es comme barbares, et en mettant l’accent sur ce qui est commun aux hommes. On parle aujourd’hui beaucoup des incivilitĂ©s ». La mission a pu constater lors de ses auditions Ă  Lille, Lyon, Marseille ou durant la journĂ©e consacrĂ©e Ă  la rĂ©gion parisienne, que la montĂ©e de ce phĂ©nomĂšne Ă©tait inquiĂ©tante. Les agents de premiĂšre ligne » en souffrent. Les maires que la mission a entendus, en particulier ceux reprĂ©sentants l’association Ville et Banlieue, ont confirmĂ© ce fait 206. Le port du voile intĂ©gral constitue un phĂ©nomĂšne encore marginal de ce point de vue, comme on l’a indiquĂ© dans la premiĂšre partie de ce rapport. Mais chaque fois que les agents publics y sont confrontĂ©s ils le vivent comme une difficultĂ©, voire comme une agression. 2. Une atteinte Ă  notre code social Les membres de la mission ont Ă©tĂ© frappĂ©s par une grande convergence des personnes auditionnĂ©es sur l’idĂ©e que le port du voile intĂ©gral constituait une atteinte Ă  notre ordre public social. M. Guy Carcassonne a constatĂ© devant la mission que depuis 1789, il existe un consensus social, que j’appelle par commoditĂ© code social », reposant sur un socle de valeurs implicites. ». 207 Pour lui, le fait d’apparaĂźtre aux autres le visage dĂ©couvert fait partie de ce code. Ainsi, il a ajoutĂ© Pourquoi parler d’ordre public ? Les codes sociaux font qu’il y a des Ă©lĂ©ments de notre corps que l’on cache, d’autres que l’on montre. Peut-ĂȘtre dans mille ans exposera-t-on son sexe et dissimulera-t-on son visage, pour le moment, c’est l’inverse qui est unanimement admis. Nous sommes en droit de considĂ©rer que ce qui nuit Ă  autrui, aux termes de l’article 4 de la DĂ©claration des droits de l’homme et du citoyen, est le fait qu’on lui cache son propre visage, lui signifiant ainsi qu’il n’est pas assez digne, pur ou respectable pour pouvoir le regarder. » 208 Lors de la table ronde consacrĂ©e au corps et au visage, Mme Nadeije Laneyrie-Dagen a montrĂ© que l’Occident porte un regard particulier sur le visage. Ainsi le portrait est l’une des spĂ©cificitĂ©s de l’art occidental contrairement Ă  d’autres traditions orientales. Mme Nadeije Laneyrie-Dagen constate que l’humanisme est le triomphe de l’individu, de la personnalitĂ©, et se traduit aussitĂŽt par un art inexistant dans d’autres civilisations, ou en tout cas trĂšs peu dans l’islam et certainement pas au mĂȘme degrĂ© dans l’art chinois. Dans les arts de l’Asie, la figure humaine est perdue – l’individu est microscopique dans les peintures chinoises, par exemple – et la tradition du portrait n’existe pas comme dans la nĂŽtre. Bref, au moment oĂč le corps est rĂ©investi dans la civilisation chrĂ©tienne, l’individu, la personnalitĂ© individuelle sont rĂ©investis dans la modalitĂ© du portrait, c’est-Ă -dire un Ă©lĂ©ment dĂ©limitĂ© au visage. » 209 Elle a Ă©galement soulignĂ© que cette maniĂšre de montrer le visage supposait toujours une forme de mise en scĂšne Depuis le XVIe siĂšcle, notre courtoisie, s’appuyant sur des traitĂ©s comme celui de Castiglione, passe par un maquillage spontanĂ© du visage la dissimulation des Ă©motions. Ce visage thĂ©ogonique – partie divine de l’homme dans un corps acceptĂ© par une sorte de beautĂ© idĂ©ale reprenant l’hĂ©ritage antique – n’est acceptable que si nous le dĂ©guisons, c’est-Ă -dire si nous ne le montrons jamais nu. Il faut dissimuler ses Ă©motions, mais aussi des parties du visage. On apprend aux enfants Ă  mettre la main devant la bouche pour tousser ou bailler, et pas seulement pour des raisons d’hygiĂšne. Au XVIIIe siĂšcle, le peintre Élisabeth VigĂ©e-Lebrun a eu de gros ennuis avec le Salon pour s’ĂȘtre prĂ©sentĂ©e, tenant son enfant sur ses genoux, souriante et montrant ses dents, alors qu’à l’époque on ne devait pas laisser apparaĂźtre l’organique du visage, une bouche ouverte par exemple. Enfin, une tradition issue de l’AntiquitĂ© consiste Ă  voiler son visage quand on ne sait plus voiler ses Ă©motions. À la mort de sa fille IphigĂ©nie, la douleur d’Agamemnon est si terrible qu’il dissimule son visage dans ses mains. Ce texte a inspirĂ© peintures et sculptures oĂč les Ă©motions les plus violentes s’expriment par des visages cachĂ©s. Ainsi, le visage est le vecteur de l’ñme, parce que vecteur des Ă©motions. » 210 Le visage n’est jamais montrĂ© de façon brute ». Il est apprĂȘtĂ©, prĂ©parĂ©, pour offrir Ă  l’autre l’image de la civilitĂ©. Mme Nadeije Laneyrie-Dagen a semblĂ© en dĂ©duire qu’il Ă©tait possible de considĂ©rer que se voiler intĂ©gralement le visage pouvait ĂȘtre une autre maniĂšre de s’apprĂȘter, fondĂ©e sur une tradition diffĂ©rente. Elle n’en a pas conclu qu’il fallait cependant l’accepter Comprendre l’autre, comprendre que certaines personnes n’ont pas cet hĂ©ritage mais une histoire et un ressenti propres du corps et du visage, c’est comprendre la nĂ©cessitĂ© peut-ĂȘtre pour elles de le voiler autrement que nous ne le faisons – car je crois que nous voilons notre visage. Ainsi, on peut sinon lĂ©gifĂ©rer, du moins intĂ©grer par le biais de l’école des valeurs fondamentales, celles de laĂŻcitĂ©, mais aussi tout cet hĂ©ritage afin, non pas de troquer une identitĂ© Ă  une autre, mais d’aboutir Ă  une mutuelle comprĂ©hension. » 211 La mission estime que le port du voile intĂ©gral est une atteinte manifeste Ă  notre code social. Ce code social ne traduit pas la volontĂ© d’imposer Ă  chacun les mƓurs d’une catĂ©gorie donnĂ©e de la population française. Il permet d’assurer dans notre sociĂ©tĂ© des rĂšgles minimales pour vivre ensemble. La mission d’information fait donc un constat sans concession. La question du port du voile intĂ©gral n’a pas trait Ă  l’islam. Elle se situe sur un tout autre plan. En soi, le fait pour des femmes de se masquer le visage – que ce choix soit volontaire ou qu’il soit imposĂ© par des pressions voire des menaces intolĂ©rables – est contraire aux principes qui structurent notre RĂ©publique. Tout dans le port du voile intĂ©gral est synonyme de rejet, de nĂ©gation, d’exclusion, de repli, de fermeture, de refus de l’autre. Il n’y a ici pas de transaction possible. La condamnation doit ĂȘtre unanime. Mais si le refus du voile intĂ©gral fait consensus, comment parvenir intelligemment Ă  endiguer tout d’abord ce phĂ©nomĂšne pour le faire reculer ensuite et disparaĂźtre enfin ? La voie est Ă©troite ; celle que la France empruntera aura valeur de signal hors de nos frontiĂšres dans les pays europĂ©ens mais aussi au-delĂ . C’est avant tout l’esprit de responsabilitĂ© qui doit nous guider. TROISIÈME PARTIE — LIBÉRER LES FEMMES DE L’EMPRISE DU VOILE INTÉGRAL La mission a Ă©tĂ© unanime Ă  considĂ©rer que la pratique du port du voile intĂ©gral est aux antipodes des valeurs rĂ©publicaines. Ce constat partagĂ© doit inciter Ă  l’action. À cette fin, trois lignes de force peuvent ĂȘtre retenues. La premiĂšre exigence, parce qu’elle seule permet d’engendrer un sentiment d’adhĂ©sion aux valeurs de la RĂ©publique, est de convaincre, par la mĂ©diation, par la pĂ©dagogie et par l’éducation. La deuxiĂšme, toute aussi importante, est de protĂ©ger les femmes qui se voient imposer le port du voile intĂ©gral. Parce que cette contrainte constitue une forme de violences faites aux femmes, notre sociĂ©tĂ© doit engager toutes ses ressources pour les combattre. Mais protĂ©ger, c’est aussi conforter les agents publics qui sont en premiĂšre ligne et toutes les personnes qui sont au contact du public. Enfin, la mission a entendu analyser les conditions juridiques et matĂ©rielles dans lesquelles le port du voile intĂ©gral pourrait faire l’objet d’une interdiction dans l’espace public, afin de livrer au dĂ©bat public toutes les clefs de comprĂ©hension de cette pratique complexe. I.– CONVAINCRE Convaincre de la force de ses valeurs est le premier devoir de la RĂ©publique. C’est en effet Ă  cette condition que celles-ci pourront susciter l’adhĂ©sion et permettre de renforcer le vivre-ensemble. Les voiles intĂ©graux tomberont non pas le jour oĂč on les aura arrachĂ©s de force, mais le jour oĂč ce qui entre dans la tĂȘte des filles qui subissent cette aliĂ©nation changera » 212, a justement estimĂ© M. Jean-Pierre Dubois, prĂ©sident de la Ligue des droits de l’homme. Si le vote d’une rĂ©solution devrait permettre Ă  la reprĂ©sentation nationale d’énoncer solennellement les valeurs fondatrices du pacte rĂ©publicain, celles-ci devront ĂȘtre inlassablement diffusĂ©es dans le corps social par la mĂ©diation, la pĂ©dagogie et l’éducation. Mais rien ne vaut la preuve par l’exemple. La RĂ©publique doit donc ĂȘtre elle-mĂȘme irrĂ©prochable dans la lutte contre les prĂ©jugĂ©s et les discriminations et pour assurer une juste reprĂ©sentation de la diversitĂ© spirituelle. A. AFFIRMER SOLENNELLEMENT ET FERMEMENT LES PRINCIPES RÉPUBLICAINS PAR LE VOTE D’UNE RÉSOLUTION Toutes les personnes auditionnĂ©es comme tous les membres de la mission ont Ă©tĂ© unanimes Ă  condamner le port du voile intĂ©gral. Si leurs avis ont pu diverger quant aux moyens d’endiguer ce phĂ©nomĂšne, leurs voix se sont, en revanche, accordĂ©es pour affirmer que cette pratique est contraire aux principes les plus fondamentaux de notre RĂ©publique. Or, le Parlement dispose depuis peu d’un nouvel outil pour prendre publiquement position sur une question donnĂ©e la rĂ©solution. 1. La rĂ©solution, nouvel outil aux mains du Parlement dont l’usage comporterait de nombreux avantages La rĂ©solution permet au Parlement de prendre une position politique sur un sujet donnĂ©. Cette procĂ©dure est donc particuliĂšrement adaptĂ©e pour rĂ©affirmer des valeurs. Les avantages que comporterait son utilisation ont Ă©tĂ© soulignĂ©s par de nombreuses personnes auditionnĂ©es. a L’attrait de la nouveautĂ© Le premier avantage qu’il y aurait au vote d’une rĂ©solution tient au fait qu’elle serait la premiĂšre depuis plus de cinquante ans et rencontrerait, par consĂ©quent, un Ă©cho important. En effet, la Constitution de la Ve RĂ©publique avait strictement encadrĂ© la possibilitĂ©, pour les assemblĂ©es, de voter des rĂ©solutions. Celles-ci ne pouvaient porter que sur des mesures d’ordre interne par exemple pour crĂ©er une commission d’enquĂȘte, pour modifier son rĂšglement ou, plus tard, pour exprimer un avis sur un projet europĂ©en au titre de l’article 88-4 de la Constitution. La rĂ©vision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a Ă©largi les possibilitĂ©s de recours aux rĂ©solutions en introduisant dans la Constitution un nouvel article 34-1 qui Ă©nonce que les assemblĂ©es peuvent voter des rĂ©solutions dans les conditions fixĂ©es par la loi organique » avant de prĂ©ciser que sont irrecevables et ne peuvent ĂȘtre inscrites Ă  l'ordre du jour les propositions de rĂ©solution dont le gouvernement estime que leur adoption ou leur rejet serait de nature Ă  mettre en cause sa responsabilitĂ© ou qu'elles contiennent des injonctions Ă  son Ă©gard. » Ces nouvelles dispositions constitutionnelles permettent donc au Parlement de voter des rĂ©solutions tant qu’elles ne contiennent pas d’injonction Ă  l’égard du gouvernement ni ne mettent en jeu sa responsabilitĂ©. Le gouvernement est seul juge de la recevabilitĂ© des rĂ©solutions de ce point de vue 213. Or, Ă  ce jour, cette nouvelle procĂ©dure n’a encore jamais Ă©tĂ© utilisĂ©e. Elle l’est pourtant frĂ©quemment dans de nombreux parlements du monde – au CongrĂšs des États-Unis, dont c’est la principale activitĂ© » 214 – pour prendre position sur une question dĂ©terminĂ©e. À n’en pas douter, si la premiĂšre rĂ©solution votĂ©e portait sur la condamnation du port du voile intĂ©gral, celle-ci rencontrerait un Ă©cho important dans l’opinion publique. b Une procĂ©dure rapide L’adoption d’une rĂ©solution prĂ©sente Ă©galement l’avantage de pouvoir ĂȘtre rĂ©alisĂ©e en un laps de temps trĂšs court, ce qui permettrait Ă  la reprĂ©sentation nationale de prendre une position publique et solennelle rapidement. Trois raisons concourent Ă  faire du vote d’une rĂ©solution une procĂ©dure potentiellement rapide — une rĂ©solution n’est votĂ©e que par une chambre. Elle n’a donc pas Ă  faire l’objet d’une navette entre l’AssemblĂ©e nationale et le SĂ©nat ; — les propositions de rĂ©solution ne sont pas renvoyĂ©es en commission, conformĂ©ment Ă  l’alinĂ©a 3 de l’article 136 du rĂšglement de l’AssemblĂ©e nationale ; — le dĂ©lai minimal entre le dĂ©pĂŽt d’une proposition de rĂ©solution et son inscription Ă  l’ordre du jour de l’AssemblĂ©e nationale n’est que de six jours francs, au titre de l’article 5 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 et de l’alinĂ©a 5 de l’article 136 du rĂšglement de l’AssemblĂ©e. Si l’AssemblĂ©e nationale choisissait de s’engager dans cette voie, l’adoption de la rĂ©solution pourrait avoir lieu trĂšs peu de temps aprĂšs que la mission aura rendu ses conclusions. c L’affirmation de la compĂ©tence du Parlement De surcroĂźt, la rĂ©solution serait un moyen d’affirmer la lĂ©gitimitĂ© du Parlement Ă  se saisir de sujets de sociĂ©tĂ© qui appellent une rĂ©flexion approfondie. la rĂ©solution affirme le rĂŽle politique des parlementaires – qu’on avait voulu, disons-le, effacer en 1958 – et c’est pourquoi il faut l’utiliser » 215, a estimĂ© Mme Anne Levade au cours de son audition. Le mĂȘme point de vue a Ă©tĂ© dĂ©fendu par M. Guy Carcassonne, qui a pointĂ© le caractĂšre politique de l’adoption d’une rĂ©solution la rĂ©solution permet prĂ©cisĂ©ment Ă  la reprĂ©sentation nationale d’exprimer un point de vue politique [
]. Je ne verrais que des avantages Ă  ce qu’il en soit fait usage. » 216 Or, qui mieux que le Parlement est Ă  mĂȘme de formuler une position politique sur un sujet tel que la pratique du port du voile intĂ©gral ? La rĂ©solution, outil issu de la rĂ©forme constitutionnelle de 2008, a justement pour objet de permettre au Parlement de prendre une position solennelle sur des questions importantes – comme celle-ci » 217, a justement rappelĂ© M. Bertrand Mathieu. d Un impact potentiellement important tant auprĂšs de l’opinion que des agents publics Outre la nouveautĂ© de la procĂ©dure, prĂ©cĂ©demment Ă©voquĂ©e, plusieurs facteurs seraient susceptibles de donner une rĂ©sonance particuliĂšre Ă  l’adoption de cette rĂ©solution. On peut tout d’abord considĂ©rer que le thĂšme du voile intĂ©gral serait particuliĂšrement propice au vote d’une rĂ©solution. Le fait que la premiĂšre rĂ©solution parlementaire porte sur ce sujet serait emblĂ©matique » 218, a ainsi estimĂ© M. Bertrand Mathieu au cours de son audition. Elle serait en effet l’occasion de rĂ©affirmer l’attachement du Parlement aux grands principes rĂ©publicains de libertĂ©, d’égalitĂ©, de fraternitĂ© et de laĂŻcitĂ©. De surcroĂźt, une rĂ©solution condamnant la pratique du port du voile intĂ©gral et rĂ©affirmant les principes fondateurs de la RĂ©publique serait susceptible d’ĂȘtre adoptĂ©e Ă  l’unanimitĂ© des membres de l’AssemblĂ©e. Or, ainsi que l’a indiquĂ© Mme Anne Levade, je pense Ă  [
] la possibilitĂ© d’un consensus rĂ©publicain [
]. Une rĂ©solution votĂ©e Ă  l’unanimitĂ© aurait un retentissement certain. » 219 Mais la portĂ©e d’une rĂ©solution ne se limiterait pas Ă  son retentissement dans l’opinion publique. Elle aurait Ă©galement un rĂŽle de soutien aux agents publics confrontĂ©s Ă  des personnes revĂȘtant le voile intĂ©gral, qui pourront se rĂ©fĂ©rer Ă  cette rĂ©solution permettrait de justifier des dĂ©cisions prises quotidiennement, Ă  propos desquelles on peut aujourd’hui se faire quereller car elles peuvent ĂȘtre interprĂ©tĂ©es comme Ă©tant sĂ©grĂ©gationnistes » 220, comme l’a soulignĂ© M. Jean-Yves Le Bouillonnec, dĂ©putĂ©-maire de Cachan. À cette fin, la rĂ©solution pourrait ĂȘtre diffusĂ©e par voie de circulaire dans les services publics, ainsi que l’a proposĂ© M. Brice Hortefeux Si [le Parlement] adopte une rĂ©solution, il serait utile de l’officialiser et d’en porter les principes Ă  la connaissance des prĂ©fets, des maires, des proviseurs et de tous les interlocuteurs potentiellement concernĂ©s. » 221 Le texte de la rĂ©solution pourrait ainsi ĂȘtre affichĂ© dans les services publics, apportant ainsi une lĂ©gitimitĂ© accrue aux dĂ©cisions des agents publics. 2. Un contenu multiforme Mais l’avantage principal de la rĂ©solution rĂ©side dans son absence de normativitĂ©. De ce fait, son contenu est beaucoup moins contraint que ne l’est celui d’une loi, qui doit impĂ©rativement possĂ©der un contenu normatif, faute de quoi une censure du Conseil constitutionnel est encourue 222. L’adoption d’une rĂ©solution devrait donc ĂȘtre le moyen privilĂ©giĂ© pour rappeler les principes rĂ©publicains mis en cause par le port du voile intĂ©gral mais aussi d’affirmer le soutien de la France tant aux efforts du CFCM pour endiguer cette pratique qu’aux musulmans qui sont victimes de discriminations ou aux femmes contraintes de porter le voile intĂ©gral de par le monde. Il s’agit Ă  cet Ă©gard de tirer tout le parti possible du fait que les mots ont une force » 223, comme l’a soulignĂ© M. Brice Hortefeux. a RĂ©affirmer les principes rĂ©publicains Le principal objet de la rĂ©solution devrait ĂȘtre le rappel des principes rĂ©publicains que le port du voile intĂ©gral heurte frontalement et au premier rang desquels figurent la libertĂ©, l’égalitĂ©, notamment entre les sexes, la fraternitĂ© mais aussi la laĂŻcitĂ© et la dignitĂ© de la personne humaine 224. En donnant au Parlement la possibilitĂ© d'adopter des rĂ©solutions de caractĂšre gĂ©nĂ©ral, la rĂ©forme constitutionnelle de 2008 a créé un outil parfaitement adaptĂ© pour donner une lecture moderne et actualisĂ©e des valeurs rĂ©publicaines. Il me semblerait souhaitable que le Parlement exprime ainsi le consensus le plus large et rĂ©affirme, en la circonstance, nos valeurs » 225, a estimĂ© Ă  juste titre M. Xavier Darcos. Cette rĂ©affirmation pourrait se traduire tant dans le dispositif de la rĂ©solution Ă  proprement parler que dans ses visas, qui devraient comporter des rĂ©fĂ©rences aux grands textes qui garantissent les droits et libertĂ©s mis en cause par le port du voile intĂ©gral. Devraient notamment ĂȘtre mentionnĂ©s — Des textes de valeur constitutionnelle, tels que la DĂ©claration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, mais aussi le troisiĂšme alinĂ©a du prĂ©ambule de la Constitution de 1946, relatif Ă  l’égalitĂ© entre femmes et hommes ou l’article premier de la Constitution de 1958 ; — Des textes internationaux, au premier rang desquels figurent la convention europĂ©enne des droits de l’homme et la Charte des droits fondamentaux de l’Union europĂ©enne, ainsi que la DĂ©claration universelle des droits de l’homme de 1948 et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966. Le dispositif de la rĂ©solution prendrait appui sur ces textes fondateurs de la RĂ©publique et de l’état de droit, illustrant le fait que le port du voile intĂ©gral heurte de plein fouet les valeurs et les principes les plus fondamentaux de notre vivre-ensemble. b Souligner les efforts accomplis par les acteurs de terrain qui combattent la pratique du port du voile intĂ©gral La rĂ©solution devrait Ă©galement souligner de maniĂšre vigoureuse les efforts effectuĂ©s par les acteurs de terrain pour combattre le port du voile intĂ©gral. Ce soutien serait adressĂ© aux maires, qui sont en premiĂšre ligne, notamment Ă  travers les services publics locaux, face Ă  ce phĂ©nomĂšne mais aussi aux associations de dĂ©fense des droits des femmes. L’adoption d’une rĂ©solution serait ainsi l’occasion de souligner le travail effectuĂ© par ces diffĂ©rents acteurs et de les engager Ă  le poursuivre. c Rappeler la dĂ©termination de la reprĂ©sentation nationale Ă  lutter contre les discriminations Le voile intĂ©gral n’est pas un signe religieux. Cependant, le fait qu’il ait souvent Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© comme tel, notamment dans la presse, a pu contribuer Ă  prĂ©senter l’islam comme une religion archaĂŻque, incompatible avec les valeurs de la RĂ©publique, alimentant de ce fait les prĂ©jugĂ©s Ă  l’égard des musulmans de France. Il semble donc important Ă  la mission de se dĂ©marquer de ces amalgames, en saisissant l’occasion du vote de la rĂ©solution pour rĂ©affirmer la solidaritĂ© de la reprĂ©sentation nationale Ă  l’égard des personnes de confession musulmane qui subissent des discriminations. d Condamner les violences faites aux femmes et soutenir toutes les femmes contraintes de porter le voile intĂ©gral dans le monde Enfin, ainsi que l’a soulignĂ© M. Brice Hortefeux au cours de son audition, Quelle que soit la dĂ©cision prise, il sera nĂ©cessaire de bien l’expliquer afin qu’elle soit comprise et acceptĂ©e en France, mais aussi Ă  l’étranger. » 226 L’adoption d’une rĂ©solution pourrait constituer une rĂ©ponse Ă  cette nĂ©cessitĂ© de justifier la position adoptĂ©e par la France sur la scĂšne internationale. À ce titre, dans la droite ligne de sa tradition de patrie des droits de l’homme, dont la voix est Ă©coutĂ©e dans le monde quand il est question de droits fondamentaux, il ne serait pas inutile que la rĂ©solution comporte un message de soutien adressĂ© Ă  toutes les femmes qui luttent, Ă  travers le monde, pour que soient reconnus leurs droits les plus Ă©lĂ©mentaires. Une proposition de rĂ©solution, qui a recueilli l’accord des membres de la mission, est annexĂ©e au prĂ©sent rapport. Proposition n° 1 — Adopter une rĂ©solution condamnant le port du voile intĂ©gral comme contraire aux valeurs de la RĂ©publique, affirmant le soutien de la reprĂ©sentation nationale aux efforts engagĂ©s par les acteurs de terrain pour combattre cette pratique, condamnant les discriminations et les violences faites aux femmes et affirmant la solidaritĂ© de la France Ă  l’égard des femmes qui en sont victimes de par le monde ; — Diffuser cette rĂ©solution par voie de circulaire afin de la porter Ă  la connaissance des agents publics. B. DIFFUSER LES PRINCIPES RÉPUBLICAINS PAR LA MÉDIATION, LA PÉDAGOGIE ET L’ÉDUCATION Une fois ces principes rĂ©affirmĂ©s par le biais d’une rĂ©solution, encore faut-il les faire connaĂźtre et les expliciter. À cette fin, quatre types d’actions sont envisageables. Certaines d’entre elles visent directement les femmes qui portent le voile intĂ©gral et pourraient prendre la forme d’une mĂ©diation. D’autres sont destinĂ©es Ă  irriguer l’ensemble des acteurs susceptibles d’ĂȘtre en contact avec la pratique du port du voile intĂ©gral elles ont une vocation pĂ©dagogique. Les derniĂšres devraient ĂȘtre menĂ©es par l’Éducation nationale car elles ont vocation Ă  diffuser certains savoirs et certaines valeurs communes au sein de l’ensemble du corps social. 1. La mĂ©diation, premiĂšre des rĂ©ponses face au voile intĂ©gral La mĂ©diation auprĂšs des femmes portant le voile intĂ©gral est indispensable si l’on souhaite qu’elles renoncent Ă  son port ou qu’elles puissent se dĂ©faire de la contrainte qui pĂšse sur elles. Tous les intermĂ©diaires susceptibles de la mener Ă  bien doivent Ă  ce titre ĂȘtre mobilisĂ©s, tant il est vrai que la voisine de palier ou la gardienne d’immeuble seront aussi utiles que le policier ou l’huissier. a Prendre en considĂ©ration la diversitĂ© des situations Face Ă  des situations aussi complexes que celles des femmes revĂȘtant le voile intĂ©gral, il est difficile d’apporter une rĂ©ponse univoque. En effet, certaines femmes en revendiquent le port, d’autres y sont contraintes ; certaines le revĂȘtent depuis leur arrivĂ©e en France, sous le poids des pesanteurs culturelles, d’autres le font Ă  la suite d’une conversion. Chaque contexte est donc particulier et demande une analyse in concreto. Cette nĂ©cessaire connaissance fine de chaque situation a Ă©tĂ© soulignĂ©e par M. Dalil Boubakeur il y aurait lieu de s’informer – au cas par cas – sur les motivations familiales, maritales, sectaires, religieuses, voire psychologiques qui poussent ces femmes Ă  arborer un tel vĂȘtement, si peu conforme aux us et coutumes de l’Europe. Chaque cas repose, en effet, sur une problĂ©matique personnelle, une histoire personnelle ou, et je le dis en tant que mĂ©decin, un Ă©tat clinique personnel. » 227 Sur la base de ce diagnostic personnalisĂ©, qui pourrait ĂȘtre rĂ©alisĂ© par les responsables locaux du culte musulman, la femme intĂ©gralement voilĂ©e pourrait ĂȘtre orientĂ©e vers les acteurs compĂ©tents, notamment les intermĂ©diaires culturels » et un travail de persuasion, de discussion pied Ă  pied » 228 pourrait ĂȘtre initiĂ©, pour reprendre les mots du sociologue et historien, M. Jean BaubĂ©rot. b Mobiliser tous les acteurs compĂ©tents, et notamment les Ă©lus locaux La mobilisation et la coordination de tous les acteurs sont essentielles pour faire rĂ©gresser le port du voile intĂ©gral. Tel est le cas au premier titre des institutions reprĂ©sentatives du culte musulman que sont le CFCM et ses dĂ©clinaisons rĂ©gionales les conseils rĂ©gionaux du culte musulman CRCM, dont la mission a rencontrĂ© de nombreux reprĂ©sentants au cours de ses dĂ©placements. M. Jean BaubĂ©rot, titulaire de la chaire d’histoire et sociologie de la laĂŻcitĂ© Ă  l’École pratique des hautes Ă©tudes, a pointĂ© leur rĂŽle potentiel au cours de son audition Le CFCM, avec ses conseils rĂ©gionaux, est un mĂ©diateur important pour lutter contre le port du voile intĂ©gral. » 229 Le potentiel de persuasion des institutions reprĂ©sentatives de l’islam en France a d’ailleurs Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© par le tĂ©moignage apportĂ© Ă  la mission par M. Anouar Kbibech, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du CFCM J’ai Ă©tĂ© prĂ©sident du CRCM – conseil rĂ©gional du culte musulman – Ile-de-France Est pendant cinq ans. Constatant qu’un certain nombre de femmes portaient le voile intĂ©gral dans les villes d’Évry, de Corbeil-Essonnes et de Longjumeau, nous avons dialoguĂ© avec elles. À ces femmes, souvent jeunes et françaises de souche, nous avons inculquĂ© le vrai message de l’islam, de l’islam du juste milieu comme cela a Ă©tĂ© prĂ©cisĂ© dans la dĂ©claration du prĂ©sident du CFCM. Et je peux vous dire que cela marche. Au bout de deux ou trois ans, certaines femmes ont abandonnĂ© cette tenue. » 230 Mais ce dernier a Ă©galement insistĂ© sur la nĂ©cessitĂ© de systĂ©matiser ce type d’actions. En effet, par rapport aux autres grandes dĂ©mocraties occidentales, la culture de la mĂ©diation est relativement peu dĂ©veloppĂ©e en France, ainsi que l’a particuliĂšrement soulignĂ© M. Farhad Khosrokhavar Dans ma pratique quotidienne de sociologue, j’ai relevĂ© la faiblesse de la mĂ©diation en France, l’absence d’instances autres que celles de l’État, qui interviennent pour restreindre ou circonscrire des phĂ©nomĂšnes qu’une grande partie de la sociĂ©tĂ© considĂšre comme n’étant pas acceptables. » 231 M. Jean BaubĂ©rot a dressĂ© le mĂȘme constat d’une France n’ayant pas assez l’habitude de la mĂ©diation » 232. Les Ă©lus locaux, et notamment les maires, sont en premiĂšre ligne face aux difficultĂ©s provoquĂ©es par le port du voile intĂ©gral. L’audition de l’Association des maires de France et celle de l’association Ville et banlieue de France l’ont amplement dĂ©montrĂ©. Ils disposent, en effet, d’une information de proximitĂ© et de donnĂ©es prĂ©cises concernant le contexte familial dans lequel prend place cette pratique. À cette fin, la mission prĂ©conise que soit envisagĂ©e la conclusion de protocoles entre les reprĂ©sentants locaux du culte musulman et les autres acteurs susceptibles de venir en aide aux femmes portant le voile intĂ©gral que sont notamment les services municipaux, les services de l’État et les associations de dĂ©fense des droits des femmes. Ces protocoles auraient vocation Ă  ĂȘtre signĂ©s dans toutes les communes oĂč le port du voile intĂ©gral est implantĂ©. Les femmes portant le voile intĂ©gral sous la contrainte ou Ă  la suite d’un conditionnement » pourraient ainsi plus facilement ĂȘtre informĂ©es de leurs droits. Proposition n° 2 Permettre largement des actions de mĂ©diation Ă  l’attention des femmes portant le voile intĂ©gral et de leur entourage, afin de comprendre leurs motivations, en Ă©tablissant des protocoles rassemblant tous les acteurs concernĂ©s. 2. La pĂ©dagogie de la laĂŻcitĂ© et des valeurs de la RĂ©publique Ayant un champ d’action plus large que les actions de mĂ©diation, les efforts de pĂ©dagogie et de formation aux valeurs de la RĂ©publique doivent ĂȘtre dĂ©veloppĂ©s. Outre l’éducation, qui doit bĂ©nĂ©ficier Ă  tous 233, il est nĂ©cessaire de concentrer les actions de formation aux valeurs de la RĂ©publique et Ă  la laĂŻcitĂ© d’une part sur les primo-arrivants, et d’autre part sur les agents publics, qui sont tous, Ă  divers titres, particuliĂšrement confrontĂ©s aux questions liĂ©es Ă  la mise en Ɠuvre du principe de laĂŻcitĂ©. a Renforcer la formation civique des primo-arrivants Si les femmes portant le voile intĂ©gral ne sont pas en majoritĂ© Ă©trangĂšres, il est Ă©galement incontestable que certaines d’entre elles sont des primo-arrivantes, qui le revĂȘtent par soumission ou par fidĂ©litĂ© aux traditions de leur pays d’origine, c'est-Ă -dire des femmes que leur entourage familial maintient dans leur univers gĂ©ographique et Ă©conomique d’appartenance, oĂč il est facile de reproduire des phĂ©nomĂšnes de domination » 234, selon les termes de M. Jean-Michel Ducomte, prĂ©sident de la Ligue de l’enseignement. Il est donc important que les primo-arrivants bĂ©nĂ©ficient d’une part d’une formation linguistique, condition de leur intĂ©gration dans la sociĂ©tĂ© qui les accueille, et d’autre part d’une formation civique. Ces deux types de formation font dĂ©jĂ  partie du droit positif puisqu’elles figurent Ă  l’article L. 311-9 du code de l’entrĂ©e et du sĂ©jour des Ă©trangers et du droit d’asile CESEDA, dont le dĂ©cret d’application prĂ©voit que la formation civique mentionnĂ©e Ă  l'article L. 311-9 comporte la prĂ©sentation des institutions françaises et des valeurs de la RĂ©publique, notamment en ce qui concerne l'Ă©galitĂ© entre les hommes et les femmes, la laĂŻcitĂ©, l'Ă©tat de droit, les libertĂ©s fondamentales, la sĂ»retĂ© des personnes et des biens ainsi que l'exercice de la citoyennetĂ© que permet notamment l'accĂšs obligatoire et gratuit Ă  l'Ă©ducation. » Elles ont vocation Ă  faire partie du contrat d’accueil et d’intĂ©gration que ces migrants concluent avec l’État Ă  leur arrivĂ©e en France. Or, l’article 1 de l’arrĂȘtĂ© du 19 janvier 2007 relatif aux formations prescrites aux Ă©trangers signataires du contrat d'accueil et d'intĂ©gration ne prĂ©voit qu’une formation civique d’une durĂ©e de six heures. Celle-ci est manifestement insuffisante, la formation gagnant Ă  s’inscrire dans le moyen terme. Au cours de son audition, M. Éric Besson, ministre de l’Immigration, de l’intĂ©gration, de l’identitĂ© nationale et du dĂ©veloppement solidaire, a d’ailleurs indiquĂ© que cette formation devait ĂȘtre renforcĂ©e Concernant l'accueil des ressortissants Ă©trangers sur notre territoire, je veillerai Ă  ce que la formation aux valeurs de la RĂ©publique soit renforcĂ©e et insiste davantage sur les principes de laĂŻcitĂ© et d’égalitĂ© entre les sexes, ainsi que sur l'interdiction du port du voile Ă  l'Ă©cole. » 235 De surcroĂźt, cette formation obligatoire devrait ĂȘtre l’occasion, pour les personnes qui la suivent, de faire connaissance avec les divers acteurs susceptibles de les Ă©pauler dans leur parcours d’intĂ©gration et notamment les associations de dĂ©fense des droits des femmes. Proposition n° 3 Renforcer la formation civique dĂ©livrĂ©e dans le cadre du contrat d’accueil et d’intĂ©gration en l’inscrivant dans le moyen terme. b Mieux former les agents publics aux rĂšgles de la laĂŻcitĂ© et Ă  la gestion des incivilitĂ©s Les agents des services publics sont frĂ©quemment dĂ©semparĂ©s face aux pratiques religieuses extrĂȘmes dont ils peuvent avoir Ă  connaĂźtre. La Charte de la laĂŻcitĂ© dans les services publics, qui a Ă©tĂ© diffusĂ©e en 2007 par circulaire du Premier ministre, a vocation Ă  clarifier les droits et les devoirs respectifs des usagers du service public et des agents publics mais elle se cantonne, en ce qui concerne les agents publics, Ă  rappeler les principes de neutralitĂ© et de libertĂ© de conscience. Elle ne saurait donc constituer un guide de bonne pratique pour les agents confrontĂ©s Ă  des comportements religieux extrĂȘmes. Charte de la laĂŻcitĂ© dans les services publics La France est une RĂ©publique indivisible, laĂŻque, dĂ©mocratique et sociale. Elle assure l'Ă©galitĂ© devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle garantit des droits Ă©gaux aux hommes et aux femmes et respecte toutes les croyances. Nul ne doit ĂȘtre inquiĂ©tĂ© pour ses opinions, notamment religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public Ă©tabli par la loi. La libertĂ© de religion ou de conviction ne rencontre que des limites nĂ©cessaires au respect du pluralisme religieux, Ă  la protection des droits et libertĂ©s d'autrui, aux impĂ©ratifs de l'ordre public et au maintien de la paix civile. La RĂ©publique assure la libertĂ© de conscience et garantit le libre exercice des cultes dans les conditions fixĂ©es par la loi du 9 dĂ©cembre 1905. Les usagers du service public Tous les usagers sont Ă©gaux devant le service public. Les usagers des services publics ont le droit d'exprimer leurs convictions religieuses dans les limites du respect de la neutralitĂ© du service public, de son bon fonctionnement et des impĂ©ratifs d'ordre public, de sĂ©curitĂ©, de santĂ© et d'hygiĂšne. Les usagers des services publics doivent s'abstenir de toute forme de prosĂ©lytisme. Les usagers des services publics ne peuvent rĂ©cuser un agent public ou d'autres usagers, ni exiger une adaptation du fonctionnement du service public ou d'un Ă©quipement public. Cependant, le service s'efforce de prendre en considĂ©ration les convictions de ses usagers dans le respect des rĂšgles auquel il est soumis et de son bon fonctionnement. Lorsque la vĂ©rification de l'identitĂ© est nĂ©cessaire, les usagers doivent se conformer aux obligations qui en dĂ©coulent. Les usagers accueillis Ă  temps complet dans un service public, notamment au sein d'Ă©tablissements mĂ©dico-sociaux, hospitaliers ou pĂ©nitentiaires ont droit au respect de leurs croyances et de participer Ă  l'exercice de leur culte, sous rĂ©serve des contraintes dĂ©coulant des nĂ©cessitĂ©s du bon fonctionnement du service. Les agents du service public Tout agent public a un devoir de stricte neutralitĂ©. Il doit traiter Ă©galement toutes les personnes et respecter leur libertĂ© de conscience. Le fait pour un agent public de manifester ses convictions religieuses dans l'exercice de ses fonctions constitue un manquement Ă  ses obligations. Il appartient aux responsables des services publics de faire respecter l'application du principe de laĂŻcitĂ© dans l'enceinte de ces services. La libertĂ© de conscience est garantie aux agents publics. Ils bĂ©nĂ©ficient d'autorisations d'absence pour participer Ă  une fĂȘte religieuse dĂšs lors qu'elles sont compatibles avec les nĂ©cessitĂ©s du fonctionnement normal du service. Pourtant, la formation des agents publics Ă  ces comportements extrĂȘmes, d’oĂč dĂ©coulent parfois des incivilitĂ©s, est susceptible de les rendre plus rĂ©actifs dans les rĂ©ponses qu’ils leur apportent. Un exemple personnel, issu du domaine scolaire, en a Ă©tĂ© donnĂ© par M. Henri Pena-Ruiz Si une jeune fille se prĂ©sente voilĂ©e dans ma classe, je ne lui dirai pas d’emblĂ©e " Mademoiselle, dehors ". J’engagerai un entretien avec elle, puis avec ses parents, pour expliquer la raison de cette rĂšgle. Il faut d’abord dĂ©ployer tous les trĂ©sors de pĂ©dagogie possible, et ne sanctionner qu’en dernier lieu. » 236 Afin de rĂ©pondre Ă  ces difficultĂ©s, un programme de formation des agents a Ă©tĂ© mis en Ɠuvre par La Poste, qu’a prĂ©sentĂ© Mme Christine Bargain, directrice du projet DiversitĂ© et Handicap 237. Celui-ci se dĂ©cline selon quatre axes — la formation des personnels Ă  rĂ©agir aux incivilitĂ©s et aux rĂšgles de vĂ©rification d’identitĂ© Ă  respecter ; — le dĂ©veloppement d’un partenariat avec les forces de l’ordre pour Ă©viter que les incidents qui dĂ©gĂ©nĂšrent ne portent atteintes Ă  la sĂ©curitĂ© des clients ou des personnels. Sur les 250 bureaux concernĂ©s, 30 % ont un rĂ©fĂ©rent forces de l’ordre ; — l’expĂ©rimentation, avec des associations locales, pour l’éducation des femmes Ă  l’utilisation des services postaux ; — l’élaboration d’un guide pratique Ă  l’usage des managers sur les bonnes pratiques dans la gestion du fait religieux. Ces actions devraient ĂȘtre gĂ©nĂ©ralisĂ©es Ă  tous les services publics, qu’ils soient nationaux ou locaux, Ă  destination des agents qui ont vocation Ă  entrer en contact direct avec les usagers. Proposition n° 4 GĂ©nĂ©raliser la formation des agents en contact direct avec les usagers aux rĂšgles de la laĂŻcitĂ© et Ă  la gestion des incivilitĂ©s. 3. Le rĂŽle fondamental de l’éducation et de la connaissance L’école est, Ă  n’en pas douter, un instrument essentiel de socialisation et donc un vecteur privilĂ©giĂ© de formation aux valeurs rĂ©publicaines. a Faire de l’école un lieu de prĂ©vention des violences sexistes La mission d’évaluation des politiques de prĂ©vention et de lutte contre les violences faites aux femmes a dressĂ© un constat alarmant de la prĂ©sence des violences sexistes en milieux scolaires. Ces violences peuvent ĂȘtre directes ou plus insidieuses, contribuant Ă  l’instauration d’un climat hostile aux jeunes filles. InterrogĂ©e par cette mission au sujet de son expĂ©rience dans les collĂšges oĂč l’association Paroles de femmes intervient, Mme Olivia Cattan tĂ©moignait de ce type de comportements Dans une classe de vingt Ă©lĂšves, il y a peut-ĂȘtre une fille en jupe, et encore. Les filles se comportent comme des garçons, parce qu’elles n’ont pas le choix. Les garçons ont envers elles des gestes trĂšs violents et indĂ©cents. Elles subissent continuellement une sorte de harcĂšlement psychologique et moral. » 238 Or, les situations de violences verbales et physiques Ă  l’égard des jeunes filles s’inscrivent dans des processus qu’il appartient justement Ă  l’école de rĂ©vĂ©ler et de combattre et qui auront des rĂ©percussions sur les comportements des uns et des autres une fois devenus adultes. Afin de les combattre, la mission soutient les prĂ©conisations que la mission d’évaluation parlementaire a formulĂ©es en la matiĂšre et notamment de gĂ©nĂ©raliser, dĂšs les classes du primaire, les interventions ayant pour but l’éducation au respect et Ă  la mixitĂ©. Proposition n° 5 Mettre en Ɠuvre la proposition n° 18 du rapport de la mission d’évaluation des politiques de prĂ©vention et de lutte contre les violences faites aux femmes, qui vise Ă  prĂ©venir les violences sexistes Ă  l’école et Ă  former les enfants Ă  l’égalitĂ© femme-homme et Ă  la mixitĂ©. b Mieux connaĂźtre la laĂŻcitĂ© Si l’on entend faire de la laĂŻcitĂ© une valeur partagĂ©e, il est indispensable d’en enseigner les contours et les raisons au cours de la scolaritĂ© obligatoire. Or, M. Richard SĂ©rĂ©ro, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisĂ©mitisme LICRA, a dressĂ© le constat des lacunes de l’enseignement des valeurs rĂ©publicaines en gĂ©nĂ©ral et de la laĂŻcitĂ© en particulier Je constate qu’on a oubliĂ© d’apprendre Ă  des enfants, dont les parents Ă©taient issus de cultures Ă©trangĂšres, les rĂšgles qui prĂ©valent dans notre pays. Devenus adultes, ces enfants sont partagĂ©s entre la culture de leurs parents – leurs mĂšres Ă©tant parfois recluses au foyer depuis trente ou quarante ans et ne parlant toujours que la langue de leur pays d’origine – et la culture du pays dans lequel ils vivent et dont ils sont citoyens
 » 239 À l’école primaire, le thĂšme de la laĂŻcitĂ©, et plus gĂ©nĂ©ralement des valeurs rĂ©publicaines, figurent dans les compĂ©tences que les Ă©lĂšves doivent acquĂ©rir au titre des compĂ©tences sociales et civiques et de la culture humaniste. Dans ce cadre, l’objectif est de mettre en place un parcours civique de l’élĂšve, en lui permettant de dĂ©couvrir progressivement les valeurs, les principes et les rĂšgles qui rĂ©gissent l’organisation des relations sociales, depuis l’observation des rĂšgles Ă©lĂ©mentaires de civilitĂ© jusqu’aux rĂšgles d’organisation de la vie dĂ©mocratique en France » 240, pour reprendre les termes employĂ©s par M. Xavier Darcos lors de la prĂ©sentation de ces programmes. Ainsi, la loi de 1905 figure au sein du programme d’histoire du primaire. Au collĂšge, l’enseignement de la laĂŻcitĂ© prend place dans le cadre des enseignements d’histoire et d’éducation civique. Selon les programmes, Ă  la fin de la scolaritĂ© obligatoire, la loi de 1905 est un des repĂšres fondamentaux que les Ă©lĂšves doivent connaĂźtre et savoir utiliser ». Dans le cadre des cours d’éducation civique, les Ă©lĂšves de sixiĂšme doivent prendre conscience que dans les Ă©tablissements publics, la laĂŻcitĂ© est un principe fondamental ». Par la mise en Ɠuvre de l’étude du rĂšglement intĂ©rieur du collĂšge, les professeurs ont pour mission de montrer que la laĂŻcitĂ© est Ă  la fois une valeur et une pratique ». En classe de troisiĂšme, l’accent est mis sur la signification des principes et des rĂšgles principales qui fondent la communautĂ© nationale. La loi du 9 dĂ©cembre 1905 sur la sĂ©paration des Églises et de l’État ainsi que la loi du 15 mars 2004, sur l’application du principe de laĂŻcitĂ© dans les Ă©tablissements scolaires et publics, sont inscrites dans les documents de rĂ©fĂ©rence » Ă  la lecture desquels les Ă©lĂšves sont progressivement initiĂ©s. L’enseignement de la laĂŻcitĂ© est donc prĂ©sent dans les programmes de la scolaritĂ© obligatoire. On peut nĂ©anmoins s’étonner, dans le domaine de la recherche, de l’absence de grand organisme public faisant la synthĂšse des travaux menĂ©s sur ce thĂšme. M. Jacques Chirac, alors PrĂ©sident de la RĂ©publique, avait souhaitĂ© que soit instituĂ© un Observatoire de la laĂŻcitĂ©. Celui-ci a Ă©tĂ© créé par un dĂ©cret du 25 mars 2007 241. La mission estime que cette structure pourrait avoir un rĂŽle de collecte de donnĂ©es quant Ă  l’application du principe de laĂŻcitĂ© dans les services publics. Il est incontestable que l’institutionnalisation d’un tel observatoire serait de nature Ă  permettre d’identifier et de rĂ©soudre les difficultĂ©s qu’elles engendrent. Proposition n° 6 Donner tout son rĂŽle Ă  l’Observatoire de la laĂŻcitĂ©, créé en 2007. c La question de l’enseignement de la langue arabe et de la civilisation musulmane au sein de l’école de la RĂ©publique La question de l’enseignement de la langue arabe est apparue en filigrane lors des travaux de la mission. C’est pourquoi il est apparu utile d’en rendre compte, mĂȘme si cette question n’est pas en lien direct avec celle du voile intĂ©gral. L’enseignement de la langue arabe en France est ancien. Le centenaire de la crĂ©ation de l’agrĂ©gation d’arabe a Ă©tĂ© cĂ©lĂ©brĂ© Ă  la Sorbonne en novembre 2006. Les Ă©tudes arabes occupent depuis plusieurs siĂšcles une place brillante dans notre espace culturel et universitaire. Pourtant, cette langue demeure une langue rare ». L’arabe est enseignĂ© en LV1, LV2, LV3 ou option de la 6Ăšme aux classes post-bac. Sa position dans le secondaire est trĂšs menacĂ©e. Le nombre d’établissements secondaires qui proposent des enseignements d’arabe diminue il est actuellement de 239, de mĂȘme que le nombre d’enseignants. Depuis de nombreuses annĂ©es, les rectorats refusent toute ouverture de postes budgĂ©taires en arabe. Cet enseignement se heurte Ă  de nombreux obstacles. Certains tiennent aux difficultĂ©s de gestion qui jouent lourdement contre les disciplines optionnelles les plus faibles qui n’ont pas atteint dans l’institution scolaire le seuil de masse critique. De surcroĂźt, la construction de l’Europe a pour effet de privilĂ©gier trĂšs fortement l’apprentissage des plus grandes langues europĂ©ennes. Enfin, a longtemps prĂ©dominĂ© l’idĂ©e selon laquelle l’enseignement de l’arabe serait susceptible de relĂ©guer les Ă©lĂšves issus de l’immigration dans une situation d’exclusion ou de communautarisme et de stigmatiser les Ă©tablissements qui le proposent. Pourtant, il y a lĂ  un enjeu de premiĂšre importance dans la politique d’intĂ©gration scolaire. Ainsi que l’écrivaient, en 2004, MM. FrĂ©dĂ©ric Lagrange et Luc Deheuls, prĂ©sident et ancien prĂ©sident du concours du CAPES d’arabe, l’Éducation nationale, en renonçant au dĂ©veloppement d'un enseignement laĂŻque de la langue arabe en France, vĂ©ritable outil d'intĂ©gration, alternative au communautarisme, cĂšde le terrain Ă  un enseignement parallĂšle non contrĂŽlĂ©, aux objectifs fort Ă©loignĂ©s des valeurs rĂ©publicaines françaises, quand elles n'y sont pas explicitement opposĂ©es. » 242 Plus rĂ©cemment, un article du quotidien Le Monde intitulĂ© La langue arabe chassĂ©e des classes » soulignait que si l'arabe est en crise au collĂšge et au lycĂ©e, il est en plein boom dans les mosquĂ©es. » 243 Cet enjeu a depuis Ă©tĂ© perçu par les pouvoirs publics. En effet, le PrĂ©sident de la RĂ©publique, dans son discours de Constantine du 7 dĂ©cembre 2007 a donnĂ© une nouvelle impulsion Ă  l’enseignement de l’arabe Je souhaite, a-t-il indiquĂ©, que davantage de Français prennent en partage la langue arabe par laquelle s’expriment tant de valeurs de civilisation et de valeurs spirituelles. En 2008, j’organiserai en France les Assises de l’enseignement de la langue et de la culture arabes, parce que c’est en apprenant chacun la langue et la culture de l’autre que nos enfants apprendront Ă  se connaĂźtre et Ă  se comprendre. » Lors de ces Assises, divers axes ont Ă©tĂ© retenus afin de permettre le dĂ©veloppement de l’enseignement de l’arabe. Cet effort de l’enseignement public en direction de la langue arabe doit Ă©galement conduire Ă  un dĂ©veloppement des Ă©tudes universitaires portant sur l’islam, sur le monde arabe et sur la langue arabe. M. Benjamin Stora a estimĂ© que l’absence de chaires universitaires sur le monde arabe, sur l’histoire du Maghreb ou sur la langue arabe explique les lacunes de la transmission mĂ©morielle. Il faut y voir une des raisons pour lesquelles beaucoup vont chercher dans les formes les plus radicales de la religion ou les plus thĂ©oriques du nationalisme arabe – dans sa version laĂŻcisĂ©e mais islamiste – des outils de rĂ©fĂ©rence. » 244 Afin de combler cette lacune, la mission Stasi avait prĂ©conisĂ© que soit créée une École nationale d’études sur l’islam, qui aurait vocation Ă  dĂ©velopper les recherches scientifiques sur les sociĂ©tĂ©s, la pensĂ©e et la culture liĂ©es au modĂšle "islamique" de production des sociĂ©tĂ©s ; offrir un espace d'expression scientifique critique de l'islam comme religion, tradition de pensĂ©e et cultures variĂ©es Ă  travers le monde ; contribuer Ă  la formation des maĂźtres appelĂ©s Ă  enseigner le fait religieux Ă  tous les niveaux de l'enseignement public ; crĂ©er un centre de lecture, de documentation et d'Ă©change Ă  tous les citoyens dĂ©sireux d'acquĂ©rir des informations scientifiques sur tout ce qui touche Ă  l'insertion de l'islam et des musulmans dans les grands courants de la pensĂ©e critique contemporaine et de construction d'un espace laĂŻque de la citoyennetĂ© ; tisser des relations avec les chercheurs et les enseignants dans le monde musulman contemporain ; mettre en place des structures d'accueil aux nombreux Ă©tudiants francophones qui viennent du Maghreb, de l'Afrique et du Proche-Orient. » 245 C. LUTTER CONTRE LES PRÉJUGÉS ET RÉFLÉCHIR À UNE JUSTE REPRÉSENTATION DE LA DIVERSITÉ SPIRITUELLE Certaines actions rĂ©centes menĂ©es dans divers pays occidentaux, contre le port de la burqa dans les lieux publics sont liĂ©es, Ă  n’en pas douter, au climat dĂ©favorable qui rĂšgne actuellement Ă  l’égard de l’islam et qui associe, plus que jamais, la burqa Ă  l’extrĂ©misme islamiste et Ă  la menace terroriste. » 246, peut-on lire dans une revue savante belge rĂ©cente. C’est justement afin de lutter contre cette association qui tend Ă  assimiler islam et terrorisme que la mission d’information a tenu Ă  associer de maniĂšre rĂ©guliĂšre le Conseil français du culte musulman Ă  ses travaux. En effet, en estimant que le port du voile intĂ©gral est aux antipodes des valeurs de la RĂ©publique, la mission a, dans le mĂȘme temps, jugĂ© nĂ©cessaire de combattre toutes les formes de discrimination et notamment celles qui sont fondĂ©es sur la religion. 1. Faire reculer les discriminations Les diffĂ©rents reprĂ©sentants du culte musulman rencontrĂ©s par la mission ont tous fait Ă©tat du sentiment d’ĂȘtre stigmatisĂ©s Ă  cause de leur religion. Le prĂ©sident du CFCM, M. Mohammed Moussaoui, s’est fait le porte-parole de ce ressenti au cours de son audition DĂšs l'expression de votre souhait d’installer une commission d'enquĂȘte parlementaire sur le port de la burqa et du niqab sur le territoire national, un dĂ©bat s'est ouvert sur cette pratique et il a pris des proportions inattendues. Les musulmans dans leur ensemble se sont trouvĂ©s de plus en plus souvent confrontĂ©s Ă  des amalgames qui ont pour consĂ©quence la stigmatisation de toute une religion. » 247 Les profanations, en 2008, Ă  Arras, de plus de 500 tombes du carrĂ© musulman du cimetiĂšre militaire Notre-Dame-de-Lorette ont Ă©tĂ© Ă©voquĂ©es Ă  de nombreuses reprises devant la mission, que ce soit lors des auditions Ă  l’AssemblĂ©e nationale ou Ă  Lyon et Ă  Marseille. Le PrĂ©sident de la RĂ©publique a rĂ©cemment pris une position forte en faveur de l’égalitĂ© de droits et de la lutte contre les discriminations, dans une tribune du 8 dĂ©cembre 2009 Je m'adresse Ă  mes compatriotes musulmans pour leur dire que je ferai tout pour qu'ils se sentent des citoyens comme les autres, jouissant des mĂȘmes droits que tous les autres Ă  vivre leur foi, Ă  pratiquer leur religion avec la mĂȘme libertĂ© et la mĂȘme dignitĂ©. Je combattrai toute forme de discrimination. » 248 La mission souhaite s’associer Ă  cette condamnation solennelle des discriminations et notamment de celles qui sont fondĂ©es sur la religion. Elle prend acte de la demande formulĂ©e par M. Mohammed Moussaoui de crĂ©er une mission dont l'objectif serait de dresser un Ă©tat des lieux de la montĂ©e de l'islamophobie, de mieux comprendre le phĂ©nomĂšne et de dĂ©finir des propositions afin de lutter contre ces actes qui menacent la cohĂ©sion nationale et le vivre ensemble » » 249. Cette thĂ©matique pourrait ĂȘtre Ă©largie Ă  la lutte contre l’ensemble des discriminations. En effet, ainsi que le prĂ©sident du CFCM l’a diagnostiquĂ©, la lecture littĂ©raliste de l’islam peut ĂȘtre alimentĂ©e et amplifiĂ©e par des discriminations sociales et Ă©conomiques. Nous devons donc travailler ensemble Ă  assĂ©cher ce terreau. La question dĂ©borde donc le seul sujet du port du voile intĂ©gral, manifestation d’un mal plus profond. » 250 2. RĂ©flĂ©chir aux moyens de respecter pleinement une juste reprĂ©sentation de la diversitĂ© spirituelle » De nombreuses personnes auditionnĂ©es ont jugĂ© regrettable que les prĂ©conisations du rapport de la commission de rĂ©flexion sur l’application du principe de laĂŻcitĂ© dans la RĂ©publique, dite commission Stasi, du nom de son prĂ©sident, n’aient pas Ă©tĂ© suivies d’effet, Ă  l’exception de celles qui portaient sur le vote d’une loi interdisant les signes religieux ostentatoires Ă  l’école et de celle qui estimait nĂ©cessaire de crĂ©er la Haute autoritĂ© de lutte contre les discriminations et pour l’égalitĂ© HALDE. M. Jean BaubĂ©rot a mĂȘme estimĂ© qu’il aurait Ă©tĂ© plus utile de chercher Ă  appliquer les propositions de la commission Stasi que de les oublier pour se focaliser sur la seule question du voile intĂ©gral. » 251 De fait, la mission souhaiterait qu’une rĂ©flexion d’ensemble soit engagĂ©e sur la maniĂšre de respecter pleinement la diversitĂ© spirituelle », selon l’expression retenue par le rapport Stasi. Certaines mesures, qui dĂ©passent le champ de compĂ©tence de la mission, devraient faire l’objet d’une Ă©tude approfondie pour que la religion musulmane soit mise sur un pied d'Ă©galitĂ© avec toutes les autres grandes religions » 252, selon l’expression du PrĂ©sident de la RĂ©publique et pour combattre l’idĂ©e fausse selon laquelle une sociĂ©tĂ© laĂŻque est antimusulmane » 253. a La construction de lieux de cultes La question de la possibilitĂ© de construire des lieux de culte est particuliĂšrement symbolique aux yeux des musulmans de France. Ainsi que l’a expliquĂ© M. Haydar Demiryurek, vice-prĂ©sident du CFCM chargĂ© des rĂ©gions, pour que nous vous aidions, il faut que la reprĂ©sentation nationale nous aide aussi dans la lutte contre l’islamophobie. Pour que les musulmans s’approprient la RĂ©publique et ses lois, il faut que des signaux forts leur soient adressĂ©s. Dans beaucoup de villes, des projets de grandes mosquĂ©es apparaissent ce sont des signes trĂšs forts pour les musulmans. Cela montre qu’ils ont toute leur place en tant que citoyens au sein de la communautĂ© nationale et que, dans le cadre du vivre-ensemble, les pas nĂ©cessaires sont rĂ©alisĂ©s pour le dĂ©montrer. » 254 Le PrĂ©sident de la RĂ©publique n’a pas Ă©crit autre chose dans sa tribune Respecter ceux qui arrivent, c'est leur permettre de prier dans des lieux de culte dĂ©cents. On ne respecte pas les gens quand on les oblige Ă  pratiquer leur religion dans des caves ou dans des hangars. Nous ne respectons pas nos propres valeurs en acceptant une telle situation. » Le rapport de la commission de rĂ©flexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics prĂ©sidĂ©e par M. Jean-Pierre Machelon avait d’ailleurs dĂ©montrĂ© que de rĂ©elles marges de manƓuvres lĂ©gislatives existaient en ce domaine dans la mesure oĂč l’article 2 de la loi de 1905, qui prĂ©voit que la RĂ©publique ne reconnaĂźt, ne salarie et ne subventionne aucun culte », n’a pas valeur constitutionnelle 255. Cette derniĂšre prĂ©conisait notamment d’autoriser l’aide directe Ă  la construction des lieux de culte. b L’islam en Alsace-Moselle La commission Stasi avait considĂ©rĂ© que le fait que l’islam ne soit pas inclus au titre des enseignements religieux proposĂ©s et que ceux-ci ne soient pas optionnels Ă©tait constitutif d’une pratique publique discriminante ». Cette rĂ©flexion a Ă©tĂ© prolongĂ©e par M. Jean BaubĂ©rot au cours de son audition en Alsace-Moselle, malgrĂ© l’article 2 de la loi de 1905, trois cultes sont reconnus », tandis qu’un seul – le catholicisme – l’est en Guyane. Les lois de sĂ©paration elles-mĂȘmes, votĂ©es de 1905 Ă  1908, prĂ©voient une mise en pratique accommodante puisqu’elles autorisent la mise Ă  disposition gratuite et l’entretien des Ă©difices cultuels existant alors mais l’islam n’était pas prĂ©sent dans l’Hexagone
 Et, sans intention discriminatrice, la RĂ©publique peine, malgrĂ© certains progrĂšs, Ă  rĂ©aliser l’égalitĂ© entre religions, au dĂ©triment de l’islam. » 256 Le rapport de la commission de rĂ©flexion juridique sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics prĂ©conisait d’élaborer un statut particulier pour l’islam qui serait constituĂ© Ă©tapes par Ă©tapes. La premiĂšre d’entre elles serait d’instaurer des cours d’enseignement religieux musulman au sein des Ă©tablissements d’enseignement secondaire et donc de crĂ©er un systĂšme de formation du personnel religieux. Or, force est de constater qu’aucune action n’a Ă©tĂ© entreprise en ce sens. c La reconnaissance symbolique des fĂȘtes des religions les plus reprĂ©sentĂ©es L’une des propositions les plus novatrices du rapport Stasi rĂ©sidait dans la volontĂ© de prendre en considĂ©ration les fĂȘtes les plus solennelles des grandes religions prĂ©sentes sur le territoire national La RĂ©publique s’honorerait, Ă©crivait la commission, en reconnaissant les jours les plus sacrĂ©s des deux autres grandes religions monothĂ©istes prĂ©sentes en France [
] Ainsi Ă  l’école, l’ensemble des Ă©lĂšves ne travailleraient pas les jours de Kippour et de l’AĂŻd-el-kebir. Ces deux jours fĂ©riĂ©s supplĂ©mentaires devraient ĂȘtre compensĂ©s. » Dans le monde de l’entreprise, de nouveaux jours fĂ©riĂ©s pourraient aussi ĂȘtre créés, substituables Ă  d’autres jours fĂ©riĂ©s, selon la pratique dĂ©jĂ  existante dans les organisations internationales. La mission estime que cette idĂ©e, qui n’a pas connu de suites, mĂ©rite qu’on l’étudie Ă  nouveau. La religion musulmane doit avoir sa place dans l'espace public. », estimait M. Éric Besson au cours de son audition. Ces quelques pistes de rĂ©flexion soulevĂ©es par la mission ont vocation Ă  faire partie d’un dĂ©bat plus large sur les moyens d’assurer aujourd’hui en France une juste reprĂ©sentation de la diversitĂ© spirituelle. Proposition n° 7 Engager une rĂ©flexion quant aux moyens d’assurer une juste reprĂ©sentation de la diversitĂ© spirituelle. II.– PROTÉGER ProtĂ©ger les femmes des contraintes qui pourraient peser sur elles constitue le second devoir de la RĂ©publique. Tout l’arsenal juridique doit ĂȘtre mobilisĂ© pour Ă©pauler les femmes qui dĂ©cident de sortir d’une telle emprise. Celui-ci va de l’aide sociale Ă  l’enfance, concernant les mineures, Ă  la rĂ©pression pĂ©nale des personnes qui incitent au port du voile intĂ©gral, Ă  travers la loi sur la presse de 1881, une attention particuliĂšre devant ĂȘtre prĂȘtĂ©e aux demandeuses d’asile qui ont Ă©tĂ© contraintes de porter le voile intĂ©gral dans leur pays d’origine. Mais ce devoir de protection doit aussi s’exercer au profit des agents publics, qui sont souvent dĂ©munis face aux nouvelles problĂ©matiques qui entremĂȘlent de multiples enjeux et dont la pratique du port du voile intĂ©gral constitue un exemple frappant. LĂ  encore, les pouvoirs publics doivent ĂȘtre attentifs Ă  ne pas les laisser seuls face Ă  ces situations complexes. A. MOBILISER ET RENFORCER LES INSTRUMENTS JURIDIQUES POUR LUTTER CONTRE LES VIOLENCES ET LES CONTRAINTES La contrainte Ă  revĂȘtir le voile intĂ©gral ne peut ĂȘtre tolĂ©rĂ©e. L’usage de tous les instruments juridiques existants doit ĂȘtre systĂ©matisĂ© afin de la combattre ; s’ils s’avĂšrent insuffisants, ils devront ĂȘtre renforcĂ©s. LĂ  oĂč le juriste n’a plus de rĂ©serve sĂ©rieuse, c’est lorsqu’il s’agit d’utiliser les lois existantes pour protĂ©ger les femmes qui ne souhaitent pas ou qui ne souhaitent plus se livrer Ă  cette pratique parce qu’elles ne veulent plus se soumettre Ă  ce type de culture. Dans ce cas, on peut demander Ă  l’État d’engager toutes les ressources de son systĂšme juridique pour assurer la protection de ce qu’il faut bien appeler, quand on considĂšre le problĂšme sous cet angle, des victimes » 257, a ainsi rappelĂ© M. Bertrand Louvel, prĂ©sident de chambre Ă  la Cour de cassation. On peut distinguer quatre types de situation de contrainte, qui appellent des rĂ©ponses diffĂ©renciĂ©es. Certaines d’entre elles sont exercĂ©es par des parents sur leurs enfants, d’autres par des maris sur leur femme. Mais il ne faut pas nĂ©gliger les pressions collectives, qu’elles soient la consĂ©quence de la prĂ©dication d’imams fondamentalistes ou de dĂ©rives sectaires. 1. Combattre le port du voile intĂ©gral subi par des mineures Le port du voile intĂ©gral subi par des mineures, quelles que soient leurs motivations, est inacceptable dans la mesure oĂč il prive des jeunes filles de tout contact avec le monde extĂ©rieur. Or, selon l’enquĂȘte menĂ©e par le ministĂšre de l’IntĂ©rieur, 1 % des femmes portant le voile intĂ©gral seraient des mineures, soit quelques dizaines de cas de France 258. Il est donc essentiel que tous les moyens nĂ©cessaires soient mis en Ɠuvre afin de faire cesser ces situations. Dans le cadre du contentieux de la garde des enfants, le juge prend dĂ©jĂ  en compte le fait que des parents imposent une pratique religieuse extrĂȘme Ă  leurs enfants. La contrainte Ă  l’adoption de certains comportements religieux peut, en effet, justifier des restrictions Ă  l’exercice de l’autoritĂ© parentale. Cette possibilitĂ© a Ă©tĂ© prise en compte de maniĂšre explicite par le juge civil, dans la mesure oĂč un arrĂȘt du 24 octobre 2000 de la premiĂšre chambre civile de la Cour de cassation confirme la suspension de tout droit de visite Ă  l’égard d’un pĂšre qui faisait peser des pressions morales et psychologiques sur ses filles encore trĂšs jeunes, notamment en exigeant le port du voile islamique et le respect de l’interdiction de se baigner dans des piscines publiques » et qui ne donnait pas de signe d’évolution pour prendre en compte leur dĂ©veloppement psycho-affectif et laisser une place Ă  la mĂšre » 259. Cette dĂ©cision est particuliĂšrement intĂ©ressante dans la mesure oĂč elle prend en compte une pluralitĂ© de facteurs qui dĂ©notent une pratique extrĂȘme de la religion. Elle pourrait certainement ĂȘtre gĂ©nĂ©ralisĂ©e Ă  la contrainte et Ă  l’incitation au port du voile intĂ©gral exercĂ©es par un parent Ă  l’encontre de ses enfants. De surcroĂźt, elle Ă©tablit que cette suspension des droits de visite n’est pas contraire Ă  la libertĂ© de religion consacrĂ©e par l’article 9 de la CEDH. En ce qui concerne les mesures d’assistance Ă©ducative, le juge civil a pour mission d’évaluer le danger de la situation dans laquelle se trouve l’enfant, au sens de l’article 375 du code civil. C’est ainsi que la cour d’appel d’Aix-en-Provence a dĂ©cidĂ©, par un arrĂȘt du 1er juillet 2008, de confirmer le placement d’une enfant mineure pour l’éloigner de son pĂšre, violent et autoritaire, qui ne supportait pas qu’elle ait un comportement Ă  l’occidentale » et l’obligeait Ă  porter le voile islamique 260. Si des parents imposaient Ă  leur fille le port du voile intĂ©gral, on peut estimer que le juge analyserait cette situation comme plaçant l’enfant en situation de danger. Cette affirmation, hautement probable ne deviendra cependant certaine que si le juge est appelĂ© Ă  se prononcer dans des affaires de ce type. On peut donc considĂ©rer que le juge civil protĂšge efficacement les mineures des pressions qu’elles pourraient subir. Toutefois, il conviendrait d’ armer l’action publique de toute l’énergie nĂ©cessaire », pour reprendre une formule de M. Bertrand Louvel. À ce titre, les ressources de l’aide sociale Ă  l’enfance devraient ĂȘtre mieux mobilisĂ©es. Au titre de l’article L. 226-3 du code de l’action sociale et des familles, le prĂ©sident du conseil gĂ©nĂ©ral est chargĂ© du recueil, du traitement et de l'Ă©valuation, Ă  tout moment et quelle qu'en soit l'origine, des informations prĂ©occupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l'ĂȘtre. Le reprĂ©sentant de l'État et l'autoritĂ© judiciaire lui apportent leur concours. » Toute personne publique ou privĂ©e peut transmettre des informations qu’elle juge prĂ©occupantes au prĂ©sident du conseil gĂ©nĂ©ral, qui est chargĂ© de les Ă©valuer et Ă©ventuellement de saisir le procureur de la RĂ©publique si une solution ne peut ĂȘtre trouvĂ©e avec la famille. Afin de donner sa pleine efficacitĂ© Ă  la protection des mineures qui portent le voile intĂ©gral, il serait nĂ©cessaire que des instructions soient donnĂ©es Ă  tous les services de l’État, par exemple au moyen d’une circulaire, afin qu’ils signalent systĂ©matiquement au prĂ©sident du conseil gĂ©nĂ©ral ces situations. Une enquĂȘte pourrait alors ĂȘtre engagĂ©e par les services du dĂ©partement Ă  chaque fois que le cas se prĂ©sente. De maniĂšre complĂ©mentaire, une attention particuliĂšre doit Ă©galement ĂȘtre portĂ©e aux enfants des femmes qui portent le voile intĂ©gral et qui sont susceptibles de subir des troubles du fait du comportement de leur mĂšre. Proposition n° 8 Donner instruction aux services de l’État de signaler systĂ©matiquement au prĂ©sident du conseil gĂ©nĂ©ral les situations de mineures portant le voile intĂ©gral, dans le cadre de la protection des mineurs en danger. 2. ProtĂ©ger les femmes victimes de contrainte au sein de leur couple M. Brice Hortefeux a exposĂ© Ă  la mission deux cas de contrainte au port du voile intĂ©gral qui ont Ă©tĂ© portĂ©s Ă  la connaissance des services du ministĂšre de l’IntĂ©rieur Dans le premier cas, la femme Ă  qui on imposait le voile intĂ©gral a fini par faire une demande de divorce. Dans le deuxiĂšme, si je me souviens bien, l’épouse avait reçu une paire de gifles aprĂšs avoir manifestĂ© devant son mari son intention de ne plus porter le niqab. » 261 Deux voies juridiques peuvent, en effet, ĂȘtre utilisĂ©es par les femmes qui sont contraintes au sein de leur couple Ă  porter le voile intĂ©gral, qui ne sont pas forcĂ©ment exclusives l’une de l’autre. a Le juge civil est protecteur de la libertĂ© des femmes L’engagement d’une action en divorce constitue la premiĂšre d’entre elles. Depuis la rĂ©forme de 2004, le divorce pour faute peut ĂȘtre prononcĂ© si les deux conditions de l’article 242 du code civil sont rĂ©unies Des faits constitutifs d’une violation grave ou renouvelĂ©e des devoirs et obligations du mariage sont imputables » au conjoint et ils rendent intolĂ©rable le maintien de la vie commune. » La jurisprudence a pris en compte le facteur de la religion comme une cause lĂ©gitime de divorce pour faute. Ainsi, la deuxiĂšme chambre civile de la Cour de cassation a considĂ©rĂ© dans un arrĂȘt du 25 janvier 1978 que le zĂšle excessif touchant la pratique de la religion par l’un des membres du couple peut ĂȘtre cause de divorce pour faute s’il est source de perturbation de la vie familiale. On peut penser, a fortiori, que si cette pratique extrĂȘme de la religion est imposĂ©e Ă  l’autre membre du couple, la solution retenue par le juge n’en sera que plus sĂ©vĂšre pour l’auteur de la contrainte. Si la Cour de cassation n’a pas encore rendu de jugement portant sur la contrainte au port du voile intĂ©gral, tel n’est pas le cas des cours d’appel. On peut citer trois affaires, signalĂ©es par le service de documentation et d’études de la Cour de cassation, qui ont abouti Ă  prononcer un divorce aux torts exclusifs du mari — Un arrĂȘt du 27 juin 2006 de la cour d’appel de Versailles, a retenu le fait que le mari avait adoptĂ© un comportement d’islamiste extrĂ©miste dans la mesure oĂč il pratiquait la polygamie, avait rĂ©pudiĂ© son Ă©pouse et la contraignait Ă  porter le voile intĂ©gral ; — Un arrĂȘt du 17 aoĂ»t 2007 de la cour d’appel de ChambĂ©ry estime qu’est constitutif d’une faute au sens de l’article 242 du code civil le fait pour un mari d’empĂȘcher toute sortie de son Ă©pouse et de la contraindre Ă  porter le voile islamique ; — Un arrĂȘt du 23 septembre 2009 de la cour d’appel de Paris retient pour prononcer le divorce pour faute les violences physiques et verbales du mari et la contrainte Ă  porter le voile islamique. Aucun arrĂȘt ne s’est, jusqu’à prĂ©sent, fondĂ© sur la seule contrainte Ă  porter le voile intĂ©gral pour fonder un divorce pour faute. On peut certes supposer que si cette contrainte existe, d’autres violations et privations l’accompagnent certainement. Au regard des jurisprudences prĂ©cĂ©dentes, on peut cependant penser que ce seul agissement constituerait un motif de divorce pour faute, dans la mesure oĂč il constitue une violation grave des devoirs et obligations du mariage, au nombre desquels se trouve le respect article 212 du code civil et rend intolĂ©rable » le maintien de la vie commune, remplissant ainsi les conditions de l’article 242 du code civil. b Des violences en passe d’ĂȘtre mieux reconnues au plan pĂ©nal Au plan pĂ©nal, se pose la question suivante le fait de contraindre une personne Ă  porter le voile intĂ©gral est-il susceptible d’une sanction ? La rĂ©ponse est incertaine en l’état actuel de la jurisprudence. En effet, la contrainte n’est pas rĂ©primĂ©e en tant que telle. Il est donc nĂ©cessaire de qualifier pĂ©nalement la contrainte au port du voile intĂ©gral afin de lui appliquer une sanction. En l’état actuel du droit, deux fondements pourraient ĂȘtre envisagĂ©s — La menace article 222-17 sur la menace de commettre un crime ou un dĂ©lit contre les personnes avec ordre de remplir une condition. Il n’est cependant pas certain que toute contrainte Ă  porter le voile intĂ©gral se traduise par une menace ; — La violence article 222-13 pour une violence sans incapacitĂ© de travail commise sur le conjoint ou le concubin. La jurisprudence de la Cour de cassation a admis que ce dĂ©lit pouvait ĂȘtre constituĂ© en dehors de tout contact matĂ©riel avec le corps de la victime, par tout acte ou comportement de nature Ă  causer sur la personne de celle-ci une atteinte Ă  son intĂ©gritĂ© physique ou psychique caractĂ©risĂ©e par un choc Ă©motif ou une perturbation psychologique », dans un arrĂȘt de 2006. Cependant, cette jurisprudence se rĂ©fĂšre Ă  une situation unique de violence en l’occurrence, encercler des personnes pour les impressionner et non Ă  une situation durable de contrainte. En revanche, si la contrainte Ă  porter le voile intĂ©gral est accompagnĂ©e de violences physiques, le juge est enclin Ă  appliquer sĂ©vĂšrement la loi pĂ©nale, au motif que ces agissements [
] mettent en cause l’exercice des libertĂ©s individuelles les plus Ă©lĂ©mentaires. » 262 L’état actuel du droit pĂ©nal semble donc mal prendre en compte la contrainte Ă  porter le voile intĂ©gral. Cependant, la proposition de loi sur les violences faites aux femmes qui a Ă©tĂ© dĂ©posĂ©e Ă  l’AssemblĂ©e nationale Ă  la suite de la mission d’évaluation des politiques de prĂ©vention et de lutte contre les violences faites aux femmes créée par la ConfĂ©rence des prĂ©sidents pourrait rĂ©pondre Ă  ce manque par la crĂ©ation d’un dĂ©lit de violences psychologiques, dont l’énoncĂ© pourrait englober ces cas de contrainte Le fait de soumettre son conjoint, partenaire liĂ© par un pacte civil de solidaritĂ© ou concubin ou un ancien conjoint, partenaire liĂ© par un pacte civil de solidaritĂ© ou concubin Ă  des agissements ou des paroles rĂ©pĂ©tĂ©s ayant pour objet ou pour effet une dĂ©gradation des conditions de vie de la victime susceptible de porter atteinte Ă  ses droits et Ă  sa dignitĂ© ou d’entraĂźner une altĂ©ration de sa santĂ© physique ou mentale est puni de trois ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. » 263 Les femmes contraintes Ă  revĂȘtir le voile intĂ©gral pourraient trouver dans ce nouvel article un fondement juridique adĂ©quat. M. Guy Carcassonne a d’ailleurs soutenu cette perspective S’agissant des femmes qui seraient prĂȘtes Ă  affirmer que le port du voile intĂ©gral leur est imposĂ©, je ne verrais que des avantages Ă  ce que cette contrainte soit considĂ©rĂ©e comme une violence, et qu’à ce titre, elle soit visĂ©e par la loi rĂ©primant les violences faites aux femmes. » 264 Proposition n° 9 PrĂ©voir la crĂ©ation d’un dĂ©lit de violences psychologiques au sein du couple. 3. Sanctionner les prĂ©dicateurs fondamentalistes qui incitent au port du voile intĂ©gral L’installation d’un imam fondamentaliste dans une mosquĂ©e peut avoir des consĂ©quences trĂšs nĂ©fastes pour ses fidĂšles et pour leur famille. Le tĂ©moignage de Karima 265 recueilli par la mission lors de son dĂ©placement Ă  Bruxelles illustre cette rĂ©alitĂ©. C’est en effet sous l’influence d’un imam extrĂ©miste nouvellement arrivĂ© dans la mosquĂ©e que frĂ©quentait son pĂšre que ce dernier a contraint ses filles Ă  porter le voile. Cette relation entre venue d’un prĂ©dicateur fondamentaliste et diffusion du voile intĂ©gral a Ă©galement pu ĂȘtre mise en valeur par M. Samir Amghar, auteur d’une thĂšse sur le mouvement salafiste, qui a citĂ© l’exemple d’Argenteuil au cours de son audition Quant Ă  Argenteuil, c’est un bastion historique du salafisme, la premiĂšre ville oĂč il s’est dĂ©veloppĂ© et oĂč des femmes ont commencĂ© Ă  porter le voile intĂ©gral, et celle oĂč se trouve la plus grande mosquĂ©e salafie de France » 266. La question doit donc ĂȘtre posĂ©e de savoir si l’état du droit pĂ©nal permet de rĂ©primer la provocation au port du voile intĂ©gral, dont se rendent coupables certains prĂ©dicateurs fondamentalistes. La loi du 29 juillet 1881 sur la libertĂ© de la presse prĂ©voit divers cas de provocation aux crimes et dĂ©lits. L’article 23 fait des personnes qui provoquent Ă  un crime ou Ă  un dĂ©lit, notamment au moyen de discours ou d’écrits, des complices de ce crime ou de ce dĂ©lit. Mais le port du voile intĂ©gral n’étant ni un crime ni un dĂ©lit, cet article n’est pas applicable ; L’article 24, alinĂ©a 1, punit de maniĂšre spĂ©cifique certains crimes et certains dĂ©lits, dont la provocation directe, mĂȘme non suivie d’effets, Ă  la commission d’une infraction portant atteinte volontaire Ă  la vie ou Ă  l’intĂ©gritĂ© de la personne. C’est sur ce fondement que l’ imam » Bouziane, de VĂ©nissieux, qui avait incitĂ© Ă  la lapidation des femmes, a Ă©tĂ© condamnĂ© pĂ©nalement 267. Pour les mĂȘmes raisons, cet article n’est cependant pas applicable dans le cas de la provocation au port du voile intĂ©gral. L’article 24, alinĂ©a 9, est particuliĂšrement intĂ©ressant pour ce qui concerne la provocation Ă  porter le voile intĂ©gral. Il Ă©nonce, en effet, que seront punis des peines prĂ©vues Ă  l'alinĂ©a prĂ©cĂ©dent ceux qui, par ces mĂȘmes moyens, auront provoquĂ© Ă  la haine ou Ă  la violence Ă  l'Ă©gard d'une personne ou d'un groupe de personnes Ă  raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap ou auront provoquĂ©, Ă  l'Ă©gard des mĂȘmes personnes, aux discriminations prĂ©vues par les articles 225-2 et 432-7 du code pĂ©nal. » Cependant, cet article ne semble pas applicable aux personnes qui, par leurs discours et leurs Ă©crits, ont directement provoquĂ© au port du voile intĂ©gral pour plusieurs raisons. La premiĂšre tient au fait que ces prĂ©dicateurs n’appellent pas aux discriminations prĂ©vues par ces deux articles du code pĂ©nal qui concernent, par exemple, le refus de fournir un bien ou un service. De surcroĂźt, ainsi que cela a Ă©tĂ© Ă©voquĂ©, il n’est pas certain que la seule contrainte Ă  revĂȘtir le voile intĂ©gral soit qualifiĂ©e de violence par les juges. Enfin, la notion de haine ne parait pas non plus ĂȘtre pleinement adaptĂ©e, dans la mesure oĂč c’est davantage Ă  la contrainte qu’il est appelĂ©. Ainsi, on peut douter du fait qu’en l’état actuel du droit, la provocation au port du voile intĂ©gral soit sanctionnĂ©e pĂ©nalement. Il est donc nĂ©cessaire de complĂ©ter l’article 24, alinĂ©a 9, de la loi du 29 juillet 1881 afin de rendre pĂ©nalement rĂ©prĂ©hensible la provocation Ă  l’atteinte Ă  la dignitĂ© de la personne, en raison de son sexe. Proposition n° 10 ComplĂ©ter l’article 24, alinĂ©a 9, de la loi du 29 juillet 1881 pour y introduire la provocation Ă  l’atteinte Ă  la dignitĂ© de la personne. 4. Lutter contre les dĂ©rives sectaires Face Ă  ces comportements sectaires prĂ©cĂ©demment dĂ©crits 268, les dĂ©mocraties ne sont pas impuissantes. La France dispose ainsi d’une lĂ©gislation assez Ă©laborĂ©e dans ce domaine. Lors de son audition par la mission, Mme Monique Crinon, du Collectif des fĂ©ministes pour l’égalitĂ©, a suggĂ©rĂ© de s’inspirer de cette lĂ©gislation pour combattre cette forme de fondamentalisme religieux qui utilise les mĂȘmes moyens d’oppression que les sectes 269. Il s’agirait, en effet, d’éviter de punir les victimes alors que ce sont les instigateurs qui doivent ĂȘtre combattus. La France s’est dotĂ©e d’une lĂ©gislation spĂ©cifique avec la loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 tendant Ă  renforcer la prĂ©vention et la rĂ©pression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertĂ©s fondamentales. L’absence de dĂ©finition de la secte en droit français, qui rĂ©sulte d’un choix dĂ©libĂ©rĂ© du lĂ©gislateur, n’efface pas la rĂ©alitĂ© de l’existence de victimes des dĂ©rives de mouvements sectaires. Cette notion de dĂ©rives sectaires est Ă©volutive et son approche est Ă  la fois pragmatique et textuellement encadrĂ©e. DĂšs 1995, la Commission d’enquĂȘte de l’AssemblĂ©e nationale avait soulignĂ© l’inopportunitĂ© d’élaborer un rĂ©gime juridique spĂ©cifique aux sectes, une telle entreprise se heurtant inĂ©vitablement Ă  un problĂšme de dĂ©finition. En deuxiĂšme lieu, ce rĂ©gime serait apparu peu compatible avec plusieurs de nos principes rĂ©publicains. En effet, il conduirait Ă  ne pas traiter de façon identique tous les mouvements spirituels, ce qui risquerait de porter atteinte, non seulement au principe d’égalitĂ©, mais aussi Ă  celui de la neutralitĂ© de l’État vis-Ă -vis des cultes. D’autre part, dans la mesure oĂč il aurait notamment pour but d’empĂȘcher les dĂ©rives » sectaires, il se traduirait probablement par un encadrement plus Ă©troit des activitĂ©s des sectes auquel il serait trĂšs difficile de parvenir sans toucher aux libertĂ©s de religion, de rĂ©union ou d’association » 270, peut-on ainsi lire dans le rapport de cette commission d’enquĂȘte. En effet, Ă  dĂ©faut de dĂ©finir juridiquement ce qu’est une secte, la loi rĂ©prime tous les agissements qui sont attentatoires aux droits de l’homme, aux libertĂ©s fondamentales ou qui constituent une menace Ă  l’ordre public, commis dans le cadre particulier de l’emprise mentale. La loi prĂ©citĂ©e, dite About-Picard », a complĂ©tĂ© l’article 223-15-2 du code pĂ©nal, pour dĂ©finir le dĂ©lit d’abus frauduleux d’état de faiblesse en Ă©tendant le dĂ©lit dĂ©jĂ  existant Ă  des situations de sujĂ©tion physique ou psychologique. Ainsi, il importe peu que telles dĂ©rives soient commises par un mouvement sectaire, un nouveau mouvement religieux, une religion du Livre ou par un charlatan de la santĂ©. DĂšs lors qu’un certain nombre de critĂšres sont rĂ©unis, dont le premier est la mise sous sujĂ©tion, l’action rĂ©pressive de l’État a vocation Ă  ĂȘtre mise en Ɠuvre. Cette nouvelle infraction est caractĂ©risĂ©e par le fait de se servir, de mauvaise foi et par l’emploi de quelque stratagĂšme, de l’état d’ignorance et de la situation de faiblesse non seulement d’une personne particuliĂšrement vulnĂ©rable en soi minoritĂ© et hypothĂšses classiques de particuliĂšre vulnĂ©rabilitĂ© tenant tant Ă  l’ñge, la maladie, qu’à une infirmitĂ©, une dĂ©ficience physique ou psychique, un Ă©tat de grossesse mais aussi d’une personne soumise Ă  une situation propre Ă  altĂ©rer sa facultĂ© d’apprĂ©ciation du rĂ©el dans le but de conduire celle-ci Ă  un acte ou Ă  une abstention qui lui est gravement prĂ©judiciable. Il apparaĂźt donc que la finalitĂ© du comportement coupable figure au nombre des Ă©lĂ©ments constitutifs du dĂ©lit. Par ailleurs, l’article 19 de la loi du 12 juin 2001 tend Ă  limiter la publicitĂ© en faveur des mouvements sectaires il incrimine d’une part, le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit, des messages destinĂ©s Ă  la jeunesse et faisant la promotion d’une personne morale, quelle qu’en soit la forme juridique ou l’objet [
] » ; d’autre part, le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit, des messages qui invitent Ă  rejoindre une telle personne morale ». La loi a aussi Ă©tendu la possibilitĂ© de mettre en jeu la responsabilitĂ© des personnes morales agissant comme mouvement sectaire et a Ă©largi les cas oĂč les associations de dĂ©fense des victimes des mouvements sectaires peuvent se porter partie civile. L’arsenal juridique pour lutter contre les dĂ©rives sectaires existe donc. La mission prĂ©conise que la mission interministĂ©rielle de vigilance et de lutte contre les dĂ©rives sectaires Miviludes Ă©tablisse un Ă©tat des lieux prĂ©cis de des Ă©ventuelles dĂ©rives sectaires qui pourraient prendre place dans l’entourage des personnes portant le voile intĂ©gral et dont ce dernier pourrait ĂȘtre le rĂ©vĂ©lateur. Proposition n° 11 Demander Ă  la Miviludes Mission interministĂ©rielle de vigilance et de lutte contre les dĂ©rives sectaires de dresser un Ă©tat des lieux des Ă©ventuelles dĂ©rives sectaires qui pourraient avoir lieu dans l’entourage des personnes portant le voile intĂ©gral et dont ce dernier pourrait ĂȘtre le rĂ©vĂ©lateur. B. RÉAFFIRMER LE SOUTIEN DE LA FRANCE AUX FEMMES PERSÉCUTÉES DE PAR LE MONDE Le travail de la mission a Ă©tĂ© largement relayĂ© et analysĂ© en France mais aussi Ă  l’étranger. Il lui a donc semblĂ© important de prendre en considĂ©ration la situation des femmes qui sont contraintes, dans leur pays, de porter le voile intĂ©gral. C’est pourquoi la proposition de rĂ©solution Ă©laborĂ©e par la mission soutient les femmes qui sont engagĂ©es, de par le monde, dans un combat contre les violences et les discriminations de genre. C’est pourquoi Ă©galement elle estime que la contrainte Ă  porter le voile intĂ©gral dans leur pays d’origine devrait ĂȘtre mieux prise en compte dans le traitement des demandes d’asile comme Ă©tant le signe d’un contexte plus gĂ©nĂ©ral de persĂ©cution. 1. Les valeurs de la France ont vocation Ă  dĂ©passer ses frontiĂšres Le modĂšle rĂ©publicain adoptĂ© par la France est fondĂ© sur des valeurs que la mission entend rĂ©affirmer. Parmi elles figure une tradition durable d’accueil, au titre de l’asile, des Ă©trangers victimes de persĂ©cutions. a Une longue tradition d’asile
 Il existe trois formes principales de protection des Ă©trangers en droit français l’asile constitutionnel, le statut de rĂ©fugiĂ© et la protection subsidiaire. Le PrĂ©ambule de la Constitution de 1946 Ă©nonce solennellement que tout homme persĂ©cutĂ© en raison de son action en faveur de la libertĂ© a droit d'asile sur les territoires de la RĂ©publique. » Se trouve ainsi fondĂ© un asile constitutionnel, dont le critĂšre est repris Ă  l’article L. 711 du CESEDA. La France est Ă©galement partie Ă  la Convention de GenĂšve du 28 juillet 1951 relative au statut de rĂ©fugiĂ©, qu’elle a ratifiĂ©e par la loi du 17 mars 1954. Aux termes de cette convention, peut bĂ©nĂ©ficier du statut de rĂ©fugiĂ© toute personne qui craignant avec raison d'ĂȘtre persĂ©cutĂ©e du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalitĂ©, de son appartenance Ă  un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalitĂ© et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se rĂ©clamer de la protection de ce pays ». Enfin, a Ă©tĂ© créée, en 2003, la protection subsidiaire, qui a vocation Ă  rĂ©pondre Ă  un besoin de protection non couvert par les textes reconnaissant la qualitĂ© de rĂ©fugiĂ© article L. 712-1 du CESEDA et qui aurait des craintes d'ĂȘtre exposĂ©e Ă  une menace grave en cas de retour dans son pays. Trois types de menaces sont prises en compte Ă  ce titre le fait d’ĂȘtre exposĂ© Ă  la peine de mort, Ă  la torture ou des peines ou traitement inhumains ou dĂ©gradants et, s’agissant d’un civil, Ă  une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d'une violence gĂ©nĂ©ralisĂ©e rĂ©sultant d'une situation de conflit armĂ© ou international. b 
qui a vocation Ă  s’appliquer aux femmes persĂ©cutĂ©es de par le monde De nombreuses personnes auditionnĂ©es par la mission ont rappelĂ© que la France devait adopter une attitude exemplaire tant Ă  l’égard des femmes qui sont contraintes de porter le voile intĂ©gral en France que de celles qui en sont victimes Ă  l’étranger. Ainsi, Mme Sihem Habchi, prĂ©sidente de l’association Ni putes ni soumises, a-t-elle soulignĂ© avec force que la France porte une responsabilitĂ© aux yeux du monde parce que des femmes continuent Ă  mourir dans le monde pour dĂ©fendre leur libertĂ© – je pense Ă  Loubna Ahmed al-Hussein au Soudan, qui a affrontĂ© les tribunaux pour avoir portĂ© un pantalon, Ă  Nojoud Ali qui a osĂ© demander le divorce Ă  l’ñge de dix ans et aux Koweitiennes qui sont entrĂ©es au Parlement sans voile », avant de conclure que nous devons soutenir ces femmes. Seule la France peut le faire car elle dispose d’un cadre pour cela. Les musulmanes ont le droit au respect et Ă  la protection de la RĂ©publique. » 271 Le PrĂ©sident de la RĂ©publique s’était clairement placĂ© dans cette perspective au soir de son Ă©lection, le 6 mai 2007 Je veux lancer un appel Ă  tous ceux qui dans le monde croient aux valeurs de tolĂ©rance, de libertĂ©, de dĂ©mocratie et d’humanisme, Ă  tous ceux qui sont persĂ©cutĂ©s par les tyrannies et par les dictatures, Ă  tous les enfants et Ă  toutes les femmes martyrisĂ©s dans le monde pour leur dire que la France sera Ă  leurs cĂŽtĂ©s, qu’ils peuvent compter sur elle. » 2. Prendre en compte, au titre de l’asile, la contrainte Ă  porter le voile intĂ©gral comme indice d’un contexte de persĂ©cution L’hypothĂšse d’une demande d’asile au motif des persĂ©cutions auxquelles on s’expose dans son pays d’origine si on refuse le port du voile intĂ©gral ou la persĂ©cution que reprĂ©sente la contrainte au port du voile intĂ©gral doit ĂȘtre traitĂ©e au regard du rĂ©gime gĂ©nĂ©ral du droit d’asile. En effet, Ă  la connaissance de la mission, aucune demande de protection n’a jusqu’à prĂ©sent Ă©tĂ© fondĂ©e exclusivement sur cette contrainte. Au regard de la jurisprudence de l’Office français pour la protection des rĂ©fugiĂ©s et des apatrides OFPRA et de la Cour nationale du droit d’asile CNDA 272, trois motifs de persĂ©cutions seraient susceptibles d’ĂȘtre retenus l’appartenance Ă  un groupe social, la crainte du fait de la religion et les persĂ©cutions subies dans le cadre d’un combat pour la libertĂ©. a La crainte du fait de l’appartenance Ă  un groupe social La crainte du fait de l’appartenance Ă  un groupe social est un motif de protection de plus en plus frĂ©quemment utilisĂ© par l’OFPRA. Ainsi, le motif de l’appartenance Ă  un groupe social a vocation Ă  s’appliquer aux craintes fondĂ©es sur l’appartenance Ă  un groupe dĂ©fini par son identitĂ© sexuelle, comme l’est le groupe des femmes. Des dĂ©cisions ont reconnu la qualitĂ© de rĂ©fugiĂ© Ă  des femmes au vu de leur appartenance Ă  un groupe exposĂ© Ă  la persĂ©cution en raison de son mode de vie jugĂ© transgressif par rapport Ă  la norme sociale en vigueur dans leur pays d’origine, par exemple pour les femmes algĂ©riennes 273. Si la Commission de recours des rĂ©fugiĂ©s CRR prĂ©fĂ©rait, dans un premier temps, d’autres motifs politiques, religieux, trois dĂ©cisions rendues en formation plĂ©niĂšre le 7 dĂ©cembre 2001 relatives Ă  la pratique de l’excision et au mariage forcĂ© confirment les Ă©volutions de la jurisprudence dans le sens de la reconnaissance du motif de l’appartenance Ă  un groupe social concernant les femmes. DĂ©pendante de situations locales aussi bien que de l’établissement des faits, l’application de cette jurisprudence reste nuancĂ©e. L’OFPRA a ainsi pu considĂ©rer comme fondĂ©e une demande d’asile au motif de craintes basĂ©es sur un mode de vie Ă  l’occidentale en AlgĂ©rie. Le refus du port du voile intĂ©gral pourrait alors ĂȘtre considĂ©rĂ© comme l’une des manifestations de ce mode de vie occidentale. Dans le mĂȘme sens, une ressortissante afghane exposĂ©e en tant que femme Ă  de graves discriminations de la part des Talibans en raison de son mode de vie, de sa volontĂ© de poursuivre ses Ă©tudes et de travailler, et de son refus de pratiquer la religion, [est] dĂšs lors fondĂ©e Ă  se prĂ©valoir de la qualitĂ© de rĂ©fugiĂ© » 274. Enfin, lorsque le comportement de ces femmes n’est pas perçu comme transgressif de l’ordre social, mais qu’elles sont nĂ©anmoins susceptibles d’ĂȘtre exposĂ©es Ă  des traitements inhumains et dĂ©gradants au sens de l’article L. 712-1 du CESEDA, l’OFPRA ou la CNDA peuvent leur accorder, le cas Ă©chĂ©ant, le bĂ©nĂ©fice de la protection subsidiaire. Est susceptible de remplir ce critĂšre la personne exposĂ©e Ă  une menace grave du fait de la transgression de certaines coutumes, par exemple en cas de refus d’un mariage forcĂ© 275. b La crainte du fait de la religion Le droit international consacre le droit Ă  la libertĂ© religieuse. Ce droit implique celui pour toute personne d’adopter toute forme de croyance, et celui de vivre selon cette croyance, lequel suppose la possibilitĂ© de culte ou de rite ou d’abstention par rapport Ă  des cultes ou des rites. La crainte de persĂ©cution du fait de la religion doit donc s’apprĂ©cier au regard de cette double composante. A ainsi Ă©tĂ© reconnu rĂ©fugiĂ©, un AlgĂ©rien de confession chrĂ©tienne victime de persĂ©cutions par les fondamentalistes musulmans 276. Pour ĂȘtre prise en compte, ces craintes de persĂ©cutions doivent ĂȘtre personnelles. De simples restrictions Ă  la pratique religieuse ou des difficultĂ©s d’intĂ©gration liĂ©es Ă  l’appartenance Ă  une confession ne suffisent pas Ă  ouvrir droit au statut. L’OFPRA a rĂ©cemment reçu des demandes d’asile fondĂ©es sur une nouvelle argumentation certaines femmes ont affirmĂ© ĂȘtre persĂ©cutĂ©es parce que le voile intĂ©gral qu’elles Ă©taient contraintes de porter laissait penser qu’elles appartenaient Ă  un groupe islamiste fondamentaliste. À l’heure actuelle, ces motivations ne sont pas valables devant l’OFPRA ; toutefois la CNDA ne s’est pas encore prononcĂ©e sur un tel argumentaire. c Les persĂ©cutions subies dans le cadre d’un combat pour la libertĂ© Au titre de l’article L. 711-1 du CESEDA, la qualitĂ© de rĂ©fugiĂ© est attribuĂ©e Ă  toute personne persĂ©cutĂ©e en raison de son action en faveur de la libertĂ© ». Pour bĂ©nĂ©ficier du statut, il est nĂ©cessaire que les persĂ©cutions soient la consĂ©quence d’une action en faveur de la libertĂ©. Le demandeur doit avoir menĂ© une action et non ĂȘtre une simple victime, et avoir visĂ© un objectif relatif Ă  la dĂ©fense de la libertĂ©. Enfin, le droit d’asile est rĂ©servĂ© Ă  ceux qui souscrivent aux valeurs de la RĂ©publique. Dans les quelques dĂ©cisions dont on dispose actuellement, le statut de rĂ©fugiĂ© a Ă©tĂ© reconnu sur ce fondement Ă  des personnes ayant luttĂ© contre l’intĂ©grisme 277 ou ayant refusĂ©, dans le cas d’une ressortissante algĂ©rienne, d’obtempĂ©rer aux injonctions d’islamistes 278. Ainsi, si le refus de porter le voile intĂ©gral s’inscrit dans de tels contextes ou dans une dĂ©marche de lutte contre la libertĂ©, il pourra fonder une demande de protection au titre de l’asile. De maniĂšre gĂ©nĂ©rale et sur les trois fondements mentionnĂ©s prĂ©cĂ©demment, la mission considĂšre que la contrainte au port du voile intĂ©gral devrait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un indice d’un contexte plus gĂ©nĂ©ral de persĂ©cution et donc rendre plus facile la demande de protection de la femme qui en a Ă©tĂ© victime. Proposition n° 12 Prendre en compte, dans les demandes d’asile, la contrainte Ă  porter le voile intĂ©gral comme indice d’un contexte plus gĂ©nĂ©ral de persĂ©cution. C. CONFORTER LES AGENTS DES SERVICES PUBLICS ET TOUTES LES PERSONNES AU CONTACT DU PUBLIC Face aux incidents que provoque l’arrivĂ©e de femmes intĂ©gralement voilĂ©es dans les services publics, ces derniers tentent de s’organiser afin de concilier la protection de l’ordre public et la sĂ©curitĂ© du service rendu aux usagers avec ce qu’ils perçoivent comme Ă©tant l’expression d’une conviction religieuse. 1. Autant de rĂ©ponses que de services publics Faute de directive centralisĂ©e et de cadre lĂ©gislatif et rĂ©glementaire unifiĂ©, chaque administration essaye d’apporter les rĂ©ponses qui lui semblent ĂȘtre les moins mauvaises aux demandes des femmes portant un voile intĂ©gral. À titre liminaire, il convient de rappeler que le port de signes religieux par des agents publics est contraire au principe de neutralitĂ© du service public, a fortiori s’ils sont aussi visibles qu’un voile intĂ©gral. Les prĂ©sentes analyses ne concernent donc que les usagers du service public. a De nombreux services publics concernĂ©s La plupart des services publics sont confrontĂ©s Ă  des femmes portant le voile intĂ©gral. La HALDE a Ă©tĂ© saisie Ă  deux reprises d’incidents liĂ©s au port du voile intĂ©gral dans des services publics. — Le premier cas portait sur le port d’un niqab par une femme accompagnant l’un de ses enfants Ă  l’hĂŽpital et a donnĂ© lieu Ă  une dĂ©libĂ©ration du 3 septembre 2007 279. — Le second, qui a fait l’objet d’une dĂ©libĂ©ration du 15 septembre 2008 280, concernait le port du voile intĂ©gral au cours d’une formation linguistique obligatoire prenant place dans le cadre d’un contrat d’accueil et d’intĂ©gration. M. Farhad Khosrokhavar, directeur d’études Ă  l’École des hautes Ă©tudes en sciences sociales a, pour sa part, mentionnĂ© des incidents qui se sont dĂ©roulĂ©s Ă  l’entrĂ©e d’une prison Il y a quatre ans, des femmes en burqa Ă©taient venues visiter leur mari islamiste. On leur avait refusĂ© l’accĂšs Ă  la prison parce qu’on ne pouvait pas les identifier. » 281 Le cas des transports publics a Ă©galement Ă©tĂ© Ă©voquĂ© lors des dĂ©placements de la mission. La question se pose Ă©galement de la participation de femmes voilĂ©es intĂ©gralement Ă  certaines cĂ©rĂ©monies officielles. DĂšs 2006, une question Ă©crite de M. Alain Marleix Ă©tait adressĂ©e au garde des Sceaux quant Ă  la validitĂ© d’un mariage cĂ©lĂ©brĂ© alors que l’épouse Ă©tait intĂ©gralement voilĂ©e 282. La question s’est Ă©galement posĂ©e de l’identification des femmes voilĂ©es intĂ©gralement lors des opĂ©rations Ă©lectorales 283. Enfin, les femmes venant chercher leurs enfants Ă  l’école revĂȘtues d’un voile intĂ©gral posent des difficultĂ©s aux directeurs d’écoles, dont les maires se sont fait l’écho comment une institutrice peut-elle savoir si la femme qui se prĂ©sente devant elle en burqa est bien la mĂšre de l’enfant qu’elle vient chercher ? » 284, s’est ainsi interrogĂ© M. Philippe Esnol, maire de Conflans-Sainte-Honorine et reprĂ©sentant de l’association des maires de France. De nombreux services publics sont donc concernĂ©s, ainsi que l’a rĂ©sumĂ© M. Brice Hortefeux, corroborant les tĂ©moignages recueillis par la mission lors de ses dĂ©placements Le port du voile intĂ©gral est Ă  la source d’incidents. Ceux-ci surviennent lorsqu’une femme refuse d’enlever son voile pour se plier aux exigences de l’administration – guichet des prĂ©fectures, des collectivitĂ©s locales, des services publics – ou de la sĂ©curitĂ© publique – contrĂŽle routier, contrĂŽle d’identitĂ©. Les personnels des services hospitaliers ou les responsables d’offices HLM sont Ă©galement confrontĂ©s Ă  des difficultĂ©s. Souvent, la prĂ©sence d’un mari ou d’un frĂšre, rĂ©putĂ© protecteur » de la pudeur fĂ©minine, contribue Ă  accentuer les tensions. » 285 b Autant de rĂ©ponses que de services publics Il n’existe pas actuellement de disposition interdisant de dissimuler son visage dans les services publics. La Charte de la laĂŻcitĂ© dans les services publics, prĂ©cĂ©demment Ă©voquĂ©e, contient trois dispositions qui pourraient fonder les dĂ©cisions des agents publics — Les usagers des services publics ont le droit d'exprimer leurs convictions religieuses dans les limites du respect de la neutralitĂ© du service public, de son bon fonctionnement et des impĂ©ratifs d'ordre public, de sĂ©curitĂ©, de santĂ© et d'hygiĂšne. » ; — Les usagers des services publics ne peuvent rĂ©cuser un agent public ou d'autres usagers, ni exiger une adaptation du fonctionnement du service public ou d'un Ă©quipement public. Cependant, le service s'efforce de prendre en considĂ©ration les convictions de ses usagers dans le respect des rĂšgles auquel il est soumis et de son bon fonctionnement. » — Lorsque la vĂ©rification de l'identitĂ© est nĂ©cessaire, les usagers doivent se conformer aux obligations qui en dĂ©coulent. » NĂ©anmoins, cette charte n’a qu’une simple valeur dĂ©claratoire et ne saurait entraĂźner d’effets juridiques. Le secteur scolaire connaĂźt une situation particuliĂšre dans la mesure oĂč la loi du 15 mars 2004 a interdit le port de signes religieux ostensibles dans les Ă©tablissements d’enseignement publics. Il ne saurait donc ĂȘtre question, pour un Ă©lĂšve, d’y revĂȘtir le voile intĂ©gral. À dĂ©faut de fondement normatif transversal, les agents des services publics sont contraints de s’appuyer sur des dispositions sectorielles, quand elles existent, ou de demander des consignes Ă  leurs supĂ©rieurs hiĂ©rarchiques quant Ă  la conduite Ă  adopter. QUELQUES EXEMPLES DE RÉPONSES APPORTÉES PAR LES SERVICES PUBLICS FACE AUX DEMANDES DE FEMMES INTÉGRALEMENT VOILÉES Demandes d’identification ponctuelle Lors de la remise d’un enfant Ă  la sortie d’une Ă©cole Note du 24 novembre 2008 du ministĂšre de l’Éducation nationale prescrivant de ne pas remettre d’enfant Ă  une femme qui n’accepterait pas de s’identifier. À l’entrĂ©e d’un consulat ArrĂȘt du 7 dĂ©cembre 2005 du Conseil d’État validant le refus de dĂ©livrer un visa Ă  une personne qui a refusĂ© de retirer temporairement son voile islamique Ă  l’entrĂ©e d’un consulat 286. Lors du retrait d’un recommandĂ© Ă  La Poste Article des Conditions gĂ©nĂ©rales de vente prĂ©voyant la possibilitĂ© de contrĂŽler l’identitĂ© du destinataire. Lors de l’accomplissement d’un vote Circulaire du 20 dĂ©cembre 2007 du ministĂšre de l’IntĂ©rieur prescrivant de refuser le vote d’une personne voilĂ©e intĂ©gralement 287. Lors d’une cĂ©rĂ©monie de mariage RĂ©ponse Ă©crite Ă  la question d’un parlementaire du 3 avril 2007 indiquant que l’officier d’état civil ne peut pas cĂ©lĂ©brer le mariage sans s’assurer du consentement des Ă©poux et donc sans voir leur visage 288. Demandes de dĂ©voilement dans l’enceinte d’un service Lors de l’accompagnement d’un enfant dans un service hospitalier accueillant d’autres enfants DĂ©libĂ©ration de la HALDE du 3 septembre 2007 estimant que cette demande de l’administration hospitaliĂšre n’est pas discriminatoire 289. Lors d’une formation linguistique obligatoire dĂ©livrĂ©e dans le cadre d’un contrat d’accueil et d’intĂ©gration DĂ©libĂ©ration de la HALDE du 15 septembre 2008 estimant que la demande de retrait du voile intĂ©gral au cours de cette formation n’est pas discriminatoire 290. Il est donc incontestable que la situation actuelle est source d’insĂ©curitĂ© juridique tant pour les agents publics confrontĂ©s au port du voile intĂ©gral que pour leurs administrations. M. Guy Carcassonne a Ă©voquĂ©, Ă  titre personnel, le sentiment d’insĂ©curitĂ© qu’il ressentait en l’absence de disposition claire Je me demande souvent comment je rĂ©agirais si une femme se prĂ©sentait intĂ©gralement voilĂ©e dans mon amphithéùtre. Il est certain que je refuserais de faire cours, mais je serais plus Ă  mon aise si j’étais en mesure de lui dĂ©montrer qu’elle commet une illĂ©galitĂ©. » 291 Si une meilleure formation des agents serait de nature Ă  dissiper certaines difficultĂ©s, elle ne saurait se substituer Ă  une clarification des droits et des devoirs des usagers des services publics en matiĂšre de manifestation de leurs convictions religieuses. 2. Adopter une disposition gĂ©nĂ©rale pour conforter les agents des services publics Sur le fondement de cette hĂ©tĂ©rogĂ©nĂ©itĂ© des rĂ©ponses apportĂ©es aux incidents provoquĂ©s par le port du voile intĂ©gral dans les services publics, la mission a estimĂ© nĂ©cessaire de conforter les agents publics qui y sont confrontĂ©s. À cette fin, un dispositif transversal interdisant aux personnes qui se rendent dans un service public de dissimuler leur visage devrait ĂȘtre Ă©tudiĂ©. La personne intĂ©gralement voilĂ©e reçue par la mission, Mme Kenza Drider, a d’ailleurs indiquĂ© ĂŽter son voile, y compris devant des hommes, en certaines circonstances. Tel a Ă©tĂ© le cas, notamment, au cours de son audition, mais aussi lorsqu’elle rencontre les enseignants de ses enfants ou qu’elle doit se soumettre Ă  des contrĂŽles de sĂ©curitĂ© qui impliquent que son identitĂ© soit vĂ©rifiĂ©e 292. Ses principales caractĂ©ristiques, telles que la mission les envisage, devraient ĂȘtre les suivantes — Il aurait vocation Ă  s’appliquer Ă  l’ensemble des services publics et vaudrait donc Ă©galement pour les transports publics. Le cas de la remise des enfants Ă  la sortie de l’école primaire Ă©tant particulier, car il prend place Ă  la marge d’un service public, devrait cependant ĂȘtre inclus dans ce dispositif gĂ©nĂ©ral, dans la mesure oĂč la remise de l’enfant s’effectue Ă  l’intĂ©rieur de l’école ; — Il contraindrait les personnes non seulement Ă  montrer leur visage Ă  l’entrĂ©e du service public ou du moyen de transport public mais aussi Ă  conserver le visage dĂ©couvert tout au long de leur prĂ©sence au sein du service public ; — La consĂ©quence de la violation de cette rĂšgle ne serait pas de nature pĂ©nale mais consisterait en un refus de dĂ©livrance du service demandĂ©. Dans la mesure oĂč une telle disposition serait susceptible de porter atteinte Ă  la libertĂ© d’exprimer ses opinions religieuses, il semble plus sĂ»r, d’un point de vue juridique, d’opter pour un vecteur lĂ©gislatif. Cette disposition pourrait ensuite ĂȘtre dĂ©clinĂ©e par voie de circulaire pour les diffĂ©rents services publics concernĂ©s. Le fondement juridique d’une telle disposition devrait ĂȘtre plus aisĂ© Ă  trouver que pour motiver une interdiction gĂ©nĂ©rale et absolue dans la totalitĂ© de l’espace public 293 puisque, comme l’a soulignĂ© M. RĂ©my Schwartz, il est Ă©vident que le fonctionnement des services publics, les contraintes que leur fonctionnement impose, permettent de lĂ©gitimer des rĂšgles particuliĂšres. » 294 M. Brice Hortefeux a proposĂ© de fonder cette disposition sur une idĂ©e simple et forte la nĂ©cessitĂ© de pouvoir ĂȘtre identifiĂ© lorsque l’on s’adresse Ă  un service public pour entreprendre une dĂ©marche personnelle. » 295 Dans une tribune rĂ©cente, M. Dominique Chagnollaud, professeur Ă  l’UniversitĂ© Paris II et prĂ©sident du Cercle des constitutionnalistes, a appuyĂ© cette idĂ©e Qu’on exige en RĂ©publique, de façon rĂ©solue, et dans les services publics que chacun puisse ĂȘtre identifiĂ©, justifie sans doute une loi [
] » 296 Proposition n° 13 Afin de conforter les agents publics, adopter une disposition interdisant de dissimuler son visage dans les services publics. 3. Une extension aux autres Ă©tablissements recevant du public ? En plus d’une interdiction dans les services publics, certaines personnes auditionnĂ©es ont Ă©galement envisagĂ© une interdiction de dissimuler son visage dans d’autres espaces ouverts au public, tels que les commerces et autres lieux clos accueillant du public. Le concept d’établissement recevant du public semble ĂȘtre Ă  cet Ă©gard le mieux Ă  mĂȘme de cerner les lieux en question, dans la mesure oĂč il possĂšde une existence juridique via les articles R. 123-2 et suivants du code de la construction et de l’habitation, qui les dĂ©finit comme des Ă©tablissements recevant du public tous bĂątiments, locaux et enceintes dans lesquels des personnes sont admises, soit librement, soit moyennant une rĂ©tribution ou une participation quelconque, ou dans lesquels sont tenues des rĂ©unions ouvertes Ă  tout venant ou sur invitation, payantes ou non. ». Sont notamment compris sous ce terme les commerces, les lieux de spectacle, les hĂŽtels ou encore les restaurants. a Des restrictions peuvent dĂ©jĂ  ĂȘtre apportĂ©es au port du voile intĂ©gral dans ces Ă©tablissements
 Cette interdiction est inutile Ă  l’égard des employĂ©s travaillant dans ces Ă©tablissements recevant du public, dans la mesure oĂč la chambre sociale de la Cour de cassation a jugĂ© que la libertĂ© de se vĂȘtir Ă  sa guise au temps et lieu du travail n’entre pas dans la catĂ©gorie des libertĂ©s fondamentales. » 297 Il est toutefois nĂ©cessaire que les atteintes Ă  la libertĂ© vestimentaires soient justifiĂ©es par la nature de la tĂąche Ă  accomplir et proportionnĂ©es au but recherchĂ©. La jurisprudence a reconnu l’intĂ©rĂȘt de l’entreprise comme Ă©tant une justification suffisante. Ainsi que l’a indiquĂ© M. Denys de BĂ©chillon, conformĂ©ment Ă  plusieurs dĂ©cisions de justice, les salariĂ©s des entreprises privĂ©es peuvent ĂȘtre soumis Ă  des contraintes trĂšs fortes en la matiĂšre Ă  partir du moment oĂč elles sont justifiĂ©es sur le terrain de l’hygiĂšne et de la sĂ©curitĂ© ou sur celui de la qualitĂ© de la relation avec la clientĂšle. » 298 Il ne fait donc pas de doute qu’un employeur serait fondĂ© Ă  interdire Ă  ses employĂ©es, notamment Ă  celles qui sont au contact de la clientĂšle, de porter un voile intĂ©gral. Par ailleurs, les employĂ©s de ces Ă©tablissements sont autorisĂ©s Ă  contrĂŽler l’identitĂ© de leurs clients quand ils procĂšdent Ă  certaines actions. Tel est le cas notamment lors de la remise d’un chĂšque. En effet, l’article L. 131-15 du code monĂ©taire et financier prĂ©voit que toute personne qui remet un chĂšque en paiement doit justifier de son identitĂ© au moyen d’un document officiel portant sa photographie. » De maniĂšre plus gĂ©nĂ©rale, les gestionnaires de lieux ouverts au public sont autorisĂ©s Ă  s’équiper de systĂšmes de vidĂ©osurveillance afin de garantir leur sĂ©curitĂ©, lorsqu’ils sont particuliĂšrement exposĂ©s Ă  des risques d’agression ou de vol ou sont susceptibles d’ĂȘtre exposĂ©s Ă  des actes de terrorisme. » 299 Sur ce fondement, M. Denys de BĂ©chillon a conclu que ne pose pas de problĂšme, en l’état actuel du droit, la gestion privĂ©e de l’identification des personnes dans les lieux placĂ©s sous vidĂ©osurveillance, car les acteurs privĂ©s du commerce sont trĂšs concernĂ©s et trĂšs immĂ©diatement agissants. On ne peut pas entrer dans une banque ou une station-service avec un casque intĂ©gral, non plus qu’avec une burqa. » 300 b 
si elles ne sont pas fondĂ©es sur un motif discriminatoire En tout Ă©tat de cause, l’interdiction qui serait faite Ă  une personne portant le voile intĂ©gral de pĂ©nĂ©trer dans un lieu ouvert au public ne devrait pas apparaĂźtre comme discriminatoire. Au sens des articles 225-1 et suivants du code pĂ©nal, constitue une discrimination toute distinction opĂ©rĂ©e entre les personnes physiques Ă  raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur Ă©tat de santĂ©, de leur handicap, de leurs caractĂ©ristiques gĂ©nĂ©tiques, de leurs moeurs, de leur orientation sexuelle, de leur Ăąge, de leurs opinions politiques, de leurs activitĂ©s syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposĂ©e, Ă  une ethnie, une nation, une race ou une religion dĂ©terminĂ©e. » Un commerçant ne saurait donc refuser de fournir un bien ou un service Ă  une femme portant le voile intĂ©gral sur un fondement religieux ou pour la simple raison que cette tenue lui dĂ©plait. Cette interprĂ©tation a Ă©tĂ© confirmĂ©e par l’affaire dite Truchelut 301, qui a notamment Ă©tĂ© Ă©voquĂ©e par Mme Caroline Fourest au cours de son audition dans l’arrĂȘt Truchelut de 2006, le juge a estimĂ© qu’interdire l’entrĂ©e d’un gĂźte rural Ă  des femmes voilĂ©es constituait un comportement discriminatoire. Le gĂ©rant d’un Ă©tablissement commercial n’est pas l’État qui peut se permettre de chasser le voile et les signes religieux ostensibles de l’école publique au nom du respect d’un lieu sacralisĂ©, celui de l’apprentissage de la citoyennetĂ©. La rue, les hĂŽtels, les restaurants, sont des lieux de libertĂ© que l’on doit chĂ©rir. » 302 À l’inverse, on peut estimer, si l’on se fonde sur la jurisprudence de la HALDE, que l’invocation par un commerçant du fait que le port du voile intĂ©gral serait susceptible de porter atteinte Ă  sa sĂ©curitĂ©, du fait notamment des risques de dĂ©guisement que ce vĂȘtement permet, ne serait pas considĂ©rĂ©e comme Ă©tant discriminatoire. III.– INTERDIRE ? Ni les uns ni les autres nous n’avons le droit Ă  l’erreur » 303, a indiquĂ© M. Brice Hortefeux quand il a abordĂ© la question de l’interdiction du voile intĂ©gral dans l’espace public. En effet, une annulation par le Conseil constitutionnel ou d’une condamnation de la France par la Cour europĂ©enne des droits de l’homme sonnerait comme une dĂ©faite de la RĂ©publique. Il est donc essentiel de bien peser les enjeux et les risques d’une telle interdiction. La solution la plus sĂ»re juridiquement consisterait certainement Ă  empĂȘcher la pratique du port du voile intĂ©gral sans pour autant l’interdire. NĂ©anmoins, ni les possibilitĂ©s de renforcer les contrĂŽles d’identitĂ© ni le durcissement des rĂšgles applicables aux femmes entendant s’installer en France et portant le voile intĂ©gral ne suffiraient Ă  faire disparaĂźtre ce phĂ©nomĂšne. Au mieux, pourraient-ils l’endiguer. Seule une loi d’interdiction du voile intĂ©gral dans l’espace public serait en mesure d’y parvenir mais elle soulĂšve des questions juridiques complexes parce qu’inĂ©dites. Il s’agit, en effet, de limiter l’exercice d’une libertĂ© fondamentale, la libertĂ© d’opinion, dans la totalitĂ© de l’espace public. Le chemin est Ă  coup sĂ»r Ă©troit et nul ne peut dire avec une totale certitude s’il est praticable. A. EMPÊCHER LA PRATIQUE DU PORT DU VOILE INTÉGRAL EmpĂȘcher le port du voile intĂ©gral dans l’espace public sans avoir besoin de l’interdire constituerait la solution juridiquement la plus sĂ»re, au regard des multiples contraintes qui se dressent face Ă  une loi d’interdiction gĂ©nĂ©rale et absolue. Deux dispositifs juridiques sont susceptibles de freiner et de faire reculer le port du voile intĂ©gral dans l’espace public, Ă  savoir la systĂ©matisation des contrĂŽles d’identitĂ© et un meilleur contrĂŽle de l’attribution de la nationalitĂ© et de l’admission au sĂ©jour, Mais ni l’un ni l’autre n’est rĂ©ellement suffisant pour l’empĂȘcher complĂštement. 1. La gĂ©nĂ©ralisation des contrĂŽles d’identitĂ©, une voie problĂ©matique Étant donnĂ© que la spĂ©cificitĂ© du voile intĂ©gral rĂ©side dans le fait qu’il masque de façon presque totale le visage de la personne qui le porte, dissimulant ainsi son identitĂ©, il pourrait ĂȘtre envisagĂ©, afin d’en dĂ©courager la pratique, de contrĂŽler de maniĂšre systĂ©matique l’identitĂ© de ces personnes. Ainsi, le port du voile intĂ©gral dans l’espace public ne serait pas interdit mais simplement empĂȘchĂ©. Cependant, les dispositions lĂ©gislatives encadrant le contrĂŽle d’identitĂ© n’ouvrent pas une telle possibilitĂ©. De surcroĂźt, toute Ă©volution lĂ©gislative en ce sens se heurterait Ă  des difficultĂ©s de nature constitutionnelle. Les conditions dans lesquelles les contrĂŽles, vĂ©rifications et relevĂ©s d’identitĂ© peuvent ĂȘtre effectuĂ©s sont dĂ©crites aux articles 78-1 Ă  78-6 du code de procĂ©dure pĂ©nale. On distingue deux formes principales de contrĂŽle d’identitĂ© les contrĂŽles de police judiciaire et les contrĂŽles de police administrative. Or, aucune de ces deux formes de contrĂŽle d’identitĂ© ne permettrait Ă  l’heure actuelle de contrĂŽler systĂ©matiquement l’identitĂ© des personnes portant le voile intĂ©gral. Les contrĂŽles de police judiciaire ne peuvent ĂȘtre effectuĂ©s que dans certaines circonstances, Ă©numĂ©rĂ©es aux six premiers alinĂ©as de l’article 78-2 du code de procĂ©dure pĂ©nale. Dans tous les cas, ils ne peuvent ĂȘtre effectuĂ©s que s’ils ont un lien avec une infraction dĂ©terminĂ©e. Ils peuvent ainsi ĂȘtre effectuĂ©s sur toute personne Ă  l’égard de laquelle existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tentĂ© de commettre une infraction ; ou qu’elle se prĂ©pare Ă  commettre un crime ou un dĂ©lit ; ou qu’elle est susceptible de fournir des renseignements utiles Ă  l’enquĂȘte en cas de crime ou de dĂ©lit ; ou qu’elle fait l’objet de recherches ordonnĂ©es par l’autoritĂ© judiciaire. » Comme le port du voile intĂ©gral ne constitue pas une infraction, il ne serait pas possible d’effectuer un contrĂŽle d’identitĂ© de police judiciaire sur ce fondement. Les contrĂŽles d’identitĂ© relevant de la police administrative, sont rĂ©gis par l’article 78-2, alinĂ©a 7, qui prĂ©voit que l'identitĂ© de toute personne, quel que soit son comportement, peut Ă©galement ĂȘtre contrĂŽlĂ©e, selon les modalitĂ©s prĂ©vues au premier alinĂ©a, pour prĂ©venir une atteinte Ă  l'ordre public, notamment Ă  la sĂ©curitĂ© des personnes ou des biens. » Ils ont donc pour vocation de prĂ©venir les troubles Ă  l’ordre public et peuvent s’appliquer Ă  toute personne, sans que son comportement ne l’identifie de maniĂšre particuliĂšre aux yeux de l’agent de police. Cependant, le fait que la personne contrĂŽlĂ©e n’ait pas de lien avec une infraction dĂ©terminĂ©e ne signifie pas pour autant que toute personne puisse ĂȘtre contrĂŽlĂ©e Ă  tout instant le risque d’atteinte Ă  l’ordre public doit ĂȘtre matĂ©rialisĂ©. En effet, les hypothĂšses retenues par la jurisprudence sont restrictives sont possibles sur ce fondement des contrĂŽles qui se dĂ©roulent dans une zone oĂč des troubles Ă  l’ordre public ont dĂ©jĂ  eu lieu ou Ă  un endroit oĂč un risque apparaĂźt soudainement 304. Il apparaĂźt que le fait de dissimuler son visage ne saurait donc ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une base juridique possible pour procĂ©der Ă  un contrĂŽle d’identitĂ© sur le fondement de la prĂ©vention d’une atteinte Ă  l’ordre public. Ainsi, un contrĂŽle d’identitĂ©, quelle que soit sa forme, ne saurait ĂȘtre rĂ©alisĂ© en l’état actuel du droit sur le seul fondement que la personne contrĂŽlĂ©e n’est pas identifiable. De surcroĂźt, la jurisprudence du Conseil constitutionnel a limitĂ© la marge de manƓuvre du lĂ©gislateur en la matiĂšre. En effet, dans une dĂ©cision du 5 aoĂ»t 2003, il a constitutionnalisĂ© la notion de circonstances particuliĂšres Ă©tablissant le risque d’atteinte Ă  l’ordre public » ConsidĂ©rant que la prĂ©vention d'atteintes Ă  l'ordre public, notamment d'atteintes Ă  la sĂ©curitĂ© des personnes ou des biens, est nĂ©cessaire Ă  la sauvegarde de principes et de droits ayant valeur constitutionnelle ; que toutefois la pratique de contrĂŽles d'identitĂ© gĂ©nĂ©ralisĂ©s et discrĂ©tionnaires serait incompatible avec le respect de la libertĂ© individuelle ; que s'il est loisible au lĂ©gislateur de prĂ©voir que le contrĂŽle d'identitĂ© d'une personne peut ne pas ĂȘtre liĂ© Ă  son comportement, il demeure que l'autoritĂ© concernĂ©e doit justifier, dans tous les cas, des circonstances particuliĂšres Ă©tablissant le risque d'atteinte Ă  l'ordre public qui a motivĂ© le contrĂŽle [
] » 305. Ainsi, sur le fondement de cette dĂ©cision, le lĂ©gislateur, pas plus que le pouvoir rĂ©glementaire, ne serait fondĂ© Ă  autoriser la pratique de contrĂŽles d’identitĂ© sur le simple fondement de la tenue portĂ©e par une personne car la cause premiĂšre du contrĂŽle doit rĂ©sider dans les circonstances dans lesquelles il est rĂ©alisĂ©. La voie de la gĂ©nĂ©ralisation des contrĂŽles d’identitĂ© paraĂźt difficilement empruntable pour dĂ©courager le port du voile intĂ©gral dans l’espace public. 2. Un meilleur contrĂŽle de l’admission au sĂ©jour et de l’attribution de la nationalitĂ©, une voie nĂ©cessaire mais insuffisante La pratique du port du voile intĂ©gral sur le territoire national est trĂšs largement le fait de personnes de nationalitĂ© française – plus des deux tiers, dont un peu moins de la moitiĂ© seraient issues des deuxiĂšme et troisiĂšme gĂ©nĂ©rations de l’immigration. Mais cette pratique concerne Ă©galement des ressortissants Ă©trangers prĂ©sents en France. Le renforcement des mĂ©canismes destinĂ©s Ă  prĂ©venir cette pratique est donc nĂ©cessaire c’est l’ensemble du parcours d’intĂ©gration des Ă©trangers en France qui doit ĂȘtre pris en compte Ă  ce titre pour s’assurer, depuis la dĂ©livrance d’un visa de long sĂ©jour jusqu’à l’étape ultime de l’accĂšs Ă  la nationalitĂ© française, du respect des valeurs de la RĂ©publique. a Faire du port du voile intĂ©gral un frein au sĂ©jour Concernant les visas de long sĂ©jour pour les conjoints de Français, l’article L. 211-2-1 du code de l’entrĂ©e et du sĂ©jour des Ă©trangers et du droit d’asile CESEDA subordonne la dĂ©livrance d’un visa de long sĂ©jour au conjoint de Français dĂ©sireux de s’établir en France Ă  une Ă©valuation de son degrĂ© de connaissance de la langue et des valeurs de la RĂ©publique et, si cette Ă©valuation en Ă©tablit le besoin, au suivi d’une formation. Il paraĂźt difficile, au regard du principe de libertĂ© de conscience comme des stipulations de l’article 8 de la CEDH sur le droit Ă  la vie privĂ©e et familiale l’article L. 211-2-1 mentionne la rĂ©serve des conventions internationales » de refuser, en raison du seul port du voile intĂ©gral, la dĂ©livrance d’un visa de long sĂ©jour. Mais il serait souhaitable de mentionner explicitement, s’agissant des valeurs de la RĂ©publique, l’égalitĂ© entre les hommes et les femmes et le principe de laĂŻcitĂ©. Par coordination, la mĂȘme prĂ©cision devrait ĂȘtre faite, Ă  l’article L. 411-8 du CESEDA, relatif Ă  la prĂ©paration de l’intĂ©gration en France pour les bĂ©nĂ©ficiaires du regroupement familial. Pour ce qui est de l’obtention d’une carte de sĂ©jour ou de son renouvellement, les articles L. 311-9 et L. 311-9-1 du CESEDA prĂ©voient, pour l’intĂ©gration des Ă©trangers et, le cas Ă©chĂ©ant, de leur famille, la conclusion d’un contrat d’accueil et d’intĂ©gration, prĂ©cĂ©demment mentionnĂ©, lors de la premiĂšre admission en France. Ce contrat comprend un engagement Ă  suivre une formation civique qui comporte elle-mĂȘme une prĂ©sentation des institutions françaises et des valeurs de la RĂ©publique, notamment l’égalitĂ© entre les hommes et les femmes et la laĂŻcitĂ© ». Il est actuellement prĂ©cisĂ© que, lors du premier renouvellement de la carte de sĂ©jour dĂ©livrĂ© Ă  l’étranger ou aux membres de sa famille, l’autoritĂ© administrative tient compte du non-respect, manifestĂ© par une volontĂ© caractĂ©risĂ©e, par l’étranger, des stipulations du contrat d’accueil et d’intĂ©gration ». Le non-respect porte donc sur l’absence d’assiduitĂ© aux formations prĂ©vues puisque l’étranger s’oblige seulement par ce contrat Ă  suivre une formation civique et, lorsque le besoin en est Ă©tabli, linguistique. Un dĂ©cret en Conseil d’État fixe les conditions de validation des actions prĂ©vues par le contrat. L’article R. 311-22 du CESEDA prĂ©voit que la participation Ă  la formation civique est sanctionnĂ©e par une attestation normative Ă©tablie par l’Agence nationale de l’accueil et des migrations. Ainsi, c’est seulement en cas d’adoption d’une mesure d’interdiction du port du voile intĂ©gral dans l’espace public qu’il serait envisageable de conditionner la dĂ©livrance ou le renouvellement d’une carte de sĂ©jour Ă  l’absence du port du voile intĂ©gral. En effet, s’il est envisageable de tirer, en matiĂšre de droit des Ă©trangers, les consĂ©quences d’une interdiction gĂ©nĂ©rale, qui serait justifiĂ©e, par exemple, par des motifs de troubles Ă  l’ordre public, il ne paraĂźt guĂšre possible de poser, pour le seul droit des Ă©trangers, la rĂšgle que le port du voile intĂ©gral fait obstacle par lui-mĂȘme, au titre de l’ordre public, Ă  la dĂ©livrance ou au renouvellement d’un titre. La dĂ©livrance de la carte de rĂ©sident, d’une durĂ©e de 10 ans, est l’aboutissement d’un parcours d’intĂ©gration de plusieurs annĂ©es de l’étranger dans la sociĂ©tĂ© française. Le lĂ©gislateur a donc prĂ©vu, Ă  l’article L. 314-2 du CESEDA, une vĂ©rification de cette intĂ©gration, apprĂ©ciĂ©e en particulier au regard [de l’] engagement personnel [de l’étranger] Ă  respecter les principes qui rĂ©gissent la RĂ©publique française, du respect effectif de ces principes et de sa connaissance suffisante de la langue française. » Pour la dĂ©livrance des cartes de rĂ©sident de dix ans, je vais indiquer aux prĂ©fets que le port du voile intĂ©gral devra constituer un motif de rejet de la demande. Ces rĂšgles pourraient ĂȘtre reprises et rendues explicites par la loi » 306, a indiquĂ© M. Éric Besson, Ministre de l’immigration, de l’intĂ©gration, de l’identitĂ© nationale et du dĂ©veloppement solidaire, au cours de son audition. DĂšs lors que la pratique radicale de sa religion, dont le port du voile intĂ©gral non contraint est un rĂ©vĂ©lateur, est incompatible avec les valeurs de la RĂ©publique française, en particulier avec le principe d’égalitĂ© des sexes, cette pratique doit pouvoir conduire Ă  un refus de dĂ©livrance de la carte de rĂ©sident. Il convient de modifier en ce sens l’article L. 314-2 du CESEDA. Il ne serait possible de modifier Ă©galement les conditions de dĂ©livrance de plein droit prĂ©vues Ă  l’article L. 314-11, pour lesquelles la seule exception possible est celle de l’ordre public que si une mesure d’interdiction gĂ©nĂ©rale et absolue Ă©tait adoptĂ©e. Proposition n° 14 — Modifier les articles L. 211-2-1 et L. 411-8 du code de l’entrĂ©e et du sĂ©jour des Ă©trangers et du droit d’asile CESEDA afin de mentionner l’égalitĂ© entre les hommes et les femmes et le principe de laĂŻcitĂ© » parmi les valeurs que doivent connaĂźtre les personnes dĂ©sirant se voir dĂ©livrer un visa de long sĂ©jour ou dĂ©sirant bĂ©nĂ©ficier du regroupement familial ; — Modifier l’article L. 314-2 du CESEDA afin de refuser la dĂ©livrance d’une carte de rĂ©sident aux personnes qui manifestent une pratique radicale de leur religion, incompatible avec les valeurs de la RĂ©publique, en particulier le principe d’égalitĂ© entre hommes et femmes, ceci Ă©tant considĂ©rĂ© comme un dĂ©faut d’intĂ©gration. b EmpĂȘcher l’acquisition de la nationalitĂ© française pour les femmes portant le voile intĂ©gral et pour leur conjoint C’est dans le domaine de l’accĂšs Ă  la nationalitĂ© française – qui n’est pas un droit pour l’étranger mais une facultĂ© pour les pouvoirs publics – que l’autoritĂ© administrative peut apprĂ©cier plus largement la rĂ©alisation de la condition d’intĂ©gration et tirer les consĂ©quences d’un dĂ©faut d’ assimilation » au sens de l’article 21-4 du code civil. Au sujet d’une demande d’acquisition de la nationalitĂ© française Ă©manant d’une femme portant le voile intĂ©gral, le Conseil d’État a jugĂ© le 27 juin 2008 que, si Mme M. possĂšde une bonne maĂźtrise de la langue française, elle a cependant adoptĂ© une pratique radicale de sa religion, incompatible avec les valeurs essentielles de la communautĂ© française, et notamment avec le principe d’égalitĂ© des sexes ; qu’ainsi, elle ne remplit pas la condition d’assimilation posĂ©e par l’article 21-4 prĂ©citĂ© du code civil ; que, par consĂ©quent, le gouvernement a pu lĂ©galement fonder sur ce motif une opposition Ă  l’acquisition par mariage de la nationalitĂ© française de Mme M. » Cette dĂ©cision fonde donc le refus d’attribution de la nationalitĂ© française, sur la base de l’article 21-4 du code civil, qui concerne l’acquisition de la nationalitĂ© au titre du mariage, sur la notion de pratique radicale de la religion. La condition posĂ©e Ă  l’article 21-24 pour l’acquisition de la nationalitĂ© française par dĂ©cision de l’autoritĂ© publique Ă©tant formulĂ©e en des termes identiques Ă  celle de l’article 21-4, on peut estimer que la solution dĂ©gagĂ©e par le Conseil d’État vaudrait Ă©galement dans ce cas. Afin de rendre cette jurisprudence plus lisible et pĂ©dagogique, il pourrait ĂȘtre souhaitable de la codifier dans le code civil. M. Brice Hortefeux s’est dĂ©clarĂ© ouvert Ă  une telle modification lĂ©gislative Faut-il modifier le code civil ? J’y suis Ă  titre personnel trĂšs ouvert celle qui porte le voile intĂ©gral ou celui qui oblige sa femme Ă  le porter se placent en marge de la communautĂ© nationale et ne peuvent, par consĂ©quent, devenir Français. » 307 La mĂȘme position a Ă©tĂ© prise par M. Éric Besson puisqu’il a indiquĂ© vouloir que le port du voile intĂ©gral soit systĂ©matiquement considĂ©rĂ© comme preuve d'une intĂ©gration insuffisante Ă  la sociĂ©tĂ© française, faisant obstacle Ă  l'accession Ă  la nationalitĂ©. » 308 Cette rĂ©daction, qui explicite la marge d’apprĂ©ciation dont dispose dĂ©jĂ  l’autoritĂ© administrative, a l’avantage de ne pas infĂ©rer directement du port d’un voile intĂ©gral un dĂ©faut d’assimilation, ce qui permet de ne pas pĂ©naliser les femmes dont le port de ce vĂȘtement est imposĂ© par l’environnement familial ou social. Proposition n° 15 Introduire aux articles 21-4 et 21-24 du code civil relatif Ă  l’acquisistion de la nationalitĂ© française une disposition explicitant qu’est considĂ©rĂ© comme un dĂ©faut d’assimilation le fait de manifester une pratique radicale de sa religion, incompatible avec les valeurs essentielles de la communautĂ© française, notamment avec le principe d’égalitĂ© entre les hommes et les femmes. B. INTERDIRE LE PORT DU VOILE INTÉGRAL DANS L’ESPACE PUBLIC ? Il n’est pas possible de mettre un terme au port du voile intĂ©gral sur le territoire national en se fondant uniquement sur les possibilitĂ©s de contrĂŽle d’identitĂ© ou sur un meilleur contrĂŽle du sĂ©jour des Ă©trangers et de l’attribution de la nationalitĂ© française. Autrement dit, il semble difficile d’empĂȘcher cette pratique sans l’interdire. C’est pourquoi la question de la faisabilitĂ© juridique et pratique d’une mesure d’interdiction gĂ©nĂ©rale et absolue du port du voile intĂ©gral dans l’espace public a Ă©tĂ© Ă©voquĂ©e Ă  de nombreuses reprises par les personnes entendues par la mission. Certaines propositions de loi ont d’ailleurs Ă©tĂ© dĂ©posĂ©es ou sont en phase de l’ĂȘtre afin de prohiber cette pratique 309. Tel est le cas de la proposition de loi que le groupe parlementaire UMP a fait parvenir Ă  la mission le 15 janvier 2009. Afin de cerner les contours de ce que pourrait ĂȘtre une loi d’interdiction gĂ©nĂ©rale et absolue, et d’en Ă©valuer la faisabilitĂ©, il est nĂ©cessaire de rĂ©pondre Ă  trois questions une telle interdiction relĂšverait-elle de la loi ou du rĂšglement ? Est-elle possible au regard de la Constitution et de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme ? Pourrait-on sanctionner la violation de cette interdiction ? 1. Une interdiction relĂšverait-elle de la loi ou de rĂšglement ? Si l’on entendait interdire le port du voile intĂ©gral dans l’espace public, il serait nĂ©cessaire, dans un premier temps, de dĂ©terminer de quelle nature devrait ĂȘtre cette mesure d’interdiction. En effet, l’on pourrait envisager soit une norme de nature lĂ©gislative, soit une norme de nature rĂ©glementaire. Si cette derniĂšre voie aurait pu sembler juridiquement prĂ©fĂ©rable, elle se rĂ©vĂšle inempruntable Ă  l’analyse, ne laissant ouverte que l’option de la loi. a Au regard du principe de proportionnalitĂ©, une interdiction par voie de rĂšglement serait prĂ©fĂ©rable Avant 1958, les rĂšglements n’avaient qu’un rĂŽle mineur en matiĂšre pĂ©nale, la source centrale du droit pĂ©nal Ă©tant la loi, conformĂ©ment au principe de lĂ©galitĂ© des peines, issu de l’article 8 de la DĂ©claration des droits de l’homme et du citoyen nul ne peut ĂȘtre puni qu'en vertu d'une Loi Ă©tablie et promulguĂ©e antĂ©rieurement au dĂ©lit, et lĂ©galement appliquĂ©e. » Avec l’entrĂ©e en vigueur de la Constitution de la Ve RĂ©publique, la rĂ©partition des compĂ©tences entre loi et rĂšglement en matiĂšre pĂ©nale a Ă©tĂ© sensiblement modifiĂ©e. L’article 34 de la Constitution dispose que la loi fixe les rĂšgles concernant la dĂ©termination des crimes et dĂ©lits ainsi que les peines qui leur sont applicables » et l’article 37 prĂ©voit que les matiĂšres autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractĂšre rĂ©glementaire. » Il rĂ©sulte de ce partage de compĂ©tences entre loi et rĂšglement que les contraventions relĂšvent du pouvoir rĂ©glementaire. Cette solution a Ă©tĂ© confirmĂ©e par le Conseil d’État, qui a jugĂ© qu’ il rĂ©sulte de l’ensemble de la Constitution et notamment des termes prĂ©citĂ©s de l’article 34 que les auteurs de celle-ci ont exclu du domaine de la loi la dĂ©termination des contraventions et des peines dont elles sont assorties. » 310 Elle l’a Ă©galement Ă©tĂ© par le Conseil constitutionnel, qui a indiquĂ© dans une dĂ©cision de 1963 que la dĂ©termination des contraventions et des peines dont celles-ci sont assorties, est de la compĂ©tence rĂ©glementaire » 311. Cette nouvelle rĂ©partition des compĂ©tences a Ă©tĂ© inscrite dans le nouveau code pĂ©nal aux articles 111-2 et 111-3. Le second alinĂ©a de l’article 111-2 prĂ©voit ainsi que le rĂšglement dĂ©termine les contraventions et fixe, dans les limites et selon les distinctions Ă©tablies par la loi, les peines applicables aux contrevenants. » Ainsi, l’article 131-13 du code pĂ©nal dĂ©finit-il cinq classes de contraventions, sanctionnĂ©es d’une amende maximale de 1 500 euros, et de 3 000 euros en cas de rĂ©cidive, pour les contraventions de cinquiĂšme classe. En vertu du principe constitutionnel de proportionnalitĂ© des dĂ©lits et des peines, dĂ©gagĂ© par le Conseil constitutionnel Ă  partir de l’article 8 de la DĂ©claration de 1789 312, le lĂ©gislateur n’est pas entiĂšrement libre dans la dĂ©termination des peines. Depuis un dĂ©cret n° 2009-724 du 19 juin 2009, a Ă©tĂ© introduit dans le code pĂ©nal un article R. 645-14 qui instaure une nouvelle infraction, constitutive d’une contravention de cinquiĂšme classe, punissant le fait de dissimuler volontairement son visage au sein ou aux abords immĂ©diats d’une manifestation sur la voie publique ». Or, ainsi que l’a exposĂ© M. Bertrand Louvel, prĂ©sident de chambre et directeur du service de documentation et d’études Ă  la Cour de cassation Pour sanctionner la personne cagoulĂ©e Ă  proximitĂ© d’une manifestation, ce qui constitue une contravention de la cinquiĂšme classe, l’autoritĂ© rĂ©glementaire a prĂ©vu une simple peine d’amende de 1 500 euros. Or, un tel comportement comporte plus de risque pour l’ordre public que celui d’une femme voilĂ©e qui marche paisiblement dans la rue. Donc, si une sanction devait ĂȘtre envisagĂ©e, elle ne pourrait ĂȘtre que d’un niveau infĂ©rieur, ce qui exclut toute intervention lĂ©gislative. » 313 Ainsi, eu Ă©gard aux sanctions des infractions existantes, il ne semble pas possible de faire du port du voile intĂ©gral dans l’espace public un dĂ©lit. À cet Ă©gard, le rĂšglement serait la norme juridiquement adĂ©quate pour interdire le port du voile intĂ©gral. b Mais cette solution n’est pas applicable en pratique Si la voie rĂ©glementaire serait juridiquement la plus adaptĂ©e au regard du partage des compĂ©tences entre loi et rĂšglement, cette perspective se heurte Ă  deux inconvĂ©nients une telle norme serait trĂšs certainement censurĂ©e par le juge administratif et il n’est pas opportun que le lĂ©gislateur se dĂ©charge de ses responsabilitĂ©s sur les Ă©lus locaux. — Il n’est pas opportun de laisser les maires seuls face Ă  la pratique du port du voile intĂ©gral L’interdiction du voile intĂ©gral par voie de rĂšglement pourrait ĂȘtre prise soit un niveau national, par dĂ©cret, soit un niveau local, au moyen d’arrĂȘtĂ©s municipaux. Cette derniĂšre solution a notamment Ă©tĂ© prĂ©conisĂ©e par Mme Caroline Fourest, au regard de l’ampleur rĂ©duite du phĂ©nomĂšne D’ordinaire, je suis davantage favorable Ă  la loi, car le rĂšglement suppose des arbitrages et des rapports de force individuels compliquĂ©s Ă  gĂ©rer. Mais j’estime que la voie rĂ©glementaire est plus adaptĂ©e Ă  ce cas d’espĂšce, compte tenu du nombre rĂ©duit de femmes concernĂ©es. » 314 Elle a Ă©tĂ© mise en Ɠuvre en Belgique, puisque les communes sont compĂ©tentes, depuis une loi de 1999, pour prendre des sanctions administratives dans le but de lutter contre les nuisances. Certaines d’entre elles ont profitĂ© de cette lĂ©gislation pour rĂ©activer ou introduire dans leur rĂšglement communal des dispositions relatives Ă  l’interdiction de se masquer le visage en dehors de carnaval. Dans le rĂšglement communal de Schaerbeek, on peut ainsi lire Il est interdit de se dissimuler le visage ou de se trouver dĂ©guisĂ©, grimĂ© ou travesti sur la voie publique ou dans les lieux accessibles au public [
] Sauf autorisation, le port du masque est interdit. » 315 Lors de son dĂ©placement Ă  Bruxelles, la mission a rencontrĂ© M. Philippe Moureaux, bourgmestre de Molenbeek qui a pris, en 2005, un rĂšglement interdisant de se couvrir le visage dans l’espace public sauf autorisation du bourgmestre. Cependant, ces interdictions locales rencontrent des limites Ă©videntes, qui tiennent aux disparitĂ©s des rĂšgles applicables dans l’espace. Ainsi, Mme France Lemeunier, analyste stratĂ©gique Ă  l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace OCAM, a soulignĂ© l’impression de cafouillage », qui ressort des donnĂ©es disponibles le port du voile intĂ©gral est permis ou interdit selon la commune et, mĂȘme dans les communes oĂč il est interdit, des disparitĂ©s importantes se font jour certaines n’ont pas dressĂ© de procĂšs-verbaux sur ce fondement ; d’autres ont engagĂ© des mesures de mĂ©diation ; d’autres prononcent des amendes de maniĂšre systĂ©matique. Ce risque d’émiettement des rĂšgles applicables a Ă©galement Ă©tĂ© soulevĂ© par les reprĂ©sentants de l’association Ville et banlieue de France. M. Renaud Gauquelin, maire de Rillieux-La-Pape, a nettement pointĂ© ce risque ne laissons pas aux maires la responsabilitĂ© de prendre des arrĂȘtĂ©s municipaux en la matiĂšre, car cela reviendrait Ă  diviser la RĂ©publique française en 36 000 territoires, donc Ă  Ă©gratigner sĂ©rieusement la laĂŻcitĂ© ! » 316 Un risque de stigmatisation de certains quartiers pourrait d’ailleurs ĂȘtre engendrĂ© par cette libertĂ© laissĂ©e aux maires. Cette perspective a Ă©tĂ© Ă©voquĂ©e par M. Patrice Billaud, vice-prĂ©sident du Grand orient de France, qui a soulignĂ© qu’ une application nationale Ă©viterait de focaliser l’attention sur telle ou telle municipalitĂ© ou tel ou tel quartier » 317. Plus fondamentalement, comme c’est au nom des valeurs rĂ©publicaines que le voile intĂ©gral pourrait ĂȘtre interdit et non au titre de circonstances locales particuliĂšres, seule une interdiction nationale aurait un sens. M. Claude Dilain, prĂ©sident de l’association Ville et banlieue de France et maire de Clichy-sous-Bois, a fortement incitĂ© la mission Ă  ne pas laisser les maires seuls face Ă  cette problĂ©matique Une [autre] erreur, trĂšs grave, serait de renvoyer la patate chaude » aux maires, au prĂ©texte que ce problĂšme n’existe que dans un certain nombre de villes. Je le rĂ©pĂšte cette question renvoie aux valeurs rĂ©publicaines que sont l’intĂ©gration, le respect de la personne et sa dignitĂ©. Elle appelle donc une rĂ©ponse de la sociĂ©tĂ© française – et non exclusivement des maires par le biais d’arrĂȘtĂ©s municipaux – et, par consĂ©quent, la rĂ©affirmation des valeurs de la RĂ©publique, d’une maniĂšre ou d’une autre, mais de façon symbolique et forte. » 318 M. RĂ©my Schwartz a indiquĂ© que la mĂȘme question s’était posĂ©e Ă  la commission Stasi qui avait Ă©galement privilĂ©giĂ© la solution lĂ©gislative Cela reviendrait Ă  laisser les Ă©lus locaux seuls face Ă  ces difficultĂ©s. » 319, a-t-il estimĂ©. — La voie rĂ©glementaire est en tout Ă©tat de cause impraticable En tout Ă©tat de cause, la voie rĂ©glementaire se rĂ©vĂšle impraticable sur le terrain juridique. Les restrictions apportĂ©es par le pouvoir rĂ©glementaire aux libertĂ©s individuelles ne doivent en effet ĂȘtre ni gĂ©nĂ©rales ni absolues, selon une jurisprudence constante du Conseil d’État. Elles doivent en effet ĂȘtre justifiĂ©es par des circonstances de temps et de lieu particuliĂšres. Ainsi que l’a rappelĂ© M. Brice Hortefeux, Comme toujours, lorsque les libertĂ©s publiques sont en jeu, les restrictions ne sont admises que dans des circonstances particuliĂšres – c’est d’ailleurs ce qui a justifiĂ© le dĂ©cret du 19 juin 2009, prohibant le port de cagoules aux abords immĂ©diats des manifestations. » 320 Quand bien mĂȘme des circonstances particuliĂšres seraient attestĂ©es, le juge administratif contrĂŽle la proportionnalitĂ© de l’atteinte portĂ©e Ă  la libertĂ© en cause par rapport Ă  la menace Ă  l’ordre public que l’acte rĂ©glementaire entend prĂ©venir. Sur le fondement de cette jurisprudence a Ă©tĂ© annulĂ© par le tribunal administratif de Montpellier un arrĂȘtĂ© municipal du maire de la Grande Motte interdisant de se trouver sur la voie publique en Ă©tant seulement vĂȘtu d’une tenue de bain, le torse nu, du 1er juin au 15 septembre » 321. Enfin, l’interdiction du port du voile intĂ©gral dans l’espace public peut s’analyser comme une restriction apportĂ©e Ă  une, voire plusieurs libertĂ©s fondamentales, qui relĂšve de la compĂ©tence de la loi en vertu de l’article 34 de la Constitution. Ce dernier prĂ©voit en effet que la loi fixe les rĂšgles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordĂ©es aux citoyens pour l'exercice des libertĂ©s publiques ». Cette triple analyse, tenant Ă  l’opportunitĂ© et Ă  la faisabilitĂ© du passage par la voie rĂ©glementaire, a Ă©tĂ© synthĂ©tisĂ©e par M. Éric Besson L'État ne saurait, en particulier, se dĂ©charger de ses responsabilitĂ©s et renvoyer Ă  des arrĂȘtĂ©s de police municipale, qui, pour ĂȘtre lĂ©gaux, doivent rĂ©pondre Ă  des circonstances locales particuliĂšres. Or, ce ne sont pas les circonstances locales qui sont en cause, mais les principes mĂȘmes de notre RĂ©publique. » 322 c Le passage par la loi, seule voie possible Le passage par la voie rĂ©glementaire Ă©tant impossible et inopportun, la loi est le seul vecteur normatif possible pour interdire le voile intĂ©gral dans l’espace public. Ainsi que l’a soulignĂ© Mme Anne Levade, professeur de droit public Ă  l’UniversitĂ© de Paris XII, la rĂ©glementation – ou l’interdiction – de l’usage public du voile intĂ©gral nĂ©cessite l’intervention du lĂ©gislateur, seul compĂ©tent pour rĂ©glementer l’exercice d’une libertĂ© publique [
] Le lĂ©gislateur bĂ©nĂ©ficie d’une plus grande libertĂ© que l’autoritĂ© rĂ©glementaire pour poser des interdictions gĂ©nĂ©rales. » 323 Le passage par la loi est possible dans la mesure oĂč le Conseil constitutionnel s’est jusqu’à prĂ©sent refusĂ© Ă  sanctionner l’empiĂ©tement de la loi sur le domaine du rĂšglement. Cette jurisprudence a d’ailleurs Ă©tĂ© inaugurĂ©e en 1982 prĂ©cisĂ©ment parce que la loi avait entendu crĂ©er une contravention. Les auteurs de la saisine estimaient ainsi que la loi Ă©dictait une rĂšgle qui ne relĂšve pas du domaine de la loi en instituant une amende contraventionnelle » 324. Le Conseil constitutionnel a alors estimĂ© que la Constitution n'a pas entendu frapper d'inconstitutionnalitĂ© une disposition de nature rĂ©glementaire contenue dans une loi » 325. Il est donc possible, pour le lĂ©gislateur, de crĂ©er des contraventions sans encourir la censure du Conseil constitutionnel. Face Ă  cette dualitĂ© de compĂ©tences, puisque seul le lĂ©gislateur pourrait restreindre d’une telle façon l’exercice d’une libertĂ© publique, tandis que le pouvoir rĂ©glementaire est compĂ©tent pour crĂ©er des contraventions, une solution consisterait Ă  interdire cette pratique par la loi en renvoyant le soin au pouvoir rĂ©glementaire le soin de prĂ©ciser la classe de la contravention qui punit le non-respect de cette interdiction. Tel est Ă©galement le dispositif envisagĂ© par la contribution du groupe UMP adressĂ©e aux travaux de la mission. 2. Une interdiction serait-elle possible au regard de la Constitution et de la CEDH ? Le second problĂšme juridique auquel doit ĂȘtre apportĂ©e une solution avant que ne soit envisageable une loi d’interdiction gĂ©nĂ©rale et absolue de dissimuler son visage dans l’espace public rĂ©side dans la nĂ©cessaire compatibilitĂ© de cette derniĂšre avec la Constitution et avec la Convention europĂ©enne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales CEDH. En effet, toute loi votĂ©e par le Parlement est susceptible de voir sa constitutionnalitĂ© contrĂŽlĂ©e par le Conseil constitutionnel, d’autant plus qu’existe dĂ©sormais un contrĂŽle par voie d’exception avec la question prioritaire de constitutionnalitĂ©, et sa conventionalitĂ© analysĂ©e par la Cour europĂ©enne des droits de l’homme. Cette question est d’une particuliĂšre importance dans la mesure oĂč une censure du Conseil constitutionnel ou une condamnation de la France par la Cour europĂ©enne des droits de l’homme constitueraient un dĂ©saveu particuliĂšrement cinglant pour la reprĂ©sentation nationale et une victoire pour les partisans d’une pratique radicale de la religion. Or, ces deux instances juridictionnelles protĂšgent plusieurs libertĂ©s auxquelles une interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public pourrait porter atteinte Ă  — La libertĂ© de conscience et celle, qui en dĂ©coule, de manifester ses opinions. Cette libertĂ© est notamment garantie par l’article 10 de la DĂ©claration des droits de l’homme et du citoyen et par l’article 9 de la CEDH ; — La libertĂ© d’aller et venir, dans la mesure, oĂč, si l’on reprend le raisonnement de M. Denys de BĂ©chillon, une loi visant Ă  empĂȘcher les femmes de se promener en burqa dans la rue pourrait s’analyser dans une certaine mesure en une restriction de leurs possibilitĂ©s de dĂ©placements. » 326 Cette libertĂ© est Ă©galement garantie tant par la jurisprudence du Conseil constitutionnel que par celle de la CEDH. L’article 9 de la CEDH 1. Toute personne a droit Ă  la libertĂ© de pensĂ©e, de conscience et de religion ; ce droit implique la libertĂ© de changer de religion ou de conviction, ainsi que la libertĂ© de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privĂ©, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. 2. La libertĂ© de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prĂ©vues par la loi, constituent des mesures nĂ©cessaires, dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, Ă  la sĂ©curitĂ© publique, Ă  la protection de l'ordre, de la santĂ© ou de la morale publiques, ou Ă  la protection des droits et libertĂ©s d'autrui. ». En revanche, la libertĂ© de se vĂȘtir librement n’a Ă©tĂ© dĂ©gagĂ©e par aucune de ces deux institutions. Pour qu’une disposition lĂ©gislative puisse porter atteinte Ă  des droits garantis par la Constitution ou par la CEDH, il est nĂ©cessaire, d’une part, qu’elle soit fondĂ©e sur des exigences de portĂ©e Ă©quivalente et, d’autre part, que les restrictions apportĂ©es Ă  ces libertĂ©s soient analysĂ©es par le juge comme Ă©tant proportionnĂ©es. Il est donc nĂ©cessaire que la restriction d’une libertĂ© [apparaisse] vĂ©ritablement nĂ©cessaire dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique comme la nĂŽtre, et non dĂ©sĂ©quilibrĂ©e en regard de l’exercice des autres libertĂ©s ». En revanche, il n’est pas indispensable que le fondement retenu par le Conseil constitutionnel et par la Cour europĂ©enne des droits de l’homme soit identique. Afin de justifier une interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public, trois fondements juridiques ont Ă©tĂ© envisagĂ©s par les personnes auditionnĂ©es par la mission le principe de laĂŻcitĂ©, celui de dignitĂ© de la personne humaine et la sauvegarde de l’ordre public. a La laĂŻcitĂ©, un fondement inopĂ©rant Le premier fondement que l’on pourrait mobiliser rĂ©side dans le principe de laĂŻcitĂ©. Celui-ci a, en effet, valeur constitutionnelle, puisqu’il figure Ă  l’article premier de la Constitution de 1958, et a Ă©tĂ© reconnu par la Cour europĂ©enne des droits de l’homme dans plusieurs arrĂȘts, notamment dans des affaires impliquant la Turquie, la Suisse et la France. Dans l’une d’entre elles, Leyla ƞahin c. Turquie 327, la Cour europĂ©enne des droits de l’homme a validĂ© l’interdiction du voile islamique dans les universitĂ©s turques au nom du principe de laĂŻcitĂ©. Plus rĂ©cemment, dans son arrĂȘt de 2009 Aktas c. France 328, la Cour a jugĂ© lĂ©gitime qu’une jeune fille qui refusait d’îter son voile en cours de gymnastique soit exclue de son lycĂ©e. Cependant, ce principe ne saurait ĂȘtre retenu dans le cas d’une interdiction portant sur l’espace public pour plusieurs raisons. Tout d’abord, si la Cour europĂ©enne des droits de l’homme a validĂ© le bannissement des voiles de l’universitĂ© en Turquie, elle a motivĂ© son raisonnement par d’abondantes considĂ©rations relatives aux spĂ©cificitĂ©s du cas qui lui Ă©tait soumis. Ainsi que l’a relevĂ© M. Denys de BĂ©chillon, la Cour insiste lourdement sur la situation tout Ă  fait singuliĂšre de la Turquie, la dĂ©crivant comme un pays assiĂ©gĂ©, trĂšs fragilisĂ© par la menace islamique et dont l’existence et l’identitĂ© politiques reposent sur la soliditĂ© du postulat de laĂŻcitĂ©. Or une prohibition du voile intĂ©gral ne pourrait pas ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme Ă©galement valable dans des pays beaucoup moins en situation de pĂ©ril existentiel jusqu’à plus ample informĂ©. » 329 ; De surcroĂźt, cette interdiction prenait place dans un service public, Ă  savoir au sein des universitĂ©s ou des Ă©coles primaires et secondaires. Or, le principe de laĂŻcitĂ© ne saurait valoir dans la totalitĂ© de l’espace public, ainsi que l’ont confirmĂ© toutes les personnes qui se sont exprimĂ©es Ă  ce sujet devant la mission la laĂŻcitĂ© est source d’obligations pesant sur l’État, dans le cadre notamment de l’organisation des services publics et non pas sur les particuliers. La laĂŻcitĂ©, en tant que principe politique d’organisation, s'applique aux institutions, non aux individus [
] Elle vise, par la sĂ©paration des Églises et de l'État, Ă  distinguer institutionnellement le domaine de l'administration et des services publics de celui de la vie privĂ©e des citoyens. » 330 a ainsi rappelĂ© M. Marc Blondel, prĂ©sident de la FĂ©dĂ©ration nationale de la libre pensĂ©e. Si l’on souhaitait en faire usage pour rĂ©glementer des comportements dans l’espace public, cela reviendrait [
] Ă  redĂ©finir radicalement la portĂ©e de ce principe. » a expliquĂ© M. Xavier Darcos. Les juristes auditionnĂ©s par la mission ont avancĂ© la mĂȘme analyse. Pour retenir la formule de M. Bertrand Mathieu, ce sont l’État, les pouvoirs publics et les services publics qui sont soumis au principe de laĂŻcitĂ©, non les individus, le corps social et l’espace public. » 331 ; Enfin, lĂ©gifĂ©rer au nom de la laĂŻcitĂ© reviendrait Ă  considĂ©rer le voile intĂ©gral comme un signe religieux. Dans ces conditions, l’on voit mal pourquoi, au nom du principe de laĂŻcitĂ©, seul le port du voile intĂ©gral serait prohibĂ© dans l’espace public. Si tel Ă©tait le cas, il y aurait sans doute un risque de condamnation pour violation de l’article 14 [de la CEDH], voire au titre de la discrimination collective », a soulignĂ© M. Jean-Pierre MarguĂ©naud, professeur de droit privĂ© Ă  l’universitĂ© de Limoges. Le voile intĂ©gral n’étant pas le seul signe religieux prĂ©sent dans l’espace public, il faudrait alors rĂ©glementer l’usage de tout vĂȘtement marquant une identitĂ© religieuse en public, ce qui n’est pas imaginable. » 332, a expliquĂ© M. Bertrand Mathieu, rejoignant ainsi une remarque de M. Guy Carcassonne. La laĂŻcitĂ© ne saurait donc servir de fondement, tant du point de vue du droit que de celui des principes, Ă  une interdiction du port du voile intĂ©gral dans l’espace public. b La dignitĂ© de la personne humaine, une notion au contenu incertain Le deuxiĂšme fondement juridique auquel l’on pourrait penser pour justifier une prohibition du voile intĂ©gral dans l’espace public serait la notion de dignitĂ© de la personne humaine. Il est, en effet, incontestable que le voile intĂ©gral est une atteinte Ă  la dignitĂ© de la femme qui le porte 333. Le principe de dignitĂ© est donc, en l’occurrence, Ă©troitement liĂ© Ă  celui d’égalitĂ© des sexes. De surcroĂźt, cette base juridique permet de saisir la spĂ©cificitĂ© du voile intĂ©gral, et donc de ne bannir que ce signe religieux de l’espace public, dans la mesure oĂč l’atteinte Ă  la dignitĂ© trouve son fondement dans le fait que le visage de la personne soit dissimulĂ©. La notion de dignitĂ© de la personne humaine a Ă©tĂ© consacrĂ©e par la jurisprudence de trois juridictions — Le Conseil constitutionnel, dans deux dĂ©cisions de 1994 et de 1995 334 a fait de la sauvegarde de la dignitĂ© de la personne humaine un principe Ă  valeur constitutionnelle qui dĂ©coule du prĂ©ambule de la Constitution de 1946 ; — Le Conseil d’État a fait de la dignitĂ© de la personne humaine la quatriĂšme composante de l’ordre public en 1995, Ă  l’occasion du cĂ©lĂšbre arrĂȘt Commune de Morsang-sur-Orge 335 oĂč il a jugĂ© lĂ©gal un arrĂȘtĂ© municipal interdisant un spectacle de lancer de nain en l’absence de circonstances locales particuliĂšres et malgrĂ© l’accord de la personne projetĂ©e, au nom du principe de dignitĂ© de la personne humaine ; — La Cour europĂ©enne des droits de l’homme a Ă©galement dĂ©gagĂ© ce principe dans sa jurisprudence, bien qu’il soit formellement absent du texte de la convention. Ainsi, Ă  l’occasion de deux arrĂȘts et contre Royaume-Uni du 22 novembre 1995, elle a affirmĂ© que la libertĂ© et la dignitĂ© Ă©taient les deux fondements de la convention 336. En faisant un parallĂšle avec l’affaire du lancer de nain, on voit bien quel serait le sens d’une interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public, y compris pour des personnes consentantes si l’on poursuit sur cette voie, il n’est pas complĂštement inconcevable de soutenir qu’une femme dissimulĂ©e sous une burqa se dĂ©grade et dĂ©grade sa propre dignitĂ© » 337, a explicitĂ© M. Denys de BĂ©chillon. Elle devrait donc, selon cette logique, en ĂȘtre empĂȘchĂ©e. Selon la conception du principe de dignitĂ© de la personne humaine qui sous-tend ce raisonnement, l’État serait fondĂ© Ă  imposer des obligations aux particuliers au nom de la protection de leur propre dignitĂ©. Pourtant, cette analyse se heurte Ă  des objections importantes. La premiĂšre rĂ©side dans le fait que cette conception du principe de dignitĂ© a, semble-t-il, Ă©tĂ© abandonnĂ©e par la CEDH. Elle a eu l’occasion de prĂ©ciser ce point au travers de sa jurisprudence portant sur les pratiques sadomasochistes. En 1997, dans l’affaire Laskey, Jaggard et Brown c. Royaume-Uni 338, elle a eu Ă  connaĂźtre d’un recours formĂ© devant elle par des participants Ă  des activitĂ©s sadomasochistes qui avait Ă©tĂ© condamnĂ©s par les tribunaux britanniques Ă  cinq ans de prison, alors qu’ils Ă©taient consentants et que personne ne s’était plaint ni n’avait jamais Ă©tĂ© hospitalisĂ© ou mĂȘme soignĂ©. La CEDH jugea pourtant lĂ©gitime la condamnation des intĂ©ressĂ©s, estimant que ces sadomasochistes avaient portĂ© une atteinte Ă  leur dignitĂ©. Il y avait donc bien une communautĂ© de vues entre cet arrĂȘt et celui de Morsang sur Orge » 339, d’aprĂšs l’analyse de M. Denys de BĂ©chillon. Mais cette interprĂ©tation de la notion de dignitĂ© a Ă©tĂ© abandonnĂ©e, dans une affaire similaire, KA et AD c. Belgique, en 2005 340. Une femme, qui disait participer de maniĂšre volontaire Ă  des pratiques sadomasochistes, avait Ă©tĂ© torturĂ©e par deux hommes et s’était Ă©vanouie Ă  plusieurs reprises. De ce fait, son consentement n’a pas pu ĂȘtre actualisĂ© en permanence, fondant la qualification de ces pratiques en actes de torture. On peut ainsi dĂ©duire de cet arrĂȘt, Ă  l’instar de M. Denys de BĂ©chillon, que c’est le consentement actualisĂ© qui fait la frontiĂšre entre la libertĂ© sexuelle, protĂ©gĂ©e, et la torture, condamnable. » 341 Le raisonnement suivi dans cette affaire est aux antipodes du prĂ©cĂ©dent. Ce qui compte dĂ©sormais pour la Cour europĂ©enne des droits de l’homme, c’est l’autonomie de cette femme, sa volontĂ© et sa libertĂ© de consentir aux supplices qu’elle avait sollicitĂ©s et non plus la protection de sa dignitĂ©. Sur le fondement de cette Ă©volution, ce dernier concluait vous voyez [
] que nous ne disposons plus du tout des mĂȘmes outils juridiques pour empĂȘcher une femme de porter la burqa si elle le souhaite. C’est mĂȘme plutĂŽt le contraire si c’est la volontĂ© de la personne qui compte, en derniĂšre analyse, et mĂ©rite la protection, il devient trĂšs difficile de l’empĂȘcher de disposer d’elle-mĂȘme — et a fortiori de son vĂȘtement — si telle est sa volontĂ©. » 342 La notion de dignitĂ© de la personne humaine, telle qu’elle ressort de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, se situe dans le droit fil de cette conception de la dignitĂ© comme protĂ©geant le libre arbitre de la personne. Ce dernier a dĂ©duit le principe de la dignitĂ© de la personne humaine d’une phrase du prĂ©ambule de la Constitution de 1946, qui comprend l’expression suivante au lendemain de la victoire remportĂ©e par les peuples libres sur les rĂ©gimes qui ont tentĂ© d’asservir et de dĂ©grader la personne humaine ». Il semble donc clair que selon cette conception de la dignitĂ©, celle-ci conforte le droit de ne pas ĂȘtre dominĂ© ou asservi. Si l’on en reste Ă  ces solides prĂ©misses, il n’y a rien lĂ  qui puisse justifier un gouvernement extĂ©rieur des corps et des consciences. Tout au contraire, il y a tout ce qu’il faut pour protĂ©ger la libertĂ© de chacun de se comporter comme il l’entend dans le respect de l’égale libertĂ© d’autrui » 343, a conclu M. Denys de BĂ©chillon. La conception de la dignitĂ© retenue par le Conseil constitutionnel est donc la suivante, comme l’a rĂ©sumĂ© M. Guy Carcassonne il s’agit d’un principe opposable au lĂ©gislateur, mais que le lĂ©gislateur ne peut opposer aux citoyens. » 344 Il existe donc deux contenus possibles pour la notion de dignitĂ© de la personne humaine. Dans un cas, elle autorise l’État Ă  restreindre la libertĂ© individuelle, au nom de la protection de la libertĂ©, dans l’autre, elle protĂšge la libertĂ© individuelle contre les restrictions qui pourraient l’attĂ©nuer. Cette dualitĂ© de sens a d’ailleurs clairement Ă©tĂ© exposĂ©e dans le rapport du ComitĂ© de rĂ©flexion sur le prĂ©ambule de la Constitution prĂ©sidĂ© par Mme Simone Veil 345. Alors que seule la premiĂšre conception pourrait lĂ©gitimer l’interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public, c’est bien la seconde qu’ont choisi d’appliquer le Conseil constitutionnel et la Cour europĂ©enne des droits de l’homme. La position de ces deux juridictions a de surcroĂźt Ă©tĂ© fondĂ©e en principe par les juristes entendus par la mission. Ils ont pointĂ© les consĂ©quences qu’il y aurait Ă  estimer que le port revendiquĂ© du voile intĂ©gral dans l’espace public serait une atteinte Ă  la dignitĂ© de la femme. La premiĂšre d’entre elles, soulevĂ©e par Mme Anne Levade, rĂ©side dans le fait que la sauvegarde de la dignitĂ© de la personne humaine est un principe de droit objectif et, de ce fait, auquel on ne peut dĂ©roger ; autrement dit, il n’y a pas de petites et de grandes atteintes Ă  la dignitĂ©, il n’y a pas des atteintes acceptables et d’autres qui ne le seraient pas. » 346 Par consĂ©quent, toute atteinte au principe de dignitĂ© doit ĂȘtre prohibĂ©e, oĂč qu’elle se dĂ©roule. La pratique du port du voile intĂ©gral devrait donc Ă©galement ĂȘtre interdite dans les espaces privĂ©s, en toutes circonstances. De plus, M. Guy Carcassonne a insistĂ© sur le fait que l’usage du principe de dignitĂ© de la personne humaine reviendrait Ă  adresser un formidable signal aux ligues de vertu, qui se mettraient Ă  exiger que la pornographie, la prostitution ou le piercing soient Ă©galement prohibĂ©s. » 347 Le lĂ©gislateur indiquerait aux citoyens, sous couvert de dignitĂ©, ce qu’ils doivent ou ne doivent pas faire » 348, laissant planer un climat d’ordre moral. Il ne saurait donc ĂȘtre question en l’état actuel de la jurisprudence tant du Conseil constitutionnel que de la Cour europĂ©enne des droits de l’homme de fonder une interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public sur la notion de dignitĂ© de la personne humaine. c L’ordre public, la piste la moins risquĂ©e Enfin, un troisiĂšme fondement juridique a Ă©tĂ© discutĂ© devant la mission, celui de l’ordre public. Le fait de dissimuler son visage dans l’espace public pourrait en effet ĂȘtre considĂ©rĂ© comme prĂ©sentant un risque de menace Ă  l’ordre public. Cette notion permet effectivement de limiter l’exercice de certaines libertĂ©s tant dans le domaine constitutionnel que dans celui de la CEDH — La seule rĂ©fĂ©rence Ă  l’ordre public dans notre bloc de constitutionnalitĂ© concerne prĂ©cisĂ©ment la libertĂ© d’opinion, mentionnĂ©e Ă  l’article 10 de la DĂ©claration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 selon lequel nul ne doit ĂȘtre inquiĂ©tĂ© pour ses opinions, mĂȘme religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public Ă©tabli par la Loi. » La valeur constitutionnelle de cette notion a Ă©tĂ© reconnue par le Conseil constitutionnel en 1981 349 ; — Le second alinĂ©a de l’article 9 de la CEDH mentionne Ă©galement les restrictions qui peuvent ĂȘtre apportĂ©es Ă  la libertĂ© de manifester sa religion ou ses convictions au nom de la protection de l’ordre public puisqu’elle prĂ©voit qu’elle ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prĂ©vues par la loi, constituent des mesures nĂ©cessaires, dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, Ă  la sĂ©curitĂ© publique, Ă  la protection de l'ordre, de la santĂ© ou de la morale publiques, ou Ă  la protection des droits et libertĂ©s d'autrui. ». La notion d’ordre public n’a pas Ă©tĂ© dĂ©finie par la jurisprudence constitutionnelle. On peut nĂ©anmoins se fonder sur la dĂ©finition qu’a adoptĂ©e le Conseil d’État de cette notion et qui englobe la sĂ©curitĂ©, la tranquillitĂ©, la salubritĂ© mais aussi la moralitĂ© publique » 350, ainsi que l’a soulignĂ© M. RĂ©my Schwartz. À vrai dire, le port du voile intĂ©gral dans l’espace public serait susceptible de porter atteinte Ă  l’ordre public selon trois modalitĂ©s diffĂ©rentes. On pourrait estimer que le voile intĂ©gral est un vĂȘtement qui autorise la dissimulation d’armes et facilite la perpĂ©tration d’attentats. Il constituerait alors une atteinte potentiellement directe Ă  l’ordre public. M. Denys de BĂ©chillon a pointĂ© cette possibilitĂ© on peut aussi vouloir se prĂ©munir contre le risque de dissimulation, sous un vĂȘtement trĂšs ample, d’armes ou d’explosifs. On me dit que dans certains pays, comme l’Inde ou le Pakistan, la burqa est regardĂ©e avec inquiĂ©tude sous ce rapport, parce qu’elle permet assez facilement de commettre des attentats suicides. » 351, a-t-il indiquĂ©. Cependant, une interdiction sur ce fondement serait trĂšs certainement jugĂ©e comme discriminatoire si elle ne visait que le voile intĂ©gral puisque d’autres vĂȘtements amples prĂ©sentent les mĂȘmes caractĂ©ristiques et comme disproportionnĂ©e si elle concernait tous les vĂȘtements qui peuvent ĂȘtre utilisĂ©s en vue de la perpĂ©tration d’un attentat. Si l’on veut se prĂ©munir contre tout risque de dissimulation d’une arme ou d’un explosif, il faut interdire le sac Ă  dos, la mallette, le boubou et mĂȘme la soutane
, qui posent exactement le mĂȘme problĂšme ! Je ne crois pas que vous souhaiterez en arriver lĂ  s’il n’existe pas de nĂ©cessitĂ© actuelle et avĂ©rĂ©e » 352, a expliquĂ© M. Denys de BĂ©chillon. Cette piste doit donc ĂȘtre abandonnĂ©e. La menace Ă  l’ordre public pourrait rĂ©sider dans le fait de dissimuler son visage, ce qui ne permettrait pas une identification immĂ©diate de la personne. C’est au nom de l’ordre public qu’en 2005, le Conseil d’État a jugĂ© lĂ©gal le refus de visa qui avait Ă©tĂ© opposĂ© Ă  une femme qui avait refusĂ©, avant d’entrer dans un consulat, d’îter un instant son foulard pour procĂ©der Ă  un contrĂŽle d’identitĂ© 353. La jurisprudence du Conseil d’État a Ă©galement admis la lĂ©galitĂ© de la circulaire imposant que les photographies d’identitĂ© soient faites tĂȘte nue 354. Dans une dĂ©cision du 11 janvier 2005, la Cour europĂ©enne des droits de l’homme a estimĂ© que l’obligation de retirer son turban imposĂ©e Ă  un sikh dans le cadre des contrĂŽles de sĂ»retĂ© applicables aux passagers dans les aĂ©roports, Ă©tait une mesure de sĂ©curitĂ© nĂ©cessaire qui entrait dans les buts lĂ©gitimes pouvant justifier une restriction Ă  la libertĂ© de religion garantie par l’article 9 de la Convention. Il n’est cependant pas certain qu’il existe un devoir d’ĂȘtre identifiable Ă  tout moment dans l’espace public. Ces dĂ©cisions obligent, en effet, les personnes qui portent un voile Ă  le retirer en des occasions prĂ©cises et non de maniĂšre permanente. La jurisprudence du Conseil constitutionnel relative aux contrĂŽles d’identitĂ©, qui ne doivent pas ĂȘtre gĂ©nĂ©ralisĂ©s » 355 pourrait Ă©galement ĂȘtre interprĂ©tĂ©e en ce sens. Telle a Ă©tĂ© la position soutenue par M. RĂ©my Schwartz au cours de son audition si l’ordre public nĂ©cessite de pouvoir reconnaĂźtre les identitĂ©s, ce contrĂŽle n’est pas permanent. On ne peut pas imposer aux citoyens d’ĂȘtre en Ă©tat de contrĂŽle permanent » 356, ainsi que par M. Denys de BĂ©chillon La jurisprudence actuelle du Conseil constitutionnel n’indique pas que les citoyens sont obligĂ©s de dĂ©voiler leur visage en permanence, d’ĂȘtre reconnaissables en tout lieu et en toutes circonstances, alors mĂȘme qu’aucun officier de police ne procĂšde Ă  un contrĂŽle d’identitĂ©. [
] En tout cas, de prime abord, la justification d’une prohibition de la burqa au motif que le visage doit ĂȘtre invariablement identifiable me paraĂźt franchement mal assurĂ©e. » 357 Enfin, la notion d’ordre public est susceptible d’une troisiĂšme acception, qui se rapprocherait des notions de bonnes mƓurs ou de code social telle qu’elle a Ă©tĂ© dĂ©crite par M. Guy Carcassonne devant la mission Pourquoi parler d’ordre public ? Les codes sociaux font qu’il y a des Ă©lĂ©ments de notre corps que l’on cache, d’autres que l’on montre. Peut-ĂȘtre dans mille ans exposera-t-on son sexe et dissimulera-t-on son visage, pour le moment, c’est l’inverse qui est unanimement admis. » 358 Cette conception peut s’appuyer sur l’article 222-32 du code pĂ©nal, qui dĂ©finit le dĂ©lit d’exhibition sexuelle en le reliant sur une notion encore plus large que celle d’espace public, Ă  savoir celle de lieu accessible aux regards du public. ». En effet, aux termes de cet article, l'exhibition sexuelle imposĂ©e Ă  la vue d'autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. » Une interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public fondĂ©e sur la notion d’ordre public entendue en ce sens pourrait ĂȘtre acceptĂ©e par le Conseil constitutionnel, sur le fondement de trois articles de la DĂ©claration des droits de l’homme et du citoyen — L’article 4 indique que la libertĂ© consiste Ă  pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas Ă  autrui ». Or, on peut dĂ©fendre l’idĂ©e que dissimuler son visage nuit Ă  autrui ; — L’article 5 pourrait aussi servir de fondement Ă  cette interdiction dans la mesure oĂč il prĂ©voit que la Loi n’a le droit de dĂ©fendre que les actions nuisibles Ă  la SociĂ©tĂ© ». Ainsi que l’a expliquĂ© M. Guy Carcassonne, nous sommes en droit de considĂ©rer que la prĂ©sence en son sein de personnes refusant toute communication constitue une menace qu’elle doit traiter avec le plus grand sĂ©rieux, Ă  un moment oĂč le phĂ©nomĂšne demeure marginal. » 359 ; — L’article 10, prĂ©cĂ©demment Ă©voquĂ©, qui lie fermement expression des opinions, y compris religieuses, et ordre public Ă©tabli par la loi Nul ne doit ĂȘtre inquiĂ©tĂ© pour ses opinions, mĂȘme religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public Ă©tabli par la Loi. » En ce qui concerne la conventionalitĂ© d’une telle disposition au regard de la jurisprudence de la Cour europĂ©enne des droits de l’homme, M. Guy Carcassonne a Ă©tĂ© catĂ©gorique une loi fondĂ©e sur l’ordre public n’exposerait pas la France Ă  une condamnation par la Cour europĂ©enne des droits de l’homme il ferait beau voir que la Cour de Luxembourg expliquĂąt Ă  la France que le fait de cacher son visage aux autres est un droit inaliĂ©nable et sacrĂ© ! » 360 Cette analyse mĂ©rite cependant discussion, dans la mesure oĂč le fait de porter le voile intĂ©gral fait partie intĂ©grante de la libertĂ© de manifester sa religion, au sens de l’article 9 de la Convention. La Cour europĂ©enne des droits de l’homme ne chercherait donc pas Ă  montrer qu’il existe un droit Ă  revĂȘtir le voile intĂ©gral mais examinerait si son interdiction dans l’espace public est prĂ©vue par la loi, constitue une mesure nĂ©cessaire dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique » et a pour but la sĂ©curitĂ© publique, la protection de l’ordre, de la santĂ© ou de la morale publiques, ou la protection des droits et libertĂ©s d’autrui, selon le raisonnement qu’elle a suivi dans l’arrĂȘt prĂ©citĂ© Leyla ƞahin c. Turquie 361. Or, la jurisprudence de la Cour europĂ©enne des droits de l’homme laisse ces questions ouvertes. Ainsi, la piste de l’ordre public semble ĂȘtre la moins risquĂ©e, ce qui ne signifie pas qu’elle puisse forcĂ©ment aboutir tant au regard du contrĂŽle de constitutionalitĂ© que du contrĂŽle de conventionalitĂ©. Ces deux instances regarderaient-elles cette restriction comme justifiĂ©e et proportionnĂ©e ? Les juristes en dĂ©battent et ne nous apportent pas, aujourd’hui, de rĂ©ponse suffisamment affirmative » 362, a constatĂ© M. Brice Hortefeux. Alors que pour M. Guy Carcassonne, ces deux obstacles Ă©taient franchissables, M. Denys de BĂ©chillon a estimĂ© qu’ en l’état actuel du droit positif, la prohibition gĂ©nĂ©rale du port de la burqa serait extrĂȘmement fragile, et de nature Ă  poser plus de problĂšmes qu’elle ne saurait en rĂ©soudre. » 363 En tout Ă©tat de cause, la sagesse voudrait que si une proposition de loi interdisant de dissimuler son visage dans l’espace public Ă©tait dĂ©posĂ©e, elle soit transmise au Conseil d’État pour avis, ainsi que le peut le PrĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale en vertu de l’article 39 de la Constitution. 3. Pourrait-on sanctionner la violation de cette interdiction ? La question de l’interdiction du voile intĂ©gral dans l’espace public ne saurait ĂȘtre dissociĂ©e de celle de la sanction Ă  prĂ©voir en cas de violation de cette interdiction. Quel intĂ©rĂȘt y aurait-il Ă  brandir de grands principes si ceux-ci devaient rester lettre morte ? Si une nouvelle norme est Ă©dictĂ©e, son application sera immĂ©diatement mise Ă  l’épreuve par celles et ceux qui prĂȘchent le communautarisme radical. La loi, pour avoir un sens, doit ĂȘtre effective. Rien ne serait pire qu’une loi inappliquĂ©e une loi inappliquĂ©e, c’est une loi dĂ©fiĂ©e. », 364 a estimĂ© M. Brice Hortefeux. À ce titre, quatre questions doivent ĂȘtre rĂ©solues sur qui faire porter les sanctions, quelles exceptions prĂ©voir, quelle peine infliger et comment faire concrĂštement respecter l’interdiction ? a Sur qui les sanctions devraient-elles porter ? Dans la mesure oĂč il existe une incertitude quant au fait que le port du voile intĂ©gral soit rĂ©ellement l’expression de la libertĂ© de la personne qui le revĂȘt, se pose la question de la personne Ă  sanctionner. Il serait, en effet, souhaitable que les femmes qui portent le voile intĂ©gral sous la contrainte et qui sont donc des victimes ne soient pas sanctionnĂ©es pour ces faits. Dans cette perspective, certaines personnes auditionnĂ©es par la mission ont Ă©voquĂ© la possibilitĂ© de faire porter la sanction sur l’entourage de la femme portant le voile intĂ©gral, afin que celle-ci soit rĂ©ellement efficace. Selon Mme CĂ©cile Petit, premier avocat gĂ©nĂ©ral prĂšs la Cour de cassation, la sanction pourrait ĂȘtre dirigĂ©e contre les personnes incitant au port du voile intĂ©gral cette nouvelle infraction cible la seule porteuse du voile intĂ©gral qui n’est, en rĂ©alitĂ©, que la victime instrumentalisĂ©e d’un prosĂ©lytisme fondamentaliste ; elle ne stigmatise que le symptĂŽme et elle laisse Ă  l’abri des poursuites les vĂ©ritables auteurs restĂ©s dans l’ombre. Or, les criminalistes le savent, la peine doit avoir une fonction utilitaire et doit Ă©viter la contagion du mal. » 365 Pour M. Brice Hortefeux, il faut Ă©galement envisager de sanctionner l’époux qui contraint sa femme Ă  porter le voile intĂ©gral, au motif que l’on ne peut imaginer sanctionner indiffĂ©remment un acte rĂ©sultant de l’expression d’une volontĂ© propre et un fait commis sous la contrainte [
] » 366. Il va de soi que si l’incitation au port du voile intĂ©gral ou la contrainte Ă©tait prouvĂ©e, il serait nĂ©cessaire d’en punir les auteurs, ainsi que l’a prĂ©conisĂ© la mission. NĂ©anmoins, peut-on faire de cette sanction le cas gĂ©nĂ©ral ? L’article 121-1 du code pĂ©nal s’y oppose dans la mesure oĂč nul n’est responsable pĂ©nalement que de son propre fait. » La question se pose nĂ©anmoins de savoir si l’interdiction de dissimuler son visage sur la voie publique ne sanctionnerait pas des femmes qui le portent sous la contrainte. L’argument sur lequel ce raisonnement prend appui rĂ©side dans la notion d’élĂ©ment intentionnel de l’infraction. On ne saurait en effet punir une personne qui, ayant agi sous la contrainte, n’a pas eu l’intention de commettre l’infraction. Cette objection, qui rendrait difficile la crĂ©ation d’une infraction de dissimulation de son visage dans l’espace public, n’est cependant pas recevable, dans la mesure oĂč l’article 122-2 du code pĂ©nal prĂ©voit que la contrainte constitue une cause d’irresponsabilitĂ© N’est pas pĂ©nalement responsable la personne qui a agi sous l’empire d’une force ou d’une contrainte Ă  laquelle elle n’a pu rĂ©sister. » On ne saurait nĂ©anmoins faire de cette rĂšgle un cas gĂ©nĂ©ral, puisque, comme l’a indiquĂ© M. Denys de BĂ©chillon, la libertĂ© est une fiction. Mais c’est une fiction que les dĂ©mocraties s’honorent de ne renverser que si elles ont de trĂšs bonnes raisons de le faire, et de ne renverser qu’en usant des procĂ©dures extrĂȘmement contraignantes, afin de doter la personne intĂ©ressĂ©e des meilleures garanties de protection, comme dans la mise sous tutelle ou dans l’hospitalisation d’office par exemple. Hors de ces champs Ă©troits, la fiction fonctionne et doit fonctionner toujours. » 367 Si une telle infraction Ă©tait créée, sa sanction ne pourrait donc porter que sur la personne qui la commet, c'est-Ă -dire qui dissimule son visage. b Quelles exceptions prĂ©voir ? Si une proposition de loi interdisant de dissimuler son visage dans l’espace public devait ĂȘtre adoptĂ©e, se poserait inĂ©vitablement la question des exceptions Ă  cette rĂšgle. Il existe, en effet, des raisons lĂ©gitimes de se couvrir le visage dans l’espace public, qui tomberaient Ă©galement sous le coup de l’interdiction sauf Ă  ce que cette derniĂšre soit discriminatoire. Ont, par exemple, Ă©tĂ© Ă©voquĂ©s les gens qui portent un casque de moto dĂšs qu’ils mettent un pied Ă  terre » 368 ou qui ont une barbe touffue, un bonnet et une paire de lunettes » 369, le skieur qui aurait chaussĂ© un masque anti-brouillard ou un gendarme cagoulĂ© du GIGN » 370 ou encore le pĂšre NoĂ«l » 371 ! Les propositions de loi dĂ©jĂ  dĂ©posĂ©es mentionnent Ă©galement des exceptions s’appliquant aux services publics en mission spĂ©ciale, ni aux activitĂ©s culturelles telles que le carnaval ou le tournage d’un film. » 372 Il serait illusoire de tenter de dresser une liste d’exceptions, tellement celle-ci serait susceptible de comprendre des circonstances diverses. On peut, en effet, Ă©galement penser Ă  la pratique de certains sports, qui nĂ©cessitent de revĂȘtir un casque ou au fait de porter certains habits dissimulant le visage, tels que la cagoule. Le renvoi Ă  un dĂ©cret pour l’établissement de cette liste ne serait pas d’un plus grand secours. DĂšs lors, il semble prĂ©fĂ©rable de privilĂ©gier une notion gĂ©nĂ©rique dont les contours seraient progressivement prĂ©cisĂ©s par la jurisprudence. Exemple pourrait ĂȘtre pris Ă  cette fin sur l’article R. 645-14 du code pĂ©nal créé par le dĂ©cret n° 2009-724 du 19 juin 2009 relatif Ă  l'incrimination de dissimulation illicite du visage Ă  l'occasion de manifestations sur la voie publique. Ce dernier prohibe la dissimulation du visage dans certaines conditions mais une exception a Ă©tĂ© prĂ©vue puisque ces dispositions ne sont pas applicables aux manifestations conformes aux usages locaux ou lorsque la dissimulation du visage est justifiĂ©e par un motif lĂ©gitime. » La notion de motifs lĂ©gitimes » devrait permettre au juge d’appliquer une Ă©ventuelle interdiction avec discernement. c Quelle devrait ĂȘtre la sanction ? Ainsi que la mission l’a mentionnĂ© prĂ©cĂ©demment 373, au regard du principe de proportionnalitĂ©, il ne saurait ĂȘtre question de faire du fait de dissimuler son visage dans l’espace public un dĂ©lit ou un crime. Les propositions de loi dĂ©posĂ©es jusqu’à prĂ©sent proposent de punir cette nouvelle infraction d’une peine de 15 000 euros d’amende et de deux mois d’emprisonnement 374, solution qui doit donc ĂȘtre Ă©cartĂ©e. Seule la voie de la contravention demeure donc ouverte impliquant. la condamnation Ă  payer une somme d’argent, qui serait obligatoirement infĂ©rieure Ă  1 500 euros et 3 000 euros en cas de rĂ©cidive, en vertu de l’article 131-13 du code pĂ©nal. Telle est d’ailleurs la voie proposĂ©e par la proposition de loi que le groupe UMP a fait parvenir Ă  la mission. À titre d’exemple, le montant des amendes infligĂ©es en Belgique est bien moindre puisqu’ils sont compris entre 50 et 150 euros. Il n’est pas assurĂ© que ces condamnations pĂ©cuniaires soient la seule rĂ©ponse Ă  apporter Ă  ce phĂ©nomĂšne. Ainsi que l’a proposĂ© Mme GisĂšle Halimi, il serait possible de sanctionner le port du voile intĂ©gral non pas par des peines d’amendes ou d’emprisonnement mais par des travaux d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral d’un nouveau genre. Les femmes qui portent le voile intĂ©gral seraient contraintes de suivre un enseignement sur les libertĂ©s, sur l’histoire de la RĂ©publique, sur l’histoire du fĂ©minisme, sur les religions [
]. Notre capacitĂ© Ă  lutter contre l’obscurantisme fait le gĂ©nie de notre nation. Il nous faut Ă©clairer ces femmes, les armer contre ceux qui tentent de les enfermer dans une foi aveugle et imbĂ©cile, les Ă©manciper par la rĂ©flexion. » 375 Or, cette possibilitĂ© est d’ores et dĂ©jĂ  ouverte par le code pĂ©nal dans le cadre des peines complĂ©mentaires aux peines contraventionnelles. ConformĂ©ment au 8° de l’article 131-16 du code pĂ©nal, le rĂšglement qui rĂ©prime une contravention peut prĂ©voir l’obligation d’accomplir, le cas Ă©chĂ©ant Ă  ses frais, un stage de citoyennetĂ© ». Leur contenu, dĂ©crit aux articles R. 131-35 et suivants du code pĂ©nal semble correspondre Ă  l’objectif recherchĂ© en l’espĂšce dans la mesure oĂč il a pour objet de rappeler au condamnĂ© les valeurs rĂ©publicaines de tolĂ©rance et de respect de la dignitĂ© de la personne humaine et de lui faire prendre conscience de sa responsabilitĂ© pĂ©nale et civile ainsi que des devoirs qu'implique la vie en sociĂ©tĂ©. Il vise Ă©galement Ă  favoriser son insertion sociale. » d La sanction pourrait-elle ĂȘtre appliquĂ©e ? Il faut pouvoir dire Soit on respecte la loi, soit on est sanctionnĂ© » ; or, nous ne sommes pas en Ă©tat de le faire » 376, a jugĂ© M. Jean-Yves Le Bouillonnec, dĂ©putĂ©-maire de Cachan. Ses doutes quant Ă  l’applicabilitĂ© d’une loi d’interdiction du voile intĂ©gral dans l’espace public ont Ă©tĂ© partagĂ©s par M. Jean-Michel Ducomte, prĂ©sident de la Ligue de l’enseignement une loi pourrait-elle ĂȘtre appliquĂ©e ? Et qui serait chargĂ© de veiller Ă  son application ? Je n’ose imaginer que l’on procĂ©derait Ă  des dĂ©voilements de force sur la voie publique ou dans des lieux dĂ©terminĂ©s. » 377, ainsi que par M. Jean-Pierre Dubois, prĂ©sident de la Ligue des droits de l’Homme Que fait-on d’une femme qui y contreviendrait ? Va-t-on l’amener au commissariat de police ? Va-t-on crĂ©er Ă  cĂŽtĂ© des cellules de dĂ©grisement des cellules de dĂ©voilement ? Va-t-on lui enlever son voile sur la voie publique ? Il n’en est pas question ! » 378 Le dĂ©placement de la mission Ă  Bruxelles lui a permis de demander aux bourgmestres qui ont instaurĂ© des interdictions sur le territoire de leur commune d’en prĂ©ciser les modalitĂ©s d’application concrĂšte. M. Philippe Moureaux, bourgmestre de Molenbeek, a indiquĂ© avoir donnĂ© des instructions Ă  ses forces de police afin de procĂ©der au constat de l’infraction avec tact. Il a notamment Ă©tĂ© recommandĂ© de se mettre Ă  l’écart pour dresser les procĂšs-verbaux afin d’éviter toute provocation et de tenter de les faire dresser par des femmes plutĂŽt que par des hommes. Un seul cas de provocation a pu ĂȘtre notĂ© une femme en voile intĂ©gral a souhaitĂ© rencontrer le bourgmestre. Elle a demandĂ© Ă  voir tous les textes qui prohibaient le port du voile intĂ©gral a reçu une amende et n’est jamais revenue. M. Yvan Yllief, bourgmestre de Dison, a prĂ©conisĂ© Ă  ses services de police de suivre la procĂ©dure suivante interpellation, reconduite au domicile et dĂ©livrance d’une amende de 30 euros maximum. Ni l’un ni l’autre n’ont fait Ă©tat d’incidents survenus lors de l’établissement des procĂšs-verbaux. Si une disposition interdisant de dissimuler son visage dans l’espace public Ă©tait adoptĂ©e, comment pourrait-elle ĂȘtre appliquĂ©e avec les instruments juridiques existants en France ? L’article 78-2 du code de procĂ©dure pĂ©nale autorise le contrĂŽle de l’identitĂ© de toute personne Ă  l’égard de laquelle existent une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’ elle a commis ou tentĂ© de commettre une infraction ». Toute personne portant le voile intĂ©gral Ă©tant en situation d’infraction, il deviendrait alors possible d’en contrĂŽler l’identitĂ©, ce qui obligerait les femmes intĂ©gralement voilĂ©es Ă  montrer leur visage. En cas de refus de justifier de son identitĂ©, la personne peut, en cas de nĂ©cessitĂ©, ĂȘtre retenue sur place ou dans un local de police oĂč il est conduit aux fins de vĂ©rification de son identitĂ©. Cette rĂ©tention ne peut excĂ©der quatre heures, conformĂ©ment Ă  l’article 78-3 du code de procĂ©dure pĂ©nale. Si le refus est persistant, le procureur de la RĂ©publique peut ordonner la prise d’empreintes et de photographies. Si la personne refuse Ă  nouveau de se plier Ă  cette procĂ©dure, elle se rend coupable du dĂ©lit mentionnĂ© Ă  l’article 78-5 du code pĂ©nal , puni de 3 750 euros d’amende et de trois mois de prison et justifiant un placement en garde Ă  vue. Cette procĂ©dure de droit commun aboutit donc Ă  terme Ă  ce que la personne cesse de dissimuler son visage mais au prix de l’exercice possible d’une mesure de contrainte. CONCLUSION LA CONTRIBUTION DE LA MISSION À UN LARGE ACCORD POLITIQUE Comme elle s’y Ă©tait engagĂ©e, la mission s’est efforcĂ©e de prĂ©senter un large ensemble de prĂ©conisations afin de saisir la pratique du port du voile intĂ©gral dans toute sa complexitĂ©. Elle a souhaitĂ© mettre en avant les solutions qui unissent sans passer sous silence celles qui, aujourd’hui encore, ne recueillent pas un large accord. La quasi-totalitĂ© des propositions formulĂ©es par la mission peuvent recueillir un consensus. Elles sont fondĂ©es sur la conviction qu’il est nĂ©cessaire de convaincre, d’éduquer, de protĂ©ger, qu’il importe de conforter les agents publics, dans un seul but faire disparaĂźtre cette pratique contraire Ă  nos valeurs rĂ©publicaines. Ces propositions devraient rassembler toutes les formations politiques autour de ces dĂ©clinaisons pratiques que sont — Le vote d’une rĂ©solution rĂ©affirmant les valeurs rĂ©publicaines et condamnant comme contraire Ă  ces valeurs la pratique du port du voile intĂ©gral ; — L’engagement d’une rĂ©flexion d’ensemble sur les phĂ©nomĂšnes d’amalgames, de discriminations et de rejet de l’autre en raison de ses origines ou de sa confession et sur les conditions d’une juste reprĂ©sentation de la diversitĂ© spirituelle ; — Le renforcement des actions de sensibilisation et d’éducation au respect mutuel et Ă  la mixitĂ© et la gĂ©nĂ©ralisation des dispositifs de mĂ©diation ; — Le vote d’une loi qui assurerait la protection des femmes victimes de contrainte, qui conforterait les agents publics confrontĂ©s Ă  ce phĂ©nomĂšne et qui ferait reculer cette pratique. Ces quatre orientations font l’objet d’un accord rĂ©publicain qui dĂ©passe les clivages habituels. C’est ce qu’il ressort des contributions adressĂ©es Ă  la mission par les partis politiques reprĂ©sentĂ©s au Parlement. Les membres de la mission sont heureux que leur travail ait pu permettre de crĂ©er les conditions d’un vaste accord sur le constat. En revanche, Ă  ce stade du dĂ©bat dans notre pays, la mission ne peut que constater que, tant en son sein que parmi les formations politiques reprĂ©sentĂ©es au Parlement, il n’existe pas – en tout cas pour l’heure – d’unanimitĂ© pour l’adoption d’une loi d’interdiction gĂ©nĂ©rale et absolue du voile intĂ©gral dans l’espace public. Une grande partie des membres de la mission est favorable Ă  une loi d’interdiction du voile intĂ©gral, comme de tout vĂȘtement masquant entiĂšrement le visage, dans l’espace public, sur le fondement de la notion d’ordre public. C’est le sens des contributions individuelles des membres, qui figurent en annexe du prĂ©sent rapport. La mission a entendu mener sa rĂ©flexion le plus sereinement possible. Son premier objectif Ă©tait d’établir un Ă©tat des lieux de ce phĂ©nomĂšne, d’en comprendre les origines, les manifestations et les consĂ©quences. C’est chose faite. GrĂące Ă  ce travail, nos concitoyens ont dĂ©sormais tous les Ă©lĂ©ments en main pour se faire une opinion sur cette pratique. Au fil des auditions, il est apparu aux membres de la mission que le port du voile intĂ©gral lançait un dĂ©fi Ă  notre RĂ©publique. C’est inacceptable ; il faut condamner cette dĂ©rive. Ce fut la deuxiĂšme prĂ©occupation de la mission. Il s’agissait enfin de proposer un ensemble de prĂ©conisations pour lutter contre ce phĂ©nomĂšne. L’ambition de la mission n’a jamais Ă©tĂ© de considĂ©rer qu’avec ses prĂ©conisations, le dĂ©bat s’arrĂȘterait lĂ . Cela aurait Ă©tĂ© faire preuve d’une grande prĂ©somption et de bien peu de rĂ©alisme. Le dĂ©bat est dĂ©sormais ouvert. À chacun de s’en emparer, aux formations politiques de trouver une voie de passage qui permette au pays de faire front face Ă  ce dĂ©fi. Si un consensus est une vue bien trop idĂ©ale, un large accord rĂ©publicain est Ă  portĂ©e de main. EXAMEN DU RAPPORT Au cours de sa rĂ©union du 26 janvier 2010, la mission a examinĂ© le prĂ©sent rapport. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident a fait savoir que M. Jean Glavany lui avait fait parvenir la dĂ©claration suivante au nom du groupe SRC Nous avons participĂ© loyalement et dans un esprit constructif aux travaux de la mission. Nous remercions le prĂ©sident, le rapporteur et les fonctionnaires qui nous ont accompagnĂ©s pour la qualitĂ© de nos travaux Nous partageons le constat qui est fait dans le rapport quant Ă  des pratiques extrĂ©mistes et minoritaires qui sont incompatibles avec la RĂ©publique et ses valeurs Mais, comme nous avons eu l’occasion de le dire Ă  plusieurs reprises, le dĂ©bat a Ă©tĂ© doublement polluĂ© — D’abord par le dĂ©bat sur l’identitĂ© nationale liant celle-ci Ă  l’immigration, aux minarets et Ă  la burqa d’une façon inacceptable et choquante. — Ensuite par l’oukaze de Monsieur CopĂ© qui est inacceptable tant sur le fond que sur la forme Dans ces conditions, le groupe Socialiste a dĂ©cidĂ© de ne pas prendre part au vote sur le rapport et, donc aux travaux sur le contenu des conclusions de ce rapport. Nous sommes disponibles pour un consensus rĂ©publicain sur ce sujet comme sur d’autres, mais pas tant que le dĂ©bat sur l’identitĂ© nationale n’aura pas pris fin. » * * * M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Nous nous retrouvons pour clore nos travaux, commencĂ©s le 8 juillet 2009. Les trois rĂ©unions que nous avons tenues la semaine derniĂšre nous ont permis, me semble-t-il, de trouver un point d’équilibre chacun aura pu faire valoir son point de vue, et la mission n’insulte pas l’avenir. Nous avons reçu les contributions individuelles de MM. Christian Bataille, Jean-Paul Garraud, Lionnel Luca, Georges Mothron, Jacques Myard, de Mme BĂ©rengĂšre Poletti et de M. Jacques Remiller ; celle que M. Christophe Guilloteau nous a adressĂ©e hier aprĂšs-midi sera intĂ©grĂ©e au rapport. Nous avons Ă©galement reçu des contributions de la plupart des partis politiques, ce qui est un apport important au dĂ©bat. Constatant que, contrairement Ă  ce qui avait Ă©tĂ© annoncĂ©, le groupe UMP n’a pas dĂ©posĂ© de proposition de loi mais qu’il en a envoyĂ© le texte Ă  la mission d’information, nous l’avons intĂ©grĂ©e au rapport en la considĂ©rant comme la contribution de ce groupe politique. M. Éric Raoult, rapporteur. C’est Ă  votre insistance, Monsieur le prĂ©sident, car il y a lĂ  une sorte d’entorse au rĂšglement. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Votre remarque, Monsieur le rapporteur, me permet de dire clairement que j’ai choisi cette solution pour que notre mission ait le dernier mot. Nos collĂšgues socialistes, vous le savez, ont dĂ©cidĂ© de ne pas participer au vote sur le rapport. Je le regrette, d’autant que l’assiduitĂ© des reprĂ©sentants de tous les groupes a caractĂ©risĂ© nos travaux. La mission qui nous avait Ă©tĂ© assignĂ©e a Ă©tĂ© remplie, je tiens Ă  le souligner, par tous les groupes politiques reprĂ©sentĂ©s Ă  l’AssemblĂ©e nationale. Le rapport que nous remettrons tout Ă  l’heure au PrĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale a une importance politique exceptionnelle. Par le diagnostic qu’il porte, par le sĂ©rieux avec lequel la mission a conduit ses travaux, par la fidĂ©litĂ© du rapport aux points de vue qui ont Ă©tĂ© exprimĂ©s devant elle au cours des auditions, la portĂ©e de ce texte dĂ©passe nos frontiĂšres. En remettant aujourd’hui ce rapport, en donnant Ă  connaĂźtre les propositions qu’il contient, j’ai le sentiment du devoir accompli mĂȘme si, bien sĂ»r, le chantier est inachevĂ©. Un autre commence, celui du dĂ©bat national, et le rapport sur lequel nous allons nous prononcer constituera une excellente base de discussion. Vous l’aurez constatĂ©, j’ai toujours veillĂ©, quelles que soient les turbulences, Ă  ce que les discussions de la mission ne sortent pas du cadre qui lui avait Ă©tĂ© fixĂ©. À dater d’aujourd’hui, le dossier sera entre les mains du Gouvernement, de l’AssemblĂ©e nationale et des partis politiques et c’est bien ainsi. Mais, je l’ai dit, le dĂ©bat ne fait que commencer et nous tous qui avons participĂ© Ă  la mission d’information veillerons Ă  l’application des propositions contenues dans le rapport de M. Éric Raoult. On ne peut laisser se rĂ©pĂ©ter le sort fait en son temps au rapport Stasi, dont une seule proposition, sur les vingt qu’il contenait, a Ă©tĂ© suivie d’effet. Mes remerciements vont Ă  notre rapporteur et aux membres de la mission pour leur engagement exemplaire, au-delĂ  des diffĂ©rences de point de vue, dans un contexte politique assez compliquĂ©. M. Éric Raoult, rapporteur. Les 644 pages du rapport disent l’exhaustivitĂ© des travaux de notre mission – une mission d’information, je le souligne une derniĂšre fois nous cherchions Ă  comprendre et nous relatons ce que nous avons entendu, mais nous n’avions pas Ă  dĂ©cider. Pour ĂȘtre complets, nous avons mĂȘme inclus dans le rapport le texte de la proposition de loi du groupe UMP, non dĂ©posĂ©e Ă  ce jour sur le Bureau de notre assemblĂ©e. Au cours des six mois Ă©coulĂ©s, nous sommes allĂ©s au fond des choses. Je rappelle que, dĂšs l’origine, nos travaux Ă©taient prĂ©vus pour durer un semestre ; aussi, contrairement Ă  ce qu’un prĂ©sident de groupe a prĂ©tendu, il n’a jamais Ă©tĂ© question que nous rendions notre rapport en septembre. La mission d’information est une mission pluraliste. MĂȘme ceux de ses membres qui ont choisi de ne pas ĂȘtre lĂ  aujourd’hui n’ont pas refusĂ© de participer Ă  nos travaux ; ils ont assistĂ© aux auditions et contribuĂ© aux dĂ©bats. La rĂšgle, fixĂ©e dĂšs l’origine, Ă©tait que la composition de la mission serait pluraliste, et que nous remettrions un rapport reflĂ©tant ce pluralisme. Comme nul ne l’ignore, les turbulences ont Ă©tĂ© multiples. Il nous revient maintenant de remettre la synthĂšse de nos travaux au PrĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale. C’est Ă  lui que nous faisons rapport. On verra ensuite si une proposition de loi pluraliste voit le jour. Hier soir encore, j’ai rencontrĂ© des habitants de Clichy-sous-Bois et de Montfermeil, directement concernĂ©s par la question du port du voile intĂ©gral, et j’ai ressenti l’absolue nĂ©cessitĂ© d’actions pĂ©dagogiques de grande ampleur. Il faut expliquer et expliquer encore que si une loi d’interdiction est votĂ©e, ce n’est pas contre les femmes qui portent le voile intĂ©gral mais pour elles. Les explications sont indispensables, comme elles le sont Ă  chaque fois qu’on lĂ©gifĂšre, que le sujet intĂ©resse les mĂ©decins, les agriculteurs ou d’autres. Nous avons, ensemble, bien travaillĂ©. Nos divers dĂ©placements nous ont permis d’apprĂ©cier la situation sur le terrain et les quelque 200 auditions auxquelles nous avons procĂ©dĂ© nous ont permis de comprendre que derriĂšre la question du port du voile intĂ©gral se profilent d’autres enjeux. Pour certaines femmes, le port du voile intĂ©gral traduit un mal-ĂȘtre ; d’autres cherchent Ă  provoquer et Ă  tester la RĂ©publique. Il faut ĂȘtre attentif Ă  ces questions. Les risques qu’il y aurait Ă  lĂ©gifĂ©rer ont Ă©tĂ© Ă©voquĂ©s au cours des auditions et je n’y reviendrai pas. Mais, au-delĂ  des risques, il y a la crainte de ce qui se joue, et cette crainte ne peut qu’ĂȘtre exacerbĂ©e, par exemple, par une visite Ă  Finsbury Park, quartier de Londres oĂč se trouve une mosquĂ©e assidĂ»ment frĂ©quentĂ©e par les intĂ©gristes, base de recrutement de plusieurs jeunes gens impliquĂ©s dans diffĂ©rents attentats. Je m’y suis rendu en allant dans une commune jumelĂ©e avec Le Raincy ; en une demi-heure, j’ai vu au moins 2 000 femmes entiĂšrement voilĂ©es. Certes, la question est apprĂ©hendĂ©e de maniĂšre diffĂ©rente au Royaume-Uni, mais il ne fait aucun doute que les conclusions de notre mission seront analysĂ©es attentivement hors de nos frontiĂšres. Il serait d’ailleurs bon de prĂ©voir la traduction du rapport en plusieurs langues. Je tiens Ă  remercier notre prĂ©sident, AndrĂ© Gerin, et tous les membres de la mission d’information qui ont fait Ă©quipe avec une grande bonne volontĂ©. Mme Françoise Hostalier. Je tiens Ă  fĂ©liciter le prĂ©sident et le rapporteur qui ont rĂ©digĂ© cet imposant rapport. MĂȘme si chacun peut ne pas ĂȘtre complĂštement d’accord avec toutes les propositions qu’il contient – comme c’est mon cas –, nul ne peut nier l’objectivitĂ© du texte. Il est dommage que tous les parlementaires qui ont participĂ© aux travaux de la mission ne soient pas prĂ©sents aujourd’hui. Je le regrette, car nos conclusions sont trĂšs attendues, en France, en Europe et au-delĂ  et non pas seulement dans quelques quartiers dont les habitants Ă©prouvent des difficultĂ©s Ă  se situer face Ă  ce phĂ©nomĂšne. Nous n’avons donc pas le droit de nous montrer hĂ©sitants. Le rapport que nous remettrons tout Ă  l’heure au PrĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale a le mĂ©rite d’exister. C’est un Ă©lĂ©ment d’un dĂ©bat beaucoup plus large et les propositions qu’il contient ouvrent de nombreuses portes. J’espĂšre donc que, si l’on peut discuter la forme ou la teneur prĂ©cise de la proposition de loi, le consensus se fera au moins sur le fond. Le Parlement doit s’emparer de cette question et associer Ă  la rĂ©flexion l’opinion publique en faisant, en effet, un effort de pĂ©dagogie. J’espĂšre donc que notre rapport bĂ©nĂ©ficiera du plus grand consensus possible. M. Jacques Myard. Le rapport a le mĂ©rite d’exister, c’est vrai ; il constitue une base de dĂ©bat, et il s’efforce de traduire la diversitĂ© des opinions qui se sont exprimĂ©es devant la mission. J’en donne acte au prĂ©sident et au rapporteur, mais je constate que, pendant tout le week-end, les mĂ©dias n’ont cessĂ© de parler de l’interdiction du voile dans les services publics comme si nous l’avions proposĂ©e. Or, ce n’est pas ce qui figure dans la version du rapport que nous avons sous les yeux et ce n’est pas Ă  quoi la mission s’est arrĂȘtĂ©e. Je soumettrai donc quelques amendements qui modifieront Ă  la marge les propositions contenues dans le rapport, ce qui me permettra de le voter. Qu’attend-on de nous dans les quartiers ? Hier, j’ai rencontrĂ© de jeunes musulmans favorables Ă  l’interdiction du voile intĂ©gral ! D’autre part, en Grande-Bretagne, la rĂ©flexion s’est engagĂ©e sur l’éventuelle interdiction du voile intĂ©gral car on se rend compte qu’on a commis une faute en permettant qu’il soit portĂ©. La proposition n° 7 me chagrine pourquoi devrait-on crĂ©er une Ă©cole nationale d’études sur l’islam » ? Si Ă©cole nationale il doit y avoir, qu’elle traite de toutes les religions. De mĂȘme, pourquoi, par la proposition n° 8, suggĂ©rer un travail parlementaire sur l’islamophobie » ? Il n’y a pas davantage lieu de diffĂ©rencier l’islam des autres religions, et le seul rĂŽle du Parlement en cette matiĂšre est de poursuivre sa lutte contre toutes les discriminations. Enfin, la proposition n° 18 tend Ă  recueillir l’avis du Conseil d’État en amont de l’éventuel examen d’une proposition de loi interdisant de dissimuler son visage dans l’espace public ». Ce texte existe et je demanderai donc que l’on supprime le mot Ă©ventuel », ce qui permettra de mettre sur le mĂȘme pied la proposition d’interdiction dans l’espace public et celle qui se limite aux services publics. Mme BĂ©rengĂšre Poletti. Le travail que nous avons conduit Ă©tait difficile comme le montre la pression mĂ©diatique qui n’a cessĂ© de monter au cours du week-end. Notre mission visait, c’est exact, Ă  collecter les informations nĂ©cessaires pour Ă©clairer l’AssemblĂ©e. Il est cependant de tradition que les missions d’information formulent des propositions ; il est donc normal que l’on parle de celles que nous avançons. Sur le fond, je considĂšre, comme notre collĂšgue Jacques Myard, qu’il ne serait pas de bonne pratique de cibler certaines propositions sur l’islam aprĂšs avoir soulignĂ© pendant toute la durĂ©e de nos travaux que le port du voile intĂ©gral est un problĂšme politique plus que religieux et qu’à supposer qu’il ait un fondement religieux, il trouverait ses racines dans le salafisme, version extrĂ©miste de l’islam. Il y aurait quelque chose d’humiliant Ă  proposer des mesures tendant Ă  l’intĂ©gration spĂ©cifique des musulmans ; ce ne sont pas eux qui posent problĂšme et nous sommes lĂ  pour les protĂ©ger, non pour les humilier. Il convient donc, en effet, d’évoquer les religions dans leur ensemble, ou aucune. Par ailleurs, je suis favorable Ă  l’hypothĂšse d’une proposition de loi – et non Ă  son examen Ă©ventuel ». M. Lionnel Luca. Les constats Ă©tablis dans le rapport sont accablants nĂ©gation de la libertĂ© ; rejet du principe d’égalitĂ© ; refus de la fraternitĂ©. Autrement dit, ce sont les fondements de la RĂ©publique qui sont en jeu ! VoilĂ  pourquoi je ne puis me satisfaire de la rĂ©daction insipide et Ă©dulcorĂ©e de la proposition n° 18 elle donne le sentiment que la mission recule sur l’idĂ©e d’une proposition de loi interdisant le port du voile intĂ©gral dans l’espace public. Il convient de la réécrire ainsi qu’il suit Examiner une proposition de loi interdisant de dissimuler son visage dans l’espace public, aprĂšs avoir recueilli l’avis du Conseil d’État ». Je considĂšre Ă©galement qu’il faut supprimer les propositions nos 7 et 8 mais aussi la proposition n° 9, dans la mesure oĂč elle pourrait remettre en question la loi de 1905, ce qui serait paradoxal. M. Yves Albarello. Ayant Ă©tĂ© nommĂ© rapporteur du projet de loi sur le Grand Paris, je n’ai pu participer Ă  l’ensemble des rĂ©unions de la mission. NĂ©anmoins, je maintiens les propos que j’avais tenus en septembre Ă  l’adresse de Marc Blondel, prĂ©sident de la FĂ©dĂ©ration nationale de la libre pensĂ©e En effet, la burqa n’est pas un vĂȘtement religieux. Il s’agit d’un moyen de nous tester, dans le cadre d’une offensive lancĂ©e contre la RĂ©publique. Cette question aurait dĂ» ĂȘtre traitĂ©e il y a vingt ans. Nous sommes contraints de nous y atteler aujourd’hui, alors que des problĂšmes bien plus graves se posent en France. ». Il faut, selon moi, interdire la burqa dans l’espace public. Or, ce matin, j’ai entendu avec stupeur Ă  la radio que la mission avait dĂ©jĂ  donnĂ© ses conclusions et que l’on se dirigeait vers une interdiction du voile intĂ©gral circonscrite aux bĂątiments publics. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. La mission n’a pas communiquĂ© ses conclusions. M. Georges Mothron. J’ai proposĂ© une contribution personnelle, jointe Ă  ce rapport, qui fait Ă©tat d’une position similaire Ă  celle de notre collĂšgue Albarello. Je souhaite moi aussi que le terme Ă©ventuel » soit retirĂ© de la proposition n° 18. M. Pierre Forgues. Il Ă©tait de votre responsabilitĂ©, Monsieur le prĂ©sident, de dĂ©mentir le fait que la mission avait donnĂ© Ă  la presse ses conclusions. Je me rĂ©jouis du dĂ©bat ouvert que nous avons pu avoir au sein de cette mission et des conclusions gĂ©nĂ©rales auxquelles nous avons pu aboutir. Cependant, je crois me rappeler que nous avions dĂ©cidĂ© de ne pas faire rĂ©fĂ©rence au domaine religieux, ce que font pourtant les propositions n°s 7 et 8. Par ailleurs, comme l’a indiquĂ© Jacques Myard, la proposition n° 18 doit ĂȘtre reformulĂ©e. Nous avons intĂ©rĂȘt Ă  adopter une position claire. Je ne suis pas opposĂ© Ă  une proposition de rĂ©solution qui pourrait d’ailleurs servir d’exposĂ© des motifs Ă  une future proposition de loi, mais j’avais cru comprendre qu’une majoritĂ© des membres de notre mission souhaitaient dĂ©boucher sur un texte interdisant de se masquer le visage, non pas dans des lieux publics affectĂ©s au transport ou Ă  l’enseignement notamment, mais dans l’espace public en gĂ©nĂ©ral. Pourquoi donner le sentiment de reculer sur ce point ? M. François Baroin. Je considĂšre moi aussi que les propositions n°s 7 et 8 sont dangereuses et qu’elles risquent de nous entraĂźner dans un engrenage qui nous Ă©loignerait des termes du dĂ©bat. D’autre part, l’objectif des signataires de la proposition de loi portĂ©e par le groupe UMP est de doter notre pays d’un cadre juridique permettant d’éliminer le port de la burqa, Ă©tant entendu qu’on peut discuter du calendrier ou de la mĂ©thode. Je souhaite que le procĂšs-verbal de cette rĂ©union mentionne clairement notre position. Cela ne retire rien Ă  l’immense travail rĂ©alisĂ© par la mission. Je veux fĂ©liciter le prĂ©sident AndrĂ© Gerin pour la force de ses convictions ainsi qu’Éric Raoult. Nous sommes tous des Ă©lus de terrain, confrontĂ©s aux mĂȘmes problĂšmes. Mettons de cĂŽtĂ© les arriĂšre-pensĂ©es et les postures politiciennes et concentrons-nous sur notre objectif commun. M. Jean-Paul Garraud. Je me joins aux fĂ©licitations sur le travail de fond remarquable qui a Ă©tĂ© produit par la mission, en regrettant de n’avoir pu assister Ă  l’ensemble des auditions. Une certaine unanimitĂ©, semble-t-il, se dĂ©gage. Les propositions n°s 7 et 8 sont regrettables puisqu’elles mentionnent trĂšs prĂ©cisĂ©ment l’islam, au risque de stigmatiser cette religion. La proposition n° 9 pose Ă©galement problĂšme. Enfin, il faut proposer une nouvelle rĂ©daction de la proposition n° 18. En effet, nous n’avons pas eu de mots assez durs pour critiquer le port du voile intĂ©gral. Ce rapport a pour vocation d’ouvrir un grand dĂ©bat dans notre pays et au-delĂ . Mais il ne faut pas s’arrĂȘter Ă  ce travail prĂ©liminaire, si poussĂ© soit-il il faut dĂ©poser une proposition de loi pour interdire le port de la burqa sur la voie publique. M. Jacques Remiller. J’adresse Ă  mon tour mes fĂ©licitations au prĂ©sident et au rapporteur de cette mission. Je rejoins les propos qui viennent d’ĂȘtre tenus. Si la proposition n° 9 ne me choque pas, je ne peux pas voter les propositions n°s 7 et 8 – les retirer donnerait d’ailleurs plus de poids Ă  la proposition n° 6. Enfin, je demande Ă©galement que le terme Ă©ventuel » soit retirĂ© de la proposition n° 18. Je rappelle que 65 % des Français, selon le sondage paru hier dans le Parisien, rĂ©clament une loi d’interdiction. Mme Colette Le Moal. Les propositions n°s 7 et 8 sont trop focalisĂ©es sur l’islam, ce que nous n’avons jamais souhaitĂ©. En revanche, il est important de donner tout son rĂŽle Ă  l’Observatoire de la laĂŻcitĂ©, comme le demande la proposition n° 6, et d’ engager une rĂ©flexion quant aux moyens d’assurer une juste reprĂ©sentation de la diversitĂ© spirituelle », conformĂ©ment aux termes de la proposition n° 9. M. Jacques Myard. Que signifient ces termes ? Mme Colette Le Moal. La proposition de rĂ©solution que nous avons adoptĂ©e la semaine derniĂšre expose bien le problĂšme posĂ© par le port du voile intĂ©gral. Pour sa part, le groupe Nouveau Centre, dans sa contribution, avait souhaitĂ© que l’on commence par dĂ©finir le vivre ensemble », et la proposition de rĂ©solution me semble bien rĂ©pondre Ă  cette exigence. Nous n’avons jamais refusĂ© l’idĂ©e d’une loi, mais nous considĂ©rons que celle-ci doit venir Ă  un moment opportun. C’est la raison pour laquelle il nous paraĂźt nĂ©cessaire de maintenir le terme Ă©ventuel » dans la proposition n° 18. Nous nous Ă©tions mis d’accord sur le fait que cette derniĂšre rĂ©union consisterait Ă  examiner le rapport, une proposition de rĂ©solution et, Ă©ventuellement, diffĂ©rents textes de loi. Nos collĂšgues socialistes se sont Ă©levĂ©s contre l’idĂ©e d’examiner une seule proposition de loi, imposĂ©e par avance. Ceux d’entre nous qui n’appartiennent pas au groupe UMP sont choquĂ©s de la façon dont la proposition de loi de M. Jean-François CopĂ© a fait irruption dans notre travail. Il faut ĂȘtre bien souple d’esprit pour accepter qu’elle puisse se retrouver dans ce rapport. Nous avions Ă©tĂ© habituĂ©s, tout au long de nos travaux, Ă  ce que l’ensemble des groupes soient respectĂ©s. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Quitte Ă  faire une entorse au RĂšglement, je prĂ©fĂšre que cette proposition de loi soit incluse dans le rapport plutĂŽt que dĂ©posĂ©e sur le bureau de l’AssemblĂ©e nationale avant la publication de nos travaux. Je prends ce texte comme une contribution. Mme Colette Le Moal. La presse dira que c’est la proposition de loi CopĂ© qui sera examinĂ©e. Mme Arlette Grosskost. La proposition de loi de M. Jean-François CopĂ© n’est qu’une contribution complĂ©mentaire. Chacun d’entre nous dĂ©cidera en son Ăąme et conscience. Pour ma part, je tiens pour la ligne dure » j’entends cosigner une proposition de loi ou voter un projet de loi qui interdise le port de la burqa dans l’intĂ©gralitĂ© de l’espace public. En revanche, compte tenu du rĂ©gime concordataire d’Alsace-Moselle, je ne peux qu’adhĂ©rer aux propositions n°s 7 et 8. M. Patrick Beaudouin. Je me rĂ©jouis Ă©galement du travail rĂ©alisĂ©. Ce rapport est toutefois, Ă  mon avis, le premier d’une longue sĂ©rie qui portera sur les diffĂ©rentes atteintes au vivre ensemble rĂ©publicain. Il ne faut donc pas faire rĂ©fĂ©rence Ă  une religion en particulier ; les propositions n°s 7 et 8 n’ont donc pas lieu d’ĂȘtre. Par ailleurs, Ă©tant trĂšs favorable Ă  une loi trĂšs stricte, je souhaite que le terme Ă©ventuel » soit retirĂ© de la proposition n° 18. M. François Baroin. Beaucoup d’entre nous ont dĂ©jĂ  vĂ©cu le mĂȘme dĂ©bat tumultueux s’agissant du port du voile Ă  l’école ; aprĂšs mon rapport au Premier ministre et au PrĂ©sident de la RĂ©publique, une commission nationale s’était mise en place, les groupes parlementaires puis les partis politiques s’étaient prononcĂ©s avant mĂȘme que la mission parlementaire ait fait entendre sa voix. La situation que nous vivons aujourd’hui est normale – les prises de position politiques viennent nourrir les travaux de la mission. Tentons d’en sortir par le haut ! M. Lionnel Luca. La proposition n° 9 laisse entendre qu’il serait possible de dĂ©roger Ă  la loi de 1905 afin de construire des lieux de culte et de tenir compte de tous les calendriers religieux dans la vie scolaire, ce qui est la porte ouverte au communautarisme. Je ne voterai donc pas cette proposition non plus. M. Éric Raoult, rapporteur. Ce document sera remis dans trente minutes au PrĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale, nous n’avons donc plus le temps d’en imprimer une version rĂ©visĂ©e. Pour rĂ©pondre au souhait Ă©mis par François Baroin, nous pouvons toutefois y introduire des addenda pour tenir compte de vos remarques, bien que, lors des trois rĂ©unions que nous avons tenues mercredi, nous ayons portĂ© toutes les corrections que vous jugiez nĂ©cessaires. La proposition de loi de M. Jean-François CopĂ© n’a pas encore Ă©tĂ© dĂ©posĂ©e. C’est la raison pour laquelle nous parlons d’un examen Ă©ventuel » dans la proposition n° 18. S’agissant de la proposition n° 7, nous pourrions proposer dans un addendum la crĂ©ation d’une École nationale d’études sur l’islam et les religions ». Mme BĂ©rengĂšre Poletti. Parlons plutĂŽt, simplement, d’une École nationale d’études sur les religions ! M. Éric Raoult, rapporteur. Je vous propose d’ajouter Ă  la proposition n° 8 les mots et les atteintes aux religions ». Quant Ă  la proposition n° 9, la rĂ©daction m’en semble suffisamment large. Je le rĂ©pĂšte, nous ne pouvons procĂ©der que sous la forme d’addenda, tout en sachant d’ailleurs que cela risque de focaliser l’attention des mĂ©dias. Quelle a Ă©tĂ© notre mĂ©thode ? Lorsqu’une idĂ©e faisait l’objet d’un accord, nous en avons fait une proposition. Tout ce qui faisait dĂ©bat a nĂ©anmoins Ă©tĂ© mentionnĂ© dans le rapport et, lors de nos derniĂšres rĂ©unions, il vous a mĂȘme Ă©tĂ© proposĂ© d’apporter vos contributions individuelles. Permettez-moi de m’expliquer sur la rĂ©daction de la proposition n° 18. M. Jacques Remiller. Pour la presse, ce terme Ă©ventuel » change tout ! M. Jacques Myard. Je ne voterai pas le rapport si cette proposition est maintenue en l’état ! Mme BĂ©rengĂšre Poletti. C’est en effet impossible ! M. Éric Raoult, rapporteur. Permettez-moi d’aller jusqu’au bout de mon propos. Parler d’un examen Ă©ventuel, c’est estimer qu’il n’est pas certain qu’une telle proposition de loi soit inscrite Ă  l’ordre du jour. Notre mission n’est pas le Bureau de l’AssemblĂ©e nationale ! Nous nous sommes efforcĂ©s de respecter le plus grand pluralisme possible nous avons donc Ă©mis diverses propositions, et inclus des contributions – et mĂȘme une proposition de loi signĂ©e par 220 de nos collĂšgues. Je vous rappelle que tout ce que vous dites aujourd’hui aurait dĂ» l’ĂȘtre mercredi dernier. Nous ne disposons dĂ©sormais plus du temps nĂ©cessaire pour modifier le rapport. Je veux bien rĂ©diger un ajout faisant Ă©tat de nos divergences, sachant qu’en outre, un compte rendu de cette rĂ©union sera Ă©tabli et joint Ă  ce document. M. Yves Albarello. Cette mission a-t-elle le pouvoir d’examiner l’amendement que rĂ©digerait François Baroin et de le voter ? M. le prĂ©sident AndrĂ© Gerin. La discussion a Ă©tĂ© close mercredi soir. Nous sommes rĂ©unis aujourd’hui pour voter sur l’adoption du rapport. M. Jacques Myard. Alors, nous voterons contre. M. Éric Raoult, rapporteur. Le prĂ©sident et moi-mĂȘme avons essayĂ© d’animer en toute collĂ©gialitĂ© cette mission. Le terme Ă©ventuel » utilisĂ© dans la proposition n° 18 ne procĂšde pas d’un jugement de valeur. Il n’est d’ailleurs pas inenvisageable que cette proposition tombe si d’aventure le prĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale demandait au Gouvernement de rĂ©diger un projet de loi. Nous nous ridiculiserions en ne votant pas ce rapport. Mme BĂ©rengĂšre Poletti. Ce n’est pas une raison de le voter ! M. Lionnel Luca. Je propose d’inverser les termes de la proposition n° 18 pour la rĂ©diger ainsi Examiner une proposition de loi interdisant de dissimuler son visage dans l’espace public, aprĂšs avoir recueilli l’avis du Conseil d’État. » Vous le savez trĂšs bien, commencer cette phrase par l’avis du Conseil d’État, c’est avouer que l’on ne souhaite pas que cette proposition de loi soit examinĂ©e. Si vous acceptez ma rĂ©daction, il n’est pas besoin de faire suivre la proposition de tout le commentaire qu’on lui a adjoint. M. François Baroin. La mission doit affirmer son point de vue nous souhaitons un texte d’interdiction. Il y a encore, parmi les membres de cette mission un dĂ©bat, sur le pĂ©rimĂštre de cette loi doit-elle viser tout l’espace public ou se limiter aux transports et aux services publics ? M. Éric Raoult, rapporteur. C’est ce qui est expliquĂ© page 189, aprĂšs la proposition n° 18. M. François Baroin. Ce serait un dĂ©sastre que de ne pas adopter le rapport. Mais il faut soumettre au vote un texte de synthĂšse intĂ©grant l’amendement Ă  la proposition n° 18, afin que les membres UMP de la mission ne soient pas en porte-Ă -faux avec leur groupe, non plus qu’avec les propos que vous tiendrez en notre nom. M. Éric Raoult, rapporteur. Pouvez-vous relire votre proposition, monsieur Luca ? M. Lionnel Luca. Examiner une proposition de loi interdisant de dissimuler son visage dans l’espace public, aprĂšs avoir recueilli l’avis du Conseil d’État ». M. Paul Forgues. C’est d’une simplicitĂ© extrĂȘme ! M. Éric Raoult, rapporteur. Je vous rappelle que cette mission est plurielle. Nous ne sommes pas dans une rĂ©union UMP ! M. Yves Albarello. Je me sens avant tout Français ! M. Éric Raoult, rapporteur. Je souhaite que l’on puisse amender les propositions n°s 7 et 8. Pour ce qui concerne la proposition n° 18, elle doit offrir une alternative entre une interdiction circonscrite Ă  certains lieux et une interdiction Ă©tendue Ă  l’ensemble de l’espace public, en sorte de retracer les deux positions dĂ©fendues. M. Jacques Myard. Les membres ici prĂ©sents ne veulent pas de la proposition n° 18 en l’état. Jusqu’à nouvel ordre, nous sommes en dĂ©mocratie je voterai pour la proposition telle que rĂ©digĂ©e par Lionnel Luca ! M. Éric Raoult, rapporteur. Ce document est dĂ©jĂ  imprimĂ©. Si nous voulons sortir de cette situation par le haut, il faut reprendre les deux propositions. Nous serons ainsi fidĂšles Ă  ce qui s’est dit dans cette mission oĂč siĂ©geaient des membres qui ne sont pas prĂ©sents aujourd’hui. Y a-t-il jamais eu unanimitĂ© en faveur d’une proposition de loi d’interdiction Ă©tendue Ă  tout l’espace public ? Non. Mme Françoise Hostalier. Nous sommes en train de pinailler », ce qui nous fait perdre beaucoup de temps. Le message que nous devons faire passer est que nous voulons une rĂ©solution, puis une loi. Il nous reviendra ensuite Ă  nous, parlementaires, de dĂ©terminer le pĂ©rimĂštre de l’interdiction quand le texte aura Ă©tĂ© inscrit Ă  l’ordre du jour. Il importe que la rĂ©daction de la proposition n° 18 demeure la plus ouverte possible. L’avis du Conseil d’État nous donnera une indication sur le pĂ©rimĂštre qu’il conviendra d’adopter. Si c’est l’espace public que nous visons, le fondement du texte sera sĂ©curitaire. Si nous nous limitons aux services publics, cela renverra plutĂŽt Ă  des rĂšglements intĂ©rieurs. De toute maniĂšre, cette loi ne sera qu’un dĂ©but, une Ă©bauche. Je voterai cette proposition dans sa forme actuelle. M. Lionnel Luca. L’objectif est de faire disparaĂźtre la burqa, pas de prendre l’avis du Conseil d’État. M. Éric Raoult, rapporteur. Nous sommes une mission d’information, pas le Bureau de l’AssemblĂ©e nationale, encore moins la reprĂ©sentation nationale dans son intĂ©gralitĂ©. Tout ce qui a Ă©tĂ© dit lors des trois rĂ©unions de mercredi dernier a Ă©tĂ© repris dans le rapport. Ces propositions ne sont pas des prĂ©conisations adressĂ©es au prĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale. Les partis politiques vont continuer de se rĂ©unir, il y aura d’autres occasions de faire entendre votre voix. Je vous propose un addendum, qui reprendrait en partie la rĂ©daction alternative de Lionnel Luca. Mais il serait faux d’affirmer que cette mission est unanime. Certes, les personnes auditionnĂ©es se sont prononcĂ©es Ă  80 ou 90 % contre le port du voile intĂ©gral mais personne n’a prĂŽnĂ© une loi d’interdiction couvrant l’espace public, hormis les membres UMP de la mission. M. Pierre Forgues. Et aussi M. Guy Carcassonne et Mme Élisabeth Badinter. M. François Baroin. L’amendement Ă  la proposition n° 18 doit ĂȘtre mis aux voix. Mme BĂ©rengĂšre Poletti. Certes, la mission n’est pas l’AssemblĂ©e, mais tous les regards sont tournĂ©s vers nous et notre responsabilitĂ© est de faire entendre un message. Il y a deux semaines, j’ai eu le sentiment trĂšs net que, de droite comme de gauche, nous Ă©tions trĂšs majoritairement favorables Ă  une loi interdisant le port du voile intĂ©gral dans l’espace public. Pourquoi pourrait-on modifier les propositions n° 7 et n° 8, mais non la proposition n° 18 ? M. François Baroin. Nous ne pouvons sortir de cette rĂ©union sans avoir votĂ© un amendement allant dans le sens de la proposition de loi que nous avons cosignĂ©e. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Vous exprimez lĂ  le point de vue du groupe UMP. M. François Baroin. Celui des cosignataires de la proposition. Le fait que le rapport soit dĂ©jĂ  imprimĂ© ne saurait nous empĂȘcher d’exprimer notre position politique. Nous souhaitons que l’on adopte la rĂ©daction de M. Luca si cela permet un vote plus large, ou, si ce n’est pas le cas, que l’on maintienne en parallĂšle la proposition n° 18 et celle du groupe UMP. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Les diffĂ©rences de points de vue apparaĂźtront dans le compte rendu de la prĂ©sente sĂ©ance. M. Jacques Myard. Cela ne suffit pas. M. Jean-Paul Garraud. Nous aurons tout le temps nĂ©cessaire pour retravailler le rapport s’il n’est pas votĂ© tout Ă  l’heure – ce qui, Ă  ce stade, me semble ne pouvoir ĂȘtre exclu
 À ce sujet, les propositions seront-elles mises aux voix en bloc, ou l’une aprĂšs l’autre comme cela a Ă©tĂ© fait dans le cadre de la commission d’enquĂȘte parlementaire chargĂ©e de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice dans l’affaire dite d’Outreau ? M. Éric Raoult, rapporteur. Je vous rappelle que 150 journalistes attendent
 Je propose que nous nous accordions sur une position et que nous passions au vote. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Je souhaite, bien sĂ»r, un vote unanime, car il en va de la crĂ©dibilitĂ© de notre travail. Je me permets de porter Ă  votre connaissance la fin de l’intervention que je compte faire devant les mĂ©dias Un dĂ©bat national et un chantier national commencent. Aux partis politiques, au Gouvernement, au Parlement de se saisir des propositions de la mission. Nous serons vigilants. Nous voulons une loi de portĂ©e gĂ©nĂ©rale, non partisane, tendant Ă  interdire la dissimulation du visage dans l’espace public, mais nous voulons aussi que l’État lutte contre la misĂšre et l’intĂ©grisme – car c’est aussi de cela que l’on parle quand on parle de voile intĂ©gral. ». M. Jacques Remiller. Ces mots s’envoleront, alors que les Ă©crits restent. Je partage les valeurs de notre rapporteur mais j’ai beaucoup de mal Ă  comprendre pourquoi il refuse de prendre en considĂ©ration le fait qu’une majoritĂ© se dessine en faveur d’un amendement Ă  la proposition n° 18. M. Éric Raoult, rapporteur. Nos Ă©changes figureront au compte rendu de la sĂ©ance, qui sera lui-mĂȘme intĂ©grĂ© au rapport. Au sein de la mission, des divergences se sont manifestĂ©es ; j’essaye d’en tenir compte. L’heure nous presse je vous invite Ă  vous prononcer, en vous proposant de voter sĂ©parĂ©ment sur la proposition n° 18. Mme BĂ©rengĂšre Poletti. Ce n’est pas possible ! Si elle Ă©tait rejetĂ©e, le rapport serait vidĂ© de toute substance ! M. Jacques Myard. Il faut mettre aux voix la proposition de rĂ©daction de M. Lionnel Luca. Mme Françoise Hostalier. Je persiste Ă  ne pas comprendre pourquoi ces divergences de vue n’ont pas Ă©tĂ© exprimĂ©es au cours des rĂ©unions qui ont eu lieu mercredi, alors mĂȘme que la proposition n° 18 figurait, dans les mĂȘmes termes, en page 170 de la version du rapport qui nous avait Ă©tĂ© distribuĂ©e ce jour-lĂ . M. Éric Raoult, rapporteur. Quand on ouvre la boĂźte de Pandore
 M. Jacques Myard. Je maintiens que la rĂ©daction actuelle de la proposition n° 18 n’est pas acceptable. M. Éric Raoult, rapporteur. Si le rapport n’est pas adoptĂ©, il ne pourra ĂȘtre publiĂ©. Peut-ĂȘtre est-ce ce que certains souhaitent, mais je rappelle chacun Ă  ses responsabilitĂ©s. Le compte rendu de la prĂ©sente rĂ©union sera annexĂ© au rapport ; je vous invite Ă  un vote sĂ©parĂ© sur la proposition n° 18, puis Ă  un vote sur le rapport. M. Jacques Myard. Le rĂšglement ne sera pas respectĂ© si l’amendement Ă  la proposition n° 18 n’est pas mis aux voix. M. Jean-Paul Garraud. La commission d’enquĂȘte parlementaire sur Outreau avait votĂ© sur chaque proposition sĂ©parĂ©ment, et aussi sur les propositions d’amendement. M. Éric Raoult, rapporteur. C’est le travail auquel nous nous sommes astreints mercredi dernier. Mme Françoise Hostalier. Et c’est au cours de ces rĂ©unions que ces choses auraient dĂ» ĂȘtre dites. M. Éric Raoult, rapporteur. VoilĂ  pourquoi je me refuse Ă  refaire la rĂ©union de mercredi et Ă  reprendre le dĂ©bat, qui est clos. Mme BĂ©rengĂšre Poletti. Les trois rĂ©unions de mercredi ont Ă©tĂ© organisĂ©es de telle maniĂšre que l’on ne pouvait parvenir au consensus, puisque nous n’avons pas tous siĂ©gĂ© en mĂȘme temps. C’est pourquoi nous en sommes Ă  un point de blocage aujourd’hui et ne pas admettre que des amendements puissent ĂȘtre mis aux voix, c’est assumer le risque d’une caricature de dĂ©bat. M. Éric Raoult, rapporteur. Nous ne pouvons reprendre le dĂ©bat depuis l’origine, et nous Ă©tions d’accord pour nous rĂ©unir pendant une heure trente avant de remettre le rapport au prĂ©sident de notre assemblĂ©e. Je vous invite Ă  un vote sĂ©parĂ© sur chaque proposition, sans examen d’amendements car le temps presse. Au terme de ces votes, je vous demanderai de vous prononcer sur l’ensemble du rapport ; si l’accord ne se fait pas sur la proposition n° 18, il peut en effet se faire sur le rapport, cette proposition exceptĂ©e. M. Jean-Paul Garraud. La procĂ©dure serait la mĂȘme que pour la commission d’enquĂȘte sur Outreau, mais celle-ci a rendu un rapport qui a Ă©tĂ© adoptĂ© Ă  l’unanimitĂ©, sous rĂ©serve d’un certain nombre de contributions. J’ai bien peur que nos divergences sur la proposition n° 18 ne conduisent Ă  une tout autre issue. M. Éric Raoult, rapporteur. Il est onze heures. Le prĂ©sident Bernard Accoyer nous attend. Chacun doit dĂ©sormais prendre ses responsabilitĂ©s. M. Georges Mothron. Il faut un addendum pour modifier la proposition n° 18. M. Éric Raoult, rapporteur. Le compte rendu fera Ă©tat de la nouvelle formulation ! Mme BĂ©rengĂšre Poletti. Non, ce n’est pas possible. Il faut un addendum ! M. Jacques Myard. Prenez vos responsabilitĂ©s ! S’il n’y a pas d’addendum, je voterai contre le rapport ! M. Éric Raoult, rapporteur. Le prĂ©sident et moi-mĂȘme Ă©voquerons oralement votre proposition. Mais ce n’est plus l’heure ni le lieu d’amender le texte ; la discussion a Ă©tĂ© close mercredi. M. François Baroin. Il est important que vous rendiez compte objectivement des dĂ©bats que nous venons d’avoir. Peut-ĂȘtre cela aura-t-il la force d’un addendum. M. le prĂ©sident AndrĂ© Gerin. Je parlerai de la nĂ©cessitĂ© d’une loi gĂ©nĂ©rale lors de la confĂ©rence de presse. Mme BĂ©rengĂšre Poletti. Au moins, c’est clair ! M. François Baroin. Il faudra Ă©galement expliquer que, faute de pouvoir le modifier pour des raisons techniques, le rapport fera l’objet d’un addendum, mis aux voix. En tout Ă©tat de cause, il faut faire Ă©tat devant les journalistes de nos dĂ©bats sur la proposition n° 18. M. Éric Raoult, rapporteur. Le prĂ©sident et moi-mĂȘme nous y attacherons. Les propositions n°s 1 Ă  6 sont successivement adoptĂ©es. Les propositions n°s 7 et 8 ne sont pas adoptĂ©es. Les propositions n°s 9 Ă  17 sont successivement adoptĂ©es. La proposition n° 18 n’est pas adoptĂ©e. La mission a adoptĂ© le prĂ©sent rapport, qui sera imprimĂ© et distribuĂ©, conformĂ©ment aux dispositions de l’article 145 du RĂšglement de l’AssemblĂ©e nationale. SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS La numĂ©rotation tient compte de la suppression des propositions initialement numĂ©rotĂ©es 7, 8 et 18. Proposition n° 1 — Adopter une rĂ©solution condamnant le port du voile intĂ©gral comme contraire aux valeurs de la RĂ©publique, affirmant le soutien de la reprĂ©sentation nationale aux efforts engagĂ©s par les acteurs de terrain pour combattre cette pratique, condamnant les discriminations et les violences faites aux femmes et affirmant la solidaritĂ© de la France Ă  l’égard des femmes qui en sont victimes de par le monde ; — Diffuser cette rĂ©solution par voie de circulaire afin de la porter Ă  la connaissance des agents publics. Proposition n° 2 Permettre largement des actions de mĂ©diation Ă  l’attention des femmes portant le voile intĂ©gral et de leur entourage, afin de comprendre leurs motivations, en Ă©tablissant des protocoles rassemblant tous les acteurs concernĂ©s. Proposition n° 3 Renforcer la formation civique dĂ©livrĂ©e dans le cadre du contrat d’accueil et d’intĂ©gration en l’inscrivant dans le moyen terme. Proposition n° 4 GĂ©nĂ©raliser la formation des agents en contact direct avec les usagers aux rĂšgles de la laĂŻcitĂ© et Ă  la gestion des incivilitĂ©s. Proposition n° 5 Mettre en Ɠuvre la proposition n° 18 du rapport de la mission d’évaluation des politiques de prĂ©vention et de lutte contre les violences faites aux femmes, qui vise Ă  prĂ©venir les violences sexistes Ă  l’école et Ă  former les enfants Ă  l’égalitĂ© femme-homme et Ă  la mixitĂ©. Proposition n° 6 Donner tout son rĂŽle Ă  l’Observatoire de la laĂŻcitĂ©, créé en 2007. Proposition n° 7 Engager une rĂ©flexion quant aux moyens d’assurer une juste reprĂ©sentation de la diversitĂ© spirituelle. Proposition n° 8 Donner instruction aux services de l’État de signaler systĂ©matiquement au prĂ©sident du conseil gĂ©nĂ©ral les situations de mineures portant le voile intĂ©gral, dans le cadre de la protection des mineurs en danger. Proposition n° 9 PrĂ©voir la crĂ©ation d’un dĂ©lit de violences psychologiques au sein du couple. Proposition n° 10 ComplĂ©ter l’article 24, alinĂ©a 9, de la loi du 29 juillet 1881 pour y introduire la provocation Ă  l’atteinte Ă  la dignitĂ© de la personne. Proposition n° 11 Demander Ă  la Miviludes Mission interministĂ©rielle de vigilance et de lutte contre les dĂ©rives sectaires de dresser un Ă©tat des lieux des Ă©ventuelles dĂ©rives sectaires qui pourraient avoir lieu dans l’entourage des personnes portant le voile intĂ©gral et dont ce dernier pourrait ĂȘtre le rĂ©vĂ©lateur. Proposition n° 12 Prendre en compte, dans les demandes d’asile, la contrainte Ă  porter le voile intĂ©gral comme indice d’un contexte plus gĂ©nĂ©ral de persĂ©cution. Proposition n° 13 Afin de conforter les agents publics, adopter une disposition interdisant de dissimuler son visage dans les services publics. Proposition n° 14 — Modifier les articles L. 211-2-1 et L. 411-8 du code de l’entrĂ©e et du sĂ©jour des Ă©trangers et du droit d’asile CESEDA afin de mentionner l’égalitĂ© entre les hommes et les femmes et le principe de laĂŻcitĂ© » parmi les valeurs que doivent connaĂźtre les personnes dĂ©sirant se voir dĂ©livrer un visa de long sĂ©jour ou dĂ©sirant bĂ©nĂ©ficier du regroupement familial ; — Modifier l’article L. 314-2 du CESEDA afin de refuser la dĂ©livrance d’une carte de rĂ©sident aux personnes qui manifestent une pratique radicale de leur religion, incompatible avec les valeurs de la RĂ©publique, en particulier le principe d’égalitĂ© entre hommes et femmes, ceci Ă©tant considĂ©rĂ© comme un dĂ©faut d’intĂ©gration. Proposition n° 15 Introduire aux articles 21-4 et 21-24 du code civil relatifs Ă  l’acquisition de la nationalitĂ© française une disposition explicitant qu’est considĂ©rĂ© comme un dĂ©faut d’assimilation le fait de manifester une pratique radicale de sa religion, incompatible avec les valeurs essentielles de la communautĂ© française, notamment avec le principe d’égalitĂ© entre les hommes et les femmes. Concernant une loi interdisant de dissimuler son visage dans l’espace public, la conclusion du rapport indique À ce stade du dĂ©bat dans notre pays, la mission ne peut que constater que, tant en son sein que parmi les formations politiques reprĂ©sentĂ©es au Parlement, il n’existe pas – en tout cas pour l’heure – d’unanimitĂ© pour l’adoption d’une loi d’interdiction gĂ©nĂ©rale et absolue du voile intĂ©gral dans l’espace public. Une grande partie des membres de la mission est favorable Ă  une loi d’interdiction du voile intĂ©gral, comme de tout vĂȘtement masquant entiĂšrement le visage, dans l’espace public, sur le fondement de la notion d’ordre public. C’est le sens des contributions individuelles des membres, qui figurent en annexe du prĂ©sent rapport. [
] Le dĂ©bat est dĂ©sormais ouvert. À chacun de s’en emparer, aux formations politiques de trouver une voie de passage qui permette au pays de faire front face Ă  ce dĂ©fi. Si un consensus est une vue bien trop idĂ©ale, un large accord rĂ©publicain est Ă  portĂ©e de main. » PROPOSITION DE RÉSOLUTION PRÉSENTÉE PAR LA MISSION PROPOSITION DE RÉSOLUTION rĂ©affirmant la prééminence des valeurs rĂ©publicaines sur les pratiques communautaristes et condamnant le port du voile intĂ©gral comme contraire Ă  ces valeurs EXPOSÉ DES MOTIFS Le PrĂ©sident de la RĂ©publique, Nicolas Sarkozy, l’a affirmĂ©, le 22 juin 2009, devant le CongrĂšs du Parlement la burqa ne sera pas la bienvenue sur le territoire de la RĂ©publique française. Nous ne pouvons pas accepter dans notre pays des femmes prisonniĂšres derriĂšre un grillage, coupĂ©es de toute vie sociale, privĂ©es de toute identitĂ©. » Elle est contraire Ă  nos valeurs et contraire Ă  l’idĂ©e que nous nous faisons de la dignitĂ© de la femme », selon la formule qu’il a employĂ©e le 13 janvier 2010. Face Ă  ce phĂ©nomĂšne qui suscite une rĂ©elle rĂ©probation dans notre pays, la ConfĂ©rence des PrĂ©sidents de l’AssemblĂ©e nationale a dĂ©cidĂ© la crĂ©ation d’une mission d’information sur la pratique du port du voile intĂ©gral sur le territoire national le 23 juin 2009, Ă  la demande du prĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale et avec l’assentiment de tous les groupes parlementaires. A la suite de six mois de travail, aprĂšs avoir entendu plus de 200 personnes, Ă  Paris mais Ă©galement Ă  Lille, Lyon, Marseille et Bruxelles, la mission a Ă©tabli un Ă©tat des lieux du phĂ©nomĂšne du port du voile intĂ©gral. Elle a estimĂ© unanimement que cette pratique portait atteinte Ă  nos valeurs fondamentales telles qu’elles s’expriment dans notre devise – libertĂ©, Ă©galitĂ©, fraternitĂ© – et lançait un vĂ©ritable dĂ©fi Ă  notre RĂ©publique. Devant les dĂ©putĂ©s, le 9 septembre 2009, Mme Elisabeth Badinter a soulignĂ© combien le port du voile intĂ©gral est contraire au principe de fraternitĂ© – ce principe fondamental auquel on a si peu souvent l’occasion de se rĂ©fĂ©rer – et, au-delĂ , au principe de civilitĂ©, du rapport Ă  l’autre. Porter le voile intĂ©gral, c’est refuser absolument d’entrer en contact avec autrui ou, plus exactement, refuser la rĂ©ciprocitĂ©. » Le Conseil français du culte musulman s’est Ă©galement opposĂ© Ă  cette pratique, par la voix de son prĂ©sident, M. Mohammed Moussaoui, le 14 octobre 2009 le Conseil français du culte musulman a pris position contre le port du voile intĂ©gral, que nous ne considĂ©rons pas comme une prescription religieuse mais comme une pratique minoritaire. » Il s’agit d’une pratique extrĂȘme dont nous ne souhaitons pas qu’elle s’installe sur le territoire national. », ajoutait-il. La mission d’information a proposĂ© une sĂ©rie de prĂ©conisations pour lutter et faire disparaĂźtre cette pratique de notre territoire. Parmi les prĂ©conisations figure celle du vote d’une rĂ©solution recueillant l’accord de l’AssemblĂ©e nationale afin de lancer un signal fort selon lequel le voile intĂ©gral n’est pas acceptable. Il faut le condamner fermement. Il est nĂ©cessaire de rĂ©affirmer l’attachement de la reprĂ©sentation nationale aux valeurs fondatrices de la RĂ©publique. Tel est le sens du texte de la proposition de rĂ©solution qui suit, pour que la France dise non au voile intĂ©gral en prohibant son port. Cette proposition de rĂ©solution, si elle Ă©tait adoptĂ©e, serait la premiĂšre depuis 1958, Ă  la suite de la rĂ©vision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Cela ne lui en donnera que plus de poids. PROPOSITION DE RÉSOLUTION L’AssemblĂ©e nationale, Vu l’article 34-1 de la Constitution, Vu l’article 136 du RĂšglement, Vu la DĂ©claration des droits de l’homme et du citoyen du 26 aoĂ»t 1789, et notamment ses articles IV et X, qui disposent respectivement que la libertĂ© consiste Ă  pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas Ă  autrui » et que nul ne doit ĂȘtre inquiĂ©tĂ© pour ses opinions, mĂȘme religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public Ă©tabli par la Loi » ; Vu le PrĂ©ambule de la Constitution du 27 octobre 1946, selon lequel le peuple français proclame Ă  nouveau que tout ĂȘtre humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possĂšde des droits inaliĂ©nables et sacrĂ©s » et qui prĂ©voit que la loi garantit Ă  la femme, dans tous les domaines, des droits Ă©gaux Ă  ceux de l’homme. » ; Vu l’article 1er de la Constitution qui dispose que la France est une RĂ©publique indivisible, laĂŻque, dĂ©mocratique et sociale. Elle assure l’égalitĂ© devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. » ; Vu la DĂ©claration universelle des droits de l’homme du 10 dĂ©cembre 1948, notamment ses articles 1er et 29, qui disposent respectivement que tous les ĂȘtres humains naissent libres et Ă©gaux en dignitĂ© et en droits. Ils sont douĂ©s de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternitĂ© » et que l'individu a des devoirs envers la communautĂ© dans laquelle seul le libre et plein dĂ©veloppement de sa personnalitĂ© est possible. » ; Vu la Convention europĂ©enne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales du 4 novembre 1950, dont l’article 14 prohibe les discriminations ; Vu le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 dĂ©cembre 1966, et notamment son article 18 qui dispose que la libertĂ© de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet que des seules restrictions prĂ©vues par la loi et qui sont nĂ©cessaires Ă  la protection de la sĂ©curitĂ©, de l'ordre et de la santĂ© publique, ou de la morale ou des libertĂ©s et droits fondamentaux d'autrui. » ; Vu la Charte des droits fondamentaux de l’Union europĂ©enne du 7 dĂ©cembre 2000, qui prĂ©voit, en son article premier, que la dignitĂ© humaine est inviolable ». 1. ConsidĂšre qu’il est nĂ©cessaire de rĂ©affirmer les valeurs rĂ©publicaines de libertĂ©, d’égalitĂ© et de fraternitĂ© qui fondent notre vivre-ensemble et qui s’opposent Ă  toutes les formes d’intĂ©grisme, de communautarisme et de sectarisme ; 2. Estime que ces valeurs fondatrices ont pour consĂ©quence directe le refus de toute atteinte aux principes de mixitĂ© et d’égalitĂ© des sexes et l’obligation de protĂ©ger les personnes les plus vulnĂ©rables, en particulier les mineurs ; 3. Affirme que le port du voile intĂ©gral est contraire aux valeurs de la RĂ©publique ; 4. Condamne les violences et les contraintes pesant sur les femmes et prĂ©conise le renforcement des mesures visant Ă  promouvoir l’égalitĂ© entre femmes et hommes ; 5. Affirme le soutien de la France, qui Ă  ce titre se doit d’ĂȘtre exemplaire, aux femmes victimes de violences et de discriminations de par le monde ; 6. Apporte son soutien aux Ă©lus, aux agents publics, aux associations et Ă  tous ceux qui combattent le port du voile intĂ©gral ; 7. ConsidĂšre que la libertĂ© de conscience ne peut s’exercer que dans le respect du principe de laĂŻcitĂ© ; 8. Estime nĂ©cessaire de promouvoir une sociĂ©tĂ© ouverte et tolĂ©rante et de lutter contre toutes les discriminations ; 9. Proclame que c’est toute la France qui dit non au voile intĂ©gral et demande que cette pratique soit prohibĂ©e sur le territoire de la RĂ©publique. CONTRIBUTIONS DES FORMATIONS POLITIQUES REPRÉSENTÉES À L’ASSEMBLÉE NATIONALE ET AU SÉNAT NB Certaines formations politiques qui ont Ă©tĂ© sollicitĂ©es par la mission d’information n’ont pas adressĂ© de contributions. Centre national des indĂ©pendants et paysans 213 Debout la rĂ©publique 215 Mouvement pour la France 218 Mouvement rĂ©publicain et citoyen 219 Nouveau centre 221 Parti communiste français 223 Parti de gauche 226 Parti radical 228 Parti radical de gauche 230 Parti socialiste 235 Union pour un mouvement populaire 240 Les Verts 243 Centre National des IndĂ©pendants et paysans Debout la rĂ©publique Mouvement Pour la France Mouvement rĂ©publicain et citoyen nouveau centre Parti communiste français Parti de gauche Parti radical Parti radical de gauche Paris, le 13 janvier 2010Contribution du Parti Radical de Gauche aux travaux de la mission parlementaire sur la pratique du port du voile intĂ©gral L’AssemblĂ©e nationale a installĂ©, avec le soutien du gouvernement, une mission d’information sur le port de la burqa en juillet 2009. Cette mission est prĂ©sidĂ©e par le dĂ©putĂ© du RhĂŽne AndrĂ© GĂ©rin qui avait le premier demandĂ© sa crĂ©ation et elle est composĂ©e de 32 membres 17 UMP, 10 PS, 1 PRG, 2 GDR, 2 NC. Chantal Robin-Rodrigo, dĂ©putĂ©e des Hautes-PyrĂ©nĂ©es, reprĂ©sente le PRG dans cette mission et dĂšs son installation elle avait insistĂ© sur le fait qu’il Ă©tait urgent de rĂ©agir car les choses se dĂ©gradent dans nos quartiers, le communautarisme prend parfois le dessus » ; il s’agissait pour elle d’une cause commune, celle de la dĂ©fense des valeurs de laĂŻcitĂ© et d’égalitĂ© homme-femme ». La presse fait Ă©tat de notes ou rapports des services de police indiquant pour les uns le chiffre de 367, pour les autres 2000... Mais le nombre importe peu Ă  nos yeux n’y aurait-il qu’une seule burqa en France que cela devrait interroger notre RĂ©publique. La burqa est Ă  l'origine le vĂȘtement traditionnel des tribus pachtounes en Afghanistan. Ce long voile, bleu ou marron, couvre complĂštement la tĂȘte et le corps, un grillage dissimulant les yeux. Cette tenue est devenue aux yeux du monde le symbole du rĂ©gime des talibans en Afghanistan qui l'ont rendue obligatoire. En France, le port du niqab est plus courant que celui de la burqa. Il s'agit d'un voile sombre qui tombe jusqu'aux pieds et qui couvre le visage Ă  l'exception des yeux. Le port du voile intĂ©gral en France comme la burqa ou le niqab est une pratique inspirĂ©e de l’idĂ©ologie talibane ou du salafisme, elle n’est pas une manifestation gĂ©nĂ©rale de l’islam contrairement Ă  ce que voudraient faire croire certains extrĂ©mistes. Si, aujourd’hui, nous acceptions le port du voile intĂ©gral comme l’expression d’une tradition ou d’une pratique religieuse acceptable en RĂ©publique, nous ouvririons une brĂšche difficile Ă  refermer dans les principes fondamentaux de la RĂ©publique. Allons-nous, ensuite, accepter que des horaires soient amĂ©nagĂ©s dans les piscines municipales uniquement pour les femmes ? Pouvons-nous accepter que des femmes influencĂ©es ou non par leurs compagnons refusent de se faire soigner par des hommes mĂ©decins, allons-nous accepter des lieux rĂ©servĂ©s aux hommes et d’autres pour les femmes ? Peut-on tout accepter au nom d’une pratique religieuse ? La rĂ©ponse des Radicaux de Gauche est non car, si la RĂ©publique respecte toutes les religions, aucune religion ne saurait prĂ©tendre gouverner la RĂ©publique et imposer des principes ou des valeurs qui seraient contraires aux principes rĂ©publicains ou aux principes de la dĂ©claration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. La pratique du port du voile intĂ©gral quand bien mĂȘme elle serait librement consentie – ce qui reste Ă  prouver – constitue pour les radicaux de gauche un signe d’aliĂ©nation des femmes, un dĂ©ni que nous ne pouvons accepter. C’est grĂące Ă  la loi que les femmes ont accĂ©dĂ© Ă  l’instruction, grĂące Ă  la loi qu’elles se sont Ă©mancipĂ©es de leur mari, c’est grĂące Ă  la loi que la paritĂ© en politique a Ă©tĂ© accordĂ©e, grĂące Ă  la loi qu’elles ont gagnĂ© la libertĂ© et le droit de disposer de leur corps, grĂące Ă  la loi que l’égalitĂ© professionnelle Ă  Ă©tĂ© consacrĂ©e. Depuis 1946, le prĂ©ambule de la constitution proclame "la loi garantit Ă  la femme, dans tous les domaines, des droits Ă©gaux Ă  ceux de l’homme" MĂȘme si nous avons conscience que notre sociĂ©tĂ© a encore beaucoup de progrĂšs Ă  faire, nous ne pouvons accepter que certains -qui s’abritent derriĂšre une conception traditionnelle du rapport hommes-femmes - cherchent Ă  saper les acquis de notre RĂ©publique. Le port de la burqa ou du niqab renvoie Ă  une image inacceptable des femmes, un dĂ©sir de restreindre leur libertĂ©, de les enfermer, une atteinte Ă  la libertĂ© des sexes, Ă  l’égalitĂ© et Ă  la fraternitĂ©. Chacun et chacune est respectĂ© dans ses croyances et ses diffĂ©rences Ă  partir du moment oĂč chacun respecte la loi commune, est-il utile de rappeler ici les principes de la dĂ©claration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 inscrits dans l’article 4 La libertĂ© consiste Ă  pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas Ă  autrui ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la sociĂ©tĂ© la jouissance de ces mĂȘmes droits. Ces bornes ne peuvent ĂȘtre dĂ©terminĂ©es que par la loi et dans l’article 10 Nul ne doit ĂȘtre inquiĂ©tĂ© pour ses opinions, mĂȘmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public Ă©tabli par la loi. La laĂŻcitĂ© garantit la libertĂ© religieuse, la libertĂ© de conscience et permet par la neutralitĂ© de l’espace public que chacun puisse vivre en harmonie avec l’autre mais elle est fondĂ©e sur les principes de la dĂ©claration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. Le port de la burqa ou du niqab nous interpelle aussi car il renvoit au dĂ©bat sur la revendication de droits diffĂ©renciĂ©s et fait Ă©cho Ă  la montĂ©e des communautarismes qui ont malheureusement Ă©tĂ© trop encouragĂ©s par certains responsables politiques de premier plan. Il est urgent de donner un coup d’arrĂȘt aux dĂ©rives communautaristes qui sont contraires Ă  notre identitĂ© rĂ©publicaine. La citoyennetĂ© se dĂ©finit par l’appartenance Ă  la communautĂ© politique. En France elle est liĂ©e Ă  l’idĂ©e de dĂ©mocratie et elle s’inscrit dans l’histoire de la construction de la Nation hĂ©ritĂ©e de la rĂ©volution de 1789. Le citoyen a des droits et des obligations qui obĂ©issent au principe d’égalitĂ© indĂ©pendamment de ses appartenances particuliĂšres ou de ses convictions. Accepter que certaines fractions de la communautĂ© nationale s’affranchissent de la Nation ostensiblement en se rĂ©clamant de rĂšgles diffĂ©rentes de la loi rĂ©publicaine au motif qu’elles appartiennent Ă  des communautĂ©s qui auraient des droits et des revendications particuliĂšres c’est accepter que l’on dĂ©monte tout l’édifice rĂ©publicain bĂąti depuis 1789 et de revenir Ă  l’Ancien RĂ©gime, voir au-delĂ . Face aux inĂ©galitĂ©s, aux fossĂ©s qui se creusent entre les quartiers difficiles et le reste du pays, nous ne pensons pas que la rĂ©ponse soit Ă  rechercher dans l’affirmation du repli sur soi ou dans le communautarisme. Le communautarisme est contraire Ă  notre histoire, Ă  nos principes humanistes, Ă  notre attachement aux valeurs d’égalitĂ© et de fraternitĂ©. Nous ne pouvons tolĂ©rer que sous couvert de libertĂ© individuelle on conteste les lois et les principes de notre RĂ©publique. Le port du voile intĂ©gral pose enfin un problĂšme d’ordre public et c’est sur ce point, en particulier, qu’il nous semble possible de fonder une loi. D’abord, le port du voile intĂ©gral semble inacceptable dans de nombreuses situations Ă  l’hĂŽpital, oĂč le mĂ©decin doit savoir qui il soigne, et lors des examens universitaires, oĂč l’examinateur doit pouvoir vĂ©rifier l’identitĂ© du candidat. Ensuite, le port du voile intĂ©grale constitue une entrave Ă  la prĂ©vention des infractions ou la recherche des auteurs d’infractions. D’ailleurs, l’absence de rĂ©glementation relative au port de tenues dissimulant l’identitĂ© de la personne attĂ©nue considĂ©rablement l’efficacitĂ© des systĂšmes de vidĂ©osurveillance. Un commerçant doit aussi pouvoir identifier la personne qui le rĂšgle par chĂšque ou par carte bancaire ; le policier ou le douanier, la personne qu’il contrĂŽle ou qu’il choisit de contrĂŽler ; la directrice d’une Ă©cole ou d’une crĂšche, la personne Ă  laquelle elle remet un enfant Ă  la sortie des classes. Si la pratique du voile intĂ©gral semble aujourd’hui mineure elle mĂ©rite d’ĂȘtre combattue car il ne faudrait pas qu’elle gagne du terrain. La burqa n’est pas un vĂȘtement religieux. Il s’agit d’un moyen de nous tester, dans le cadre d’une offensive lancĂ©e contre la RĂ©publique. Une dĂ©mission sur ce point ouvrirait la porte Ă  de nouvelles demandes et aboutirait Ă  un recul de la citoyennetĂ©, Ă  la rĂ©duction de l’espace public laĂŻque et rĂ©publicain et Ă  la limitation de nos libertĂ©s. Une telle logique de surenchĂšre nous oblige Ă  rĂ©agir avec mesure mais fermement car les dĂ©fenseurs de la burqa signifient aux femmes que les droits garantis par notre RĂ©publique Ă  tous ses citoyens ne sont pas pour elles, qu’ils sont plus forts que la RĂ©publique dont les lois et les principes ne s’appliquent pas universellement. Il est donc nĂ©cessaire d’apporter une rĂ©ponse Ă  ce phĂ©nomĂšne qui soit un signal politique fort, fondĂ© sur les valeurs rĂ©publicaines. Les Radicaux de Gauche ne sont pas des partisans de l’inflation lĂ©gislative ; il convient donc Ă  nos yeux et en premier lieu que le Parlement rappelle solennellement et unanimement le principe constitutionnel d’égalitĂ© des sexes et recherche dans la lĂ©gislation existante une rĂ©ponse adaptĂ©e qui ainsi Ă©viterait de stigmatiser Ă  tort une religion trop souvent prise en otage par les extrĂ©mistes, dans un contexte politique parasitĂ© par le dĂ©bat sur l’identitĂ© nationale avec tous les dĂ©bordements qu’il connaĂźt malheureusement. En dernier recours, la loi doit ĂȘtre lĂ  pour rappeler des principes, celui d’affirmer que le port du voile intĂ©gral – avec tout le symbolisme qu’il vĂ©hicule – n’est pas compatible dans les lieux publics avec l’idĂ©e que nous nous faisons de l’émancipation de la femme, de la citoyennetĂ© et de la laĂŻcitĂ©. C’est pourquoi les Radicaux de Gauche, bien conscients de toutes les difficultĂ©s d’application qu’elle poserait, sont favorables en dernier recours Ă  l’adoption d’une loi sobre et brĂšve qui interdise de se prĂ©senter dans les lieux publics le visage dissimulĂ©, s’il apparaĂźt clairement que la voie du dialogue et de l’application de la lĂ©gislation existante ne permette pas d’apporter la rĂ©ponse rĂ©publicaine nĂ©cessaire au dĂ©fi qui nous est posĂ© par ce dĂ©bat. Jean-Michel BAYLET Pascal-Eric Lalmy PrĂ©sident du PRG SecrĂ©taire national Ă  la laĂŻcitĂ© Parti socialiste Union pour un mouvement populaire Les Verts CONTRIBUTIONS DES DÉPUTÉS MEMBRES DE LA MISSION M. Christian Bataille 249 M. Jean-Paul Garraud 250 M. Christophe Guilloteau 251 M. Lionnel Luca 252 M. Georges Mothron 253 M. Jacques Myard 255 Mme BĂ©rengĂšre Poletti 256 M. Jacques RĂ©miller 258 CONTRIBUTION DE M. CHRISTIAN BATAILLE CONTRIBUTION DE M. JEAN-PAUL GARRAUD CONTRIBUTION DE M. CHRISTOPHE GUILLOTEAU CONTRIBUTION DE M. LIONNEL LUCA CONTRIBUTION DE M. GEORGES MOTHRON CONTRIBUTION DE M. JACQUES MYARD CONTRIBUTION DE MME BÉRENGÈRE POLETTI CONTRIBUTION DE M. JACQUES REMILLER CONTRIBUTIONS DE GROUPES POLITIQUES REPRÉSENTÉS À L’ASSEMBLÉE NATIONALE groupe du Nouveau Centre 261 groupe de l’Union pour un Mouvement populaire 264 GROUPE DU NOUVEAU CENTRE GROUPE DE L’UNION POUR UN MOUVEMENT POPULAIRE ASSEMBLEE NATIONALEPROPOSITION DE RESOLUTIONsur l'attachement au respect des valeurs rĂ©publicaines face au dĂ©veloppement de pratiques radicales qui y portent atteinteDĂ©posĂ©e par Jean-François COPÉ, Nicole AMELINE et François BAROINEXPOSE DES MOTIFS Tous les pays, en Europe et dans le monde, sont confrontĂ©s au dĂ©veloppement de pratiques radicales dont la forme la plus visible est l'apparition de femmes circulant, dans l'espace public entiĂšrement voilĂ©es - burqa ou niqab. Tous s'inquiĂštent de la montĂ©e en puissance du phĂ©nomĂšne et rĂ©flĂ©chissent Ă  des mesures permettant de l'endiguer. En France, aujourd'hui, 1 900 femmes - selon les chiffres communiquĂ©s par le ministĂšre de l'intĂ©rieur - vivraient, au cƓur de nos villes, en marge de la sociĂ©tĂ©, le visage dissimulĂ© sous un voile intĂ©gral. Elles sont, pour les trois-quarts, françaises. Inconnu en France il y a encore quelques annĂ©es, le phĂ©nomĂšne se dĂ©veloppe et suscite une consternation unanime. Les reprĂ©sentants de la communautĂ© musulmane sont les premiers Ă  s'inquiĂ©ter de cette pratique qu'ils ne reconnaissent pas comme une prescription religieuse et redoutent un amalgame avec la religion musulmane, qui serait Ă  la fois inacceptable et dangereux. Nous ne pouvons rester indiffĂ©rents face au dĂ©veloppement de telles pratiques qui, sous couvert de libertĂ© de manifester ses opinions et ses croyances et de relativisme culturel, sont contraires aux valeurs essentielles de la RĂ©publique française, laĂŻque, dĂ©mocratique et sociale, et de notre ordre juridique et social, fondĂ© sur l'Ă©gale dignitĂ© de tous et la lutte contre toute forme de discrimination ou d'asservissement, notamment Ă  raison du sexe. Le visage est la partie du corps qui porte l'identitĂ© de l'individu. Dissimuler son visage au regard de l'autre est une nĂ©gation de soi, une nĂ©gation de l'autre qui n'est pas digne de vous regarder et une nĂ©gation des fondements Ă©lĂ©mentaires de la vie en sociĂ©tĂ©. De plus, parce que les femmes sont seules concernĂ©es, le port du voile intĂ©gral place la femme dans un rapport de subordination Ă  l'homme, d'infĂ©rioritĂ© dans l'espace public, voire de soumission, notamment lorsque cette pratique lui est imposĂ©e. Nous devons faire preuve de fermetĂ© Ă  l'Ă©gard de ceux qui, par ces pratiques, testent la RĂ©publique » en bafouant les rĂšgles Ă©lĂ©mentaires de notre ordre public et social. Nous devons aussi tendre la main Ă  ceux qui, par mĂ©connaissance, par provocation et parfois sous la contrainte, ont choisi d'adopter des pratiques qui relĂšvent d'un communautarisme radical, trĂšs Ă©loignĂ© des idĂ©aux de tolĂ©rance et de respect de l'autre qui fondent notre sociĂ©tĂ©. Pour toutes celles qui se battent en France et dans le monde pour faire respecter les droits des femmes et leur dignitĂ©, nous devons rĂ©affirmer, avec force et si possible de maniĂšre unanime, notre attachement aux valeurs et fondements de notre RĂ©publique, libre, Ă©gale et fraternelle. Dans ce combat inlassable, la France, Patrie des Droits de l'Homme, porte une responsabilitĂ© particuliĂšre elle se doit tout Ă  la fois d'ĂȘtre un guide et une sentinelle. Tel est le sens de la prĂ©sente proposition de rĂ©solution que nous vous demandons d'adopter. PROPOSITION DE RESOLUTION L'AssemblĂ©e nationale,Vu l'article 34-1 de la Constitution,Vu l'article 136 du RĂšglement,Vu la DĂ©claration des droits de l'homme et du citoyen du 26 aoĂ»t 1789, et notamment ses articles 1er et 4 qui disposent respectivement que les hommes naissent et demeurent libres et Ă©gaux en droits » et que la libertĂ© consiste Ă  pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas Ă  autrui » ;Vu le PrĂ©ambule de la Constitution du 27 octobre 1946 qui consacre le principe constitutionnel d'Ă©galitĂ© entre les hommes et les femmes en prĂ©voyant que la loi garantit Ă  la femme, dans tous les domaines, des droits Ă©gaux Ă  ceux de l'homme » ; Vu la DĂ©claration universelle des droits de l'homme du 10 dĂ©cembre 1948, et notamment son article 1er qui Ă©nonce que tous les ĂȘtres humains naissent libres et Ă©gaux en dignitĂ© et en droits » et qu'ils sont douĂ©s de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternitĂ© » ; Vu la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des LibertĂ©s fondamentales du 4 novembre 1950, et spĂ©cialement son article 14 qui interdit, toute discrimination fondĂ©e, notamment, sur le sexe ; Vu la Convention internationale visant Ă  l'Ă©limination de toutes les formes de discrimination Ă  l'Ă©gard des femmes adoptĂ©e le 18 dĂ©cembre 1979 par l'AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations Unies CEDAW ; Vu la Charte des droits fondamentaux de l'Union europĂ©enne du 7 dĂ©cembre 2000, telle qu'adaptĂ©e le 12 dĂ©cembre 2007 et entrĂ©e en vigueur le 1er dĂ©cembre 2009, et notamment son article 20, qui stipule que toutes les personnes sont Ă©gales en droit » ; ConsidĂ©rant que la sauvegarde de la dignitĂ© de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dĂ©gradation est un principe de valeur constitutionnelle, une valeur essentielle de la RĂ©publique française et fondatrice de l'Union europĂ©enne ; RĂ©affirmant que le principe d'Ă©galitĂ©, la lutte contre toute forme de discrimination et la promotion de l'Ă©galitĂ© entre les hommes et les femmes sont au cƓur de notre ordre juridique et notre projet de sociĂ©tĂ© ; Prenant acte de ce que la lutte contre les violences faites aux femmes a Ă©tĂ© Ă©levĂ©e au rang de Grande cause nationale », 1. ConsidĂšre que les pratiques radicales attentatoires Ă  la dignitĂ© et Ă  l'Ă©galitĂ© entre les hommes et les femmes, parmi lesquelles le port d'un voile intĂ©gral, sont contraires aux valeurs de la RĂ©publique ; 2. Affirme que l'exercice de la libertĂ© d'expression, d'opinion ou de croyance ne saurait ĂȘtre revendiquĂ©e par quiconque afin de s'affranchir des rĂšgles communes au mĂ©pris des valeurs, des droits et des devoirs qui fondent la sociĂ©tĂ© ; 3. RĂ©affirme solennellement son attachement au respect des principes de dignitĂ©, de libertĂ©, d'Ă©galitĂ© et de fraternitĂ© entre les ĂȘtres humains ;4. Souhaite que la lutte contre les discriminations et la promotion de l'Ă©galitĂ© entre les hommes et les femmes soit une prioritĂ© des politiques publiques menĂ©es en matiĂšre d'Ă©galitĂ© des chances, en particulier au sein de l'Education nationale ; 5. Estime nĂ©cessaire que tous les moyens utiles soient mis en Ɠuvre pour assurer la protection effective des femmes qui auraient subies des violences ou des pressions, et notamment auraient Ă©tĂ© contraintes de porter un voile intĂ©gral contre leur grĂ© ; 6. Propose que soit initiĂ©, en lien avec les Ă©lus locaux et avec les associations qui Ɠuvrent pour la dĂ©fense du droit des femmes sur le terrain, un grand dĂ©bat national dĂ©clinĂ© localement, qui pourrait prendre la forme d'Assises nationales des droits des femmes. ASSEMBLEE NATIONALEPROPOSITION DE LOI visant Ă  interdire le port de tenues ou d'accessoires ayant pour effet de dissimuler le visage dans les lieux ouverts au public et sur la voie publique DĂ©posĂ©e par Jean-François COPÉ, Nicole AMELINE et François BAROINExposĂ© des motifsNos sociĂ©tĂ©s sont confrontĂ©es, depuis quelques annĂ©es, Ă  des menaces nouvelles, comme l'apparition de nouvelles formes de dĂ©linquance ou le dĂ©veloppement de pratiques radicales, qui ont en commun la dissimulation du visage dans l'espace public. Il s'agit, par exemple, d'actes de violences commis aux abords des stades lors de manifestations sportives par des personnes cagoulĂ©es, de hold-up commis dans des commerces par des personnes dont le visage Ă©tait totalement dissimulĂ© ou encore du port par certaines femmes, dans l'espace public, de tenues dissimulant intĂ©gralement leur visage. Si ces pratiques sont encore marginales, elles sont nĂ©anmoins en dĂ©veloppement. La France n'est pas Ă©pargnĂ©e par ce phĂ©nomĂšne qui touche l'ensemble des pays europĂ©ens. Nos concitoyens observent avec consternation cette Ă©volution dont l'exemple le plus visible est l’augmentation du nombre de femmes portant un voile intĂ©gral, appelĂ© burqa ou niqab. Les pouvoirs publics ne sont pas restĂ©s inactifs face Ă  l'Ă©mergence de ces pratiques qui apparaissent Ă  tous comme contraires aux valeurs et fondements de la RĂ©publique et constituent une menace pour l’ordre et la sĂ©curitĂ© publics. Au cours des derniĂšres annĂ©es, plusieurs sĂ©ries de mesures ont Ă©tĂ© prises soit pour encadrer les modalitĂ©s de l'exercice de la libertĂ© d'expression, d'opinion ou de croyance dans certaines circonstances, prĂ©cisĂ©ment dĂ©finies - loi de 2004 sur le port de signes religieux dans les Ă©tablissements publics d'enseignement primaire et secondaire, jurisprudence sur le refus d'accorder la nationalitĂ© française Ă  des personnes intĂ©gralement voilĂ©es-, soit pour prĂ©venir des atteintes Ă  l'ordre public - dĂ©cret dit anti-cagoules » de juillet 2009, dĂ©crets prĂ©cisant les conditions de validitĂ© des photos d'identitĂ©, par plus hautes autoritĂ©s juridictionnelles françaises et europĂ©ennes admettent que des restrictions puissent ĂȘtre apportĂ©es au principe de valeur constitutionnelle de libertĂ© d'expression, d'opinion et de croyance au nom d'autres principes de mĂȘme valeur, dĂšs lors que ces mesures sont justifiĂ©es ou, aux termes de la Convention europĂ©enne des Droits de l'homme, nĂ©cessaires, dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, Ă  la sĂ©curitĂ© publique, Ă  la protection de l’ordre, de la santĂ© ou de la morale publique, ou Ă  la protection des droits et libertĂ©s d'autrui ». MalgrĂ© ces avancĂ©es, notre droit apparaĂźt aujourd'hui encore par trop hĂ©tĂ©rogĂšne et impuissant Ă  faire face Ă  de nouvelles menaces et Ă  endiguer le dĂ©veloppement de ces pratiques radicales que nul, pourtant, ne souhaite voir s'installer sur notre territoire. La large concertation, menĂ©e dans un esprit de rassemblement, depuis six mois, avec l'ensemble des parties prenantes et des experts, a permis de dĂ©gager un consensus sur la nĂ©cessitĂ© de clarifier et de consolider notre droit dans ce domaine. En effet, ces pratiques sont incompatibles avec les valeurs essentielles de la RĂ©publique française, laĂŻque, dĂ©mocratique et sociale, ainsi qu'avec notre projet de sociĂ©tĂ© fondĂ© sur l'Ă©gale dignitĂ© de tous et la lutte contre toute forme de discrimination, notamment Ă  raison du sexe. Elles constituent des menaces Ă  l'ordre public, au sens de l'article 10 de la DĂ©claration des droits de l'homme et du citoyen qui prĂ©voit que Nul ne doit ĂȘtre inquiĂ©tĂ© pour ses opinions, mĂȘme religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public Ă©tabli par la loi ». Alors que nos sociĂ©tĂ©s sont confrontĂ©es Ă  des menaces croissantes - terrorisme bien sĂ»r, mais aussi dĂ©linquance et comportements extrĂ©mistes Ă©loignĂ©s de nos idĂ©aux d'ouverture et de tolĂ©rance-, le fait de dissimuler totalement son visage dans l'espace public constitue une menace rĂ©elle et permanente Ă  l'ordre public qui ne saurait ĂȘtre nĂ©gligĂ©e, dans l'intĂ©rĂȘt de l'ensemble de nos concitoyens. Comment accepter de ne pas savoir Ă  qui l'on s'adresse dans un commerce ? Comment accepter que des personnes se prĂ©sentent masquĂ©es dans l'espace public ? A l'heure oĂč les pouvoirs publics maintiennent un niveau d'alerte rouge du Plan Vigipirate face aux risques avĂ©rĂ©s d'un ou de plusieurs attentats graves, oĂč les municipalitĂ©s se mobilisent pour se doter de tous les moyens, y compris de vidĂ©oprotection, pour assurer Ă  tous la paix et la sĂ©curitĂ© publiques, nos concitoyens ne comprendraient pas que des personnes puissent dissimuler entiĂšrement, et sans motifs lĂ©gitimes, leur visage dans l'espace public. De mĂȘme, ces pratiques, tel le port de la burqa ou du niqab, sont Ă  l'origine d'incidents qui constituent autant d'atteintes Ă  l'ordre et Ă  la sĂ©curitĂ© publics. C'est notamment le cas lorsqu'une femme refuse d'enlever son voile pour se plier aux exigences de l'administration -guichet des prĂ©fectures, collectivitĂ©s locales, services publics - ou de la sĂ©curitĂ© publique - contrĂŽle routier, contrĂŽle d'identitĂ©. Les personnels des services hospitaliers ou les responsables des offices d'HLM sont de plus en plus souvent confrontĂ©s Ă  des difficultĂ©s que notre droit ne permet pas toujours en l'Ă©tat de rĂ©gler de maniĂšre satisfaisante. Enfin, le fait de dissimuler totalement son visage dans les lieux ouverts au public et sur la voie publique est une remise en cause profonde des rĂšgles Ă©lĂ©mentaires de la vie en sociĂ©tĂ©. Dans nos sociĂ©tĂ©s, le visage est la partie du corps qui porte l'identitĂ© de l'individu. Dissimuler son visage au regard de l'autre, c'est une nĂ©gation de soi, une nĂ©gation de l'autre et une nĂ©gation de la vie en sociĂ©tĂ©. Aussi, il convient d'affirmer, ce qui Ă©tait jusqu'Ă  prĂ©sent si Ă©vident qu'il n'avait pas Ă©tĂ© besoin de l'inscrire dans notre droit la visibilitĂ© du visage dans l'espace public est un gage de sĂ©curitĂ© pour tous et une condition indispensable du vivre ensemble». Comme l'a soulignĂ© la Cour europĂ©enne des droits de l'homme dans deux arrĂȘts du 4 dĂ©cembre 2008, dans la mesure oĂč le pluralisme et la dĂ©mocratie doivent Ă©galement se fonder sur le dialogue et un esprit de compromis, [ils] impliquent nĂ©cessairement de la part des individus des concessions diverses qui se justifient aux fins de la sauvegarde et de la promotion des idĂ©aux et valeurs d'une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique ».Tel est l'esprit de la prĂ©sente proposition de loi qui prĂ©voit d'inscrire, dans notre droit, cette rĂšgle Ă©lĂ©mentaire de la vie en sociĂ©tĂ© nul ne peut, dans les lieux ouverts au public et sur la voie publique, porter une tenue ou un accessoire ayant pour effet de dissimuler son visage sauf motifs lĂ©gitimes prĂ©cisĂ©s par dĂ©cret en Conseil d'Etat. L'article 1er pose le principe nul ne peut, dans les lieux ouverts au public et sur la voie publique, porter une tenue ou un accessoire ayant pour effet de dissimuler son visage sauf motifs lĂ©gitimes prĂ©cisĂ©s par dĂ©cret en Conseil d'Etat. Au titre des motifs lĂ©gitimes, pourraient notamment ĂȘtre visĂ©s les impĂ©ratifs liĂ©s Ă  une activitĂ© professionnelle, les contraintes mĂ©dicales ou les exigences de santĂ© publique, les obligations de sĂ©curitĂ© routiĂšre, les manifestations culturelles ou rĂ©crĂ©atives organisĂ©es en vertu d'usages constants ou d'Ă©vĂ©nements nationaux majeurs. L'article 2 prĂ©voit que la mĂ©connaissance de l'interdiction fixĂ©e par l'article 1er est punie d'une peine contraventionnelle dans des conditions fixĂ©es par dĂ©cret en Conseil d'Etat. Il appartiendra au pouvoir rĂ©glementaire de dĂ©finir le montant de l'amende, Ă©ventuellement en fonction des circonstances et, le cas Ă©chĂ©ant, des peines complĂ©mentaires ainsi que des sanctions en cas de rĂ©cidive. Une amende de 750 euros au plus pour les contraventions de la 4e classe paraĂźt au lĂ©gislateur proportionnĂ©e au regard de l'infraction commise. L'article 3 prĂ©voit que les sanctions prĂ©vues Ă  l'article 2 sont applicables aux faits constatĂ©s Ă  l'expiration d'un dĂ©lai de six mois suivant la promulgation de la prĂ©sente loi. Cette disposition vise Ă  garantir que les dispositions rĂ©glementaires prĂ©vues aux articles 1er et 2 seront effectivement prises dans un dĂ©lai raisonnable. Ce dĂ©lai doit aussi permettre aux pouvoirs publics d'organiser une information et une mĂ©diation en direction des personnes concernĂ©es, en lien avec les Ă©lus locaux et les associations de dĂ©fense des droits des 4 prĂ©voit la remise d'un rapport du Gouvernement au Parlement, chaque annĂ©e, Ă  compter de la date de la promulgation de la loi, sur l'application de ces dispositions, les mesures d'accompagnement qui auront pu ĂȘtre mises en Ɠuvre par les pouvoirs publics ainsi que sur les difficultĂ©s rencontrĂ©es. En tant que lĂ©gislateurs, nous devons apporter une rĂ©ponse de fermetĂ© face Ă  l'apparition de nouvelles formes de dĂ©linquance et au dĂ©veloppement de pratiques radicales qui n'ont pas leur place dans notre RĂ©publique. Nous devons aussi rester Ă  l'Ă©coute de ces hommes et de ces femmes, parfois en manque de repĂšres et en opposition avec les valeurs de tolĂ©rance et d'ouverture, mais aussi de respect et de responsabilitĂ©, qui sont les nĂŽtres. C'est pourquoi, nous dĂ©posons, simultanĂ©ment, une proposition de rĂ©solution afin que cette mesure soit comprise et acceptĂ©e pour ce qu'elle est une loi de libĂ©ration et non d'interdiction. L'une et l'autre forment un ensemble cohĂ©rent que nous vous demandons d'adopter. PROPOSITION DE LOI Article 1 Nul ne peut, dans les lieux ouverts au public et sur la voie publique, porter une tenue ou un accessoire ayant pour effet de dissimuler son visage sauf motifs lĂ©gitimes prĂ©cisĂ©s par dĂ©cret en Conseil d'Etat. Article 2 La mĂ©connaissance de l'interdiction fixĂ©e par l'article 1er de la prĂ©sente loi est punie d'une peine contraventionnelle dans des conditions fixĂ©es par dĂ©cret en Conseil d'Etat. Article 3 Les sanctions prĂ©vues Ă  l'article 2 sont applicables aux faits constatĂ©s Ă  l'expiration d'un dĂ©lai de six mois suivant la promulgation de la prĂ©sente loi. Article 4 Un rapport est remis, chaque annĂ©e, Ă  compter de l'entrĂ©e en vigueur de la prĂ©sente loi, par le Gouvernement au Parlement sur l'application de la prĂ©sente loi, les mesures d'accompagnement qui auront Ă©tĂ© mises en Ɠuvre par les pouvoirs publics ainsi que sur les difficultĂ©s RENDUS DES AUDITIONS ET DES TABLES RONDES Les vidĂ©os des auditions et tables rondes sont consultables sur le site de l’AssemblĂ©e nationale Ă  l’adresse suivante Audition de Mme Dounia Bouzar, anthropologue SĂ©ance du mercredi 8 juillet 2009 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Mes chers collĂšgues, je souhaite, avant de commencer nos premiĂšres auditions, procĂ©der Ă  quelques rappels essentiels. Cette Mission d’information n’a pas Ă  dĂ©cider a priori de ses conclusions et la question de savoir s’il faut lĂ©gifĂ©rer ou non n’est surtout pas un prĂ©alable. Je tiens, par ailleurs, Ă  prĂ©sider cette Mission d’information dans le mĂȘme esprit que l’a Ă©tĂ© la mission conduite par M. Bernard Stasi en 2003, c'est-Ă -dire en formulant des prĂ©conisations qui soient le plus largement partagĂ©es. L’objectif est de rĂ©aliser un Ă©tat des lieux sur le port du voile intĂ©gral et sur ce qu’il reprĂ©sente, et d’aborder, au-delĂ  de la question de la sĂ©curitĂ© publique, celle de la femme dans la sociĂ©tĂ© française. Cette approche qui Ă©tablit un lien entre fĂ©minitĂ© et laĂŻcitĂ© me paraĂźt beaucoup plus pertinente. Nous voulons permettre Ă  un islam apaisĂ©, respectueux des principes de la RĂ©publique et donc de la laĂŻcitĂ©, de trouver sa place dans notre pays et de faire ainsi reculer, au-delĂ  de la question du voile intĂ©gral, l’emprise des fondamentalistes sur la sociĂ©tĂ© civile dans certains territoires, qui s’exerce en particulier sur les femmes, souvent jeunes, voire sur des adolescentes. Empreints nous-mĂȘmes de cet Ă©tat d’esprit rĂ©publicain, nous ferons en sorte que tous les responsables politiques sortent de l’indiffĂ©rence, voire de l’aveuglement, sans pour autant nous dĂ©partir d’une certaine modestie. Ces trois derniĂšres semaines l’ont montrĂ©, ce sujet provoque un malaise dans la sociĂ©tĂ© française, et s’il est donc trĂšs important de s’en saisir, cela ne doit pas signifier pour autant que nous jouions les matamores » en imposant a priori telle ou telle solution. Nos compatriotes doivent savoir que nous souhaitons le meilleur vivre ensemble » possible, sur la base des principes qui fondent notre RĂ©publique. Pour Ă©clairer notre travail, je vous ai fait remettre le rapport de la commission de rĂ©flexion sur l'application du principe de laĂŻcitĂ© dans la RĂ©publique, dit rapport Stasi », dont une partie traite des menaces sur les libertĂ©s individuelles », en dĂ©nonçant une grave rĂ©gression de la situation des jeunes femmes ». M. Christian Bataille. Si le rapport Stasi, remis en 2003, est trĂšs intĂ©ressant, n’oublions pas, dans le mĂȘme temps, la mission d'information sur la question du port des signes religieux Ă  l'Ă©cole, dont M. Jean-Louis DebrĂ© Ă©tait Ă  la fois prĂ©sident et rapporteur. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Ce rapport, ainsi que le rapport de M. AndrĂ© Rossinot de septembre 2006, relatif Ă  la laĂŻcitĂ© dans les services publics – document tout aussi important –, seront Ă©galement mis Ă  la disposition des membres de la Mission. Pour ce qui concerne le calendrier des travaux, je vous propose que nous terminions nos auditions aux environs du 10 dĂ©cembre prochain afin de pouvoir remettre le rapport et ses prĂ©conisations au plus tard Ă  la fin du mois de janvier 2010. AprĂšs avoir auditionnĂ© aujourd’hui deux personnalitĂ©s qui ont marquĂ© le dĂ©bat qui s’est ouvert grĂące Ă  notre initiative, nous auditionnerons la semaine prochaine, sous la forme d’une table ronde, les reprĂ©sentants de cinq associations de dĂ©fense des droits des femmes le Planning familial ; la Coordination française pour le lobby europĂ©en des femmes – CLEF ; Femmes solidaires ; la FĂ©dĂ©ration nationale solidaritĂ© femmes ; la Ligue du droit international des femmes. À la rentrĂ©e, nous pourrions, dĂ©but septembre, auditionner des maires de l'Association Ville et banlieue de France, mais aussi la prĂ©sidente de Ni putes ni soumises, avant d’entendre des reprĂ©sentants des associations qui dĂ©fendent le principe de laĂŻcitĂ©, ainsi que des spĂ©cialistes des banlieues. Un calendrier des auditions du mois de septembre vous sera adressĂ© d’ici Ă  la fin de nos travaux de ce mois de juillet. Toutes vos suggestions sont Ă©videmment les bienvenues et le secrĂ©tariat de la Mission se tient Ă  votre disposition. Je proposerai enfin de faire rĂ©guliĂšrement le point entre nous, en tirant par exemple un premier bilan d’étape le mercredi 23 septembre. M. Lionnel Luca. La possibilitĂ© pour la Mission de se dĂ©placer est-elle envisagĂ©e, notamment pour aller Ă  la rencontre de groupes qui dĂ©fendent la lĂ©gitimitĂ© du port de la burqa ou du niqab ? M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Nous avons renvoyĂ© Ă  dĂ©but septembre l’examen d’éventuels dĂ©placements. Il faudra dĂ©finir les lieux et la mĂ©thode. Ils pourraient se faire en lien avec l’Association des maires de France – je vais Ă©crire en ce sens Ă  son prĂ©sident –, la seule rĂ©serve Ă©tant d’éviter tout spectacle mĂ©diatique. Il nous faudra, en effet, veiller Ă  ne pas donner l’impression d’instrumentaliser un problĂšme dĂ©jĂ  suffisamment complexe et controversĂ©. Mme Françoise Hostalier. Il serait intĂ©ressant d’auditionner Ă©galement des reprĂ©sentants de l’éducation nationale, afin de connaĂźtre leur opinion Ă  la fois sur le plan pratique, s’agissant, par exemple, de la prĂ©sence de mamans en burqa Ă  la sortie des Ă©coles et de l’accompagnement des sorties scolaires, et sur le plan Ă©ducatif, sachant que des jeunes filles françaises qui ont suivi une scolaritĂ© dans nos Ă©coles sont parfois les plus engagĂ©es en matiĂšre de port de la burqa. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Nous nous saisirons des problĂšmes qui se posent pour l’ensemble des services publics, dont l’éducation nationale, bien Ă©videmment. * * * M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Mes chers collĂšgues, je suis maintenant heureux d’accueillir, pour la premiĂšre audition de notre Mission d’information, Mme Dounia Bouzar, anthropologue du fait religieux. Madame Bouzar, notre premier travail, comme vous le savez, est de procĂ©der Ă  un Ă©tat des lieux de la pratique du port de la burqa ou du niqab, pratique que vous connaissez particuliĂšrement bien en raison de votre parcours vous avez travaillĂ© auprĂšs des jeunes des banlieues et comme Ă©ducatrice Ă  la Protection judiciaire de la jeunesse. Lors du dĂ©bat sur le port de signes religieux au sein de l’école publique, vous avez publiĂ© avec Mme SaĂŻda Kada, qui revendique le port du voile, un ouvrage dont le titre est Ă©vocateur L’une voilĂ©e, l’autre pas. Vous avez Ă©galement Ă©tĂ© membre, comme personne qualifiĂ©e, du Conseil français du culte musulman de 2003 Ă  2005, date Ă  laquelle vous avez dĂ©cidĂ© de dĂ©missionner de cette instance. Vous avez rĂ©cemment pris une position trĂšs claire Ă  propos de la pratique du voile intĂ©gral en expliquant que la burqa ou le niqab n’était pas un signe religieux, mais le produit d’une dĂ©rive sectaire. Selon vous, il ne faut pas aborder le problĂšme du voile intĂ©gral en le reliant Ă  l’islam, car cela reviendrait Ă  valider la dĂ©marche de ces mouvements sectaires qui appellent au port de ce type de voile et Ă  renforcer leur autoritĂ©. Mme Dounia Bouzar, anthropologue. Monsieur le prĂ©sident, Monsieur le rapporteur, Mesdames et Messieurs les dĂ©putĂ©s, sachez d’abord qu’en tant qu’ancienne Ă©ducatrice et jeune anthropologue universitaire, je n’étudie jamais ce que l’islam dit, mais toujours ce que les hommes et les femmes comprennent de l’islam, et pourquoi. Mes derniĂšres recherches portent exactement sur la question de savoir comment les jeunes nĂ©s en France, socialisĂ©s Ă  l’école de la RĂ©publique, ayant appris Ă  dire je » et grandi avec Élisabeth, qui ne croit pas en Dieu, avec David, qui est juif, et avec Marie, qui est chrĂ©tienne, interprĂštent l’islam lorsqu’ils se le rĂ©approprient – autrement dit, comment se construit la comprĂ©hension de l’islam dans notre sociĂ©tĂ©. Aujourd’hui, s’il est question du voile intĂ©gral, je ne parlerai pas beaucoup du niqab en lui-mĂȘme – de ce qui se voit –, mais surtout de la face cachĂ©e de l’iceberg, en posant la question de savoir comment et pourquoi un certain discours dit religieux » fait aujourd’hui autoritĂ© sur des jeunes, Ă  la diffĂ©rence de ce qui se passait il y a encore quelques annĂ©es. Auparavant, passant devant un prĂ©dicateur gourou, les jeunes en parlaient Ă  leur Ă©ducateur comme d’un charlatan. Aujourd’hui, ils sont de plus en plus nombreux Ă  s’arrĂȘter pour Ă©couter leur discours – Ă©ducateurs, Ă©lus, imams, parents, tous le reconnaissent. Les rĂ©flexions que je vais partager avec vous sont le fruit de deux travaux de recherche. En tant que chargĂ©e de mission Ă  la Protection judiciaire de la jeunesse, j’ai d’abord menĂ© une recherche-action pendant trois ans avec une cinquantaine de professionnels de la jeunesse – conseillers principaux d’éducation, proviseurs, Ă©ducateurs, religieux, psychologues, psychothĂ©rapeutes, psychanalystes, etc. – auprĂšs de jeunes endoctrinĂ©s, ce qui a abouti au livre Quelle Ă©ducation face au radicalisme religieux ? qui a reçu le prix de l’AcadĂ©mie des sciences morales et politiques en 2006. Pour prolonger cette rĂ©flexion, j’ai ensuite Ă©tudiĂ© les Ă©tapes de l’endoctrinement opĂ©rĂ© par le discours radical, recherche qui a Ă©tĂ© publiĂ©e sous le titre L’intĂ©grisme, l’islam et nous. Sur le terrain, tous les interlocuteurs des jeunes sont d’accord pour dire que le discours sectaire ne touche pas uniquement des jeunes issus de famille de rĂ©fĂ©rence musulmane. Il touche tout autant des jeunes issus de familles de rĂ©fĂ©rence athĂ©e, agnostique, chrĂ©tienne ou juive. Vous l’entendrez tout au long des tĂ©moignages qui suivront ce discours arrive Ă  faire autoritĂ© sur des jeunes qui a priori n’ont pas tous des problĂšmes d’histoire, d’immigration, de mĂ©moire, d’identitĂ©, etc. Avant de dĂ©velopper l’analyse de ce discours, je tiens Ă  m’assurer que nous employons les mĂȘmes mots pour parler de la mĂȘme chose, car, pour reprendre une citation d’Albert Camus, mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». Commençons donc par ne pas confondre le foulard, la burqa et le niqab. Le foulard musulman, appelĂ© aussi hijab, fait partie de l’histoire musulmane. Un dĂ©bat existe au sein de la communautĂ© musulmane entre ceux qui pensent que porter le foulard Ă©tait simplement un moyen de protĂ©ger les femmes au VIIe siĂšcle dans une sociĂ©tĂ© violente, et ceux qui croient qu’il s’agit d’une obligation devant s’appliquer quels que soient le lieu et l’époque. Les islamistes, qui se sont appropriĂ© le foulard, l’ont ainsi promu objet politique. En France, les jeunes filles qui revendiquent le foulard le font souvent pour des motifs trĂšs diffĂ©rents sentiment de renforcer sa foi, endoctrinement islamiste ou, au contraire, rĂ©appropriation de l’islam, soumission Ă  la pression du quartier ou de la famille, etc. Le foulard ne correspond pas Ă  un seul discours, Ă  une seule vision du monde il n’a donc pas qu’une seule signification. La burqa est un vĂȘtement traditionnel des tribus pachtounes d’Afghanistan, qui couvre les femmes avec une sorte de grille devant les yeux. À ma connaissance, on ne le rencontre pas encore en Occident. Il existait avant l’islam, mais les talibans l’imposent comme s’il Ă©tait un commandement divin. Comme la burqa, le niqab Ă©tait d’abord un vĂȘtement traditionnel. Mais certains savants ont rĂ©ussi Ă  l’imposer au dĂ©but du XXe siĂšcle en Arabie saoudite. Le niqab est une sorte de drap noir prescrit par les groupes qui se disent salafistes », alors que les vĂ©ritables salafistes sont ceux qui, dans les annĂ©es 1930, se sont voulus – aprĂšs s’ĂȘtre demandĂ©s pourquoi ils avaient Ă©tĂ© colonisables – les rĂ©novateurs de l’islam en retournant aux fondements religieux afin d’en moderniser les interprĂ©tations. Les groupuscules actuels ont donc usurpĂ© le mot salafiste ». La pensĂ©e salafiste ne correspond pas Ă  une application des textes ni Ă  un retour Ă  l’histoire musulmane. Les groupuscules qui s’y rĂ©fĂšrent n’en sont qu’une Ă©manation moderne, apparue au dĂ©but du XXe siĂšcle en rĂ©action au dĂ©clin du monde musulman. Le niqab est ainsi entrĂ© dans l’histoire de l’islam il y a un peu plus de soixante-dix ans, alors que cette religion existe depuis quatorze siĂšcles. S’agissant de la question principale de savoir comment ces groupuscules font autoritĂ© sur les jeunes, il convient d’abord de comprendre que ces derniers n’ont pas de lien direct avec des groupes politiques du Moyen-Orient. Il semble d’ailleurs trĂšs difficile de classifier les jeunes selon des critĂšres traditionnels ils ne relĂšvent pas de zones gĂ©ographiques dĂ©finies ; ils ne mettent pas en avant des revendications construites ; ils n’obĂ©issent pas Ă  de mĂ©thodes d’action structurĂ©es ; ils n’ont pas de combat politique Ă©laborĂ©. Un seul point est clair les salafistes font miroiter aux jeunes l’idĂ©e qu’ils seront tout puissants en devenant les Ă©lus de Dieu. À cet Ă©gard, le discours salafiste prĂ©sente plusieurs caractĂ©ristiques. La premiĂšre caractĂ©ristique est qu’il s’agit d’un discours sectaire. Cette affirmation n’est ni un procĂšs d’intention ni un jugement de valeur, mais le rĂ©sultat de l’étude de l’effet du discours alors que le mot religion » vient du latin relegere et religare, c’est-Ă -dire accueillir » et relier », le mot secte » signifie suivre » et sĂ©parer ». C’est donc bien l’effet du discours qui me permet de le qualifier de sectaire lorsque la religion provoque de l’auto-exclusion et l’exclusion des autres, on peut parler de secte. On utilise la religion pour construire une frontiĂšre infranchissable entre l’adepte et les autres, frontiĂšre matĂ©rialisĂ©e, dans notre cas, par le niqab, ce drap noir qui a au moins le mĂ©rite d’ĂȘtre sans ambiguĂŻtĂ© sur sa fonction celle d’ĂȘtre une coupure, une frontiĂšre infranchissable. DeuxiĂšme caractĂ©ristique le discours salafiste est un processus de purification interne. Les salafistes se prĂ©sentent comme un groupe purifiĂ©, possĂ©dant la vĂ©ritĂ© et supĂ©rieur au reste du monde les juifs, les chrĂ©tiens, mais aussi les autres musulmans qui ne sont pas comme eux. Pour fortifier ce groupe purifiĂ©, le prĂ©dicateur gourou explique qu’il existe un complot pour maintenir les musulmans en position de dominĂ©s. Il assure que leur groupe est en danger parce que les autres » ont compris qu’il dĂ©tient, lui, la vĂ©ritĂ©. Le discours salafiste a besoin de la haine Ă  l’égard de l’Occident pour faire autoritĂ© et c’est en accentuant le sentiment de persĂ©cution qu’il trouve sa justification. Les adeptes doivent considĂ©rer les autres » comme un tout nĂ©gatif afin de se percevoir comme un tout positif. TroisiĂšme caractĂ©ristique l’unitĂ© totale entre membres. Les prĂ©dicateurs gourous transmettent une idĂ©e de la religion sublimĂ©e qui fait rĂȘver les jeunes de toute puissance. L’image qu’ils donnent de la religion est tellement inaccessible que, pour espĂ©rer atteindre cette toute-puissance, la seule possibilitĂ© pour le jeune est d’imiter le prĂ©dicateur qui en parle. Ce qui compte, c’est de se ressembler. Avec ce discours, l’individu perd ses propres contours identitaires parce qu’il a le sentiment d’ĂȘtre le mĂȘme » que les autres et de percevoir exactement les mĂȘmes Ă©motions. L’identitĂ© du groupe remplace l’identitĂ© de l’individu. Pour arriver Ă  subordonner les jeunes au groupe, le prĂ©dicateur gourou les arrache Ă  tous ceux qui assurent traditionnellement leur socialisation au prĂ©texte que ceux-ci ne sont pas dans la vĂ©ritĂ© enseignants, Ă©ducateurs, animateurs, patrons, imams et mĂȘme parents ! La coupure avec ces derniers est ainsi devenue un diagnostic de la radicalisation. Il s’agit d’exagĂ©rer les ressemblances entre adeptes et d’exacerber les diffĂ©rences avec les autres », l’extĂ©rieur, parce qu’à l'intĂ©rieur du groupe, les uns ne doivent pas se distinguer des autres, le je » doit devenir un nous ». Toute diffĂ©rence doit ĂȘtre anĂ©antie. On coupe les jeunes de leur famille pour qu’il n’y ait pas de diffĂ©rences entre eux. La transmission familiale du savoir religieux est remise en cause ce que leur pĂšre dit de l’islam n’est pas valable puisque seul le groupe possĂšde la vĂ©ritĂ©. Et au mĂȘme titre que les diffĂ©rences familiales, les diffĂ©rences sexuelles sont bannies les groupes ne sont pas mixtes. La dĂ©sexualisation est totale, car si on n’élĂšve pas un mur entre les hommes et les femmes, les uns et les autres pourraient prendre conscience qu’il existe des diffĂ©rences entre eux. Toutes les idĂ©ologies de rupture reposent sur des exaltations de groupe. À cet effet, il faut une seule reprĂ©sentation du monde, une seule grille de lecture. On prouve aux jeunes que leur colĂšre est justifiĂ©e. Tout le systĂšme ne prĂ©voit-il pas de les exclure parce qu’ils sont musulmans ? Rachid n’a pas rĂ©ussi son bac ? C’est parce qu’il est musulman ! Samir a perdu son pĂšre Ă  la suite d’un accident de travail ? C’est parce qu’il est musulman ! On uniformise leur vision du monde. Tous ceux qui sont contre eux le sont pour diviser et pour mieux rĂ©gner. Ces jeunes en arrivent ainsi Ă  subir des modifications psychiques au point qu’ils semblent ĂȘtre en Ă©tat de quasi-hypnose, animĂ©s par un mimĂ©tisme effrayant. Tel est l’objectif du discours salafiste faire en sorte que les jeunes ne pensent plus. QuatriĂšme caractĂ©ristique de ce discours il propose un espace de substitution virtuel, supĂ©rieur au monde. Les plus touchĂ©s sont surtout les jeunes qui se sentent de nulle part – ce qu’a Ă©galement mis en Ă©vidence la grande Ă©tude internationale de Marc Sageman – ceux qui ne se sentent liĂ©s ni au territoire d’origine de leurs parents, ni Ă  une origine ethnique, ni Ă  une appartenance locale – ils ne se pensent pas Marseillais, Roubaisiens, etc. Alors que le lien territorial, quel qu’il soit, semble protĂ©ger les jeunes, le discours salafiste explique au contraire que se sentir de nulle part signifie que l’on est Ă©lu, que l’on est supĂ©rieur aux Arabes, aux EuropĂ©ens, aux Asiatiques et, bien entendu, aux AmĂ©ricains. C’est en cela qu’il propose un territoire de substitution virtuel. Ce n’est pas pour rien d’ailleurs que 99 % de l’endoctrinement se fait par un moyen de communication virtuel Internet. Ce n’est qu’une fois endoctrinĂ©s que les internautes se rencontrent. CinquiĂšme caractĂ©ristique l’illusion de s’inscrire dans une filiation sacrĂ©e. Le discours salafiste fait croire aux jeunes que la seule façon de possĂ©der la vĂ©ritĂ© consiste Ă  raisonner comme les pieux ancĂȘtres. Au lieu de se rĂ©fĂ©rer au ProphĂšte, on s’identifie Ă  lui. On ne se rĂ©fĂšre pas Ă  lui, comme un croyant habituel, pour trouver du sens Ă  son existence et construire sa vie sur terre. On ne raisonne que par analogie. On enjambe la chronologie pour entrer dans un temps sacrĂ©. On rejoue l’époque de ce que l’on considĂšre comme la crĂ©ation du monde, du premier temps de l’islam. En rĂ©pĂ©tant de maniĂšre obsessionnelle les rituels, on recrĂ©e l’atmosphĂšre sacrĂ©e du temps oĂč Dieu a parlĂ©. On donne l’illusion aux jeunes d’ĂȘtre proches de Dieu. On leur demande du mimĂ©tisme alors qu’un croyant habituel se ressource pour trouver du sens Ă  sa vie. DerniĂšre caractĂ©ristique le discours salafiste rend tout-puissant. Les imams Ă©voquent leur difficultĂ© Ă  parler thĂ©ologie avec ces jeunes, ce qui signifie d’ailleurs qu’il ne suffira pas d’envoyer de bons imams, bien formĂ©s, pour rĂ©gler le problĂšme. Ces jeunes inversent, en effet, la question de l’autoritĂ© alors qu’un croyant habituel se soumet Ă  l’autoritĂ© de Dieu pour ĂȘtre dans le droit chemin sur terre, ils s’approprient en leur nom propre l’autoritĂ© de dieu pour s’ériger en autoritĂ©s sur les autres. Les psychologues appellent cela un Ă©clatement du moi » c’est moi qui existe, c’est moi qui dĂ©cide, c’est moi qui donne la norme. » Sous prĂ©texte que seul le Coran fait autoritĂ©, qu’il n’y a pas de clergĂ© et que l’imam ne sait pas, ils dĂ©cident qu’eux seuls savent ce que Dieu a dit puisqu’il n’y a personne au-dessus d’eux Ă  part Dieu. De nombreux Ă©ducateurs se sont surpris Ă  parler de ces jeunes de la mĂȘme façon qu’ils auraient Ă©voquĂ©, il y a quelques annĂ©es, des jeunes toxicomanes. Le profil est en effet similaire pas d’intĂ©gration de la loi au sens symbolique du terme, recherche du plaisir immĂ©diat – l’extase –, absence frĂ©quente de figure paternelle structurante, manque de repĂšre de temps et de lieu, etc. Les psychologues ont notĂ© que ces jeunes font souvent appel Ă  Dieu comme Ă  un pĂšre symbolique qui fait loi – qui pose la limite – ou qui doit faire loi. Ajoutons Ă  cela que le discours fait d’autant plus autoritĂ© sur des jeunes qu’ils ne connaissent pas leur religion, l’islam ou autre. En rĂ©sumĂ©, il s’agit de jeunes qui ont grandi sans ancrage territorial, avec des problĂšmes d’appartenance et de mĂ©moire. Comme tous les discours totalitaires et sectaires, le discours salafiste construit des nouvelles frontiĂšres l’adepte n’a plus d’espace privĂ© ; les lois du groupe envahissent le privĂ© jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien de l’individu. Aussi convient-il Ă©galement de s’interroger sur les moyens de dĂ©samorcer l’autoritĂ© du discours salafiste comment contrer la construction imaginaire d’une communautĂ© de substitution et ne pas renforcer l’exaltation de groupe fondĂ©e sur le sentiment de persĂ©cution ? Faire comme si on ne voyait rien serait, de mon point de vue d’ancienne Ă©ducatrice et d’anthropologue, pire que tout. Ne pas ĂȘtre choquĂ© du comportement de ces jeunes c’est, en effet, l’entĂ©riner comme musulman. Au contraire, s’étonner de ce drap noir, c’est refuser de reconnaĂźtre ce type de comportement comme religieux l’islam ne peut pas ĂȘtre une religion aussi archaĂŻque qui enferme ainsi les femmes. S’étonner, ĂȘtre choquĂ©, ĂȘtre offensĂ© par le niqab, c’est respecter l’islam, c’est montrer que la France n’a pas une vision archaĂŻque de cette religion. C’est aussi une façon d’introduire une faille dans les certitudes des jeunes en question. Le jeune endoctrinĂ© veut nous prĂ©senter son comportement comme une simple application de l’islam ? En Ă©tant choquĂ©s, nous pouvons le dĂ©stabiliser et l’obliger Ă  se remettre Ă  Ă©laborer une pensĂ©e – et Ă  reprendre ainsi sa place dans la sociĂ©tĂ© – sur ce qu’il voulait prĂ©senter comme un simple commandement divin, automatique, normal, banal. En revanche, si la sociĂ©tĂ© pose le dĂ©bat en considĂ©rant le niqab comme musulman, l’effet sera inverse. Une telle attitude validerait le prĂ©texte religieux de ces groupuscules sectaires et renforcerait leur pouvoir puisque cela reviendrait Ă  les reconnaĂźtre comme des religieux parmi d’autres, et non pas comme des individus qui instrumentalisent la religion. Tandis que certains dĂ©nonceraient alors la stigmatisation de l’islam, d’autres feraient, au contraire, le procĂšs de l’islam, cette religion incapable d’évoluer ». Ce serait dramatique. Dans tous les cas, les musulmans se retrouveraient dans une situation oĂč dĂ©fendre l’islam passerait par la dĂ©fense du niqab et oĂč combattre le niqab reviendrait Ă  passer pour un traĂźtre. Le niqab deviendrait le symbole de la dĂ©fense de l’islam ! DĂ©jĂ , des musulmans qui luttent contre ces groupuscules depuis des annĂ©es, se demandant ce que les autoritĂ©s attendent pour bannir les salafistes qui, pour eux, salissent leur religion, commencent Ă  s’interroger, Ă  parler de libertĂ© de conscience, alors mĂȘme qu’ils ont toujours soutenu que le niqab n’était pas musulman. Victimes tous les jours de discriminations et de stigmatisations, ils ne supporteront pas un nouveau procĂšs de l’islam. Or toute nouvelle mesure prise contre l’islam offrirait une opportunitĂ© lĂ©gale Ă  tous ceux qui pratiquent la discrimination Ă  l’égard des musulmans que ce soit pour refuser Ă  des femmes voilĂ©es l’accĂšs aux banques, aux mĂ©decins ou Ă  des lieux publics. Pour eux, une nouvelle loi conforterait les discriminants qui pourraient alors faire l’amalgame entre niqab et foulard voire les empĂȘcherait de pratiquer leur religion. Au lieu de contrer le phĂ©nomĂšne d’exaltation de groupe du discours salafiste, le fait de poser le dĂ©bat sur un plan religieux le renforcerait et pourrait mĂȘme, par solidaritĂ©, conduire des filles Ă  changer leur foulard en niqab. En qualitĂ© d’éducatrice et d’anthropologue, j’estime, au contraire, trĂšs important de poser le dĂ©bat plutĂŽt sur le plan sĂ©curitaire, comme l’a fait la Belgique. Interdire Ă  tous les citoyens la dissimulation dĂ©libĂ©rĂ©e et permanente d’identitĂ©, quel que soit le moyen utilisĂ© – cagoule, niqab, burqa, que sais-je encore ? – permettrait Ă  la fois – de traiter tous les citoyens de la mĂȘme façon, conformĂ©ment Ă  notre philosophie ; – de rĂ©affirmer que tout individu est une personne diffĂ©rente et diffĂ©renciĂ©e, qui vit dans une sociĂ©tĂ© diverse, ce qui permettrait d’ailleurs d’en finir avec l’argument selon lequel la France n’assumerait pas sa diversitĂ© ; au contraire, c’est le niqab qui apparaĂźt comme l’anti-diversitĂ© en prĂŽnant une uniformisation des femmes qui ne les rend plus discernables les unes des autres – en interdisant le niqab, nous revendiquons le droit Ă  la diffĂ©rence ; – d’enlever un outil prĂ©cieux aux gourous ; – de cadrer les endoctrinĂ©s et de les remettre dans la rĂ©alitĂ© terrestre le monde d’ici-bas ; – de libĂ©rer, le cas Ă©chĂ©ant, les victimes voilĂ©es de force ; – tout cela sans attaquer ni stigmatiser l’islam. Vous aurez certainement remarquĂ© que je n’ai pas parlĂ© une seule fois des droits des femmes. C’est d’abord parce que, en tant qu’éducatrice, je suis profondĂ©ment persuadĂ©e que les garçons endoctrinĂ©s par le discours salafiste sont tout autant victimes que les femmes, mĂȘme si la nĂ©gation de l’individu et la rupture sociale sont moins visibles pour eux. Ils subissent la mĂȘme rupture, la mĂȘme indiffĂ©renciation, le mĂȘme endoctrinement, la mĂȘme violence vis-Ă -vis de leur socialisation et de leur construction psychique. C’est ensuite parce que fonder le dĂ©bat sur la question des droits des femmes serait vĂ©cu comme une nouvelle façon de donner des leçons au monde musulman. Il faut en finir avec le rapport de force dominant-dominĂ©, et avec le discours – qui date de la pĂ©riode coloniale – de celui qui sait Ă  destination de celui qui doit Ă©voluer. Les musulmans de France voudraient maintenant ĂȘtre traitĂ©s Ă  Ă©galitĂ©. Ils ne supportent plus les discours ignorants et idĂ©ologues qui prĂ©sentent une vision du monde bipolaire avec, d’un cĂŽtĂ©, l’Occident qui aurait tout inventĂ© et, de l’autre, le monde arabo-musulman qui serait, par essence, archaĂŻque. Ils n’acceptent plus toutes ces reprĂ©sentations nĂ©gatives qui structurent le dĂ©bat public sur l’islam en France et qui ne font que reprendre les interprĂ©tations des intĂ©gristes. Cela revient Ă  laisser ces derniers dĂ©finir les termes de ce dĂ©bat. Ils ne supportent plus non plus que l’on fasse semblant de croire que les cheveux au vent seraient le seul symbole de l’égalitĂ© hommes-femmes, pendant que des publicistes continuent en toute impunitĂ© Ă  rĂ©duire les femmes Ă  des objets sexuels pour vendre un yaourt. Comme le prĂ©sident Obama l’a Ă©noncĂ©, il est temps que tous les Hommes se donnent la main pour arriver Ă  certaines valeurs communes, quel que soit le moyen choisi. Ce qui compte, ce n’est pas de montrer ses cheveux ou pas, de s’arrĂȘter Ă  tel ou tel ProphĂšte, de croire ou pas, mais de dĂ©fendre des valeurs l’égalitĂ©, et notamment l’égalitĂ© entre les hommes et les femmes, la libertĂ©, la fraternitĂ©. Pour avancer ensemble, dans un projet commun, avec toutes nos mĂ©moires, encore faut-il y voir et encore faut-il se voir. Je conclurai cette prĂ©sentation par un souhait personnel. J’espĂšre, pour la cohĂ©sion nationale, que l’autoritĂ© du discours sectaire sera dĂ©samorcĂ©e, en posant le dĂ©bat sur le plan de la sĂ©curitĂ©. Ainsi, tous les dĂ©mocrates rĂ©publicains, qu’ils soient de rĂ©fĂ©rence athĂ©e, agnostique, juive, chrĂ©tienne ou musulmane, pourront se donner la main dans ce combat typiquement français. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Je vous remercie. Pour ce qui est de la terminologie, je crois utile de prĂ©ciser que le vĂȘtement dont nous traitons ici est le voile intĂ©gral. Je rappelle, en outre, que la mission a pour objectif de dresser un Ă©tat des lieux et d’ouvrir un dĂ©bat, voire d’engager une co-construction avec les associations fĂ©minines, les associations laĂŻques et les associations musulmanes dĂ©sireuses d’un islam apaisĂ© et respectueux des principes de la RĂ©publique et de la laĂŻcitĂ©. Enfin, la mission n’a pas pour vocation de dĂ©terminer a priori s’il y aura une loi. Au terme de notre travail, nous formulerons des prĂ©conisations, que nous souhaiterions voir partagĂ©es le plus largement possible, y compris par les musulmans. M. Éric Raoult, rapporteur. Il semble que le port du voile intĂ©gral ne concerne pas seulement les jeunes, mais aussi des femmes musulmanes quadragĂ©naires ou quinquagĂ©naires. Par ailleurs, il apparaĂźt aussi qu’un changement d’attitude s’est opĂ©rĂ© rĂ©cemment au sein de la communautĂ© musulmane. Il y a une dizaine d’annĂ©es, nous avions des exemples oĂč l’imam ou le prĂ©sident d’association refusait l’accĂšs Ă  la mosquĂ©e en raison de la tenue portĂ©e. Or, depuis quelques mois, depuis qu’on a parlĂ© publiquement du voile intĂ©gral, on semble observer une sorte de solidarisation » au sein de la communautĂ© musulmane. M. Lionnel Luca. Au vu de la distinction qui a Ă©tĂ© faite entre burqa et niqab – c’est-Ă -dire entre un vĂȘtement qui remonte aux temps prĂ©islamiques et un autre qui ne se serait imposĂ© que depuis soixante-dix ans –, il conviendrait de prĂ©ciser l’intitulĂ© de notre mission, qui devrait dĂ©sormais Ă©voquer le port du voile intĂ©gral ». Cela permettrait d’éviter des confusions, notamment dans les mĂ©dias. Pour ce qui concerne l’éventualitĂ© d’une loi qui pourrait porter sur la sĂ©curitĂ©, quel mode d’action jugeriez-vous opportun pour appliquer les prĂ©conisations de la Mission ? M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. En rĂ©ponse Ă  la remarque de M. Luca, je vais saisir le prĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale afin de lui demander de soumettre Ă  la prochaine ConfĂ©rence des prĂ©sidents le changement d’intitulĂ© de notre Mission en substituant aux termes burqa et niqab celui de voile intĂ©gral. M. Jacques Myard. L’histoire de l’islam pullule de mouvements sectaires, gĂ©nĂ©ralement recadrĂ©s, un jour ou l’autre, au sein mĂȘme de l’islam. Cependant, votre dĂ©marche, qui se situe uniquement du point de vue de la foi, n’est pas sans susciter un certain malaise, particuliĂšrement ici, Ă  l’AssemblĂ©e nationale. En outre, vous n’évoquez qu’à la fin de votre propos les consĂ©quences de cette situation sur le groupe particulier que constituent les femmes. Je ne peux pas accepter votre approche, qui nous entraĂźnerait dans ce que Max Weber a appelĂ© la guerre des dieux ». Au nom de quoi dĂ©ciderions-nous de ce qu’est la religion ? Il n’y a pas en France de ministĂšre chargĂ© de dĂ©cider de ce que doit ĂȘtre la religion – car le ministĂšre chargĂ© des cultes les considĂšre dans une perspective trĂšs diffĂ©rente. Si donc je souscris Ă  votre analyse de la dĂ©marche sectaire, bien dĂ©crite au demeurant dans le cadre des trois commissions d’enquĂȘte dĂ©jĂ  consacrĂ©es Ă  ces dĂ©rives, il me semble qu’en jugeant de la foi des autres, nous risquerions d’attiser les tensions. Mme BĂ©rengĂšre Poletti. Je souscris Ă  la premiĂšre partie de votre exposĂ© ces jeunes, hommes ou femmes, sont victimes et bourreaux en mĂȘme temps. Un jeune musulman auprĂšs de qui je m’informais m’affirmait que, pour peu qu’il trouve le bon vecteur, il pourrait Ă  volontĂ© faire de ces jeunes des kamikazes. Quant Ă  la toute-puissance, elle s’exerce d’abord sur les femmes, qui sont les plus grandes victimes. Existe-t-il des alternatives Ă  ce pouvoir de soumission ? Dans mon dĂ©partement, des jeunes ont rĂ©cemment refusĂ© de se soumettre au contrĂŽle des billets dans un train, sous prĂ©texte que le contrĂŽleur Ă©tait une femme. On sait aussi que certaines patientes quittent l’hĂŽpital, parfois en plein accouchement, parce que le mĂ©decin est un homme. Que penser des municipalitĂ©s qui, cĂ©dant Ă  la demande, instaurent des crĂ©neaux horaires rĂ©servĂ©s aux femmes dans les piscines ? La question touche donc particuliĂšrement les femmes, mĂȘme si les hommes en sont Ă©galement victimes. M. Jean Glavany. J’ai relevĂ© trois contradictions. Tout d’abord, vous avez plaidĂ© contre une loi de stigmatisation, puis pour une loi de sĂ©curitĂ© » ou de respect d’une diversitĂ© assumĂ©e. Pouvez-vous prĂ©ciser ce point ? En deuxiĂšme lieu, vous affirmez que le port du voile n’est pas une question religieuse. Comme l'a dit M. Myard, le rĂŽle des parlementaires de la RĂ©publique n'est pas de faire l'exĂ©gĂšse des religions et cela ne m'intĂ©resse pas de savoir si l'islam prĂ©conise ou non le port du voile. Je souhaiterais, en revanche, savoir si, comme c’est le cas pour toutes les religions, il existe, Ă  cĂŽtĂ© de l'immense majoritĂ© de ceux pour qui prime l’intĂ©rĂȘt collectif, des groupes extrĂ©mistes, intĂ©gristes ou fondamentalistes – je pense aux salafistes » que vous Ă©voquiez – qui veulent dĂ©stabiliser la RĂ©publique et face auxquels celle-ci devrait se dĂ©fendre. Enfin, bien que vous affirmiez que la question est asexuĂ©e, j'observe que ce n'est pas aux jeunes garçons que l'on demande de porter le niqab, mais seulement aux femmes. Pour avoir travaillĂ© longtemps sur le problĂšme de l'Afghanistan, je sais que la question de la burqa y est liĂ©e aux droits des femmes. M. Pierre Forgues. Les conclusions de Mme Bouzar ne laissent pas de m’étonner. Tout d'abord, Ă©voquer la dĂ©rive sectaire qu’est le salafisme n’est pas faire le procĂšs de l'islam. Ensuite, il ne me paraĂźt pas suffisant de placer le dĂ©bat sur le seul registre sĂ©curitaire, car il faudrait montrer en quoi rĂ©side l’insĂ©curitĂ©. En outre, il faut aborder sans tabou la question de la libĂ©ration des femmes. La meilleure façon de lutter contre les dĂ©rives sectaires est de faire en sorte que les musulmans interviennent eux-mĂȘmes. Si donc je souscris Ă  votre analyse, mĂȘme si elle est profondĂ©ment religieuse, vos conclusions ne me conviennent pas du tout. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. AprĂšs avoir Ă©coutĂ© les intervenants, dont, naturellement, tous les points de vue ne feront pas forcĂ©ment l’unanimitĂ©, les parlementaires devront exercer leur propre responsabilitĂ© politique. Mme Dounia Bouzar. Je suis surprise que l'on dĂ©signe mon analyse comme religieuse », car je n’ai pas Ă©voquĂ© une seule fois l’islam, ni le Coran, ni Dieu. Il semble que vous transfĂ©riez sur moi un problĂšme de reprĂ©sentation. Les titres des parties de mon exposĂ© sont pourtant Ă©loquents. Je vous les rappelle UnitĂ© totale entre les membres » ; Un territoire virtuel supĂ©rieur au monde entier » ; Un discours qui rend tout-puissant » ; L’illusion de s’inscrire dans une filiation sacrĂ©e ». Je ne parle que de la socialisation et de l'Ă©tape psychologique de l'endoctrinement, c’est-Ă -dire du discours tenu au jeune pour le mettre en situation de non-citoyennetĂ©. Un anthropologue ne regarde pas ce que dit l'islam. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Ne vous sentez pas agressĂ©e, Madame ! Mme Dounia Bouzar. Je ne fais que vous renvoyer Ă  vos reprĂ©sentations. Si je m'appelais Martine ou si j’avais repris mon deuxiĂšme nom qui vient de ma mĂšre corse, m'auriez-vous dit, au terme de cet exposĂ© anthropologique qui emploie un lexique psychologique et psychanalytique, que mon analyse Ă©tait religieuse ? Je vous laisse vous poser cette question. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Il vaut mieux Ă©viter de s’engager sur ce terrain. Mme Dounia Bouzar. Mon discours est Ă  votre disposition. Relisez-le vous n’y trouverez pas un mot religieux. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Il est normal que diffĂ©rentes sensibilitĂ©s politiques s’expriment. DĂ©passionnons le dĂ©bat. Mme Dounia Bouzar. Je ne faisais que souligner qu’il est habituel que les discours soient soumis Ă  un filtre. Je vous engage donc Ă  vous reporter au texte de mes propos pour en vĂ©rifier le lexique. M. Jean-Paul Garraud. Pour ma part, et Ă  la diffĂ©rence de M. Jacques Myard, je n'ai pas perçu votre discours comme religieux. Vous nous avez beaucoup Ă©clairĂ©s sur les causes multiples d'un phĂ©nomĂšne complexe et sur le caractĂšre purement sectaire de celui-ci, en soulignant judicieusement qu'il s'agissait d'une question de sĂ©curitĂ©. Je rappelle Ă  ce propos qu'il existe une mission interministĂ©rielle de lutte contre les dĂ©rives sectaires, avec laquelle un rapprochement pourrait d'ailleurs se rĂ©vĂ©ler intĂ©ressant. Du point de vue de la sĂ©curitĂ©, j'ai peine Ă  imaginer que cette dĂ©rive sectaire soit seulement spontanĂ©e et qu’elle ne repose pas sur une organisation. Par ailleurs, le voile intĂ©gral Ă©tant la manifestation de cette dĂ©rive sectaire, faut-il l’interdire ? Mme Dounia Bouzar. Le dĂ©calage entre mes propos et la maniĂšre dont ils ont Ă©tĂ© reçus par certains d'entre vous me gĂȘne, car la conclusion Ă  laquelle je souhaitais parvenir Ă©tait prĂ©cisĂ©ment que nous devons traiter le discours de ce groupuscule comme nous le ferions s’il Ă©tait tenu par des groupes d’une autre nature. Que ferions-nous si un groupe chrĂ©tien – ou bouddhiste – dĂ©clarait soudain que les autres n'ont rien compris Ă  leur Bible et leur enjoignait de se nouer un linge vert autour de la tĂȘte ? Engagerions-nous un dĂ©bat thĂ©ologique sur la Bible, ou ne jugerions-nous pas plutĂŽt qu'il s'agit d'un groupe de dĂ©rĂ©glĂ©s, comme celui-ci, qui Ă©clabousse tout le monde avec son argent venu d’Arabie saoudite ? Mon postulat de dĂ©part et la conclusion Ă  laquelle je souhaitais parvenir Ă©taient qu’il faut appliquer le droit commun et traiter ces groupuscules comme s'ils n'Ă©taient pas musulmans. Ma rĂ©action s’explique par le fait que je regrettais que mon propos n'ait pas Ă©tĂ© entendu. Pour en revenir Ă  mon discours Ă©ducatif, qui comporte des aspects psychologiques, je rappelle que le dĂ©bat n'est pas intra-musulman, mais intra-rĂ©publicain, intra-dĂ©mocrate. Il n’est pas question de faire de l’exĂ©gĂšse – et je viens d’ailleurs de dĂ©noncer ce discours comme Ă©tant de toute-puissance. Il faut certes que les musulmans dĂ©mocrates et rĂ©publicains aient une place, en tant que citoyens, pour lutter contre tout ce qui entrave la cohĂ©sion nationale, mais pas en tant que religieux. VoilĂ  le dĂ©bat que nous devons avoir. Il est Ă©vident que l'uniformisation et la rupture sociale touchent particuliĂšrement les femmes, tandis que les hommes continuent Ă  travailler et Ă  sortir, mĂȘme s'ils sont mentalement enfermĂ©s. J'ai cependant tenu Ă  Ă©viter cette approche, qui renvoie aux traitements faits aux femmes dans l'espace public de certains pays musulmans, ou Ă  l'idĂ©e que l'islam en serait la cause. Une grande ignorance prĂ©vaut et il existe un grand dĂ©calage entre les textes et la maniĂšre dont les musulmanes sont traitĂ©es. Je le rĂ©pĂšte le problĂšme doit ĂȘtre traitĂ© selon le droit commun, comme il le serait dans le cas d'autres groupuscules qui agiraient de mĂȘme. Il faut Ă©viter de faire le procĂšs de l’islam, car cela donnerait du pouvoir Ă  ceux qui accusent les Occidentaux de vouloir imposer leur forme de libertĂ©. En tant que musulmane et fĂ©ministe, je souscris pleinement Ă  la dĂ©fense du droit des femmes, mais nous devons adopter une stratĂ©gie qui Ă©vite de produire des effets contraires Ă  ceux que nous recherchons. Monsieur Raoult, ce que vous dites de l’ñge des femmes concernĂ©es par le port du voile est pour moi une information nouvelle, car j'ai principalement observĂ© le phĂ©nomĂšne chez des jeunes, c’est-Ă -dire des personnes de moins de trente-cinq ans, qui n’ont pas encore trouvĂ© leur identitĂ© et ont encore un problĂšme de territoire, de place ou de fonction. Je serais heureuse que vous me donniez plus d'informations sur ce point Ă  la fin de votre mission. Quant au changement d'attitude des musulmans, il me semble que nous avons rĂ©pondu implicitement Ă  cette question dans les Ă©changes que nous venons d'avoir. On observe en France une vĂ©ritable islamisation des diagnostics sociaux et politiques lorsque des musulmans sont en cause, on prĂ©suppose que leurs comportements sont provoquĂ©s par l’islam et on oublie de leur appliquer une grille psychologique, sociale ou psychanalytique, alors mĂȘme que les personnes concernĂ©es ne sont pas forcĂ©ment croyantes et que les causes sont plutĂŽt liĂ©es Ă  leur identitĂ© ou, par exemple, Ă  la place du pĂšre. Le cas de ces jeunes qui ont refusĂ© d'ĂȘtre contrĂŽlĂ©s dans le train par une femme nous place au cƓur du problĂšme. Une importante enquĂȘte que je viens de rĂ©aliser sur l'islam au travail dans les entreprises », qui sera publiĂ©e en octobre, fait apparaĂźtre les mĂȘmes rĂ©sultats que chez les Ă©lus, les Ă©ducateurs et les policiers. Il y a, en France, une vĂ©ritable difficultĂ© Ă  appliquer aux musulmans la mĂȘme grille de lecture qu'aux autres citoyens. Si un juif, un bouddhiste ou un protestant arrache une affiche en affirmant que sa religion l'empĂȘche de voir une silhouette humaine, on impute son acte Ă  un dysfonctionnement individuel et on le sanctionne immĂ©diatement. S'il s'agit d'un musulman, on hĂ©site. L'islam est apprĂ©hendĂ© comme l'altĂ©ritĂ© mĂȘme et on ne lui applique pas les mĂȘmes critĂšres qu'aux autres religions. On ne sait pas ce qui relĂšve de la libertĂ© de conscience et ce qui rĂ©vĂšle un dysfonctionnement individuel ou bien la perception des musulmans en France s'apparente Ă  une diabolisation totale qui les assimile Ă  des intĂ©gristes, ou bien on considĂšre qu’au nom de la libertĂ© de conscience les intĂ©gristes peuvent dire n'importe quoi sur l'islam ou, par exemple, refuser de serrer la main d'une femme. S'il n'avait pas un faciĂšs prĂ©sumĂ© musulman, un jeune qui refuse un contrĂŽle effectuĂ© par une femme serait immĂ©diatement sanctionnĂ©. Cette hĂ©sitation Ă  Ă©valuer ce qui relĂšve de la libertĂ© de conscience et du dysfonctionnement psychique individuel provoque une surenchĂšre, car le jeune teste l'adulte et les limites qui lui sont fixĂ©es en tenant des discours qui sont le contraire mĂȘme de l’islam. Ce n'est certes pas Ă  vous, Mesdames et Messieurs les dĂ©putĂ©s, de dire ce qu'est l’islam, mais il vous revient d'appliquer les mĂȘmes critĂšres Ă  Pierre, Paul, Mona ou Martine. Un dysfonctionnement qui s'oppose Ă  la cohĂ©sion sociale doit ĂȘtre sanctionnĂ©, quelle que soit la religion de la personne concernĂ©e. La religion ne fait pas la loi. M. Éric Diard. Vous a-t-on signalĂ© des cas isolĂ©s de port de la burqa, notamment en lien avec la guerre en Afghanistan ou par solidaritĂ© avec les talibans ? M. Nicolas Perruchot. Pour faire Ă©cho aux remarques de Mme Poletti, j'observe que, lorsque des problĂšmes se posent Ă  l'hĂŽpital, que des municipalitĂ©s se voient demander des crĂ©neaux horaires rĂ©servĂ©s aux femmes Ă  la piscine ou qu’il est question du port du voile intĂ©gral, ce sont les femmes qui sont concernĂ©es, mĂȘme si cela cache d’autres phĂ©nomĂšnes. ConsidĂ©rez-vous que ces trois problĂšmes trĂšs diffĂ©rents ont la mĂȘme origine ? M. Georges Mothron. Je souscris d’autant plus, Madame, Ă  votre analyse du caractĂšre sectaire du phĂ©nomĂšne que j’ai Ă©tĂ© tĂ©moin de l’évolution dans ce sens de jeunes d’origine catholique. Avez-vous comparĂ© le phĂ©nomĂšne qui s'accentue en France depuis quelques mois Ă  la situation que connaissent d'autres pays europĂ©ens ? Mme Arlette Grosskost. Nos interlocuteurs musulmans nous disent souvent que nous accordons trop d'importance Ă  des manifestations qui ne sont qu'un Ă©piphĂ©nomĂšne. Comment concilier la cohĂ©sion sociale que vous Ă©voquez – laquelle, pour Ă©viter un malaise, suppose une certaine uniformitĂ© – et le respect des diffĂ©rences, que vous invoquez ? Mme Sandrine Mazetier. Vous nous appelez Ă  ne pas situer nos prĂ©conisations sur le plan du droit des femmes, mais plutĂŽt sur celui de la sĂ©curitĂ©. La situation que vous dĂ©crivez n’est-elle pas plutĂŽt liĂ©e Ă  des dĂ©rĂšglements individuels, qui relĂšvent plutĂŽt d’une approche psychiatrique que de la sĂ©curitĂ© ? À la diffĂ©rence de certains de mes collĂšgues, je tiens Ă  vous remercier de votre intervention passionnante. Je souhaiterais que le respect des droits des femmes et l'intolĂ©rance vis-Ă -vis de la discrimination suscitent la mĂȘme passion chez mes collĂšgues lorsqu’il est question d’inĂ©galitĂ©s salariales entre hommes et femmes. Mme Pascale Crozon. Comment analysez-vous le fait que des jeunes filles et des jeunes gens d'origine française s'engagent dans cette dĂ©marche sectaire ? M. Pierre Cardo. Outre Internet que vous avez Ă©voquĂ©, il semble Ă©galement que les salafistes soient de plus en plus prĂ©sents dans les prisons. Mme Dounia Bouzar. Je n'ai pas connaissance de cas de port de la burqa en France. De fait, en arrivant en France, les Afghanes sont plutĂŽt heureuses de la retirer. Pour ce qui est des crĂ©neaux rĂ©servĂ©s dans les piscines, chaque fois qu'un Ă©lu accorde un traitement particulier Ă  des citoyens se rĂ©fĂ©rant Ă  l'islam, ces bons sentiments se rĂ©clamant du respect de l'autre renvoient Ă  la mĂȘme reprĂ©sentation de l'islam que celle des personnes qui le diabolisent. Cette forme de laxisme repose sur des reprĂ©sentations archaĂŻques de cette religion Chez eux, on ne touche pas la main d’une femme, il n’y a pas de mixitĂ©, on arrache les affiches
 » C’est une autre forme de discrimination envers l’islam, considĂ©rĂ© comme l’altĂ©ritĂ© mĂȘme. Cette attitude archaĂŻque fait accepter de la part des musulmans des choses que l'on n’accepterait pas d'un bouddhiste. N'acceptons pas de comportement archaĂŻque, quelles que soient les rĂ©fĂ©rences religieuses ou culturelles invoquĂ©es. Je n'ai pas encore fait de comparaisons Ă  l'Ă©chelle europĂ©enne, mais il me semble qu’ailleurs, la situation correspond Ă  une autre rĂ©alitĂ©. Dans les autres pays europĂ©ens, en effet, l'objectif n'est pas l'Ă©galitĂ© et on tolĂšre que les musulmans aient les pratiques qu'ils veulent, dĂšs lors qu'ils restent entre eux. Le drap noir est le mĂȘme, mais il n'a pas la mĂȘme fonction dans la sociĂ©tĂ© et le discours est diffĂ©rent. Pour lever tout malentendu, je prĂ©cise que ma position ne consiste pas Ă  dire qu'il faut respecter les diffĂ©rences. Les gens de rĂ©fĂ©rence musulmane demandent prĂ©cisĂ©ment le droit Ă  l'indiffĂ©renciation, Ă  ĂȘtre traitĂ©s comme les autres. Je n'ai Ă©voquĂ© le droit Ă  la diffĂ©rence qu’en dĂ©nonçant l’attitude des pays Ă©trangers qui prĂ©tendent que l'interdiction du niqab est un dĂ©ni de ce droit. L'exemple est pourtant mal choisi, car le drap noir supprime les diffĂ©rences. Le droit Ă  la diffĂ©rence » est encore une maniĂšre de considĂ©rer l'autre comme quelqu'un qui doit ĂȘtre civilisĂ©. Je vous rappelle, Ă  cet Ă©gard, les dĂ©bats honteux dans lesquels nous nous sommes laissĂ©s entraĂźner pendant vingt ans Ă  propos de l'excision, qui n’a rien Ă  voir avec l’islam. Vous aurez compris durant mon exposĂ© que les dysfonctionnements personnels comportent selon moi une grande part de causes psychologiques. En effet, la recherche de la dignitĂ© conduit actuellement Ă  une sorte de nĂ©vrose. Il semble cependant difficile d'imposer une obligation de traitement. N'Ă©tant pas juriste, je me fie Ă  vous pour trouver la rĂ©ponse aux questions de sĂ©curitĂ© posĂ©es par le port du voile intĂ©gral. Quant Ă  savoir si je suis favorable Ă  une loi, je rĂ©pondrai que, sur fond d'aspiration Ă  la toute-puissance, de recours Ă  la religion pour se maintenir dans une bulle hors du monde rĂ©el et de dĂ©sir de dominer, ces jeunes qui s’adressent en fait Ă  Dieu pour avoir une loi et un butoir ont besoin qu’on leur oppose des limites. Le problĂšme de ces jeunes musulmans tient souvent Ă  ce qu'ils n'ont pas eu de pĂšre structurant. Il faut donc un rappel Ă  la loi, au sens symbolique et psychanalytique du terme, mais cela passe par la loi rĂ©elle. Le salafisme se dĂ©veloppe dans les prisons parce qu'il s'agit aussi d’une bulle, d'un espace virtuel. Certains utilisent la religion pour vivre dans une telle bulle et Ă©chapper Ă  la loi des hommes. La prĂ©vention et la formation des acteurs sont bien Ă©videmment nĂ©cessaires et il faut savoir si ce retour Ă  l'islam a pour objet de se structurer pour revenir sur terre ou d'Ă©chapper Ă  la rĂ©alitĂ© terrestre et Ă  la loi. Pour les femmes sur lesquelles le discours salafiste a autoritĂ©, la situation est plus compliquĂ©e, mais elle comporte aussi cette recherche de toute-puissance, d'extase et de virtualitĂ©. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Madame Bouzar, je vous remercie. Audition de M. Abdennour Bidar, philosophe SĂ©ance du mercredi 8 juillet 2009 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Je suis heureux d'accueillir M. Abdennour Bidar, philosophe et professeur en classe prĂ©paratoire et Ă  Sciences Po, qui a publiĂ© voilĂ  quelques jours deux articles remarquĂ©s sur la question qui nous intĂ©resse. Vous y affirmez, Monsieur Bidar, que le port du voile intĂ©gral est une innovation qui ne trouve ses racines ni dans l'histoire ni dans le Coran, et qualifiez mĂȘme la burqa de pathologie » de la culture musulmane. Au fil de vos Ă©crits personnels, tels que Un Islam pour notre temps, L'Islam sans soumission ou Pour un existentialisme musulman, vous avez dĂ©veloppĂ© une analyse critique, appelant Ă  une pratique plus raisonnĂ©e et individuelle d’une religion musulmane plus conforme Ă  la modernitĂ©. Aussi nous a-t-il paru intĂ©ressant d'entendre votre opinion sur cette pratique que vous estimez, avec une formule paradoxale, reprĂ©sentative d'un traditionalisme contemporain ». M. Abdennour Bidar. Mon exposĂ© se fera en deux temps aprĂšs avoir situĂ© la nature du problĂšme, j’en prĂ©senterai les deux ou trois enjeux fondamentaux. Pour ce qui est de la nature du problĂšme, la premiĂšre question qui se pose est celle du choix personnel quelles raisons les femmes portant la burqa peuvent-elles invoquer pour lĂ©gitimer cette pratique d'un point de vue subjectif ? Ensuite, le port de la burqa est-il – et, le cas Ă©chĂ©ant, dans quelle mesure – une question religieuse ? Enfin, quelle est la perception objective de la burqa dans l'espace public ? Cette derniĂšre question est celle du vivre ensemble » dans l'espace public et de la conception que nous en avons en France. En premier lieu, donc, le port de la burqa est-il un choix personnel ? Parmi la grande diversitĂ© des cas et des situations, deux justifications au moins se distinguent particuliĂšrement. Tout d’abord, les femmes qui portent la burqa – ou le burqa, car le genre mĂȘme du mot pose problĂšme – peuvent le faire dans un souci d’orthodoxie et de puretĂ© spirituelle, jugeant que l’islam pratiquĂ© en France par la majoritĂ© de leurs coreligionnaires est laxiste et permissif. Cette approche est souvent celle des femmes converties Ă  l’islam ou qui se situent dans une dĂ©marche de retour Ă  la religion et de rĂ©appropriation personnelle d’un islam qui leur a Ă©tĂ© transmis culturellement et dont elles s’étaient dĂ©tachĂ©es. Ces deux situations se traduisent, selon la formule classique, par le zĂšle du converti ». Nous reviendrons d’un point de vue critique sur cette perception lorsque nous nous demanderons si le port du voile est une question religieuse. La seconde justification relĂšve de ce que le politologue Gilles Kepel, spĂ©cialiste du monde musulman, appelle un islam de rupture » du point de vue subjectif de ces femmes, l’environnement occidental est considĂ©rĂ© comme littĂ©ralement impie et appelle une rĂ©action d’autoprotection et d’autodĂ©fense, dont le voile est un moyen. Il s’agit lĂ  d’une radicalitĂ© protestataire face Ă  un environnement jugĂ© potentiellement contaminant – on pourrait d’ailleurs suggĂ©rer une analogie avec la combinaison intĂ©grale que l’on revĂȘt pour se protĂ©ger en milieu contaminĂ©. En second lieu, le port du voile est-il une question religieuse ? En tant que philosophe travaillant sur la question de l’islam, mon premier rĂ©flexe est d’aller voir du cĂŽtĂ© du Coran, non pour y trouver une rĂ©ponse ex cathedra, mais afin de vĂ©rifier si la prĂ©tention d’orthodoxie trouve ses fondements dans le texte lui-mĂȘme. Je vous renvoie aux deux passages fondamentaux que sont les versets 30 et 31 de la sourate 24 et le verset 33 de la sourate 33. Ils donnent aux femmes l’injonction de se couvrir, mais cette injonction va plutĂŽt dans le sens de ce que nous appellerions la pudeur. Il leur est, en effet, recommandĂ© de se couvrir afin d’éviter l’exhibition. À cet Ă©gard, on peut juger que le port du voile intĂ©gral reprĂ©sente une exagĂ©ration, une radicalisation subjective de la recommandation coranique. Alors que, par souci de pudeur, le Coran recommande de ne pas tout montrer, certaines femmes choisissent de tout cacher. D’une façon beaucoup plus gĂ©nĂ©rale, nous sommes renvoyĂ©s Ă  la question des prescriptions coraniques, qui fait l’objet d’un large dĂ©bat parmi les spĂ©cialistes de l’islam. Quel statut devons-nous accorder aux versets du Coran qui indiquent une norme de conduite ou de comportement ? Faut-il les considĂ©rer comme de simples recommandations ou, au contraire, comme des prescriptions ? Les femmes portant le voile intĂ©gral considĂšrent le Coran comme un code lĂ©gal, Ă©dictant des commandements. Mais ce choix est subjectif et peut tout Ă  fait ĂȘtre remis en question. En troisiĂšme lieu, enfin, j’aborderai la perception objective de la burqa dans l'espace public. Ici, il n’est plus question de la perception subjective que les femmes portant la burqa ont de leur pratique, mais de la rĂ©ception objective de cette attitude par les autres occupants de l’espace public. Il me paraĂźt nĂ©cessaire de se dĂ©placer sur ce terrain plutĂŽt que de rester dans le marĂ©cage des motivations individuelles. À dĂ©faut, on s’expose Ă  une multiplicitĂ© de justifications, toutes prĂ©sentĂ©es au nom de la libertĂ© individuelle, alors que l’espace dans lequel s’exprime cette libertĂ© lui impose de prendre en compte la revendication de libertĂ© d’autres consciences individuelles. C’est tout le problĂšme de ce que j’ai appelĂ© la partageabilitĂ© de l’espace public ». Notre vision de ce dernier est en effet celle d’un espace partagĂ©, et donc partageable. Il en rĂ©sulte que ses occupants remplissent, les uns vis-Ă -vis des autres, un certain nombre de devoirs, et ne peuvent se cantonner dans une logique d’affirmation de leurs droits et libertĂ©s individuels. C’est une des conditions du vivre ensemble ». Un argument trĂšs important que l’on peut opposer au port de la burqa est donc que le milieu culturel environnant ne saurait accepter une pratique que la majoritĂ© perçoit comme manifestant une certaine violence symbolique. En effet, la condition premiĂšre pour rencontrer quelqu’un est d’avoir affaire Ă  son visage. Comme le disait Emmanuel Levinas, le visage de l’autre me parle ». Dans notre tradition culturelle, cette partie du corps a toujours Ă©tĂ© le miroir de l’ñme. En ne me donnant pas Ă  voir son visage, l’autre oppose une fin de non-recevoir Ă  l’exigence de communication inhĂ©rente Ă  l’espace public. À ce titre, je suis fondĂ© Ă  considĂ©rer son comportement comme une violence symbolique qui m’est infligĂ©e. Nous pouvons mĂȘme nous demander si une femme qui porte la burqa se situe dans l’espace public. Il y a, en effet, derriĂšre la volontĂ© de ne pas se montrer, l’idĂ©e de ne pas apparaĂźtre dans cet espace, d’ĂȘtre comme enfermĂ© dehors » – ce qui est d’ailleurs une contradiction intenable. J’en viens Ă  la question des enjeux. Ils sont nombreux, mais j’en ai choisi deux, formulĂ©s sous forme de questions. PremiĂšrement, quelle limite assigner Ă  l’expression publique de la libertĂ© de conscience et au droit Ă  la diffĂ©rence ? Pour travailler depuis plusieurs annĂ©es sur l’islam et sur ses manifestations dans les espaces de la modernitĂ© et les sociĂ©tĂ©s multiculturelles, j’ai le sentiment que nous sommes confrontĂ©s Ă  un radicalisme religieux dĂ©sireux de piĂ©ger la RĂ©publique et la dĂ©mocratie sur ses propres valeurs en cherchant Ă  les dĂ©tourner. En effet, c’est au nom des principes que nous avons faits nĂŽtres, ceux du respect de la libertĂ© de conscience et du droit Ă  la diffĂ©rence, que l’on nous demande d’accepter n’importe quelle expression – mĂȘme la plus radicale – de cette libertĂ© et de ce droit. On voudrait faire de leur sacralisation un piĂšge, en prĂŽnant un diffĂ©rentialisme qui laisse Ă  n’importe quelle lubie particulariste individuelle le droit de s’exprimer dans l’espace public. Nous devons nous montrer vigilants Ă  l’égard de ce phĂ©nomĂšne, car il dĂ©passe le comportement de quelques-uns et relĂšve presque d’une stratĂ©gie – non de la part des femmes concernĂ©es, mais de ceux qui leur conseillent de porter le hijab ou la burqa, afin de les instrumentaliser selon une logique d’entrisme. Une autre façon de nous prendre au piĂšge de nos valeurs consiste Ă  tenir un discours de victimisation, de stigmatisation Vous, les Occidentaux, aprĂšs avoir Ă©tĂ© colonialistes, et alors que vous faites preuve d’une incorrigible tendance Ă  l’impĂ©rialisme, vous enfermez les minoritĂ©s dans la discrimination. Et lorsque nous voulons exprimer notre diffĂ©rence, vous nous l’interdisez, parce que vous ĂȘtes par nature des oppresseurs. » Il est difficile de rĂ©sister Ă  ce procĂšs en culpabilitĂ© qui nous est continuellement fait. Nous devons donc ĂȘtre trĂšs vigilants vis-Ă -vis de ce qui apparaĂźt comme une dĂ©marche plus ou moins consciente chez certains, mais comme une stratĂ©gie concertĂ©e chez d’autres. DeuxiĂšmement, quel islam pouvons-nous tolĂ©rer et encadrer ? En formulant cette question, j’ai conscience qu’elle n’est peut-ĂȘtre pas trĂšs laĂŻque. Pourtant, je crois qu’il faut s’en saisir. On pourrait certes nous rĂ©torquer qu’il n’appartient pas Ă  la RĂ©publique française de dĂ©finir ce qu’est le bon ou le mauvais islam. À mes yeux, cependant, une telle objection ne tient pas. Depuis des annĂ©es, je dĂ©fends l’idĂ©e que l’immersion des musulmans dans les sociĂ©tĂ©s occidentales reprĂ©sente une chance pour l’islam. Plus prĂ©cisĂ©ment, ce que nous imposons Ă  l’islam au nom de nos valeurs constitue pour lui une chance de rĂ©gler un certain nombre de comptes avec ses vieux dĂ©mons. En, effet, derriĂšre la question de la burqa se cachent bien des problĂšmes liĂ©s tant Ă  notre conception de l’espace public qu’à des questions auxquelles l’islam est confrontĂ© depuis des siĂšcles. Parmi ces vieux dĂ©mons, j’en relĂšverai trois. Le premier est le rapport que l’islam entretient avec ses signes extĂ©rieurs et son formalisme. De façon plus ou moins marquĂ©e selon le contexte historique, cette religion a toujours accordĂ© une Ă©norme importance aux signes extĂ©rieurs de religiositĂ©. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’elle a un problĂšme avec l’intĂ©rioritĂ© de toute Ă©vidence, il existe dans l’islam une dimension intĂ©rieure, de vie spirituelle. Mais cette religion a toujours imposĂ©, dans l’espace social, un formalisme que les individus ressentent souvent comme une puissance de contrainte, quelque chose d’étouffant, ce que dans les cas les plus extrĂȘmes on peut qualifier de machine Ă  broyer l’identitĂ© personnelle, Ă  enfermer l’individu dans un comportement homogĂšne, collectif, imposĂ© Ă  tous comme norme ou comme fait social. Discutez avec des musulmans Ă©pris de libertĂ©, et vous vous rendrez compte que l’expression de la libertĂ© individuelle, par rapport Ă  des normes collectives ou Ă  des signes extĂ©rieurs d’appartenance Ă  une foi et Ă  une culture, est problĂ©matique. Bien sĂ»r, elle l’est plus ou moins selon le contexte, et loin de moi l’idĂ©e que la libertĂ© d’ĂȘtre ou d’agir n’existe pas dans les pays d’islam. Mais en raison de la propension traditionnelle de cette religion Ă  insister sur la normativitĂ© de certains signes extĂ©rieurs, la manifestation de la libertĂ© individuelle a toujours posĂ© problĂšme. À cet Ă©gard, le port de la burqa n’est qu’une exagĂ©ration du phĂ©nomĂšne. Le deuxiĂšme vieux dĂ©mon que connaĂźt l’islam – je n’hĂ©site pas Ă  le dire en tant que spĂ©cialiste de cette religion – est la discrimination dont les femmes sont victimes. Ce problĂšme, qui lui aussi se pose diffĂ©remment selon les sociĂ©tĂ©s et les pĂ©riodes considĂ©rĂ©es, se trouve Ă©galement en arriĂšre-plan de l’utilisation de la burqa. Enfin, le troisiĂšme problĂšme de l’islam est sa prĂ©tention Ă  lĂ©gifĂ©rer, Ă  produire du politique Ă  partir du religieux. Il ne faut pas ĂȘtre naĂŻf, ni angĂ©lique derriĂšre la revendication du port de la burqa, et mĂȘme de celui du voile, il y a la volontĂ© chez certains – je pourrai ĂȘtre plus prĂ©cis si vous m’interrogez Ă  ce sujet – de faire entrer la loi islamique en concurrence avec nos lĂ©gislations, d’ériger une prescription religieuse en vĂ©ritable loi politique. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Merci pour cet exposĂ© d’une grande clartĂ©. Je souhaiterais vous poser trois questions Partagez-vous l’opinion de Mme Bouzar selon laquelle le port du voile intĂ©gral reprĂ©sente une dĂ©rive sectaire ? Vous indiquez que le port du voile intĂ©gral correspond Ă  un faux retour aux sources. Comment expliquez-vous ce phĂ©nomĂšne ? Faut-il voir dans le dĂ©veloppement de cette pratique le poids de courants religieux venant de l’étranger ? Si tel est le cas, quels sont, selon vous, leurs relais d’influence en France ? M. Éric Raoult, rapporteur. L’article que vous avez fait paraĂźtre dans le journal LibĂ©ration s’intitule La burqa, une pathologie de la culture musulmane ». Le titre a peut-ĂȘtre Ă©tĂ© choisi par la rĂ©daction, parce qu’il me paraĂźt un peu fort, surtout en comparaison avec le contenu de l’article, plus adouci et Ă  mes yeux plus proche de la rĂ©alitĂ© vous dites, en effet, que de nombreuses femmes musulmanes prĂ©fĂšrent un islam du cƓur, de la vie privĂ©e », et refusent un voile, mĂȘme lĂ©ger, qui, selon elles, demeurera toujours comme un instrument de “marquage” qui laisse sur elles l’empreinte d’un pouvoir subi de la part des hommes ». M. Jacques Myard. Je m’interroge sur la vision eschatologique de l’islam. Le temps est-il envisagĂ© comme offrant la possibilitĂ© d’un progrĂšs, ou bien, au contraire, l’éloignement par rapport la pĂ©riode du VIIe siĂšcle est-il vu comme la source d’un pervertissement de la sociĂ©tĂ© ? Par ailleurs, vous avez Ă©voquĂ© la libertĂ© individuelle, surtout du point de vue des femmes, tout en notant le formalisme Ă©touffant qui caractĂ©rise cette religion, machine Ă  broyer l’individu ». Les femmes concernĂ©es expriment-elles librement leur libertĂ© individuelle, ou agissent-elles sous la pression du groupe ? M. Jean Glavany. Une remarque amusĂ©e, tout d’abord quand vous affirmez, dans l’article de LibĂ©ration, que le port de la burqa n’est pas un problĂšme religieux, n’adoptez-vous pas une attitude un peu jĂ©suitique, dans la mesure oĂč vous ajoutez aussitĂŽt que l’on ne peut pas exonĂ©rer une religion de ses propres Ă©garements, et oĂč vous nous dites que, aujourd’hui, le port de la burqa se justifie par un souci d’orthodoxie religieuse en rĂ©action Ă  l’islam libĂ©ral, que nous avons affaire Ă  un radicalisme religieux qui veut piĂ©ger la RĂ©publique ? Par ailleurs, vous avez dĂ©clarĂ© que, s’il semblait peu laĂŻque » de se demander quel islam nous pouvons accepter, l’immersion des musulmans dans nos sociĂ©tĂ©s dĂ©mocratiques n’en constituait pas moins une chance, pour cette religion, d’en finir avec ses vieux dĂ©mons. Pourtant, la volontĂ© d’encourager l’apparition d’un islam acceptable pour nos sociĂ©tĂ©s se heurte Ă  l’esprit de la loi de 1905 – que nombre de responsables politiques, aujourd’hui encore, ne connaissent que partiellement. La sĂ©paration des Églises et de l’État n’était pas seulement fondĂ©e sur la nĂ©cessitĂ© d’empĂȘcher le religieux d’influer sur le politique, mais devait aussi permettre d’éviter que le politique ne se mĂȘle des affaires religieuses. MĂȘme si, d’un point de vue intellectuel, je comprends votre position, n’est-elle pas en contradiction avec notre culture rĂ©publicaine ? M. Christian Bataille. Pensez-vous que le principe de laĂŻcitĂ©, affirmĂ© solennellement par l’article premier de notre Constitution, soit remis en cause par le voile intĂ©gral, voire par le port de certains autres vĂȘtements ? Nous-mĂȘmes avons connu, dans le passĂ©, la civilisation de la soutane », mais celle-ci a aujourd’hui pratiquement disparu – sauf Ă  Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Par ailleurs, la notion de loi islamique s’oppose-t-elle de façon destructrice Ă  la loi rĂ©publicaine ? L’expression chance pour l’islam » m’a, moi aussi, fait sursauter. Peut-ĂȘtre voulez-vous parler d’une chance pour l’intĂ©gration dans nos sociĂ©tĂ©s de tout ce que porte la culture islamique ? En somme, nous serions en mesure de faire ce que l’Espagne hispano-berbĂšre n’est pas parvenue Ă  rĂ©aliser il y a quelques siĂšcles. Mais Ă  quelles conditions ? Mme Sandrine Mazetier. Vous avez citĂ© deux sourates qui recommandent de se couvrir. Ne concernent-elles que les femmes, ou la pudeur est-elle recommandĂ©e Ă  tout individu ? Vous avez parlĂ© de stratĂ©gie ». Pouvez-vous en pointer plus prĂ©cisĂ©ment les auteurs ? Enfin, parmi les vieux dĂ©mons de l’islam, vous avez citĂ© la discrimination des femmes. Selon vous, ce phĂ©nomĂšne est-il plus prononcĂ© dans le cas de l’islam, ou s’agit-il d’un fait permanent dans toutes les religions ? M. Yves Albarello. Quel est l’islam acceptable pour vous ? Est-ce un islam qui serait parvenu Ă  Ă©radiquer les trois vieux dĂ©mons que vous avez citĂ©s la discrimination des femmes, le formalisme des contraintes et la prĂ©tention Ă  lĂ©gifĂ©rer ? M. Pierre Forgues. En dehors de ce qui relĂšve des coutumes, de la culture, de l’éducation, comment peut-on imposer des limites, dans l’espace public, Ă  la manifestation de telle ou telle diffĂ©rence ? M. Abdennour Bidar. La question de M. le prĂ©sident sur l’éventuelle dĂ©rive sectaire que reprĂ©senterait le port du voile intĂ©gral rejoint celle posĂ©e par M. Jean Glavany. À mon sens, il y a dĂ©rive sectaire parce que le port du voile intĂ©gral est justement un problĂšme religieux. C’est pourquoi j’ai parlĂ© dans mon article – dont je revendique le titre – de vĂ©ritable pathologie » religieuse. Ce n’est, en effet, pas seulement un problĂšme identitaire », comme on pourrait le qualifier de façon un peu vague, mais un problĂšme religieux, de la mĂȘme façon que – si vous me pardonnez cette analogie– le hooliganisme est un problĂšme du football. De mĂȘme qu’il serait trop facile pour le monde du football de dire que le hooliganisme ne le concerne pas, ou pour celui du cyclisme d’affirmer qu’il n’est pas concernĂ© par le dopage, il serait trop aisĂ© pour l’islam de prĂ©tendre que le port de la burqa est un problĂšme identitaire n’ayant rien Ă  voir avec la religion. J’ai, au contraire, essayĂ© de vous montrer qu’il Ă©tait la manifestation, peut-ĂȘtre secondaire par son importance sociologique – laquelle reste Ă  mesurer – d’un rapport problĂ©matique de l’islam avec ses signes extĂ©rieurs, la condition qu’il impose aux femmes. Je n’ai citĂ© que trois vieux dĂ©mons, mais il en existe d’autres. Gilles Kepel, dans son livre Fitna, voit dans ce qu’il appelle le salafisme cheikhiste » l’origine des phĂ©nomĂšnes dont nous parlons. Le salafisme est un mouvement qui prĂ©tend revenir aux sources pures de l’islam, Ă  une orthodoxie des commencements. En ce sens, il s’inspire effectivement d’une eschatologie qui s’apparente Ă  une marche descendante de l’histoire plus on s’éloigne de la source, plus on dĂ©gĂ©nĂšre. Il est qualifiĂ© de cheikhiste » par Gilles Kepel parce que la norme de ce retour Ă  l’islam originel doit ĂȘtre donnĂ©e par des cheikhs, c’est-Ă -dire des maĂźtres de religion, ce que nous appelons, depuis Kant, des directeurs de conscience. M. Jacques Myard. Pour le pasteur Jean Arnold de Clermont, dans un article rĂ©cent, Calvin Ă©tait un maĂźtre de l’Écriture ; il n’a fait qu’une chose interprĂ©ter l’Écriture. La mĂȘme dĂ©marche prĂ©vaut dans le fondamentalisme religieux. M. Abdennour Bidar. À ce propos, il me semble important d’apporter une prĂ©cision. On dit souvent, Ă  tort, qu’il n’y a pas de clergĂ© en islam. Certes, le clergĂ© n’y a pas la mĂȘme sacralitĂ© que dans le catholicisme, mais il a une existence et un pouvoir de fait, pouvoir qu’il a mĂ©thodiquement entretenu. Mohammed Arkoun, un trĂšs grand spĂ©cialiste de cette religion, a ainsi pu affirmer que l’islam Ă©tait thĂ©ologiquement protestant, mais politiquement catholique. La dĂ©rive sectaire existe donc, et s’identifie au salafisme cheikhiste, ce qui nous amĂšne Ă  la question de l’influence Ă©trangĂšre. Je vous en donnerai un exemple particuliĂšrement intĂ©ressant. Il y a quelques annĂ©es, un petit recueil de fatwas a Ă©tĂ© publiĂ© par les Ă©ditions Tawhid, spĂ©cialistes des publications islamiques, notamment en France. Ce livre, prĂ©facĂ© par Tariq Ramadan, Ă©mane d’un autoproclamĂ© Conseil europĂ©en de la fatwa et de la recherche, dont le siĂšge est Ă  Dublin et qui est prĂ©sidĂ© par Youssouf Al-Qaradawi, prĂ©dicateur Ă©gyptien trĂšs connu. Dans le premier tome, la fatwa numĂ©ro six est consacrĂ©e au port du voile. Elle illustre la prĂ©tention de l’islam Ă  lĂ©gifĂ©rer, puisqu’elle est supposĂ©e valoir pour tous les musulmans d’Europe. Tariq Ramadan prĂ©cise mĂȘme qu’il espĂšre que cette lĂ©gislation relative Ă  la conduite des femmes sera reconnue par les États europĂ©ens. La fatwa commence par citer les versets du Coran que j’ai dĂ©jĂ  Ă©voquĂ©s, mais choisit de les considĂ©rer comme des prescriptions intangibles. Il n’est pas tenu compte du progrĂšs historique, ni de la simple variabilitĂ© des situations on est dans la rĂ©pĂ©tition cyclique, dans la puretĂ© d’un Ă©ternel prĂ©sent. Puis, la fatwa indique que les femmes doivent se couvrir – il s’agit d’une obligation religieuse –, de façon qu’elles n’apparaissent pas comme des sĂ©ductrices ou des tentatrices. Le problĂšme est donc complĂštement sexualisĂ©. Le voile n’est donc pas ici recommandĂ© il est imposĂ©. Les musulmans d’Europe sont supposĂ©s reconnaĂźtre l’autoritĂ© thĂ©ologique du Conseil europĂ©en de la fatwa et de la recherche, et donc renoncer Ă  leur libertĂ© personnelle de conscience, et les États europĂ©ens eux-mĂȘmes doivent accepter la prĂ©sence sur leur sol de cet islam lĂ©gifĂ©rant. Il s’agit donc clairement d’une stratĂ©gie d’entrisme. Notons que la couverture du livre reprend la couleur bleue et les Ă©toiles du drapeau europĂ©en. J’en viens Ă  la remarque de M. le rapporteur. Il convient d’éviter une logique binaire d’un cĂŽtĂ©, ce que j’ai appelĂ© un islam de cƓur, lequel ne se manifesterait pas du tout dans l’espace public, et de l’autre, un islam revendiquant des formes radicales d’expression de soi dans ce mĂȘme espace. Par expĂ©rience, il me semble que l’islam de France se tient majoritairement loin de l’extrĂȘme reprĂ©sentĂ© par la burqa, et qu’il est partagĂ© en deux grandes tendances, entre lesquelles il devra se choisir un destin. De nombreuses femmes, aujourd’hui, portent dans l’espace public le hijab, c’est-Ă -dire un voile qui leur laisse le visage dĂ©couvert. On ne saurait mettre sur le mĂȘme plan cette pratique avec le port de la burqa. Laissez-moi vous lire un extrait d’une lettre qu’une femme m’a adressĂ©e Ă  la suite d’une intervention sur la burqa et que j’ai publiĂ©e sur mon blog. Maintenant, je vais vous parler d’une situation qui me pĂšse, concernant mon frĂšre, qui pratique la religion dans l’intĂ©gralitĂ©. Il s’interdit beaucoup de choses, et depuis qu’il est mariĂ©, c’est encore pire sa femme porte le hijab, et la sƓur de celle-ci porte le niqab noir. J’ai, Ă  plusieurs reprises, tentĂ© de dialoguer avec elles, mais sans succĂšs elles sont complĂštement fermĂ©es au dialogue, et un mur se monte entre mon frĂšre et moi. Je me sens prise dans un piĂšge. Ils sont plus nombreux que moi, et j’ai parfois l’impression d’ĂȘtre dans un monde complĂštement aliĂ©nĂ©. J’essaie par tous les moyens de garder ma foi intacte, mais ces gens ont des propos qui ne correspondent en rien Ă  l’islam. J’ai vĂ©cu dans la foi de mes parents, et mes parents m’ont fait grandir dans l’islam. J’ai fait l’école coranique. On ne m’a jamais poussĂ©e – notamment mes parents – Ă  faire telle ou telle chose, parce que j’aime ma libertĂ©, et faire mes propres choix. Mais je suis dans l’impasse totale devant ce mur beaucoup trop important pour moi seule. » Il s’agit d’un cri de dĂ©tresse, lancĂ© par une personne confrontĂ©e Ă  une pression qui augmente, Ă  une contagion. Selon moi, la RĂ©publique a la responsabilitĂ© d’aider les musulmans de France Ă  rĂ©sister Ă  cette pression. Ces gens sont dans une logique de recherche de leur identitĂ©, mais veulent se sentir autant français que musulmans. Or ils se sentent menacĂ©s dans cette recherche de modĂ©ration et d’équilibre par certains de leurs coreligionnaires, qui tendent Ă  gagner du terrain. Nous devons entendre leur voix. Les musulmans avec lesquels je parle sont souvent les premiers Ă  souffrir du niqab ou de la burqa, et Ă  se dire atterrĂ©s de voir une nouvelle fois certains de leurs coreligionnaires donner une image aussi caricaturale de l’islam. Une question importante a Ă©tĂ© posĂ©e concernant la part de ce qui relĂšve de la libertĂ© individuelle et de la pression sociale. C’est parce qu’il est trĂšs difficile de rĂ©pondre Ă  cette question que j’ai voulue, dans la prĂ©sentation que je vous ai faite, dĂ©placer le problĂšme du cĂŽtĂ© de la rĂ©ception objective. Nous risquerions en effet de nous enfermer dans un dĂ©bat interminable comment juger, dans chaque situation, ce qui relĂšve de la libertĂ©, de la pression, ou de ce que j’appellerais un entre-deux » ? En rĂ©alitĂ©, ce qui est perçu par l’individu comme une libertĂ© peut n’ĂȘtre que l’intĂ©riorisation d’une pression. Il conviendrait Ă  ce sujet d’interroger un psychologue ou un psychanalyste. Au sein de la conscience individuelle, un processus de culpabilisation peut se manifester vis-Ă -vis d’une norme qui devient majoritaire dans un environnement social. L’individu pense avoir choisi librement, mais si l’on fait la gĂ©nĂ©alogie de ce choix, on se rend compte qu’une pression extĂ©rieure a pu contribuer Ă  faire naĂźtre l’idĂ©e que la norme se trouve lĂ . On peut donc avoir affaire, paradoxalement, Ă  des subjectivitĂ©s ou Ă  des libertĂ©s aliĂ©nĂ©es. En effet, toute subjectivitĂ© n’est pas saine d’esprit. Toute subjectivitĂ© n’a pas la libre possession d’elle-mĂȘme. Plus prĂ©cisĂ©ment, on peut, d’un point de vue subjectif, appeler libertĂ© une conduite qui n’est en fait pas libre. Il en est de mĂȘme pour un adolescent intĂ©grĂ© Ă  un groupe mĂȘme s’il peut avoir l’illusion d’agir de son propre chef, on s’aperçoit parfois, avec un peu de recul, que l’affirmation de soi et la pression du groupe s’enchevĂȘtrent dans sa conscience. C’est pourquoi il me paraĂźt beaucoup plus fĂ©cond de passer du subjectif Ă  l’objectif, et de se poser la question de la recevabilitĂ© d’un certain nombre d’attitudes dans l’espace public. J’en viens Ă  la question de la laĂŻcitĂ©, dĂ©finie comme un principe de neutralitĂ© de l’État vis-Ă -vis des questions religieuses. En rĂ©alitĂ©, il y a deux acteurs l’État et la sociĂ©tĂ© civile. L’État peut-il rester dans un rapport non critique Ă  l’égard de sa propre neutralitĂ© dĂšs lors que, du cĂŽtĂ© de la sociĂ©tĂ© civile, nous risquons d’ĂȘtre confrontĂ©s Ă  une prolifĂ©ration des manifestations du religieux dans l’espace public ? Il ne s’agit pas d’abandonner la notion de neutralitĂ©, mais d’entrer dans un Ăąge de neutralitĂ© critique l’État continuerait Ă  ne favoriser aucun culte, mais manifesterait une certaine vigilance Ă  l’égard d’une polarisation de fait de l’espace public qui risque de menacer le vivre ensemble ». L’intĂ©rĂȘt de la question de la burqa est peut-ĂȘtre de nous donner l’occasion de nous interroger sur certains concepts fondateurs et sur la façon de les appliquer – non parce qu’il faut les abandonner, mais parce que les situations auxquelles ils doivent permettre de faire face ont profondĂ©ment changĂ©. M. Christian Bataille. La soutane ne menaçait pas la RĂ©publique ; le voile intĂ©gral, lui, la menace. M. Abdennour Bidar. La diffĂ©rence fondamentale est que la soutane est la marque d’appartenance Ă  un ordre, dans lequel les laĂŻcs n’ont pas vocation Ă  entrer. La limite est fixĂ©e par la religion elle-mĂȘme. Mme BĂ©rengĂšre Poletti. Pour Mme Dounia Bouzar, c’est en s’étonnant de ce drap noir que l’on respecte l’islam, que l’on n’en donne pas une vision archaĂŻque. Qu’en pensez-vous ? M. Abdennour Bidar. Selon moi, l’islam a toujours Ă  faire la preuve qu’il n’est pas une religion archaĂŻque. Mme BĂ©rengĂšre Poletti. Ce qui est donc le contraire de son propos. M. Abdennour Bidar. Je suis engagĂ© depuis plusieurs annĂ©es dans une rĂ©flexion critique sur l’islam, et je m’aperçois que, du point de vue de la pensĂ©e, il ne s’est pas encore actualisĂ©, au sens oĂč il ne s’est pas rendu assez actuel, considĂ©rant qu’un certain nombre de questions relatives Ă  la modernitĂ© et Ă  la sĂ©cularisation ne le concernent pas et qu’il peut se maintenir dans un Ă©tat de puretĂ© originelle. C’est un problĂšme de fond, et il est trĂšs lourd la notion du temps fait-elle partie du paysage eschatologique et intellectuel de l’islam ? Je crois que cela peut ĂȘtre le cas – un certain nombre de mes travaux l’attestent d’ailleurs. M. Jacques Myard. Mais tous ceux qui ont voulu y contribuer sont morts ! M. Abdennour Bidar. Ou sont restĂ©s des comĂštes sans sillage. On m’a demandĂ© si les deux versets que j’ai citĂ©s ne concernaient que la pudeur fĂ©minine. La rĂ©ponse est oui. Enfin, Ă  la question de savoir si la discrimination des femmes est plus prononcĂ©e dans l’islam, je rĂ©pondrai que cette religion doit, plus que les autres traditions spirituelles actuelles, faire la preuve de sa capacitĂ© Ă  dĂ©passer ses archaĂŻsmes. De fait, la discrimination sexiste est trĂšs prononcĂ©e dans le monde musulman. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Merci, Monsieur Bidar, pour la clartĂ© et la concision de vos propos. Table ronde rĂ©unissant des associations de dĂ©fense des droits des femmes Mme Françoise Morvan, vice-prĂ©sidente de la Coordination française pour le Lobby europĂ©en des femmes ; Mme Nicole CrĂ©peau, prĂ©sidente de la FĂ©dĂ©ration nationale SolidaritĂ© femmes ; Mme Sabine Salmon, prĂ©sidente de l’association Femmes solidaires, et Mme Carine Delahaie, membre de l’association ; Mme Françoise Laurant, prĂ©sidente du Mouvement français pour le Planning familial, et Mme Marie-Pierre Martinet, secrĂ©taire gĂ©nĂ©rale ; Mme Annie Sugier, prĂ©sidente de la Ligue du droit international des femmes ; Mme Olivia Cattan, prĂ©sidente de l’association Paroles de femmes ; Mme MichĂšle VianĂšs, prĂ©sidente de l’association Regards de femmes. SĂ©ance du mercredi 15 juillet 2009 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Mes chers collĂšgues, le port du voile intĂ©gral nous interroge Ă  diffĂ©rents titres la dignitĂ© de la femme, l’égalitĂ© des sexes et l’ordre public. Cette dĂ©monstration de fondamentalisme est un rĂ©vĂ©lateur pour l’ensemble de la sociĂ©tĂ© française, mais ce n’est que la partie visible de l’iceberg. Le port du voile intĂ©gral constitue une atteinte Ă  nos libertĂ©s publiques et Ă  la fĂ©minitĂ©. Il lance un dĂ©fi Ă  notre civilisation en remettant en cause les principes fondamentaux de la RĂ©publique et celui de laĂŻcitĂ©. Le port du voile intĂ©gral est une dĂ©rive de la sociĂ©tĂ© française, sur fond de pauvretĂ© Ă©conomique, sociale, mais Ă©galement morale, culturelle et spirituelle. Il nous appartient d’essayer de comprendre ce phĂ©nomĂšne et de lutter contre des mĂ©thodes qui constituent une atteinte aux libertĂ©s individuelles sur notre territoire. Lorsque j’ai dĂ©posĂ© sur le bureau de l’AssemblĂ©e nationale une demande de constitution d’une commission d’enquĂȘte, qui a conduit finalement Ă  la crĂ©ation de cette mission d’information, je n’avais nullement en tĂȘte l’idĂ©e d’aboutir a priori Ă  un projet de loi. La situation a certes Ă©voluĂ© et il est clair qu’il faut y mettre fin. De quelle maniĂšre ? Personnellement, Ă  ce stade, je ne sais pas. Le chantier est immense. En premier lieu, il faut promouvoir le rĂ©veil rĂ©publicain pour rĂ©pondre au malaise qui guette la sociĂ©tĂ© française et la majoritĂ© des musulmans. Il nous faut Ă©tablir un Ă©tat des lieux, qualitatif et quantitatif, et analyser les dĂ©chirements dont souffre notre sociĂ©tĂ©. Le drame qui s’est produit Ă  Oullins, avec le meurtre d’une jeune femme, il y a quelques jours, mĂ©rite une attention particuliĂšre de notre part, au mĂȘme titre que les Ă©meutes qui frappent les banlieues. Comme je le soulignais en 2005 dans mon livre Les ghettos de la RĂ©publique, nous ne pouvons nous contenter d’invoquer les problĂšmes sociaux et Ă©conomiques pour expliquer cette dĂ©rive. Nous devons ĂȘtre attentifs Ă  toute atteinte portĂ©e aux symboles de la RĂ©publique. Nous avons raison de dĂ©noncer l’antisĂ©mitisme et le racisme anti-arabe, mais le discours contre la France, les blancs et la RĂ©publique existe aussi nous devons en tenir compte. À ceux qui disent que ce n’est pas le moment d’engager une rĂ©flexion sur cette question, je rĂ©ponds qu’il est grand temps, au contraire, de sortir de l’indiffĂ©rence et de l’aveuglement politique. Nous allons procĂ©der Ă  de nombreuses auditions avant que les membres de la mission ne se rĂ©unissent le 23 septembre. Notre dĂ©marche, Ă©minemment rĂ©publicaine, ne doit pas ĂȘtre partisane. C’est pourquoi nous procĂ©derons Ă  un premier bilan d’étape au cours de cette rĂ©union, nous prendrons peut-ĂȘtre, ensemble, la dĂ©cision d’auditionner les responsables des partis politiques. Concernant les auditions de cet aprĂšs-midi, je prĂ©cise que nous recevons des reprĂ©sentantes de plusieurs associations de dĂ©fense des droits des femmes qui nous ont sollicitĂ©s aux fins d’ĂȘtre entendues par la Mission. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Je vous remercie, Mesdames, de votre participation Ă  nos travaux. Nous poursuivons l’état des lieux que notre mission doit dresser avant d’émettre des prĂ©conisations, et en cela votre expĂ©rience du terrain nous sera trĂšs utile. Je vous invite Ă  prĂ©senter votre association et Ă  nous faire part du regard que vous portez sur la question qui nous intĂ©resse. Mme Françoise Morvan, vice-prĂ©sidente de la Coordination française pour le Lobby europĂ©en des femmes. La Coordination française pour le Lobby europĂ©en des femmes, qui reprĂ©sente 2 000 associations rĂ©parties dans l’ensemble des pays d’Europe et 19 associations europĂ©ennes, regroupe en France 80 associations fĂ©minines et fĂ©ministes. En 1993, la Coordination a créé la Commission de lutte contre les extrĂ©mismes religieux, qui compte des femmes agnostiques, athĂ©es, catholiques, juives, musulmanes et protestantes, qui toutes luttent pour la laĂŻcitĂ©, unique garantie de l’égalitĂ© entre hommes et femmes. Nous avons Ă©tĂ© auditionnĂ©es par la dĂ©lĂ©gation aux droits des femmes et pour l’égalitĂ© des chances entre les hommes et les femmes du SĂ©nat et par les deux commissions prĂ©sidĂ©es par M. Bernard Stasi ; nous avons aussi organisĂ© de nombreuses confĂ©rences, dĂ©bats et ateliers, dans diffĂ©rentes mairies d’arrondissement de Paris, ainsi qu’à l’Unesco et Ă  l’ONU. S’opposer au port de la burqa – comme Ă  tout signe vestimentaire Ă  connotation religieuse –, ce n’est pas seulement faire barrage au fondamentalisme religieux, c’est garantir l’égalitĂ© des sexes dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique et laĂŻque. La laĂŻcitĂ© et l’émancipation des femmes sont liĂ©es, car les fondamentalistes religieux ne respectent pas l’égalitĂ© des sexes. La question du port du voile, du tchador, de la burqa, est plus un problĂšme social et politique qu’un problĂšme religieux. C’est celui du statut des femmes musulmanes dans une sociĂ©tĂ© laĂŻque qui ne parvient pas, malheureusement, Ă  quitter ses oripeaux machistes. L’hĂ©sitation et le laisser-faire traduisent la faiblesse de notre sociĂ©tĂ© Ă  affirmer ses principes Ă©galitaires dans les sphĂšres privĂ©es et publiques. Il n’existe pas encore de sociĂ©tĂ© sans domination masculine. Si nous voulons la remettre en cause, il faut la traiter dans sa globalitĂ© et dans sa continuitĂ©. Pour comprendre comment fonctionnent la dĂ©mocratie et la lutte pour l’émancipation, il faut rassembler les morceaux de notre combat fĂ©ministe et ne pas en perdre le fil conducteur. Aujourd’hui, il ne s’agit pas de rejeter une religion ou une communautĂ©, mais de comprendre les mĂ©canismes d’enfermement des femmes. Le combat contre le port des signes vestimentaires Ă  connotation religieuse et politique doit ĂȘtre associĂ© aux combats fĂ©ministes antĂ©rieurs, comme ceux que nous avons menĂ©s dans les annĂ©es soixante-dix pour le droit Ă  la contraception et Ă  l’avortement, ou, dans les annĂ©es quatre-vingt-dix, pour la paritĂ© entre les hommes et les femmes dans la vie politique. Ces combats n’ont qu’une seule finalitĂ© l’émancipation des femmes et leur accĂšs au pouvoir, dans le domaine privĂ© comme dans la vie publique. Le port de la burqa en France contredit notre volontĂ© de parvenir Ă  une rĂ©elle Ă©galitĂ© des sexes. La crispation identitaire qu’il suggĂšre est un dĂ©fi inacceptable pour l’ensemble du corps social, attachĂ© aux valeurs rĂ©publicaines. Aussi la Coordination française pour le Lobby europĂ©en des femmes se propose-t-elle, en collaboration avec les membres de ses 80 associations, d’apporter sa contribution aux rĂ©flexions engagĂ©es par votre Mission sur l’opportunitĂ© de lĂ©gifĂ©rer pour interdire le port d’un vĂȘtement symbole de l’enfermement des femmes. Mme Nicole CrĂ©peau, prĂ©sidente de la FĂ©dĂ©ration nationale SolidaritĂ© femmes. La FĂ©dĂ©ration nationale SolidaritĂ© Femmes regroupe 63 associations qui accueillent, Ă©coutent et hĂ©bergent les femmes victimes de violences conjugales et gĂšrent le numĂ©ro national 3919. Depuis de nombreuses annĂ©es, ces associations luttent contre les violences faites aux femmes et dĂ©noncent les inĂ©galitĂ©s entre les femmes et les hommes. En qualitĂ© d’association fĂ©ministe, la FĂ©dĂ©ration souhaite qu’aucune femme ne porte la burqa, car elle constitue une forme de domination et de contrĂŽle du corps des femmes. Cette pratique est contraire aux valeurs que nous dĂ©fendons, au respect des droits fondamentaux – l’égalitĂ©, la libertĂ© et l’intĂ©gritĂ© – et au droit, pour les femmes, d’avoir une vie sociale. Ce que nous voulons avant tout, c’est protĂ©ger les femmes contraintes de porter ce vĂȘtement. Dans plusieurs pays, le port de la burqa est synonyme de contrainte, voire d’oppression. Quel signe adresser Ă  celles qui luttent pour ne pas ĂȘtre obligĂ©es de se voiler, et Ă  celles qui militent pour l’égalitĂ© entre femmes et hommes Ă  travers le monde ? En France, le port de la burqa est un signe de diffĂ©renciation qui rend la femme invisible aux autres et empĂȘche tout contact. Si l’on peut difficilement porter un jugement sur la tenue vestimentaire des femmes, il est insupportable de croiser des femmes dont on ne peut voir le visage. Cette absence d’échange possible suscite la peur et la dĂ©fiance et empĂȘche d’établir une rĂ©elle relation, une fraternitĂ© et une solidaritĂ©. La burqa met en danger les valeurs que dĂ©fend la FĂ©dĂ©ration et nie le travail des associations pour promouvoir l’autonomie de la femme et sa place dans la sociĂ©tĂ© comme sujet et non comme objet. D’ailleurs, la volontĂ© d’isoler le corps des femmes, les rĂ©duisant Ă  leur fonction de reproduction, ne recouvre-t-elle pas la peur de leur sexualitĂ© ? Ce contrĂŽle de la vie et du corps des femmes s’instaure dans un systĂšme intĂ©griste, en contradiction avec l’égalitĂ© des sexes. Nous pensons, pour notre part, que le port de la burqa ne relĂšve pas d’un choix individuel, mais qu’il est un signe de sujĂ©tion. Il serait, d’ailleurs, intĂ©ressant que nous disposions d’un Ă©tat des lieux, afin de savoir si ce phĂ©nomĂšne est marginal ou non. Les associations de la FĂ©dĂ©ration qui animent des actions de prĂ©vention constatent que dans certains quartiers, les jeunes filles remettent leur foulard Ă  la sortie de l’école. Le fond du problĂšme n’est donc pas rĂ©glĂ©. Des actions de prĂ©vention doivent ĂȘtre menĂ©es au sein des Ă©tablissements scolaires sur l’égalitĂ© entre garçons et filles et la prĂ©vention des violences sexistes. Il faut prendre en compte la rĂ©alitĂ© que vivent ces femmes. Comment intervenir sans risquer de les enfermer plus encore ? La position des femmes a toujours Ă©tĂ© difficile, dans toutes les religions, et elle est toujours liĂ©e Ă  la domination masculine. Il nous faut rĂ©flĂ©chir aux causes de cette situation. Comment en sommes-nous arrivĂ©s lĂ  ? Quelle information et quelle prĂ©vention devons-nous mettre en place ? Mme Sabine Salmon, prĂ©sidente de l’association Femmes solidaires. L’association Femmes solidaires est un mouvement national fĂ©ministe d’éducation populaire qui regroupe 189 associations locales sur tout le territoire. Son rĂ©seau de 10 000 adhĂ©rentes se compose de femmes d’ñge et d’origine sociale, culturelle et politique, trĂšs divers. Depuis 2004, l’association bĂ©nĂ©ficie d’un statut consultatif auprĂšs des Nations Unies. Femmes solidaires construit ses campagnes Ă  partir de la parole des femmes. Nos associations locales sont implantĂ©es dans les quartiers, au plus prĂšs des femmes. C’est cette parole qui nous a poussĂ©s, en 2003, Ă  organiser une trentaine de dĂ©bats Ă  travers la France sur le thĂšme LaĂŻcitĂ©, mixitĂ©, Ă©galitĂ© pour les droits des femmes », et c’est elle encore qui nous a incitĂ©s Ă  prendre position en faveur d’une loi contre le port du voile Ă  l’école et Ă  participer aux travaux de votre mission parlementaire. Les mots burqa ou niqab Ă©voquent pour nombre d’entre nous des pratiques en vigueur en dehors de nos frontiĂšres, ce qui dĂ©dramatise le port du voile dans notre pays. Certains considĂšrent que la burqa est afghane et peu rĂ©pandue chez nous, donc sans danger. Mais mĂȘme si le voile intĂ©gral est plus impressionnant que le foulard qui couvre la tĂȘte des femmes, ils renvoient tous deux aux mĂȘmes symptĂŽmes et produisent les mĂȘmes consĂ©quences dans les deux cas, le corps des femmes est l’enjeu d’une guerre contre leur libertĂ©. Pour les fondamentalistes religieux, ce corps doit ĂȘtre emprisonnĂ© ; c’est le signe de la puissance d’une religion au service d’un projet politique liberticide. Plus gĂ©nĂ©ralement, sur tous les continents, le corps des femmes est utilisĂ© comme une arme de guerre – on vend des femmes, on les viole collectivement, on les avorte, on les brĂ»le Ă  l’acide, on les cache – parce qu’elles sont les piliers de la famille, donc de la sociĂ©tĂ©. C’est par elles que passent nombre de traditions. Les femmes ne doivent prendre le pouvoir ni dans l’espace public ni dans l’espace privĂ©. Alors on les enferme, on les domine, on porte atteinte Ă  leur dignitĂ©. Pour nous, le voile intĂ©gral est un signe ostentatoire d’inĂ©galitĂ© et discrimination des femmes avant d’ĂȘtre un signe ostentatoire religieux, mais nous dĂ©fendons aussi fermement le principe de laĂŻcitĂ©, car sans laĂŻcitĂ©, pas de droits des femmes. Nos rĂ©flexions portent sur cinq points. Le libre choix, tout d’abord – Ă©ternelle question Ă  l’intĂ©rieur de laquelle les femmes sont prises au piĂšge. La question du libre consentement permet de faire accepter Ă  l’opinion publique les pratiques les plus inavouables. Pourtant, dĂšs 1995, le Conseil d’État avait interdit le lancer de personnes de petite taille » afin d’assurer la sĂ©curitĂ© de la personne en cause, mĂȘme si celle-ci se prĂȘtait librement Ă  cette exhibition contre rĂ©munĂ©ration. Ce fut une avancĂ©e pour l’ensemble de la sociĂ©tĂ©, bien qu’il s’agisse d’une pratique marginale. Le port du voile intĂ©gral, mĂȘme s’il est prĂ©sentĂ© comme librement consenti, porte atteinte Ă  toutes les femmes Ă  celles qui le portent, qui se trouvent en situation de soumission, mais aussi Ă  toutes les autres. Cette notion de libre consentement n’est pas acceptable. Pendant de nombreuses annĂ©es, notre sociĂ©tĂ© a considĂ©rĂ© les femmes victimes de violences conjugales comme des victimes consentantes, sans analyser les liens pervers que le dominant tisse avec sa victime. Le port du voile intĂ©gral se situe dans le cadre de cette domination. C’est ce que nous constatons dans nos permanences juridiques et sociales. Dans les quartiers oĂč nous sommes implantĂ©s, des femmes, des jeunes filles se font insulter Ă  cause des vĂȘtements qu’elles portent. L’une de nos adhĂ©rentes, athĂ©e, s’est fait insulter par une femme portant le voile intĂ©gral, qui lui a reprochĂ© sa tenue vestimentaire. Une autre femme, musulmane, a Ă©tĂ© insultĂ©e par des jeunes de son quartier parce qu’elle portait un tee-shirt Ă  manches courtes ! Le port du voile exclut les femmes de l’espace public. Le voile intĂ©gral est un signe militant d’appartenance Ă  un projet de sociĂ©tĂ© qui crĂ©e un espace privĂ© au sein mĂȘme de l’espace public et dans lequel les lois de la RĂ©publique n’ont pas d’effet. Avant de voir la femme, on voit sa religion. Le voile intĂ©gral encourage l’endogamie, les ghettos, le communautarisme. Dissimuler son visage, c’est nier sa propre identitĂ©, au profit d’une physionomie collective. Le troisiĂšme point concerne la protection des enfants. Nous fĂȘtons cette annĂ©e le vingtiĂšme anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant des Nations Unies. La protection des fillettes nous tient particuliĂšrement Ă  cƓur. Il est impensable que, dans notre pays, signataire de cette convention, des fillettes portent des signes de soumission Ă  leur pĂšre ou Ă  leur frĂšre. Nous avons rencontrĂ© des enfants de huit ans totalement voilĂ©es ! Ces fillettes sont considĂ©rĂ©es par ceux qui les voilent comme des objets de tentation pour des hommes adultes. C’est intolĂ©rable ! On ne peut considĂ©rer, s’agissant de mineures, que le port du voile est librement consenti. Certaines mamans nous ont dit subir des pressions de plus en plus fortes, parce que Ă  l’école ou au centre de loisirs, leur enfant portant un nom d’origine arabe mangeait du porc. Elles sont obligĂ©es de se justifier et leurs enfants culpabilisent. Nous avons Ă©galement rĂ©flĂ©chi Ă  question de l’universalitĂ© des droits. Dans notre association, nous avons l’habitude de dire que lorsque les droits des unes progressent, ici ou lĂ -bas, cela a un impact sur les droits des femmes sur toute la planĂšte. La France laĂŻque est l’un des pays les plus regardĂ©s par les femmes qui ont soif d’égalitĂ©. Si la France baisse sa garde, ce sont des dizaines de fronts qui s’inclineront, faute d’ĂȘtre soutenus. Il est curieux de constater que des hommes et des femmes qui se sont offusquĂ©s du port de la burqa en Afghanistan sont prĂȘts Ă  accepter le port du voile intĂ©gral en France. Nous leur opposons l’universalitĂ© des droits ce qui est bon pour nous est bon pour toutes les femmes ; ce qui est intolĂ©rable pour elles l’est Ă©galement pour nous. Le diffĂ©rentialisme » culturel n’est pas une chance pour la dĂ©mocratie mais bien un recul de civilisation. Nous vous demandons de protĂ©ger toutes les femmes de France, qu’elles aient la nationalitĂ© française ou non. Les lois de la RĂ©publique sont au-dessus des lois religieuses. Notre Constitution et la DĂ©claration universelle des droits de l’homme doivent ĂȘtre des remparts pour toutes les femmes, quelles que soient leur religion et leurs origines. Le principe de protection doit ĂȘtre appliquĂ© Ă  toutes les femmes. De nombreuses jeunes filles sont venues nous voir, en 2004, pour nous demander de les aider. Ne voulant pas porter le voile, elles craignaient que leur pĂšre ne cĂšde Ă  la pression du groupe. La voix de ces jeunes filles doit porter plus loin que la voix de celles qui disent ĂȘtre libres. Au nom de la libertĂ© des unes, on ne peut ignorer la souffrance des autres. Enfin, l’association Femmes solidaires dispose d’un rĂ©seau d’élues ; ses militantes sont issues de divers partis politiques. Elles travaillent ensemble sur des thĂšmes comme la paritĂ© en politique et le port du voile intĂ©gral, qui pose de plus en plus de problĂšmes aux maires de nos communes. Que feront ces femmes lorsqu’elles seront amenĂ©es Ă  cĂ©lĂ©brer un mariage dans de telles conditions ou lorsqu’une Ă©lue de leur conseil municipal se prĂ©sentera voilĂ©e ? Quelle que soit l’issue de votre mission, nous devrons favoriser l’émancipation des femmes. Nous vous demandons donc de prendre en compte, dans vos travaux, la question des droits des femmes. Pour notre part, nous poursuivrons notre combat contre les idĂ©es et les pratiques rĂ©trogrades et nous espĂ©rons que votre mission y contribuera. Mme Annie Sugier, prĂ©sidente de la Ligue du droit international des femmes. La Ligue du droit international des femmes a Ă©tĂ© créée en 1983 par Simone de Beauvoir pour faire face au danger du relativisme culturel. Nous nous sommes fixĂ© des prioritĂ©s lutte contre l’excision et les violences commises Ă  l’égard des jeunes filles dans les citĂ©s, protection des enfants, notamment dans le cas de couples franco-algĂ©riens. Au cours des quinze derniĂšres annĂ©es, nous avons travaillĂ© sur un sujet qui intĂ©resse gĂ©nĂ©ralement peu le mouvement fĂ©ministe et les responsables politiques – je veux parler du sport, domaine directement concernĂ© par le port du voile islamique. DĂšs 1989, nous nous sommes prononcĂ©s pour l’interdiction du voile dans l’espace public. MĂȘme s’il n’est qu’un symbole, le voile porte atteinte aux valeurs de notre sociĂ©tĂ©. D’ailleurs, les sociĂ©tĂ©s humaines sont construites sur des symboles. Le drapeau, l’hymne national d’un État en sont la reprĂ©sentation et lui donnent un sens. Le voile, tous les Français le comprennent, signifie la sĂ©grĂ©gation et instaure un statut d’infĂ©rioritĂ©. Toute personne qui croit dans les valeurs de la RĂ©publique se sent agressĂ©e par le port du voile. En ce sens, il constitue bien une atteinte Ă  l’ordre public. Et c’est Ă  vous, lĂ©gislateurs, qu’il appartient de dĂ©terminer jusqu’oĂč doit aller la loi. Mais il ne suffit pas de lĂ©gifĂ©rer, il faut engager une action pĂ©dagogique. Mme Nicole Ameline se souvient sans doute qu’en 2004, elle avait commandĂ© une Ă©tude, avec M. Jean-François Lamour, relative aux femmes et Ă  la pratique du sport, dont une partie Ă©tait consacrĂ©e aux jeunes filles des citĂ©s. Cette Ă©tude reprĂ©sentait un Ă©norme travail, puisque soixante auditions et six enquĂȘtes avaient Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es. Pour avoir participĂ©, en janvier dernier, Ă  un dĂ©bat sur les jeunes filles dans les citĂ©s, je peux vous dire que la situation n’a pas Ă©voluĂ©. Le phĂ©nomĂšne Ă©conomique n’est pas le seul responsable. Alors que le sport compte 30 % de licenciĂ©s au niveau national, ils ne sont plus que 10 % dans les citĂ©s, dont un quart de filles. Le monde du sport ne doit pas rester indiffĂ©rent Ă  la lente exclusion des filles des domaines sportifs. Je souhaite vivement que vous Ă©tablissiez un Ă©tat des lieux de cette question. Je voudrais avant de conclure saluer Hassiba Boulmerka, cette femme qui, aprĂšs avoir obtenu la premiĂšre mĂ©daille d’or algĂ©rienne aux Jeux Olympiques, avait dĂ©diĂ© sa victoire Ă  toutes les femmes d’AlgĂ©rie. Elle avait Ă©tĂ© vilipendĂ©e et menacĂ©e de mort par les islamistes. À PĂ©kin, le ComitĂ© international olympique n’a pas Ă©tĂ© capable d’appliquer la charte olympique la porte-drapeau du BahreĂŻn Ă©tait voilĂ©e. Si vous laissez les choses en l’état, vous condamnez Ă  mort les femmes qui, ici comme lĂ -bas, prĂ©fĂšrent les lois du sport aux rĂšgles dictĂ©es par les extrĂ©mistes. Ne rien faire, c’est aussi faire un choix. Mme Françoise Laurant, prĂ©sidente du Mouvement français pour le planning familial. Le Mouvement français pour le planning familial coordonne 70 associations au sein des dĂ©partements et onze fĂ©dĂ©rations rĂ©gionales. Nous assurons des permanences sur le terrain et intervenons en milieu scolaire, dans les quartiers, les centres sociaux, les centres d’insertion, partout oĂč se pose la question de l’exclusion et de l’enfermement des femmes. Notre mouvement est clairement fĂ©ministe. Nous nous battons pour le droit des femmes Ă  disposer de leur corps, contre les violences de genre, pour la construction de l’égalitĂ© et la dĂ©construction des rapports sociaux induits par le patriarcat. Il apparaĂźt clairement que la loi ne suffit pas. Dans le domaine de la contraception, par exemple, il existe des lois. Pourquoi les femmes n’en profitent-elles pas ? Les sociologues ont dĂ©couvert que des pans entiers de population sont dans une situation telle qu’ils considĂšrent que leur sexualitĂ© et l’ensemble de leurs choix sont illĂ©gitimes – je pense en particulier aux mineurs. Si nous voulons que les femmes utilisent les lois de notre pays, nous avons le devoir de leur prĂ©senter comme lĂ©gitime leur dĂ©sir d’égalitĂ©. Quant aux vĂȘtements, pour les jeunes des quartiers, ils ont une valeur symbolique extrĂȘme. Pour lutter contre une telle chape de plomb, il faut mener des politiques globales, auxquelles tout le monde participe. Il faut aussi que l’ensemble de la sociĂ©tĂ© partage la mĂȘme volontĂ©. Dans certains quartiers, seul le collĂšge peut jouer un rĂŽle d’information auprĂšs des jeunes, dont un grand nombre ne sait pas encore que l’égalitĂ© entre les sexes est un principe constitutionnel. HĂ©las, dans certains quartiers, le collĂšge, forteresse assiĂ©gĂ©e, n’est plus suffisamment armĂ© pour parler aux jeunes de l’égalitĂ© des droits. Il faut sans doute renforcer la politique de la ville. Pourquoi ne pas commencer par prendre en compte, parmi les critĂšres permettant Ă  un quartier de bĂ©nĂ©ficier de crĂ©dits, la situation des femmes ou la diffusion de la contraception ? Si, pour freiner l’évolution du port du voile, nous nous contentons de faire une loi, nous serons passĂ©s Ă  cĂŽtĂ© du problĂšme. Actuellement, nous menons des campagnes pour faire cesser les violences commises Ă  l’encontre des femmes, pendant qu’un rappeur diffuse un message culturel plus violent et plus efficace que celui que nous essayons de faire passer avec les quelques fonds publics dont nous disposons. C’est intolĂ©rable ! La cohĂ©rence commence par lĂ . Ne rien faire face Ă  la gĂ©nĂ©ralisation du port du voile intĂ©gral est un message nĂ©gatif et contredit les politiques Ă©ducatives que nous menons. Nous sommes solidaires des femmes qui se battent partout dans le monde pour ne pas ĂȘtre enfermĂ©es et avoir des droits. Dans de nombreux pays, des femmes admirables mĂšnent des combats difficiles, au risque de leur vie. En Afghanistan, des femmes ont Ă©tĂ© lapidĂ©es. Une enfant violĂ©e par son cousin a Ă©tĂ© lapidĂ©e Ă  mort, tandis que son cousin, lui, n’a subi que cent coups de bĂąton ! Étant solidaires de ces femmes, nous ne pouvons tolĂ©rer le port du voile dans notre pays. Et ne nous laissons pas influencer par l’argument selon lequel certaines femmes choisissent de le porter, car toute personne choisit gĂ©nĂ©ralement le stĂ©rĂ©otype en vigueur dans la sociĂ©tĂ© dont elle fait partie. Les femmes ne se rendent pas dans nos permanences pour y recevoir des cours de morale, mais elles nous parlent du poids que fait peser sur elles leur groupe social et de la difficultĂ© qu’elles ont Ă  obtenir un minimum de libertĂ©. Nous les Ă©coutons, sans perdre nos convictions. Toutes les actions Ă©ducatives que nous menons auprĂšs des jeunes en matiĂšre de sexualitĂ©, d’égalitĂ© entre filles et garçons, de lutte contre les stĂ©rĂ©otypes et les violences, de citoyennetĂ© se heurtent Ă  la gĂ©nĂ©ralisation du port du voile. Savez-vous que lorsque je vais dans certains marchĂ©s dans les banlieues de Lyon ou de Grenoble, je ne vois plus que des femmes voilĂ©es ? Dans ces conditions, que dire aux jeunes des collĂšges sur l’égalitĂ© entre les hommes et les femmes ? L’augmentation du nombre de femmes voilĂ©es exerce une pression insoutenable sur les femmes des quartiers qui dĂ©sirent s’intĂ©grer. Comment aider celles qui ont envie de vivre autrement ? Nous attendons de vous, Mesdames et Messieurs les parlementaires, que vous adressiez un message Ă  notre pays en faveur de l’égalitĂ© entre filles et garçons, et nous souhaitons que soit créé un ministĂšre dĂ©diĂ© aux droits des femmes, capable de mener des actions pour lutter contre les discriminations. Car il est clair que les pouvoirs publics manquent d’outils pour combattre les signes de soumission de la femme. Nous ne sommes pas contre le fait de lĂ©gifĂ©rer, mais si vous votiez une loi interdisant le voile intĂ©gral sans mener, dans le mĂȘme temps, une politique globale visible, dans tous les domaines de la vie publique, cela ne ferait que stigmatiser plus encore les femmes voilĂ©es. Mme Olivia Cattan, prĂ©sidente de l’association Paroles de femmes. En tant que journaliste, j’ai Ă©crit deux livres, dont le premier s’intitule Deux femmes en colĂšre ; quant au second, La femme, la RĂ©publique et le Bon Dieu, qui traitait des signes ostentatoires et du choc entre religion et laĂŻcitĂ©, il m’a donnĂ© l’occasion d’ĂȘtre auditionnĂ©e Ă  l’AssemblĂ©e nationale – audition qui s’est bien passĂ©e mais n’a pas Ă©tĂ© suivie d’effet, ce que nous avons un peu regrettĂ©. L’association Paroles de femmes, nĂ©e il y a trois ans, est composĂ©e d’hommes et de femmes qui tentent de promouvoir l’égalitĂ© des sexes dans la sociĂ©tĂ© mais Ă©galement dans les groupes religieux. TrĂšs tĂŽt, nous nous sommes attaquĂ©s au statut des femmes dans les religions, en particulier Ă  la rĂ©pudiation, qui a toujours force de loi en France, tant dans la religion juive que musulmane. Je souhaite, en tant que juive, que l’intĂ©grisme religieux soit Ă©voquĂ© de façon plus large, car il concerne toutes les religions. L’association a organisĂ© de nombreux colloques et compte un certain nombre de permanences en France. Nous avons créé un module chargĂ© de rĂ©flĂ©chir Ă  l’égalitĂ© entre garçons et filles et, dans les quartiers difficiles, nous travaillons sur les notions de citoyennetĂ© et de laĂŻcitĂ©. Nous disposons de certains outils, dont le film rĂ©cent intitulĂ© La journĂ©e de la jupe, qui Ă©voque les problĂšmes auxquels sont confrontĂ©s les professeurs dans les Ă©coles. Nous intervenons de façon hebdomadaire dans les Ă©tablissements des quartiers difficiles, mais Ă©galement dans les centres de dĂ©tention pour adolescents ayant commis des agressions sexuelles. Si nous sommes favorables Ă  une loi destinĂ©e Ă  interdire le port de la burqa, elle ne doit pas ĂȘtre exclusivement rĂ©pressive mais s’accompagner d’une rĂ©flexion sur le vĂ©ritable problĂšme que rencontre notre pays avec l’émergence des intĂ©grismes religieux. La burqa, pour nous, est un signe ostentatoire de plus pour affirmer une appartenance, une culture religieuse qui s’oppose aux valeurs rĂ©publicaines et laĂŻques de notre pays. Mais ce n’est pas le fond du problĂšme, car les adolescentes musulmanes que nous rencontrons dans les collĂšges souhaitent porter le voile, comme leur mĂšre. Les garçons nous parlent de virginitĂ© obligatoire pour les filles. Sur une classe de vingt, seuls deux Ă©lĂšves se sentent français, les autres choisissant le pays d’origine de leurs parents ; seule une fille sur dix ose porter une jupe, car les filles qui se dĂ©couvrent sont des filles faciles. Nous devons savoir comment et pourquoi ces adolescents qui ont accĂšs Ă  la modernitĂ©, Ă  l’éducation laĂŻque, choisissent de respecter ces traditions ancestrales, oĂč le droit de la femme ne vaut pas grand-chose. Interdire la burqa dans la rue est une bonne chose, mais Ă  condition que cette interdiction s’accompagne d’une rĂ©flexion sur l’ensemble des signes et comportements religieux qui menacent notre RĂ©publique, par exemple la fin de la mixitĂ© autorisĂ©e dans les piscines de certaines villes de France, le maintien de la rĂ©pudiation dans les religions musulmane et juive, l’absence de mixitĂ© dans les lieux de culte
 Cette loi devra s’accompagner de mesures prĂ©ventives, tels l’obligation d’enseigner l’éducation civique Ă  l’échelle nationale ou l’accompagnement des femmes qui portent la burqa. Si, demain, une femme souhaite ne pas porter la burqa pour obĂ©ir Ă  la loi mais que son mari refuse, qui la protĂ©gera ? Si un homme impose Ă  sa femme de ne plus sortir, que pourra faire une association comme la nĂŽtre ? Si cette loi est adoptĂ©e, la RĂ©publique, en veillant Ă  ne pas stigmatiser telle ou telle population, devra se donner les moyens d’endiguer la montĂ©e de l’intĂ©grisme. L’endoctrinement des jeunes gĂ©nĂ©rations ne se fait pas dans la rue – et ce n’est pas parce que nous ne verrons plus de femmes en burqa que le problĂšme sera rĂ©glĂ© – mais au sein de la famille et, surtout, dans les mosquĂ©es. Il s’agit donc bien d’un problĂšme religieux, mĂȘme si la burqa n’est pas un signe religieux. Nous avons constatĂ© Ă  notre permanence du PrĂ©-Saint-Gervais que les femmes se sont couvert la tĂȘte dĂšs qu’un nouvel imam est arrivĂ©. Ce n’est certainement pas un hasard. Le combat qu’il nous faut mener va au-delĂ  d’une loi sur le port de la burqa. Il est temps de mener une campagne de prĂ©vention active, car, vous l’aurez compris, l’éducation et la prĂ©vention restent nos meilleures armes. Pourquoi, dans ces conditions, ne pas instaurer un service civique mixte, obligatoire, pour les jeunes de 18 Ă  65 ans, au cours duquel seraient enseignĂ©s la laĂŻcitĂ©, le droit des femmes et la citoyennetĂ© ? Mme MichĂšle VianĂšs, prĂ©sidente de l’association Regards de femmes. Je suis Ă  la fois prĂ©sidente de l’association Regards de femmes, Ă©lue locale et essayiste. En effet, j’ai publiĂ© en 2004 un livre Un voile sur la RĂ©publique, qui, malheureusement, est toujours d’actualitĂ©. Dans notre pays, tout policier, gendarme ou douanier peut exiger d’une personne portant un voile intĂ©gral de l’îter afin de montrer son visage et ĂȘtre identifiable. Pourquoi les agents publics ne le font-ils pas ? La crĂ©ation d’une mission parlementaire est-elle indispensable ? Que peut vous suggĂ©rer une association de terrain fĂ©ministe, qui agit pour l’égalitĂ© en termes de droits, de devoirs et de dignitĂ© ? Notre association considĂšre que tolĂ©rer le voile islamiste relĂšve du machisme et du racisme et revient Ă  accepter une attaque frontale contre nos principes rĂ©publicains. Les machocrates » ont besoin de la servitude, volontaire ou forcĂ©e, des femmes. Leur stratĂ©gie manipulatoire est simple faire croire aux femmes que leur dieu a les yeux fixĂ©s sur elles pour qu’elles acceptent d’obĂ©ir aux diktats des hommes, reprĂ©sentants de dieu sur terre. Le voile, stigmate de discrimination, de sĂ©paration et de fantasmes sexuels, fait considĂ©rer les femmes comme propriĂ©tĂ© de leur mari et a pour objectif de les rendre intouchables par les autres hommes, mĂȘme les mĂ©decins. L’affichage ostensible du marquage archaĂŻque, possessionnel et obsessionnel du corps fĂ©minin est le cheval de Troie de l’islam politique, qui montre ainsi sa capacitĂ© Ă  occuper les espaces et les esprits. Cette stratĂ©gie de prise de contrĂŽle du corps des femmes par l’obĂ©issance Ă  un code vestimentaire cĂ©leste de bonne conduite est inacceptable ! Dans l’espace public, de plus en plus de fillettes portent le voile islamique, ce marqueur archaĂŻque et claustrant de l’oppression des femmes. De plus en plus de femmes sont enveloppĂ©es dans une burqa qui les couvre entiĂšrement afin que, mĂȘme dehors, elles restent dedans et ne soient pas identifiables. Ce vĂȘtement leur vole leur identitĂ©. Pourtant, elles deviennent interchangeables il arrive, en effet, qu’une femme voilĂ©e titulaire de papiers soit engagĂ©e dans une entreprise de nettoyage et que d’autres femmes voilĂ©es, sans papiers, viennent travailler Ă  sa place, avec le mĂȘme contrat de travail. Et lorsque nous dĂ©nonçons un tel trafic, on nous accuse d’islamophobie ! Si la femme voilĂ©e est le modĂšle, comment s’étonner de leur multiplication ? Comment les enfants perçoivent-ils l’espace public si leur mĂšre doit se cacher pour sortir ? Et les fillettes, qui reprĂ©sentent l’honneur de la famille, sont source de dĂ©sordre et doivent cacher leurs cheveux dans l’espace public pour protĂ©ger les garçons – dĂ©finitivement considĂ©rĂ©s comme Ă©tant incapables de maĂźtriser leurs pulsions – ! Ces reprĂ©sentations sont en totale contradiction avec le principe d’égalitĂ© entre les femmes et les hommes. Nous savons dĂ©sormais que les difficultĂ©s rencontrĂ©es par les femmes se transmettent aux gĂ©nĂ©rations qui suivent c’est ainsi que perdurent les violences, les mariages sous contrainte, les crimes d’honneur. Le voile islamique est une attaque contre la RĂ©publique. Les demandes dĂ©rogatoires, les tenues provocatrices portĂ©es par les femmes – mais Ă©galement par les hommes – proclament ostensiblement le refus de respecter les principes rĂ©publicains de laĂŻcitĂ© et d’égalitĂ© entre les femmes et les hommes. La loi doit nous permettre d’interdire ce qui est un trouble majeur Ă  l’ordre public. On ne saurait tolĂ©rer n’importe quoi, au nom de telle ou telle tradition ou d’une distorsion dĂ©vergondĂ©e du droit. Le choix personnel n’est pas un droit que la RĂ©publique doit accorder. Nous avons bien fini par interdire le bizutage ou le lancer de nains, et la libertĂ© d’expression n’empĂȘche pas de sanctionner les personnes qui tĂ©lĂ©phonent au volant. La notion de tenue correcte est reconnue depuis l’arrĂȘt sur le port des bermudas, comme l’interdiction de se promener en maillot de bain dans les stations balnĂ©aires. Je rappellerai qu’un dĂ©cret de juin 1790 Ă©nonce ainsi qu’ aucun citoyen ne peut porter ou faire porter la livrĂ©e ». Notre choix est clair nous soutenons les femmes qui veulent exercer leur libre arbitre par rapport aux diktats politico-religieux. L’argument des libertĂ©s fondamentales ne tient pas, car une libertĂ© dĂ©voyĂ©e engendre la loi du plus fort, du plus riche, du plus vocifĂ©rant. Dans la devise nationale, la libertĂ© est associĂ©e Ă  l’égalitĂ© et Ă  la fraternitĂ© parce que la fraternitĂ© rĂ©publicaine empĂȘche la libertĂ© d’engendrer des privilĂšges et l’égalitĂ© d’engendrer l’oppression. La loi seule permet aux libertĂ©s des uns et des autres de cohabiter au lieu de s’opposer, de se renforcer en se limitant mutuellement, d’ĂȘtre libres ensemble. Le voile islamique est une forme de racisme. Le tolĂ©rer sous prĂ©texte que les femmes ou les fillettes qui le portent sont de confession ou de filiation musulmane est du racisme. Ne soyons ni dupes ni complices le relativisme culturel est une forme de racisme, puisque cette argutie est utilisĂ©e pour interdire Ă  des personnes d’avoir accĂšs aux principes universels de dignitĂ© et de droit humain, sous prĂ©texte que, dans leur pays de naissance ou d’origine familiale, ces principes ne sont pas respectĂ©s. Les principes universels ne sont ni occidentaux, ni orientaux, ni septentrionaux, ni austraux. L’interculturel ne peut se passer de l’adhĂ©sion Ă  des valeurs communes, ni Ă©chapper Ă  l’examen de la raison. Concilier l’universalitĂ© et l’individu est le fondement de nos valeurs rĂ©publicaines. Toutes les opinions ne se valent pas et toutes n’ont pas la mĂȘme lĂ©gitimitĂ©. L’esclavage a longtemps Ă©tĂ© considĂ©rĂ© comme une situation normale, mais les besoins d’un groupe ne justifient jamais la servitude d’autres ĂȘtres humains. Permettez-moi de citer Victor SchƓlcher Si l’on ne peut cultiver les Antilles qu’avec des esclaves, il faut renoncer aux Antilles » ! N’abandonnons pas lĂąchement nos compatriotes de filiation ou de confession musulmane Ă  la merci de l’islam politique et d’autres obscurantistes et agissons pour que toutes les femmes aient accĂšs aux droits humains universels. ProtĂ©geons l’ordre rĂ©publicain. Accepter l’exceptionnalitĂ© revient Ă  lĂ©gitimer les agitateurs religieux, notamment Ă©trangers, dans leur volontĂ© politique de dĂ©faire les lois du pays pour les remplacer par leur interprĂ©tation personnelle de textes religieux, mais cela revient surtout Ă  les laisser opprimer tranquillement leurs coreligionnaires. Les agents des trois fonctions publiques – d’État, territoriale, hospitaliĂšre – et les travailleurs sociaux sont trop souvent tĂ©tanisĂ©s face aux demandes dĂ©rogatoires pour des prĂ©textes religieux, et l’école n’ose plus affirmer les principes rĂ©publicains. Quant Ă  l’universitĂ©, elle est la porte ouverte au fascisme vert, poursuivant le travail commencĂ© en Égypte, il y a une trentaine d’annĂ©es. L’association Regards de femmes a pris l’initiative de s’adresser aux parlementaires pour leur demander d’étendre la loi de 2004 sur les signes religieux Ă  l’universitĂ© et aux Ă©tablissements publics d’enseignement supĂ©rieur, ainsi qu’à certaines catĂ©gories de la population en situation de faiblesse, notamment les fillettes. Nous qui avons eu la chance de naĂźtre dans une France laĂŻque, nous en sommes comptables vis-Ă -vis des jeunes gĂ©nĂ©rations Ă  qui nous devons transmettre cet acquis majeur issu des LumiĂšres, mais Ă©galement vis-Ă -vis des femmes et des hommes qui se battent, partout dans le monde, pour atteindre leur idĂ©al, car la laĂŻcitĂ© figure en haute place dans la Constitution de la France et dans son histoire. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Je vous remercie. Compte tenu des dĂ©lais contraints de cette audition, j’invite les intervenantes qui le souhaitent Ă  nous faire parvenir Ă©galement des contributions Ă©crites. M. Éric Raoult, rapporteur. Mesdames, les fĂ©dĂ©rations que vous reprĂ©sentez comportent-elles des associations de femmes musulmanes ? Avez-vous reçu dans vos permanences des femmes portant le voile intĂ©gral et qui venaient vers vous pour tenter de trouver les voies d’une Ă©mancipation, d’un logement, de façon, le cas Ă©chĂ©ant, Ă  ne plus le porter ? Enfin, certains soutiennent que le port du voile intĂ©gral ne concerne que quelques milliers, voire quelques centaines de femmes. Pouvez-vous nous confirmer, en vous appuyant sur votre expĂ©rience, que ce phĂ©nomĂšne est en expansion et si oui depuis quand ? Le port du voile intĂ©gral pourrait-il ĂȘtre liĂ© Ă  une nationalitĂ©, une origine particuliĂšres, des conversions de fraĂźche date ou encore des questions de gĂ©nĂ©ration ? Mme Nicole Ameline. Je voudrais remercier chacune des associations prĂ©sentes pour leurs exposĂ©s. Mesdames, de façon assez consensuelle, vous avez centrĂ© vos propos sur la citoyennetĂ© et les droits des femmes, en concluant par avance Ă  la nĂ©cessitĂ©, au-delĂ  de la loi, de mesures de prĂ©vention et d’accompagnement et, en quelque sorte, d’une rĂ©affirmation du principe d’égalitĂ©. Nous en sommes tous convaincus, c’est avec l’islam, et certainement pas contre lui, que la dĂ©marche que nous avons entreprise doit ĂȘtre conduite. Pour l’accompagner, un dialogue constructif avec les femmes musulmanes et les reprĂ©sentants du culte musulman me paraĂźt fondamental. M. Jacques Myard. Mesdames, je vous ai Ă©coutĂ©es avec dĂ©lectation. Il est, en effet, temps de rĂ©agir globalement et avec force. Je suis frappĂ© par le fait que la montĂ©e de l’intĂ©grisme dans un pays comme l’AlgĂ©rie soit venue des femmes. Je me souviendrai toujours de la rĂ©action de ces cadres du FLN, parti qui n’est fondamentalement ni intĂ©griste ni religieux, en voyant leurs femmes manifester dans la rue en faveur du fondamentalisme et de l’intĂ©grisme. Comment, en tant que femmes, comprenez-vous ce phĂ©nomĂšne ? En Turquie, dans un dĂ©bat entre deux femmes, l’une fondamentaliste et l’autre laĂŻque, les arguments de la laĂŻque n’ont pas toujours le dessus. Pensez-vous que les arguments que vous avancez puissent ĂȘtre Ă©tayĂ©s ? Comment faire en sorte que, sur notre territoire, les femmes puissent intĂ©rioriser les principes dont vous avez vous-mĂȘmes rappelĂ© l’universalitĂ© ? Mme Sandrine Mazetier. Merci Ă  vous et aux militantes que vous reprĂ©sentez pour la nettetĂ© de votre expression et la clartĂ© de vos recommandations. La plupart d’entre vous, sinon vous toutes, avez appelĂ© Ă  une action qui aille au-delĂ  de l’élaboration d’une loi. Pensez-vous que notre action et notre rĂ©flexion devraient concerner tous les signes religieux et non seulement le voile intĂ©gral ? Ne craignez vous pas qu’une action qui ne concernerait que ce voile ne serve d’alibi Ă  une inaction en matiĂšre d’égalitĂ© des droits, et en faveur de sexualitĂ©s Ă©panouies, quelle que soit d’ailleurs leur orientation ? L’une d’entre vous – mais je crois que vous ĂȘtes toutes d’accord – a pointĂ© la contradiction entre la volontĂ© affichĂ©e de lutter pour les droits des femmes et la disparition d’un ministĂšre qui leur serait dĂ©diĂ© ; je souhaiterais recueillir le sentiment de chacune Ă  ce propos. M. Pierre Forgues. J’ai Ă©prouvĂ© une grande satisfaction humaine et intellectuelle Ă  l’écoute de l’unitĂ© et de la force de vos propos. Vous nous avez toutes dit que le port du voile intĂ©gral n’est compatible ni avec l’égalitĂ© des sexes ni avec les valeurs de notre RĂ©publique ni avec notre laĂŻcitĂ©. Mais est-il compatible avec la nationalitĂ© française ? Mme Françoise Hostalier. Je voudrais moi aussi fĂ©liciter les intervenantes pour la qualitĂ© de leurs interventions. Chacune nous ouvre des pistes de rĂ©flexion. Mesdames, ĂȘtes-vous en mesure d’identifier le moment oĂč le phĂ©nomĂšne a commencĂ© Ă  devenir prĂ©gnant et de mesurer son ampleur ? Mon impression est celle d’un tsunami qui va dĂ©ferler sur nous. Le nombre de plus en plus Ă©levĂ© de femmes voilĂ©es ne serait-il pas Ă©galement dĂ» au fait qu’il est de plus en plus permis Ă  ces femmes de sortir, alors qu’autrefois elles restaient cloĂźtrĂ©es Ă  la maison ? Enfin, disposez-vous de contacts avec des rĂ©seaux de pays musulmans, tels que la Turquie, l’OuzbĂ©kistan, le TurkmĂ©nistan, oĂč les femmes rĂ©sistent Ă  ce phĂ©nomĂšne. Ainsi, les messages contre l’excision ont Ă©tĂ© beaucoup portĂ©s par des femmes qui se battaient contre elle dans leur pays, oĂč cette pratique avait fini par ĂȘtre interdite. Dans le mĂȘme temps des personnes de la deuxiĂšme ou troisiĂšme gĂ©nĂ©ration en France, dans leur quĂȘte d’identitĂ©, en porte-Ă -faux, remettaient en vigueur des coutumes qui n’avaient plus cours dans leur propre pays. Mme Arlette Grosskost. Nous sommes tous ici pour en tĂ©moigner, la RĂ©publique française s’honore des diffĂ©rences. Or, il est vrai que nous demandons en quelque sorte une indiffĂ©renciation entre toutes les femmes. Pour ne heurter aucun public, nous allons devoir ĂȘtre trĂšs clairs et dire que nous nous continuons Ă  nous honorer de toutes les diffĂ©rences, l’indiffĂ©renciation que nous rĂ©clamons haut et fort, notamment de la part des femmes, n’ayant pour seul objectif que l’égalitĂ© entre les hommes et les femmes. Comment pouvons-nous accroĂźtre encore la clartĂ© de ce message ? Mme Françoise Morvan. La Coordination française pour le Lobby europĂ©en des femmes fait partie d’un rĂ©seau europĂ©en, composĂ© de 2 000 associations dans les 27 États membres de l’Union et dans trois pays candidats Ă  l’adhĂ©sion, dont la Turquie. Nous pourrons donc facilement interroger nos adhĂ©rentes. Par ailleurs, nous avons voulu rendre visibles les femmes migrantes en crĂ©ant un rĂ©seau qui leur soit spĂ©cifique. Chaque pays comporte donc un rĂ©seau de femmes migrantes adhĂ©rent au Lobby europĂ©en des femmes, l’ensemble de ces rĂ©seaux Ă©tant eux-mĂȘmes fĂ©dĂ©rĂ©s en un rĂ©seau europĂ©en de femmes migrantes. Nous pouvons Ă©galement demander Ă  ces rĂ©seaux de travailler sur cette question. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Vous pouvez donc fournir des Ă©lĂ©ments pour le travail de la Mission ? Mme Françoise Morvan. Bien sĂ»r. Par ailleurs, je suis travailleuse sociale depuis 1974. J’ai travaillĂ© Ă  Marseille. L’association membre du Lobby europĂ©en des femmes Ă  laquelle j’appartiens est le Forum femmes-MĂ©diterranĂ©e. Nous nous y sommes toujours attachĂ©es Ă  travailler avec toutes les femmes et dans les quartiers. Depuis la fin des annĂ©es 1990, nous menons chaque annĂ©e une action sur le respect, en lien avec l’éducation nationale. Mme Carine Delahaie, reprĂ©sentante de l’association Femmes solidaires. Monsieur le rapporteur a Ă©voquĂ© le nombre de femmes qui portent le voile intĂ©gral. Il ne faut pas se laisser emprisonner dans cette problĂ©matique. En France, le travail que nous avons menĂ© sur l’excision a permis de la faire reculer. Si nous avions pris en compte les effectifs concernĂ©s, nous n’aurions sans doute pas travaillĂ© sur l’excision. Notre association compte-t-elle des femmes musulmanes ? Qui dit que la porte-parole ici de Femmes solidaires, blonde aux yeux bleus, n’est pas musulmane ? Nous devons ĂȘtre trĂšs attentifs Ă  notre façon d’apprĂ©hender ces questions de religion. Certaines prĂ©sidentes d’associations membre de notre rĂ©seau sont musulmanes ; simplement, cela ne se voit pas toujours. Je ne crois pas non plus qu’elles aient plus de lĂ©gitimitĂ© que nous Ă  parler ; la question de la burqa est une question plus de femmes que de femmes musulmanes. Mme Sabine Salmon. MĂȘme si cela reste trĂšs marginal, nous avons reçu dans nos permanences quelques femmes portant le voile intĂ©gral, qui venaient nous demander de l’aide pour divorcer et enlever le voile. Nous essayons de les accompagner. Cependant, une fois l’information donnĂ©e sur les procĂ©dures de divorce et la conduite Ă  adopter, l’échange revient sur des questions telles que la rĂ©pudiation, et la femme repart chez elle. Nous sommes un peu dĂ©sarmĂ©es. Lorsque ces femmes viennent dans nos permanences, nous adoptons une dĂ©marche de fond. Nous leur exposons les valeurs que nous dĂ©fendons, comme la laĂŻcitĂ©. Nous avons demandĂ© Ă  une femme pourquoi elle portait ce voile. Elle nous a rĂ©pondu que, revenant de La Mecque, elle devait le faire. Nous lui avons exposĂ© que nous connaissions d’autres femmes qui Ă©taient allĂ©es Ă  La Mecque et qui ne le portaient pas forcĂ©ment dans l’espace public. Un dialogue s’est donc instaurĂ©. Lorsque ces femmes viennent nous voir, nous ne les abandonnons pas. Nous ne considĂ©rons pas leur dĂ©marche comme anodine. Nous menons aussi des campagnes Ă  l’étranger, par exemple en Éthiopie, auprĂšs des femmes afars qui, musulmanes, vivent de façon ancestrale seins nus. Depuis un an, dans ces rĂ©gions, des tee-shirts rayĂ©s jaune et bleu sont arrivĂ©s d’Arabie Saoudite par conteneurs ; aujourd’hui, la plupart des femmes et des jeunes filles afars les portent, parce qu’on leur dit qu’elles ne doivent plus aller la poitrine dĂ©couverte. Sur l’excision, nous travaillons avec les imams, et nous construisons avec les femmes un dialogue qui avance petit Ă  petit. Mme Nicole CrĂ©peau. Les femmes que nous recevons subissent des violences, pas seulement physiques mais de toutes sortes, de la part de leur mari. Lorsque des femmes voilĂ©es viennent nous voir, c’est qu’elles n’en peuvent plus. Leur situation est caractĂ©risĂ©e par la double violence » en plus des violences physiques ou psychologiques, elles se trouvent dans des situations administratives inextricables, qui font d’elles des ĂȘtres totalement soumis. Elles sont souvent venues dans le cadre du regroupement familial, aprĂšs avoir Ă©tĂ© mariĂ©es au pays sans avoir pu choisir leur mari. Mais celui-ci ne fait aucune dĂ©marche pour que sa femme puisse bĂ©nĂ©ficier d’un titre de sĂ©jour. De ce fait, ces femmes se retrouvent sans papiers, donc sans aucune capacitĂ© d’action, notamment pour quitter leur mari. Tout notre travail consiste Ă  les aider Ă  obtenir un titre de sĂ©jour et Ă  sortir de cette emprise et de cette soumission. Nous encourageons beaucoup de femmes dans ces situations, notamment lorsqu’elles sont en foyer d’hĂ©bergement, qui, difficultĂ© supplĂ©mentaire, n’ont parfois pas le droit de les accueillir de maniĂšre durable. Mme Annie Sugier. Je voudrais rĂ©agir Ă  l’idĂ©e selon laquelle peut-ĂȘtre mĂȘme les femmes ne sont pas toujours les premiĂšres Ă  se rĂ©volter contre le voile, voire qu’elles y seraient favorables. On a parlĂ© de l’AlgĂ©rie et du FLN. DĂšs la dĂ©claration de Tripoli, rĂ©fĂ©rence Ă©tait faite Ă  l’islam l’islam est notre loi ». En Tunisie, dans les annĂ©es 1920, les premiĂšres Ă  s’ĂȘtre manifestĂ©es comme fĂ©ministes se sont dĂ©voilĂ©es. Comment ont rĂ©agi les islamistes ? Quelques annĂ©es plus tard, pour faire passer le message qu’il ne faut pas que les femmes se dĂ©voilent, un cheik a demandĂ© Ă  sa fille de le relayer. Mon pĂšre, dira celle-ci, m’a encouragĂ©e Ă  sortir, Ă  manifester, Ă  aller aux rĂ©unions des leaders politiques, Ă  participer Ă  la lutte pour la libĂ©ration nationale et Ă  celle de l’émancipation de la femme, entendue bien sĂ»r selon la version islamiste. On retrouve partout cette stratĂ©gie des islamistes, consistant Ă  mettre en avant les femmes. Si en Tunisie, l’action du prĂ©sident Bourguiba l’a contrĂ©e, en AlgĂ©rie et au Maroc des mouvements d’émancipation ont Ă©tĂ© rĂ©cupĂ©rĂ©s par les islamistes. C’est Ă  un phĂ©nomĂšne comparable auquel nous assistons aujourd’hui. Mme MichĂšle VianĂšs. Je crois qu’il a Ă©tĂ© rĂ©pondu de façon trĂšs claire Ă  la question du rapporteur sur la prĂ©sence de femmes musulmanes parmi nous. L’association Regards de femmes comporte des vice-prĂ©sidentes, des responsables musulmanes ; je pense en particulier Ă  l’une d’entre elles qui a quittĂ© le Maroc aprĂšs un mariage forcĂ© et parce qu’on l’obligeait Ă  porter le voile. Ces derniĂšres semaines, chaque fois que des journalistes nationaux m’ont demandĂ© si une femme voilĂ©e ne voulant plus porter le voile, membre de mon association, accepterait de parler Ă  la tĂ©lĂ©vision, ils m’ont promis que ses traits seraient floutĂ©s ». Ces propositions montrent l’extrĂȘme gravitĂ© de la situation ; nous ne sommes plus lĂ  dans notre RĂ©publique laĂŻque, mais dans un monde de pur communautarisme. Faut-il exiger que les esclaves parlent seuls pour eux-mĂȘmes ou permettre Ă  d’autres de parler en leur nom ? Je l’ai dit Ă  mes amies de Ni putes ni soumises », c’est parce que nous ne rentrons pas le soir dormir dans les quartiers que nous pouvons parler. Nous devons parler au nom de ces femmes. C’est notre devoir. Les exciseuses sont des femmes. La transmission de la tradition par les mĂšres est un fait dramatique ; je dois bien le reconnaĂźtre, en tant que femme et fĂ©ministe. Dans notre monde d’images, la femme voilĂ©e est une image trĂšs prĂ©gnante. C’est pour cela qu’il faut enlever le voile ; et pas seulement la burqa ! Il ne s’agit pas d’une affaire de mĂ©trage de tissu mais de la signification de ce vĂȘtement. J’ai Ă©tĂ© enseignante dans les quartiers de Lyon. Les frĂšres et les sƓurs se succĂ©daient dans nos classes. J’ai constatĂ© que le dĂ©veloppement du port du voile a coĂŻncidĂ© avec l’arrivĂ©e des paraboles dans nos quartiers et avec ce que les hommes et les femmes algĂ©riens ont appelĂ© les tĂ©lĂ©fatwas ». Je pense que le prĂ©sident AndrĂ© Gerin pourrait s’exprimer comme moi. Les enfants ont Ă©tĂ© alors immergĂ©s dans ce discours. Je ne vois pas quelles difficultĂ©s pose la promotion de l’indiffĂ©renciation. Tout n’est pas acceptable. La plupart des musulmans de France, et je m’en rĂ©jouis, ne demandent que l’indiffĂ©rence ainsi que le droit d’ĂȘtre laĂŻques et de s’habiller comme ils le souhaitent. Or, dans la rue, ces femmes qui portent le voile sont provocantes et prosĂ©lytes, comme si elles seules, et pas les autres, Ă©taient les bonnes musulmanes. Il appartient Ă  la reprĂ©sentation nationale de choisir qui protĂ©ger. M. Jacques Myard. Bravo ! Mme Françoise Laurant. Nous comptons dans nos rangs des femmes arabes ou originaires du Maghreb. DĂšs lors qu’elles sont laĂŻques et qu’elles ne pratiquent pas leur religion, nous n’arrivons pas Ă  les qualifier de musulmanes. Elles n’aiment pas n’avoir Ă  traiter que les problĂšmes de femmes issues de l’immigration. Depuis quelques temps, se fortifie en elles l’idĂ©e qu’elles ont eu tort de chercher Ă  trop bien s’intĂ©grer. Elles constatent, par exemple, que, alors qu’elles ont voulu s’intĂ©grer dans des organisations laĂŻques françaises, elles ne peuvent trouver Ă  Paris de cours d’arabe pour leurs enfants qu’à la mosquĂ©e ou Ă  la maison de la jeunesse et de la culture, oĂč il est dispensĂ© par un imam. Aujourd’hui les femmes musulmanes membres d’associations que nous connaissons revendiquent au nom mĂȘme de leur fĂ©minisme d’ĂȘtre voilĂ©es. Les femmes musulmanes organisĂ©es sont des prosĂ©lytes du port du voile. Lorsqu’elles dĂ©filent dans des manifestations comme celle de la JournĂ©e de la femme, le 8 mars, elles sont encadrĂ©es par des services d’ordre composĂ©s d’hommes religieux barbus. En revanche, nous ne sommes pas en contact avec des associations de femmes laĂŻques de confession musulmane. Nous voyons nous aussi, comme Mme Sabine Salmon, venir Ă  nous des femmes porteuses du voile intĂ©gral. Elles viennent souvent, je le souligne, accompagnĂ©es d’une amie non voilĂ©e. Elles n’osent pas effectuer seules des dĂ©marches personnelles ainsi habillĂ©es c’est bien un symbole que ce costume ! Nous dĂ©couvrons alors qu’elles ne savent pas vraiment si ce voile est ou non un symbole religieux ; lorsque leur amie leur dit que le Coran ne l’impose pas, elles la croient. CrĂ©er des endroits oĂč ces jeunes femmes pourraient ĂȘtre informĂ©es, de façon Ă  ce qu’elles ne s’emprisonnent pas elles-mĂȘmes en croyant se conformer Ă  des valeurs qu’elles recherchent, serait une piste Ă  explorer. Nous menons un dialogue dans les quartiers oĂč la densitĂ© des personnes issues de l’immigration est forte. Nous y conduisons nos actions non pas avec des associations de femmes musulmanes mais avec des jeunes femmes revenues dans le quartier pour y travailler, et qui, si elles peuvent ĂȘtre habillĂ©es d’un foulard, ne sont pas voilĂ©es. Non seulement nous parlons de tous les signes religieux, mais aussi de toutes les contraintes que la communautĂ© fait peser sur les femmes vĂȘtements, signes religieux, mais aussi obligation d’ĂȘtre rentrĂ©e Ă  six heures le soir par exemple. Pourquoi les femmes prĂȘtent-elles la main Ă  la montĂ©e de l’intĂ©grisme ? Pour ĂȘtre trĂšs franche, ĂȘtre traitĂ©e de pute » dĂšs qu’elle est vĂȘtue Ă  l’occidentale incitera une femme soit Ă  rentrer dans le rang, soit Ă  partir. Nos rĂ©seaux comptent dans d’autres pays des militantes se revendiquant la plupart du temps laĂŻques, mĂȘme si elles peuvent avoir des pratiques religieuses. Nous pourrons vous mettre en relation avec un certain nombre d’entre elles. Nous ne nous Ă©tions pas posĂ© la question du lien entre dĂ©veloppement du port du voile et nationalitĂ© ; cependant, trĂšs souvent cela tient Ă  l’arrivĂ©e d’un nouvel imam, qui vient le plus souvent d’Égypte. Il y a dix ans, dans le quartier de Grenoble dans lequel j’habite, aucune femme ne portait le voile. Aujourd’hui, je suis entourĂ©e de porteuses de voiles et je subis des pressions m’enjoignant de quitter ce quartier qui serait devenu arabe et oĂč je n’aurais pas ma place. TrĂšs souvent, les porteuses du voile intĂ©gral arrivent de l’extĂ©rieur et vivent avec des musulmans trĂšs pratiquants. Mme Olivia Cattan. Nous sommes Ă  l’origine d’une charte des droits des femmes qui mentionne le droit des femmes Ă  disposer librement de leur corps ; cette charte a Ă©tĂ© signĂ©e par plus de 8 000 personnes en France, mais Ă©galement en Iran, en Égypte, au Maroc, en Tunisie. Dans ces pays musulmans, on a vu des femmes monter au crĂ©neau plus vigoureusement que les femmes musulmanes françaises. Les vice-prĂ©sidents de nos associations sont musulmans ; l’un d’eux est prĂ©sident des associations musulmanes laĂŻques. Nous avons conduit dans la presse une campagne sur les femmes prĂ©caires. Nous avons de ce fait reçu des visites de femmes voulant quitter leur mari, parce qu’il les obligeait Ă  porter le voile par exemple. Mais dans ces cas interviennent des problĂ©matiques d’autoritĂ© parentale, de rĂ©pudiation, d’hĂ©bergement dans un foyer. En tant qu’association, ne pouvons pas rĂ©pondre aux demandes si la RĂ©publique ne nous donne pas les moyens de le faire. Enfin, – l’école nous le permet – il faut sans doute aujourd’hui susciter au sein des jeunes gĂ©nĂ©rations le dĂ©sir d’émancipation ; nous ne pourrons pas imposer aux femmes musulmanes de ne pas porter le voile, de ne pas croire, de penser que la burqa n’est pas un signe religieux. En revanche, nous pouvons leur donner le choix entre la laĂŻcitĂ© et la modernitĂ© d’une part, leur culture ancestrale de l’autre. Mme Marie-Pierre Martinet, secrĂ©taire gĂ©nĂ©rale du Mouvement français pour le Planning familial. Mme Mazetier nous a demandĂ© si une action Ă  l’encontre du voile ne risquait pas de servir d’alibi Ă  une absence d’action en faveur de l’égalitĂ© entre les femmes et les hommes. Pour moi, le piĂšge est dĂ©jĂ  lĂ . Le discours actuel a effacĂ© les questions d’égalitĂ© entre les femmes et les hommes. Il est beaucoup plus difficile d’aborder les fondements d’une sociĂ©tĂ© qui s’est basĂ©e sur la relation du pouvoir et du patriarcat que de dire qu’il faut que chacun puisse accĂ©der aux responsabilitĂ©s tant professionnelles qu’électives. La question aujourd’hui posĂ©e est peut-ĂȘtre pour nous le moyen de remettre sur le devant de la scĂšne le droit des femmes Ă  disposer de leur corps, Ă  choisir librement, quelle que soit leur origine, et Ă  trouver leur place dans notre sociĂ©tĂ©. Mme BĂ©rengĂšre Poletti. Mesdames, j’ai Ă©tĂ© moi aussi trĂšs heureuse de vous entendre. Le port du voile intĂ©gral, c’est l’effacement du droit Ă  la diffĂ©rence. Une femme qui porte un voile intĂ©gral n’existe plus ; son individualitĂ© disparaĂźt au profit d’une masse de tissu. Je pense que c’est le but recherchĂ© par ceux qui souhaitent affubler les femmes de cette maniĂšre. La semaine derniĂšre, une intervenante nous a expliquĂ© que nous Ă©tions devant un mouvement salafiste rigide, voire sectaire, qu’il touchait des jeunes jusqu’ici Ă©duquĂ©s – des jeunes filles qui faisaient la fĂȘte avec les autres prennent brusquement le voile – et que ces personnes Ă©chappaient Ă  toute forme d’autoritĂ©. Le maire, les parents et mĂȘme l’imam n’y peuvent mais ainsi, dans ma circonscription, l’imam de Charleville-MĂ©ziĂšres, qui porte la parole d’un islam tempĂ©rĂ©, ne peut rien y faire. Dans ces conditions, quelles actions les associations peuvent-elles conduire, et Ă  quel moment ? Comment, mis Ă  part le cas oĂč elles viennent leur demander de l’aide, peuvent-elles rattraper des femmes qui sont entrĂ©es dans ce mouvement, en gĂ©nĂ©ral avec leur conjoint ? Que pensez-vous des municipalitĂ©s qui rĂ©servent des crĂ©neaux horaires aux femmes pour la pratique du sport, notamment dans les piscines ? Pour moi, cette dĂ©marche n’aide pas les femmes mais favorise, au contraire, la sĂ©grĂ©gation entre les hommes et les femmes. M. Yves Albarello. Des tribunaux de la charia existent au Royaume-Uni. J’ose espĂ©rer que la prĂ©sente mission d’information a Ă©tĂ© mise sur pied Ă  temps pour nous Ă©viter d’arriver Ă  ces excĂšs. Je suis maire d’une commune de 12 000 habitants aux portes de la Brie. Depuis maintenant six mois, je retrouve rĂ©guliĂšrement sur le marchĂ© deux personnes portant la burqa. C’est le signe d’une accĂ©lĂ©ration du port de ce vĂȘtement au cƓur de notre pays. Il est temps pour nous d’en prendre conscience et d’adopter les bonnes mesures. Mesdames, comment expliquez-vous que des enseignants, des agents hospitaliers viennent vous prĂ©senter les problĂšmes auxquels ils sont confrontĂ©s au lieu de s’adresser Ă  leurs hiĂ©rarchies respectives, qui devraient disposer de bonnes solutions, tirĂ©es de la loi existante ? M. Eric Diard. Il semblerait que, parmi les femmes portant le voile intĂ©gral, figurent de plus en plus de femmes rĂ©cemment converties ou ayant effectuĂ© des Ă©tudes supĂ©rieures. Si tel est le cas, quelles en sont les raisons ? Mme Jeanny Marc. La prĂ©sente mission d’information procĂšde d’une trĂšs bonne idĂ©e et arrive Ă  point nommĂ©. MĂȘme dans la petite commune de 3 000 habitants oĂč j’habite en Guadeloupe, chaque samedi une jeune femme fait son marchĂ©, avec son enfant, revĂȘtue d’un voile intĂ©gral. Cela choque. Madame Morvan, le phĂ©nomĂšne prĂ©sente-t-il dans les autres pays europĂ©ens la mĂȘme acuitĂ© qu’en France ? Mme Annie Sugier. Que peuvent faire les associations ? Rien. Ce qu’il faut, c’est une lĂ©gislation. Mme MichĂšle VianĂšs. Paul Bert disait Nous sommes dans le domaine de la conscience, au seuil duquel s’arrĂȘte la loi de la majoritĂ© ». Je suis tout Ă  fait hostile, bien sĂ»r, aux piscines islamiques. La question des converties est gravissime. Lorsque j’interviens dans des rĂ©unions publiques, c’est le converti qui va s’exprimer et s’opposer Ă  mes arguments et pas le barbu qui l’accompagne ; il en est de mĂȘme pour les femmes voilĂ©es. Cette mise en avant des convertis est en rĂ©alitĂ© une stratĂ©gie de prise de pouvoir ; il n’est plus possible de se contenter de dĂ©battre pour convaincre. Mme Carine Delahaie. J’adhĂšre aux propos d’Annie Sugier. Les associations travaillent malgrĂ© tout avec les femmes voilĂ©es Ă  accomplir la mĂȘme tĂąche que lorsqu’elles accompagnent les femmes victimes de violences ou des personnes entrĂ©es dans une secte, c'est-Ă -dire Ă  crĂ©er un lien. Mme Françoise Laurant. Les femmes isolĂ©es, les salafistes, celles qui ont accompli des Ă©tudes supĂ©rieures et les converties ne poussent pas la porte de nos permanences. En revanche, il est possible d’arriver Ă  entrer en contact avec elles Ă  l’occasion d’actions collectives dans des quartiers sur des thĂšmes beaucoup plus vastes. Il faut multiplier ces occasions. Pourquoi les enseignants des collĂšges, en difficultĂ© dans leur classe sur ces questions, viennent-ils nous consulter ? Parce que nous sommes un peu extĂ©rieurs au systĂšme dont ils font partie et que nous pouvons leur donner des idĂ©es. Les collĂšges sont isolĂ©s dans les quartiers. Nous manquons de politiques territoriales de quartiers. Mme Nicole CrĂ©peau. Nous essayons nous aussi de crĂ©er du lien pour aider les femmes dans ces situations. Une loi serait-elle la solution ? Ne risquerait-elle pas au contraire de figer les choses ? Pour moi, la vraie solution est la mise en place d’une vĂ©ritable politique d’éducation, de travail sur les relations entre garçons et filles, de promotion de l’égalitĂ© entre les femmes et les hommes, le dĂ©veloppement de l’enseignement de l’histoire des religions, l’action en faveur du dĂ©veloppement d’un esprit critique Ă  l’égard de celles qui sont dĂ©jĂ  engagĂ©es dans le port du voile. Il s’agit bien de conduire une politique globale en amont. Mme Marie-Pierre Martinet. Nous traitons toutes d’éducation, d’information et de relations entre filles et garçons. La loi de 2001, qui prĂ©voit trois sĂ©ances d’éducation et d’information Ă  la sexualitĂ©, n’est pas totalement appliquĂ©e. Nos interventions en matiĂšre de sexualitĂ©, portent sur la relation Ă  l’autre. Cette approche permet de travailler sur les relations entre filles et garçons et de montrer les rapports de domination vĂ©hiculĂ©s par ce type de signes religieux. Mme Françoise Morvan. Tout rĂ©cemment, Ă  Grenade, lors d’un colloque international, des collĂšgues membres d’associations fĂ©ministes europĂ©ennes m’ont souhaitĂ© de rĂ©ussir dans le combat que nous menons en France. Mme Sabine Salmon. Depuis un ou deux mois, il arrive que des femmes appellent dans nos permanences, par vagues – pendant une semaine dans un cas – pour se dĂ©clarer voilĂ©es et demander Ă  adhĂ©rer. Nous sommes trĂšs prudents si nous refusons, nous sommes attaquĂ©s pour discrimination. Nous demandons donc Ă  nos membres qui rĂ©pondent de rappeler les valeurs que nous dĂ©fendons et de prĂ©ciser que nous ne recevons pas les adhĂ©sions par tĂ©lĂ©phone, que nous souhaitons rencontrer nos futures adhĂ©rentes et discuter avec elles. Nous voulons, en effet, Ă©viter tout entrisme ». En 2003, lorsque nous avons portĂ© le dĂ©bat sur le voile, nous avons Ă©tĂ© traitĂ©s, localement, de racistes et d’islamophobes, nous avons reçu des lettres de menaces. C’est le signe que le port du voile est une question bien plus profonde qu’une marque symbolique d’appartenance. Mme MichĂšle VianĂšs. En vingt ans – c’est une simple affaire d’observation – le nombre de jeunes filles voilĂ©es dans les Ă©tablissements scolaires s’est considĂ©rablement accru ; il y a donc bien recrudescence du port du voile. La rĂ©ponse est politique c’est Ă  vous de prendre la dĂ©cision qui permettra de lui donner le nĂ©cessaire coup d’arrĂȘt. La Coordination française du Lobby europĂ©en des femmes intervient chaque annĂ©e dans tous les États d’Europe pour expliquer la laĂŻcitĂ© ; les autres pays ont besoin de cet outil pour faire reconnaĂźtre les droits des femmes et les faire Ă©chapper au communautarisme. Mme Annie Sugier. Aux Jeux olympiques d’Atlanta, en 1996, une seule femme, membre de la dĂ©lĂ©gation iranienne, Ă©tait voilĂ©e ; aujourd’hui 14 dĂ©lĂ©gations comprennent des femmes voilĂ©es. L’augmentation est visible. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Au nom de la Mission, je vous remercie, Mesdames, pour la clartĂ© et la luciditĂ© de vos exposĂ©s. Nous avons besoin d’informations, de contributions de votre part. N’hĂ©sitez pas Ă  nous prĂ©senter les prĂ©conisations auxquelles, selon vous, nous devrions travailler ; ainsi, vous nous aiderez dans notre cheminement. Nous sommes face Ă  un dĂ©fi de civilisation. Audition de M. Michel Champredon, maire d’Evreux, et de M. Philippe Esnol, maire de Conflans-Sainte-Honorine, reprĂ©sentants de l’Association des maires de France SĂ©ance du mercredi 15 juillet 2009 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Je remercie M. Michel Champredon, maire d’Evreux, et M. Philippe Esnol, maire de Conflans-Sainte-Honorine, de leur prĂ©sence. Je remercie Ă©galement l’Association des maires de France et son prĂ©sident, M. Jacques PĂ©lissard, de nous permettre ainsi d’entendre aujourd’hui un maire de la rĂ©gion parisienne et un maire de province. Les maires sont en premiĂšre ligne » sur le sujet qui nous occupe, en raison des problĂšmes auxquels ils sont confrontĂ©s au quotidien, tant dans les services qui sont en contact avec la population, notamment ceux de l’état-civil, que dans le domaine des activitĂ©s associatives et sportives. Je me rĂ©jouis donc, Messieurs, que vous puissiez nous faire part de votre expĂ©rience. M. Michel Champredon, maire d’Evreux. Merci de nous permettre de nous exprimer devant vous sur ce sujet politico-religieux qui fait dĂ©bat dans la sociĂ©tĂ© française. Evreux, prĂ©fecture du dĂ©partement de l’Eure, qui compte 54 000 habitants au sein d’une agglomĂ©ration qui en regroupe 85 000, comprend deux quartiers populaires en renouvellement urbain. Une forte proportion de leurs habitants est originaire d’Afrique noire, d’Afrique du Nord ainsi que de Turquie. Beaucoup ont aujourd’hui la nationalitĂ© française. Globalement la commune vit bien. Le mouvement associatif laĂŻc et d’éducation populaire ayant du mal Ă  renouveler ses Ă©lites et s’affaiblissant au fil des annĂ©es, on voit apparaĂźtre un mouvement associatif plus communautaire, avec lequel il faut aussi travailler parce qu’il reprĂ©sente une partie de la population, et qui se pose en partenaire de la vie locale. Ce partenariat est fondĂ© sur des principes rĂ©publicains, en particulier la laĂŻcitĂ© et la neutralitĂ©, qui sont inscrits dans les conventions que nous passons. À Evreux, quelques femmes portent le voile intĂ©gral, sans qu’on puisse dire exactement combien. Je pense qu’il y en a moins d’une dizaine mais peut-ĂȘtre est-ce un peu plus. On ne peut donc pas dire qu’à ce jour, la burqa soit un problĂšme dans la vie locale. Elle attire le regard et peut inspirer des sentiments dĂ©sapprobateurs, mais elle ne constitue pas un sujet de dĂ©bat, ni dans les rĂ©unions publiques de quartier ni Ă  l’occasion de nos rencontres avec les associations et les administrĂ©s. Je me rĂ©jouis en tout cas que cette mission parlementaire permette de rĂ©flĂ©chir au sujet hors de toute pression mĂ©diatique ou sociĂ©tale. Dans les services publics de la mairie et du Grand Evreux, le seul cas problĂ©matique que nous avons connu est, au moment du vote de la nouvelle loi sur la laĂŻcitĂ© en 2004, celui d’une femme qui a voulu travailler dans la restauration scolaire avec son voile. AprĂšs nĂ©gociation, elle a acceptĂ© de le retirer. Nous n’avons rencontrĂ© aucune autre difficultĂ©. M. Philippe Esnol, maire de Conflans-Sainte-Honorine. Je vous remercie Ă©galement d’avoir organisĂ© cette audition. Ma ville compte 35 000 habitants, les populations et les logements s’y rĂ©partissent de maniĂšre satisfaisante. La vie associative y est trĂšs dĂ©veloppĂ©e, avec plus de 200 associations qui s’impliquent trĂšs fortement dans la vie locale, en gĂ©nĂ©ral en liaison Ă©troite avec les Ă©lus et les services municipaux. Tout cela fonctionne bien depuis de longues annĂ©es. Mais on assiste depuis quelque temps Ă  une rĂ©gression dans le comportement des femmes en matiĂšre de tenues vestimentaires. On a vu apparaĂźtre, il y a une dizaine d’annĂ©es, des voiles, plus ou moins importants, non seulement dans les rues de la ville mais aussi dans les services publics. La loi de 2004 sur la laĂŻcitĂ© a heureusement mis un frein Ă  cette Ă©volution, en particulier en interdisant aux jeunes filles de porter le voile dans leur Ă©tablissement scolaire. NĂ©anmoins, le dĂ©rapage vestimentaire s’aggrave Ă  nouveau. Depuis deux ou trois ans, j’ai relevĂ© la prĂ©sence sur le territoire de la commune d’au moins deux ou trois femmes en voile intĂ©gral avec les mains gantĂ©es, marchant trois mĂštres derriĂšre celui que je suppose ĂȘtre leur mari. D’autres portent un voile qui ne laisse voir que les yeux et le nez, sur une tenue sombre, ou au contraire toute blanche, descendant jusqu’aux pieds. Cela provoque des rĂ©actions de malaise dans la population, qui ressent cela comme l’affichage provocateur de la volontĂ© de ne pas s’intĂ©grer. Ce comportement peut Ă©videmment poser problĂšme dans les services publics, non seulement pour l’état-civil et les mariages, mais aussi Ă  l’école comment une institutrice peut-elle savoir si la femme qui se prĂ©sente devant elle en burqa est bien la mĂšre de l’enfant qu’elle vient chercher ? Et lorsque dans la hiĂ©rarchie de l’éducation nationale, on suggĂšre de demander Ă  la mĂšre de broder son nom sur son vĂȘtement pour s’assurer de son identitĂ©, on est, par rapport Ă  nos principes rĂ©publicains, dans le dĂ©rapage le plus incontrĂŽlĂ© ! Cette coutume vestimentaire qui provient de certains pays n’a, pour moi, rien Ă  voir avec la religion musulmane. Elle ne respecte ni le principe de libertĂ©, ni le principe d’égalitĂ©, et encore moins le principe de laĂŻcitĂ©. Je considĂšre donc qu’elle doit ĂȘtre interdite sur le territoire de la RĂ©publique française. M. Christian Bataille. M. Esnol, vos services municipaux rencontrent-ils eux aussi des problĂšmes ? M. Champredon, si vous considĂ©rez que de tels problĂšmes n’existent pas pour l’instant Ă  Evreux, pensez-vous que le dĂ©veloppement du port du voile intĂ©gral pourrait vous en poser ? Quel est votre sentiment personnel sur cette pratique au regard des principes rĂ©publicains ? M. Georges Mothron. Y a-t-il eu, dans vos deux villes, des cas de confrontation entre une femme portant le voile intĂ©gral, ou son mari, et les agents municipaux ? Comment la hiĂ©rarchie a-t-elle alors rĂ©agi ? Au cas oĂč vous auriez reçu la dĂ©lĂ©gation du prĂ©fet pour remettre leurs papiers aux personnes nouvellement naturalisĂ©es, avez-vous eu Ă  les remettre Ă  des femmes qui se sont prĂ©sentĂ©es en burqa ? Mme Arlette Grosskost. Je suis dĂ©putĂ©e de Mulhouse, ville de 125 000 habitants qui a connu ces derniĂšres annĂ©es une montĂ©e trĂšs importante du hijab en gĂ©nĂ©ral et du voile intĂ©gral en particulier. S’il va sans dire que l’islam doit disposer de lieux de culte dignes, on observe que, de plus en plus, on adjoint aux mosquĂ©es, dans un mĂȘme ensemble, des lieux culturels. Ainsi dans ma ville, le dernier projet de mosquĂ©e est assorti d’une galerie marchande ainsi que d’une piscine, dont on peut imaginer que les horaires d’ouverture seront diffĂ©renciĂ©s pour les hommes et pour les femmes. Comment rĂ©agiriez-vous devant un projet de ce type, certes privĂ©, mais porteur de valeurs trĂšs communautaristes ? Mme DaniĂšle Hoffman-Rispal. Pour ma part je suis dĂ©putĂ©e de Paris, et plus particuliĂšrement du quartier de Belleville, oĂč sont arrivĂ©s depuis un siĂšcle et demi des immigrants de toutes nationalitĂ©s. La prĂ©sence du voile depuis quatre ou cinq ans en a vraiment changĂ© la physionomie. Il y a des endroits oĂč les gens y prĂȘtent peu attention ; en revanche, je me suis trouvĂ©e rĂ©cemment dans le mĂ©tro avec une femme trĂšs jeune qui pouvait Ă  peine se dĂ©placer Ă  cause de sa burqa tout le wagon s’est mis en colĂšre ; le mouvement d’humeur a Ă©tĂ© gĂ©nĂ©ral. C’était la premiĂšre fois que je voyais cela. J’en viens Ă  ma question comment font les services municipaux lorsque des femmes trĂšs voilĂ©es viennent s’inscrire, mĂȘme avec photo et piĂšce d’identitĂ©, sur les listes Ă©lectorales ? M. Éric Raoult, rapporteur. Evreux et Conflans-Sainte-Honorine sont peut-ĂȘtre un peu moins concernĂ©es que d’autres villes de l’Eure et des Yvelines, mais parlez-vous de ce sujet au sein des associations de maires de votre dĂ©partement et au niveau des agglomĂ©rations ? À votre avis, ces problĂšmes peuvent-ils ĂȘtre liĂ©s Ă  l’arrivĂ©e d’un nouvel imam, ou encore Ă  celle de populations originaires d’autres pays que les anciennes colonies françaises, n’ayant avec nous aucun passĂ© commun ? Enfin, ĂȘtes-vous interpellĂ©s par vos agents communaux sur le fait qu’ils ont des difficultĂ©s avec des femmes qui refusent d’enlever leur voile ? Je souligne, en effet, que si nous avons lĂ©gifĂ©rĂ© sur les signes religieux Ă  l’école, c’est parce que les enseignants et les chefs d’établissement ont fait appel Ă  nous. Mme BĂ©rengĂšre Poletti. À Charleville-MĂ©ziĂšres aussi, une mosquĂ©e va ĂȘtre construite et le projet comporte une partie cultuelle et une partie culturelle. Les pratiquants musulmans veulent obtenir un financement public sur la deuxiĂšme. Or dĂšs lors qu’il y a financement public, les lieux relĂšvent de l’espace public et non plus privĂ©. Les maires sont-ils en attente de rĂšgles conditionnant un tel financement public, comme par exemple l’égal accĂšs de tous les citoyens Ă  ces espaces ? M. Michel Champredon. Les agents municipaux nous interpellent-ils ? À Evreux, non. Parlons-nous de ce sujet entre maires ? Pas davantage, sauf peut-ĂȘtre pour discuter du dernier reportage vu Ă  la tĂ©lĂ©vision
 Ce qui nous occupe, c’est de rĂ©ussir le renouvellement urbain dans les quartiers populaires. Celui de La Madeleine est en renouvellement urbain depuis vingt-cinq ans, du dĂ©veloppement social des quartiers DSQ des annĂ©es 1981-1983 aux opĂ©rations de renouvellement urbain ORU en passant par les contrats de ville. Or si du point de vue de la superstructure, ces quartiers sont Ă  peu prĂšs remis Ă  neuf, en revanche la pauvretĂ© y a galopĂ©, le communautarisme s’est sensiblement dĂ©veloppĂ©, l’exclusion sociale s’est accrue, les incivilitĂ©s sont devenues encore plus insupportables, et tous les habitants qui en ont eu la possibilitĂ© sont partis ailleurs. Ne restent que ceux qui en sont prisonniers. Je ne crie pas haro sur la politique de la ville, Ă  laquelle j’ai participĂ© comme Ă©lu depuis 1983, mais force est de constater que vingt-cinq ans aprĂšs, les quartiers en renouvellement urbain ne sont pas tirĂ©s d’affaire, tant s’en faut. C’est le cas Ă  La Madeleine, oĂč l’on vient de dĂ©penser 200 millions d’euros sur cinq ans pour 15 000 habitants, et oĂč le conseil gĂ©nĂ©ral s’est mĂȘme interrogĂ© rĂ©cemment sur l’opportunitĂ© de fermer le collĂšge. En effet, tous les parents qui en ont la possibilitĂ© Ă©vitent d’y scolariser leurs enfants ; l’inspection acadĂ©mique refusant d’accorder des dĂ©rogations pour les inscrire dans d’autres Ă©tablissements publics, ils partent dans le secteur privĂ©. Bref, la question religieuse doit s’envisager Ă  l’intĂ©rieur de celle, plus globale, de la politique de la ville. En ce qui concerne la maniĂšre dont le maire que je suis depuis quatorze mois fait vivre les idĂ©aux de la RĂ©publique, j’ai commencĂ© par demander l’inscription de la devise de la RĂ©publique sur les bĂątiments officiels. Celle qui figure dĂ©sormais sur le bĂątiment de l’agglomĂ©ration du Grand Evreux a Ă©tĂ© inaugurĂ©e il y a un mois. Fin aoĂ»t, Ă  l’occasion de la cĂ©lĂ©bration de la libĂ©ration d’Evreux, nous inaugurerons celle du fronton de l’hĂŽtel de ville. La devise de la RĂ©publique sera Ă©galement inscrite sur tous les bĂątiments communaux, en commençant par les Ă©coles. DeuxiĂšme exemple Ă  l’occasion de la fĂȘte nationale, nous venons d’organiser une rĂ©ception pour les nouveaux Français installĂ©s Ă  Evreux, avec notamment la projection du film trĂšs pĂ©dagogique du ministĂšre de l’intĂ©rieur – que je vais d’ailleurs suggĂ©rer aux Ă©coles d’utiliser. M. Éric Raoult, rapporteur. Si une personne s’était prĂ©sentĂ©e avec un voile intĂ©gral, qu’auriez-vous fait ? M. Michel Champredon, maire d’Evreux. Si j’avais eu le temps de rĂ©agir, je serais allĂ© la voir. Autrement, j’aurais fait comme si de rien n’était en attendant de pouvoir discuter avec elle. Mais la question n’est pas simple, puisqu’elle soulĂšve celle de la libertĂ© de culte. Je peux aussi vous citer ce que j’ai fait en matiĂšre de commerces. À La Madeleine, comme souvent dans ce type de quartier, la mixitĂ© commerciale a tendance Ă  reculer lorsqu’un commerce classique ferme, c’est un commerce de type communautaire qui ouvre. Or la rĂ©ussite du renouvellement urbain passe par la mixitĂ© commerciale lorsque les habitants, notamment ĂągĂ©s, ne trouvent plus leurs produits habituels, ils partent. Dans le centre commercial de La Madeleine, une boulangerie avait fermĂ© ; deux repreneurs s’étaient manifestĂ©s, un vendeur de kebabs et un boulanger-traiteur, et j’ai bien sĂ»r soutenu le second devant le liquidateur, bien que son offre soit financiĂšrement moins intĂ©ressante, afin de favoriser le maintien d’une population d’origine europĂ©enne. VoilĂ  quelques gestes qui tĂ©moignent de mon engagement. J’étais partisan de la derniĂšre loi sur la laĂŻcitĂ© et il me semble qu’on n’échappera pas Ă  une lĂ©gislation sur la question de la burqa en laissant aux acteurs sociaux et aux Ă©lus le soin de rĂ©gler le problĂšme au niveau local, on rendrait tout le monde vulnĂ©rable et on courrait le risque d’une trop grande diversitĂ© de rĂ©ponses. Il me paraĂźt du devoir du lĂ©gislateur de prendre un engagement fort, conforme aux principes d’égalitĂ©, de libertĂ© et de fraternitĂ© qui fondent notre culture rĂ©publicaine depuis 1789, auxquels s’ajoute le principe de laĂŻcitĂ©. Ces principes font en effet l’identitĂ©, la beautĂ© et le charme de notre pays. M. Philippe Esnol, maire de Conflans-Sainte-Honorine. Les services municipaux rencontrent peu de problĂšmes car la plupart du temps ce sont les maris, et non pas les femmes, qui font les dĂ©marches administratives. Il y en a eu un Ă  l’occasion d’un mariage, mais l’officier d’état-civil a rĂ©ussi Ă  obtenir que le voile soit levĂ© – faute de quoi le mariage n’aurait pas eu lieu. J’ai, par ailleurs, Ă©voquĂ© les difficultĂ©s auxquelles peuvent ĂȘtre confrontĂ©es les maĂźtresses d’école. Quant Ă  la remise des papiers aux personnes naturalisĂ©es, pour le moment elle est toujours effectuĂ©e, chez nous, par le sous-prĂ©fet. TrĂšs attachĂ© Ă  la libertĂ© de pensĂ©e et de croyance, je considĂšre que toutes les religions ont droit Ă  des lieux de culte. En revanche, je suis hostile Ă  tout financement public, et j’ai Ă©tĂ© amenĂ© Ă  en refuser. Mais ce n’est pas de la libertĂ© de culte que relĂšvent les comportements vestimentaires ; il s’agit de dĂ©rapages communautaristes, imposĂ©s par les hommes. À trop confondre la libertĂ© de culte et certaines pratiques culturelles, on pourrait en venir Ă  admettre d’autres pratiques comme la polygamie ou l’excision
 En la matiĂšre, il est indispensable que nous posions des limites ; si certaines personnes ne souhaitent pas les respecter, il leur est toujours possible d’aller vivre ailleurs. Entre collĂšgues maires, oui, nous parlons de ces questions, d’autant que certains se sont positionnĂ©s sur le sujet et que dans certaines communes peu Ă©loignĂ©es de la mienne, comme Les Mureaux et Chanteloup-les-Vignes, la problĂ©matique peut ĂȘtre plus compliquĂ©e qu’à Conflans. Aux Mureaux, le conseil municipal vient d’adopter une charte de la laĂŻcitĂ© afin de clarifier la situation. J’ai Ă©galement l’occasion de dialoguer avec, M. Jacques Myard, qui a pris position de façon courageuse. S’agissant des causes du phĂ©nomĂšne, Ă  Conflans il n’y a pas d’imam ; on ne peut pas non plus tout expliquer par l’origine des populations puisque dĂ©sormais, on voit mĂȘme des Françaises converties porter le voile intĂ©gral. C’est dire l’aggravation de la situation et la nĂ©cessitĂ© d’y mettre un coup d’arrĂȘt. M. Éric Raoult, rapporteur. Certains, hostiles Ă  l’adoption d’une loi nous disent que l’interdiction de la burqa risquerait d’avoir pour effet de contraindre les femmes Ă  rester enfermĂ©es chez elles, l’appartement se substituant Ă  la burqa. Qu’en pensez-vous ? Mme Colette Le Moal. Pour ma part, j’aimerais un complĂ©ment de rĂ©ponse Ă  la question de deux de nos collĂšgues sur la prĂ©sence d’un Ă©quipement culturel Ă  cĂŽtĂ© d’un lieu cultuel. M. Michel Champredon, maire d’Evreux. Pendant la campagne Ă©lectorale, j’ai toujours dit que je ne m’opposerais pas Ă  ce qu’il y ait Ă  Evreux un lieu de culte pour les mulsulmans, mais j’ai bien rĂ©pĂ©tĂ© qu’il ne bĂ©nĂ©ficierait d’aucun financement public, ni de la ville, ni de l’agglomĂ©ration, ni du dĂ©partement, pas plus que de l’État et de la rĂ©gion. Au lendemain des Ă©lections, j’ai prĂ©fĂ©rĂ© prendre le sujet Ă  bras-le-corps et organiser une rĂ©union avec des associations reprĂ©sentant la diversitĂ© de la communautĂ© musulmane, plutĂŽt que d’attendre que les choses se fassent hors de tout contrĂŽle de la collectivitĂ©. J’y ai exprimĂ© ma volontĂ© de jouer un rĂŽle d’accompagnement, sans intervenir sur le plan financier, et il m’a paru trĂšs important de demander que ce lieu de priĂšre soit destinĂ© Ă  l’ensemble des sensibilitĂ©s de la communautĂ© musulmane. Nous en sommes Ă  la troisiĂšme rĂ©union et le dossier progresse. Souvent, c’est vrai, les musulmans adossent au lieu cultuel un lieu culturel, de façon Ă  pouvoir drainer des financements. Bien entendu, il convient d’ĂȘtre vigilant car nos concitoyens pourraient avoir le sentiment d’ĂȘtre trompĂ©s si, par une astuce de prĂ©sentation, on apportait des deniers publics au fonctionnement d’un culte. M. Philippe Esnol, maire de Conflans-Sainte-Honorine. Je ne suis moi-mĂȘme nullement opposĂ© Ă  la crĂ©ation de lieux de culte, tout en Ă©tant contre tout financement public. En ce qui concerne les Ă©quipements culturels, je ne vois pas au nom de quoi on refuserait des Ă©coles coraniques aux musulmans alors qu’il existe des Ă©coles catholiques, protestantes ou juives. S’agissant des piscines, on ne peut guĂšre intervenir si elles sont privĂ©es ; en revanche, je suis rĂ©solument opposĂ© Ă  l’idĂ©e de rĂ©server des crĂ©neaux horaires aux femmes dans les piscines publiques. Sur les lieux de culte, le fait de dire qu’on prĂ©fĂšre accompagner plutĂŽt que subir en dit long sur les inquiĂ©tudes que l’on Ă©prouve
 Enfin, que se passerait-il si l’on interdisait la burqa ? En rĂ©alitĂ©, cela ne changerait pas grand-chose pour les femmes. Certes elles seraient peut-ĂȘtre enfermĂ©es chez elles, mais aujourd’hui la burqa les enferme lorsqu’elles sont dehors ; elles ne sont libres ni dans un cas, ni dans l’autre. Mme Elisabeth Badinter a raison de dire que les femmes qui prĂ©tendent porter librement la burqa font insulte Ă  toutes celles qui vivent dans des pays oĂč ce voile est obligatoire. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Messieurs, merci beaucoup pour les Ă©lĂ©ments que vous nous avez apportĂ©s. Nous aurons l’occasion d’entendre d’autres maires par la suite. Mes chers collĂšgues, je vous informe Ă©galement que la ConfĂ©rence des prĂ©sidents a acceptĂ© que notre mission change d’appellation et s’intitule Mission d’information sur la pratique du port du voile intĂ©gral sur le territoire national ». Audition de Mme Sihem Habchi, prĂ©sidente de l’association Ni putes ni soumises SĂ©ance du mercredi 9 septembre 2009 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Aujourd’hui a lieu notre troisiĂšme sĂ©ance d’auditions au cours de laquelle nous entendrons Mmes Sihem Habchi et Élisabeth Badinter. Nous organiserons, la semaine prochaine, une table ronde avec des associations laĂŻques et nous entendrons, Ă  huis clos, deux personnes qui travaillent sur le terrain dans un dĂ©partement d’Île-de-France. Le 23 septembre, est prĂ©vue une rĂ©union entre membres de la mission pour faire un point d’étape sur nos travaux et, le 29 septembre, nous entendrons des Ă©lus de l’association Ville et Banlieue de France, le maire de Nancy, M. AndrĂ© Rossinot, auteur, en 2006, d’un rapport sur la laĂŻcitĂ© dans les services publics, et, sous rĂ©serve, un spĂ©cialiste du salafisme ou MaĂźtre GisĂšle Halimi. Il nous faudra aussi organiser, dĂ©but octobre, une rencontre avec les reprĂ©sentants du Conseil français du culte musulman. À la suite de la publication dans la presse, fin juillet, d’une estimation du nombre de femmes portant la burqa en France Ă©manant d’un rapport de police, j’ai adressĂ© une lettre, cosignĂ©e par notre rapporteur, M. Éric Raoult, Ă  M. Brice Hortefeux, ministre de l’IntĂ©rieur, pour lui demander communication du rapport en question et des Ă©claircissements sur le chiffre avancĂ©. Un autre chiffre est citĂ© dans Le Figaro de ce matin, Ă©manant d’un autre service de ce ministĂšre. Nous devrons examiner cette question de prĂšs. L’objectif de notre mission, je le rappelle, est de faire un Ă©tat des lieux. Nos travaux porteront sur tout ce que recouvre cette rĂ©alitĂ© compte tenu des Ă©volutions constatĂ©es depuis maintenant une vingtaine d’annĂ©es dans notre pays. Nous voulons comprendre et surtout dĂ©boucher sur des prĂ©conisations en souhaitant que la majoritĂ© d’entre elles soient partagĂ©es par les associations fĂ©minines, laĂŻques et – pourquoi pas ? – par une partie des musulmans qui veulent vivre dans notre pays dans le respect des rĂšgles de la RĂ©publique et de la laĂŻcitĂ©. M. Lionnel Luca. Selon un sondage rĂ©alisĂ© par le site et pris comme argent comptant par les mĂ©dias, une large majoritĂ© des Français musulmans se dĂ©clare hostile Ă  une loi rĂ©glementant le port du voile intĂ©gral et considĂšre la crĂ©ation d’une mission parlementaire sur le port de la burqa comme une stigmatisation de l’islam ». Je m’étonne que n’importe qui puisse faire des sondages sans mĂ©thode sĂ©rieuse et publier ensuite des affirmations dĂ©nuĂ©es de fondement. Cette campagne de dĂ©sinformation me paraĂźt prĂ©occupante, et je me demande comment nous pouvons y rĂ©agir. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. J’ai prĂ©vu de vous donner tous les Ă©lĂ©ments dont nous disposons sur ce sujet. La consultation du site qui est en lien avec le travail de Tariq Ramadan, est trĂšs instructive. Nous en parlerons lors de notre rencontre du 23 septembre. M. Jean Glavany. La mission aurait tout intĂ©rĂȘt Ă  mieux communiquer sur ce qu’elle fait. Il n’y a pas que sur le site que sont affirmĂ©es des contre-vĂ©ritĂ©s. J’ai Ă©tĂ© trĂšs choquĂ© de lire, au milieu de l’étĂ©, sous la plume de Mme Lemonnier – que je ne connais pas mais Ă  qui j’ai Ă©crit Ă  la suite de son article dans Le Nouvel Observateur – que notre mission parlementaire n’avait d’autre but que d’interdire la burqa et Ă©tait une alliance sacrĂ©e entre politiques de droite dĂ©fenseurs de l’identitĂ© chrĂ©tienne de la France et Ă©lus de gauche ultra-laĂŻques. » Personnellement, je ne sais pas ce qu’est un ultra-laĂŻque puisque, pour moi, la laĂŻcitĂ© est un combat contre tout ce qui est ultra. Nous aurions intĂ©rĂȘt Ă  communiquer avec les journalistes pour casser un certain nombre de jugements préétablis qui sont dĂ©sagrĂ©ables Ă  lire dans la presse. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Il me paraĂźt utile de rappeler aux journalistes que nos travaux sont consultables sur Internet. À l’issue de notre rĂ©union du 23 septembre prochain, nous pourrons Ă©galement envisager de prĂ©ciser Ă  nouveau, par le biais, par exemple, d’une confĂ©rence de presse, que notre mission est rĂ©publicaine et reprĂ©sentative de l’ensemble des sensibilitĂ©s de l’AssemblĂ©e nationale. M. Jacques Myard. Nous devons vivre aujourd’hui avec Internet car nous ne reviendrons pas au temps de la marine Ă  voile. DĂšs lors, il faut rĂ©pondre du tac au tac Ă©tant entendu que toutes les informations qui remontent du terrain montrent que nos compatriotes, quels qu’ils soient, sont profondĂ©ment choquĂ©s par cette coutume » du voile intĂ©gral et attendent beaucoup de notre mission. Il ne faudrait pas non plus considĂ©rer que nous sommes cernĂ©s car ce n’est pas vrai. M. Jacques Remiller. Je considĂšre comme une nouvelle provocation l’apparition cet Ă©tĂ© en France du burkini. Une jeune femme de confession musulmane s’est vue refuser l’accĂšs au bassin de la piscine d’Emerainville en Seine-et-Marne dans cette tenue de bain. En ma qualitĂ© de maire de Vienne, j’ai Ă©tĂ© confrontĂ© Ă  un Ă©vĂ©nement similaire et j’ai Ă©galement dĂ» interdire l’accĂšs. J’aimerais que cette question soit discutĂ©e par notre mission. M. Éric Raoult, rapporteur. D’autres sondages seront rĂ©alisĂ©s. Le Figaro de ce matin demande Ă  ses lecteurs de donner leur avis sur le site sur la question Faut-il lĂ©gifĂ©rer pour interdire la burqa ? ». Nous serons Ă©galement confrontĂ©s Ă  d’autres provocations. Concernant le burkini, je crois qu’il est, tout de mĂȘme, important de rester centrĂ©s sur l’objet de notre mission. * * * M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Comme je l’ai indiquĂ© lors des premiĂšres auditions, le voile constitue la face cachĂ©e d’un phĂ©nomĂšne plus gĂ©nĂ©ral qui affecte en profondeur la sociĂ©tĂ© française. Comme nombre d’entre vous, Mesdames, Messieurs les dĂ©putĂ©s, membres de la mission, je me suis forgĂ© une conviction Ă  partir des observations que j’ai faites dans l’exercice de mes fonctions d’élu local. Nous constatons, en effet, Ă  des degrĂ©s diffĂ©rents, une lente paupĂ©risation de certains de nos quartiers, qui n’est pas sans rapport avec le dĂ©veloppement de pratiques et de conduites qui portent atteinte aux principes auxquels nous sommes attachĂ©s. Nous partageons tous le sentiment que le port du voile intĂ©gral met en cause la libertĂ© et la dignitĂ© des femmes. Mais d’autres interrogations apparaissent autour de cette pratique. C’est un fait qui touche la vie des quartiers et qui soulĂšve beaucoup de questions, notamment celle des relations entre filles et garçons dans ces quartiers. Nous recevons aujourd’hui, pour notre premiĂšre audition de rentrĂ©e, Mme Sihem Habchi, prĂ©sidente de Ni putes ni soumises, association bien connue qui est Ă  la pointe du combat pour le respect de la dignitĂ© des femmes et la promotion de l’égalitĂ© entre garçons et filles dans les quartiers. Mme Habchi est Ă©galement, depuis 2007, membre du collĂšge de la Haute autoritĂ© de lutte contre les discriminations et pour l’égalitĂ© HALDE. Je vous remercie, Madame Habchi, d’avoir acceptĂ© de vous exprimer devant la mission. Mme Sihem Habchi. Monsieur le prĂ©sident, Monsieur le rapporteur, Mesdames, Messieurs les dĂ©putĂ©s, permettez-moi, tout d’abord, de saluer votre initiative qui met la RĂ©publique face Ă  un nouveau dĂ©fi en ouvrant les travaux de cette mission d’information sur le phĂ©nomĂšne du voile intĂ©gral et tout ce qui l’accompagne. L’enjeu est de savoir si l’on veut faire du droit des femmes un prĂ©alable au progrĂšs social ou en faire la variable ajustable, nĂ©gociable, en fonction des demandes et des revendications de communautĂ©s, de groupes ou d’individus. L’enjeu est Ă©galement de savoir si l’on est prĂȘt – si vous ĂȘtes prĂȘts – Ă  aborder un nouveau combat fĂ©ministe. AprĂšs le droit de vote et le droit Ă  l’avortement, l’occasion nous est donnĂ©e aujourd’hui de rĂ©affirmer le droit d’ĂȘtre femme, de maniĂšre complĂštement inaliĂ©nable, et le droit Ă  l’émancipation pour toutes. Mesdames, Messieurs les dĂ©putĂ©s, il ne faut pas nous voiler la face. La burqa est le symbole critique d’un point de non-retour, un chemin pour l’émancipation des femmes en France. Je n’ai pas besoin de vous faire de dessins et je ne vais pas, comme certains, vous vanter l’esthĂ©tique du voile. La burqa est bien le symbole le plus violent de l’oppression des femmes et n’a rien Ă  voir avec la religion musulmane, ma religion. Elle apparaĂźt comme le point culminant d’une Ă©volution en France d’une vision archaĂŻque du rĂŽle des femmes, confinĂ©es dans la sphĂšre sexuelle, loin du champ Ă©conomique et social. La burqa symbolise l’apogĂ©e d’un systĂšme de relĂ©gation des femmes qui prend sa source dans nos quartiers populaires. Les symptĂŽmes sont visibles depuis vingt ans. Ni putes ni soumises s’est constituĂ©e en opposition Ă  la rĂ©duction de plus en plus grande des espaces de libertĂ© des femmes musulmanes. Nous avons – faut-il le rappeler ? – payĂ© le prix, et cher filles rasant les murs et soumises Ă  un contrĂŽle obsessionnel de leurs allĂ©es et venues dans l’espace public par les frĂšres d’abord puis l’ensemble des hommes. La soumission commence lĂ  nous ne nous appartenions plus et notre vie quotidienne Ă©tait rythmĂ©e par la routine du respect des horaires, puis du respect d’une tenue vestimentaire rĂ©glementaire oĂč la jupe Ă©tait bannie et, enfin, d’un contrĂŽle de la sexualitĂ© avec l’établissement de la sacro-sainte virginitĂ© comme baromĂštre. Le jugement du tribunal de grande instance de Lille, en avril 2008, nous l’a, malheureusement, encore bien dĂ©montrĂ©. Nous Ă©tions le point aveugle d’une sociĂ©tĂ© qui, pour mieux gĂ©rer ses quartiers populaires et ses populations, s’est trouvĂ©e une rĂšgle qui en arrangeait plus d’un la loi du silence. Il ne faut pas stigmatiser », nous disait-on. Parler, dĂ©noncer, lever le voile, c’était discriminer les populations, souvent immigrĂ©es ! J’appelle cela du racisme Ă  l’envers. Et c’est une belle entourloupe pour flatter les bonnes consciences de certains responsables politiques. Cette inconscience politique a, au bout du bout, permis les pires des exactions contre les femmes. J’ai encore devant les yeux le portrait de Sohane, brĂ»lĂ©e vive dans un local Ă  poubelles pour avoir dit non. Je me rappelle de Samira Bellil, qui a Ă©tĂ© victime de nombreux viols collectifs et nous a quittĂ©s il y a cinq ans. Me reviennent Ă©galement en mĂ©moire Erim, Malika et tant d’autres qui ont Ă©tĂ© victimes de mariages forcĂ©s, Diaryatou Bah qui a Ă©tĂ© victime d’excision qui l’a contrainte Ă  faire trois fausses couches, Myriam qui, pour avoir simplement effleurĂ© le bras d’un garçon a dĂ©cidĂ© d’en finir avec l’oppression familiale et s’est dĂ©fenestrĂ©e en juin dernier. Si certaines ne sont plus parmi nous, d’autres restent debout pour faire en sorte que leurs sƓurs ne soient pas mortes pour rien. ParallĂšlement Ă  la montĂ©e de la violence envers les femmes, la pression sur le corps dans l’espace public est devenue de plus en plus forte. Le harcĂšlement physique et moral devenait insupportable. Les filles ont grandi dans cet univers carcĂ©ral. Nous devenions des corps dociles dans un systĂšme de dressage oĂč les symboles punitifs devaient servir d’exemple Ă  toutes celles qui ne respecteraient pas la rĂšgle, comme Khadija, Ă©gorgĂ©e sur la place publique de Limoges en 2005 pour avoir osĂ© demander le divorce ou ShĂ©razade, brĂ»lĂ©e vive la mĂȘme annĂ©e dans la rue devant chez elle pour avoir dit non. Les rumeurs sur les filles faciles constituent un autre moyen de pression seul le port du voile garantit le respect. Les dĂ©pressions sont courantes et le mal-ĂȘtre grandissant. Dans ce contexte, les Ă©tudes restent le premier Ă©chappatoire. Mais, alors que l’école de la RĂ©publique jouait la carte de l’intĂ©gration en mettant les enfants dans le mĂȘme bain des valeurs universelles de citoyennetĂ© et de mixitĂ©, les annĂ©es 1990 ont vu une accĂ©lĂ©ration communautaire dans nos quartiers, ce qui a rĂ©duit les filles Ă  des marqueurs identitaires. La circulaire de 1989 de Lionel Jospin, alors ministre de l’Éducation nationale, a mis un point d’arrĂȘt Ă  l’immense espoir que nous placions dans l’école – qui, pour nous, reprĂ©sentait la vie et l’émancipation. Nous nous sommes rendus compte que tout cela n’était pas pour nous. Nous devenions des sacrifiĂ©es de la RĂ©publique, l’étendard d’un projet de sociĂ©tĂ© qui faisait le choix du voile comme rĂ©gulateur social. C’est un moyen d’accepter nos immigrĂ©s », entendions-nous. Il faut laisser les populations choisir leur mode de vie, ne rien leur imposer ». Et tant pis pour les femmes ! Le message Ă©tait clair pour nous. Nous n’avions pas le droit Ă  l’émancipation. Pire, au lieu de nous tendre la main, les institutions nous ont tendu le voile. Par ce glissement vers un communautarisme affichĂ© et revendiquĂ©, la France ouvrait une brĂšche aux islamistes, une alliance contre nature, qui dĂ©boucha sur des horaires de piscine non mixtes et des gymnases rĂ©servĂ©s aux femmes. La mixitĂ© dans les espaces publics se rĂ©duisait comme peau de chagrin, y compris dans les institutions. Les islamistes ont ainsi trouvĂ©, dans les quartiers populaires – les quartiers ghettos – un terreau utile Ă  la propagation de leur message. Ils allaient offrir ce qui paraissait une solution de remplacement en rĂ©duisant notre identitĂ© Ă  la communautĂ© des croyants. Le temps est fini oĂč l’on criait lors des manifestations PremiĂšre, deuxiĂšme, troisiĂšme gĂ©nĂ©ration ! Nous sommes tous des enfants d’immigrĂ©s ! ». Aujourd’hui, nous disons Nous sommes tous des musulmans. » La propagation du voile fut galopante. L’institution de ce systĂšme carcĂ©ral pour femmes s’accompagna d’un discours qui structura et valida les Ă©lans les plus machistes. On peut parler d’instrumentalisation par des groupes radicaux qui ont utilisĂ© ma religion pour asseoir la domination masculine et la rendre crĂ©dible. De nouvelles normes se sont installĂ©es, scindant la population des femmes en deux les voilĂ©es et les autres. Nous avons alors entendu des choses curieuses. Selon certaines fĂ©ministes, le voile Ă©tait un outil d’émancipation. Cela te permet de sortir. », nous assuraient-elles. Peut-on associer les mots espace de libertĂ© » et voile » ? Le voile offre-t-il plus de libertĂ© aux femmes ou est-il simplement une chaĂźne reliĂ©e Ă  un systĂšme machiste qui garde un moyen de contrĂŽle ? Qui contrĂŽle qui ? IndĂ©niablement, le voile ne nous permettait pas d’échapper aux chaĂźnes machistes puisqu’il fallait respecter les rĂšgles certaines n’allaient plus Ă  la piscine, refusaient d’assister aux cours de biologie et disparaissaient lors des cours de sport. Elles Ă©taient soumises Ă  la loi des hommes, aux obscurantistes. Symbole de la sociĂ©tĂ© machiste et de l’exclusion assumĂ©e et revendiquĂ©e, le voile est un marqueur pour scinder la population française. L’avĂšnement de la sĂ©grĂ©gation a lieu quand les victimes intĂšgrent l’oppression et revendiquent leurs chaĂźnes. En vous dĂ©plaçant dans votre ghetto ambulant, vous avez le respect de tous. Personne ne vous harcĂšle. On vous valorise mĂȘme. Ainsi se dessine, petit Ă  petit, pour une partie des filles, une solution pour Ă©chapper Ă  l’oppression quotidienne. Acheter sa tranquillitĂ© pour avoir le respect, est-ce cela le projet de la RĂ©publique ? En 2004, la situation Ă©tait devenue critique et la pression sur les filles non voilĂ©es grandissante. AprĂšs des mois de dĂ©bats, une loi a Ă©tĂ© votĂ©e, rĂ©affirmant la laĂŻcitĂ© Ă  l’école. Nous Ă©tions rĂ©habilitĂ©es dans notre statut de citoyennes et, enfin, respectĂ©es par la RĂ©publique. Mais l’espace public resta minĂ©. Comme nous n’avions eu de cesse de le dire, pour nĂ©cessaire qu’elle Ă©tait, la loi n’était pas suffisante. Le terrain ne devait pas ĂȘtre laissĂ© aux pourvoyeurs ni aux rĂ©trogrades. Mais les espaces de libertĂ© ont continuĂ© Ă  se rĂ©duire de maniĂšre inversement proportionnelle Ă  l’extension du voile au jilbab, puis au niqab et, enfin, Ă  la burqa. J’ai recueilli Ă  votre intention le tĂ©moignage de Karima qui a portĂ© le voile intĂ©gral. Karima exerce une profession commerciale et a grandi dans un quartier populaire de la rĂ©gion parisienne. Son enfance a Ă©tĂ© marquĂ©e par une pression familiale et une Ă©ducation trĂšs dures pour les filles et, comme beaucoup de jeunes filles, elle s’est mariĂ©e pour Ă©chapper Ă  l’étouffement familial, mais avec un homme qu’elle a choisi. Malheureusement, aprĂšs deux ans de mariage, son mari bascule dans le fanatisme parce qu’il retourne habiter dans son ancienne citĂ©. À l’arrivĂ©e du deuxiĂšme enfant, les choses s’accĂ©lĂšrent. Karima accepte les nouvelles exigences sans vraiment comprendre qu’elle renonce Ă  ses libertĂ©s. Cela commence par des conseils sur le comportement que doit avoir une femme Il ne faut pas mettre de parfum. » ; Quand tu mets des talons, le diable te suit. » ; Si tu refuses de coucher avec moi, c’est un pĂ©chĂ© et les anges vont te maudire jusqu’au matin. » La pression psychologique aidant, Karima accepte de porter le voile et ne porte plus que des baskets. Finis les talons ! Son mari lui apporte des lectures concernant le jilbab il faut cacher les formes pour ne pas attirer le regard des hommes. La pression monte d’un cran. Le mari de Karima lui raconte que, si la femme montre ses cheveux, des anges de l’enfer l’attrapent, la pendent par les cheveux et la brĂ»lent petit Ă  petit et qu’elle est condamnĂ©e Ă  une souffrance Ă©ternelle. Il lui fait lire d’autres slogans du type Si tu sors en dĂ©colletĂ©, on te versera de l’acide sur toi jusqu’à ce qu’il y ait un trou. » Il la soumet mĂȘme Ă  l’épreuve de la flamme, lui demandant d’étendre son bras au-dessus d’une flamme pour ressentir la douleur provoquĂ©e par celle-ci. Devenue insomniaque, dĂ©primĂ©e, Karima continue Ă  lire les lectures conseillĂ©es par son mari. Elle tĂ©moigne Quand je me regardais dans un miroir, je ne me reconnaissais plus. Je n’avais plus envie de rien, plus envie de me faire belle. Par contre, lorsque mon mari rentrait, il fallait ĂȘtre prĂȘte et lui donner envie. Je devais ĂȘtre parfumĂ©e, maquillĂ©e. Des fois, il m’appelait du travail pour savoir si je m’étais prĂ©parĂ©e. » Son espace de libertĂ© se rĂ©duisit ainsi jusqu’au jour oĂč les violences physiques ont commencĂ©. Il a commencĂ© Ă  me frapper », raconte-t-elle, parce que je sortais sur le balcon sans voile. Puis, me disant qu’il ne fallait pas qu’on voie les formes de mes lĂšvres, il m’a remis un voile intĂ©gral que j’ai encore une fois acceptĂ©. Je voulais que ça s’arrĂȘte. J’ai vĂ©cu un vĂ©ritable enfer. J’étais devenue un spectre. » Karima avait disparu ! Puis, un jour, mon mari a dit aux enfants que maman avait fait une bĂȘtise et qu’elle allait rester lĂ  parce qu’un chien, ça reste Ă  la maison ! » Karima s’est enfuie le lendemain. Le rĂ©cit que je viens de faire est, non seulement, celui d’une femme victime de violences, mais surtout celui d’une femme qui a eu le malheur de trouver dans l’escarcelle de son mari le voile intĂ©gral, qui a Ă©tĂ© le point culminant de l’oppression qu’elle a subie pendant trois ans. RĂ©duite Ă  un objet sexuel, elle n’avait plus d’identitĂ©. Elle n’était plus personne. Avec le voile intĂ©gral – burqa, niqab, appelez-le comme vous voulez –, nous avons atteint le paroxysme de l’oppression machiste. C’est pourquoi je parle d’un point de non-retour. Comment peut-on dire que les femmes ont le choix de porter ou non le voile intĂ©gral alors qu’elles subissent le plus souvent des pressions quotidiennes de leur entourage, comme je viens de vous les dĂ©crire ? Quelles possibilitĂ©s d’émancipation ont-elles face Ă  cette remise en question de leurs vĂȘtements ? JugĂ©es trop fĂ©minines ou trop masculines, elles en viennent Ă  sacrifier leur corps, considĂ©rĂ© comme trop encombrant. Tout signe indiquant l’appartenance Ă  la sociĂ©tĂ© est rejetĂ© au profit d’un signe d’exclusion comme la burqa. Le risque est de voir se pĂ©renniser la coexistence de deux mondes parallĂšles et totalement hermĂ©tiques celui dans lequel les femmes connaissent leurs droits et savent que leur corps est leur propriĂ©tĂ© et celui dans lequel, sous couvert de burqa, les femmes revendiquent le fait d’ĂȘtre purement et simplement l’objet sexuel de leur Ă©poux. Quel message adressons-nous aux jeunes gĂ©nĂ©rations ? Les enfants se construisent aujourd’hui avec des symboles d’aliĂ©nation et de soumission de la femme dans l’espace public. Il importe de s’interroger sur la progression du port du voile intĂ©gral. Pourquoi voyons-nous autant de burqas aujourd’hui alors qu’on n’en voyait pas il y a dix ans ? Elle est maintenant portĂ©e par des Africaines du sud, des Françaises de souche – qui constituent d’ailleurs la nouvelle gĂ©nĂ©ration des militantes de Ni putes ni soumises. Oui, il y a une progression du nombre de femmes voilĂ©es. Quant aux chiffres parus dans la presse, ils sont produits par ceux-lĂ  mĂȘmes qui ricanaient dans les annĂ©es 1990 et dĂ©fendaient le voile Ă  l’école ! En 1989, on comptait deux filles voilĂ©es. Aujourd’hui, des centaines, voire des milliers de filles sont mises sous cage. Le port du voile intĂ©gral est une question de principe, pas de chiffres, et, lorsqu’on cĂšde sur les principes, c’est le modĂšle social qui est remis en question. L’alternative est claire c’est la RĂ©publique ou la burqa. Cette derniĂšre n’est, d’ailleurs, que la partie visible de l’iceberg. Le phĂ©nomĂšne s’est accompagnĂ© d’une sĂ©rie de conflits dans l’espace public, mettant au dĂ©fi et le service public et les institutions de la RĂ©publique. Le bras de fer continue. Les tests se multiplient. Les exemples sont lĂ©gions. Il n’est que de citer le refus des femmes de se laisser identifier Ă  la sortie des Ă©coles par les institutrices. Il n’y a que la prĂ©sence policiĂšre pour les faire cĂ©der. Et, encore, la police doit-elle demander Ă  des femmes de procĂ©der Ă  l’identification, ce qui est dĂ©jĂ  un recul sur les principes. Dans les piscines, on veut imposer, en plus des horaires rĂ©servĂ©s aux femmes, le port du burkini. L’amĂ©nagement des horaires s’étend aux gymnases et aux salons de coiffure afin que les femmes Ă©chappent au regard des hommes. Des mĂ©decins se font agresser parce qu’ils ont osĂ© soigner une femme. Les agents du service public sont soumis Ă  la loi de la laĂŻcitĂ© mais pas les bĂ©nĂ©ficiaires ! Pourquoi les institutions de la RĂ©publique doivent-elles s’adapter aux revendications de non-mixitĂ© et de sĂ©grĂ©gation des sexes ? Face Ă  ces tests successifs, les dĂ©fenseurs des libertĂ©s, certains politiques, certains membres de la sociĂ©tĂ© civile droits-de-l’hommistes » et certaines fĂ©ministes sont tombĂ©s dans le piĂšge du relativisme culturel, qui les a poussĂ©s Ă  justifier et Ă  accepter n’importe quoi – comme la polygamie et l’excision – et Ă  hĂ©siter Ă  condamner le voile intĂ©gral. La gangrĂšne est bien rĂ©elle. Le mal ne vient pas simplement de ceux qui propagent et qui diffusent le message mais aussi de ceux qui, alors qu’ils sont censĂ©s dĂ©fendre les libertĂ©s fondamentales, ne le font pas. Les idĂ©es rĂ©trogrades investissent la sociĂ©tĂ© et l’on assiste Ă  un effondrement de l’ordre social. La burqa est un symptĂŽme de cet effondrement. La laĂŻcitĂ© non seulement garantit la sĂ©paration du politique et du religieux mais Ă©galement promeut un espace d’interaction sociale entre hommes et femmes, hĂ©tĂ©ros et homos, riches et pauvres permettant la dĂ©finition d’un nouveau pacte social. La laĂŻcitĂ© est la condition sine qua non de l’exercice de la dĂ©mocratie. En refusant, le 27 juin 2008, la nationalitĂ© française Ă  une femme en burqa, qui affirmait son refus des valeurs d’égalitĂ© des sexes, le Conseil d’État a rectifiĂ© le tir en rappelant les valeurs qui nous permettent de tous vivre ensemble. Oui, la libertĂ© a des limites les principes qui organisent la sociĂ©tĂ© afin que nous puissions vivre ensemble. En tous les cas, la dignitĂ© de la personne humaine doit ĂȘtre respectĂ©e. Les femmes doivent ĂȘtre respectĂ©es Ă  la fois en tant que personnes humaines et en tant que composantes de l’ordre public. Une autre dĂ©cision du Conseil d’État du 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge, rĂ©affirme le principe du respect de la dignitĂ© humaine en interdisant le lancer de nains. Un nain avait fondĂ© son entreprise sur le fait de se faire lancer lors de manifestations. Le maire de la ville dans laquelle il devait se produire a interdit cette pratique au nom de la dignitĂ© de la personne humaine. Le Conseil d’État a confirmĂ© cette dĂ©cision. Donc, si une femme veut porter la burqa, on peut le lui interdire au nom de la dignitĂ© de la personne humaine. Nous devons continuer dans la voie ouverte par le Conseil d’État, Ă  la fois en matiĂšre d’intĂ©gration et de dĂ©fense des valeurs universelles. La HALDE a Ă©galement pris des dĂ©cisions en ce sens. Aux termes de la Constitution, la femme est l’égale de l’homme. La burqa est contraire Ă  ce principe constitutionnel. Sur le plan europĂ©en, on constate que c’est en France, pourtant critiquĂ©e, que l’autre s’intĂšgre le mieux et que le nous » collectif est revendiquĂ©, contrairement au Royaume-Uni qui paie le prix fort de sa politique de laisser-faire face aux intĂ©gristes. Plusieurs ministres britanniques se sont dĂ©clarĂ©s choquĂ©s par le port de la burqa et ont saluĂ© l’initiative de la mission française. La France est le pays oĂč l’on compte le plus de couples mixtes – mais peut-ĂȘtre pas pour longtemps. Je tiens Ă©galement Ă  rappeler qu’il y a mĂȘme un islamiste radical qui, Ă  la suite de la mise en place de cette mission d’information, a traitĂ© de hore », c’est-Ă -dire de pute » la premiĂšre dame de France, parce qu’elle reprĂ©sente les valeurs occidentales et qu’elle est trop dĂ©nudĂ©e Ă  son goĂ»t. Je crois que la France est le seul pays Ă  pouvoir avoir un dĂ©bat sur le voile et trancher la question. Elle porte une responsabilitĂ© aux yeux du monde parce que des femmes continuent Ă  mourir dans le monde pour dĂ©fendre leur libertĂ© – je pense Ă  Loubna Ahmed al-Hussein au Soudan, qui a affrontĂ© les tribunaux pour avoir portĂ© un pantalon, Ă  Nojoud Ali qui a osĂ© demander le divorce Ă  l’ñge de dix ans et aux Koweitiennes qui sont entrĂ©es au Parlement sans voile. Il me semble qu’on a dĂ©jĂ  oubliĂ© les journĂ©es sanglantes de mon pays d’origine, l’AlgĂ©rie, quand des femmes se sont fait Ă©gorger pour ne pas avoir le choix de porter le foulard. Que dire Ă©galement de ces femmes afghanes privĂ©es d’éducation et souffrant des sĂ©quelles liĂ©es au port de cette prison ambulante ? Quand je pense que M. Obama a tendu la main aux intĂ©gristes au Caire en pensant les acheter avec le voile. Il n’a pas dit un mot sur les libertĂ©s fondamentales au Caire, ni sur l’orientation sexuelle, les homosexuels sĂ©questrĂ©s, assassinĂ©s, les violences faites aux femmes ! Pas un mot pour toutes ces femmes qui sont en train de se battre de par le monde afin de poser le dĂ©bat dans leur pays ! Nous devons soutenir ces femmes. Seule la France peut le faire car elle dispose d’un cadre pour cela. Les musulmanes ont le droit au respect et Ă  la protection de la RĂ©publique. En tant que femme, en tant que française et en tant que musulmane, je demande Ă  la RĂ©publique de me protĂ©ger du fanatisme le plus vil qui gangrĂšne notre espace public. De quoi avons-nous peur ? De quoi a peur l’Europe dĂ©mocratique ? Les libertĂ©s individuelles sont attaquĂ©es par ceux-lĂ  mĂȘmes qui s’opposent Ă  la dĂ©mocratie moderne et qui nous empĂȘchent de travailler Ă  sa rĂ©gĂ©nĂ©ration. C’est Ă  partir de ce creuset rĂ©publicain que nous pourrons dĂ©finir un nouveau pacte social sur le plan laĂŻc. Les femmes sont la clĂ© de voĂ»te de ce pacte. TĂŽt ou tard, les Ă©lites laxistes devront redĂ©couvrir le principe de limitation. Si la libertĂ© doit ĂȘtre dĂ©fendue sans concession, elle ne peut pas l’ĂȘtre au nom de l’archaĂŻsme. Sinon, les Ă©lites laxistes se retrouveront dans l’incapacitĂ© d’inspirer des visions nouvelles du progrĂšs. Comme vous l’aurez compris, je ne suis favorable Ă  aucun instrument d’oppression des femmes, quel qu’il soit. Je relie la burqa Ă  toutes les formes de violence que nous subissons aujourd’hui dans le monde. Il est impĂ©ratif que la France ait le courage de dĂ©fendre de maniĂšre claire le droit des femmes parce que son action sera un point d’appui formidable pour toutes celles et tous ceux – car il y a aussi des hommes – qui se battent pour plus d’égalitĂ© et plus de justice sociale dans notre pays. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Nous vous remercions pour cet exposĂ© lucide, courageux, Ă©clairant et riche en Ă©motion. Permettez-moi de vous poser quelques questions Combien de quartiers sont-ils, selon vous, concernĂ©s par le voile intĂ©gral dans notre pays ? L’émergence de cette pratique a-t-elle un lien avec le contexte international et le repli communautaire ? Cette coutume archaĂŻque, moyenĂągeuse, est-elle liĂ©e Ă  la religion ? M. Éric Raoult, rapporteur. Je tiens tout d’abord Ă  vous indiquer, Mme Habchi, combien nous avons Ă©tĂ© touchĂ©s par votre intervention. Vous avez indiquĂ© que le port de la burqa permet aux femmes de sortir de chez elles. Leur demander de la retirer n’entraĂźnerait-il, pour elles, un repli au domicile ? C’est une des remarques qui nous sont souvent faites. Votre association est mixte et regroupe un grand nombre de jeunes des quartiers. Comment rĂ©agissent les garçons lorsqu’une fille porte la burqa dans son environnement familial et proche famille ? ConsidĂšrent-ils cela comme une obligation ? Certaines femmes semblent d’ailleurs ne pas la porter tout le temps. Enfin, quels arguments opposez-vous aux femmes qui militent pour le droit et la libertĂ© de porter la burqa ? M. Lionnel Luca. Je vous remercie, Madame, pour vos prises de position claires et fermes. Notre mission est-elle pour vous, jeune femme de confession musulmane, une stigmatisation de l’islam ? J’aimerais avoir une rĂ©ponse trĂšs prĂ©cise Ă  ce sujet car ce reproche nous est souvent adressĂ©. Le voile intĂ©gral est-il une prescription religieuse ou cultuelle ? Selon vous, quelle est la solution face Ă  cette pratique ? Que devons-nous faire, concrĂštement, une fois que nous aurons terminĂ© nos travaux et nos auditions ? Le commissaire Ă  l’égalitĂ© et Ă  la diversitĂ© des chances, M. Yazid Sabeg, a Ă©crit hier dans un quotidien national que la polĂ©mique sur la burqa va rouvrir des frustrations, des antagonismes, des racismes alors qu’il faut au contraire rassembler les Français. » Pour lui la libertĂ© individuelle est la rĂšgle dans la limite du respect de l’ordre public » et il considĂšre que pour le reste, les hommes et les femmes sont libres de s’habiller comme ils le veulent. » Il a, par ailleurs, mis en cause notre mission parlementaire et tenu des propos sur son prĂ©sident que je juge scandaleux. Quelle est votre rĂ©action face Ă  de telles dĂ©clarations ? M. Jacques Myard. Je m’associe avec force Ă  la condamnation des propos de M. Yazid Sabeg qui, selon moi, devrait dĂ©missionner immĂ©diatement. M. Lionnel Luca. Je suis Ă©galement de cet avis. M. Jacques Myard. Vos propos, Madame, nous ont touchĂ©s. Je vous poserai, tout d’abord, des questions sur le mĂ©canisme intellectuel et politique par lequel on oblige certaines femmes de confession musulmane Ă  porter le voile. Comment analysez-vous cette descente aux enfers ? Comment peut-ĂȘtre justifiĂ©e une telle rĂ©gression ? Dans un ouvrage salafiste Ă©numĂ©rant toute une sĂ©rie de fatwas, on trouve la rĂ©ponse suivante Ă  la question Que dois-je faire si un bĂ©bĂ© fait pipi sur moi quand je le prends dans mes bras ? » si c’est un garçon, il suffit de prendre un peu d’eau pour se nettoyer car le ProphĂšte l’a fait ; en revanche, si c’est une fille, il faut faire des ablutions car le pipi de la petite fille est impur ». Comment expliquez-vous un retour vers un tel archaĂŻsme ? DeuxiĂšmement, ces idĂ©es sont vĂ©hiculĂ©es dans une chaĂźne d’éducation. Avez-vous des tĂ©moignages sur l’absentĂ©isme scolaire d’enfants qui seraient dirigĂ©s vers des madrasas, c’est-Ă -dire vers des Ă©coles coraniques d’embrigadement ? Je vous poserai, enfin, une question plus personnelle car votre courage, qui est grand, doit susciter des rĂ©actions vives avez-vous subi des menaces ? Mme Sandrine Mazetier. Je suis touchĂ©e par la situation des femmes en gĂ©nĂ©ral. Les Ă©vĂ©nements que vous avez rappelĂ©s ont frappĂ© l’opinion et je comprends que vous ayez Ă©tĂ© Ă©mue en les Ă©voquant. J’ai Ă©tĂ© surprise de vous entendre dire que la circulaire de Lionel Jospin de 1989 a fait le choix du voile comme rĂ©gulateur social ». Pouvez-vous nous expliquer comment elle a pu ĂȘtre la porte ouverte au voile Ă  l’école ? DeuxiĂšmement, Ă  vous entendre, les institutions ne vous ont pas tendu la main mais le voile. Dans les annĂ©es 1990 et jusqu’au dĂ©but des annĂ©es 2000, un certain nombre de lois ont Ă©tĂ© votĂ©es sur le droit des femmes, l’égalitĂ© et la paritĂ©. Était-ce tendre le voile ? Vous avez fustigĂ© les idĂ©es laxistes et avez dĂ©plorĂ© le discours d’Obama au Caire. Quel est votre avis sur le discours prononcĂ© au Palais du Latran par le PrĂ©sident de la RĂ©publique ? M. Pierre Forgues. Votre tĂ©moignage bouleversant, Madame, nous est trĂšs prĂ©cieux. Cela Ă©tant, pourquoi dĂ©gagez-vous la religion musulmane de toute responsabilitĂ© dans le port du voile alors que seules les musulmanes dans le monde portent la burqa et le voile d’une façon gĂ©nĂ©rale ? Il ne faut pas avoir peur d’aborder la rĂ©alitĂ© dans sa diversitĂ© et toute son ampleur. DeuxiĂšmement, vous avez dĂ©clarĂ© que la France Ă©tait le seul pays capable d’avoir un dĂ©bat sur le voile et de le trancher. Cela peut flatter mon cĂŽtĂ© un peu cocardier mais je ne vois pas pourquoi l’Espagne ou l’Allemagne ne seraient pas capables d’avoir un dĂ©bat sur ce sujet et de le trancher. Je fais d’ailleurs remarquer que nous ne l’avons pas encore tranchĂ© et je ne sais pas – mĂȘme si je l’espĂšre –, si nous en serons capables. Tout en attendant votre rĂ©ponse aux questions de ma collĂšgue, Mme Sandrine Mazetier, j’indique dĂšs Ă  prĂ©sent que j’estime comme vous, Madame, que les institutions ne vous ont pas tendu la main et je pourrai apporter mon tĂ©moignage personnel. M. Pierre Cardo. Je pense que nous trouverons une rĂ©ponse au port de la burqa. Ce qui me prĂ©occupe davantage, c’est que, aprĂšs la promulgation de la loi interdisant le port du voile Ă  l’école, par laquelle nous croyions avoir rĂ©glĂ© le problĂšme, sont apparues de nouvelles revendications dans l’espace public. La disposition que nous prendrons par rapport au voile intĂ©gral ne rĂ©glera pas le problĂšme de fond. Je ne partage pas les propos de certains de mes collĂšgues qui me paraissent excessifs et nous devrons faire attention car des piĂšges nous sont tendus. Vous avez qualifiĂ© le voile intĂ©gral, Madame, de symbole de l’exclusion assumĂ©e et revendiquĂ©e ». Je pense que le terreau est favorable Ă  ce qui se passe un certain nombre d’acteurs intĂ©gristes excessifs utilisent non seulement la religion mais Ă©galement des situations dans notre sociĂ©tĂ© qui favorisent le dĂ©veloppement de leurs idĂ©es. Autrement, leur divulgation ne serait pas possible. Nous attendons de vous que vous nous Ă©clairiez sur ce qui a permis le port de la burqa car, si nous ne comprenons pas la cause, nous ne trouverons pas le traitement. Mme Sihem Habchi. Mon Ă©motion traduit ma sincĂ©ritĂ©. C’est quand j’évoque la situation des femmes algĂ©riennes que cela me fait le plus mal car j’ai grandi avec mes cousines, et certaines sont aujourd’hui obligĂ©es de porter le voile intĂ©gral aprĂšs avoir subi des menaces. Je ne me livre pas Ă  une mascarade devant vous. Nous avons affaire, comme vous l’avez soulignĂ©, Ă  un phĂ©nomĂšne mondial qui attaque la jeunesse. Quand vous discutez avec des filles qui revendiquent le droit de porter la burqa, vous vous rendez compte qu’en mettant de cĂŽtĂ© et en critiquant l’islam de leurs parents – qui Ă©tait un islam laĂŻc, c’est-Ă -dire une pratique privĂ©e s’intĂ©grant dans le cadre de la laĂŻcitĂ© et de la RĂ©publique –, elles cassent l’autoritĂ© de ces derniers. Elles rĂ©ussissent Ă  s’extraire du harcĂšlement familial quotidien et de la soumission. En passant pour des saintes, des religieuses, elles parviennent Ă  rééquilibrer un peu les choses. Mais cet attirail s’accompagne de toute une sĂ©rie de codes qu’il faut respecter. On n’organise pas des fĂȘtes et on ne va pas en boĂźte de nuit en burqa. Ce voile s’intĂšgre dans un systĂšme machiste et constitue un moyen de contrĂŽle la jeune fille doit se marier, avoir des enfants et, surtout, ĂȘtre un objet sexuel pour son mari, auquel elle doit ĂȘtre entiĂšrement soumise. Dans le tĂ©moignage que j’ai citĂ©, mĂȘme si la jeune fille n’avait pas toutes les conditions d’émancipation, elle a choisi son mec » qui devait ĂȘtre, au dĂ©part, un type bien. Ensuite, tout bascule et c’est ce basculement qu’il faut regarder. En Europe, les responsabilitĂ©s ne sont pas Ă  rechercher, comme en AlgĂ©rie, dans la concurrence, depuis l’IndĂ©pendance, entre des mouvements radicaux qui veulent imposer une rĂ©publique islamique et les partis nationalistes. Elles se trouvent dans la politique de la main tendue aux islamistes et l’achat de la paix sociale, qui a Ă©tĂ© trop souvent pratiquĂ©e. Sous couvert de respecter, au nom de la libertĂ©, les revendications communautaires ont Ă©tĂ© encouragĂ©es une vision machiste de la sociĂ©tĂ© – terrible pour les femmes –, et la sĂ©grĂ©gation le port du voile ou de la burqa n’est pas le chemin le plus direct pour aller Ă  l’AssemblĂ©e nationale ! Il est grand temps de mettre fin Ă  cette sĂ©grĂ©gation. Quand j’étais jeune, je voyais bien que tout Ă©tait compliquĂ© pour nous du fait de la discrimination. Mais mon pĂšre m’a encouragĂ© Ă  poursuivre mes Ă©tudes, en m’assurant que j’y arriverais. Mais, quand je vois tous les stratagĂšmes mis en place pour ne pas parler de la citoyennetĂ© d’une partie de la population française et tous les moyens inventĂ©s pour justifier la sĂ©grĂ©gation, je ne comprends pas. Dans ce contexte, le voile et la burqa sont pratiques car ils permettent d’éviter les mĂ©langes. Personne ne va parler Ă  une femme en niqab, en burqa ou en voile, et encore moins se marier avec elle. Cela entraĂźne la sĂ©paration des populations. LĂ  est la question fondamentale. Du fait de l’exclusion et du ghetto qui nous ont collĂ© Ă  la peau, certains et certaines n’ont malheureusement plus cru en la RĂ©publique comme un moteur et ont fait un autre choix. Certaines femmes se sont demandĂ©es si, par le biais qui leur Ă©tait proposĂ©, elles ne pourraient pas se faire entendre. Au moment de la rĂ©volution iranienne, les fĂ©ministes islamiques ont pensĂ© qu’elles pouvaient y arriver en annexant ce corps parce qu’il les empĂȘchait d’ĂȘtre les Ă©gales des hommes et d’ĂȘtre regardĂ©es sur le plan de la pensĂ©e et de l’intellect. Comme on a pu le constater, cela n’a pas eu les rĂ©sultats escomptĂ©s le voile et la burqa ne favorisent pas le partage du pouvoir et des dĂ©cisions. L’objectif visĂ© est une RĂ©publique mĂ©tissĂ©e et la mixitĂ© dans les dĂ©cisions, quelles que soient les origines. Il semble bien lointain quand on voit Ă  quel point les libertĂ©s fondamentales sont attaquĂ©es dans notre pays. Ni putes ni soumises a toujours dĂ©fendu la laĂŻcitĂ©. Elle s’y est mĂȘme accrochĂ©e comme Ă  une bouĂ©e de sauvetage. Ce n’est donc pas moi qui vais dĂ©fendre le discours du PrĂ©sident de la RĂ©publique au Latran. J’ai autre chose Ă  faire des femmes continuent Ă  se faire brĂ»ler dans les quartiers populaires. Je suis fĂ©ministe et je m’estime la digne hĂ©ritiĂšre du fĂ©minisme. Beaucoup de femmes continuent Ă  combattre l’obscurantisme. Malheureusement certaines, par peur d’ĂȘtre traitĂ©es de racistes, par mĂ©connaissance du phĂ©nomĂšne des mariages forcĂ©s, de la polygamie et de l’excision, par rĂ©ticence Ă  trop bouleverser les choses, n’ont pas condamnĂ© ces pratiques. Or, quand on a une responsabilitĂ©, quand on est prĂ©sidente d’association ou responsable politique, j’estime qu’il faut, Ă  un moment donnĂ©, lorsqu’on a affaire Ă  ce genre de choses, trancher et ne pas attendre que cela dĂ©gĂ©nĂšre. Quant Ă  la circulaire de 1989, qui peut oser, aujourd’hui, nier qu’elle ait encouragĂ© la propagation des voiles ? Mme Sandrine Mazetier. Moi ! Mme Sihem Habchi. C’est sans doute par mĂ©connaissance de la situation sur le terrain, Madame. Êtes-vous opposĂ©e Ă  ce que le principe de la laĂŻcitĂ© ait Ă©tĂ© rĂ©affirmĂ© en 2004 ? Mme Sandrine Mazetier. Non ! Mme Sihem Habchi. Que voulez-vous alors ? Que nous disparaissions ? Le problĂšme est que nous sommes Françaises. En tant que citoyenne française, j’ai les moyens, tant que les conditions d’égalitĂ© ne sont pas rĂ©unies, de me battre. C’est cela le combat permanent. C’est cela la RĂ©publique. J’affirme donc ouvertement que la circulaire de 1989, mĂȘme si on peut lui trouver des explications, des justifications, a Ă©tĂ© une erreur fondamentale qui a ouvert une brĂšche aux islamistes. Il faut avoir le courage de le dire pour pouvoir rectifier le tir. La mission sur la burqa est-elle une stigmatisation de l’islam ? Personnellement, je veux simplement donner de la visibilitĂ© Ă  une situation. J’estime que, dans une RĂ©publique, on a le droit de tout dire et de tout montrer. De quoi a-t-on peur ? Oui, je peux faire l’objet de menaces. Mais qu’ont-elles de commun avec celles qui pĂšsent sur la jeune femme au Soudan ou d’autres qui risquent leur vie ? En France, je suis plus en sĂ©curitĂ© qu’au Danemark ou en Grande-Bretagne, par exemple, oĂč je risquerais ma peau. Il y a deux poids, deux mesures dans ce dĂ©bat. Nous demandons simplement d’ĂȘtre traitĂ©es comme des citoyennes Ă  part entiĂšre. Notre RĂ©publique a affrontĂ© des mouvements radicaux politiques intĂ©gristes dans son histoire. Elle doit faire la mĂȘme chose avec les relents d’un fanatisme qui utilise la religion musulmane mais qui, pour moi, n’a rien Ă  voir avec elle. Je demande Ă  la RĂ©publique de me protĂ©ger et de protĂ©ger mes enfants. Ces derniers vont grandir entre, d’une part, des voiles et des burqas et, d’autre part, une sorte de laxisme appliquĂ© au nom de la libertĂ© individuelle. Ils ne vont rien comprendre. Ma mĂšre portait la mlaya, grand voile noir typique de la rĂ©gion de Constantine, quand elle allait dans la famille mais pas en France. Elle n’est pas venue dans ce pays pour entendre parler de burqa et de niqab. Les valeurs inscrites sur le fronton de l’AssemblĂ©e nationale ne semblent plus incarnĂ©es. Eh bien, s’il faut les incarner, je m’y emploierai car il en va de la survie de nombreuses jeunes filles et jeunes femmes en France et dans le monde entier. MĂȘme si cela dĂ©plaĂźt Ă  certains, j’irai – nous irons – jusqu’au bout. C’est, au-delĂ  du simple droit des femmes, une question de participation Ă  la vie citoyenne de ce pays. Je le rĂ©pĂšte, le chemin le plus court pour l’AssemblĂ©e nationale n’est ni le voile, ni la burqa. Quand on me tend un voile aujourd’hui, je me demande quelle combine se cache derriĂšre. La participation des jeunes issus de l’immigration va compter dans la situation politique de la France. Si l’on veut sacrifier la gĂ©nĂ©ration prĂ©sente et la maintenir dans la victimisation, la relĂ©gation et le ghetto, il faut continuer dans la voie suivie jusqu’à prĂ©sent et accepter la burqa et tout ce qui l’accompagne. En revanche, si l’on veut s’atteler Ă  trouver de nouveaux moyens de participation, il faut clairement lancer un autre message. Je ne m’étendrai pas sur les propos de M. Sabeg. Il est, depuis le dĂ©but, le dĂ©fenseur du communautarisme Ă  l’anglo-saxonne. Il a Ă©tĂ© trĂšs clair sur le sujet. Je considĂšre, personnellement, qu’il commet une grave erreur. Je ne partage absolument pas son avis. Le tĂ©moignage que j’ai citĂ© montre comment se produit une descente aux enfers. Il est fondamental de crĂ©er les conditions d’émancipation pour toutes les femmes, pour tous les individus. Nous devons avoir un dĂ©bat Ă  ce sujet et le trancher, soit par la publication d’arrĂȘtĂ©s municipaux permettant au Conseil d’État de se prononcer, soit par le vote d’une loi. En tout cas, je vous encourage Ă  agir. Il est nĂ©cessaire de se pencher sur la condition des femmes car toutes n’ont pas les mĂȘmes possibilitĂ©s d’émancipation. C’est cela le fond de l’affaire et la paritĂ© ne nous a pas aidĂ©es. Seule l’éducation peut nous permettre d’en sortir quand on constate un recul par rapport au corps, Ă  la mixitĂ©, Ă  la sexualitĂ©, Ă  l’avortement, non seulement pour les jeunes filles musulmanes, mais Ă©galement pour toutes les jeunes filles françaises. Mme Françoise Hostalier. Je vous remercie, Mme Habchi, d’avoir rappelĂ© la spĂ©cificitĂ© de la France par rapport aux droits de l’homme. Je livrerai Ă  ce sujet un tĂ©moignage personnel. Je me trouvais en AlgĂ©rie le jour du massacre de Bentalha en 1997. Le message des femmes algĂ©riennes Ă©tait alors PlutĂŽt mourir debout que vivre Ă  genoux. » Je considĂšre que nous avons une responsabilitĂ© par rapport Ă  ces femmes, Ă  leur histoire ainsi qu’à toutes les autres femmes. Vous avez insistĂ©, Madame Habchi, sur le fait que le voile n’est que la partie visible de l’iceberg – ce dernier reprĂ©sentant la condition des femmes dans l’islamisme intĂ©griste, qui n’a rien Ă  voir avec la religion musulmane en tant que telle. Une loi sur le voile intĂ©gral ne risque-t-elle pas de faire figure de circulaire bis de la loi sur le voile, le tissu incriminĂ© ayant simplement changĂ© de longueur ? Comment dĂ©passer cette problĂ©matique ? Je reviens de Copenhague oĂč ont eu lieu des dĂ©bats sur cette question au niveau europĂ©en. Plusieurs pays sont en train d’essayer de rĂ©soudre le problĂšme en interdisant aux gens de cacher leur identitĂ© en dehors des jours de carnaval. Est-ce la solution ? Ne faut-il pas profiter de votre tĂ©moignage et des rĂ©seaux que vous pouvez avoir dans d’autres pays europĂ©ens pour trouver une voie commune ne se limitant pas Ă  la simple rĂ©solution du problĂšme du port du masque Ă  l’échelon de l’Europe ? M. Yves Albarello. Comment peut-on diffĂ©rencier les prisonniĂšres du voile de pratiquantes volontaires et indĂ©pendantes ? Dans plusieurs territoires outre-mer, comme Ă  Mayotte, la religion dominante est l’islam. Comment peut-on intĂ©grer les Français d’outre-mer Ă  nos traditions tout en respectant les leurs ? Mme BĂ©rengĂšre Poletti. Je vous fĂ©licite, Madame Habchi, pour votre courage et la clartĂ© de vos propos, auxquels j’adhĂšre Ă  cent pour cent. Je souhaite que nos travaux aboutissent Ă  une lĂ©gislation trĂšs claire sur le sujet. Je salue votre courage car j’imagine que vous devez subir au centuple le genre de menace qui m’a Ă©tĂ© adressĂ© la semaine derniĂšre. Un jeune musulman que je connais depuis longtemps et avec lequel j’ai travaillĂ© un peu pendant les derniĂšres Ă©lections est venu me voir dans ma permanence. M’informant qu’il faisait partie d’un rĂ©seau – il n’a pas employĂ© le mot d’intĂ©griste mais j’ai bien compris qu’il l’était – et que sa femme portait le voile intĂ©gral, il m’a expliquĂ© que, si les travaux de notre mission aboutissaient au vote d’une loi, il s’en suivrait probablement des attentats causant des morts, ce qu’il a estimĂ© dommage pour seulement quelque 367 femmes voilĂ©es ! AprĂšs m’ĂȘtre insurgĂ©e contre la publication de ce chiffre et sur la polĂ©mique qu’il a suscitĂ©e, je lui ai rĂ©pondu que, mĂȘme s’il n’y avait que cinq ou dix femmes concernĂ©es, c’était une question de principe. Avez-vous entendu de telles menaces ? En tant que prĂ©sidente d’association et surtout en tant que musulmane, quels conseils pouvez-vous nous donner pour amener vers nous la communautĂ© musulmane afin de ne pas donner l’impression de stigmatiser l’islam ? M. Jean Glavany. Je pense, Monsieur le prĂ©sident, que nous aurons besoin de faire le point avec des juristes. Quand j’entends dire que le Conseil d’État a abandonnĂ© le principe de laĂŻcitĂ© en 1989 et l’a rĂ©tabli en 2004, je suis un peu surpris parce que cette juridiction s’est appuyĂ©e sur la mĂȘme jurisprudence dans les deux cas. Nous aurons besoin d’avoir un Ă©tat des lieux prĂ©cis du droit dans la confrontation entre les libertĂ©s individuelles et l’ordre public, surtout aprĂšs l’annonce par M. Jean-François CopĂ©, avant mĂȘme la crĂ©ation de la mission, que celle-ci se solderait par une loi interdisant la burqa, ce qui n’est pas de nature Ă  faciliter nos travaux. Il serait notamment intĂ©ressant d’entendre les juristes qui ont travaillĂ© sur le port de cagoules dans les manifestations, qui pose le mĂȘme problĂšme d’enfermement et d’interposition d’un mur entre l’individu et la sociĂ©tĂ©. Un Ă©clairage juridique sur ces questions nous Ă©pargnera bien des mĂ©saventures. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Des auditions de juristes sont prĂ©vues dans le courant du mois d’octobre. Mme Sihem Habchi. La France n’est pas le seul pays confrontĂ© au problĂšme du port de la burqa. Au QuĂ©bec, la commission Bouchard-Taylor a procĂ©dĂ© Ă  une vaste concertation – mĂ©diatisĂ©e – qui a mis en Ă©vidence les difficultĂ©s existant dans la gestion des conflits entre diffĂ©rentes communautĂ©s. Face Ă  diverses revendications, notamment des tribunaux islamiques prĂ©sents en Ontario, le QuĂ©bec a voulu se construire un arsenal juridique qu’il n’avait pas. Un dĂ©bat est possible en France et celui-ci est fondamental. MĂȘme si je suis menacĂ©e et mĂȘme si je prends des risques, un tel dĂ©bat est beaucoup plus apaisĂ© en France qu’au Pays-Bas, oĂč j’aurais dĂ©jĂ  pris un coup de couteau, ou qu’au Danemark, oĂč l’on aurait dĂ©jĂ  menacĂ© ma famille, sans parler de l’Angleterre. Il ne faut pas avoir peur, pour la bonne raison qu’on est dĂ©jĂ  allĂ© trop loin. Regardons ce qui se passe dans les autres pays europĂ©ens. À quoi a abouti le laxisme de l’Angleterre qui a voulu jouer le jeu du communautarisme jusqu’au bout ? À ce que des enfants anglais se fassent sauter dans des autobus au nom de l’islam ! Face Ă  ce constat, que faisons-nous ? Ce dont il est question aujourd’hui, ce sont de jeunes Français et de jeunes Françaises qui ont le droit Ă  la libertĂ©, Ă  l’émancipation et Ă  participer Ă  la vie politique de ce pays. VoilĂ  le fond du dossier. Le communautarisme en Angleterre s’est accompagnĂ© d’une cĂ©sure. En Allemagne, la nationalitĂ© n’a Ă©tĂ© accordĂ©e aux jeunes turcs et kurdes qu’en 2000, laissant se propager jusqu’à cette date la vision communautaire et les crimes dits d’honneur. Notre association peut analyser la situation sous diffĂ©rents angles et selon divers modĂšles de sociĂ©tĂ© car elle a des comitĂ©s partout en Europe. L’Espagne et l’Italie sont moins bien Ă©quipĂ©es que la France parce que ces pays dĂ©couvrent ces problĂšmes. Il y a trois ans, l’Italie prĂ©voyait d’ouvrir des espaces spĂ©ciaux dans les hĂŽpitaux pour pouvoir pratiquer l’excision correctement. Le dĂ©bat aujourd’hui est heureusement europĂ©en et il existe une collaboration entre les associations. Notre combat peut ĂȘtre un challenge. Ne nous enfermez pas. Nous pouvons ĂȘtre des porte-drapeaux, non pas pour renforcer un quelconque cĂŽtĂ© cocorico », mais pour promouvoir des valeurs de progrĂšs qui sont nĂ©cessaires aujourd’hui et qu’on ne peut pas bazarder au nom d’une prĂ©tendue vision idĂ©ologique. Nous travaillons au ras des pĂąquerettes ». Il faut crĂ©er et ouvrir de nouvelles perspectives. Pour ce faire, il est grand temps de rĂ©affirmer clairement une sĂ©rie de principes. Je ne connais pas la situation Ă  Mayotte. Je pars ce week-end Ă  la RĂ©union participer Ă  des rencontres sur les violences faites aux femmes et organiser toute une sĂ©rie de dĂ©bats. Le problĂšme se pose autrement outre-mer mais, comme en mĂ©tropole, on ne peut pas l’aborder sans parler de la ghettoĂŻsation, de l’exclusion sociale ni, surtout, du droit des femmes. Le point juridique que vous appelez de vos vƓux, Monsieur Glavany, doit porter sur le droit des femmes autant que sur les libertĂ©s individuelles et l’ordre public. Il peut ĂȘtre intĂ©ressant de faire un lien avec le port de cagoules. Mais, dans le cas du voile, c’est le droit des femmes qui est atteint elles n’ont pas besoin de se cacher. Je me suis toujours interrogĂ©e sur ce que les femmes pouvaient avoir de honteux. Je demandais des explications Ă  ma mĂšre et Ă©tais trĂšs renfermĂ©e sur moi-mĂȘme car je ne comprenais pas l’injustice qui frappait les femmes. Il faut chasser l’orgueil masculin, l’orgueil du mĂąle » dont parlait Jules Ferry dans son Discours sur l’égalitĂ© de l’éducation. L’alternative devant laquelle nous nous trouvons aujourd’hui est trĂšs claire c’est la dĂ©mocratie ou la mort. Nous avons atteint un point de non-retour en ce qui concerne la condition des femmes, et, pour moi, le seul pays qui pourra montrer qu’il est possible de dĂ©battre sans s’entre-tuer, de gĂ©rer les conflits dans un espace – laĂŻc et d’interaction sociale – sans arracher les voiles ni brĂ»ler des mosquĂ©es, comme aux Pays-Bas, et de trouver la solution qui permettra de faire avancer les valeurs de progrĂšs auxquelles nous sommes tant attachĂ©s, c’est la France. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Nous vous remercions, Madame Habchi. Audition de Mme Élisabeth Badinter, philosophe SĂ©ance du mercredi 9 septembre 2009 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Nous avons le plaisir de recevoir Mme Élisabeth Badinter, Ă©crivain et philosophe, que je remercie de sa prĂ©sence parmi nous. Vous avez, Madame, contribuĂ© de maniĂšre originale au dĂ©bat sur la condition des femmes et le fĂ©minisme. Vous vous ĂȘtes aussi signalĂ©e par la vigueur de vos propos dans un article relatif au port du voile intĂ©gral paru en juillet dernier dans le Nouvel Observateur. Vous adressant directement aux femmes qui en revendiquent et en justifient le port, vous leur reprochiez, en effet, d’utiliser les libertĂ©s dĂ©mocratiques pour les retourner contre la dĂ©mocratie, un argument qui ne pouvait qu’appeler notre attention. Avant de vous donner la parole, je tiens Ă  souligner avec la plus grande nettetĂ© que, contrairement Ă  ce que laissent entendre ceux qui souhaitent discrĂ©diter nos travaux en les disant inutiles ou en prĂ©tendant que tout est dĂ©jĂ  dĂ©cidĂ©, l’éventuelle interdiction par la loi du port du voile intĂ©gral n’est pas l’objet a priori de notre mission d’information, qui, reprĂ©sentative de l’ensemble des composantes politiques de notre assemblĂ©e, a une approche toute rĂ©publicaine de ce dĂ©bat. Mme Élisabeth Badinter. Je commencerai par rappeler un souvenir qui nous est sans doute commun le choc ressenti la premiĂšre fois que nous avons vu Ă  la tĂ©lĂ©vision, il y a Ă  peine dix ans, les femmes fantĂŽmes d’Afghanistan. L’image de ces femmes enfermĂ©es dans leur burqa, un mot qui nous Ă©tait Ă  l’époque inconnu, est Ă  tout jamais liĂ©e aux talibans, Ă  la lapidation, Ă  l’interdiction de l’école pour les fillettes, en bref Ă  la pire condition fĂ©minine du globe – et, en ce domaine, la concurrence est fĂ©roce. Je n’aurais pas Ă©tĂ© plus choquĂ©e si j’avais vu des hommes promener leur femme en laisse. Qui pouvait penser alors que des femmes oseraient revendiquer de se promener dans cette tenue dans les villes françaises ou que des hommes pourraient contraindre des femmes Ă  la porter ? Franchement, personne. Qui pouvait penser alors que nous serions rĂ©unis aujourd’hui en nous demandant que faire ? Quel que soit le nombre de femmes – 300 ou 3 000 – qui dissimulent leur visage en France, force est de constater qu’il n’y en avait pas une seule il y a quelques annĂ©es, et le nombre ne fait rien Ă  l’affaire. N’y en aurait-il qu’une qu’il faudrait se poser la question des principes ainsi remis en cause. Or, il s’agit prĂ©cisĂ©ment des idĂ©aux du triptyque rĂ©publicain le port du voile intĂ©gral piĂ©tine littĂ©ralement les principes de libertĂ©, d’égalitĂ© et de fraternitĂ©. Je ne m’appesantirai pas sur le principe bafouĂ© de l’égalitĂ© des sexes, Ă©voquĂ© de nombreuses fois en tous lieux. À mes yeux, il n’est pas nĂ©gociable, mais j’observe qu’il existe de l’égalitĂ© des sexes deux apprĂ©hensions opposĂ©es. L’une, la nĂŽtre, celle des dĂ©mocraties, est celle que l’on retrouve dans la DĂ©claration universelle des droits de l’homme et que l’on peut rĂ©sumer en quatre mots mĂȘmes droits, mĂȘmes devoirs. Ici, la notion abstraite d’humanitĂ© l’emporte sur les diffĂ©rences biologiques, notamment sur la diffĂ©rence sexuelle. Puis il y a l’autre, celle des obscurantistes, celle aussi dont ont usĂ© certains dĂ©mocrates sincĂšres, les naturalistes. Pour eux, droits et devoirs diffĂšrent selon les sexes ; les sexes sont Ă©gaux dans leurs diffĂ©rences. C’est le modĂšle de la complĂ©mentaritĂ© des sexes, oĂč l’un est ce que l’autre n’est pas. L’idĂ©e fĂ©dĂ©ratrice d’une humanitĂ© commune, d’une citoyennetĂ© abstraite, n’a plus cours. Nos droits et nos devoirs sont diffĂ©rents, mais ils seraient Ă©quivalents. C’est une conception que j’ai toujours combattue, y compris quand c’était Ă  l’avantage des femmes, par exemple lors du dĂ©bat sur la paritĂ©. S’agissant du principe de libertĂ© auquel font appel certaines femmes qui portent le voile intĂ©gral, je souligne qu’à cĂŽtĂ© des revendicatrices » qui s’expriment volontiers dans les mĂ©dias, il y a toutes les autres, les soumises, les bĂąillonnĂ©es, celles que l’on ne pourra jamais entendre et en tout cas jamais entendre se plaindre. Autant dire que, dĂ©jĂ , les dĂ©s sont pipĂ©s comme seules les premiĂšres s’expriment, on oublie les autres, on fait comme si elles n’existaient pas. J’ai mĂȘme entendu dire au cours d’un dĂ©bat que s’il en existe, de ces femmes opprimĂ©es, elles n’ont qu’à s’adresser aux services sociaux ». La belle blague ! Comme si elles pouvaient effectivement aller se plaindre aux services sociaux – qui, d’ailleurs, n’en pourraient mais ! N’y aurait-il que trĂšs peu de femmes contraintes par leurs proches ou par des religieux radicaux qu’il faudrait leur porter secours. C’est Ă  elles qu’il faut penser, et qu’il faut donner les moyens lĂ©gaux de se libĂ©rer. Venons-en aux revendicatrices », qui en appellent Ă  deux de nos libertĂ©s dĂ©mocratiques la libertĂ© de se vĂȘtir comme on le souhaite et la libertĂ© de conscience. Personne ne songe Ă  les empĂȘcher de mettre les vĂȘtements qu’elles veulent oĂč elles veulent. Mais le visage n’est pas le corps et il n’y a pas, dans la civilisation occidentale, de vĂȘtement du visage. Par ailleurs, la libertĂ© qu’elles invoquent pour elles est complĂštement bafouĂ©e dans les banlieues pour celles qui sont nos sƓurs, nos filles, et qui veulent vivre comme tout le monde. Vous le savez fort bien, de trop nombreuses jeunes filles sont interdites, en France, de robe et de jupe. Que fait-on pour elles ? Que fait-on pour que soit respectĂ©e, pour ce qui les concerne, la libertĂ© de se vĂȘtir comme elles l’entendent ? Ces jeunes filles sont dĂ©jĂ  soumises Ă  de multiples pressions de la part de leur environnement familial et social visant Ă  ce qu’elles cachent leur corps sous des survĂȘtements informes, sous peine d’ĂȘtre traitĂ©es de putes » et pour Ă©viter des agressions physiques. MĂȘme si, Ă  mes yeux, il y a une diffĂ©rence entre voile, niqab et burqa, comment ne pas comprendre que la multiplication du nombre de jeunes filles qui portent le voile a un impact croissant sur celles qui ne veulent pas le porter, et pour lesquelles le refus devient de plus en plus difficile ? Je me suis trouvĂ©e un jour avec Sihem Habchi, que vous venez d’entendre, au collĂšge Françoise-Dolto, Ă  Paris, lĂ  oĂč avait Ă©tĂ© tournĂ© le film Entre les murs, pour y engager un dialogue avec les collĂ©giens, aprĂšs que le film La journĂ©e de la jupe leur eut Ă©tĂ© projetĂ©. Une poignĂ©e seulement des collĂ©giennes prĂ©sentes portait une jupe. Alors que, me tournant vers l’une des autres, d’origine maghrĂ©bine, je lui faisais valoir qu’elle pourrait en faire autant, j’ai entendu une rĂ©ponse qui m’a Ă©pouvantĂ©e Les Françaises le peuvent, mais pas les Arabes ». Assis Ă  ses cĂŽtĂ©s, un adolescent ĂągĂ© sans doute de 14 ans a ajoutĂ© Chez nous, on met le voile, pas la jupe »  Si, donc, on laisse le voile intĂ©gral se banaliser, il deviendra peu Ă  peu, inĂ©vitablement, l’uniforme de la suprĂȘme puretĂ© que l’on rĂ©clamera des jeunes filles et, Ă  son tour, il gagnera progressivement des adeptes au sein des milieux les plus traditionnels oĂč, Ă©videmment, les jeunes filles ignorent leurs droits. Pour dire les choses brutalement, on prend la voie du la burqa, c’est mieux que le voile » – et alors il sera toujours plus difficile aux jeunes filles concernĂ©es de dire non » au voile et de lui prĂ©fĂ©rer la jupe. Or, si nous avons une libertĂ© de se vĂȘtir Ă  dĂ©fendre, c’est celle-lĂ . Au passage, Ă  ceux qui disent que c’est Ă  la loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laĂŻcitĂ©, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les Ă©coles, collĂšges et lycĂ©es publics » que l’on devrait la dĂ©multiplication des femmes voilĂ©es dans l’espace public, je leur dis qu’ils se trompent. Dans tous les États d’Europe on observe l’augmentation massive du port du voile alors mĂȘme que ces pays ignorent la loi de 2004 et, dans les pays du Maghreb, on est frappĂ© de voir chaque annĂ©e des femmes voilĂ©es en nombre toujours plus grand – et de plus en plus rigoureusement voilĂ©es. Les femmes sont instrumentalisĂ©es pour ĂȘtre l’étendard bien visible de l’offensive intĂ©griste, des intĂ©gristes en tous points hostiles aux principes dĂ©mocratiques de l’Occident et en particulier Ă  l’égalitĂ© des sexes. Face Ă  cela, devons-vous dĂ©tourner le regard, mettre un mouchoir sur les principes chĂšrement acquis qui fondent notre vivre ensemble » ? Je rappellerai ensuite que, contrairement Ă  ce qui se passe dans les pays anglo-saxons, la libertĂ© de conscience et d’expression n’est pas complĂšte en France. Nous combattons les idĂ©ologies destructrices que sont, par exemple, le nazisme, le racisme, l’antisĂ©mitisme. Nous combattons toutes les idĂ©ologies qui portent atteinte Ă  la dignitĂ© humaine. Nous luttons contre les sectes qui, elles aussi, en appellent Ă  la libertĂ© de conscience, car nous considĂ©rons prĂ©cisĂ©ment qu’elles embrigadent les esprits, lesquels en perdent leur libertĂ© de penser. D’ailleurs, tous ceux qui parviennent Ă  s’arracher aux griffes des sectes reconnaissent ensuite qu’en leur sein ils n’avaient plus de volontĂ© propre. Or, le port du voile intĂ©gral est l’étendard des salafistes, considĂ©rĂ©s comme une secte offensive par la plupart des musulmans. Pourquoi ferions-nous une exception pour cette secte-lĂ , qui prĂŽne une servitude volontaire conduisant Ă  une sorte d’auto-mutilation civile par invisibilitĂ© sociale ? On aurait tort de comparer les femmes revĂȘtues du voile intĂ©gral aux nonnes cloĂźtrĂ©es d’antan, car si ces religieuses Ă©taient recluses et invisibles aux autres, les femmes dont nous parlons aujourd’hui sont souvent mariĂ©es, parfois mĂšres de famille, et elles entendent s’imposer dans l’espace public sans identitĂ©, sans corps, sans peau, bref en ayant pris soin d’effacer tous les signes de l’humanitĂ©. Je tiens enfin Ă  souligner combien le port du voile intĂ©gral est contraire au principe de fraternitĂ© – ce principe fondamental auquel on a si peu souvent l’occasion de se rĂ©fĂ©rer – et, au-delĂ , au principe de civilitĂ©, du rapport Ă  l’autre. Porter le voile intĂ©gral, c’est refuser absolument d’entrer en contact avec autrui ou, plus exactement, refuser la rĂ©ciprocitĂ© la femme ainsi vĂȘtue s’arroge le droit de me voir mais me refuse le droit de la voir. Outre la violence symbolique de cette non rĂ©ciprocitĂ©, je ne peux m’empĂȘcher d’y voir l’expression d’une contradiction pathologique d’une part, on refuse de montrer son visage au prĂ©texte que l’on ne veut pas ĂȘtre l’objet de regards impurs – incidemment, c’est avoir une singuliĂšre vision des hommes que de penser que tout homme regardant une femme ne pense qu’à la violer –, d’autre part, on se livre Ă  une vĂ©ritable exhibition de soi, tout le monde fixant cet objet non identifiĂ©. En suscitant ainsi la curiositĂ©, on attire des regards que l’on n’attirait peut-ĂȘtre pas quand on allait Ă  visage dĂ©couvert – bref, on devient un objet de fantasme. Dans cette possibilitĂ© d’ĂȘtre regardĂ©e sans ĂȘtre vue et de regarder l’autre sans qu’il puisse vous voir, je perçois la satisfaction d’une triple jouissance perverse la jouissance de la toute-puissance sur l’autre, la jouissance de l’exhibitionnisme et la jouissance du voyeurisme. Aussi, quand j’entends certaines femmes expliquer qu’ainsi vĂȘtues elles se sentent mieux et qu’elles se sentent protĂ©gĂ©es – mais de quoi ? –, je veux bien les croire, mais je pense qu’il s’agit de femmes trĂšs malades et je ne crois pas que nous ayons Ă  nous dĂ©terminer en fonction de leur pathologie. En conclusion, il nous faut choisir entre deux libertĂ©s invoquĂ©es doit-on respecter la libertĂ© de se couvrir le visage en considĂ©rant que le voile intĂ©gral est un vĂȘtement comme un autre, ou devons-nous au contraire protĂ©ger la libertĂ© des plus faibles, celles qui n’ont pas le droit Ă  la parole et qui, de facto, n’ont dĂ©jĂ  plus le droit de se vĂȘtir comme elles l’entendent ? Pour ma part, je ne vois pas dans le voile intĂ©gral un vĂȘtement comme un autre et je considĂšre que son port marque une rupture du pacte social, un refus d’intĂ©gration et un refus du dialogue et de la dĂ©mocratie. Enfin, si l’on ne fait rien, on abandonnera Ă  leur sort toutes celles qui ne rĂȘvent que de vivre comme tout le monde mais qui sont de plus en plus pressĂ©es de se soumettre au pouvoir religieux ou, pire encore, aux traditions. Nous avons toujours trop attendu pour lutter contre des pratiques traditionnelles insupportables, telles la polygamie ou l’excision. Nous devons rompre avec cette attitude relativiste, paresseuse et bien-pensante selon laquelle toutes les traditions sont respectables, alors qu’elles ne sont pas toutes respectables. Comme Descartes, mon maĂźtre, je suis profondĂ©ment convaincue que nous devons nous plier aux us et coutumes du pays dans lequel nous vivons. On peut certes les faire Ă©voluer, mais cela doit ĂȘtre collectivement et dans le respect du triptyque rĂ©publicain. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Je vous remercie, Madame, pour ces propos percutants, par lesquels vous avez mis en lumiĂšre un dĂ©fi de civilisation et d’humanitĂ©. M. Jean Glavany. Je m’associe Ă  ces remerciements. J’ai Ă©tĂ© particuliĂšrement frappĂ© par la partie de votre exposĂ© traitant du visage, de la visibilitĂ© et de la non-rĂ©ciprocitĂ© et je souhaite que notre mission se penche assidĂ»ment sur ces questions qui ont, outre leur contenu philosophique, des aspects sociaux et juridiques. J’ai Ă©tĂ© tout aussi intĂ©ressĂ© par l’insistance avec laquelle vous appelez Ă  combattre ouvertement l’idĂ©ologie talibane, comme nous luttons ouvertement contre les autres idĂ©ologies qui nient la dignitĂ© humaine. À cet Ă©gard, il serait particuliĂšrement utile que notre prĂ©sident fasse diffuser aux membres de la mission les documents distribuĂ©s par les talibans aprĂšs leur arrivĂ©e au pouvoir en Afghanistan, dans lesquels ils indiquaient quels seraient dĂ©sormais les droits et les devoirs des femmes. La lecture de ces Ă©crits Ă©difiants justifie Ă  elle seule l’obligation de combattre ouvertement cette idĂ©ologie, comme vous nous y avez incitĂ©s. M. Lionnel Luca. Vous considĂ©rez donc, Madame, que le voile intĂ©gral n’est pas un vĂȘtement. C’est un point de vue d’un intĂ©rĂȘt tout particulier au moment oĂč le commissaire Ă  la diversitĂ© et Ă  l'Ă©galitĂ© des chances s’autorise Ă  dire que notre mission serait sans utilitĂ© et propre Ă  semer la confusion, au motif que chacun a le droit de se vĂȘtir comme il l’entend. J’ai aussi retenu de vos propos l’arrogance profondĂ©ment inĂ©galitaire qu’il y a Ă  se donner le droit de voir sans ĂȘtre vue. Ces questions nous ramĂšnent Ă  la premiĂšre des auditions que nous avons tenues, au cours de laquelle il nous a Ă©tĂ© dit que le Coran ne prescrit pas le port du voile intĂ©gral et qu’il s’agit d’une tradition pachtoune antĂ©rieure Ă  l’islam. Quant au niqab, c’est, nous a-t-on expliquĂ©, une invention des salafistes, d’une secte donc, comme vous l’avez justement relevĂ©, qui prĂ©tend en revenir aux sources de l’islam, dans une version intĂ©griste. Pourriez-vous prĂ©ciser ce que vous entendez quand vous dites Ă  ce sujet que le port du voile intĂ©gral est l’étendard des salafistes ? » M. Jacques Myard. On imagine effectivement mal Jeanne Hachette conduire des guerriers revĂȘtue d’un voile intĂ©gral. Le problĂšme est que nous parlons de deux civilisations qui n’ont pas le mĂȘme rapport au corps. Alors que la statuaire grĂ©co-romaine Ă©grĂšne une sĂ©rie de nus, hommes et femmes, dans l’autre optique on cache le corps, quel qu’il soit. Pourriez-vous nous dire quelles consĂ©quences cela emporte en matiĂšre d’égalitĂ© des sexes ? M. Christian Bataille. Je vous remercie, Madame, d’avoir brillamment dĂ©fini ce qu’est le voile intĂ©gral et soulignĂ© qu’il ne s’agit pas d’un vĂȘtement comme un autre, contrairement Ă  ce qu’avancent certains en insistant sur le fait qu’aprĂšs tout chacun est libre de se vĂȘtir comme il l’entend. Vous avez dĂ©montrĂ© que la burqa porte des valeurs contraires Ă  celles qui fondent notre rĂ©publique, hĂ©ritiĂšre des LumiĂšres. Mais vous n’avez rien dit du libĂ©ralisme civique ». Pourtant, le problĂšme se pose, et Mme Sihem Habchi, que nous avons entendue ce matin, a stigmatisĂ© devant nous le laisser-faire des autoritĂ©s britanniques qui ont laissĂ© se dĂ©velopper le port du voile intĂ©gral. Face Ă  l’agression que les extrĂ©mistes salafistes vont faire subir Ă  nos sociĂ©tĂ©s, cette approche n’est-elle pas dĂ©passĂ©e ? Mme Élisabeth Badinter. N’étant pas une spĂ©cialiste de l’islam, je n’ai pas qualitĂ© pour traiter rigoureusement de ses rapports avec le salafisme. Ce que j’en ai dit correspond Ă  ce que j’ai entendu en dire M. Boubakeur et d’autres hautes autoritĂ©s religieuses musulmanes, Ă  savoir que le port de la burqa n’est pas un commandement religieux mais une tradition et qu’un travail pĂ©dagogique s’impose pour le faire savoir. J’ai d’ailleurs fondĂ© un grand espoir sur ces dĂ©clarations, considĂ©rant que si les autoritĂ©s religieuses musulmanes les plus qualifiĂ©es prenaient les choses en mains, tout allait s’arranger. J’ignore oĂč elles en sont exactement, mais j’ai le sentiment que les choses sont difficiles et que, dans le mĂȘme temps, de nombreux blogs d’ici et d’ailleurs s’attachent Ă  enraciner l’idĂ©e que l’on serait en train de stigmatiser la communautĂ© musulmane. S’agissant du rapport au corps, les conceptions sont en effet diffĂ©rentes mais nous n’avons pas Ă  nous laisser imposer une conception qui n’est pas la nĂŽtre. Or aujourd’hui dĂ©jĂ , en France, des jeunes filles n’ont plus vraiment la libertĂ© de se vĂȘtir comme elles le veulent et, peu Ă  peu, toutes leurs libertĂ©s sont grignotĂ©es les unes aprĂšs les autres elles doivent se cacher pour aller consulter au Planning familial ; prendre la pilule leur est pratiquement impossible sauf Ă  cacher la plaquette dans l’escalier
 Si, maintenant, nous acceptons de revenir sur nos principes parce qu’il s’agit d’un vĂȘtement ou parce que l’on feint de croire qu’il s’agit d’une libertĂ© religieuse ou parce que l’on est trĂšs relativiste et que l’on considĂšre que toutes les traditions sont respectables, si, donc, nous cĂ©dons sur ce point, c’en est fini, car, d’une certaine façon, la libertĂ© d’habillement proclame en creux la libertĂ© des droits le droit Ă  une sexualitĂ© libre, le droit de ne pas ĂȘtre vierge quand on arrive au mariage et de n’avoir de comptes Ă  rendre Ă  personne
 Toute une sĂ©rie de droits est attachĂ©e Ă  la libertĂ© du corps, et je ne vois pas au nom de quoi des traditions de l’Est devraient s’imposer Ă  l’Ouest. D’autre part, Ă  supposer que j’aille en Arabie saoudite, je serais obligĂ©e de mettre un voile – ce pourquoi je n’irai jamais. Mais si je m’y rendais, je me conformerais naturellement, aux coutumes de l’islam radical des wahhabites – c’est la moindre des politesses. Le libĂ©ralisme compris comme un droit infini Ă  la libertĂ© d’expression, tel qu’il existe en Angleterre ou aux États-Unis, oĂč l’on peut dĂ©filer en arborant des insignes nazis, et bien non, ne vaut pas en France mĂȘme si je suis de celles et de ceux qui n’aiment pas que l’on Ă©touffe la libertĂ© d’expression – ce qui m’a poussĂ©e Ă  signer la pĂ©tition LibertĂ© pour l'Histoire », lancĂ©e par Pierre Nora – et mĂȘme si je pense que l’on doit pouvoir dire des choses y compris lorsqu’elles ne sont pas politiquement correctes. Cela Ă©tant, contrairement Ă  la France, ni le Royaume-Uni ni les États-Unis n’ont Ă©tĂ© occupĂ©s. Notre histoire est diffĂ©rente et je considĂšre que l’on doit poser des limites – les plus larges possibles – Ă  la libertĂ© d’expression, pour Ă©viter que les esprits les moins critiques ne succombent Ă  des idĂ©ologies indignes. Le plus important est de faire ce que nous pouvons pour ne pas laisser se rĂ©pandre des poisons terribles. Or, il faut ĂȘtre sourd et aveugle pour ne pas se rendre compte qu’une offensive est en cours et que l’on veut voir si nous allons cĂ©der. Au risque de vous fĂącher, Monsieur Glavany, car vous Ă©tiez aux affaires Ă  l’époque, je rappellerai qu’à l’automne 1989 paraissait le manifeste Profs, ne capitulons pas, un appel cosignĂ© par cinq intellectuels, dont j’étais. Pourquoi ? Parce que M. Lionel Jospin, alors ministre de l’Éducation nationale, avait dĂ©clarĂ© que les chefs d’établissement devaient Ă©tablir un dialogue avec les parents et les jeunes concernĂ©s pour les convaincre de renoncer au port de signes religieux ; mais il ajoutait que si ces discussions Ă©chouaient, les enfants devaient ĂȘtre accueillis dans les Ă©tablissements publics. Il y eut – vous vous en souvenez sans doute – un grand dĂ©bat national Ă  ce sujet. Vingt ans plus tard, j’ai la faiblesse de croire que, si le phĂ©nomĂšne n’est pas exactement le mĂȘme, nous recommençons la mĂȘme chose qu’à l’époque et surtout que si nous avions dit alors fermement Ă  trois jeunes filles manipulĂ©es par des intĂ©gristes nous n’accepterons jamais ça », tout ce serait arrĂȘtĂ©. Je n’aimerais donc pas que les rĂ©actions soient les mĂȘmes qu’il y a deux dĂ©cennies mĂȘme si elles sont louables car motivĂ©es par l’idĂ©e de tolĂ©rance. Mais, parce que nous avons Ă©tĂ© tĂ©tanisĂ©s Ă  l’idĂ©e que nous risquions d’ĂȘtre intolĂ©rants, nous avons alors tolĂ©rĂ© l’intolĂ©rable. Si nous avions fait nĂŽtre la conception anglaise, les jeunes filles seraient entrĂ©es voilĂ©es en masse dans les Ă©tablissements d’enseignement et il n’y aurait quasiment plus aujourd’hui dans les banlieues que des jeunes filles portant des signes religieux. Cela Ă©tant, quinze annĂ©es se sont Ă©coulĂ©es entre 1989 et 2004 ; nous avons attendu trop longtemps pour adopter une loi mettant les choses au clair Ă  ce sujet. Je ne suis ni juriste ni politique, et mon propos n’est pas de faire une analogie avec une loi relative au port de la burqa. Ce qui me tient Ă  cƓur, c’est que les plus hautes autoritĂ©s politiques rappellent Ă  l’ensemble du peuple français que non, nous ne voulons pas de cela. Mme George Pau-Langevin. L’élĂ©vation de vos propos suscite l’admiration. Vous avez soulignĂ© Ă  juste titre que l’on ne saurait assimiler cette pathologie ou cette idĂ©ologie sectaire Ă  l’islam ; nous en sommes convaincus, et il me paraĂźt que nous devrions axer nos travaux sur la pathologie dans le rapport Ă  autrui que vous avez si bien dĂ©crite. Vous avez Ă©voquĂ© votre visite dans un collĂšge du 20e arrondissement de Paris. À ce sujet, plusieurs questions se posent. Ce qui nous inquiĂšte est de ne pas savoir comment lutter efficacement contre des comportements et une idĂ©ologie sectaires qui se rĂ©pandent parmi des jeunes qui ont grandi en France et qui, comme tels, ont eu accĂšs Ă  l’enseignement des valeurs issues des LumiĂšres. Quand, selon vous, des dysfonctionnements se sont-ils produits dans la transmission des valeurs rĂ©publicaines ? Comment faire pour rectifier le tir et Ă©viter que des jeunes gens ne soient sĂ©duits par une idĂ©ologie rĂ©trograde ? Élue du 20e arrondissement, je ne pense pas que les conceptions des collĂ©giens du collĂšge Françoise-Dolto soient rĂ©ductibles aux phrases que vous avez citĂ©es. Mais ce collĂšge, comme d’autres de l’arrondissement, se sont transformĂ©s en Ă©tablissements d’exclusion. Certaines familles ont dĂ©cidĂ© de scolariser leurs enfants ailleurs et les collĂ©giens qui demeurent entre eux se sentent relĂ©guĂ©s. N’y a-t-il pas quelque chose Ă  faire Ă  ce sujet aussi ? Enfin, quelles sont les diffĂ©rences entre la conception de la pudeur en France au XIXe siĂšcle – Ă©poque Ă  laquelle les femmes sortaient trĂšs couvertes – et les exigences actuelles de l’islam Ă  ce sujet ? M. Pierre Cardo. J’ai beaucoup apprĂ©ciĂ©, Madame Badinter, une bonne partie de vos analyses. Ma conviction est que l’on assiste Ă  un combat contre les valeurs de l’Occident, la mĂ©thode choisie Ă  cette fin Ă©tant d’utiliser l’islam, en en dĂ©formant probablement les principes. Je partage sans rĂ©serve l’apprĂ©ciation que vous portez sur l’inĂ©galitĂ© dans le rapport Ă  autrui induite par le port de la burqa et je pense, comme mes collĂšgues, que lĂ  devra ĂȘtre notre angle d’approche. Pour autant, cette question ne reprĂ©sente que le sommet de l’iceberg. AprĂšs que nous l’aurons rĂ©glĂ©e, si nous y parvenons, quelles autres lignes de conduite devrons-nous adopter pour venir en aide Ă  toutes ces femmes qui, comme vous l’avez soulignĂ©, ne s’expriment pas et qui sont dans l’incapacitĂ© complĂšte de s’adresser aux services sociaux ou Ă  la police ? Au-delĂ  du port du voile intĂ©gral, quel devrait ĂȘtre, selon vous, le rĂŽle du politique ? Comment s’attaquer au problĂšme de fond ? Mme Sandrine Mazetier. AprĂšs avoir, dans votre remarquable exposĂ©, insistĂ© sur l’irrĂ©fragable triptyque rĂ©publicain, vous avez utilement rappelĂ©, Madame, qu’il existe deux conceptions de l’égalitĂ© et que nous ne devons pas transiger. La nĂŽtre, qui institue l’égalitĂ© de traitement entre les hommes et les femmes par indiffĂ©rence aux sexes, doit ĂȘtre prĂ©servĂ©e. L’autre, qui sĂ©pare hommes et femmes en deux ensembles Ă©gaux mais irrĂ©mĂ©diablement diffĂ©rents, si elle est rĂ©cusĂ©e, doit l’ĂȘtre en tous temps et en tous lieux. Vous avez aussi expliquĂ© que la burqa n’a pas de lien particulier avec l’islam. Cela Ă©tant, toutes les religions n’ont-elles pas un problĂšme avec le rapport au corps, en ce siĂšcle encore ? Toutes les religions n’oppriment-elles pas les corps, ne les cachent-elles pas ? Que penser, par exemple, de la vague d’incitation Ă  la prĂ©servation de la virginitĂ© jusqu’au mariage aux États-Unis ? En d’autres termes, le soin mis avec raison Ă  ne pas stigmatiser l’islam n’a-t-il pas pour consĂ©quence une grande bienveillance Ă  l’égard des religions dans leur ensemble, alors que toutes entretiennent de difficiles relations au corps, singuliĂšrement au corps des femmes ? Enfin, le mouvement de retour Ă  la pudeur, Ă  la dĂ©cence, n’est-il pas Ă  mettre en relation, en France, avec le rejet contemporain des idĂ©es de mai 1968, qui Ă©taient aussi celles de la libertĂ© des corps ? Mme Arlette Grosskost. Votre exposĂ©, Madame Badinter, Ă©tait particuliĂšrement intĂ©ressant. La RĂ©publique, c’est la pluralitĂ© et la fraternitĂ©. Mais la RĂ©publique est une et indivisible. Or je crains que la question qui nous occupe ne traduise en rĂ©alitĂ© le fait qu’une identitĂ© musulmane entend s’imposer Ă  l’identitĂ© française. Disant cela, je ne stigmatise pas l’islam mais une interprĂ©tation trĂšs particuliĂšre du droit Ă  la diffĂ©rence qui donnerait le droit Ă  la contrainte. Le vrai problĂšme est lĂ . Comment, alors, aller plus loin ? On parle d’enseigner le fait religieux Ă  l’école, ce qui me semble une excellente chose car cela augmentera la tolĂ©rance, le respect mutuel et la connaissance d’autrui. Mais ne doit-on pas, parallĂšlement, inscrire dans les programmes scolaires le rappel des principes rĂ©publicains et en finir ainsi avec un certain laxisme Ă  cet Ă©gard ? Mme Élisabeth Badinter. La maĂźtrise de leur corps par les femmes implique aussi la libertĂ© de se vĂȘtir – et de se dĂ©vĂȘtir – comme elles l’entendent. C’est en France un acquis rĂ©cent, qui a conduit Ă  jeter momentanĂ©ment par-dessus les moulins l’idĂ©e de pudeur. Je comprends que cela puisse choquer, mais je pense que l’on est prĂšs d’assister Ă  un retour de balancier et Ă  des comportements plus Ă©quilibrĂ©s. Cela Ă©tant, l’argument de la pudeur est incomprĂ©hensible pour ce qui concerne le visage, car point n’est besoin d’ĂȘtre vĂȘtue comme une Afghane ou comme une Saoudienne pour avoir une tenue correcte. Aussi, je ne pense pas qu’il soit bon d’invoquer la pudeur pour justifier le recours au voile intĂ©gral, car on peut ĂȘtre parfaitement pudique sans aller jusque lĂ . S’agissant des orientations politiques souhaitables pour ce qui concerne les femmes qui ne peuvent s’exprimer, le travail Ă  faire est considĂ©rable car les personnes qui vivent en France ou qui souhaitent s’y installer entendent des autoritĂ©s deux discours diffĂ©rents. Je vous donnerai un exemple de cette situation. J’ai une profonde admiration pour la Haute autoritĂ© de lutte contre les discriminations et pour l’égalitĂ© HALDE qui accomplit un travail remarquable, mais j’ai exprimĂ© mon profond dĂ©saccord avec l’un de ses avis. Des femmes Ă©taient arrivĂ©es en France qui portaient une burqa et qui devaient, pour faciliter leur intĂ©gration, suivre des cours de français. Le professeur leur a demandĂ© d’enlever voile et grillage pendant les cours car, pour enseigner une langue, il faut voir les mouvements de la bouche de l’élĂšve. Elles ont refusĂ© de se dĂ©voiler et ont dĂ©posĂ© un recours pour discrimination. Or, si la HALDE a Ă©tĂ© d’avis qu’il fallait enlever le voile pour apprendre le français, elle n’a nulle part mentionnĂ© qu’en France on doit retirer son voile parce que, dans notre pays, l’on montre son visage ! Que des institutions et des associations trĂšs respectables tiennent des discours diffĂ©rents complique beaucoup les choses. Peut-ĂȘtre faudrait-il un dĂ©bat national beaucoup plus large, qui permettrait de dĂ©finir prĂ©cisĂ©ment ce que nous souhaitons. S’il est Ă©tabli publiquement qu’en France certains principes ne sont pas nĂ©gociables, cela sera su par tous ceux qui sont en France et par ceux qui veulent s’y installer. Je me suis entendu dire que refuser aux femmes entiĂšrement voilĂ©es le droit de sortir dans l’espace public, c’est les confiner chez elles. Elles seront alors confinĂ©es chez elles, et c’est tout ! D’ailleurs, elles seront bien obligĂ©es d’en sortir pour aller faire les courses ! Au nom de quoi devrions-nous accepter de piĂ©tiner nos principes pour quelques personnes ? DĂ©jĂ , certaines mairies ont consenti Ă  instaurer des horaires de piscine diffĂ©rents pour les deux sexes, au mĂ©pris de la mixitĂ©. Quand de tels signaux sont donnĂ©s, pourquoi se priverait-on d’essayer de contraindre de nouvelles mairies Ă  accepter ce que d’autres ont dĂ©jĂ  acceptĂ© ? Et c’est ainsi que, de fil en aiguille
 Nous pĂątissons d’une idĂ©ologie venue des pays anglo-saxons et qui se voulait Ă  la pointe de la tolĂ©rance le diffĂ©rentialisme, que j’ai toujours combattu, y compris lorsqu’il s’agissait du fĂ©minisme. Le reliquat de cette idĂ©ologie constitue un obstacle Ă  un discours clair et unifiĂ©. Peut-ĂȘtre faut-il parler Ă  ces gens qui ont une autre conception des libertĂ©s, trĂšs respectable en ce qu’elle traduit un souci de tolĂ©rance et non une volontĂ© d’oppression mais qui empĂȘche la dĂ©finition d’une position commune. Un dĂ©bat national plus vaste est donc nĂ©cessaire entre dĂ©mocrates pour se mettre d’accord sur le minimum commun que nous entendons faire respecter quoi qu’il arrive. Oui, les trois religions monothĂ©istes ont toutes Ă©tĂ© misogynes – ainsi ai-je eu l’occasion de rappeler il y a peu que, dans les annĂ©es 1950, le Vatican Ă©tait terriblement hostile Ă  l’accouchement sans douleur. Orthodoxes juifs, intĂ©gristes musulmans et intĂ©gristes catholiques sont globalement hostiles au corps de la femme, Ă  sa libĂ©ration, Ă  la maĂźtrise de leur corps par les femmes. Pour eux, le corps des femmes appartient aux hommes, car c’est par lĂ  que sont faits leurs fils
 Depuis vingt ans, toutes les religions se durcissent et l’on assiste, pour des raisons identitaires, Ă  un mouvement gĂ©nĂ©ral vers l’orthodoxie au mieux, l’intĂ©grisme au pire. Or la libertĂ© des femmes passe Ă©videmment d’abord par la maĂźtrise de leur corps, et les religieux n’aiment pas cela. Il est tout Ă  fait souhaitable que l’école enseigne nos valeurs. Mais, vous le savez, ce n’est plus possible dans certaines Ă©coles. Dans celles-lĂ  mĂȘmes oĂč il est indispensable de transmettre les principes essentiels du vivre ensemble et de la plus grande tolĂ©rance rĂ©ciproque, il est dĂ©jĂ  trĂšs difficile sinon impossible aux professeurs de se faire entendre quand ils Ă©voquent ces thĂšmes. Des collĂšgues enseignant dans certaines banlieues m’ont dit qu’ils ne peuvent plus enseigner ce que fut la Shoah car on ne les croit pas ; on prĂ©tend devant eux que c’est de la blague ! Je vous parais sans doute un peu dĂ©couragĂ©e, mais cela ne signifie pas qu’il faut baisser les bras, et plus nous serons nombreux mieux ce sera. J’observe d’ailleurs que, depuis que vous avez eu l’idĂ©e formidable et saluĂ©e par tous de constituer cette mission d’information, les gens rĂ©flĂ©chissent Ă  la question, et que les voix qui s’élĂšvent pour dire non, on n’est pas d’accord pour cela » ont de l’effet sur des jeunes femmes qui pourraient ĂȘtre tentĂ©es par des mouvements radicaux. Cet effet, direz-vous, ne peut ĂȘtre mesurĂ©. C’est vrai, mais le fait qu’à vous tous vous incarniez une reprĂ©sentation de la France est un premier pas, important, sur la voie qui s’impose, celle de la pĂ©dagogie. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Madame, je vous remercie pour ces propos Ă©clairants. Table ronde rĂ©unissant des associations laĂŻques M. Joseph Petitjean, prĂ©sident de l’Association des libres penseurs de France, M. Marc Simon, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral, M. Hubert Sage, membre du conseil d’administration ; M. Philippe Foussier, prĂ©sident du ComitĂ© laĂŻcitĂ© RĂ©publique, M. Patrick Kessel, prĂ©sident d’honneur ; M. Marc Blondel, prĂ©sident de la FĂ©dĂ©ration nationale de la libre pensĂ©e, M. Christian Eychen, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral ; M. Yves Pras, prĂ©sident du Mouvement Europe et laĂŻcitĂ©, M. JoĂ«l Denis, vice-prĂ©sident, M. Claude Betteto, vice-prĂ©sident ; M. Jean-Michel Quillardet, prĂ©sident de l’Observatoire international de la laĂŻcitĂ© contre les dĂ©rives communautaires, M. Fabien TaĂŻeb, vice-prĂ©sident, M. Didier Doucet, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral ; Mme Monique VĂ©zinet, prĂ©sidente de l’Union des familles laĂŻques, Mme Marie Perret, secrĂ©taire nationale. SĂ©ance du mercredi 16 septembre 2009 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Chers collĂšgues, nous ferons un point d’étape la semaine prochaine afin d’échanger entre nous sur les tĂ©moignages et les analyses apportĂ©s par les personnes auditionnĂ©es lors des quatre premiĂšres sĂ©ances des travaux de la mission d’information. Chacun d’entre nous fera part de ses rĂ©flexions puis nous fixerons ensemble les objectifs de notre mission. Avant tout, je veux rappeler que le port du voile intĂ©gral pose un problĂšme politique, auquel il convient d’apporter une rĂ©ponse politique. L’intĂ©grisme et le fondamentalisme renvoient Ă  un projet politique dont l’objectif est de dĂ©stabiliser notre RĂ©publique et ses valeurs de libertĂ©, d’égalitĂ© et de fraternitĂ©. MĂȘme s’il ne s’agit pas de traiter du religieux, nous devons adopter face Ă  l’islam une attitude dĂ©complexĂ©e. Nous voulons sortir d’un certain aveuglement Ă  l’égard d’un phĂ©nomĂšne apparu il y a quinze ou vingt ans, tout en refusant de le diaboliser. Poursuivons de maniĂšre dĂ©terminĂ©e notre tĂąche, sans nous laisser perturber ou impressionner par les alĂ©as mĂ©diatiques. Les islamistes adaptent leur stratĂ©gie et sont maĂźtres dans l’art du camouflage et du double langage. MĂȘme si l’on tente de nous culpabiliser et de nous neutraliser, ce travail reste Ă  nos yeux essentiel. Nous avons l’intention de procĂ©der Ă  l’audition des acteurs de premiĂšre ligne, Ă  Lille, Marseille, Lyon et en rĂ©gion parisienne. Nous envisageons, le rapporteur et moi, de nous dĂ©placer en Belgique. Enfin, notre mission entendra les responsables des partis politiques Ă  la fin du mois de novembre. Nous espĂ©rons ainsi dresser un Ă©tat des lieux de la question et dĂ©boucher sur des prĂ©conisations aussi percutantes que possible. La prĂ©sente table ronde rĂ©unit des associations de dĂ©fense et de promotion de la laĂŻcitĂ©. Chacune d’entre elles disposera de cinq minutes pour se prĂ©senter et proposer une premiĂšre rĂ©action sur la question du voile intĂ©gral. Les membres de la mission poseront ensuite des questions. Estimez-vous que le port du voile intĂ©gral remet en cause les valeurs rĂ©publicaines, et plus particuliĂšrement la laĂŻcitĂ© ? S’agissant de la voie publique, la rĂ©ponse n’est pas Ă©vidente. ConsidĂ©rez-vous que le port du voile intĂ©gral est la manifestation d'une appartenance religieuse ou qu’il correspond plutĂŽt Ă  une revendication sectaire, Ă  connotation politique ? Au nom de quels principes son interdiction pourrait-elle ĂȘtre dĂ©cidĂ©e ? Cela ne risquerait-il pas d’ĂȘtre perçu comme la tentative d’imposer un nouvel ordre moral ? M. Hubert Sage Association des libres penseurs de France. Nos membres sont plus qu’inquiets les islamistes ont lancĂ© une offensive contre notre sociĂ©tĂ© laĂŻque et ses valeurs de libertĂ© individuelle, d’égalitĂ© en droit, de fraternitĂ© sociale ; le port du voile intĂ©gral en est une forme Ă©vidente. Nos adhĂ©rents d'origine maghrĂ©bine sont soumis Ă  une pression intense dans les entreprises lorsqu’ils n’observent pas le ramadan et se font rappeler Ă  l’ordre par les caissiĂšres musulmanes des supermarchĂ©s parisiens, marseillais ou strasbourgeois lorsqu’ils achĂštent de la viande qui n’est pas hallal. Le fondement de notre engagement est la dĂ©fense de l’ordre public laĂŻc. Selon une jurisprudence constante, celui-ci est acceptĂ©, dĂ©fini et dĂ©fendu par la Cour europĂ©enne des droits de l'homme CEDH, qui reconnaĂźt aux États le droit de lĂ©gifĂ©rer pour limiter le port du voile islamique ostensible dans l'espace public. Cette jurisprudence est constituĂ©e par les attendus de trois arrĂȘts concernant les affaires Dahlab c. Suisse, 15 fĂ©vrier 2001, Leyla Sahin c. Turquie, 29 juin 2004, Refah Partisi c. Turquie, 3 fĂ©vrier 2003. Elle a Ă©tĂ© confirmĂ©e par les affaires Aktas, Bayrak, Gamaleddyn, Ghazal, Singh c. France de juillet 2009 et Dogru et Kervanci c. France de dĂ©cembre 2008. Dans l’affaire Leyla Sahin c. Turquie, la CEDH a estimĂ© que la libertĂ© de manifester sa religion peut ĂȘtre restreinte afin de prĂ©server les valeurs dĂ©mocratiques et l'Ă©galitĂ© des citoyens devant la loi. Le symbole du port du foulard islamique dans la sociĂ©tĂ© turque est perçu comme une obligation religieuse contraignante sur celles qui ne le portent pas. La limitation du port du foulard islamique passe pour rĂ©pondre Ă  un besoin social impĂ©rieux tendant Ă  atteindre les deux buts lĂ©gitimes que sont la protection des droits et libertĂ©s d'autrui et le maintien de l’ordre public. La CEDH s'est appuyĂ©e sur l’article 9 de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme aux termes duquel 1. Toute personne a droit Ă  la libertĂ© de pensĂ©e, de conscience et de religion ; ce droit implique la libertĂ© de changer de religion ou de conviction, ainsi que la libertĂ© de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privĂ©, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. 2. La libertĂ© de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prĂ©vues par la loi, constituent des mesures nĂ©cessaires, dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, Ă  la sĂ©curitĂ© publique, Ă  la protection de l'ordre, de la santĂ© ou de la morale publiques, ou Ă  la protection des droits et libertĂ©s d'autrui. ». Selon la CEDH, si tout un chacun a la libertĂ© de manifester sa religion publiquement, un État a le droit de limiter cette expression publique. Cette limitation doit ĂȘtre prĂ©vue par une loi, laquelle doit ĂȘtre suffisamment prĂ©cise pour que son application soit facilement prĂ©visible et accessible. Elle doit poursuivre les buts lĂ©gitimes que sont la protection des droits et libertĂ©s d'autrui, celle de la sĂ©curitĂ© publique et celle de l'ordre public. L’ordre public est caractĂ©risĂ© par l’article 1er de notre Constitution, qui dispose que la France est une RĂ©publique indivisible, laĂŻque, dĂ©mocratique et sociale assurant l’égalitĂ© devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. La CEDH reconnaĂźt explicitement la notion d'espace public, distincte de celle de sphĂšre publique qu'institue la loi de 1905. La notion d'espace public sert de base aux restrictions apportĂ©es Ă  l'habillement au nom de l’ordre public – personne n'a ainsi le droit de se promener en bikini sur la voie publique. Certaines associations laĂŻques traditionnelles, ignorant cette notion, n’interviennent pas sur ces questions pour elles, la laĂŻcitĂ© signifie uniquement la neutralitĂ© de la puissance publique dans les rĂšgles de notre sociĂ©tĂ©. D’aprĂšs les attendus des arrĂȘts de la CEDH, la limitation doit concerner les signes extĂ©riorisĂ©s d'une maniĂšre agressive, pouvant exercer une pression sur la population. C’est la raison pour laquelle la loi du 15 mars 2004 concerne le port Ă  l’école publique de signes religieux ostensibles » et non pas visibles ». Il ne nous appartient pas de dire s’il faut ou non lĂ©gifĂ©rer. Il revient au lĂ©gislateur de dĂ©terminer si notre ordre public laĂŻc est menacĂ© par cette offensive islamique et de dĂ©finir avec prĂ©cision les formes de voile islamique constituant un trouble Ă  l’ordre public voile intĂ©gral comme la burqa et le niqab ou semi-intĂ©gral comme le tchador et le hidjab. Nous considĂ©rons que l’interdiction du port du voile intĂ©gral ne doit pas seulement relever d’un impĂ©ratif de sĂ©curitĂ© publique – il suffirait de faire appliquer les lois existantes – mais doit ĂȘtre prononcĂ©e au nom de notre ordre public laĂŻc, qui garantit les libertĂ©s individuelles et prĂ©serve les opinions d'autrui. M. Marc Blondel FĂ©dĂ©ration nationale de la libre pensĂ©e. Permettez-moi de vous dire que si cette table ronde devait se poursuivre par un Ă©change de vues entre les diffĂ©rentes associations et les parlementaires, la FĂ©dĂ©ration nationale de la libre pensĂ©e se retirerait. Nous souhaitons nous limiter Ă  l’exposĂ© de notre contribution. Vous avez sollicitĂ© l'avis de notre association sur la question du port de la burqa dans la rue. Ne cachons pas notre Ă©tonnement peut-on discuter de ce vĂȘtement sans dĂ©battre de l’ensemble des vĂȘtements prescrits par les autres religions ? S’il est indĂ©niable que le port imposĂ© de la burqa ou du niqab est un symbole de l'oppression, en quoi le port de la soutane, de la robe de bure, de la cornette, du schtreimel, du spodik ou du caftan ne l’est-il pas ? Les dictatures ont toujours voulu imposer des modes vestimentaires le tsar Alexandre II interdit en 1872 le port des papillotes et des longs manteaux par les juifs polonais ; le code civil de NapolĂ©on 1er proscrivit le port du pantalon pour les femmes et la GrĂšce des colonels rĂ©prima le port des cheveux longs et de la minijupe. Interdire le port de la burqa, dans ce que nous considĂ©rons comme la sphĂšre privĂ©e, est attentatoire aux libertĂ©s individuelles et dĂ©mocratiques. Cela s’inscrirait dans la logique actuelle tendant Ă  restreindre toujours plus la libertĂ© de comportement, la population se trouvant toujours davantage surveillĂ©e, contrĂŽlĂ©e, fichĂ©e. L'histoire ne montre-t-elle pas qu'en renforçant les pouvoirs du pouvoir, on diminue les libertĂ©s dĂ©mocratiques des citoyens ? Les Ă©lus rĂ©publicains que vous ĂȘtes ne peuvent y ĂȘtre insensibles. Ainsi, la puissance publique dĂ©crĂ©terait comment les gens doivent s'habiller dans la rue ! Notre pratique de l'engagement politique et militant nous conduit Ă  nous interroger comment contraindrez-vous les personnes Ă  se soumettre Ă  cette interdiction ? Une telle dĂ©cision serait inapplicable et crĂ©erait des affrontements considĂ©rables. Le rĂŽle du lĂ©gislateur n'est pas d'allumer des brĂ»lots, mais de permettre Ă  chacun de vivre en paix, selon ses choix et ses Ă©ventuelles convictions. Pour les libres penseurs, partisans du libre examen, le concept ne doit jamais prĂ©cĂ©der la preuve nous rĂ©cusons les acrobaties juridiques de ceux qui, voulant interdire la seule burqa, en viennent Ă  inventer des catĂ©gories juridiques aussi fumeuses qu'inexistantes. Ainsi, certains tentent de remplacer les notions de sphĂšre publique » et de sphĂšre privĂ©e » – dĂ©finies par les lois de 1901 et de 1905 – par la notion d’ espace public » et d’ espace privĂ© ». Cette tentative de substitution lexicale n'est pas neutre le terme de sphĂšre » dĂ©signe une surface fermĂ©e, une Ă©tendue restreinte, alors que l’espace est par nature indĂ©fini. En inventant la notion d'espace public, lieu oĂč devrait s'appliquer la laĂŻcitĂ© – uniquement pour les musulmanes –, on Ă©largit tellement le principe de laĂŻcitĂ© qu'on le rend inopĂ©rant. En Ă©tant partout, la laĂŻcitĂ© ne serait plus nulle part. La laĂŻcitĂ© est une frontiĂšre, garante de la libertĂ© de conscience pour tous, qu’il ne faut pas abolir. Cela serait appliquer la dĂ©finition thĂ©ologique du Saint-Esprit Ă  la nĂ©cessaire sĂ©paration des Églises et de l'État la circonfĂ©rence est nulle part, le noyau partout et l'Esprit souffle oĂč il veut ». La laĂŻcitĂ© n'est ni une philosophie ni un art de vivre – elle s'apparenterait alors Ă  une religion – mais un mode d'organisation politique des institutions. Elle vise, par la sĂ©paration des Églises et de l'État, Ă  distinguer institutionnellement le domaine de l'administration et des services publics de celui de la vie privĂ©e des citoyens. La laĂŻcitĂ©, en tant que principe politique d’organisation, s'applique aux institutions, non aux individus. Cette distinction, mise en Ɠuvre par les lois de 1901 et de 1905, garantit la non-ingĂ©rence des conceptions mĂ©taphysiques dans le domaine public pour mieux garantir la libertĂ© d'opinion et de comportement dans le domaine privĂ©. Dans cette acception, il est rĂ©publicain et laĂŻque d'interdire tout signe d'appartenance religieux Ă  l'Ă©cole publique et pour les agents du service public – loi Goblet de 1886, loi de 1905, circulaires signĂ©es par Jean Zay en 1936 et 1937. En revanche, la loi n'a pas Ă  dicter les modes vestimentaires dans le domaine privĂ©, ou tout autre comportement, tant que ceux-ci ne reprĂ©sentent pas une menace pour la vie d'autrui. Une derniĂšre prĂ©cision les libres penseurs, concernĂ©s par l'Ă©volution sociale, prĂŽnent et revendiquent l'Ă©galitĂ© des droits, y compris entre sexes. Nous estimons donc qu’il appartient aux femmes et Ă  elles seules de dĂ©terminer leur comportement. Enfin, nous voudrions faire part de notre Ă©tonnement lorsque nous avons appris que la Ligue de l'enseignement et la Ligue des droits de l'homme ne seraient pas invitĂ©es par votre mission. Elles nous ont demandĂ© de vous faire part de leur complĂšte adhĂ©sion aux idĂ©es exprimĂ©es sur cette question par la FĂ©dĂ©ration nationale de la libre pensĂ©e. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Nous n’avons nullement opposĂ© de fin de non-recevoir Ă  ces associations, qui seront prochainement conviĂ©es Ă  nos auditions. M. Philippe Foussier ComitĂ© laĂŻcitĂ© RĂ©publique. Le ComitĂ© laĂŻcitĂ© RĂ©publique a Ă©tĂ© fondĂ© dans la foulĂ©e de la premiĂšre affaire du voile, sur les bases de l'appel aux enseignants Profs ne capitulons pas ! », lancĂ© par Elisabeth Badinter, Elisabeth de Fontenay, Catherine Kintzler, RĂ©gis Debray et Alain Finkielkraut. Outre ces derniers, Henri Caillavet, Albert Memmi et GisĂšle Halimi figurent dans son comitĂ© fondateur. Le ComitĂ© laĂŻcitĂ© RĂ©publique remet tous les deux ans un prix de la laĂŻcitĂ© Ă  deux laurĂ©ats, l'un national, l'autre international. En 2009, le jury a distinguĂ© le scientifique Guillaume Lecointre, pour son combat contre le crĂ©ationnisme, et la journaliste libanaise Nadine Abou Zaki. Si la laĂŻcitĂ© est notre axe central de rĂ©flexion et d’action, nous nous intĂ©ressons Ă©galement aux questions touchant Ă  la citoyennetĂ©, Ă  l'Ă©cole, au racisme, aux dimensions Ă©thiques des dĂ©bats scientifiques. Le combat pour le droit des femmes et pour l'Ă©galitĂ© entre les femmes et les hommes est un engagement majeur c'est sans doute davantage pour cette raison que nous sommes ici aujourd'hui que pour un enjeu strictement laĂŻque. Le port de la burqa nous interpelle car il renvoie au dĂ©bat sur la revendication de droits diffĂ©renciĂ©s et fait Ă©cho Ă  la montĂ©e des communautarismes. Mais il est d’abord l’illustration emblĂ©matique d'une rĂ©gression des droits et de la dignitĂ© de la femme dans notre sociĂ©tĂ©. Les raisons de notre engagement nous ont donc conduits Ă  appuyer le vote de la loi proscrivant les signes religieux Ă  l'Ă©cole, loi qui a dĂ©montrĂ©, loin des prĂ©visions alarmistes d’alors, qu'elle Ă©tait une loi de pacification, de clarification, de soutien aux responsables d'Ă©tablissement scolaire et de rappel Ă  la rĂšgle commune. Nous comptons dans nos rangs une proportion significative de croyants et de pratiquants des grandes religions monothĂ©istes ; notre action n'est en rien dirigĂ©e contre la foi, que nous respectons. En revanche, tous nos adhĂ©rents sont attachĂ©s Ă  une conception de la laĂŻcitĂ© qui n'a besoin d'aucun adjectif pour ĂȘtre dĂ©finie, la loi de 1905 Ă©tablissant un compromis qui permet Ă  chacun d'exercer ou non sa foi et de prĂ©server la paix civique dans l'espace public. Le ComitĂ© laĂŻcitĂ© RĂ©publique se prononce en faveur d'une loi interdisant le port du voile intĂ©gral, sauf si, ainsi que certains juristes le dĂ©montrent, la lĂ©gislation actuelle permet dĂ©jĂ  de le proscrire. Entre le fort et le faible, c'est la libertĂ© qui opprime et la loi qui affranchit », disait Lacordaire. Les principes rĂ©publicains comme l'indispensable Ă©galitĂ© de droit et de dignitĂ© entre l'homme et la femme impliquent des rĂšgles dĂ©finies par le lĂ©gislateur, garant de l'intĂ©rĂȘt collectif. Marianne ne peut ĂȘtre voilĂ©e », affirmait un dĂ©putĂ© lors du dĂ©bat sur les signes religieux Ă  l'Ă©cole. A fortiori, Marianne ne peut ĂȘtre engrillagĂ©e ». Enfin, le dispositif lĂ©gislatif devra ĂȘtre accompagnĂ© d'un effort de pĂ©dagogie Ă  l'Ă©cole, l'accent doit ĂȘtre mis sur ce qui rassemble les ĂȘtres humains, quelles que soient leur couleur de peau, leur origine ethnique ou religieuse, plutĂŽt que sur ce qui, en accentuant les divergences, dĂ©truit le contenu mĂȘme de la citoyennetĂ©. M. Yves Pras Mouvement Europe et laĂŻcitĂ©. Le Centre d’action europĂ©enne dĂ©mocratique et laĂŻque – Mouvement Europe et laĂŻcitĂ©, fondĂ© en 1954, a pour but de dĂ©fendre la laĂŻcitĂ© en France et de la promouvoir en Europe. Nous avons Ă©tabli une Charte europĂ©enne de la laĂŻcitĂ©, que nous croyons indispensable Ă  une Europe pacifiĂ©e. La laĂŻcitĂ© est un mode d’organisation dont le champ d’application recouvre tous les aspects de la sociĂ©tĂ© ; elle s’appuie sur trois valeurs fondamentales la sĂ©paration des Églises et de l'État, la libertĂ© absolue de conscience et le refus de tout dogmatisme. Dans d’autres pays europĂ©ens, la sĂ©paration des Églises et de l'État existe, mais sous la forme du sĂ©cularisme, lequel ne s’appuie pas sur la libertĂ© de conscience et le refus du dogmatisme. Ce sĂ©cularisme n’a pu empĂȘcher le communautarisme de se dĂ©velopper. La sphĂšre privĂ©e englobe ce qui concerne la façon de penser de l’individu, lui permet d’ĂȘtre lui-mĂȘme et de se dĂ©velopper. Elle est limitĂ©e, d’une part, par le domaine public et, d’autre part, par la sphĂšre privĂ©e d’autrui c’est ainsi qu’il est interdit de fumer dans les lieux publics afin de limiter le tabagisme passif. Enfin, la sphĂšre privĂ©e peut ĂȘtre le lieu de pressions, comme pour beaucoup de mineures portant un voile semi-intĂ©gral. À elle seule, cette question justifierait l’intervention du lĂ©gislateur. Les Pays-Bas ont Ă©tĂ© pendant longtemps le pays le plus permissif Ă  l’égard du port du voile intĂ©gral, mais depuis 2007, celui-ci est interdit dans les Ă©coles et dans les transports publics. L’interdiction dans les lieux publics est Ă©galement entrĂ©e en vigueur en SuĂšde et en Italie et il est question que la Belgique modifie sa lĂ©gislation en ce sens. En Grande-Bretagne, les attentats de 2005, perpĂ©trĂ©s par des jeunes nĂ©s et Ă©duquĂ©s sur le territoire britannique, ont provoquĂ© une remise en cause de l’attitude permissive des pouvoirs publics face au dĂ©veloppement du communautarisme. Rappelons que les fonctionnaires britanniques peuvent porter des signes religieux, ce qui pose des problĂšmes il n’est pas rare que des contractuelles voilĂ©es soient ainsi accusĂ©es de dresser un procĂšs-verbal par racisme ! Aux États-Unis, oĂč 80 % des personnes s’affirment croyantes, la non-ingĂ©rence de l’État et la libertĂ© de culte sont garanties par le premier amendement Ă  la Constitution. Barack Obama a estimĂ© sur les plages du DĂ©barquement, le 6 juin, que [notre] attitude n'est pas de dire aux citoyens ce qu'ils peuvent porter... » et que la façon la plus efficace d'intĂ©grer toutes les personnes, toutes confessions confondues n'est pas de les empĂȘcher de porter des vĂȘtements traditionnels ou autres. » Chez les six Ă  huit millions de musulmans prĂ©sents aux États-Unis, le port de la burqa reste marginal, mĂȘme dans des États Ă  forte population musulmane. Cependant, les obligations lĂ©gales s'imposent aux femmes qui l’ont adoptĂ©e. Ainsi, en Floride, en 2003, un juge a refusĂ© de traiter la plainte d'une femme en burqa au motif qu'il ne pouvait lire sur son visage si elle Ă©tait sincĂšre. Plus rĂ©cemment, une femme voilĂ©e n'a pu obtenir son permis de conduire. Sensiblement, les pays Ă©voluent sur cette question. Si nous voulons pouvoir continuer Ă  penser librement sans publicitĂ© religieuse agressive, il nous faudra nous pencher sur l’invasion de la sphĂšre publique par les signes religieux. M. Jean-Michel Quillardet Observatoire international de la laĂŻcitĂ© contre les dĂ©rives communautaires. Pour l’Observatoire international de la laĂŻcitĂ© contre les dĂ©rives communautaires, dont Antoine Sfeir est un membre fondateur, la laĂŻcitĂ© est un principe universel et toute sociĂ©tĂ© organisĂ©e sur une base communautariste paraĂźt dangereuse. Montesquieu Ă©crivait Je suis nĂ©cessairement homme et je ne suis Français que par hasard ». Nos valeurs, inspirĂ©es des LumiĂšres, imprĂšgnent aussi d’autres cultures, Ă  commencer par l’islam. Il s’agit de principes intangibles, parfaitement adaptables Ă  chaque sociĂ©tĂ© humaine. Certes, le port du voile intĂ©gral pose un problĂšme d’ordre public, pour des raisons Ă©videntes de dissimulation de l’identitĂ©. Certes, la burqa peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme attentatoire aux droits de la femme, remettant en cause la libertĂ© de celle qui la porte, mĂȘme de son plein grĂ©. Certes, la dĂ©fense de la tradition et de la culture françaises pourrait Ă  elle seule justifier son interdiction. Mais c’est au nom des droits fondamentaux de la personne – droits universels, reconnus par tous et dans chaque culture – qu’il convient d’interdire le port du voile intĂ©gral. Cette loi doit ĂȘtre fondĂ©e sur trois principes. Au nom de la laĂŻcitĂ©, dont le propre est de combattre ce qui porte atteinte Ă  l’intĂ©gritĂ© des corps et de l’esprit et de garantir la libertĂ© religieuse, il ne faut plus tolĂ©rer le port de la burqa. Ce faisant, nous rendrons service Ă  l’islam de France. Au nom de nos principes rĂ©publicains, nous ne pouvons plus accepter le port du voile intĂ©gral. La burqa est la manifestation ostentatoire d’une forme d’intĂ©grisme politique et totalitaire elle signifie le refus de l’autre, de l’altĂ©ritĂ©, celle qui le porte semblant dire aux passants Vous n’avez pas le droit de me regarder, de me reconnaĂźtre ». Il s’agit d’un comportement sectaire intolĂ©rable en RĂ©publique. Enfin, le port du voile intĂ©gral dĂ©coule d’une dĂ©marche communautariste, contraire aux principes d’ouverture de notre sociĂ©tĂ© humaniste. Il permet l’affichage d’une identitĂ© sur la voie publique, enferme l’individu dans une culture. Si, comme RĂ©gis Debray, nous considĂ©rons que la fraternitĂ© commence lorsque l’on s’éloigne de la fratrie, la burqa doit ĂȘtre dĂ©noncĂ©e en tant que signe d’appartenance liberticide Ă  une fratrie. Une loi d’interdiction est souhaitable, mais elle doit s’accompagner d’un plan d’intĂ©gration des populations en difficultĂ© et d’une politique de lutte contre le racisme, l’antisĂ©mitisme et la xĂ©nophobie. Mme Marie Perret Union des familles laĂŻques. Je voudrais commencer par Ă©voquer deux affaires rĂ©centes qui, engageant toutes deux la question de la laĂŻcitĂ©, ont Ă©tĂ© l'occasion d'en clarifier le concept et d'en circonscrire les limites. L’affaire du voile Ă  l’école posait la question de l’extension aux Ă©lĂšves de l'obligation de neutralitĂ© qui s'applique aux fonctionnaires. Devant la commission prĂ©sidĂ©e par M. Bernard Stasi, l'Union des familles laĂŻques Ufal avait dĂ©fendu l'idĂ©e selon laquelle l'Ă©cole n'est pas un service public comme un autre l'Ă©cole publique a pour vocation d'Ă©manciper des individus dont la libertĂ© est en voie de constitution, ce qui suppose que les Ă©lĂšves puissent se soustraire, durant le temps scolaire, Ă  leurs particularismes et Ă  leurs liens d'appartenance. L'affaire dite du gĂźte des Vosges, moins mĂ©diatisĂ©e que la premiĂšre, a divisĂ© le camp des laĂŻques. Mme Fanny Truchelut ayant refusĂ© de louer une chambre Ă  deux femmes qui s'Ă©taient prĂ©sentĂ©es voilĂ©es, il s’agissait de savoir s'il fallait Ă©tendre le principe de laĂŻcitĂ© au-delĂ  de la sphĂšre de l’autoritĂ© publique, Ă  des lieux qui relĂšvent de l'espace civil comme les commerces, les transports, la rue. La position que nous avons dĂ©fendue alors Ă©tait loin d'ĂȘtre confortable nous n’avons pas soutenu Mme Truchelut, considĂ©rant que le principe de laĂŻcitĂ© s'appliquait aux lieux placĂ©s sous l'autoritĂ© publique, l'espace de la sociĂ©tĂ© civile Ă©tant rĂ©gi par le principe de tolĂ©rance. Faut-il interdire le port du voile intĂ©gral dans la sociĂ©tĂ© civile au nom du principe de laĂŻcitĂ© ? Notre rĂ©ponse est clairement non. Le principe de laĂŻcitĂ© doit rester cantonnĂ© Ă  la sphĂšre de l'autoritĂ© publique l’étendre Ă  la sociĂ©tĂ© civile serait un contresens et reviendrait Ă  l’affaiblir. Est-ce Ă  dire qu'il faut laisser faire, sous prĂ©texte que la sociĂ©tĂ© civile est rĂ©gie par le principe de tolĂ©rance ? Telle n'est pas notre position l'Ufal est favorable Ă  une interdiction du voile intĂ©gral dans tous les espaces de la sociĂ©tĂ© civile. Nous considĂ©rons que le voile intĂ©gral est bien plus qu'un signe religieux il est l'emblĂšme d'un projet politique, que nous estimons sĂ©parateur. VĂ©ritable provocation, il constitue une façon de tester la rĂ©sistance de nos institutions rĂ©publicaines. Le voile intĂ©gral est le symbole intolĂ©rable de la soumission des femmes, symbole qui affecte la notion mĂȘme de personne comme membre de l’association politique. Le port du voile intĂ©gral n'a pas seulement pour effet de dĂ©rober l'identitĂ© de son porteur, mais aussi de le rendre indistinct, indiffĂ©renciable. Porter le voile intĂ©gral revient Ă  signifier je ne suis personne ». Il s’agit d’un dĂ©ni de singularitĂ©. Or, la singularitĂ© est indissociable du concept de citoyen. Un citoyen n'est pas un sujet abstrait, il doit ĂȘtre reconnu. Le port du voile intĂ©gral a Ă©galement pour effet de rejeter l’autre Ă  une distance infinie. La burqa est une façon de signifier que tout contact avec autrui est une souillure. Elle crĂ©e, de façon visible, une classe d'intouchables. Le voile intĂ©gral, masque qui rend impossible l’identification des personnes, pose un problĂšme de sĂ©curitĂ© publique. Le fait que des personnes soient autorisĂ©es Ă  le porter dans la rue constitue aussi une rupture du principe d'Ă©galitĂ© ainsi, certains peuvent ĂȘtre identifiĂ©s sur des images prises par des camĂ©ras de vidĂ©o-surveillance, d'autres non. Enfin, le voile intĂ©gral empĂȘche celles qui le portent de pouvoir exercer pleinement leurs droits et leurs devoirs de citoyennes un tĂ©moin entiĂšrement voilĂ© peut-il ĂȘtre entendu par la justice afin d'identifier un coupable prĂ©sumĂ© ? TolĂ©rer le port du voile intĂ©gral revient Ă  accepter qu'une partie de la population soit amputĂ©e de ses droits et de ses devoirs. L’interdiction du port du voile intĂ©gral, si elle devait ĂȘtre adoptĂ©e, ne suffirait pas. D'autres pistes doivent ĂȘtre explorĂ©es. Il est plus que temps que l’école renoue avec les LumiĂšres et dĂ©fende les principes sur lesquels elle se fonde. Elle doit ĂȘtre le lieu oĂč l'on explique, de façon rigoureuse et articulĂ©e, le modĂšle politique que notre RĂ©publique a produit. Il sera impossible de faire l'Ă©conomie d'une analyse des raisons pour lesquelles les communautarismes s’exacerbent. Lorsque l'État se dĂ©sengage des quartiers populaires, lorsque les services publics disparaissent, lorsque le principe de solidaritĂ© nationale est remis en question, les individus n'ont d'autre recours que de s'en remettre Ă  des formes de solidaritĂ©s traditionnelles, familiales et communautaires. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Il n’y aura Ă©videmment pas d’échanges entre les associations ici prĂ©sentes, M. Blondel. Toutes ces interventions nous sont trĂšs prĂ©cieuses et nous sommes preneurs des suggestions et des propositions que vous pourriez nous faire. M. Éric Raoult, rapporteur. M. Sage, pensez-vous que l’expression offensive islamique », quelque peu guerriĂšre, soit appropriĂ©e ? Je reconnais nĂ©anmoins que les habitants des citĂ©s sont l’objet de pressions pendant le ramadan on leur rappelle l’heure de rupture du jeĂ»ne ; on les critique s’ils font leurs courses pendant la journĂ©e. Mme Arlette Grosskost. Le corollaire de la stricte neutralitĂ© de l’État est le libre choix religieux. Mais en aucun cas ce choix ne doit troubler la res publica. Or c’est bien ce Ă  quoi conduit le port de la burqa, expression d’un fondamentalisme. Pensez vous que celui-ci vise Ă  imposer un radicalisme religieux, Ă  mĂȘme d’embraser la RĂ©publique française ? Si oui, ne faut-il pas lĂ©gifĂ©rer pour l’empĂȘcher ? M. Pierre Forgues. Mme Perret, j’avoue ne pas comprendre la raison pour laquelle vous excluez la laĂŻcitĂ© des arguments qui justifieraient l’interdiction du port du voile intĂ©gral. M. Quillardet, au contraire, s’appuie sur ce principe universel, qui dĂ©passe largement nos frontiĂšres. Nous sommes gĂȘnĂ©s, car nous ne voulons pas faire de cette question un problĂšme de religion. Mais force est de constater que ce sont ceux qui se rĂ©clament d’un islam intĂ©griste qui prĂŽnent le port de la burqa. Pourquoi Ă©vacuer l’argument de la laĂŻcitĂ©, principe intangible ? Le port du voile intĂ©gral est la manifestation d’un intĂ©grisme dans la sphĂšre publique. Mme Sandrine Mazetier. Je trouve intĂ©ressant que les associations laĂŻques aient des approches aussi claires et aussi divergentes sur cette question. Le voile intĂ©gral porte atteinte aux trois termes du triptyque rĂ©publicain. Élisabeth Badinter a rappelĂ© la semaine derniĂšre que deux visions de l’égalitĂ© coexistent la nĂŽtre – les droits et les devoirs sont les mĂȘmes, sans considĂ©ration de l’origine ou du sexe – et celle qui considĂšre que les droits et les devoirs sont Ă©quivalents, mais fondamentalement diffĂ©rents, car liĂ©s au genre. Si nous lĂ©gifĂ©rons au nom de la laĂŻcitĂ©, peut-ĂȘtre faudra-t-il rappeler que la laĂŻcitĂ© n’est pas seulement l’idĂ©e de sĂ©paration des Églises et de l’État mais aussi l’idĂ©e qu’un citoyen existe sans considĂ©ration de ses particularismes, y compris de son sexe. À cet Ă©gard, la mixitĂ© pourrait figurer sur le fronton de nos mairies et ĂȘtre mieux enseignĂ©e Ă  l’école. Mme George Pau-Langevin. Je pense que l’angle adoptĂ© par l’Ufal dans le traitement de cette question peut nous permettre de sortir de nos contradictions. Nous sommes tous d’accord pour dire que le port du voile intĂ©gral est une marque d’oppression et l’affirmation d’une radicalitĂ© politique. Toutefois, je peine Ă  comprendre en quoi la laĂŻcitĂ© peut ĂȘtre un concept opĂ©rant, puisqu’elle signifie la neutralitĂ© du pouvoir politique par rapport au domaine religieux. Comment condamner une idĂ©ologie au nom de la laĂŻcitĂ©, mĂȘme si on ne la partage pas ? Peut-on interdire, au nom de la laĂŻcitĂ©, un vĂȘtement religieux sur la voie publique ? Doit-on faire porter la mĂȘme interdiction sur les autres vĂȘtements religieux ? M. Marc Blondel. Je sais, de par mon expĂ©rience de syndicaliste, comment l’on finit par obtenir ce que l’on souhaite
 Si j’étais un imam fanatique, je vous pousserais Ă  prendre une disposition lĂ©gislative et je considĂ©rerais dĂ©jĂ  comme une rĂ©ussite d’avoir perturbĂ© l’équilibre des pays dĂ©mocratiques avec quelques visions vestimentaires. Et si la loi devait ĂȘtre votĂ©e, je serais le premier Ă  m’offusquer de ce que le pays des droits de l’homme » en vienne Ă  l’appliquer. Monsieur le rapporteur, vous avez fait le lien entre le voile intĂ©gral et le ramadan. Prenez garde Ă  ce que l’on ne vous soupçonne de vouloir interdire le jeĂ»ne ! Ne croyez pas que je sois pro-islamiste, je suis trop Ă©picurien pour cela
 Vous avez entre les mains les moyens de faire respecter la libertĂ© ou d’y attenter. S’agissant de l’égalitĂ© entre les hommes et les femmes, je connais l’argumentaire d’Elisabeth Badinter. Faut-il pour autant aller jusqu’à la discrimination positive, avec les consĂ©quences que cela sous-entend ? Ce n’est pas un argument valable. J’ai pu voir ce qu’en faisaient les reprĂ©sentants des Émirats arabes unis lorsqu’il s’agissait de conclure des accords au Bureau international du travail BIT. S’agissant de la laĂŻcitĂ©, bien qu’athĂ©e et pourfendeur des religions, je ne peux que m’opposer Ă  ce qu’elle soit la base d’une telle disposition. Allez-vous interdire le baptĂȘme, marque de soumission d’un individu ? Allez vous rendre obligatoire l’apostasie ? Je ne demande pas Ă  la RĂ©publique française d’ĂȘtre une militante de l’athĂ©isme, sauf Ă  ne plus respecter l’individu. En interdisant le voile intĂ©gral, vous ne parviendrez qu’à enfermer les femmes qui le portent dans leur maison. Et vous cesserez d’avoir peur, car vous ne les verrez plus. C’est cela la rĂ©alitĂ© ! Je suis peut-ĂȘtre beaucoup plus laĂŻque que vous ne le pensez. Parce que je crois encore Ă  la RĂ©publique et aux reprĂ©sentants du peuple, je vous demande d’y rĂ©flĂ©chir Ă  deux fois. En prenant une telle disposition, vous aurez comme interlocuteurs des islamistes, qui viendront vous voir au nom de l’islam, et vous serez contraints d’aller Ă  la conciliation. Ce sera le dĂ©but d’un communautarisme organisĂ©. Mme Marie Perret. M. Blondel vient de le rappeler la laĂŻcitĂ©, ce n’est pas l’athĂ©isme. Si l’on entend par laĂŻcitĂ© le principe de sĂ©paration entre les Églises et l’État, et donc l’obligation de neutralitĂ© de ce dernier en matiĂšre de religion, il est impossible d’interdire le port du voile dans la rue. La rue, en effet, ne se trouve pas placĂ©e sous l’autoritĂ© de l’État, contrairement Ă  l’école publique. Il faut que l’individu ait la libertĂ© d’exprimer son appartenance quelque part on ne peut le contraindre partout Ă  la neutralitĂ©. Du coup, il nous faut trouver d’autres arguments, comme l’impossibilitĂ© d’identification et le dĂ©ni de singularitĂ©. Notre modĂšle rĂ©publicain repose sur une dĂ©finition de la citoyennetĂ© qui fait fi des appartenances ou de la couleur de peau des individus. C’est au nom du principe rĂ©publicain d’égalitĂ© des droits qu’il faut interdire le port du voile intĂ©gral. Quant Ă  savoir s’il s’agit d’un problĂšme religieux, nous devons faire trĂšs attention. Le port du voile intĂ©gral n’est pas un problĂšme inhĂ©rent Ă  l’islam. Il est la manifestation d’un intĂ©grisme ; or toutes les religions sont travaillĂ©es par des poussĂ©es intĂ©gristes. Les musulmans sont divisĂ©s sur la question du voile intĂ©gral, ne les poussons pas Ă  faire bloc. M. Patrick Kessel ComitĂ© laĂŻcitĂ© RĂ©publique. Si nous en sommes lĂ , c’est qu’en vingt ans, la classe politique n’a jamais pris ses responsabilitĂ©s ! M. Yves Albarello. TrĂšs juste ! M. Patrick Kessel. Face Ă  un certain nombre de dangers, la droite et la gauche doivent adopter une position commune pour dĂ©fendre les fondements de la RĂ©publique. La question du port du voile intĂ©gral est d’une tout autre nature que celle du port de signes religieux Ă  l’école, puisqu’il s’agit de la voie publique. Si une loi devait interdire au nom de la laĂŻcitĂ© le port de la burqa dans la rue, il faudrait qu’elle vise Ă©galement le port de la soutane ou de la kippa. Sauf Ă  faire des musulmans de France des victimes, ce qui n’est Ă©videmment dans l’esprit de personne ici. Mais le port de la burqa dĂ©passe la question du vĂȘtement religieux le voile intĂ©gral est un symbole de l’enfermement des femmes et un Ă©tendard du communautarisme. Il ne s’agit plus de dĂ©battre philosophiquement du communautarisme ; nous sommes dĂ©sormais face Ă  un problĂšme de paix civile. Selon le rapport remis en 2004 au ministre de l’enseignement par l’inspecteur gĂ©nĂ©ral Jean-Pierre Obin qui dĂ©taille Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les Ă©tablissements scolaires, la situation est catastrophique, qu’il s’agisse de l’attitude des enseignants, du contenu des enseignements, de l’expression de l’antisĂ©mitisme et du racisme dans les classes, de l’incapacitĂ© Ă  parler des autres religions – et je ne parle pas de la situation dans les hĂŽpitaux. L’interdiction du port de la burqa n’aura de sens que si vous vous montrez capables de mener une vraie politique laĂŻque – la France ne vient-elle pas de signer des accords de reconnaissance des diplĂŽmes universitaires avec le Vatican ? Il faut que la reprĂ©sentation nationale s’interroge et rĂ©tablisse l’équitĂ© de traitement pour tous. J’ai exercĂ© comme journaliste Ă  l’étranger, dans les pays staliniens et dans les pays fascistes d’AmĂ©rique du sud. La France dont les opposants aux rĂ©gimes de ces pays me parlaient alors Ă©tait celle des droits de l’homme, celle de la RĂ©volution française, celle de la RĂ©sistance. Lors de l’affaire du voile, notre association a reçu des dizaines de lettres d’AlgĂ©riennes nous demandant de tenir bon. Aujourd’hui, il ne s’agit pas de prendre une mesure contre quelques centaines de femmes portant la burqa, mais pour des dizaines de millions d’autres, qui, de par le monde, nous regardent et nous Ă©coutent. Des hommes et des femmes se battent pour que ce que vous dĂ©fendez devienne leur rĂ©alitĂ©. La France doit reprendre le flambeau. Alors que la 65e session de l’ONU vient d’ouvrir et que ceux qui prĂŽnent l’universalisme des valeurs sont traitĂ©s d’islamophobes et de racistes, alors que la prĂ©sidente libyenne de la commission des droits de l’homme cherche Ă  interdire la critique de toute religion, tenez bon ! M. Jean-Michel Quillardet. En Turquie, pays laĂŻque, la burqa n’existait pas il y a de cela dix ans. Aujourd’hui, des quartiers entiers sont peuplĂ©s de femmes intĂ©gralement voilĂ©es. L’argument qui consiste Ă  dire qu’il ne faut pas lĂ©gifĂ©rer, sauf Ă  enfermer les femmes Ă  la maison, est celui qui prĂ©valait contre la loi interdisant le port du voile Ă  l’école. Or, que je sache, les enfants musulmans continuent d’aller Ă  l’école publique ! Il faut que nous prenions nos responsabilitĂ©s J’entends la laĂŻcitĂ© comme une conception de l’individu. La laĂŻcitĂ© ne signifie pas seulement la sĂ©paration des Églises et de l’État, l’obligation de neutralitĂ©, elle englobe un certain nombre de valeurs universelles, humanistes, dont la libertĂ© de conscience. Or la vision d’une burqa dans la rue porte atteinte Ă  ma propre libertĂ© de conscience. J’ajoute que la rue dĂ©pend juridiquement de l’État et est donc une forme d’espace public. M. Hubert Sage. Je soutiens qu’il existe une offensive islamique dĂ©libĂ©rĂ©e. Je n’ai jamais dit, M. Blondel, qu’il fallait interdire le ramadan. J’observe simplement que ces deux derniĂšres annĂ©es, certains de mes amis maghrĂ©bins, stigmatisĂ©s, n’ont pas pu ne pas observer le jeĂ»ne. La neutralitĂ© de l’État que suppose la laĂŻcitĂ©, ne signifie pas que l’État doit laisser exister des formes d’oppression dans la rue. Si une loi interdisant le port du voile intĂ©gral devait ĂȘtre adoptĂ©e, elle ne pourrait l’ĂȘtre qu’au nom de l’ordre public laĂŻc. C’est l’unique fondement reconnu par la CEDH dans sa jurisprudence. Tout autre fondement exposerait la France Ă  une condamnation pour discrimination. Si vous vous en tenez Ă  la notion d’interdiction de signes religieux ostensibles dans la rue, vous vous trouvez effectivement face Ă  une difficultĂ© car vous serez amenĂ©s Ă  interdire les vĂȘtements des ordres religieux, comme l’a fait le Mexique en 1967. Toutefois, il faut savoir que la Cour constitutionnelle Ă©gyptienne vient de dĂ©clarer que la burqa n’était pas un vĂȘtement religieux, mais un symbole d’oppression ; un projet de loi visant Ă  interdire son port est en prĂ©paration au Parlement. Si une loi devait ĂȘtre adoptĂ©e, il faudrait qu’elle le soit au nom de la laĂŻcitĂ©. Car la libertĂ© de conscience ne donne pas la libertĂ© d’opprimer autrui. M. Yves Albarello. En effet, la burqa n’est pas un vĂȘtement religieux. Il s’agit d’un moyen de nous tester, dans le cadre d’une offensive lancĂ©e contre la RĂ©publique. Cette question aurait dĂ» ĂȘtre traitĂ©e il y a vingt ans. Nous sommes contraints de nous y atteler aujourd’hui, alors que des problĂšmes bien plus graves se posent en France. Il nous faudra ĂȘtre trĂšs fermes et faire attention Ă  ne pas construire une usine Ă  gaz » lĂ©gislative, comme cela a Ă©tĂ© le cas avec les tests ADN. Je pense que deux articles devraient pouvoir suffire. Et si cette loi devait avoir pour effet que certaines femmes restent chez elles, ce ne serait pas un rĂ©el problĂšme. M. Marc Blondel. Condamnez-les donc au harem ! M. Yves Albarello. Car comme l’a rappelĂ© M. Quillardet, de telles prĂ©dictions ne se sont pas rĂ©alisĂ©es aprĂšs l’adoption de la loi interdisant le port du voile Ă  l’école. M. Éric Raoult, rapporteur. M. Blondel, vous m’avez mal compris. Si je me permets de telles remarques sur le ramadan, c’est qu’ĂȘtre Ă©lu de Seine-Saint-Denis me confĂšre une certaine expertise en la matiĂšre
 J’en suis Ă  ma septiĂšme rupture de jeĂ»ne ! En tant que responsable de la rĂ©novation urbaine et de l’attribution de nouveaux logements, je trouve gĂȘnant que des militants de l’islam rĂ©veillent chaque matin les habitants d’un quartier – Vietnamiens inclus – pour leur rappeler l’obligation du jeĂ»ne. Autant je respecte les religions, autant je ne supporte pas qu’on en impose une. M. Marc Blondel. J’ai vĂ©cu Ă  Bondy et Ă  la Plaine-Saint-Denis, je connais donc parfaitement la situation. Mais sachez aussi que dans le XXe arrondissement de Paris, un curĂ©, voisin de la FĂ©dĂ©ration de la libre pensĂ©e, carillonne avec une rĂ©gularitĂ© Ă©tonnante ! M. AndrĂ© GĂ©rin, prĂ©sident. Je vous remercie tous. Ce dĂ©bat ne fait que s’ouvrir. Croyez Ă  notre dĂ©termination de le voir aboutir. AUDITION DE L’ASSOCIATION VILLE ET BANLIEUE DE FRANCE M. CLAUDE DILAIN, PRÉSIDENT, MAIRE DE CLICHY-SOUS-BOIS ; M. JEAN-PIERRE BLAZY, MAIRE DE GONESSE ; M. RENAUD GAUQUELIN, MAIRE DE RILLIEUX-LA-PAPE ; M. JEAN-YVES LE BOUILLONNEC, MAIRE DE CACHAN ; M. XAVIER LEMOINE, MAIRE DE MONTFERMEIL SĂ©ance du mardi 29 septembre 2009 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Mes chers collĂšgues, Ă  la suite de notre rencontre de la semaine derniĂšre et, comme certains d’entre vous l’ont souhaitĂ©, le document sur les talibans et les prescriptions imposĂ©es aux femmes en Afghanistan vous a Ă©tĂ© adressĂ©. Nous abordons aujourd’hui notre cinquiĂšme sĂ©ance d’auditions. D’ici au 16 dĂ©cembre, nous tiendrons, normalement, onze sĂ©ances, la remise de notre rapport Ă©tant prĂ©vue pour la fin du mois de janvier 2010. Plusieurs dĂ©placements sont prĂ©vus les jeudis 8 octobre Ă  Lille, 15 octobre Ă  Lyon, 5 novembre Ă  Marseille et le vendredi 13 novembre Ă  Bruxelles. S’y ajoutera, avant fin novembre Ă  l’AssemblĂ©e nationale, une journĂ©e entiĂšre d’auditions de personnes de la rĂ©gion parisienne confrontĂ©es en premiĂšre ligne Ă  la question du voile intĂ©gral. Je voudrais redire que notre mission se concentre sur la rĂ©alitĂ© que recouvre le voile intĂ©gral, Ă  savoir l’islamisation de territoires de notre pays. DĂšs le mois de juillet on avait Ă©voquĂ© le fait que le port du voile intĂ©gral Ă©tait la partie visible de l’iceberg », ce mouvement intĂ©griste existant dans d’autres pays europĂ©ens. Par ailleurs, notre mission ne veut pas intervenir sur le champ religieux nous dissocions la question du voile intĂ©gral de celle de la place de l’islam dans la RĂ©publique française. Nous refusons ainsi tout amalgame entre ces pratiques et l’islam. Nous voulons avant tout une clarification publique pour combattre une pratique qui, Ă  nos yeux, relĂšve de traditions et de coutumes moyenĂągeuses, portĂ©es par les intĂ©gristes et les salafistes. Nous avons comme objectif le nĂ©cessaire dialogue avec les reprĂ©sentants du culte musulman, pour dire non Ă  cette dĂ©rive intĂ©griste, pour dire oui Ă  un islam respectueux des principes de la RĂ©publique et de la laĂŻcitĂ©. Il s’agit pour nous de distinguer la place de la religion d’un cĂŽtĂ©, et la responsabilitĂ© publique et politique de la reprĂ©sentation nationale de l’autre. Nous souhaitons donc entendre, sans a priori, tous les points de vue. Nous auditionnerons, par consĂ©quent, les reprĂ©sentants du culte musulman et, si cela est possible, des femmes, mineures ou majeures – que l’on n’entend pas –, qui vivent des rĂ©alitĂ©s concrĂštes dans certains quartiers trĂšs difficiles. Enfin, nous espĂ©rons rĂ©pondre Ă  l’attente de la population qui a le sentiment qu’un laisser-faire prĂ©vaut sur ce sujet. Nous dĂ©butons cette nouvelle journĂ©e d’auditions par une table ronde rassemblant des membres de l’association de maires Ville et banlieue de France, fondĂ©e en 1983 pour favoriser le dĂ©veloppement des quartiers les plus fragiles du territoire et valoriser l’image des villes de banlieue ». Nous avons ainsi le plaisir d’accueillir son prĂ©sident, M. Claude Dilain, maire de Clichy-sous-Bois, ainsi que quatre de ses membres M. Jean-Pierre Blazy, maire de Gonesse, M. Renaud Gauquelin, maire de Rillieux-la-Pape, M. Jean-Yves Le Bouillonnec, dĂ©putĂ©-maire de Cachan, et M. Xavier Lemoine, maire de Montfermeil. Nous avons souhaitĂ© auditionner votre association, Messieurs, parce que les maires sont quotidiennement en prise avec les difficultĂ©s liĂ©es au port du voile intĂ©gral. Ils doivent, en effet, garantir l’ordre public dans leur commune. De surcroĂźt, les fonctions de maire constituent un poste d’observation privilĂ©giĂ© des Ă©volutions de la sociĂ©tĂ©. Quelle a Ă©tĂ© l’évolution de la pratique du port du voile intĂ©gral dans votre commune. Surtout, que recouvre cette pratique ? Le port du voile constitue-t-il, selon vous, une atteinte au principe de laĂŻcitĂ© ? Enfin, faut-il voter une loi ? Je rappelle que l’option de dĂ©part de la mission n’a pas Ă©tĂ© d’axer a priori sa rĂ©flexion sur la nĂ©cessitĂ© d’une loi. Des dĂ©crets ou des arrĂȘtĂ©s municipaux vous paraĂźtraient-ils plus appropriĂ©s ? M. Claude Dilain, prĂ©sident de l’association de maires Ville et banlieue de France, maire de Clichy-sous-bois. Je vais rĂ©sumer la position officielle de l’association que j’anime, dont un conseil d’administration Ă©largi s’est rĂ©uni ce jour pour dĂ©battre, durant de longues heures, de cette question. D’abord, il est clair que, pour les Ă©lus, il ne faut pas mĂ©langer le problĂšme du foulard avec celui du voile intĂ©gral, car ils sont trĂšs diffĂ©rents. Le foulard renvoie Ă  la question de la laĂŻcitĂ©, Ă©ventuellement au prosĂ©lytisme, alors que le voile intĂ©gral touche Ă  la dignitĂ© de la personne – en l’occurrence la femme –, en mĂȘme temps qu’il est un frein Ă  l’intĂ©gration. En renvoyant Ă  d’autres questions, le voile intĂ©gral dĂ©passe l’aspect religieux. Ensuite, la situation est trĂšs variable d’une ville Ă  une autre. Le premier chiffre qui a circulĂ© dans la presse nous a fait sursauter, car le nombre de femmes en France portant le voile intĂ©gral est trĂšs Ă©levĂ© dans certaines banlieues, Ă  tel point que les gens ont dit Ceux qui ont fait ce dĂ©compte ne viennent jamais chez nous ! » Dans d’autres communes, on ne trouve qu’une personne parfois qui porte ce type de voile. Lorsque le problĂšme de la pratique du port du voile intĂ©gral se pose de façon importante, comme Ă  Clichy-sous-Bois et Ă  Montfermeil, les adhĂ©rents de Ville et banlieue sont unanimes pour la condamner. La premiĂšre erreur serait donc de nier ou de sous-estimer ce phĂ©nomĂšne qui connaĂźt un dĂ©veloppement incontestable dans certaines villes. Face Ă  une montĂ©e en puissance des exigences religieuses dans ces villes, les maires sont inquiets. Les requĂȘtes portent sur les repas Ă  l’école – aprĂšs ceux sans porc, il en faut maintenant sans viande ou halal –, mais Ă©galement les crĂ©neaux horaires discriminants hommes-femmes dans les piscines, les gymnases ou Ă  l’hĂŽpital. Tous mes collĂšgues de l’association l’ont confirmĂ© nous assistons Ă  un envahissement du fait religieux dans la vie civile. Si la rĂ©ponse est complexe, les Ă©lus sont nĂ©anmoins unanimes pour dire que la prĂ©vention – en particulier, l’éducation – reste la premiĂšre chose Ă  faire dans les associations, les centres sociaux, mais aussi Ă  l’école, dĂšs le plus jeune Ăąge. Peut-ĂȘtre n’utilisons-nous pas suffisamment la journĂ©e de la femme. En tout cas, des amĂ©liorations sont possibles. Faut-il une loi ? Les Ă©lus sont partagĂ©s. Pour une partie d’entre eux, il n’y a pas matiĂšre Ă  lĂ©gifĂ©rer, en termes de droit, sur l’espace public. Surtout, un grand nombre insiste sur les risques qui existent Ă  lĂ©gifĂ©rer. En effet, une loi ne risque-t-elle pas de stigmatiser, une fois de plus, des villes qui, comme les nĂŽtres, le sont dĂ©jĂ  ? En outre, une interdiction lĂ©gale du port du voile intĂ©gral ne va-t-elle pas, par effet boomerang, encourager celui-ci ? Notre diagnostic montre effectivement que le voile appelle le voile il ne se dĂ©veloppe pas oĂč il n’y en a pas, mais devient une Ă©pidĂ©mie dĂšs son apparition. De plus, qui se chargera de faire respecter la loi ? Cette question trĂšs importante a suscitĂ© beaucoup d’inquiĂ©tudes. En dĂ©pit de tous ces risques, un certain nombre d’élus, de maires, souhaitent que le Parlement lĂ©gifĂšre. La rĂ©ponse au problĂšme ne passe cependant pas forcĂ©ment par une loi ; Ă  cet Ă©gard, Jean-Yves Le Bouillonnec vous prĂ©sentera une proposition, Ă  laquelle j’adhĂšre totalement. En tout cas, il y a unanimitĂ© pour dire que nous ne pouvons pas ne rien faire. Une deuxiĂšme erreur, trĂšs grave, serait de renvoyer la patate chaude » aux maires, au prĂ©texte que ce problĂšme n’existe que dans un certain nombre de villes. Je le rĂ©pĂšte cette question renvoie aux valeurs rĂ©publicaines que sont l’intĂ©gration, le respect de la personne et sa dignitĂ©. Elle appelle donc une rĂ©ponse de la sociĂ©tĂ© française – et non exclusivement des maires par le biais d’arrĂȘtĂ©s municipaux – et, par consĂ©quent, la rĂ©affirmation des valeurs de la RĂ©publique, d’une maniĂšre ou d’une autre, mais de façon symbolique et forte. M. Jean-Pierre Blazy, maire de Gonesse. Gonesse est situĂ©e dans l’est du Val-d’Oise, territoire qui s’apparente Ă  celui que connaĂźt Claude Dilain Ă  Clichy, avec les mĂȘmes caractĂ©ristiques sociodĂ©mographiques et socioculturelles. Le voile intĂ©gral y est minoritaire par rapport au foulard, lui-mĂȘme trĂšs rĂ©pandu dans l’espace public. Il est cependant visible et suscite des rĂ©actions de condamnation et de rejet de la part d’une partie de la population qui, loin de voter pour le Front national Ă  chaque scrutin, a des convictions laĂŻques et rĂ©publicaines. Si ces rĂ©actions ne se manifestent pas au quotidien de façon apparente, elles n’en demeurent pas moins une rĂ©alitĂ©. Il faut bien comprendre que c’est d’abord sur nos territoires de banlieue, dĂ©jĂ  fragilisĂ©s, que le phĂ©nomĂšne existe. D’oĂč le risque de renforcer leur stigmatisation. C’est pourquoi je suis hĂ©sitant sur l’adoption d’une loi sur ce sujet. Certaines personnes issues des couches moyennes n’ont-elles pas dĂ©jĂ  fait le choix, pour toutes sortes de raisons, de quitter ces territoires ? Si le voile intĂ©gral n’explique pas tout, il peut entrer en ligne de compte. Je tenais Ă  insister sur cet aspect des choses, car les Ă©lus que nous sommes ressentent les rĂ©actions de la population. Je peux Ă©galement tĂ©moigner que nos fonctionnaires territoriaux et hospitaliers – car je suis Ă©galement prĂ©sident de conseil d’administration d’un hĂŽpital public – se trouvent dĂ©munis. Pour ma part, je leur ai donnĂ© quelques instructions. Certes, ils sont placĂ©s dans une situation oĂč ces rĂ©alitĂ©s ne sont pas encore le fait d’un grand nombre, mais que se passera-t-il, par exemple, dans un bureau d’état civil, le jour oĂč ils devront demander Ă  une personne de retirer son voile intĂ©gral ? À l’hĂŽpital, une femme venant chercher ses rĂ©sultats d’examens devra-elle enlever son voile pour que les agents puissent s’assurer de son identitĂ© ? Quelle sera la force de la loi ? À mon avis, il faut regarder certaines situations de prĂšs, car nos fonctionnaires risquent de ressentir un malaise. J’ai Ă©tĂ© partisan, dĂšs le dĂ©part, d’une loi sur les signes religieux Ă  l’école. Elle Ă©tait nĂ©cessaire et a trouvĂ© son application l’apocalypse qu’on nous avait prĂ©dite ne s’est pas rĂ©alisĂ©e et la fermetĂ© a payĂ©. En revanche, je ne suis pas sĂ»r qu’une loi sur le voile intĂ©gral apporte des rĂ©ponses au problĂšme j’ai des doutes non seulement sur son bien-fondĂ©, mais encore sur son efficacitĂ©. Cela Ă©tant dit, comme Claude Dilain, je rĂ©cuse la solution qui consisterait Ă  rejeter la responsabilitĂ© sur les maires, car des arrĂȘtĂ©s municipaux ne rĂ©gleront pas non plus le problĂšme. En tant que rĂ©publicains, nous sommes tous interpellĂ©s par cette question. Aujourd’hui, malgrĂ© la loi sur les signes religieux Ă  l’école, la RĂ©publique me paraĂźt encore trop faible en matiĂšre de laĂŻcitĂ©. D’aprĂšs moi, nous avons tous des responsabilitĂ©s pour faire vivre la laĂŻcitĂ© sur nos territoires et, de ce point de vue, nous faisons peut-ĂȘtre preuve – certains plus que d’autres – d’une certaine faiblesse coupable. C’est pourquoi, au-delĂ  de la signification du problĂšme du voile pour les femmes, je voudrais insister sur le vivre ensemble dans l’espace public, car la question est lĂ . Je crois Ă  un dialogue ferme au sein de l’espace public. Au total, s’il faut faire reculer le phĂ©nomĂšne du voile intĂ©gral, dont les causes sont complexes, je ne crois pas Ă  la loi, pour l’instant. M. Renaud Gauquelin, maire de Rillieux-la-Pape. Merci, Monsieur le prĂ©sident, d’avoir ouvert ce dĂ©bat qui s’imposait. Je partage l’essentiel de ce qui vient d’ĂȘtre dit, mais pas les conclusions. Rillieux-la-Pape, ville de 30 000 habitants de 70 origines diffĂ©rentes, connaĂźt trĂšs peu de problĂšmes liĂ©s au port de la burqa je crois connaĂźtre deux femmes qui la portent, ce qui est beaucoup moins que sur le marchĂ© de VĂ©nissieux. En revanche, depuis quelques annĂ©es, des problĂšmes croissants se posent, comme dans les villes comparables, en matiĂšre de cantines scolaires, d’accĂšs aux piscines, de soins Ă  la clinique – ce qui est prĂ©occupant – et, parfois, de respect de la loi par les fonctionnaires eux-mĂȘmes. RĂ©cemment, j’ai, en effet, dĂ» rappeler Ă  l’ordre une fonctionnaire d’origine musulmane, mais aussi une fonctionnaire catholique qui portait une croix – aussi choquante Ă  mes yeux – pendant son temps de travail. Notre position est claire – et je m’exprime aussi au nom de mon Ă©quipe municipale avec laquelle j’ai Ă©changĂ© Ă  plusieurs reprises sur ce sujet ces derniers temps – le Coran n’indique en rien que la burqa est un signe religieux. Certains pays, comme l’Arabie saoudite, l’Afghanistan ou le Pakistan, en ont simplement fait une interprĂ©tation ponctuelle et rĂ©cente pour en justifier la pratique. Il est Ă©vident que cette pratique remet en cause le droit des femmes sur le territoire français ! Il s’agit d’une rĂ©gression considĂ©rable en peu de temps, aprĂšs tous les longs combats qu’ont Ă©tĂ© le vote des femmes, l’avortement et la contraception. Des signes symĂ©triques n’existent pas Ă  l’égard des hommes ! Et ce qui nous intĂ©resse aujourd’hui, c’est le comportement des hommes Ă  l’égard des femmes. À mon avis, certaines femmes sont volontaires, d’autres ne le sont pas, mais dans la majoritĂ© des cas, il est impossible de le savoir parce que l’expression n’est pas libre dans ce domaine. Faut-il lĂ©gifĂ©rer ? Je suis tout Ă  fait d’accord avec mes collĂšgues ne laissons pas aux maires la responsabilitĂ© de prendre des arrĂȘtĂ©s municipaux en la matiĂšre, car cela reviendrait Ă  diviser la RĂ©publique française en 36 000 territoires, donc Ă  Ă©gratigner sĂ©rieusement la laĂŻcitĂ© ! C’est vrai lĂ©gifĂ©rer risque de jeter ces femmes dans les bras des intĂ©gristes les plus intĂ©gristes, de les stigmatiser, les victimiser. Il ne faut pas sous-estimer cela. En outre, il est lĂ©gitime de se demander comment sera appliquĂ©e la loi. Nous, les maires, rencontrons dĂ©jĂ  nombre de difficultĂ©s pour faire appliquer certaines lois au quotidien, ne serait-ce que celle sur les chiens dangereux ! NĂ©anmoins, je penche pour une loi, pour trois raisons. En premier lieu, la laĂŻcitĂ© est inscrite dans notre Constitution et il est normal que la loi soit en conformitĂ© avec cette derniĂšre. Ensuite, le droit des femmes est Ă©galement inscrit dans notre loi fondamentale. Par consĂ©quent, rappeler par la loi le droit des femmes Ă  se soigner dans des conditions identiques, Ă  pratiquer du sport, Ă  sourire en prĂ©sence de tout le monde me paraĂźt lĂ©gitime. Comment peut-on communiquer sans sourire, sans pleurer, sans montrer la rĂ©action de sa peau Ă  ce que dit l’autre ? VoilĂ  des choses de bases qu’il ne faudrait pas oublier. La derniĂšre raison, et non des moindres, tient en ces interrogations sans une loi, quel signe donnerions-nous aux femmes du monde entier qui se battent dans leur pays pour que leurs filles – qui n’ont pas accĂšs Ă  la scolaritĂ© comme les garçons – puissent se rendre dans des Ă©coles non coraniques ou des Ă©coles tout court ? Quel signe donnerions-nous aux femmes qui se battent en Iran pour un minimum de droits, aux femmes qui demandent Ă  conduire en Arabie Saoudite ? Quel signe enverrions-nous Ă  toutes celles qui vivent dans des pays de confession islamique qui, contrairement Ă  d’autres, Ă©voluent malheureusement dans le mauvais sens ? Ne pas lĂ©gifĂ©rer ne reviendrait-il pas Ă  abandonner un grand nombre de femmes, de jeunes filles, de fillettes sur cette planĂšte en leur disant c’est dĂ©sespĂ©rant, mais c’est ainsi, le monde va en reculant ? Pour toutes ces raisons, et malgrĂ© les obstacles que j’ai citĂ©s, je pense qu’il faut lĂ©gifĂ©rer. M. Jean-Yves Le Bouillonnec, maire de Cachan. À Cachan, en proche banlieue de Paris, rĂšgne une sorte d’équilibre social, avec des quartiers lĂ©gĂšrement sous tension, mais dont les problĂšmes sont habituellement absorbĂ©s par le brassage de populations. NĂ©anmoins, la rĂ©alitĂ© que vous Ă©voquez est connue dans mon territoire. L’un de mes adjoints y a Ă©tĂ© confrontĂ© lors de la cĂ©lĂ©bration d’un mariage. Nous avons Ă©tĂ© inflexibles. RĂ©cemment, j’ai moi-mĂȘme Ă©tĂ© confrontĂ© au cas d’une maman totalement voilĂ©e qui accompagnait son enfant dans sa classe de maternelle. La direction de l’établissement ayant malencontreusement demandĂ© au gardien de l’école d’empĂȘcher la maman d’entrer, je suis intervenu pour rappeler que les personnels communaux sont sous l’autoritĂ© du maire, puis j’ai demandĂ© Ă  l’inspection de circonscription de m’expliquer et de me confirmer officiellement l’interdiction d’accĂšs, ce qu’elle a fait, si bien que j’ai fait procĂ©der Ă  cette interdiction. Si cela s’est passĂ© de maniĂšre apaisĂ©e, sans provoquer de difficultĂ©s, je pense que la situation n’est pas totalement rĂ©glĂ©e dans la mesure oĂč c’est l’ATSEM Agent territorial spĂ©cialisĂ© des Ă©coles maternelles qui a fait le chemin pour aller chercher l’enfant Ă  l’entrĂ©e de l’école, alors que notre but n’est Ă©videmment pas de porter atteinte au lien entre l’enfant et sa mĂšre. Sur le fond, cette histoire est reprĂ©sentative d’autres situations sur lesquelles nous nous interrogeons. Ne rien faire serait inacceptable. Mais faire quelque chose nĂ©cessite de ne pas heurter les autres aspects que nous avons en charge, Ă  savoir garantir Ă  l’enfant la possibilitĂ© d’ĂȘtre scolarisĂ©, sans qu’il ne soit mis Ă  l’écart de ses petits camarades. Ainsi, des situations, que nous n’observions pas auparavant, apparaissent. D’une certaine maniĂšre, on vient un peu quereller la RĂ©publique pour savoir ce qu’elle peut faire et jusqu’oĂč elle peut aller. S’agissant de la fourniture des repas, je ne cesse de dire Ă  mes administrĂ©s qu’il ne s’agit pas d’un service public, mais d’un service social il est donc lĂ©gitime que les bĂ©nĂ©ficiaires ne contestent pas – sauf Ă  participer en tant que citoyen Ă  leur amĂ©lioration – les Ă©lĂ©ments sur lesquels il repose, Ă  savoir la laĂŻcitĂ©, la RĂ©publique. En matiĂšre d’équipements, par exemple la piscine, la mĂȘme justification est possible au nom de l’absence de toute sĂ©grĂ©gation. Pour les Ă©quipements dont l’accĂšs ou le fonctionnement est placĂ© sous mon autoritĂ©, j’ai le sentiment qu’un fondement Ă  la prise de position de l’autoritĂ© suffit. Dans mon hĂŽtel de ville, on se prĂ©sente aux guichets visage dĂ©couvert parce que c’est le symbole du lien du citoyen avec l’administration de la commune. Cela est incontestable, la HALDE Haute autoritĂ© de lutte contre les discriminations et pour l’égalitĂ© le dit elle-mĂȘme, et tous mes collĂšgues exigent la mĂȘme chose. Dans cette rĂ©alitĂ©, je pense qu’il faut simplement utiliser sans complexe des instruments qui existent. Vous l’avez compris le voile intĂ©gral n’est acceptable pour aucun d’entre nous. Loin d’ĂȘtre une anecdote, il rĂ©vĂšle la rupture de l’égalitĂ© entre l’homme et la femme, mais aussi les atteintes au lien social reprĂ©sentĂ© par le visage dĂ©couvert, la rencontre, le regard, tout ce qui fait l’existence mĂȘme, comme l’a soulignĂ© notre collĂšgue. Alors, faut-il lĂ©gifĂ©rer ? Sur ce point, je tangue au fur et Ă  mesure que j’entre dans ce dĂ©bat. Si j’ai dit que la rĂ©glementation de l’accĂšs Ă  un Ă©tablissement suffit, des recours seront cependant toujours possibles pour la contester devant le Conseil d’État ou la Cour europĂ©enne des droits de l’homme. Par consĂ©quent, il faut fixer des rĂšgles, la Cour ayant d’ailleurs toujours rappelĂ© qu’un État pouvait Ă©tablir de telles rĂšgles dans le cadre desquelles doit s’établir son organisation sociale. Opter pour une loi impose de se poser la question de son application et des sanctions. À dĂ©faut, nous n’avancerons pas. Sans polĂ©miquer, l’exemple frappant du dĂ©lit d’occupation illĂ©gale des halls d’immeuble tĂ©moigne de l’insuffisance d’une loi Ă  elle seule, mĂȘme amĂ©liorĂ©e dans un deuxiĂšme temps, pour rĂ©gler ce type de problĂšme. En effet, il est quasiment impossible de constater les faits mais aussi d’appliquer la sanction. Il n’y aurait pire message Ă  adresser aux citoyens qu’une loi par laquelle on se limiterait Ă  se donner bonne conscience en rĂ©affirmant un principe rĂ©publicain. Cela ne suffit pas. Il faut pouvoir dire Soit on respecte la loi, soit on est sanctionnĂ© » ; or, nous ne sommes pas en Ă©tat de le faire. Je ne vois pas que, demain, une loi interdisant le port du voile intĂ©gral puisse ĂȘtre adoptĂ©e, l’interdiction Ă©tant assortie d’une sanction en cas d’infraction – au minimum une amende, la sanction Ă©tant aggravĂ©e en cas de rĂ©cidive – car le texte serait inapplicable. De plus, les musulmans de France auraient alors le sentiment que la RĂ©publique a choisi la voie de la facilitĂ©. Des reprĂ©sentants de la communautĂ© musulmane nous le disent Nous sommes d’accord, le problĂšme est rĂ©el, mais ne promulguez pas une loi relative au port du voile intĂ©gral car toute loi portant sur ces sujets est ressentie comme une agression envers l’islam. Expliquez plutĂŽt la RĂ©publique et les valeurs qui la sous-tendent ». Aussi, je propose d’utiliser plutĂŽt l’instrument constitutionnel nouveau qu’est la rĂ©solution parlementaire. Ce serait une maniĂšre de rĂ©affirmer un principe rĂ©publicain constitutif de la souverainetĂ© nationale, et se rĂ©fĂ©rer Ă  cette rĂ©solution permettrait de justifier des dĂ©cisions prises quotidiennement, Ă  propos desquelles on peut aujourd’hui se faire quereller car elles peuvent ĂȘtre interprĂ©tĂ©es comme Ă©tant sĂ©grĂ©gationnistes. M. Xavier Lemoine, maire de Montfermeil. Je vous remercie d’avoir fait de ce sujet un dĂ©bat public. Certains, se plaçant sur le terrain quantitatif, ont voulu considĂ©rer qu’il s’agirait d’une question marginale, mais la rĂ©sonance qu’a le dĂ©bat dans l’opinion publique montre qu’il n’en est rien. AprĂšs avoir rĂ©pondu aux questions que vous nous avez posĂ©es, je me permettrai, fort de mon expĂ©rience personnelle – j’habite depuis 25 ans Ă  Montfermeil dont je suis le maire depuis 2002, mais j’ai aussi beaucoup voyagĂ© de par le monde pendant dix ans, ce qui m’a fait connaĂźtre un certain nombre de cultures, de civilisations et de pays – de dire quelles sont, Ă  mon sens, les lacunes de l’approche que vous avez dĂ©crite, tout en sachant que c’est un premier pas et vous serez sans doute amenĂ©s Ă  aller plus loin. Vous nous avez interrogĂ©s sur l’évolution du port du voile intĂ©gral. Je ne sais la mesurer, mais je constate une Ă©volution par poussĂ©es selon les pĂ©riodes. Sans pouvoir l’expliquer prĂ©cisĂ©ment, je perçois diffĂ©rentes motivations. Il peut s’agir d’une transposition temporaire de coutumes d’autres lieux par des populations qui ont bĂ©nĂ©ficiĂ© depuis peu du regroupement familial. Il peut aussi s’agir d’une rĂ©-islamisation » de populations qui vivent en France de longue date – et je me dois Ă  ce sujet de signaler aussi la pression sociale croissante qui s’exerce sur les musulmans qui ne souhaitent pas observer le jeĂ»ne du ramadan. Il peut s’agir encore d’une ignorance complĂšte des habitudes françaises par des personnes souvent issues d’un milieu rural, analphabĂštes, arrivĂ©es en France par mariage et qui restent figĂ©es dans les comportements qui Ă©taient les leurs dans leur pays d’origine. On peut aussi ĂȘtre face Ă  des femmes soumises, en retrait de la sociĂ©tĂ© – et il en existe dans toutes les catĂ©gories sociales. On peut enfin ĂȘtre confrontĂ© Ă  une attitude de dĂ©fi et de revendication, qui s’observe particuliĂšrement chez des adultes ĂągĂ©s de moins de 40 ans, souvent issus de milieux instruits. Ainsi, paradoxalement, Ă  Montfermeil, ce n’est pas dans le quartier populaire que l’on voit le plus de burqas mais dans des quartiers pavillonnaires habitĂ©s par des classes moyennes qui savent parfaitement le sens de ce comportement au regard de la sociĂ©tĂ© française. Je viens d’entendre dire qu’il n’y a aucune prescription relative au port du voile intĂ©gral dans le Coran. Soit, mais elle existe dans la Sunna, deuxiĂšme source de la thĂ©ologie islamique. Vous avez souhaitĂ© exclure le religieux du dĂ©bat, et j’y reviendrai ; pourtant, le fondement religieux du port du voile intĂ©gral est rĂ©el. Oui, le port de la burqa constitue une atteinte Ă  la laĂŻcitĂ©. Au-delĂ  du lĂ©gislateur, une prise de conscience et une prise de position trĂšs forte de toute la sociĂ©tĂ© française sont nĂ©cessaires, parce que le port de la burqa pose problĂšme lĂ  oĂč il se propage. Il en va en quelque sorte de la burqa comme de DieudonnĂ© les idĂ©es qu’il vĂ©hicule sont partagĂ©es par 0,5 % de la population gĂ©nĂ©rale mais par 30 Ă  40 % de la population dans certains quartiers. Autrement dit, le phĂ©nomĂšne peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme marginal vu de Sirius, mais il est important lĂ  oĂč il se manifeste. Il ne faut donc pas laisser les populations et les Ă©lus des communes concernĂ©es seuls face Ă  ces problĂšmes. Je souhaite, d’autre part, revenir sur la maniĂšre dont votre mission envisage ses travaux. Je m’exprimerai Ă  titre personnel et mes propos n’engagent pas l’association dont je suis membre. Vous nous avez dit, M. le prĂ©sident, que la mission souhaite rester hors du champ du religieux. Or le Coran formant un tout et l’islam Ă©tant davantage qu’une religion, cette approche conduit Ă  amputer la rĂ©flexion d’une dimension fondamentale. Mais je conçois que la prudence vous guide, la mĂȘme prudence politique qui a fait dire au PrĂ©sident de la RĂ©publique que la burqa n’est pas un signe religieux ». Vous dites encore refuser tout amalgame entre des pratiques issues de l’intĂ©grisme et du salafisme pour prĂ©server le dialogue avec les reprĂ©sentants du culte musulman ». Ne nous leurrons pas les reprĂ©sentants du culte musulman ne reprĂ©sentent qu’eux-mĂȘmes. En effet, tout musulman trouvant dans le Coran ou dans la Sunna les justifications de son comportement s’exonĂšre de la pression et des indications de ceux que la RĂ©publique a accrĂ©ditĂ©s comme ses reprĂ©sentants, et qui pour lui ne sont rien. Vous avez enfin parlĂ© de l’islam respectueux de la RĂ©publique et de la laĂŻcitĂ© ». Je considĂšre pour ma part qu’il n’est pas de compatibilitĂ© possible entre l’islam et les dĂ©mocraties laĂŻques. Que des individus de culture et de confession musulmanes puissent adapter leur comportement aux principes rĂ©publicains, c’est une chose, mais qu’islam et dĂ©mocratie soient compatibles, je n’y crois pas un instant. Aussi, expliquer aux musulmans en quoi les valeurs rĂ©publicaines peuvent Ă  certains moments entrer en conflit avec les prĂ©ceptes de l’islam serait une approche intellectuelle plus juste et plus respectueuse des personnes. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Je vous remercie, Messieurs, pour la clartĂ©, la franchise et la prĂ©cision de vos propos. M. Jean Glavany. Je remercie Ă  mon tour les membres de la dĂ©lĂ©gation de l’association pour leurs interventions prĂ©cieuses. Il a beaucoup Ă©tĂ© question de savoir s’il fallait une loi. Comme l’a rappelĂ© notre prĂ©sident, nous n’avons pas tranchĂ© sur le principe – et encore moins sur le contenu qu’aurait le texte – mais je m’adresserai plus particuliĂšrement Ă  ceux de nos invitĂ©s qui ont exprimĂ© des rĂ©ticences Ă  l’idĂ©e d’un texte de loi pour faire valoir devant eux un Ă©lĂ©ment logique. Si, comme il le semble, un consensus politique rassemble tous les parlementaires, selon lequel le port du voile intĂ©gral est contraire aux principes rĂ©publicains et aux droits de la personne – des femmes, dans le cas qui nous occupe – on en dĂ©duit que moins de ces voiles seront portĂ©s en France mieux la RĂ©publique s’en trouvera, et qu’il faut donc, Ă  dĂ©faut de l’interdire, au minimum en rendre le port impossible. Mais cela, notre droit, en l’état, ne le permet pas. Sinon par une loi, comment le permettra-t-on ? Je le dis en toute amitiĂ© Ă  Jean-Yves Le Bouillonnec je crains qu’une rĂ©solution parlementaire Ă  ce sujet ne demeure une pĂ©tition de principe, sans application. J’ai lu, M. Xavier Lemoine, les dĂ©clarations que vous avez faites hier au journal La Croix. Je pense comme vous que cantonner la rĂ©flexion au port de la burqa, c’est donner la victoire aux islamistes qui tiennent absolument Ă  esquiver le dĂ©bat de fond sur la place de la religion dans notre sociĂ©tĂ© », mais je ne partage nullement vos conclusions. La question qui nous est posĂ©e est redoutablement difficile. À mon sens, l’idĂ©e que l’on pourrait sĂ©parer les pratiques intĂ©gristes et la religion, est une notion purement thĂ©orique. Nous avons d’ailleurs entendu un philosophe musulman laĂŻc – musulman et laĂŻc, M. Lemoine – l’exposer devant nous dire Ă  une religion, quelle qu’elle soit, que les dĂ©rives intĂ©gristes sont sans lien avec elle revient Ă  prĂ©tendre que le hooliganisme n’aurait rien Ă  voir avec le football ni le dopage avec le Tour de France. Il faudra bien que les religions, et pas seulement la religion musulmane, assument un certain nombre de leurs dĂ©viances. Par ailleurs, je suis en dĂ©saccord complet avec l’idĂ©e selon laquelle l’islam serait incompatible avec la laĂŻcitĂ©. Comment pouvez-vous affirmer pareille chose alors que des millions de musulmans, comme le font des millions de catholiques, de protestants ou de juifs, vivent leur religion Ă  titre privĂ© et acceptent que les lois de la RĂ©publique dominent ces convictions ? Il y a des millions de musulmans laĂŻcs en France comme il y a des millions de catholiques, de protestants et de juifs laĂŻcs qui ne font pas de confusion entre sphĂšre privĂ©e et sphĂšre publique. A contrario, il existe des intĂ©gristes musulmans comme il existe des intĂ©gristes catholiques – ceux, par exemple, qui se constituent en commandos anti-IVG – protestants ou juifs. C’est une faute de considĂ©rer a priori que l’islam n’est pas respectueux de la laĂŻcitĂ© et donc de la RĂ©publique, car ce n’est pas ce qui se vit. M. Jacques Myard. Savez-vous si, comme on me l’a dit plusieurs fois, des enfants sont retirĂ©s de l’école publique pour ĂȘtre scolarisĂ©s, en France, dans des madrasas clandestines oĂč l’on ne sait quel enseignement leur est prodiguĂ© ? On a parlĂ© d’un risque de stigmatisation. Pour ma part, je me sens stigmatisĂ© par la pratique de coutumes totalement contraires aux habitudes françaises et aux lois de la RĂ©publique. Puis-je rappeler, par ailleurs, que lorsque la loi de sĂ©paration des Ă©glises et de l’État a Ă©tĂ© adoptĂ©e en 1905, il y a effectivement eu des stigmatisations ? Il vient un moment oĂč il faut rappeler les valeurs rĂ©publicaines et les lois de la RĂ©publique ! Il faudrait, dit-on, ne pas blesser. Mais si elle continue sur cette lancĂ©e, cette dĂ©mocratie molle perdra son Ăąme et ira Ă  vau l’eau ! Les sanctions sont la contrepartie de la libertĂ©. Je le dis fermement la sanction doit ĂȘtre rĂ©habilitĂ©e pour rĂ©tablir l’ordre naturel des choses », selon les mots de Chateaubriand. Connaissant la dĂ©marche intellectuelle de ces gens, qui veulent tester la RĂ©publique et imposer leur loi personnelle Ă  un ordre laĂŻc, rĂ©publicain et Ă©galitaire, je ne crois pas un instant, M. Le Bouillonnec, Ă  l’efficacitĂ© d’une rĂ©solution. Enfin, M. Lemoine, savoir si l’islam est compatible avec la laĂŻcitĂ© n’est pas mon problĂšme. Je suis lĂ©gislateur et, en cette qualitĂ©, laĂŻc si je constate que certains comportements de telle ou telle religion ne sont pas compatibles avec les lois de la RĂ©publique, je les interdis ! Il y a autant d’interprĂ©tations du Coran et de la Sunna qu’il y a de musulmans ; n’entrons pas dans ces exĂ©gĂšses, ce n’est pas notre rĂŽle. M. Christian Bataille. J’ai le sentiment, Ă  Ă©couter nos interlocuteurs, que la rĂ©flexion sur le voile intĂ©gral dĂ©borde sur de multiples problĂšmes liĂ©s Ă  la laĂŻcitĂ©. En lĂ©gifĂ©rant sur le port des signes religieux Ă  l’école, nous pensions mettre un point d’arrĂȘt aux agressions contre la laĂŻcitĂ© ; on constate maintenant que cela ne suffisait pas. Outre le port du voile intĂ©gral, nous venons d’entendre Ă©grener d’autres problĂšmes ceux des soins Ă  l’hĂŽpital – en d’autres termes, celui de la laĂŻcitĂ© appliquĂ©e aux malades –, de la composition des menus dans les cantines scolaires, de la mixitĂ© dans les piscines, de la neutralitĂ© des fonctionnaires municipaux
 Loi ou pas loi, si nous parlons principalement du port du voile intĂ©gral, il nous faudra aussi faire allusion Ă  ces autres problĂšmes, redire ce que sont les principes rĂ©publicains de la laĂŻcitĂ©, rĂ©affirmer la nĂ©cessaire sĂ©paration entre la sphĂšre privĂ©e et la sphĂšre publique. Il existe en France une religion majoritaire, la religion catholique, qui s’est disciplinĂ©e pour concilier ses principes avec les principes rĂ©publicains, et il en existe une autre, nouvelle, un peu bouillonnante, qui doit se discipliner elle aussi. Mais elle n’est pas seule en cause. Si, pour une grande partie, les problĂšmes actuellement rencontrĂ©s trouvent leur origine dans la religion musulmane, je suis interloquĂ© de voir des prĂ©fets ou des sous-prĂ©fets, reprĂ©sentants de l’État, assister Ă  des cĂ©rĂ©monies religieuses privĂ©es en tenue ; la RĂ©publique doit assurĂ©ment rappeler quelques rĂšgles Ă  ses serviteurs, qui semblent parfois les avoir oubliĂ©es – Ă  mesure, sans doute, que l’annĂ©e 1905 s’éloigne
 Pourriez-vous nous dire, Messieurs, quels problĂšmes autres que celui du voile intĂ©gral vous semblent devoir ĂȘtre rĂ©solus de façon urgente par le lĂ©gislateur si tel devait ĂȘtre le cas ? M. Pierre Cardo. Je souhaite insister sur la pression et l’oppression grandissantes qui pĂšsent sur les musulmans de France. La RĂ©publique ne doit-elle pas lancer un message fort indiquant qu’elle les protĂšge ? Ils ont, en ce moment, le sentiment d’ĂȘtre abandonnĂ©s. M. Claude Dilain. Limiter le port du voile intĂ©gral au seul plan religieux serait rĂ©ducteur, et on aurait tort de le faire. Il existe, en effet, des causes sociales et Ă©conomiques Ă  ce phĂ©nomĂšne, qui frappe des territoires si largement abandonnĂ©s sur ces plans et sur le plan culturel que le refuge identitaire y est devenu trĂšs important quand la RĂ©publique se retire d’un territoire, on voit apparaĂźtre des choses que l’on ne voyait pas auparavant. Ce dont il s’agit va au-delĂ  de la religion, de l’extrĂ©misme et de la laĂŻcitĂ©. Toutes les manifestations dont nous parlons, et qui ne se voyaient pas il y a vingt ou trente ans, sont le fruit de l’abandon de certains territoires. Il serait donc vain de s’occuper des consĂ©quences sans s’inquiĂ©ter des causes – cela reviendrait Ă  tenter de remplir le tonneau des DanaĂŻdes. S’agissant des madrasas, j’ai en tĂȘte quelques exemples prĂ©cis concernant des familles turques elles ne se cachent pas d’envoyer leurs enfants, particuliĂšrement les filles, dans des Ă©tablissements confessionnels, observant que de nombreuses familles chrĂ©tiennes font la mĂȘme chose avec leurs propres enfants. Des phĂ©nomĂšnes plus graves existent peut-ĂȘtre, que je suis incapable de mesurer mais dont je ne pense pas qu’ils soient majeurs, dans ma commune en tout cas. Je rappelle que, lors du dĂ©bat prĂ©alable au vote de la loi sur le port des signes religieux Ă  l’école, d’aucuns disaient Surtout, n’interdisez pas le foulard Ă  l’école, sinon toutes les filles iront dans des Ă©coles coraniques ». L’argument Ă©tait faux, et je pense que les principes doivent ĂȘtre rĂ©affirmĂ©s trĂšs clairement. Je suis d’accord sur la nĂ©cessitĂ©, si une loi Ă©tait votĂ©e, de prĂ©voir des sanctions. Mais s’il est trĂšs bien d’en poser le principe autour de cette table, nous savons qu’en pratique il n’y en aura pas. Voyez la loi sur les mini-motos et les quads elle n’a absolument rien changĂ©. Hier encore, j’ai Ă©tĂ© pris Ă  partie par un Clichois exaspĂ©rĂ© par le bruit de ces engins, et plus exaspĂ©rĂ© encore d’entendre les policiers lui expliquer ne pouvoir courir derriĂšre eux. De mĂȘme, sachant que l’on ne verbalise mĂȘme pas le stationnement interdit dans certains quartiers Ă  certaines heures, on aura beaucoup de mal Ă  faire appliquer une loi interdisant le port du voile intĂ©gral. Nous assistons Ă  une trĂšs forte montĂ©e de demandes d’ordre religieux. Les maires ne doivent pas ĂȘtre laissĂ©s seuls face Ă  cela. Pour pouvoir opposer des refus – pluriquotidiens ! – aux demandes qui nous sont faites, nous devons pouvoir nous arc-bouter sur les principes rĂ©publicains fortement rĂ©affirmĂ©s, sans quoi nous serons accusĂ©s d’islamophobie, une accusation plusieurs fois portĂ©e contre moi parce que je rappelais ce que sont ces valeurs. Il est donc trĂšs important que la RĂ©publique dise ce qu’est la laĂŻcitĂ© et ce qu’elle n’est pas. À cet Ă©gard, j’ignore ce que peuvent ĂȘtre la laĂŻcitĂ© apaisĂ©e » et la laĂŻcitĂ© positive ». Pour moi, il n’existe que la laĂŻcitĂ© tout court. M. Xavier Lemoine. Pour rĂ©pondre Ă  M. Glavany, je peux tĂ©moigner Ă  titre personnel de l’évolution en cours il y a vingt ans, je pouvais tout naturellement faire la bise Ă  toutes mes administrĂ©es ; quinze ans plus tard, je ne pouvais plus que serrer la main Ă  certaines d’entre elles, et maintenant il n’est mĂȘme plus question de cela ! Ce sont bien les mĂȘmes personnes, qui ont Ă©tĂ© reprises en main par la communautĂ© musulmane au nom d’un principe qui est l’islam. Je m’attache Ă  distinguer le systĂšme et les personnes, mais l’on ne peut ignorer le fait islamique. Il y a une grande diffĂ©rence entre l’islam et la sociĂ©tĂ© judĂ©o-chrĂ©tienne dans celle-ci, le je » existe par lui-mĂȘme, j’ai une responsabilitĂ©, j’ai une libertĂ© ; dans celle-lĂ , le je » n’existe qu’au travers de l’appartenance Ă  la communautĂ©, dont le poids est immense. Il en rĂ©sulte que bien des gens sont tiraillĂ©s, dĂ©chirĂ©s entre ce Ă  quoi ils aspirent, attirĂ©s qu’ils sont par notre culture, et le poids, terrible, de la communautĂ©. On ne peut faire abstraction de ce contexte. Je ne suis pas qualifiĂ© pour dire si une loi est nĂ©cessaire mais je prĂ©fĂ©rerais que l’on ne fasse rien pour de bonnes raisons plutĂŽt que de lĂ©gifĂ©rer sur cette question pour de mauvaises raisons. Enfin, j’ai constituĂ© un dossier qui Ă©taie mes propos. Avec votre autorisation, M. le prĂ©sident, je le remettrai au secrĂ©tariat de votre mission. M. Jean-Pierre Blazy. Lors du dĂ©bat sur la loi relative au port de signes religieux Ă  l’école, les partisans du texte pensaient qu’il Ă©tait nĂ©cessaire mais qu’il ne serait sans doute pas suffisant. Cette loi a Ă©tĂ© appliquĂ©e, alors mĂȘme qu’elle ne prĂ©voyait pas de sanction. M. Jacques Myard. Mais si ! La sanction, c’est le refus d’accĂšs. M. Jean-Pierre Blazy. Il y en a eu trĂšs peu. M. Jacques Myard. Parce que l’on a appliquĂ© le principe ! M. Jean-Pierre Blazy. VoilĂ . Mais il apparaissait dĂ©jĂ  Ă  l’époque que les dispositions votĂ©es ne seraient sans doute pas suffisantes. De fait, aujourd’hui, le problĂšme se pose dans l’espace public et au contact des services publics – j’en suis tĂ©moin en ma qualitĂ© de maire. C’est aussi que l’accompagnement de l’application de la loi a Ă©tĂ© insuffisant pour faire reculer l’affirmation de l’intĂ©grisme – et pire encore quand il s’agit des femmes – dans la sociĂ©tĂ©. Il faut dire que nous Ă©tions partagĂ©s il y avait eu dĂ©bat sur cette question au sein du parti socialiste, et je me souviens aussi que le ministre de l’intĂ©rieur de l’époque, auditionnĂ©, n’était pas favorable Ă  une loi sur le port de signes religieux Ă  l’école. Sommes-nous, depuis lors, devenus capables de faire vivre la laĂŻcitĂ© ou ne le sommes-nous toujours pas ? LĂ  est la question de fond. Or, selon moi, quand il s’agit de laĂŻcitĂ©, la RĂ©publique reste faible. L’essentiel est de ne surtout pas passer la patate chaude » aux seuls maires ; aussi, aprĂšs ce dĂ©bat que nous venons d’avoir, je me rallierai volontiers au principe d’une loi si l’accord se fait sur ce sujet, mais j’insiste pour qu’elle s’accompagne de mesures concrĂštes. Ainsi, s’agissant des services publics, comment aidera-t-on les fonctionnaires de l’État, les fonctionnaires territoriaux et les agents hospitaliers ? Je souhaite votre contribution sur ce point, car la demande d’aide est forte. Enfin, de grandes frustrations s’expliquent par le fait que de nombreux problĂšmes demeurent irrĂ©solus. Prenons l’exemple de l’enseignement de l’arabe si l’État l’organisait au collĂšge au lieu qu’il se fasse souterrainement, ce serait positif et l’on pourrait interdire la burqa. Les mesures prises ne peuvent ĂȘtre uniquement nĂ©gatives ; il faut aussi adopter des mesures positives favorisant l’intĂ©gration de l’islam de France, dont je considĂšre qu’il est compatible avec la RĂ©publique Ă  condition qu’on l’aide beaucoup plus qu’on ne l’a fait jusqu’à ce jour. M. Renaud Gauquelin. À mesure que le dĂ©bat progresse les partisans d’un encadrement lĂ©gislatif me semblent se faire plus nombreux. Il faut une loi pour nous tous, Ă©lus locaux, mais aussi instituteurs, mĂ©decins
 et singuliĂšrement pour les femmes, qui ont besoin d’arguments pour pouvoir dire que le port du voile intĂ©gral n’est pas lĂ©gal – car certaines, bien sĂ»r, ne sortent ainsi vĂȘtues que sous la contrainte. Enfin, je rends hommage Ă  ce parlementaire qui a invitĂ© les politiques Ă  montrer l’exemple en distinguant nettement leurs convictions religieuses et leur fonction d’élus. On aimerait que ces sages propos trouvent un Ă©cho jusqu’au sommet de l’État. M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Le refus du port du voile intĂ©gral est unanime car chacun considĂšre qu’il y a lĂ  une atteinte aux principes fondamentaux de la RĂ©publique, d’autant plus inacceptable que certains comportements sont des provocations. Mais quelle rĂ©ponse forte apporter, comme le demande M. Cardo ? LĂ  est la difficultĂ©. On peut certes dĂ©cider de rĂ©diger une loi en deux articles, le premier posant le principe que le port du voile intĂ©gral est interdit sur le territoire de la RĂ©publique, le second prĂ©voyant les sanctions en cas d’infraction. Mais l’on peut aussi choisir de construire la parole du lĂ©gislateur en disant Oui, une autoritĂ© peut, au nom des principes rĂ©publicains, rendre des lieux inaccessibles dans tel cas ou tel autre », et fonder la dĂ©cision de l’autoritĂ© chargĂ©e d’autoriser l’accĂšs Ă  ces lieux, ainsi lĂ©galement protĂ©gĂ©e. Si une loi est votĂ©e, une sanction est créée et les maires, qui sont en premiĂšre ligne, expliquent qu’alors, au mieux, les choses seront compliquĂ©es et qu’au pire, on crĂ©era un autre tumulte. La rĂ©ponse forte Ă  laquelle chacun aspire, c’est de permettre Ă  toutes les autoritĂ©s d’exercer leurs compĂ©tences sans risques et sans alĂ©as. C’est lĂ  une autre piste que votre mission devrait Ă©tudier. M. Jean Glavany. La question qui se pose Ă  nous est de savoir comment rendre impossible, voire interdire, le port du voile intĂ©gral dans l’espace public ; pour ce qui est de l’interdire dans les piscines ou Ă  l’école, des moyens existent dĂ©jĂ . Je pense, M. Lemoine, qu’aucune religion ne peut s’affranchir de dĂ©rives intĂ©gristes. Pour le reste, vous considĂ©rez l’islam comme incompatible avec la RĂ©publique mais, comme l’a dit M. Myard avec justesse, ce n’est pas le problĂšme du lĂ©gislateur, puisque la loi de 1905 a posĂ© le double principe que le religieux n’influe pas sur le politique et que le politique ne s’ingĂšre pas dans les affaires religieuses. C’est pourquoi je refuse – et, Ă  mon sens, nous devons le refuser collectivement – que le lĂ©gislateur se transforme en exĂ©gĂšte de doctrines thĂ©ologiques. ProcĂ©der autrement, ce serait aller contre l’histoire de la RĂ©publique. Mme BĂ©rengĂšre Poletti. Mais quand elles deviennent sectaires, ne doit-on s’en occuper ? M. Jacques Myard. On doit s’en occuper quand elles sont contraires aux lois de la RĂ©publique. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Pour avoir Ă©tĂ© maire de VĂ©nissieux, je puis tĂ©moigner que l’expulsion d’Abdelkader Bouziane a permis de dĂ©bloquer le dialogue avec les musulmans de la ville. Une hypothĂšque avait Ă©tĂ© levĂ©e, qui pesait trĂšs fortement. Je pense, comme M. Dilain, que la paupĂ©risation sociale, Ă©conomique, morale et culturelle de certains quartiers de nos villes n’est pas sans consĂ©quences, mais il existe aussi des tĂȘtes de rĂ©seau, des gourous qui n’habitent pas toujours sur place et qui jouent le pourrissement de la situation en instrumentalisant la misĂšre des familles et des jeunes gens. C’est un des aspects du problĂšme sur lequel notre mission devra aussi se pencher. Notre mission a Ă©tĂ© créée par une dĂ©cision de la confĂ©rence des prĂ©sidents, sur proposition du prĂ©sident de l’AssemblĂ©e nationale. Nous devons, vous l’avez tous dit, travailler de conserve, sans nous renvoyer la balle. Je vous remercie, Messieurs, pour ce trĂšs riche Ă©change de vues, d’une grande franchise. J’aimerais que nous le prolongions avant la fin de notre mission. M. Claude Dilain. Certainement ; j’allais vous le proposer. Audition de Mme GisĂšle Halimi, PrĂ©sidente de l’association Choisir la cause des femmes SĂ©ance du mardi 29 septembre 2009 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Nous recevons aujourd’hui Mme GisĂšle Halimi, prĂ©sidente de l’association Choisir la cause des femmes », et grande figure de la cause fĂ©ministe. Madame, vous avez dĂ©fendu les femmes Ă  une Ă©poque oĂč prendre position publiquement pour le droit Ă  l’avortement ou pour la rĂ©pression du viol Ă©tait un combat difficile. Quel regard portez-vous sur le voile intĂ©gral ? Que signifie-t-il Ă  un moment oĂč des territoires, en France ou ailleurs en Europe, sont en proie Ă  l’islamisation ? Mme GisĂšle Halimi. Merci de me permettre de faire entendre la voix de l’association Choisir la cause des femmes ». Je veux vous fĂ©liciter pour votre initiative et pour le travail que vous avez accompli. Quelle que soit la suite que vous rĂ©serverez aux propositions qui vous seront faites dans le cadre de ces auditions, vous aurez fait avancer la rĂ©flexion et progresser la cause des femmes. Notre association a Ă©tĂ© fondĂ©e en 1971 par Simone de Beauvoir, Jean Rostand et Jacques Monod. IndĂ©pendante des partis politiques, elle use du jeu dĂ©mocratique lors des Ă©lections nationales et europĂ©ennes, nous exposons aux candidats notre programme et leur demandons de prendre position. Permettez-moi de vous rappeler les moments forts de notre action en 1972, le procĂšs de Bobigny » – celui de Marie-Claire Chevalier, une jeune femme de seize ans qui avait avortĂ© clandestinement – a permis l’ouverture d’un grand dĂ©bat public sur le droit des femmes de choisir leur maternitĂ©. Le tribunal correctionnel a prononcĂ© l’acquittement. Puis vint la loi Veil votĂ©e en 1974 et promulguĂ©e en 1975. En 1978, le procĂšs d’Aix-en-Provence » a entraĂźnĂ© la rĂ©daction, Ă  notre initiative, d’une proposition de loi ayant pour objet de rappeler que le viol, auparavant correctionnalisĂ© et sanctionnĂ© Ă  la façon d’un vol Ă  l’étalage, Ă©tait un crime. PortĂ©e par Monique Pelletier, alors ministre aux droits des femmes, la loi a Ă©tĂ© votĂ©e le 23 dĂ©cembre 1980. En 1995, l’association siĂ©geait au premier observatoire de la paritĂ©. J’ai remis Ă  M. Alain JuppĂ© puis Ă  M. Lionel Jospin un rapport sur la paritĂ© en politique en 1997, qui concluait Ă  la nĂ©cessitĂ© de modifier la Constitution. Aujourd’hui, nous promouvons, au travers de colloques et de publications, la clause de l’EuropĂ©enne la plus favorisĂ©e » il s’agit de prendre, pour ce qui concerne la vie des femmes, le meilleur des vingt-sept lĂ©gislations afin de rĂ©diger une loi europĂ©enne unique qui leur soit la plus favorable. S’agissant de l’interdiction du port du voile intĂ©gral, les membres de l’association ne sont pas unanimes. S’ils considĂšrent dans leur ensemble que la burqa est une atteinte Ă  la dignitĂ© de la femme et qu’il convient de mettre un coup d’arrĂȘt au phĂ©nomĂšne, certains font entendre des divergences, que je me dois de vous rapporter. Ils estiment que les chiffres dont nous disposons – 367 ou 2 000 femmes portant le voile intĂ©gral – rĂ©vĂšlent un phĂ©nomĂšne somme toute marginal par rapport aux cinq millions de musulmans. Celui-ci ne mĂ©ritait peut-ĂȘtre pas la crĂ©ation d’une mission parlementaire, dont le but semble ĂȘtre de prĂ©coniser l’adoption d’une loi rĂ©pressive. Les membres de l’association se demandent Ă©galement dans quelle mesure le dĂ©bat sur le port du voile intĂ©gral n’a pas Ă©tĂ© créé de toutes piĂšces, afin de dĂ©tourner l’opinion publique de questions autrement plus importantes – telles la hausse du chĂŽmage, l’interdiction des bonus financiers ou la remise en question de la retraite des femmes –, ce qui concourt Ă  une perte du sens de l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. Permettez-moi maintenant d’en venir Ă  la signification du voile intĂ©gral. Si nous ne nous accordons pas sur ce qu’il reprĂ©sente, il nous sera difficile de parvenir Ă  des prĂ©conisations. S’agit-il d’un objet religieux ? Non. Le voile intĂ©gral n’a d’autre signification religieuse que celle que lui donnent les salafistes. La trĂšs grande majoritĂ© des musulmans de France ne le reconnaissent pas comme tel. La laĂŻcitĂ© – l’un des fondements de notre RĂ©publique – ne peut donc servir de base Ă  une interdiction. En ce sens, les parallĂšles qui ont Ă©tĂ© faits avec l’interdiction du port du voile Ă  l’école sont infondĂ©s. Le dĂ©bat qui nous anime aujourd’hui est Ă©galement plus large, puisqu’il ne s’agit plus de l’école rĂ©publicaine, mais de la rue. S’agit-il d’un objet politique ? Je crois profondĂ©ment que le port du voile intĂ©gral est un acte de prosĂ©lytisme de l’intĂ©grisme islamiste, mĂȘme si celles qui le portent ne le savent pas. Faut-il pour autant l’interdire, alors que ce prosĂ©lytisme ne prend pas une forme violente et qu’il n’est pas incompatible avec nos libertĂ©s publiques ? Est-il contraire Ă  la dignitĂ© de la femme ? À cette question, nous rĂ©pondons rĂ©solument par l’affirmative et considĂ©rons que c’est prĂ©cisĂ©ment Ă  ce titre que son port doit ĂȘtre proscrit. Ces femmes sont emprisonnĂ©es on leur refuse le droit de nouer des relations avec autrui et de percevoir le monde comme les hommes le perçoivent. Elles subissent un double enfermement, physique et psychologique. Le voile intĂ©gral s’oppose bien sĂ»r au principe constitutionnel d’égalitĂ© entre les sexes, mais plus fondamentalement, il signifie que les femmes qui le portent ont intĂ©grĂ© leur propre infĂ©riorisation. La rĂ©ponse qu’une jeune professeure tunisienne de physique nuclĂ©aire – portant le niqab – m’a faite alors que je lui demandais si le voile intĂ©gral n’était pas une maniĂšre de lui faire accepter son infĂ©riorisation en tĂ©moigne aprĂšs avoir rĂ©flĂ©chi un instant, elle a dĂ©clarĂ© Mais nous sommes infĂ©rieures » ! La burqa est une forme d’apartheid sexuel. D’un cĂŽtĂ©, le monde des hommes, relationnel et ouvert, de l’autre, celui des femmes, contraint et clos. Cet Ă©tendard de l’infĂ©riorisation des femmes est inacceptable car contraire Ă  notre dignitĂ©. Et comme le disait Malraux, la dignitĂ©, c’est le contraire de l’humiliation. Alors, que faire ? AprĂšs en avoir beaucoup dĂ©battu, les membres de l’association estiment qu’un moratoire doit ĂȘtre instaurĂ© avant toute mise en place d’un systĂšme rĂ©pressif aux consĂ©quences imprĂ©visibles. Cela permettrait Ă  un organisme spĂ©cialement créé d’évaluer prĂ©cisĂ©ment l’ampleur du phĂ©nomĂšne ainsi que sa progression. Le rapport, qu’il rendrait au 1er janvier 2011, nous permettrait de savoir oĂč nous en sommes. S’il est prouvĂ© que le phĂ©nomĂšne augmente, il faudra alors passer Ă  une loi rĂ©pressive spĂ©cifique. Celle-ci pourrait sanctionner le port du voile intĂ©gral non pas par des peines d’amendes ou d’emprisonnement mais par des travaux d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral d’un nouveau genre. Les femmes qui portent le voile intĂ©gral seraient contraintes de suivre un enseignement sur les libertĂ©s, sur l’histoire de la rĂ©publique, sur l’histoire du fĂ©minisme, sur les religions – je me rappelle que mon grand-pĂšre, rabbin, lors de ses ablutions matinales, remerciait Dieu de ne pas l’avoir fait femme. Notre capacitĂ© Ă  lutter contre l’obscurantisme fait le gĂ©nie de notre nation. Il nous faut Ă©clairer ces femmes, les armer contre ceux qui tentent de les enfermer dans une foi aveugle et imbĂ©cile, les Ă©manciper par la rĂ©flexion. En cas d’échec et de blocages, et si la situation devait s’aggraver, nous prĂ©conisons de passer Ă  un troisiĂšme stade. Il conviendrait alors de promulguer une loi gĂ©nĂ©rale, d’ordre sĂ©curitaire. Il s’agirait d’étendre le dĂ©cret du 19 juin 2009 qui interdit de dissimuler son visage aux abords d’une manifestation ou de rĂ©affirmer la nĂ©cessitĂ© de pouvoir identifier une personne dans l’espace public. Cette loi pourrait aussi s’inspirer d’un rĂšglement en vigueur au Luxembourg, en vertu duquel il est interdit de paraĂźtre masquĂ© dans la rue en dehors du carnaval. J’entends bien que nous bottons en touche, que cette derniĂšre solution n’est peut-ĂȘtre pas Ă  la hauteur de l’enjeu. La montagne aura alors accouchĂ© d’une souris ; mais si cette souris parvient Ă  dĂ©chiqueter progressivement ces voiles, pourquoi pas ? En aucun cas cette dĂ©marche ne doit aboutir Ă  stigmatiser les cinq millions de musulmans qui vivent en France. Certains propos qui auraient Ă©tĂ© tenus en ces lieux et qui peuvent ĂȘtre rĂ©sumĂ©s en un La burqa, tu l’aimes ; la France, tu la quittes » doivent ĂȘtre rĂ©solument Ă©cartĂ©s de vos dĂ©bats. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Ce n’est pas l’état d’esprit de notre mission, qui se veut constructive. Nous menons de nombreuses auditions et ce travail s’apparente Ă  la tĂąche de l’organisme spĂ©cifique dont vous prĂ©conisez la crĂ©ation. Je vous remercie pour votre franchise et votre clartĂ©. M. Jacques Myard. Nous sommes 63 millions d’habitants. Si vous retranchez les cinq millions de musulmans et le million de juifs, comment qualifieriez-vous les 57 millions restants ? De catholiques ? C’est un non-sens. Ce chiffre de cinq millions ne correspond Ă  rien, car en France, on ne compte pas les musulmans. Il provient plutĂŽt d’un amalgame avec le nombre de personnes d’origine maghrĂ©bine, que l’on taxe arbitrairement de musulmanes ! Pour ma part, je ne connais que des Français, et je ne les dĂ©finis pas d’aprĂšs leur foi. Par ailleurs, vous me semblez manquer de combativitĂ©. Vous tenez le voile intĂ©gral pour un objet politique, contraire Ă  la dignitĂ© de la personne, mais ne trouvez, comme fondement Ă  son interdiction, que l’argument sĂ©curitaire. Ne croyez-vous pas que la sĂ©curitĂ©, dans l’échelle de nos valeurs rĂ©publicaines, soit placĂ©e au-dessous de la dignitĂ© humaine et de l’égalitĂ© des sexes ? Se ranger derriĂšre une loi mentionnant le carnaval peut ĂȘtre admis mais cela reste secondaire et ne me paraĂźt pas Ă  la hauteur d’une dĂ©marche intellectuelle telle que la vĂŽtre. Vous incarnez Ă  mes yeux le combat pour la dignitĂ© des femmes. Je suis assez admiratif de ce que vous avez fait dans un certain nombre de causes ce qui n’était pas Ă©vident face Ă  des conservatismes dont j’ai pu ĂȘtre moi-mĂȘme la victime Ă  l’époque. Permettez-moi d’exprimer ma dĂ©ception aprĂšs avoir entendu votre intervention. M. Jean Glavany. J’admire l’éloquence convaincante dont vous savez faire preuve. L’impossibilitĂ© d’identifier les femmes portant le voile intĂ©gral peut, en effet, fonder une interdiction. Pour autant, je souhaiterais vous soumettre deux autres pistes de rĂ©flexion, permettant de justifier l’interdiction du port intĂ©gral. Nous pourrions proscrire le port de la burqa en tant qu’instrument de barbarie. Notre RĂ©publique s’est toujours illustrĂ©e dans la lutte contre les idĂ©ologies. Elle combat le racisme, l’antisĂ©mitisme, le nazisme. Pourquoi ne combattrait-elle pas le salafisme ou le talibanisme ? J’ai d’ailleurs demandĂ© Ă  ce que des documents officiels talibans sur la condition des femmes soient diffusĂ©s auprĂšs des membres de notre mission, car, selon moi, ils relĂšvent de la barbarie. Par ailleurs, et Élisabeth Badinter nous a interpellĂ©s sur ce point, nous devons nous interroger sur ce que le visage reprĂ©sente dans l’application quotidienne de nos principes rĂ©publicains. Porter le voile intĂ©gral, c’est signifier Ă  autrui je peux te voir, mais tu ne peux me regarder » ; cela constitue une rupture du principe d’égalitĂ©. Quant Ă  la fraternitĂ©, elle impose que nos visages soient dĂ©couverts afin de rendre possible le vivre-ensemble. C’est Ă  ce titre que nous pourrions lĂ©gifĂ©rer. Mme George Pau-Langevin. Permettez-moi de vous fĂ©liciter pour votre combat. J’ai apprĂ©ciĂ© que vous ayez proposĂ© une approche nuancĂ©e et graduĂ©e, tout en rĂ©affirmant nos principes. Vous avez Ă©galement rappelĂ© qu’il fallait Ă  tout prix Ă©viter de stigmatiser les musulmans qui vivent dans notre pays et respectent les lois de la RĂ©publique. Pourquoi donc passer par une loi spĂ©cifique contre la burqa, puisque nous pourrions directement voter une loi gĂ©nĂ©rale, d’ordre sĂ©curitaire ? Le voile intĂ©gral est la manifestation d’une idĂ©ologie obscurantiste, qu’il nous faut combattre grĂące Ă  l’éducation. Nous devons dialoguer avec ces femmes, mieux connaĂźtre leurs motivations. Cependant, je suis frappĂ©e par le fait que beaucoup d’entre elles sont parfaitement Ă©duquĂ©es et informĂ©es de la rĂ©alitĂ© française. Comment, alors, combattre cette revendication politique et identitaire qu’est le port de la burqa ? M. Lionnel Luca. J’avoue avoir Ă©tĂ© déçu par vos propositions. Dans la mesure oĂč vous affirmez que le voile intĂ©gral est une atteinte Ă  la dignitĂ© de la femme, les moyens que vous prĂ©conisez me semblent faibles, voire fuyants. Dans notre RĂ©publique, il est Ă©vident que personne ne peut porter de masque. Comme l’a dit Élisabeth Badinter, il n’existe pas de vĂȘtements pour le visage. Dans notre RĂ©publique, il est Ă©galement interdit de porter un brassard ornĂ© d’une croix gammĂ©e. Si nous affirmons que nous avons Ă  faire Ă  une idĂ©ologie barbare, de nature politique et non religieuse, pourquoi prendre des prĂ©cautions ? Nous devons afficher clairement les principes qui sont les nĂŽtres. Je crains que faire des concessions – en instaurant un moratoire, en prĂŽnant la pĂ©dagogie, mĂȘme si elle est nĂ©cessaire – ne permette au phĂ©nomĂšne de se dĂ©velopper. M. Yves Albarello. Les images du reportage diffusĂ© dans l’émission Sept Ă  huit » sur TF1, dimanche 27 septembre, Ă©taient affligeantes. Nous ne parlons pas assez de ces Français qui se convertissent Ă  l’islam, Ă  l’image de cette femme qui traversait, sous son niqab, un petit village de la Somme. La grande majoritĂ© de nos concitoyens veulent une rĂ©ponse lĂ©gislative rapide et ferme. Une rĂ©solution, telle que prĂ©conisĂ©e par notre collĂšgue Jean-Yves Le Bouillonnec, ou un moratoire ne seraient pas efficaces. Il nous faut une loi, assortie de sanctions. Mme GisĂšle Halimi. Vous ne semblez pas avoir notĂ© que j’ai proposĂ© trois solutions, dont la derniĂšre, privilĂ©giant une dimension sĂ©curitaire, me semblait moins souhaitable. Le chemin que j’ai parcouru m’autorise, je crois, Ă  affirmer que je place au-dessus de tout – et donc de la sĂ©curitĂ©, M. Myard – la dignitĂ© de la femme. J’ai prĂ©sentĂ© ces solutions comme des rĂ©ponses graduelles. Je pense que tant que nous ne disposerons pas de chiffres prĂ©cis – qui seront obtenus lors d’un moratoire actif » –vous devez vous abstenir de lĂ©gifĂ©rer bille en tĂȘte ». Moi aussi, j’ai Ă©tĂ© parlementaire, et je pratique le droit depuis plus de cinquante ans. Je ne pense pas que trois mois de rĂ©flexion, aussi intense soit-elle, permettent de conclure Ă  la nĂ©cessitĂ© d’une loi, qui plus est rĂ©pressive et stigmatisante. L’approche doit ĂȘtre graduĂ©e et privilĂ©gier le dialogue. Devant la commission prĂ©sidĂ©e par Bernard Stasi, j’ai prĂ©conisĂ© le vote d’une loi, Ă  condition que soit posĂ©e l’exigence d’un dialogue prĂ©alable. Je pense que nous devons garder Ă  l’esprit cette notion. Je place une grande confiance dans la pĂ©dagogie. Si les droits des femmes ont avancĂ©, c’est que nous avons cherchĂ© Ă  convaincre, c’est que nous avons voulu des procĂšs explication », non pas des procĂšs expiation ». Je l’affirme de nouveau le voile intĂ©gral est une atteinte inacceptable Ă  la dignitĂ© de la femme. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Je vous remercie. Audition de M. AndrĂ© Rossinot, maire de Nancy, auteur du rapport La laĂŻcitĂ© dans les services publics SĂ©ance du mardi 29 septembre 2009 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. M. AndrĂ© Rossinot ayant remis en 2006 un rapport trĂšs intĂ©ressant sur la laĂŻcitĂ© dans les services publics, il m’a semblĂ© important, dans le cadre de notre mission, de recueillir son opinion sur le port du voile intĂ©gral. M. AndrĂ© Rossinot. Cette mission d’information permettra un travail en profondeur. La vigilance rĂ©publicaine doit ĂȘtre au cƓur de la fonction parlementaire, et je salue votre souci de dĂ©fendre la laĂŻcitĂ© et de prĂ©venir de nouveaux abus. La question dont vous ĂȘtes saisis est complexe, en raison de son caractĂšre surdĂ©terminĂ© et de ses enjeux aspects sociĂ©taux, vie dans nos quartiers, questions liĂ©es Ă  l’immigration, droit des femmes, enjeux juridiques, enjeux gĂ©opolitiques. C’est cette complexitĂ© qui rend la vigilance d’autant plus nĂ©cessaire et nous interdit de tomber dans le laxisme. Maire d’une grande ville, je tiens, en particulier, Ă  souligner les difficultĂ©s rencontrĂ©es par certains de nos agents territoriaux. Il convient de les soutenir et, pour cela, d’adopter une position claire sur le sujet, sans leur laisser la responsabilitĂ© de gĂ©rer, seuls, des situations dĂ©licates. Je le dis d’emblĂ©e, avec fermetĂ© il ne faut pas cĂ©der. Pour vous en convaincre, je reprendrai les arguments et les analyses que j’avais dĂ©veloppĂ©s dans mon rapport. Tout d’abord, une dĂ©mission sur ce point ouvrirait la porte Ă  de nouvelles demandes et aboutirait Ă  un recul de la citoyennetĂ©, Ă  la rĂ©duction de l’espace public laĂŻc et rĂ©publicain et Ă  la limitation de nos libertĂ©s. Une telle logique de surenchĂšre interdit toute nĂ©gociation. Ensuite, le port du voile intĂ©gral, ou burqa, n’est pas qu’une affaire religieuse il s’agit d’une interprĂ©tation maximaliste d’un usage religieux ou ethnique, que la prĂ©cĂ©dente gĂ©nĂ©ration de musulmans en France avait abandonnĂ©. Surtout, son enjeu est le statut de la femme dans une sociĂ©tĂ© rĂ©publicaine et dĂ©mocratique. Si la moindre brĂšche est ouverte, d’autres exigences viendront, toujours plus excessives, au nom soit de la religion, soit de l’identitĂ© culturelle – cette ambiguĂŻtĂ© complexifiant encore le problĂšme. Que signifie la burqa ? Elle manifeste qu’une femme est la propriĂ©tĂ© de son mari, de son pĂšre ou de son frĂšre, et qu’elle ne doit pas ĂȘtre vue par d’autres hommes ; que les femmes ne sont pas propriĂ©taires de leur image, qu’elles ne sont pas libres de se montrer, d’exister pour l’extĂ©rieur, encore moins de sĂ©duire. Le port de la burqa est le premier maillon d’une chaĂźne conduisant au mariage arrangĂ©, au mariage forcĂ© et Ă  tous les asservissements et aliĂ©nations qui s’en suivent. La femme peut ĂȘtre une monnaie d’échange entre deux groupes, deux familles. La dimension monĂ©taire de la burqa annihile toute individualitĂ©. Toutes les burqas sont identiques comme la monnaie, la femme est une entitĂ© abstraite. En un mot, la femme, dans sa spĂ©cificitĂ©, disparaĂźt la burqa est un uniforme qui la rĂ©duit Ă  l’anonymat. L’enjeu du port du voile Ă  l’école n’était pas d’affirmer un attachement Ă  l’islam, mais de rappeler aux filles qu’elles appartiennent Ă  un groupe humain qui ne donne pas aux femmes les mĂȘmes droits qu’aux hommes et que le choix du conjoint ne leur appartient pas. La burqa, de mon point de vue, a un caractĂšre infamant ; contrairement Ă  d’autres religions qui rĂ©servent le port de tenues particuliĂšres Ă  ceux qui choisissent d’y jouer un rĂŽle – prĂȘtres, pasteurs, religieuses –, les islamistes qui prĂŽnent le port de la burqa veulent l’imposer Ă  toutes les femmes. Dans l’espace social – la rue, la place publique –, la femme n’a pas le droit d’exister comme individu ou comme personne elle n’existe que derriĂšre le masque qui lui est imposĂ©. C’est lĂ  que la burqa et le voile se rencontrent. Il s’agit pour ceux qui les prĂŽnent de conquĂ©rir l’espace public et de rejeter tout ce que la RĂ©publique a apportĂ© aux femmes le droit de disposer d’elles-mĂȘmes, de travailler – et donc de ne pas ĂȘtre dans une dĂ©pendance Ă©conomique par rapport Ă  leur mari –, de gĂ©rer leur corps, de choisir leur conjoint, de choisir d’avoir des enfants, de s’instruire, ainsi que la reconnaissance de l’égalitĂ© entre hommes et femmes. En leur imposant une contrainte vestimentaire, les dĂ©fenseurs de la burqa signifient aux femmes que ces droits ne sont pas pour elles, qu’ils sont plus forts que la RĂ©publique, dont les lois ne s’appliquent pas universellement. Le port de la burqa est un dĂ©fi politique et sociĂ©tal ; son aspect religieux n’est qu’un prĂ©texte. Il s’agit d’un acte politique, qui vise Ă  crĂ©er un rapport de forces pour faire reconnaĂźtre comme lĂ©gitime un ordre social autre que l’ordre rĂ©publicain. Notre position doit ĂȘtre d’une fermetĂ© absolue on ne nĂ©gocie pas la RĂ©publique, on ne nĂ©gocie pas la libertĂ©, on ne nĂ©gocie pas la personne humaine et sa dignitĂ©. Le port de la burqa n’est pas seulement un signe ostentatoire agressif, mais Ă©galement un instrument de nĂ©gation de l’humain dans son individualitĂ© et dans ses relations avec les autres. Il interdit toute communication extĂ©rieure, tout dialogue. C’est la libertĂ© des femmes qui est en jeu ; si certaines affirment porter le voile par volontĂ© dĂ©libĂ©rĂ©e, il ne s’agit certainement pas de la rĂšgle gĂ©nĂ©rale, car seule une petite minoritĂ© a pu s’exprimer sur ce sujet. Tout laxisme cautionnerait de nouveaux abus. La burqa est une sorte de ghetto portatif ; elle ne doit plus exister sur le territoire national. Enfin, et plus profondĂ©ment encore, ce dĂ©bat met en question la vie en sociĂ©tĂ© elle-mĂȘme. Que seraient un espace public peuplĂ© d’ĂȘtres sans visages, une sociĂ©tĂ© oĂč personne ne pourrait se connaĂźtre ou se reconnaĂźtre ? C’est la sociĂ©tĂ© forgĂ©e depuis des siĂšcles, fondĂ©e sur la reconnaissance de l’autre, qui se trouve ainsi mise en cause – ce que reconnaissent d’ailleurs explicitement les promoteurs de la burqa. Cet instrument est donc en soi porteur de violence. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Merci, M. Rossinot, pour cet exposĂ© pertinent et percutant. M. Jacques Myard. M. Rossinot, je partage totalement votre opinion. Comme vous l’avez dit, le port de la burqa dĂ©passe la simple question de la laĂŻcitĂ©, qui rĂ©git les relations entre l’État et les religions il s’agit d’un problĂšme d’égalitĂ© et de dignitĂ© de la personne. Vous avez, Ă  juste titre, soulignĂ© sa dimension politique l’objectif est d’imposer Ă  la RĂ©publique un ordre personnel. Vous avez raison, on est en train de tester la RĂ©publique. Si l’on recule, quelles seront, selon vous, les prochaines dĂ©rives ? Durant la prĂ©paration de votre rapport, avez-vous rencontrĂ© des personnes favorables au port de la burqa, voire des salafistes ? M. AndrĂ© Rossinot. On ne parlait pas de burqa Ă  l’époque et je ne connais aucun salafiste. Je pense qu’il s’agit d’une instrumentalisation de la religion musulmane par des rĂ©gimes ou des groupes politiques, via des attitudes, des personnes et des rĂ©seaux, de maniĂšre Ă  tester la rĂ©sistance de notre sociĂ©tĂ© et de nos valeurs. Comment y rĂ©pondre ? Ce n’est pas Ă©vident. La pratique du port du voile avait fait l’objet d’un long travail de rĂ©flexion, ponctuĂ© par le rapport remis par Bernard Stasi et par de nombreux dĂ©bats publics ; il importe de prendre le temps de l’écoute, de l’observation et du dialogue si l’on ne veut pas se tromper de stratĂ©gie. Je suis persuadĂ© qu’avec la burqa, on franchit un degrĂ© supplĂ©mentaire dans le test. M. Patrice CalmĂ©jane. Pensez-vous qu’une loi permettrait d’envoyer un signal fort ? M. AndrĂ© Rossinot. Il ne faut pas se prĂ©cipiter. Prenez le temps de dĂ©battre et sollicitez l’avis d’autres assemblĂ©es et d’autres partenaires, de maniĂšre Ă  aboutir Ă  un consensus. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Nous avons prĂ©vu onze auditions d’ici le 16 dĂ©cembre. Nous nous dĂ©placerons Ă  Lille, Ă  Lyon, Ă  Marseille ainsi qu’à Bruxelles. Nous rencontrerons des juristes, des sociologues, voire des spĂ©cialistes du salafisme. M. AndrĂ© Rossinot. TrĂšs bien ! La maniĂšre compte autant que l’objectif. Il ne faut pas rester cloisonnĂ©. La lĂ©gitimitĂ© des personnes interrogĂ©es, les comparaisons, les recueils d’informations, nos adversaires y travaillent davantage que nous. Il existe des endroits oĂč l’on Ă©labore des stratĂ©gies. La RĂ©publique doit travailler Ă  visage dĂ©couvert, mais sans naĂŻvetĂ© et en se donnant les moyens d’une analyse comparĂ©e en Europe. Cela permettrait de porter le dĂ©bat sur la laĂŻcitĂ© au plan europĂ©en, façon de montrer que, contrairement Ă  ce que d’aucuns prĂ©tendent, nous ne vivons pas repliĂ©s sur des valeurs archaĂŻques. Il faut engager le rĂ©armement rĂ©publicain du Parlement. Mme Jeanny Marc. Selon vous, la burqa serait un instrument de conquĂȘte de l’espace public. Cet espace public ne mĂ©riterait-il pas davantage de respect et un plus grand investissement pour le dĂ©fendre ? La question est dĂ©licate car, sur ce type de sujet, on peut penser avoir affaire Ă  une atteinte Ă  la dignitĂ© humaine. Toutefois, une investigation en termes de laĂŻcitĂ© au plan europĂ©en et de citoyennetĂ© au plan national ne serait-elle pas une piste Ă  explorer, dans la mesure oĂč elle pourrait ĂȘtre acceptĂ©e par le plus grand nombre ? Nous souhaiterions en effet Ă©viter une division entre pro- et anti-burqa. M. Jacques Myard. Certaines femmes affirment porter librement le niqab et la burqa. Comment concilier l’ordre rĂ©publicain et cette prĂ©tendue libertĂ© individuelle ? Mme BĂ©rengĂšre Poletti. Vous avez dit qu’en tant que maire d’une grande ville, vous pensiez qu’il fallait disposer d’une ligne de conduite claire, afin que les employĂ©s territoriaux se montrent cohĂ©rents dans leurs rĂ©actions. Avez-vous menĂ© une rĂ©flexion sur cette question ? M. AndrĂ© Rossinot. Le problĂšme, Mme Poletti, c’est la formation des personnes. Il faut que les personnels concernĂ©s bĂ©nĂ©ficient d’une formation adaptĂ©e, par exemple dans le cadre du droit individuel Ă  la formation – les Ă©lus aussi, d’ailleurs –, et qu’ils fassent remonter l’information. Ce n’est pas toujours le cas. Mme BĂ©rengĂšre Poletti. On m’a rapportĂ© que dans un train, des jeunes avaient refusĂ© d’ĂȘtre contrĂŽlĂ©s par une femme ! M. AndrĂ© Rossinot. M. Myard, la libertĂ© individuelle comporte des limites l’ordre public rĂ©publicain existe, et il doit ĂȘtre respectĂ©. Mme Marc, l’espace public est le reflet de la vie en sociĂ©tĂ©. Il s’agit d’un espace partagĂ©, ce qui ne doit pas empĂȘcher la rigueur en matiĂšre d’éthique et de morale rĂ©publicaines. Nous allons ĂȘtre confrontĂ©s Ă  un dĂ©bat inĂ©dit sur l’espace public vous ouvrez un champ qui n’a pas encore Ă©tĂ© explorĂ©. Il faut viser juste – et beaucoup travailler, car tout sera Ă©pluchĂ©. M. Jacques Myard. Ce dĂ©bat a dĂ©jĂ  eu lieu, lors de la sĂ©paration des Églises et de l’État. La question est rĂ©glĂ©e. Il arrive un moment oĂč il faut savoir dire stop » ! M. AndrĂ© Rossinot. Le contexte Ă©tait diffĂ©rent. Aujourd’hui, l’action est lancĂ©e depuis l’extĂ©rieur, Ă  l’échelle internationale. Si, de notre point de vue, les principes et les valeurs restent les mĂȘmes, il nous faut mieux apprĂ©cier les risques et dĂ©couvrir les tenants et les aboutissants de cette stratĂ©gie. Plus nous saurons de choses, mieux nous serons armĂ©s le jour oĂč il faudra prendre une dĂ©cision. M. Yves Albarello. Êtes-vous favorable Ă  une loi tendant Ă  interdire le port de la burqa ? M. AndrĂ© Rossinot. Oui. M. Pierre Cardo. Durant la prĂ©paration de votre rapport, vous avez rencontrĂ© des acteurs de terrain confrontĂ©s Ă  des pratiques plus ou moins cultuelles dans les hĂŽpitaux, la fonction publique, les associations. Que ressentez-vous en voyant la provocation atteindre l’espace public dans son ensemble, et non plus des sphĂšres, certes publiques, mais diffĂ©renciĂ©es ? M. AndrĂ© Rossinot. Cela signifie que notre rĂ©action au port du voile a Ă©tĂ© jugĂ©e efficace, et que l’on nous teste aujourd’hui sur le contrĂŽle de l’espace public et sur la libertĂ© et le respect de la femme. M. Pierre Cardo. Vous trouvez que notre rĂ©action a Ă©tĂ© suffisamment prĂ©cise ? M. AndrĂ© Rossinot. Nous avons fait beaucoup progresser les choses ; ce qui avait fragilisĂ© le systĂšme, c’est l’ambiguĂŻtĂ© des positions antĂ©rieures, nourrie par la jurisprudence du Conseil d’État. Sur ces questions, il faut adopter une ligne claire et comprĂ©hensible par tous. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. M. Rossinot, je vous remercie. Audition de M. Jean-Pierre Dubois, prĂ©sident de la Ligue des droits de l’homme, Mme Françoise Dumont, vice-prĂ©sidente, et M. Alain Bondeelle, responsable du groupe de travail sur la laĂŻcitĂ© SĂ©ance du mercredi 7 octobre 2009 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. En prĂ©alable, je voudrais vous informer des modalitĂ©s retenues pour la suite de nos auditions. J’ai Ă©crit au PrĂ©sident de l’AssemblĂ©e pour qu’il saisisse le Bureau par rapport Ă  nos auditions du mercredi matin, dont la date a Ă©tĂ© fixĂ©e au dĂ©but du mois de juillet. Nous sommes arrivĂ©s Ă  la conclusion que la rĂšgle de prĂ©sence en commission ne serait pas appliquĂ©e dans toute sa rigueur pour les membres des missions d’information qui ont Ă©tĂ© créées avant le vote de cette nouvelle rĂšgle. De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, nous allons tenter de dĂ©caler nos auditions du mois de novembre du mercredi matin au mercredi aprĂšs-midi, aucune audition n’étant prĂ©vue le mercredi matin au mois de dĂ©cembre. Nous entamons Ă  prĂ©sent notre sixiĂšme journĂ©e d’auditions, sur un total de seize. Demain, nous organisons une journĂ©e d’auditions Ă  Lille, avant de nous rendre jeudi prochain Ă  Lyon puis Ă  Marseille et Ă  Bruxelles au mois de novembre et d’organiser une journĂ©e d’audition en rĂ©gion parisienne. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Jean-Pierre Dubois, prĂ©sident de la Ligue des droits de l’homme, Mme Françoise Dumont, vice-prĂ©sidente et M. Alain Bondeelle, responsable du groupe de travail sur la laĂŻcitĂ©. Nous avons souhaitĂ© auditionner votre association parce que nous connaissons votre engagement pour la dĂ©fense des droits de l’homme entendu Ă©galement comme respect des droits des femmes. J’aimerais connaĂźtre le regard que vous portez sur le dĂ©veloppement de la pratique du port du voile intĂ©gral. Selon vous, cette pratique porte-t-elle atteinte Ă  quels droits de l’homme ? La laĂŻcitĂ© vous paraĂźt-elle en cause dans ce dĂ©bat ? Enfin, quelle est votre opinion sur une Ă©ventuelle interdiction de la pratique du port du voile intĂ©gral ? M. Jean-Pierre Dubois, prĂ©sident de la Ligue des droits de l’homme. Je vous prie d’excuser notre prĂ©sident d’honneur, M. Michel Tubiana, qui est retenu par un procĂšs. Je voudrais rendre hommage au prĂ©sident de la Libre-pensĂ©e, sans lequel nous ne serions pas devant vous car c’est lui qui s’est Ă©tonnĂ© que ni la Ligue des droits de l’homme, ni la Ligue de l’enseignement ne soient entendues par votre mission. Je suis donc heureux que vous ayez dĂ©cidĂ© de nous entendre sur ce sujet, ce qui contribuera Ă  une information la plus complĂšte possible des parlementaires. Je tiens Ă©galement Ă  souligner de maniĂšre liminaire que votre mission est une mission d’information. En effet, de nombreux journalistes me disent qu’il va y avoir une loi, auxquels je rĂ©ponds qu’il s’agit avant tout de s’informer, et non d’écrire une proposition de loi avant de savoir de quoi il est question. Je tiens Ă  commencer par ce point car j’ai eu connaissance de nombreuses propositions de proposition de loi, qui Ă©manent d’organisations de la sociĂ©tĂ© civile, dont l’une faisait une longue liste d’exceptions Ă  l’interdiction de masquer une partie de son visage, ce qui me faisait penser Ă  la lĂ©gislation iranienne, dont la prĂ©cision quant Ă  la longueur des cheveux qui peut dĂ©passer d’un foulard, par exemple, est extrĂȘme. Les exceptions concernaient les chirurgiens, le carnaval, la grippe A
 Je suis donc heureux que vous ayez pris le parti de vous informer, plutĂŽt que de tomber dans une obsession tatillonne, qui finirait par ridiculiser la lĂ©gislation de la RĂ©publique. Sans que nous disposions d’appareil statistique d’information, mais simplement d’un rĂ©seau de citoyens et de plus de trois cents sections rĂ©parties sur tout le territoire, nous avons le sentiment que cette pratique est extrĂȘmement minoritaire, mĂȘme si elle augmente vraisemblablement, et qu’une loupe politico-mĂ©diatique a Ă©tĂ© posĂ©e sur cette question. Je ne reviendrai pas sur la note des renseignements gĂ©nĂ©raux, qui dĂ©nombrait Ă  l’unitĂ© prĂšs les voiles intĂ©graux ! Il est impossible de dire s’il y en a 367 ou 369. Habitant la Seine-Saint-Denis, j’ai pu observer que l’on voit davantage de personnes habillĂ©es de la sorte mais que cette pratique reste extrĂȘmement minoritaire. La Ligue des droits de l’homme ne considĂšre Ă©videmment pas le port du voile intĂ©gral comme quelque chose de souhaitable puisqu’il s’agit d’un signe d’infĂ©riorisation des femmes. Mais ce n’est pas le seul. Il en existe d’autres auxquels nous ne faisons mĂȘme plus attention. Je ne vais pas paraphraser les Lettres persanes de Montesquieu mais il existe un pays lointain oĂč les femmes perdent leur nom en se mariant, ce qui est une façon choquante de nier leur identitĂ©. Ce n’est heureusement pas comme cela chez nous puisque la loi française fait que les femmes ne changent pas de nom quand elles se marient. M. Jacques Myard. Et cela n’a jamais Ă©tĂ© le cas ! M. Jean-Pierre Dubois. Absolument et je n’arrĂȘte pas de le rappeler lorsque mon Ă©pouse tente de faire respecter ce droit, ce qui est souvent difficile, y compris auprĂšs de commissaires de police ou de fonctionnaires chargĂ©s d’appliquer la loi. Mon intention n’est pas de minimiser les signes plus exotiques d’infĂ©riorisation mais que nous gardions Ă  l’esprit que ce n’est pas parce que des choses nouvelles et choquantes arrivent qu’il faut oublier les combats passĂ©s, qui ne sont plus dans la conscience collective. Sur le site de l’AssemblĂ©e nationale, il est d’ailleurs mentionnĂ© que la violence faite aux femmes a augmentĂ© en France de maniĂšre trĂšs significative. Il faut donc ĂȘtre attentif Ă  tous les risques pour les droits des femmes et ne pas braquer une loupe sur un problĂšme qui nous dĂ©tournerait d’un regard global. Il est lĂ©gitime de s’intĂ©resser Ă  ce genre de pratiques mais en prenant garde de ne pas les amplifier car cela pourrait laisser penser qu’il n’y a plus qu’un seul foyer de risque pour les femmes dans notre pays. Je prĂ©cise que la Ligue des droits de l’homme a choisi de garder ce nom historique, mais que le terme d’homme doit Ă©videmment ĂȘtre entendu en son sens gĂ©nĂ©rique d’ĂȘtre humain. Nous nous prĂ©occupons des droits des femmes depuis cent dix ans puisqu’une des fondatrices de la Ligue, SĂ©verine, a jouĂ© un rĂŽle important dans le combat pour les droits des femmes. Mais nous sommes prĂ©occupĂ©s par le risque que les droits des femmes soient instrumentalisĂ©s j’ai le souvenir de pĂ©riodes dĂ©testables oĂč le Front national Ă©tait devenu extrĂȘmement fĂ©ministe en dĂ©nonçant uniquement les atteintes aux droits des femmes qui avaient lieu dans les populations immigrĂ©es. Il est certain que le port du voile intĂ©gral est un signe d’infĂ©riorisation des femmes, qu’il faut faire rĂ©gresser. La question rĂ©side alors dans la maniĂšre Ă  employer pour ce faire. Il est certain que ce phĂ©nomĂšne reste trĂšs minoritaire. Il ne faut donc pas le prĂ©senter comme quelque chose de massif. La contrainte et l’exclusion Ă©tant le meilleur moyen de renforcer les communautarismes, il faut Ă©viter de stigmatiser les femmes en cause. Nous sommes donc absolument hostiles Ă  l’idĂ©e d’une loi qui interdirait un port de signes vestimentaires en tant que tel pour de nombreuses raisons que nous aurons l’occasion d’aborder. Il suffit d’envisager comment une telle mesure pourrait ĂȘtre appliquĂ©e. Que fait-on d’une femme qui y contreviendrait ? Va-t-on l’amener au commissariat de police ? Va-t-on crĂ©er Ă  cĂŽtĂ© des cellules de dĂ©grisement des cellules de dĂ©voilement ? Va-t-on lui enlever son voile sur la voie publique ? Il n’en est pas question ! Va-t-on la punir d’amende et de jugement en cas de rĂ©cidive ? Imaginez-vous le jugement pĂ©nal non de l’homme qui la contraint mais d’une femme qui est condamnĂ©e pour avoir portĂ© un voile intĂ©gral ? Cela reviendrait Ă  faire le contraire de ce que nous voulons tous, Ă  savoir travailler Ă  l’émancipation des femmes. Nous pensons qu’aucun combat pour les droits des femmes ne peut prendre les femmes pour cible. Ainsi, bien que nous soyons hostiles Ă  ce genre de pratiques, nous pensons que ce n’est pas par la pĂ©nalisation des femmes que l’on rĂ©glera le problĂšme. Il se passe aujourd’hui exactement la mĂȘme chose que durant la commission Stasi et la mission du prĂ©sident Jean-Louis DebrĂ©, auquel mon prĂ©dĂ©cesseur avait fait remarquer qu’il s’agissait d’une mission sur le foulard. Le prĂ©sident DebrĂ© avait indiquĂ© qu’il s’agissait d’une loi sur les signes religieux Ă  l’école. Mais mon prĂ©dĂ©cesseur avait rĂ©pondu que l’huissier qui lui avait indiquĂ© la salle avait dit La commission foulard, c’est par lĂ . » J’attire donc votre attention sur le fait que votre mission, dans tous les mĂ©dias, s’appelle la mission burqa. En effet, la burqa Ă©voque l’Afghanistan et les talibans. On fait donc croire que les talibans sont chez nous, ce qui n’est pas sĂ©rieux. S’il y a bien une augmentation de la pratique du voile intĂ©gral, que nous jugeons choquante, vous ne pouvez pas laisser dire que l’Afghanistan se trouverait dans nos banlieues. Si l’on nous demande si nous condamnons la pratique du port du voile intĂ©gral, nous rĂ©pondons par l’affirmative. Il faut faire attention aux mots, qui sont souvent extrĂȘmement passionnels dans ce genre de dĂ©bat. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Au-delĂ  des analyses diffĂ©rentes, je tiens Ă  vous rassurer la Ligue des droits de l’homme faisait partie de notre liste d’auditions depuis le mois de juillet. Nous n’en sommes qu’à la sixiĂšme journĂ©e d’auditions et il nous en reste encore dix. Je prĂ©cise Ă©galement que nous avons apportĂ© un correctif Ă  l’intitulĂ© de notre mission d’information dĂšs le mois de juillet. Lors de la crĂ©ation de la mission d’information, nous avons donnĂ© trois orientations Ă©tablir un Ă©tat des lieux ; apprendre et comprendre ce qui est en jeu ; formuler des prĂ©conisations. Je rappelle donc que la loi n’est en aucun cas un prĂ©alable pour la mission mĂȘme s’il peut en aller autrement dans les dĂ©bats pĂ©riphĂ©riques Ă  la mission. Ce qui nous intĂ©resse Ă©galement, c’est d’aller au-delĂ , d’examiner la face immergĂ©e de l’iceberg. Mme Françoise Dumont, vice-prĂ©sidente de la Ligue des droits de l’homme. Parmi nous, personne n’est favorable au port du voile intĂ©gral. Il ne faut pas poser le problĂšme sous cette forme. Je suis soucieuse d’éviter toutes les mesures qui pourraient renforcer l’exclusion des femmes. D’ores et dĂ©jĂ , certaines femmes qui portent le voile sont exclues des sorties scolaires. Cela revient Ă  tenir un double discours puisque l’on pousse ces femmes Ă  montrer leur intĂ©gration tout en les excluant d’un certain nombre de rĂŽles. Il est donc important que rien ne soit fait pour les exclure davantage de la vie sociale. M. Alain Bondeelle, responsable du groupe de travail sur la laĂŻcitĂ©. Concernant l’interdiction pour les femmes voilĂ©es d’accompagner une sortie scolaire, je voudrais attirer votre attention sur le fait que la loi de 2004 s’applique Ă  l’école et non aux parents. Il s’agit donc d’une dĂ©rive. D’autre part, des filles voilĂ©es ont Ă©crit un livre, dans le cadre d’un groupe de travail islam et laĂŻcitĂ©, conjointement issu de la Ligue de l’enseignement et de la Ligue des droits de l’homme, qui montre que le rĂ©sultat de cette loi a Ă©tĂ© d’accentuer l’exclusion. Il ne faut pas confondre la sphĂšre publique, qui s’oppose Ă  la sphĂšre privĂ©e dans la loi de 1905, et l’espace public. Il s’agit d’une dĂ©rive extrĂȘmement grave. Durant les dĂ©bats qui ont conduit Ă  la loi de 1905, il a Ă©tĂ© question de rĂ©glementer les costumes religieux catholiques. Le rapporteur, Aristide Briand, avait alors demandĂ© si l’on allait faire la chasse aux religieux, sachant qu’à l’époque, il y avait Ă  l’AssemblĂ©e des prĂȘtres en soutane. RĂ©glementer, au nom de la laĂŻcitĂ© les vĂȘtements me semble absurde, mĂȘme s’il est gĂȘnant de voir des femmes adopter le voile intĂ©gral ou, de maniĂšre gĂ©nĂ©rale, des gens afficher leur religion de maniĂšre ostensible. Mais la laĂŻcitĂ© doit permettre un pluralisme. La loi de 1905 est une loi d’apaisement, qui fait suite Ă  l’affaire Dreyfus oĂč la majoritĂ© des catholiques s’est comportĂ©e de façon antirĂ©publicaine et antisĂ©mite. Mais ce qu’ont rĂ©ussi Ă  faire Briand, JaurĂšs et Buisson, c’est Ă  faire en sorte que personne ne soit gĂȘnĂ© par la religion de l’autre. Si le service public du culte a Ă©tĂ© privatisĂ©, la libertĂ© de conscience a, dans le mĂȘme temps, Ă©tĂ© garantie par l’État et son exercice est restĂ© possible, en public comme en privĂ©. Si les musulmans pouvaient plus facilement construire des lieux de culte, s’ils Ă©taient des Français comme les autres, je pense que la question ne se poserait pas. La plupart des musulmans qui vivent en France sont dĂ©sormais sĂ©cularisĂ©s puisque sur les quatre ou cinq millions de personnes qui vivent en France et qui ont des grands-parents musulmans, on ne compte qu’un ou deux millions de pratiquants. Il y a des hommes et femmes qui ont choisi d’habiter en France pour Ă©chapper aux pressions de la religion. Mais la laĂŻcitĂ© n’est pas antireligieuse elle permet de vivre au quotidien dans la pluralitĂ© sans la pression des religions. Je ne vois donc pas du tout ce que la laĂŻcitĂ© viendrait faire dans une loi d’interdiction. Je suis trĂšs inquiet de la brĂšche qui a Ă©tĂ© ouverte dans la laĂŻcitĂ© telle que nous l’entendons par la loi de 2004, qui, mĂȘme si elle a pu apporter un certain apaisement dans les Ă©tablissements scolaires, confond la distinction entre sphĂšre publique et sphĂšre privĂ©e et celle entre espace public et espace privĂ©. M. Éric Raoult, rapporteur. Prenons un exemple concret si, dans l’une des trois cents sections de la Ligue des droits de l’homme, une femme s’adresse Ă  vous et explique qu’elle est contrainte de porter le voile intĂ©gral, quelle aide pouvez vous lui apporter ? M. Jacques Myard. En vous Ă©coutant, je suis empreint de sentiments mitigĂ©s car la subtilitĂ© de vos nuances me laisse un certain malaise comme si cette casuistique jĂ©suite masquait une certaine indĂ©cision. Vous vous dites opposĂ©s Ă  une loi qui risquerait de stigmatiser les femmes qui portent le voile intĂ©gral mais ne fallait-il pas une loi pour poser le principe de l’égalitĂ© de l’homme et de la femme ? La loi prĂ©sente l’avantage de fonder des principes. En l’occurrence, il ne s’agit pas de laĂŻcitĂ© mais de dignitĂ© de la personne et d’égalitĂ© des sexes. Des mesures telles que celles que vous nous recommandez, qui ne seraient pas calĂ©es sur un principe fort, seraient inefficaces. Mme George Pau-Langevin. Je voudrais tout d’abord excuser l’absence de nombreux parlementaires, le mercredi matin Ă©tant un jour de rĂ©union pour les commissions. Je partage avec vous les prĂ©cautions Ă  prendre pour aborder la question. Mais je n’ai pas trĂšs bien perçu quelles Ă©taient vos prĂ©conisations si vous excluez la voie lĂ©gislative. M. Jean Glavany. Au cours de votre exposĂ© introductif vous avez dĂ©clarĂ© qu’il s’agissait d’une pratique condamnable mais que vous ne vouliez pas de loi d’interdiction. Comment alors empĂȘcher le port du voile intĂ©gral sans l’interdire ? Le port du voile intĂ©gral n’est pas prĂŽnĂ© que par les talibans. Il l’est aussi par les salafistes. Ces deux mouvements sont intĂ©gristes et ils lancent un dĂ©fi Ă  la RĂ©publique. Comment le relever ? Mme BĂ©rengĂšre Poletti. Il me semble que vos propos sous-estiment la puissance des dĂ©rives sectaires. Vous jugez que le phĂ©nomĂšne n’est pas trĂšs important quantitativement. Mais Ă  partir de quel seuil faudrait-il intervenir ? Il ne faut pas simplifier la rĂ©alitĂ© et nous devons reconnaĂźtre que les femmes ne sont pas toutes des victimes, contraintes de porter le voile intĂ©gral. Certaines femmes marquĂ©es par les idĂ©es intĂ©gristes le revendiquent et font pression sur leur entourage pour que la pratique du voile intĂ©gral se gĂ©nĂ©ralise. Dans ces cas lĂ , nous devons aussi lutter contre les thĂšses dĂ©fendues par ces femmes. M. Jean-Pierre Dubois. Pour rĂ©pondre tout d’abord sur l’action de la Ligue des droits de l’homme en faveur des femmes qui nous saisissent de difficultĂ©s personnelles, nous intervenons trĂšs frĂ©quemment pour des cas de violences conjugales ou de mariages forcĂ©s. Nous espĂ©rons d’ailleurs que l’AssemblĂ©e nationale examinera bientĂŽt la proposition de loi du Collectif national pour les droits des femmes, dont la Ligue des droits de l’homme fait partie. J’espĂšre Ă©galement qu’une mission parlementaire sera bientĂŽt consacrĂ©e aux mariages forcĂ©s, qui sont trĂšs nombreux et en augmentation. Il ne faut pas se focaliser sur une partie du problĂšme qui est statistiquement limitĂ©e mĂȘme si Ă  la Ligue des droits de l’homme, qui a Ă©tĂ© fondĂ©e pendant l’affaire Dreyfus, nous savons qu’une atteinte Ă  une seule personne est une atteinte Ă  l’humanitĂ©. Toute femme victime de contrainte ou de violence doit ĂȘtre dĂ©fendue. Une loi de plus ne parait pas nĂ©cessaire alors que nous disposons de tout un arsenal lĂ©gislatif pour promouvoir l’égalitĂ© homme-femme. Nous avons simplement du mal Ă  faire appliquer une lĂ©gislation dĂ©jĂ  trĂšs avancĂ©e. Je souhaiterais donc une pression forte des parlementaires, par le biais d’une mission d’évaluation par exemple, pour analyser les causes des rĂ©sistances Ă  la mise en application des lois dans ce domaine. La loi pĂ©nale ne nous pose pas de difficultĂ© a priori. Il y a des choses qui doivent ĂȘtre interdites je viens de dire que nous attendons une loi sur les violences faites aux femmes. Mais il serait catastrophique qu’une loi punisse les femmes qui portent le voile intĂ©gral parce que ce n’est pas la mĂȘme chose de punir les auteurs de violences et de punir les femmes qui sont victimes de contrainte. Je suis d’ailleurs d’accord avec vous pour dire qu’il existe aussi des femmes qui portent le voile intĂ©gral sans qu’aucune contrainte ne soit exercĂ©e sur elles mais il ne faut pas oublier les phĂ©nomĂšnes d’aliĂ©nation et d’intĂ©riorisation de l’appartenance symbolique des femmes Ă  leur mari comme en atteste le cas du nom de famille que j’évoquais tout Ă  l’heure. Cela ne signifie pas qu’il ne faille rien faire pour autant. Ce que nous condamnons, ce sont des traditions culturelles qui asservissent les femmes et non pas les femmes elles-mĂȘmes. Nous sommes pour leur Ă©mancipation. A ce sujet, j’aurais deux remarques. Il me paraĂźt important d’éclaircir le point suivant le phĂ©nomĂšne du voile intĂ©gral reflĂšte-t-il la montĂ©e de l’intĂ©grisme ou est-il plutĂŽt l’expression d’un sursaut dĂ©sespĂ©rĂ© face Ă  une large sĂ©cularisation des sociĂ©tĂ©s de culture islamique ? Tous les travaux des historiens et des sociologues Ă©tablissent qu’un profond mouvement de sĂ©cularisation traverse actuellement les sociĂ©tĂ©s islamiques. Ce constat est confirmĂ© par l’analyse de trois indicateurs concernant les jeunes filles issues de l’immigration en France le pourcentage de filles qui font des Ă©tudes longues augmente, de mĂȘme que le pourcentage de femmes qui sont autonomes financiĂšrement. Enfin, la fĂ©conditĂ© des femmes diminue. Ces donnĂ©es sont incompatibles avec la thĂšse d’une augmentation de la mainmise de l’intĂ©grisme islamiste en France. MĂȘme en AlgĂ©rie, oĂč l’intĂ©grisme a fait des dizaines de milliers de morts, la fĂ©conditĂ© des femmes s’est effondrĂ©e passant d’environ dix enfants par femmes Ă  un niveau infĂ©rieur Ă  celui de la France actuellement. Il faut en tirer la conclusion que la violence intĂ©griste est une rĂ©action Ă  une sociĂ©tĂ© qui Ă©chappe Ă  la mainmise religieuse. Si le port de signes religieux constitue bien un dĂ©fi, il n’est pas le fruit d’ennemis menaçants mais d’un mouvement de crispation face Ă  la sĂ©cularisation. Je ne pense pas que l’Europe soit une forteresse menacĂ©e par des vagues qui tendent Ă  installer en son coeur des pratiques venant de civilisations arriĂ©rĂ©es, ce qui justifierait le vote d’une loi pĂ©nale. Il faut au contraire avoir conscience que ceux qui testent la RĂ©publique constituent une minoritĂ© qui est en train de perdre la partie. Nous ne devons pas nous tromper dans la rĂ©ponse Ă  apporter Ă  cette question car toute rĂ©action excessive ferait la part trop belle aux intĂ©gristes. Il faut au contraire valoriser les musulmans qui pratiquent leur religion de façon cohĂ©rente avec nos valeurs. C’est pourquoi la question des sorties scolaires avec des femmes voilĂ©es est cruciale nous ne pouvons pas rejeter sans distinction les intĂ©gristes et les musulmans dont la pratique religieuse est en accord avec nos valeurs. Nous ne pouvons pas demander Ă  des personnes de renoncer Ă  des coutumes en quelques annĂ©es lĂ  oĂč les femmes françaises ont mis des dizaines d’annĂ©es. Par exemple, ma grand-mĂšre, dans les annĂ©es 1930, ne montrait pas ses cheveux en public car seules les femmes de mauvaise famille montraient leurs cheveux. Il faut donc favoriser l’émancipation mais aussi ĂȘtre conscient que celle-ci ne passe jamais par la contrainte. Ce qui est dĂ©cisif, ce n’est pas le port de tel ou tel habit mais l’égalitĂ© absolue des garçons et des filles dans les Ă©coles, l’interdiction de toute atteinte Ă  la mixitĂ©, y compris pour le sport. Les voiles intĂ©graux tomberont non pas le jour oĂč on les aura arrachĂ©s de force, mais le jour oĂč ce qui entre dans la tĂȘte des filles qui subissent cette aliĂ©nation changera. C’est pourquoi nous faisons confiance Ă  l’école de la RĂ©publique. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Je tenais Ă  vous prĂ©ciser dans quel contexte la mission parlementaire a commencĂ© Ă  travailler. Nous n’avons aucun a priori et nous avons voulu mieux apprĂ©hender le phĂ©nomĂšne en prenant soin de dissocier le port du voile intĂ©gral de questions religieuses connexes. Par consĂ©quent, nous ne traitons pas de la question du foulard, mais uniquement du voile intĂ©gral. Mais nous ne nous interdisons pas d’analyser quelle est la signification du port du voile intĂ©gral, qui s’accompagne d’une dĂ©gradation des accueils dans les lieux publics, d’une augmentation des mariages forcĂ©s
 Nous formulerons des prĂ©conisations mais nous ne savons pas encore si nous proposerons le vote d’une loi ni de quel sera le contenu de cette loi, qui n’est pas obligatoirement pĂ©nale. AprĂšs six sĂ©ances d’auditions nous parvenons Ă  mieux cerner cette rĂ©alitĂ© mais nous n’avons pas encore de diagnostic Ă©tayĂ© et encore moins de prĂ©conisations. M. Jacques Myard. Lorsqu’une loi est Ă©voquĂ©e pour rĂ©soudre ce problĂšme, il faut bien garder Ă  l’esprit que cette loi pourrait trĂšs bien avoir pour objectif premier l’affirmation des principes rĂ©publicains et n’avoir de visĂ©e rĂ©pressive que par dĂ©faut. Par exemple, l’égalitĂ© de l’homme et de la femme a d’abord Ă©tĂ© un principe structurel de la RĂ©publique. Une loi pourrait parfaitement avoir valeur de symbole, pour relever le dĂ©fi qui nous est lancĂ©. Enfin, il ne faut pas aller trop loin concernant le thĂšme de la sĂ©cularisation de la sociĂ©tĂ©. Si elle progresse dans certains pays musulmans, je pense qu’elle rĂ©gresse aujourd’hui en France. Mme DaniĂšle Hoffman-Rispal. Il y a quelque temps encore j’aurais eu la mĂȘme position que la Ligue des droits de l’homme. J’avais d’ailleurs hĂ©sitĂ© lors du vote de la loi de 2005, ayant peur d’un repli identitaire. Mais devant certaines rĂ©alitĂ©s dĂ©rangeantes j’ai changĂ© de position. Je suis Ă©lue du quartier de Belleville Ă  Paris et je constate qu’en l’espace de quelques annĂ©es, les relations sociales se devenues beaucoup plus dĂ©licates sous l’influence du facteur religieux. Je vois des collĂšges oĂč les filles ne peuvent plus venir en jupe. Il y a quelques annĂ©es, on me serrait la main sur les marchĂ©s et aujourd’hui certains hommes refusent de le faire parce qu’un tel comportement est proscrit entre hommes et femmes ! La situation s’est donc dĂ©gradĂ©e du fait d’une montĂ©e du religieux en l’espace de sept ans. Nos prĂ©conisations pourraient rejoindre celles de la mission d’information sur les violences faites aux femmes, qui a estimĂ© que la loi-cadre n’était peu ĂȘtre pas la meilleure solution car des dispositifs existent dĂ©jĂ , mais qui va proposer une modification de la Constitution Ă  M. Accoyer. La mission pourrait s’en inspirer afin de s’écarter de l’idĂ©e d’une loi rĂ©pressive et rĂ©affirmer des principes. Il n’en demeure pas moins que, comme une grande partie de la population, je suis choquĂ©e quand je vois une femme recouverte d’une burqa dans le mĂ©tro parce que ne pas voir le visage de quelqu’un, son sourire, c’est refuser tout lien social. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Si vous le souhaitez vous pouvez nous faire parvenir jusqu’à fin dĂ©cembre tout document qui pourrait Ă©clairer la mission et nous faire part de vos recommandations. M. Jean-Pierre Dubois. Sur la question d’une loi rĂ©affirmant des principes, il me semble que ce type de loi existe dĂ©jĂ . Il ne fait pas de doute que la Constitution et les lois de la RĂ©publique affirment qu’il existe une Ă©galitĂ© entre les hommes et les femmes. Nous manquons moins de lois que de volontĂ© de les faire appliquer. Sur la question du recul de la sĂ©cularisation, je suis d’accord pour dire qu’il y a des crispations. Mais celles-ci sont les signes d’un profond malaise qui provient du fait que le politique n’est plus porteur d’espoir. Quand l’espoir n’est plus que religieux, les gens se dirigent dans cette direction. Lors de la marche des Beurs, en 1983, ses organisateurs ne se dĂ©finissaient pas d’abord comme musulmans, mĂȘme si certains d’entre eux l’étaient. Ils se considĂ©raient comme des citoyens revendiquant l’égalitĂ©. Or, leurs prĂ©conisations n’ont pas beaucoup Ă©tĂ© entendues. Il en va de mĂȘme pour l’expĂ©rience d’AC LE FEU dont les cahiers de dolĂ©ances sont remarquables. Mais l’écho de leurs travaux a Ă©tĂ© trĂšs faible. L’engagement politique est donc dĂ©considĂ©rĂ© au profit du religieux. L’enjeu est de faire revivre l’espoir dans le politique. Nous pensons que le phĂ©nomĂšne est minoritaire. Le risque n’est pas que des imams intĂ©gristes aient de plus en plus d’influence, mais que des gens se replient sur ce type de solutions car ils n’ont plus confiance dans l’égalitĂ© et dans la laĂŻcitĂ©. La rĂ©ponse qui doit ĂȘtre donnĂ©e au problĂšme du voile intĂ©gral doit donc ĂȘtre une rĂ©ponse en termes d’égalitĂ© et de dĂ©cloisonnement des quartiers sensibles. C’est ce manque de rĂ©ponse politique qui laisse le champ libre Ă  des replis identitaires. Il n’est pas question de savoir si l’on est pour ou contre cette pratique dĂ©testable mais de dĂ©terminer comment faire Ă©voluer les mentalitĂ©s pour que la sociĂ©tĂ© change. Nous vivons dans une Ă©poque de transition durant laquelle nous devons rester fermes sur les principes, afin de ne pas accepter que soit remis en cause le principe de laĂŻcitĂ© ou celui d’égalitĂ©. Ces gens viennent de trĂšs loin et apprennent peu Ă  peu Ă  vivre dans un autre cadre. Il faut les y aider en promouvant l’égalitĂ© et les principes rĂ©publicains. La RĂ©publique ne tient pas ses promesses ; le jour oĂč elle les tiendra, les voiles intĂ©graux tomberont. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Je vous remercie pour ce dĂ©bat. Audition de M. Mahmoud Doua, enseignant en anthropologie du monde arabo-musulman Ă  l’UniversitĂ© Bordeaux III SĂ©ance du mercredi 7 octobre 2009 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Je vous remercie d’avoir acceptĂ© cette audition. Vous pourrez nous Ă©clairer Ă  partir de votre expĂ©rience de terrain, puisque vous enseignez la religion coranique dans la rĂ©gion bordelaise et que vous animez une association de musulmans en Gironde. Nous aimerions vous demander quel sens vous donnez Ă  la pratique du voile intĂ©gral. Combien de personnes sont concernĂ©es ? Quelles sont les catĂ©gories socioprofessionnelles les plus reprĂ©sentĂ©es ? Peut-on dire qu’il s’agit d’un retour Ă  l’islam des origines » ? La prĂ©caritĂ© sociale, le sentiment de mauvaise intĂ©gration Ă  la sociĂ©tĂ© française sont-ils des facteurs explicatifs au dĂ©veloppement de ce phĂ©nomĂšne ? M. Mahmoud Doua, enseignant en anthropologie du monbe arabo-musulman. Je tenais tout d’abord Ă  vous remercier pour cette approche pluraliste et sans a priori. Dans votre prĂ©sentation, vous avez mis en avant mon expĂ©rience d’imam, mais j’ai, en fait, une double formation. Je suis aussi universitaire ; j’enseigne la sociologie des religions Ă  l’universitĂ© de Bordeaux III. Le recours Ă  l’outil sociologique me permet de prendre du recul face Ă  ma subjectivitĂ© et de mieux comprendre la complexitĂ© des phĂ©nomĂšnes culturels. Je souhaitais souligner, Ă  titre de propos prĂ©liminaire, que toutes les religions comportent des dĂ©rives agressives, voire sectaires. J’en viens maintenant Ă  un point controversĂ© la question de savoir si le port du voile intĂ©gral a des racines religieuses, s’il s’agit d’une prescription du Coran. J’ai lu les propos des personnes que vous avez dĂ©jĂ  entendues et j’ai constatĂ© avec Ă©tonnement que plusieurs soutiennent qu’il ne s’agit pas d’une prescription religieuse. Cette affirmation est un peu simplificatrice car le Coran aborde bien la question du voile pour les femmes respectueuses du l’enseignement du ProphĂšte. Le Coran dans le verset 59 de la sourate XXXIII Les CoalisĂ©s » prĂ©cise ProphĂšte, dis Ă  tes Ă©pouses, Ă  tes filles, aux femmes de tes compagnons, de revĂȘtir leurs mantes julbĂąb cape, et non plus seulement khimĂąr, le fichu recouvrant la tĂȘte. Ceux qui soutiennent que le voile intĂ©gral est une prescription du Coran ont une lecture littĂ©rale car le texte ne parle que du fait de se couvrir sans prĂ©ciser l’ampleur du voile. En Islam, il n’y a pas de vĂȘtement religieux qui s’imposerait universellement. De multiples jilbad, mot que l’on peut traduire par costume traditionnel, ont coexistĂ© dans les diffĂ©rentes civilisations musulmanes. J’en veux pour preuve les diffĂ©rentes maniĂšres dont sont vĂȘtues les femmes selon leur rĂ©gion d’origine ; les SĂ©nĂ©galaises, avec leur boubou, ne ressemblent en rien aux Pakistanaises, par exemple. Si on veut avoir une lecture sociologique de ce phĂ©nomĂšne, on peut dire que le port du voile intĂ©gral rĂ©pond Ă  de multiples motivations. Ce phĂ©nomĂšne peut d’abord s’observer chez les jeunes de milieux populaires qui vivent souvent en banlieue. La volontĂ© de se distinguer par le port d’un habit spĂ©cifique touche aussi les garçons, qui sont de plus en plus nombreux Ă  porter une tunique proche de celle portĂ©e par les Pakistanais. Ces jeunes vivent souvent dans des familles dĂ©structurĂ©es et sont confrontĂ©s Ă  des discriminations. Ils se sentent marginalisĂ©s socialement et cherchent Ă  trouver une identitĂ©, une reconnaissance sociale. Il ne faut pas sous-estimer l’importance de la prĂ©caritĂ© sociale et du sentiment de relĂ©gation dans des quartiers ghettos pour comprendre le phĂ©nomĂšne du voile intĂ©gral. Une autre catĂ©gorie sociale touchĂ©e par ce phĂ©nomĂšne est celles des Français de souche rĂ©cemment convertis, qui cherchent Ă  manifester publiquement leur nouvelle appartenance religieuse et leur attachement Ă  celle nouvelle identitĂ©. LĂ  encore, on trouve de nombreuses personnes confrontĂ©es Ă  des conflits familiaux. Il y a enfin de jeunes cadres ou ingĂ©nieurs, d’excellente formation intellectuelle, qui sont attirĂ©s par cette pratique rigoriste de la religion. TrĂšs souvent, ce sont des jeunes de formation scientifique, Ă  qui il manque une certaine culture critique pour prendre du recul face Ă  ceux qui se prĂ©sentent comme les porte-parole de l’Islam authentique. Si on cherche Ă  discerner les fondements religieux de ce phĂ©nomĂšne, on peut citer l’influence salafiste qui s’appuie sur la tradition wahhabite. Le thĂ©ologien Ben Baz a eu une influence considĂ©rable ainsi que El OutheĂ«mi, tous deux originaires d’Arabie Saoudite. Ce courant a eu une forte influence dans la rĂ©gion lyonnaise, notamment par l’intermĂ©diaire d’anciens responsables du Front islamique du salut FIS. Cette influence religieuse, qui a recours Ă  une lecture littĂ©raliste du Coran est trĂšs ancienne mais, aujourd’hui, les salafistes qui vivent en France ne se rĂ©fĂšrent qu’à l’autoritĂ© de certains imams d’Arabie Saoudite avec qui ils sont en lien via internet. L’extension du port du voile intĂ©gral semble ĂȘtre un phĂ©nomĂšne passager, mais certains aspects de ce courant sont cependant inquiĂ©tants. Il s’agit d’une dĂ©marche naĂŻve Ă  laquelle il manque une vĂ©ritable culture religieuse. Voter une loi visant Ă  son interdiction semble inutile, voire dangereux, car cela reviendrait Ă  confĂ©rer une importance disproportionnĂ©e Ă  ce phĂ©nomĂšne rĂ©cent. Je ne peux pas vous prouver les influences Ă©trangĂšres et une certaine instrumentalisation de ce courant Ă  des fins politiques, mais j’ai de bonnes raisons de penser que, comme en AlgĂ©rie ou en Égypte, certains ont intĂ©rĂȘt Ă  se servir du courant intĂ©griste. M. Jacques Myard. Vous avez insistĂ© sur l’importance de la lecture littĂ©raliste du Coran. Le problĂšme est que cette tendance est rĂ©currente dans l’Islam. Tous les deux ou trois siĂšcles, certains thĂ©ologiens veulent en revenir Ă  l’Islam originel, Ă  l’ñge d’or de la religion. Vous mettez en avant que ce courant a beaucoup de succĂšs auprĂšs de musulmans peu cultivĂ©s en quĂȘte d’une identitĂ© sociale, mais il ne faut pas oublier les fondamentalistes ont aussi une grande audience chez les intellectuels. Comment peut-on Ă©veiller l’esprit critique chez les musulmans pour leur permettre de prendre du recul face Ă  certains mouvements Ă  la mode ? Mme Arlette Grosskost. Ce manque de culture religieuse chez les jeunes qui se tournent vers les fondamentalistes pose la question de l’opportunitĂ© de mettre en place un enseignement de culture religieuse au collĂšge. Il s’agit d’amener les consciences Ă  faire des choix Ă©clairĂ©s Ă  partir d’une connaissance historique sur les diffĂ©rents courants religieux. Actuellement, la sociĂ©tĂ© civile française connaĂźt un certain malaise car elle a l’impression que la culture musulmane cherche Ă  s’imposer dans la sphĂšre publique. M. Christian Bataille. Vous nous avez parlĂ© de l’influence de l’Arabie saoudite et aussi de l’Afghanistan, du Pakistan mais ces fondamentalistes ont-ils d’autres soutiens Ă©trangers ? Il faut rĂ©flĂ©chir Ă  la tolĂ©rance de la culture musulmane Ă  d’autres traditions religieuses. Dans le passĂ©, l’islam a trĂšs bien acceptĂ© d’autres cultures, comme en Espagne ou dans certains pays du Moyen-Orient. M. Jacques Remiller. Pouvez-vous nous apporter des prĂ©cisions sur la prĂ©sence du FIS dans la rĂ©gion lyonnaise ? Quels sont ses canaux d’influence ? M. Mahmoud Doua. Pour rĂ©pondre Ă  M. Myard, c’est vrai qu’il y a dans l’islam, une nostalgie de retour Ă  l’ñge d’or, Ă  l’époque de la prĂ©dication du ProphĂšte. Je reprĂ©sente une autre tradition, celle de l’islam rĂ©formiste, qui ne veut pas sĂ©parer la raison et la rĂ©vĂ©lation. Moi aussi, je regrette le temps de l’islam primitif oĂč les diffĂ©rentes religions vivaient en bonne entente comme ce fut le cas en Espagne. Je pense que la pratique du voile intĂ©gral peut ĂȘtre comparĂ©e Ă  une pratique adolescente » de la religion, Ă  une volontĂ© de rupture par rapport Ă  une forme plus conventionnelle de religiositĂ©. Certains sont tentĂ©s par l’hijra c'est-Ă -dire par un exode vers les pays islamiques car ils ne veulent plus vivre au milieu des kafir ou mĂ©crĂ©ants. Cette fuite loin de l’environnement quotidien est un leurre car ces jeunes sont de culture europĂ©enne et auraient du mal Ă  s’adapter au mode de vie oriental. Pour rĂ©pondre Ă  M. Christian Bataille, je dirai que l’influence saoudienne et Ă©gyptienne est dĂ©terminante, car il s’agit de pays oĂč existent des thĂ©ologiens rĂ©putĂ©s. À la diffĂ©rence du Pakistan et de l’IndonĂ©sie qui reprĂ©sentent les communautĂ©s musulmanes les plus nombreuses, ces pays ont une influence intellectuelle par le biais des Ă©crits thĂ©ologiques. Quant Ă  l’influence du FIS, il faut d’abord prĂ©ciser que le FIS, en tant que tel, a disparu. Certains de ses membres se sont reconvertis. Certains siĂšgent, par exemple, au Conseil rĂ©gional du culte musulman de la rĂ©gion PACA. Le GIA a une influence rĂ©elle, notamment dans les prisons françaises. Je travaille actuellement pour l’École nationale de l’administration pĂ©nitentiaire sur le thĂšme de l’islam radical en prison et sur ses mĂ©thodes de recrutement ». Vous m’avez interrogĂ© sur l’identitĂ© française menacĂ©e par la culture musulmane. Il faut se rendre compte qu’il existe un jeu d’influence rĂ©ciproque. La religion musulmane est influencĂ©e dans ses pratiques par l’environnement culturel français. J’en donnerai un exemple significatif il n’y a pas de confession en islam, or je rencontre de multiples français musulmans qui me demandent Ă  respecter ce rite qui n’existe pas ! Mme Arlette Grosskost. Comment analyser l’influence de la culture sur le port des vĂȘtements ? M. Mahmoud Doua. L’islam de France doit tenir compte des habitudes vestimentaires de notre pays sans pour autant renoncer Ă  son Ă©thique vestimentaire. Le respect de la pudeur est compatible avec de multiples tenues vestimentaires. Il y a d’ailleurs de multiples formes de costumes dans les sociĂ©tĂ©s musulmanes. Les communautĂ©s musulmanes d’Europe doivent trouver leur propre voie en la matiĂšre. Je comprends que la sociĂ©tĂ© française soit choquĂ©e par certaines tenues ostentatoires, mais je ne crois pas qu’une loi interdisant le voile intĂ©gral soit une bonne solution. Le danger est au contraire d’ancrer les jeunes filles dans leur interprĂ©tation littĂ©rale du Coran. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Notre dĂ©marche ne se limite pas Ă  la question du voile intĂ©gral, mais cherche Ă  savoir ce qui se joue derriĂšre la question du voile intĂ©gral. Il y a une vision politique masquĂ©e derriĂšre la question du port du voile. Je ne crois pas Ă  des manifestations spontanĂ©es. Dans certains quartiers, la pression sociale sur les jeunes filles devient intolĂ©rable. Certaines ont mĂȘme demandĂ© un vestiaire au proviseur de leur collĂšge pour pouvoir ĂȘtre habillĂ©es normalement au collĂšge et remettre aussitĂŽt le voile lorsqu’elles rentrent chez elles. Nous souhaitons engager une dĂ©marche constructive avec les musulmans qui veulent vivre leur religion dans le respect des valeurs rĂ©publicaines. D’autres pays europĂ©ens ont les mĂȘmes prĂ©occupations. M. Mahmoud Doua. Je suis sensible aux exemples d’intolĂ©rance que vous citez. Il est indĂ©niable que certains problĂšmes existent, dans les hĂŽpitaux, notamment, oĂč certains refusent la mixitĂ© du personnel soignant. Je pense qu’il faut rĂ©flĂ©chir aux moyens de favoriser une laĂŻcitĂ© ouverte et les formes de mĂ©diation. Les reprĂ©sentants du culte musulman peuvent jouer un rĂŽle apaisant et pĂ©dagogique. Ils peuvent, par exemple, expliquer ce que signifie la neutralitĂ© de l’État et des services publics. Ce mouvement d’extension du port du voile intĂ©gral est observĂ© dans plusieurs pays europĂ©ens car ces pays sont tous confrontĂ©s au rĂšgne de l’argent roi, de la sociĂ©tĂ© de consommation qui a perdu toute finalitĂ© collective. Il s’agit d’un repli identitaire pour des personnes en perte de repĂšres, qui ne supportent plus ce relativisme moral. Ce retour Ă  la tradition est Ă©galement observĂ© dans d’autres religions comme le protestantisme et le judaĂŻsme. Je crois qu’il faut ĂȘtre pĂ©dagogue, mais ferme sur les principes. Lorsque je fais mes cours Ă  l’ENAP, je dis clairement qu’on ne peut transiger avec un prisonnier qui refuse de parler Ă  une surveillante parce qu’elle est une femme. M. Éric Raoult, rapporteur. Beaucoup de musulmans se prononcent contre le vote d’une loi, mais il faut garder Ă  l’esprit que la loi en question ne sera pas forcĂ©ment rĂ©pressive. Ce qui choque nos concitoyens, c’est l’impossibilitĂ© de reconnaĂźtre la personne, cachĂ©e sous son voile intĂ©gral. Il faut chercher Ă  Ă©viter ce comportement, y compris en utilisant des formes de mĂ©diation qui peuvent trĂšs bien accompagner la mise en application de la loi. M. Mahmoud Doua. Je respecterai toute loi qui sera votĂ©e, mais je peux discuter des risques qu’elle comporte. Je crois vraiment qu’il y a des risques Ă  l’application d’une loi d’interdiction. Celle de 2004 a eu aussi des effets pervers, car certains l’ont appliquĂ©e avec trop de zĂšle. Je pourrai citer l’exemple de cette Ă©tudiante Ă  Toulouse, qui n’a pu soutenir sa thĂšse car elle Ă©tait voilĂ©e. Je crois que d’autres solutions pĂ©dagogiques existent. M. Christian Bataille. Cette loi ne s’applique pas Ă  l’UniversitĂ© M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Je vous remercie pour votre intervention. Audition de M. RĂ©my Schwartz, conseiller d’État, rapporteur gĂ©nĂ©ral de la commission Stasi SĂ©ance du mercredi 7 octobre 2009 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Nous accueillons RĂ©my Schwartz, conseiller d’État et rapporteur gĂ©nĂ©ral de la commission Stasi du nom de son prĂ©sident, M. Bernard Stasi, qui avait Ă©tĂ© chargĂ©e par le PrĂ©sident Jacques Chirac, en juillet 2003, de rĂ©flĂ©chir Ă  l’application du principe de laĂŻcitĂ© dans la RĂ©publique. Tous les membres de la mission ont reçu un exemplaire du rapport de cette commission. Nous avons souhaitĂ© vous entendre aujourd’hui pour deux raisons d’une part, pour que vous nous rappeliez l’expĂ©rience de la commission Stasi et que vous nous fassiez part de ses conclusions concernant le principe de laĂŻcitĂ© aujourd’hui et d’autre part, pour que vous nous indiquiez, avec votre regard de juriste, quelles sont les rĂšgles qui s’appliquent d’un point de vue national, international et europĂ©en en matiĂšre de libertĂ© de conscience et de culte. Quels sont les points communs et les diffĂ©rences entre le dĂ©bat actuel et celui de 2003 ? Estimez-vous que la situation des femmes dans les banlieues se soit aujourd’hui dĂ©gradĂ©e ? M. RĂ©my Schwartz. Pour rĂ©pondre immĂ©diatement Ă  votre derniĂšre question, je suis trĂšs mal placĂ© pour vous apporter des Ă©lĂ©ments sur la situation des femmes dans les banlieues, travaillant au Palais-Royal et habitant Ă  Paris
 La commission mise en place par le PrĂ©sident de la RĂ©publique avait abordĂ© largement la question de la laĂŻcitĂ©, notamment dans les services publics. Elle s’était Ă©galement intĂ©ressĂ©e, de maniĂšre plus particuliĂšre, Ă  la question du port de signes religieux dans les Ă©tablissements d’enseignement. La commission ne s’est jamais interrogĂ©e Ă  l’époque sur le port de signes religieux dans l’espace public car la question se posait moins alors et car elle soulĂšve des problĂšmes juridiques redoutables. L’expĂ©rience de la commission ne pourra donc pas vous ĂȘtre d’une rĂ©elle utilitĂ© sur ce point. Il faut nĂ©anmoins prĂ©ciser que le vote de la loi de 2004 a complĂštement apaisĂ© la situation dans les Ă©tablissements d’enseignement. Depuis cette date, il n’y a plus d’incidents dans les Ă©tablissements, le nombre de jeunes filles qui ont du quitter les Ă©tablissements et s’inscrire aux cours d’enseignement Ă  distance sont en nombre inframarginal. Cette question semble donc avoir Ă©tĂ© rĂ©glĂ©e. Mais la question du port de signes religieux dans l’espace public, c’est-Ă -dire en dehors des services publics, n’a absolument pas Ă©tĂ© abordĂ©e Ă  l’époque. Or, il existe une diffĂ©rence radicale entre les rĂšgles susceptibles d’ĂȘtre Ă©dictĂ©es dans les services publics et les contraintes qu’il est possible d’imposer aux citoyens dans ce que l’on appelle l’espace public, de maniĂšre imprĂ©cise. Il est Ă©vident que le fonctionnement des services publics, les contraintes que leur fonctionnement impose, permettent de lĂ©gitimer des rĂšgles particuliĂšres. Mais nous ne retrouvons pas ces contraintes dans l’espace public, oĂč se pose Ă  l’inverse la question du respect des libertĂ©s fondamentales. En effet, la libertĂ© est le principe et la restriction, sans parler de l’interdiction, est l’exception. Votre question est donc redoutablement plus compliquĂ©e que celle Ă  laquelle Ă©tait confrontĂ©e la commission Stasi. M. Jean Glavany. Je souhaite vous poser des questions sur les problĂšmes juridiques. Si l’on devait considĂ©rer que le port du voile intĂ©gral dans l’espace public est condamnable du point de vue des principes, comment peut-on procĂ©der juridiquement ? On peut distinguer quatre pistes, que je vous prĂ©sente de la plus simple Ă  la plus compliquĂ©e. Il me semble que la possibilitĂ© la plus simple est de se fonder sur la notion d’ordre public. On peut, par exemple, considĂ©rer que la nĂ©cessitĂ© de pouvoir prouver son identitĂ©, qui justifie le port de la carte d’identitĂ©, pourrait ĂȘtre accompagnĂ©e de la nĂ©cessitĂ© de devoir montrer son visage. Mais l’on peut Ă©galement envisager d’autres vĂ©hicules juridiques que l’ordre public. La deuxiĂšme solution a trait au combat de la RĂ©publique contre certaines idĂ©ologies. Historiquement, la RĂ©publique a combattu le racisme, le nazisme, l’antisĂ©mitisme. Pourquoi ne pourrait-elle pas Ă©galement combattre des idĂ©ologies telles que le talibanisme ou le salafisme qui justifient la barbarie Ă  l’égard des femmes ? La troisiĂšme piste serait de considĂ©rer que le visage, suggestion qui nous a Ă©tĂ© faite par Elisabeth Badinter, n’est pas n’importe quelle partie du corps et que les principes d’égalitĂ© et de fraternitĂ© imposent l’échange des regards et des visages. La quatriĂšme consisterait Ă  se fonder sur la lutte contre les violences faites aux femmes. Si l’AssemblĂ©e devait lĂ©gifĂ©rer sur ce sujet, comme cela a Ă©tĂ© fait rĂ©cemment en Espagne, n’y aurait-il possibilitĂ© d’insĂ©rer une disposition sur cette forme particuliĂšre de violence qui consiste Ă  imposer aux femmes un voile intĂ©gral ? La difficultĂ© juridique serait alors de s’attaquer aux femmes qui portent le voile intĂ©gral sans contrainte, au nom de la libertĂ©. M. Jacques Myard. Comme toujours, M. Schwartz, quand on s’adresse Ă  des juristes, il faut se souvenir de la scĂšne de La guerre de Troie n’aura pas lieu de Jean Giraudoux oĂč le jurisconsulte doit donner Ă  Hector une interprĂ©tation juridique de l’attitude des Grecs. Il commence par dire que les Grecs Ă©tant arrivĂ©s droit sur la cĂŽte, ce qui constitue un acte de guerre. Puis, sous la menace, il trouve immĂ©diatement une autre interprĂ©tation. Si l’espace public est l’espace de la libertĂ©, je peux aller tout nu dans la rue sans que personne ne me dise rien ? Il y a quand mĂȘme des limites Ă  la libertĂ©, au nom par exemple de principes constitutionnels que sont la dignitĂ© de la personne humaine et l’égalitĂ© des sexes. Il ne faut donc pas exagĂ©rer les contraintes, y compris celles de la CEDH, qui a rendu des arrĂȘts qui vont totalement dans le sens du respect de la laĂŻcitĂ©. Je suis donc convaincu qu’une loi peut ĂȘtre parfaitement constitutionnelle et conforme aux engagements internationaux de la France. Mme Arlette Grosskost. Nous sommes dans le pays des droits de l’homme et la Constitution les mentionne explicitement. Mais ces droits incluent Ă©galement la libertĂ© de conscience. Est-ce que le droit Ă  la diffĂ©rence autorise la diffĂ©rence des droits ? M. Christian Bataille. Je pense Ă©galement que l’on ne peut pas interdire le port de la burqa au nom du principe de laĂŻcitĂ©. En effet, dans ce cas, pourquoi ne pas interdire aussi la cornette des religieuses, la kippa, la soutane ou les tabliers des francs-maçons. Mais il reste le fondement des violences faites aux femmes et de l’ordre public. J’aurais deux questions. Si l’on ne laisse pas les choses en l’état, faut-il avoir recours Ă  la loi ou au rĂšglement ? Ne pourrait-on pas Ă©crire dans la loi que toute personne qui se trouve dans l’espace public doit avoir le visage dĂ©couvert plutĂŽt que d’interdire de se couvrir le visage ? Ainsi, la loi serait rĂ©digĂ©e de maniĂšre positive et non pas rĂ©pressive. M. RĂ©my Schwartz. Pour prolonger sur Giraudoux, je doute que vous puissiez menacer le Conseil constitutionnel et la Cour europĂ©enne des droits de l’homme pour obtenir une dĂ©cision favorable. Depuis les origines du droit public, la notion d’ordre public, qui permet aux autoritĂ©s de police d’intervenir, englobe la sĂ©curitĂ©, la tranquillitĂ©, la salubritĂ© mais aussi la moralitĂ© publique. Cette notion fluctue Ă  travers le temps, elle est plus lĂąche aujourd’hui, mais elle n’en demeure pas moins. Il est interdit dans certaines communes du bord de mer de se promener en ville dans certaines tenues. Des arrĂȘtĂ©s municipaux le prĂ©voient. Au dĂ©but du XXe siĂšcle, la jurisprudence avait regardĂ© ces restrictions comme lĂ©gales et je n’ai pas d’exemple de jurisprudence plus rĂ©cente que 1909 ou 1920 mais je ne vois pas pourquoi les autoritĂ©s de police, dĂšs lors que ces restrictions seraient justifiĂ©es par des circonstances de temps et de lieu, ne pourraient en dĂ©cider ainsi. C’est au nom de l’ordre public qu’en 2005, le Conseil d’État avait jugĂ© lĂ©gal le refus de visa qui avait Ă©tĂ© opposĂ© Ă  une femme qui avait refusĂ©, avant d’entrer dans un consulat, d’îter un instant son foulard pour procĂ©der Ă  un contrĂŽle d’identitĂ© 379 La jurisprudence du Conseil d’État a Ă©galement admis la lĂ©galitĂ© d’instructions de circulaires imposant que les photographies d’identitĂ© soient faites tĂȘte nue. La Cour europĂ©enne des droits de l’homme a validĂ© cette logique, dans un arrĂȘt du 4 dĂ©cembre 2008 380, sur le terrain de l’ordre public. Mais si l’ordre public nĂ©cessite de pouvoir reconnaĂźtre les identitĂ©s, ce contrĂŽle n’est pas permanent. On ne peut pas imposer aux citoyens d’ĂȘtre en Ă©tat de contrĂŽle permanent. M. Jacques Myard. Et les camĂ©ras de vidĂ©osurveillance ? M. RĂ©my Schwartz. Il serait trĂšs difficile, sur le seul terrain de l’ordre public, Ă  mon sens, de justifier une interdiction permanente et gĂ©nĂ©rale. Vos trois derniĂšres questions sont liĂ©es, M. Glavany, puisqu’elles ont trait Ă  la dignitĂ© de la femme. Il existe un cinquiĂšme pilier dans la police administrative, qui est la dignitĂ© de la personne humaine depuis la dĂ©cision sur le lancer de nain de 1995, Commune de Morsang-sur-Orge 381. La dignitĂ© de la personne humaine permet de justifier des mesures restrictives aux libertĂ©s. Le Conseil constitutionnel, dans deux dĂ©cisions de 1994 et de 1995 382, a fait de la sauvegarde de la dignitĂ© de la personne humaine un principe Ă  valeur constitutionnelle qui dĂ©coule du prĂ©ambule de la Constitution de 1946. Ce principe permettait de protĂ©ger l’intĂ©gritĂ© du corps humain. Les conventions internationales, que ce soit l’article 3 de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme ou la Convention de New York du 1er mars 1980, affirment le principe de dignitĂ©, de la personne humaine dans un cas, et des femmes dans l’autre. La question est donc est-ce que le fait d’empĂȘcher autrui de voir une femme, ce qui n’est pas imposĂ© aux hommes, est attentatoire Ă  la dignitĂ© de la personne humaine et Ă  la dignitĂ© des femmes ? Je ne vous donnerai pas de rĂ©ponse puisque vous m’invitez es qualitĂ© et que je suis susceptible de connaĂźtre Ă  l’avenir de ce type de contentieux. M. Jean Glavany. Est-ce que le lĂ©gislateur pourrait condamner l’idĂ©ologie talibane ou salafiste, comme il l’a fait avec d’autres idĂ©ologies ? M. RĂ©my Schwartz. La question est ouverte et je ne peux pas y rĂ©pondre. C’est au lĂ©gislateur de choisir s’il veut prohiber toute idĂ©ologie affirmant l’inĂ©galitĂ© entre les hommes et les femmes et imposant un traitement inĂ©gal des femmes. Faut-il une loi ou des rĂšglements ? Le mĂȘme dĂ©bat avait traversĂ© la commission Stasi. Je pense qu’il est difficile de renvoyer Ă  des arrĂȘtĂ©s de police municipale, qui pour ĂȘtre lĂ©gaux, doivent rĂ©pondre Ă  des circonstances locales particuliĂšres. En effet, la police municipale est encadrĂ©e par le Conseil d’État et par la CEDH. Il serait Ă  mon sens difficile d’affirmer que dans tel ou tel quartier la dignitĂ© de la femme imposerait telle ou telle chose. Cela reviendrait Ă  laisser les Ă©lus locaux seuls face Ă  ces difficultĂ©s. M. Jacques Myard. Je crois que vous avez trouvĂ© la solution avec la notion de dignitĂ© de la personne, qui est dĂ©jĂ  prĂ©sente dans les textes fondateurs de la RĂ©publique. Il me semble que l’on peut affirmer que la pratique du port du voile est contraire Ă  la dignitĂ© de la personne et donc qu’elle n’est pas acceptable. M. RĂ©my Schwartz. Je ne sais pas s’il est possible au nom de la dignitĂ© de la personne humaine d’interdire le port du voile intĂ©gral, au regard notamment des autres principes constitutionnels et conventionnels, tels que la libertĂ© religieuse et la libertĂ© de conscience. M. Jean Glavany. Vous nous dites que l’ordre public nĂ©cessiterait de justifier une interdiction permanente et gĂ©nĂ©rale, ce qui semble difficile. Mais vous nous indiquez aussi que la notion de dignitĂ© de la personne humaine pourrait ĂȘtre un meilleur fondement et que le lĂ©gislateur pourrait condamner les idĂ©ologies qui prĂŽnent l’inĂ©galitĂ© entre les hommes et les femmes puisque les hommes ne portent pas le voile intĂ©gral. Mais vous n’avez rien dit de la question de la fraternitĂ©. Est-ce qu’il existe un principe de fraternitĂ© en droit ? Cela reviendrait Ă  prĂ©senter positivement la chose. M. RĂ©my Schwartz. Je ne pense pas que l’on puisse prĂ©senter positivement ce qui est en rĂ©alitĂ© un interdit. Cela revient au mĂȘme. D’ailleurs, la fraternitĂ© n’a jamais Ă©tĂ© regardĂ©e comme un principe juridique. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Pourriez-vous nous dire un mot de la notion de pratique radicale de la religion », qui a Ă©tĂ© adoptĂ©e par le Conseil d’État ? M. RĂ©my Schwartz. Cette notion a soulevĂ© des dĂ©bats mais il ne faut rien en extrapoler. Était en effet en cause une lĂ©gislation particuliĂšre, sur l’acquisition de la nationalitĂ© française, qui pose le principe de l’assimilation car il n’y a pas de droit gĂ©nĂ©ral et absolu Ă  acquĂ©rir la nationalitĂ© française. Ce n’est pas une question de libertĂ© fondamentale. Le lĂ©gislateur peut donc y poser des conditions, en l’occurrence, celle de l’assimilation. Au titre de cette lĂ©gislation particuliĂšre et de cette notion d’assimilation, le Conseil d’État a estimĂ© qu’une pratique radicale de la religion, qui allait Ă  l’encontre de l’égalitĂ© entre les sexes s’opposait Ă  la logique rĂ©publicaine de l’assimilation. Mais on ne peut rien en extrapoler parce qu’il s’agit d’une lĂ©gislation particuliĂšre et que la libertĂ© de religion n’était pas en cause. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Je vous rappelle, mes chers collĂšgues, que cet arrĂȘt se trouve dans le dossier qui vous a Ă©tĂ© remis lors de la premiĂšre sĂ©ance. Mme Colette Le Moal. Est-ce que cette notion de pratique radicale de la religion ne pourrait pas Ă©galement servir Ă  faire respecter les coutumes vestimentaires de la France, puisque la France n’a jamais connu de vĂȘtement du visage ? M. RĂ©my Schwartz. Dans l’affaire en cause, la personne portait la burqa et avait tenu des propos marquant une adhĂ©sion Ă  une idĂ©ologie niant l’égalitĂ© entre les hommes et les femmes, ce qui justifie le refus d’accorder la nationalitĂ© française. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Je vous remercie pour ces Ă©clairages. Audition de M. Mohammed Moussaoui, prĂ©sident du Conseil français du culte musulman ; M. Haydar Demiryurek, vice-prĂ©sident chargĂ© des rĂ©gions ; M. Chems-Eddine Hafiz, vice-prĂ©sident chargĂ© des commissions ; M. Fouad Alaoui, vice-prĂ©sident chargĂ© de la rĂ©forme et du plan ; M. Anouar Kbibech, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral. SĂ©ance du mercredi 14 octobre 2009 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Nous recevons aujourd’hui une dĂ©lĂ©gation du Conseil français du culte musulman – le CFCM – composĂ©e de M. Mohammed Moussaoui, son prĂ©sident ; M. Haydar Demiryurek, vice-prĂ©sident chargĂ© des rĂ©gions ; M. Chems-Eddine Hafiz, vice-prĂ©sident chargĂ© des commissions ; M. Fouad Alaoui, vice-prĂ©sident chargĂ© de la rĂ©forme et du plan ; M. Anouar Kbibech, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral. Monsieur le prĂ©sident, Messieurs, je suis trĂšs heureux de vous accueillir au nom de la mission d’information. Il nous a semblĂ© important de vous entendre et d’évoquer avec vous le port du voile intĂ©gral, une pratique qui, comme vous le savez, nous prĂ©occupe. La mission d'information, constituĂ©e par la confĂ©rence des prĂ©sidents de l'AssemblĂ©e nationale Ă  l’unanimitĂ© de ses membres, a clairement indiquĂ©, dĂšs le dĂ©but de ses travaux, qu'elle n'entendait nullement traiter la question du voile intĂ©gral sur le plan religieux. Pour la reprĂ©sentation nationale, il s’agit d’un problĂšme d'ordre politique qu'il faut examiner comme tel. NĂ©anmoins, ce voile est portĂ© par des personnes qui revendiquent une certaine vision de l'islam. Aussi avons-nous souhaitĂ© recueillir votre point de vue sur ce phĂ©nomĂšne assez nouveau en France mais qui, mĂȘme s’il est en apparence marginal, tend Ă  se dĂ©velopper. Je constate d'ailleurs que la question agite d'autres pays, tels l'Egypte et le Canada – singuliĂšrement le QuĂ©bec. C'est une question dĂ©licate, que le rapporteur, M. Éric Raoult, et moi-mĂȘme, entendons aborder avec beaucoup d'humilitĂ© mais aussi de rigueur, en recueillant tous les points de vue sans a priori. Nous engageons notre septiĂšme sĂ©rie d’auditions et nous avons prĂ©vu d’en tenir encore neuf d’ici le 16 dĂ©cembre. Dans ce cadre, nous serons Ă  Lyon demain, Ă  Marseille le 5 novembre et Ă  Bruxelles mi-novembre. Nous tiendrons aussi une journĂ©e complĂšte d’auditions ici mĂȘme, Ă  l’AssemblĂ©e nationale car, pour Ă©viter toute stigmatisation et toute audition spectacle », nous avons dĂ©cidĂ© de ne pas nous rendre dans telle ou telle commune ou dans tel ou tel quartier. Enfin, nous entendrons dĂ©but dĂ©cembre les responsables de toutes les formations politiques, afin que les positions respectives soient clairement Ă©tablies. L’objectif de la mission est de dresser un Ă©tat des lieux, d’apprendre et de comprendre avant d’élaborer des prĂ©conisations. Pour Ă©viter toute ambiguĂŻtĂ©, je prĂ©cise qu’il ne s’agit pas d’ouvrir un nouveau dĂ©bat sur le voile ou le foulard ; c’est lĂ  un autre sujet, qui a pour l’essentiel Ă©tĂ© traitĂ© par la loi de 2004. Ce qui prĂ©occupe notre mission, et Ă  travers elle la reprĂ©sentation nationale, c’est l’extension du port du voile intĂ©gral sur la voie publique du fait de mouvements radicaux et fondamentalistes. Étant donnĂ© ce qui se produit en certains lieux de la RĂ©publique, notamment lĂ  oĂč se fait l’accueil du public, nous souhaitons agir, notamment parce qu’il arrive que des enfants et des adolescentes soient concernĂ©s, ce qui ne laisse pas de prĂ©occuper. Nous cherchons encore Ă  dĂ©terminer ce que signifie rĂ©ellement le port du voile intĂ©gral et ce que cette pratique dit de la sociĂ©tĂ© française. En bref, nous voulons clarifier le dĂ©bat pour combattre ce qui nous semble ĂȘtre des coutumes mĂ©diĂ©vales sans rapport avec l’islam d’aujourd’hui. Nous rejetons toute stigmatisation de l’islam de France. Notre dialogue est donc d’une importance particuliĂšre. Il devra ĂȘtre franc, loyal et respectueux. Il n’est pas dans nos intentions d’intervenir ou de prendre la place des responsables musulmans dans le domaine religieux – c’est une responsabilitĂ© que vous partagez avec d’autres. La nĂŽtre, dans la RĂ©publique, est diffĂ©rente ; j’espĂšre que notre dialogue permettra des clarifications utiles. La mission, comme la reprĂ©sentation nationale dont elle est l’émanation, souhaite par ailleurs que l’islam de France, qui respecte la RĂ©publique et les principes de la laĂŻcitĂ©, qui prĂŽne les valeurs de tolĂ©rance et d’ouverture, trouve toute sa place dans la sociĂ©tĂ© française. Nous avons entendu des associations fĂ©minines, des associations laĂŻques, des personnalitĂ©s musulmanes. Nous entendrons des spĂ©cialistes du salafisme et des juristes. Nous souhaitons que toutes ces auditions nous permettent de rĂ©diger des prĂ©conisations dont nous espĂ©rons, au nom de l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, que vous les partagerez. Nous voulons en effet, vous l’avez compris, renforcer la cohĂ©sion nationale et permettre une meilleure comprĂ©hension tout en refusant toute instrumentalisation de l’islam. Le pari est peut-ĂȘtre difficile, mais l’important est que chacun, dans le rĂŽle qui est le sien, dans le cadre de cette mission et ensuite au dehors, exprime une parole forte Ă  l’intention de la sociĂ©tĂ© dans son ensemble. Je vous propose, Monsieur le prĂ©sident, d’exposer le point de vue du Conseil français du culte musulman. AprĂšs quoi, mes collĂšgues et moi-mĂȘme vous poserons quelques questions dans un esprit d’ouverture et de dialogue. M. Mohammed Moussaoui, prĂ©sident du Conseil français du culte musulman. Je vous remercie, Monsieur le prĂ©sident, pour ces prĂ©cisions. La contribution que je m’apprĂȘte Ă  vous prĂ©senter est le fruit d’une rĂ©flexion partagĂ©e par l'ensemble des membres du bureau exĂ©cutif du Conseil français du culte musulman, dans sa diversitĂ© et sa richesse. Mon exposĂ© portera sur la nature de la pratique du port du voile intĂ©gral, sur sa perception par la sociĂ©tĂ© et sur les risques qui rĂ©sulteraient de l'instrumentalisation du dĂ©bat sur cette question. La pratique du port du voile intĂ©gral que vise votre mission revĂȘt une connotation religieuse quand elle est adoptĂ©e par des femmes musulmanes au nom d'un avis religieux, certes minoritaire. Selon cet avis propre Ă  certains pays, la femme doit se couvrir totalement en prĂ©sence d'hommes autres que son Ă©poux et les membres de sa famille. Par voie de consĂ©quence, elle agit de mĂȘme lorsqu'elle est dans l'espace public. Se basant sur l'avis de la grande majoritĂ© des thĂ©ologiens musulmans, le CFCM considĂšre que le port du voile intĂ©gral n'est pas une prescription religieuse mais plutĂŽt une pratique religieuse fondĂ©e sur un avis minoritaire. Cette position du CFCM, faisant Ă©tat de la nature du port du voile intĂ©gral du point de vue strictement normatif au sein de la religion musulmane, ne doit pas ĂȘtre un motif pour incriminer celles qui le portent. Par ailleurs, dans notre RĂ©publique laĂŻque, il est du libre arbitre de toute personne de se conformer ou non Ă  une norme, y compris si celle-ci est prescrite par sa propre religion. Le CFCM considĂšre que pour assurer dans la sphĂšre publique un meilleur vivre ensemble », il est essentiel, au-delĂ  des impĂ©ratifs de l'ordre public, que chacun prenne en compte, dans l'exercice de sa pratique religieuse ou culturelle, la perception de cette pratique par le reste de la sociĂ©tĂ©. En mĂȘme temps, il est admis que dans cette sphĂšre chacun doit reconnaĂźtre Ă  l'autre le droit Ă  la diffĂ©rence. En ce qui concerne le nombre de femmes portant le voile intĂ©gral, deux services d'un mĂȘme ministĂšre avancent deux comptages trĂšs diffĂ©rents – 367 et 2 000. Dans tous les cas, cette pratique reste extrĂȘmement marginale sur le territoire national. Selon M. RaphaĂ«l Liogier, professeur de sociologie Ă  l'Institut d’études politiques d'Aix-en-Provence, les enquĂȘtes menĂ©es par l'Observatoire du religieux montrent que le niqab, en France, loin d'ĂȘtre imposĂ©, est plutĂŽt un voile hyper-volontaire, celui du choix assumĂ©, parfois contre l'entourage ». S’agissant du port du voile intĂ©gral et de la dignitĂ© de la femme, peut-on qualifier cette pratique de dĂ©gradante pour la femme et l'associer de maniĂšre gĂ©nĂ©rale Ă  une forme d'asservissement et d'abaissement sans se heurter au problĂšme Ă©pineux de l'apprĂ©ciation des convictions religieuses et des pratiques culturelles ? Qui peut, par ailleurs, affirmer que le port du voile intĂ©gral a suscitĂ© un problĂšme de sĂ©curitĂ© sur le territoire national ? Tous, y compris ceux qui dĂ©fendent le port du voile intĂ©gral, s'accordent Ă  dire que les femmes qui le portent doivent accepter de dĂ©voiler leur visage lorsque la sĂ©curitĂ© l'exige. Elles doivent Ă©galement le faire pour permettre la vĂ©rification de leur identitĂ©, par exemple devant les agents des services publics, les guichets de banques ou les caisses de magasins. De l'avis des juristes, il est difficile d'invoquer la sĂ©curitĂ© pour justifier une incrimination gĂ©nĂ©rale du port du voile intĂ©gral. En effet, malgrĂ© son caractĂšre ponctuel, le dĂ©cret du 19 juin 2009 qui introduit un nouvel article dans le code pĂ©nal incriminant le port de cagoules au sein ou aux abords immĂ©diats d'une manifestation sur la voie publique fait actuellement l'objet d'un recours en annulation devant le Conseil d'État. La loi ne peut imposer Ă  la vie privĂ©e des personnes que des interdictions limitĂ©es et strictement proportionnĂ©es Ă  un but d'intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. Par ailleurs, il existe un risque d'instrumentalisation du dĂ©bat sur le port du voile intĂ©gral. DĂšs l'expression de votre souhait d’installer une commission d'enquĂȘte parlementaire sur le port de la burqa et du niqab sur le territoire national, un dĂ©bat s'est ouvert sur cette pratique et il a pris des proportions inattendues. Les musulmans dans leur ensemble se sont trouvĂ©s de plus en plus souvent confrontĂ©s Ă  des amalgames qui ont pour consĂ©quence la stigmatisation de toute une religion. Le PrĂ©sident de la RĂ©publique, conscient de cet Ă©tat de fait, a tenu, lors de sa dĂ©claration devant le Parlement rĂ©uni en CongrĂšs le 22 juin 2009, avant d'Ă©voquer la question de la burqa, Ă  ramener le dĂ©bat sur les vrais enjeux en disant Nous ne sommes pas menacĂ©s par le clĂ©ricalisme. Nous le sommes davantage par une forme d'intolĂ©rance qui stigmatiserait toute appartenance religieuse. Je le dis en pensant en particulier aux Français de confession musulmane. Nous ne devons pas nous tromper de combat. Dans la RĂ©publique, la religion musulmane doit ĂȘtre autant respectĂ©e que les autres religions. » La tournure prise par le dĂ©bat contribue Ă  stigmatiser la religion musulmane et Ă  faire naĂźtre un sentiment d'injustice mĂȘme chez ceux qui sont hostiles au port du voile intĂ©gral. D'ailleurs, plusieurs personnalitĂ©s que vous avez auditionnĂ©es, dont le prĂ©sident de la FĂ©dĂ©ration nationale de la libre pensĂ©e et le prĂ©sident de la Ligue des droits de l'homme, ont exprimĂ© des sentiments similaires. Des acteurs politiques de premier plan ont fait part du mĂȘme sentiment. Ainsi, le commissaire Ă  la diversitĂ© et Ă  l'Ă©galitĂ© des chances, Ă©voquant le dĂ©bat sur l'interdiction du port du voile, a dit PlutĂŽt que de s'attacher Ă  rĂ©soudre ces difficultĂ©s, on a centrĂ© le problĂšme sur les comportements et les pratiques d'une partie de la population ». Dans un autre registre, de nombreux citoyens ne comprennent pas l'emballement mĂ©diatique sur ce dĂ©bat, ni d'ailleurs le silence inexplicable face Ă  la montĂ©e inquiĂ©tante des actes racistes et islamophobes. En dĂ©cembre dernier, Ă  Arras, plus de 500 tombes du carrĂ© musulman du cimetiĂšre militaire Notre-Dame-de-Lorette ont Ă©tĂ© profanĂ©es, alors que les musulmans cĂ©lĂ©braient la grande fĂȘte d'AĂŻd Al-Adha. Doit-on rappeler que les soldats dont les tombes ont Ă©tĂ© profanĂ©es s'Ă©taient sacrifiĂ©s pour que la France fĂ»t et demeurĂąt libre ? Aujourd'hui, ceux qui ont insultĂ© la mĂ©moire de ces hommes, mais Ă©galement la mĂ©moire de la France, ne sont toujours pas identifiĂ©s. En dix-huit mois, ce carrĂ© a subi trois profanations qui ont touchĂ© 54, puis 138, puis 500 tombes ; les attaques contre les mosquĂ©es se sont multipliĂ©es ; des femmes de confession musulmane ont Ă©tĂ© prises Ă  partie et publiquement humiliĂ©es. De nombreux citoyens s'interrogent sur l'indiffĂ©rence de la reprĂ©sentation nationale face Ă  ces phĂ©nomĂšnes. Le Conseil français du culte musulman profite de cette occasion pour demander solennellement la crĂ©ation d'une commission d'enquĂȘte ou d'une mission d'information dont l'objectif serait dresser un Ă©tat des lieux de la montĂ©e de l'islamophobie, de mieux comprendre le phĂ©nomĂšne et de dĂ©finir des propositions afin de lutter contre ces actes qui menacent la cohĂ©sion nationale et le vivre ensemble ». Notre propos ne doit ĂȘtre interprĂ©tĂ© ni comme un reproche ni comme une critique de votre mission d'information. Mais vous conviendrez que les dĂ©bats de sociĂ©tĂ© qui se focalisent uniquement sur les comportements et les pratiques d'une frange de la population et ignorent les menaces qui pĂšsent sur cette mĂȘme population sont mal vĂ©cus par celle-ci. Sans Ă©voquer les difficultĂ©s liĂ©es Ă  la recherche des fondements juridiques d'une loi interdisant le port du voile intĂ©gral, on peut se demander si interdire dans le seul but de rendre invisible le voile intĂ©gral dans l'espace public est rĂ©ellement une solution au problĂšme posĂ©, qui va au-delĂ  de cette seule question, comme vous l’avez dit, Monsieur le prĂ©sident. Au sein du CFCM, nous prĂŽnons l'information, le dialogue et la pĂ©dagogie. Quand les imams et les autoritĂ©s religieuses musulmanes de France promeuvent l'islam de la modĂ©ration et du juste milieu, cela ne peut que porter ses fruits et cantonner ce phĂ©nomĂšne marginal. Il faut rester confiant en les valeurs qui animent les musulmans de France. Nous espĂ©rons que la mission d'information prendra en compte nos prĂ©occupations. Notre propos n'est en aucun cas de lĂ©gitimer ou de ne pas lĂ©gitimer le port du voile intĂ©gral. Notre prioritĂ© est de veiller Ă  la non stigmatisation de l'ensemble des musulmans de France, et de prĂ©munir le vivre ensemble » et la cohĂ©sion nationale contre des amalgames dont se nourrissent les extrĂ©mismes de tout bord. Nous souhaitons que la raison l'emporte. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Je vous remercie. M. Éric Raoult, rapporteur. Votre dĂ©claration est d’une particuliĂšre importance, car nous ne vous avions pas entendu avant ce jour dĂ©clarer de maniĂšre aussi nette que le port du voile intĂ©gral n’était pas une prescription religieuse. Certes, vous l’avez dit dans les mĂ©dias mais nous ne l’avions pas entendu aussi nettement. De mĂȘme, lors du dĂ©bat sur le port de signes religieux Ă  l’école, votre prĂ©dĂ©cesseur avait commencĂ©, dans un premier temps, par exposer son point de vue, et avait prĂ©cisĂ© ensuite ses propos dans une seconde phase. Il y aura donc un avant » et un aprĂšs » la dĂ©claration du prĂ©sident Moussaoui. Comme le prĂ©sident AndrĂ© Gerin l’a soulignĂ©, le dĂ©bat que nous avons engagĂ© ne porte ni sur l’islam ni sur la communautĂ© musulmane. Le port du voile intĂ©gral fait s’interroger la sociĂ©tĂ© française sur la place des femmes musulmanes en son sein d’autant que dans certains dĂ©partements, y compris celui dont je suis l’élu, on constate des dĂ©rives venez, et vous verrez que des mĂšres sont parfois accompagnĂ©es de fillettes de six ans vĂȘtues d’une minuscule burqa. Ces dĂ©voiements, bien rĂ©els, ne correspondent pas Ă  ce que vous avez exposĂ©. Je partage la prĂ©occupation que vous avez exprimĂ©e Ă  propos de l’islamophobie. L’Union des associations musulmanes de mon dĂ©partement m’avait demandĂ© d’élaborer une proposition de loi tendant Ă  lutter contre ce phĂ©nomĂšne. Nous y avons travaillĂ© ; sans doute cette rĂ©flexion devra-t-elle ĂȘtre Ă©largie Ă  l’ensemble du pays. Enfin, les quelques skinheads qui se livrent Ă  des profanations dans le carrĂ© musulman du cimetiĂšre militaire d’Arras ne traduisent pas le sentiment de la France et, soyez-en assurĂ©s, des policiers et des magistrats travaillent sur ce dossier. M. Lionnel Luca. Je ne peux vous laisser dire que les profanations de carrĂ©s musulmans dans certains cimetiĂšres auraient suscitĂ© l’indiffĂ©rence de la reprĂ©sentation nationale ». La phrase qui figure Ă  ce sujet dans la dĂ©claration Ă©crite Ă  laquelle vous vous rĂ©fĂ©riez est inacceptable, car la reprĂ©sentation nationale a systĂ©matiquement condamnĂ©, Ă  la tribune de l’AssemblĂ©e nationale, lors des sĂ©ances de questions au Gouvernement, ces Ă©vĂ©nements lamentables qui dĂ©shonorent notre pays. Sur tous les bancs, nous savons ce que nous devons Ă  nos frĂšres d’armes qui ont combattu pour la France et pour sa libertĂ©. Sur un autre plan, pourriez-vous prĂ©ciser la distinction que vous avez faite en indiquant que le port du voile intĂ©gral n’est pas une prescription religieuse mais plutĂŽt une pratique religieuse fondĂ©e sur un avis minoritaire » ? M. Mohammed Moussaoui. La rĂ©action de votre rapporteur sur la nettetĂ© de ma dĂ©claration me surprend, car j’ai dĂ©jĂ  exprimĂ© cet avis plusieurs fois dans des journaux nationaux Ă  forte diffusion ; mais si mes propos ont gagnĂ© en nettetĂ©, je ne peux que m’en rĂ©jouir. Je n’ai pas dit que le Parlement Ă©tait restĂ© silencieux aprĂšs les profanations commises au cimetiĂšre militaire d’Arras mais, relayant le sentiment de nombreux musulmans, j’ai fait le constat qu’en dix-huit mois le mĂȘme carrĂ© a Ă©tĂ© profanĂ© par trois fois et qu’en un an l’enquĂȘte n’a pas progressĂ© d’un iota, ce qui me surprend. S’agissant de la nature du port du voile intĂ©gral, le CFCM, se fondant sur l'avis de la grande majoritĂ© des thĂ©ologiens musulmans, considĂšre que le port du voile intĂ©gral n'est pas une prescription religieuse mais constate que la pratique existe, fondĂ©e sur un avis trĂšs minoritaire. M. Jean Glavany. Je tendrais Ă  dire Ă  stigmatisation, stigmatisation et demie ». Si vous souhaitez, Ă  trĂšs juste titre, que le travail parlementaire ne stigmatise pas les musulmans de France, ne stigmatisez pas le travail parlementaire. Notre mission d’information, je le rappelle, n’est pas une commission d’enquĂȘte. Les mots ont un sens nous sommes ici pour comprendre, analyser et Ă©ventuellement faire des propositions. Ne dites pas que la question serait dĂ©jĂ  tranchĂ©e alors qu’à ce jour nous ne savons pas sur quoi nos travaux dĂ©boucheront. Vous nous avez dit que le port du voile intĂ©gral n'est pas une prescription religieuse mais une pratique religieuse minoritaire. Cette pratique religieuse minoritaire », c’est une pratique intĂ©griste. Je plaide qu’une immense majoritĂ© de musulmans laĂŻcs en France conçoivent la pratique religieuse comme une affaire privĂ©e et acceptent spontanĂ©ment de placer les lois de la RĂ©publique au-dessus de leurs convictions religieuses, mais qu’il existe aussi des intĂ©gristes musulmans qui n’acceptent pas cette hiĂ©rarchie des normes, pas davantage que les intĂ©gristes des autres religions prĂ©sentes dans notre pays. Pourquoi ne nous aidez-vous pas Ă  combattre cet intĂ©grisme-lĂ  ? Il est un peu facile, pour les religions, de ne pas assumer leurs dĂ©rives intĂ©gristes. C’est un des points sur lesquels je diverge avec le PrĂ©sident de la RĂ©publique, pour qui le port de la burqa ne serait pas un problĂšme religieux. PrĂ©tendre qu’il n’y a aucun lien entre intĂ©grisme et religion revient Ă  prĂ©tendre, comme l’a soulignĂ© devant nous un philosophe, que le dopage n’aurait rien Ă  voir avec le cyclisme ni le hooliganisme avec le football. Pourquoi ne pas nous aider Ă  faciliter l’avĂšnement de cet islam modĂ©rĂ© et laĂŻc de France que vous et nous appelons de nos vƓux ? M. Tantaoui, recteur de l’UniversitĂ© Al Azhar du Caire, lui, aide il a courageusement fait savoir qu’il ne tolĂ©rerait le port du voile intĂ©gral ni Ă  l’UniversitĂ© ni dans les lycĂ©es qui en dĂ©pendent. Si vous ne nous aidez pas, Messieurs, il faudra bien que nous vous aidions Ă  nous aider
 Mme DaniĂšle Hoffman-Rispal. Je me rĂ©jouis de votre prĂ©sence, car il est trĂšs important pour nous de vous entendre et de discuter avec vous. Nous sommes rĂ©unis au sein d’une mission d’information pour faire notre travail de parlementaires. Pourquoi donc ? C’est que le port du voile intĂ©gral n’est pas tout Ă  fait du mĂȘme ordre que d’autres luttes Ă  mener contre d’autres radicalismes – celle, par exemple que nous devons poursuivre contre les associations agressivement anti-avortement. Que des femmes portent le voile intĂ©gral fait que je me trouve sur la voie publique avec des personnes dont je ne vois pas les traits, avec lesquelles je ne peux Ă©tablir aucun lien social, avec lesquelles il n’est pas de vivre ensemble » possible, au mĂ©pris des valeurs rĂ©publicaines. Il y a eu un cas, puis un autre, un autre encore, tant et si bien que cela a fini par provoquer le rejet de cette pratique par une partie des citoyens – j’ai Ă©tĂ© tĂ©moin d’un incident Ă  ce sujet dans le mĂ©tro –, dont les religieux modĂ©rĂ©s. C’est dire que l’extension du port du voile intĂ©gral peut contribuer Ă  la montĂ©e de l’islamophobie. Les femmes ainsi vĂȘtues sont souvent arrogantes et Mme Badinter les a dites perverses » en ce qu’elles s’autorisent Ă  voir sans ĂȘtre vues, sans que l’on sache quels ĂȘtres on a face Ă  soi. Lorsque la loi sur l’interdiction des signes religieux dans les Ă©tablissements d’enseignement a Ă©tĂ© discutĂ©e, en 2004, je n’y Ă©tais pas particuliĂšrement favorable car je pensais que la loi ne rĂ©sout pas tout, qu’elle ne modifie pas les mentalitĂ©s, notamment dans le domaine religieux, et qu’il importait d’éviter de stigmatiser qui que soit, et surtout mes amis musulmans. Nous ne sommes plus dans ce cas de figure aujourd’hui. Nous avons un certain modĂšle de sociĂ©tĂ© et nous avons besoin, quand nous nous croisons, quand nous parlons, de voir les expressions du visage de l’autre, ses yeux, son sourire, ses rĂ©actions. Pour cette raison, le port du voile intĂ©gral est inacceptable. S’agissant des profanations de tombes musulmanes, je rappelle Ă  mon tour que la reprĂ©sentation nationale s’en est vivement Ă©mue, de maniĂšre rĂ©pĂ©tĂ©e. Je rappelle aussi que d’autres profanations ont eu lieu, de tombes juives par exemple, dont les auteurs n’ont jamais Ă©tĂ© identifiĂ©s, et que l’on ne sait toujours pas exactement, vingt ans plus tard, qui a commis l’attentat contre la synagogue de la rue Copernic Ă  Paris. Nous devons nous attacher, singuliĂšrement en cette pĂ©riode de crise, Ă  lutter ensemble contre toutes les formes de racisme et d’antisĂ©mitisme. Nous ne souhaitons pas interdire pour interdire mais, pour prĂ©server l’unitĂ© nationale et parce que les valeurs rĂ©publicaines sont en jeu, nous avons besoin de votre aide, au risque, sinon, que le problĂšme s’aggrave considĂ©rablement. M. Chems-Eddine Hafiz. Vous nous avez invitĂ©s Ă  un dialogue franc, il le sera. Pourquoi ne nous aidez-vous pas ? » nous a demandĂ© M. Glavany. Mais nous ne faisons que cela ! Peut-ĂȘtre ne le ressentez-vous pas, comme lorsque le rapporteur a l’impression de nous entendre exprimer pour la premiĂšre fois aujourd’hui une prise de position que nous avons pourtant rĂ©pĂ©tĂ©e plusieurs fois publiquement depuis que le dĂ©bat sur le port du voile intĂ©gral a commencĂ©. Les musulmans de France ont toujours cherchĂ© Ă  promouvoir un islam rĂ©publicain, apaisĂ© – c’est d’ailleurs ce qui a permis la crĂ©ation, en 2003, du CFCM. Les organisations regroupĂ©es au sein du Conseil, bien que leurs sensibilitĂ©s soient diverses et qu’elles aient parfois des divergences, se sont mises d’accord sur le texte que le prĂ©sident Moussaoui a portĂ© Ă  votre connaissance et dans lequel nous disons Ă  nouveau que le port du voile intĂ©gral n’est pas une prescription religieuse. Du matin au soir, les imams et les autoritĂ©s religieuses font tout ce qu’ils peuvent pour que les musulmans de France s’intĂšgrent dans la sociĂ©tĂ© française – c’est ce que nous demandons. M. Glavany a parlĂ© du port du voile intĂ©gral comme de l’expression d’un islam radical, et Mme Hoffman-Rispal a fait part de sa gĂȘne quand elle croise une femme ainsi vĂȘtue. Je peux la comprendre mais, cela dit, la rue est un espace public, si bien que se pose la question de la libertĂ© individuelle. Cette libertĂ© a certes des limites, celles des atteintes Ă  l’ordre public – mais je ne vais pas me lancer dans un cours de droit alors que d’éminents juristes l’ont fait devant vous avant moi. Les imams, les autoritĂ©s religieuses, M. Moussaoui dĂšs que le dĂ©bat s’est engagĂ© et M. Boubakeur, recteur de la Grande mosquĂ©e de Paris, plusieurs fois, tous l’ont dit le port du voile intĂ©gral n’est pas une prescription religieuse. Nous le redisons. Vous nous tendez la main ; notre collaboration vous est acquise. Nous n’avons rien Ă  imposer et nous ne demandons pas de privilĂšges – nous sommes des Français de confession musulmane qui voulons toute notre place dans la sociĂ©tĂ© française. Mme George Pau-Langevin. Il est essentiel, avez-vous dit, que chacun prenne en compte, dans l'exercice de sa pratique religieuse ou culturelle, la perception de cette pratique par le reste de la sociĂ©tĂ© ». Dans le mĂȘme temps, vous avez insistĂ© sur la nĂ©cessitĂ© de ne pas stigmatiser. Mais alors, comment nous conseillez-vous d’agir pour faire rĂ©gresser ces pratiques non seulement par la loi mais aussi par des maniĂšres d’intervenir auprĂšs de la population concernĂ©e ? M. Mohammed Moussaoui. Je tiens Ă  souligner que rien dans mes propos ne tendait Ă  stigmatiser votre mission d’information, tant s’en faut j’ai parlĂ© de la nĂ©cessitĂ© de dĂ©battre. J’ai dit, aussi, que les imams et les autoritĂ©s religieuses musulmanes de France travaillent Ă  promouvoir l'islam de la modĂ©ration et du juste milieu pour cantonner ce phĂ©nomĂšne marginal et donc pour le faire rĂ©gresser. Mme Pau-Langevin l’a rappelĂ©, j’ai Ă©voquĂ© le difficile Ă©quilibre entre la libertĂ© individuelle et la perception de sa pratique religieuse ou culturelle par le reste de la sociĂ©tĂ©. Ce besoin d’équilibre a d’ailleurs conduit les pouvoirs publics Ă  restreindre le port de signes religieux distinctifs par les fonctionnaires. Pour nous, les seules rĂšgles normatives qui s’imposent Ă  tous les citoyens sont les lois de la RĂ©publique et non les rĂšgles religieuses. Vous demandez, Monsieur Glavany, que nous vous aidions. Nous le faisons par notre travail quotidien, qui est d’abord de rechercher le bien-ĂȘtre de la communautĂ© musulmane de France, et nous sommes convaincus que le vivre ensemble » impose Ă  tous et Ă  toutes de tenir compte de la perception que les autres ont des pratiques que l’on adopte. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Quand nous avons dĂ©cidĂ© de crĂ©er une mission d’information sur le voile intĂ©gral, nous Ă©tions conscients que ce phĂ©nomĂšne vestimentaire minoritaire n’était que la partie visible de dĂ©rives existant dans certains territoires et inacceptables au regard des lois de la RĂ©publique et du principe de laĂŻcitĂ© Ă  cĂŽtĂ© du problĂšme des femmes voilĂ©es venant chercher leurs enfants Ă  l’école, nous sommes confrontĂ©s Ă  la production par les parents de certificats de complaisance pour que des jeunes filles adolescentes ne fassent pas de sport pour des motifs religieux et mĂȘme Ă  des cas oĂč elles sont exonĂ©rĂ©es de l’école publique. Pouvons-nous faire un bout de chemin ensemble et dĂ©noncer, chacun de notre cĂŽtĂ©, de telles dĂ©rives, pour minoritaires, intĂ©gristes, extrĂ©mistes – peu importe le terme que l’on emploiera – qu’elles soient ? Peut-on imaginer avoir, chacun dans notre responsabilitĂ©, une parole forte pour au moins condamner les contraintes vestimentaires et autres imposĂ©es aux jeunes filles mineures ? Ce n’est pas la premiĂšre fois que vous exprimez votre position sur la question du voile intĂ©gral, Monsieur le prĂ©sident du Conseil français du culte musulman, mais, devant notre mission, elle revĂȘt plus de force et nous l’entendons mieux. Et tant mieux si les choses sont plus claires. Mais il nous faut aller plus loin car le sens de la mission, si nous voulons dĂ©boucher sur des prĂ©conisations, est de faire le tour de toutes les questions qui se posent dans la vie quotidienne. Je reprends un peu diffĂ©remment la question de Jean Glavany que pouvons-nous faire ensemble, quelle parole forte pouvons-nous donner, chacun Ă  notre niveau, pour que tous les citoyens – et tous les musulmans pratiquants en particulier – l’entendent ? Au-delĂ  de la question des femmes majeures qui, soi-disant, dĂ©cident de maniĂšre volontaire de porter un voile intĂ©gral – ce sur quoi nous Ă©mettons beaucoup de rĂ©serves ; mais je ne veux pas ouvrir un dĂ©bat Ă  ce sujet –, il est, dans certains territoires trĂšs prĂ©cis, toute une sĂ©rie de pratiques inacceptables, rĂ©trogrades, voire archaĂŻques, qu’il faudrait que nous examinions ensemble de maniĂšre prĂ©cise et constructive afin d’éviter toute confusion. La confusion et le malaise dans la sociĂ©tĂ© et parmi les musulmans existaient avant la constitution de la mission. Il est exact que le rouleau compresseur mĂ©diatique et la turbulence qui a eu lieu au mois de juin et au dĂ©but du mois de juillet ont perturbĂ© les esprits. Mais le malaise existait avant. Dans la rĂ©gion lyonnaise, pour parler de ce que je connais le mieux, beaucoup de musulmans ne supportent pas la pratique du port du voile intĂ©gral mais ne savent pas forcĂ©ment ce qu’il faut faire. Le dialogue que nous avons aujourd’hui est trĂšs important. Il devra dĂ©boucher sur des signes forts permettant Ă  l’islam respectueux des lois de la RĂ©publique et du principe de laĂŻcitĂ© de trouver sa place dans notre pays, sur un pied d’égalitĂ© avec les autres religions et dans des conditions dignes du XXIe siĂšcle. M. Jean-Pierre Dufau. Les questions que nous nous posons sont celles qui se posent Ă  notre sociĂ©tĂ©. Elles ne datent pas d’aujourd’hui. Nous ne sommes pas les premiers et nous ne serons pas, hĂ©las, les derniers Ă  nous interroger sur les relations entre le religieux, le civil, le laĂŻc et le pouvoir politique. Si je puis me permettre cette expression, ce sont des questions Ă©ternelles. Et, pour reprendre une formule de Woody Allen, l’éternitĂ©, c’est long, surtout vers la fin. Vous avez expliquĂ©, Monsieur le prĂ©sident du Conseil français du culte musulman, que, pour la majoritĂ© des thĂ©ologiens musulmans, le port du voile intĂ©gral n’est pas une prescription religieuse. Mais, vous avez employĂ© une belle expression vous avez reconnu que cette pratique pouvait revĂȘtir une connotation religieuse ». Si vous admettez qu’elle puisse avoir pour certaines personnes une connotation religieuse, il est facile d’admettre, de façon symĂ©trique que, pour ceux qui voient cette pratique, elle puisse Ă©galement avoir une connotation religieuse, cette derniĂšre n’étant pas Ă  sens unique. Mais lĂ  n’est pas le problĂšme le plus important car ce qui compte, ce n’est pas la thĂ©orie, mais les faits. Et les faits sont tĂȘtus. Le caractĂšre intĂ©griste de certaines manifestations a Ă©tĂ©, Ă  juste titre, soulignĂ©. Mais je prĂ©cise tout de suite, pour que les choses soient claires, que c’est le phĂ©nomĂšne de l’intĂ©grisme en gĂ©nĂ©ral que nous combattons, quelles que soient les peintures qu’il arbore car, derriĂšre l’intĂ©grisme, il y a l’intolĂ©rance et chacun a ses intĂ©gristes. Donc, que le monde musulman ne se sente pas stigmatisĂ© lorsqu’on traite de sujets qui ont une valeur gĂ©nĂ©rale et qui dĂ©passent nos propres croyances et nos propres convictions parce qu’ils sont universels. Vous avez prĂ©cisĂ© un point important Ă  savoir qu’il n’était pas exclu que les femmes qui portent le voile intĂ©gral l’enlĂšvent pour les actes de la vie civile – j’emploie ces mots Ă  dessein –, c’est-Ă -dire pour vĂ©rification de leur identitĂ©. IntĂ©ressant dĂ©veloppement. Cela veut dire que la vie civile impose des rĂšgles, qui s’appliquent Ă  certains moments. Continuons dans cette voie et examinons quelles sont les rĂšgles nĂ©cessaires pour vivre ensemble, pour vivre en sociĂ©tĂ©, pour avoir une vie civile commune. Il y a des frontiĂšres au fait religieux ou Ă  la connotation religieuse. Quelles sont-elles ? Comment peut-on les Ă©largir, la tendance actuelle Ă©tant plutĂŽt de supprimer toute frontiĂšre ? Vous avez Ă©voquĂ© la profanation de tombes musulmanes. De tels actes sont intolĂ©rables et l’AssemblĂ©e nationale, unanime, les condamne Ă  chaque fois qu’ils se produisent. Mais, comme l’ont soulignĂ© mes collĂšgues, ce phĂ©nomĂšne – d’autant plus infĂąme dans le contexte que vous avez dĂ©crit – touche aussi bien les cimetiĂšres musulmans que les cimetiĂšres juifs et mĂȘme les cimetiĂšres catholiques. Il est le fait, lĂ  encore, d’intĂ©gristes ou d’imbĂ©ciles. Il ne faut pas y voir une stigmatisation particuliĂšre de toute une sociĂ©tĂ©. Nous sommes, bien sĂ»r, attentifs Ă  l’islamophobie mais ce sont toutes les xĂ©nophobies que nous combattons, sans distinction. Le racisme est unanimement combattu. Mais l’histoire fournit tant d’exemples de guerres endurĂ©es par l’humanitĂ© au nom de religions qui prĂ©tendent refuser le racisme que l’on est en droit de se poser des questions sur les pratiques religieuses dĂ©formĂ©es ou les croyances dĂ©formĂ©es. Par ailleurs, sauf erreur de ma part, le voile intĂ©gral concerne essentiellement les femmes et les enfants, c’est-Ă -dire des ĂȘtres auxquels on ne confĂšre pas, pour des raisons diverses, une autonomie propre, une personnalitĂ© propre, une indĂ©pendance propre. Cela remet en cause le principe d’égalitĂ© rĂ©publicain pour lequel nous nous battons et nous fait revenir au Moyen-Âge. Nous admettons certes le droit Ă  la diffĂ©rence, comme vous aimez Ă  le souligner, mais Ă  condition qu’il soit un progrĂšs vers la tolĂ©rance. Nous considĂ©rons, par contre, que le culte de la diffĂ©rence – si je puis employer ce terme ; j’aime beaucoup les mots Ă  double sens – peut ĂȘtre nuisible car, Ă  force de mettre en avant les diffĂ©rences, on oppose au lieu de rassembler, ce qui n’est pas le but. Respectons les diffĂ©rences mais ne les cultivons pas. Encourageons plutĂŽt le socle commun qui permet l’exercice de ces diffĂ©rences. Dans La Dame de pique de Pouchkine, un joueur explique qu’il ne peut risquer le nĂ©cessaire pour gagner le superflu. » Gardons donc ce qui est nĂ©cessaire avant de nous occuper du superflu. Enfin, mĂȘme si je respecte les diffĂ©rences, il me semble que ce que nous avons en commun est plus important. AprĂšs toutes ces considĂ©rations, mes questions sont simples. La premiĂšre est directe pensez-vous que la loi – sans aucun esprit de stigmatisation – soit une bonne rĂ©ponse ? Si tel n’est pas le cas, comme le laisse penser votre dĂ©veloppement, quelles prĂ©conisations faites – vous ? Ma seconde question reprend celle de Jean Glavany que pouvez-vous faire pour nous aider ? Ne dit-on pas aidons-nous les uns les autres » ? Mme BĂ©rengĂšre Poletti. Vous avez parlĂ© de vivre-ensemble. C’est une trĂšs belle expression. Mais que reprĂ©sente-t-elle pour les femmes qui dĂ©cident de se voiler ? Ce sont elles – elles ou ceux qui leur prescrivent cette pratique – qui refusent de vivre ensemble. Si vous dĂ©fendez le vivre-ensemble, vous devez condamner ceux qui le refusent. Vous nous demandez, au nom du respect des libertĂ©s individuelles, de tolĂ©rer que l’on prive des femmes de leurs libertĂ©s ? J’ai tendance Ă  penser que vous raisonnez ainsi parce qu’il s’agit de femmes. Si c’était des hommes qui se promenaient ainsi vĂȘtus, je ne crois pas que le raisonnement serait tout Ă  fait le mĂȘme. Je pense, comme Jean Glavany, que nous sommes en prĂ©sence d’une dĂ©rive intĂ©griste, voire d’une dĂ©rive sectaire. Quand il dit que nous avons besoin que vous nous aidiez, cela signifie que nous avons besoin que vous utilisiez ces mots. Vous ne les avez pas encore employĂ©s depuis tout Ă  l’heure. Nous avons besoin que vous disiez que les gens qui se comportent de la sorte le font au nom d’un intĂ©grisme qui, non seulement ne vous concerne pas, mais nuit Ă  ceux que vous reprĂ©sentez. Nous avons vraiment besoin que vous condamniez cette pratique. Vous dites qu’elle est marginale. Le nombre de femmes portant le voile intĂ©gral est faible, c’est exact, mais il croĂźt partout de maniĂšre inquiĂ©tante, en France, en Europe et dans les pays musulmans oĂč l’on voit certains dirigeants la condamner et l’interdire. De plus, ce n’est pas un phĂ©nomĂšne unique. Le port du voile intĂ©gral n’est pas la seule atteinte aux libertĂ©s des femmes. On leur interdit Ă©galement de se faire examiner par des hommes dans les hĂŽpitaux ou lors de consultations mĂ©dicales, d’occuper des postes hiĂ©rarchiques dans la sociĂ©tĂ© – les hommes musulmans n’acceptent pas, par exemple, de se faire contrĂŽler par une femme dans les transports en commun –, d’avoir une pratique sportive en prĂ©sence d’hommes. Elles sont cernĂ©es de toute part. En France, une loi interdit les sectes car ces derniĂšres manipulent les esprits. Je suis persuadĂ©e que la pratique du port du voile intĂ©gral et les autres interdits imposĂ©s aux femmes sont des dĂ©rives sectaires. C’est une manipulation des esprits, qui concerne en premier lieu ceux qui pratiquent la religion musulmane on leur fait croire que, au nom de cette religion, il faut se soumettre Ă  des pratiques qui conduisent Ă  priver les leurs de libertĂ©s. Ces privations de libertĂ©s concernent, d’abord, les femmes mais elles s’étendront ensuite aux hommes. Je voudrais que vous parliez clairement d’intĂ©grisme, de dĂ©rives sectaires Ă  propos de ces pratiques et que vous les condamniez. Sinon, vous ne nous aidez pas. M. Éric Raoult, rapporteur. Le CFCM doit avoir Ă  la RĂ©union une reprĂ©sentation qui lui a fait remonter l’information sur ce qui s’est passĂ© sur cette Ăźle il y a quelques annĂ©es un certain nombre de burqas Ă©tant apparues, liĂ©es parfois aux pays d’origine, les musulmans de Saint-Pierre se sont rĂ©unis et ont dĂ©cidĂ© d’informer les jeunes femmes musulmanes concernĂ©es que leur pratique minoritaire portait un prĂ©judice Ă  l’ensemble de la communautĂ© musulmane de l’üle. Et ces jeunes femmes ont retirĂ© leur burqa. Pensez-vous qu’il puisse y avoir, face Ă  une loi que vous ne souhaitez pas, une prĂ©conisation du CFCM au sujet du voile intĂ©gral, comme il en existe Ă  l’égard des collectivitĂ©s locales pour les cimetiĂšres ou les protocoles alimentaires des cantines, par exemple ? Le CFCM a-t-il pouvoir, dans ses statuts, de faire passer un message comme celui qui a Ă©tĂ© donnĂ© Ă  la RĂ©union ? M. Anouar Kbibech. Je souhaite revenir sur plusieurs interpellations. PremiĂšre interpellation le CFCM considĂ©rerait que la mission d’information stigmatise l’islam. Ce n’est pas du tout notre propos. Ce que le prĂ©sident Moussaoui a regrettĂ©, c’est la tournure prise par le dĂ©bat en dehors de la mission, l’emballement mĂ©diatique qui s’en est suivi et qui nous a totalement surpris et a mĂȘme dĂ©passĂ© tout le monde, et non la mission parlementaire, que nous respectons. DeuxiĂšme interpellation le CFCM est-il prĂȘt Ă  vous aider ? Mais il ne fait que cela, et il l’a fait bien avant que la mission d’information ne soit Ă©tablie. J’ai Ă©tĂ© prĂ©sident du CRCM – conseil rĂ©gional du culte musulman – Ile-de-France Est pendant cinq ans. Constatant qu’un certain nombre de femmes portaient le voile intĂ©gral dans les villes d’Evry, de Corbeil-Essonnes et de Longjumeau, nous avons dialoguĂ© avec elles. À ces femmes, souvent jeunes et françaises de souche, nous avons inculquĂ© le vrai message de l’islam, de l’islam du juste milieu comme cela a Ă©tĂ© prĂ©cisĂ© dans la dĂ©claration du prĂ©sident du CFCM. Et je peux vous dire que cela marche. Au bout de deux ou trois ans, certaines femmes ont abandonnĂ© cette tenue. Le CFCM et les CRCM, qui sont la dĂ©clinaison de celui-ci dans les rĂ©gions, n’ont jamais encouragĂ© cette pratique, bien au contraire. Cela Ă©tant, pouvons-nous, en tant que CFCM, qualifier telle ou telle croyance ou telle ou telle pratique ? Nous considĂ©rons que nous n’en avons pas le droit car nous risquerions d’ĂȘtre confrontĂ©s Ă  la libertĂ© individuelle libertĂ© religieuse, libertĂ© de pratique, libertĂ© d’interprĂ©tation. En revanche, notre action et notre responsabilitĂ© – nous l’avons dit et nous le redisons –, c’est Ă  la fois le dialogue, la persuasion et la conviction. Par rapport Ă  cette position et cette action, nous vous le disons clairement nous considĂ©rons, au sein du CFCM, que lĂ©gifĂ©rer sur cette question serait totalement contre-productif parce que cela ferait Ă©voluer des positions peut-ĂȘtre radicales vers encore plus de radicalisation. Nous constatons dĂ©jĂ  une telle Ă©volution une certaine solidaritĂ© est en train de se manifester de la part de ceux qui ne sont pas forcĂ©ment favorables au port du voile intĂ©gral Ă  l’égard des femmes et des jeunes filles qui le portent. L’action du CFCM est plutĂŽt axĂ©e sur la persuasion et la force de conviction. Nous sommes tout Ă  fait prĂȘts Ă  vous accompagner dans une parole forte commune ou concomitante, chacun selon ses responsabilitĂ©s et sa spĂ©cificitĂ©. Nous sommes entiĂšrement – je vous le dis solennellement – solidaires avec vous. Par contre – je le rĂ©pĂšte –, lĂ©gifĂ©rer serait totalement contre-productif. De plus, nous ne voyons pas comment une loi sur ce sujet pourrait ĂȘtre appliquĂ©e. Notre travail pĂ©dagogique s’appuie sur un Ă©lĂ©ment important de la religion musulmane. Dans un verset du Coran, il est dit Nulle contrainte en religion ». Personne ne peut ĂȘtre contraint Ă  telle ou telle pratique ou Ă  telle ou telle conviction et encore moins des petites filles de six ans. Nous avons dĂ©jĂ  commencĂ© ce travail pĂ©dagogique et nous souhaitons le continuer avec vous pour rectifier certaines interprĂ©tations et essayer de gĂ©nĂ©raliser l’avis de la grande majoritĂ© des thĂ©ologiens musulmans. Il ne revient pas au CFCM de donner une qualification Ă  la pratique du port du voile intĂ©gral. Vous avez employĂ© les termes de dĂ©rive sectaire. Encore faut-il savoir ce qu’est une secte. Dans la position commune du CFCM, nous reconnaissons qu’une certaine interprĂ©tation des textes existe, minoritaire, sur laquelle nous sommes prĂȘts Ă  travailler dans le dialogue, la persuasion et l’information. M. Haydar Demiryurek. Pour que nous vous aidions, il faut que la reprĂ©sentation nationale nous aide aussi dans la lutte contre l’islamophobie. Pour que les musulmans s’approprient la RĂ©publique et ses lois, il faut que des signaux forts leur soient adressĂ©s. Dans beaucoup de villes, des projets de grandes mosquĂ©es apparaissent ce sont des signes trĂšs forts pour les musulmans. Cela montre qu’ils ont toute leur place en tant que citoyens au sein de la communautĂ© nationale et que, dans le cadre du vivre-ensemble, les pas nĂ©cessaires sont rĂ©alisĂ©s pour le dĂ©montrer. Le fait de lĂ©gifĂ©rer sur le port du voile intĂ©gral aura pour consĂ©quence de rendre le phĂ©nomĂšne moins visible. La femme voilĂ©e n’apparaĂźtra pas sur la place publique mais nous ne sommes pas persuadĂ©s que cela fasse reculer le phĂ©nomĂšne. Imposer cette pratique aux enfants et aux adolescentes est, bien entendu, condamnable et nous sommes les premiers Ă  le dĂ©noncer. Mais je pense que les lois sociales et les mesures de protection de l’enfance permettent de lutter efficacement contre ce genre d’agissement. M. Fouad Alaoui. Mon intervention va dans le mĂȘme sens que celle du secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du CFCM, M. Kbibech. PremiĂšrement, il ne faut pas qu’on perde de vue le fait que nous Ă©tudions le comportement de citoyens qui, pour minoritaire qu’il soit, existe et que celui-ci s’inscrit dans un contexte de mondialisation, non seulement Ă©conomique, mais aussi culturelle, idĂ©ologique et religieuse. Des dĂ©bats ont eu lieu et des Ă©tudes ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es sur l’influence des avis religieux qui circulent sur Internet ou dans les revues personne n’a plus de contrĂŽle sur rien, ce qui place les instances qui composent le CFCM devant un dĂ©fi et complique le travail quotidien rĂ©alisĂ© par les autoritĂ©s religieuses musulmanes en France dans les mosquĂ©es et les associations, d’autant que les moyens du CFCM ne sont pas Ă©normes. La pratique religieuse n’est pas nĂ©cessairement dictĂ©e par une organisation bien dĂ©terminĂ©e mais peut ĂȘtre influencĂ©e par la mondialisation que nous subissons tous. L’interrogation qui est Ă  l’origine de la crĂ©ation de votre mission d’information, non seulement est lĂ©gitime, mais est Ă©galement la nĂŽtre. Un dĂ©bat existe au sein des musulmans eux-mĂȘmes depuis plusieurs dĂ©cennies Ă  propos de cette pratique issue d’une lecture de l’islam. Quelle est la solution ? Peut-on trancher entre plusieurs lectures de l’islam par une disposition lĂ©gislative ? Peut-on mĂȘme trancher du point de vue religieux ? Nous avons acquis la conviction que non. Notre seule arme est la pĂ©dagogie et l’éducation, que nous utilisons depuis toujours. Nous nous fondons, pour ce faire, sur un Ă©lĂ©ment fondamental, Ă  savoir qu’un avis minoritaire ne peut ĂȘtre adoptĂ© que s’il rĂ©pond Ă  deux objectifs adaptation Ă  un contexte particulier – une telle adaptation est nĂ©cessaire et est mĂȘme dictĂ©e par la religion musulmane – et recherche d’un intĂ©rĂȘt commun. Sur le sujet dont nous dĂ©battons aujourd’hui, les principales Ă©coles juridiques musulmanes s’accordent Ă  dire que les deux objectifs recherchĂ©s ne sont pas atteints. Cette lecture de l’islam et la pratique religieuse qui en dĂ©coule ne tendent ni Ă  une adaptation par rapport Ă  un contexte, ni Ă  la recherche d’un intĂ©rĂȘt commun. Au contraire, les femmes qui dĂ©cident d’adopter une telle pratique religieuse s’excluent elles-mĂȘmes de la sociĂ©tĂ©. Or l’islam n’autorise pas l’exclusion de la sociĂ©tĂ©. De notre point de vue, nous ne pouvons intervenir qu’à travers la dĂ©marche pĂ©dagogique, l’information et l’instruction. La lecture de l’islam qui prĂŽne le port du voile intĂ©gral pour les femmes prĂŽne Ă©galement un habit spĂ©cifique pour les hommes et considĂšre que le fait de porter un costume et une cravate met ces derniers en dichotomie par rapport Ă  la religion. Les hommes qui dĂ©cident d’adopter une telle lecture se mettent Ă  l’écart de la sociĂ©tĂ©. Mais, cela ne les dĂ©range pas. Au contraire, pour eux, c’est Ă  la sociĂ©tĂ© d’épouser ce qu’ils pensent ĂȘtre bon. Ce n’est pas spĂ©cifique Ă  la religion musulmane. Cela a existĂ© dans d’autres courants, dans d’autres mouvements. Nous devons comprendre ce qui se passe et trouver des solutions adĂ©quates. Lors du dĂ©bat sur le foulard en 2004, ceux qui ont cette lecture littĂ©raliste, minoritaire et extrĂȘme de l’islam reprochaient aux femmes qui portaient le hijab de vouloir faire plaisir car, pour eux, le foulard Ă©tait une concession par rapport Ă  une norme beaucoup plus authentique, qui Ă©tait le voile intĂ©gral. AprĂšs le vote de la loi, ces mĂȘmes personnes se sont indignĂ©es que ce qu’elles considĂ©raient comme une concession soit Ă©galement interdit. Ce dĂ©bat existe au sein des musulmans en France, en Europe et mĂȘme dans les pays musulmans. Je ne pense pas que ce soit par une mesure lĂ©gislative qu’on puisse le rĂ©soudre. M. Chems-Eddine Hafiz. N’ayant sans doute pas osĂ© nous accuser d’employer un double langage ou de tenir des propos ambigus, Mme Poletti nous a reprochĂ©, de façon trĂšs franche, de ne pas rĂ©pondre aux attentes de la mission. Je lui rĂ©ponds de maniĂšre aussi ferme que la femme ne peut pas ĂȘtre contrainte, humiliĂ©e ou stigmatisĂ©e au nom de l’islam, et encore moins les enfants et les adolescents. J’espĂšre avoir ainsi rĂ©pondu Ă  son attente. Si M. le prĂ©sident du CFCM a demandĂ© que soit dĂ©noncĂ©e la stigmatisation des musulmans en France, c’est parce qu’un amalgame est actuellement fait. DĂšs qu’un acte dĂ©lictueux ou criminel est accompli par une personne portant un prĂ©nom ou un nom d’origine arabo-musulmane, on dit que c’est au nom de l’islam. Vous avez reçu la prĂ©sidente de Ni putes Ni soumises » qui vous a affirmĂ© ĂȘtre musulmane. Nous le concevons. Mais, pourquoi s’exprime-t-elle au nom de Sohane Benziane et de Samira Bellil ? J’ai Ă©tĂ© l’avocat de la famille Benziane. Le garçon qui a brĂ»lĂ© Sohane est un petit voyou qui a Ă©tĂ© traduit devant la cour d’assise et a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  dix-huit ans de rĂ©clusion criminelle. Ce n’est pas parce qu’il s’appelle Derrar qu’on doit dire que c’est un musulman qui a Ă©tĂ© condamnĂ©. De mĂȘme, ce n’est pas au nom de l’islam que la jeune Bellil a Ă©tĂ© victime de tournantes. Lorsque, dans la rue, un jeune garçon du nom de Mohammed a la casquette Ă  l’envers et parle verlan, ce n’est pas au nom de l’islam. C’est le signe qu’il y a un problĂšme de comportement, voire de sociĂ©tĂ©. En islam, la femme n’est pas soumise Ă  des contraintes. Elle a toujours eu un rĂŽle exceptionnel dans cette religion. La premiĂšre Ă©pouse du ProphĂšte, Khadija, en est un bon exemple. ArrĂȘtons d’affirmer que les femmes qui portent le voile intĂ©gral le font sous la contrainte. ProcĂ©dons Ă  un travail d’enquĂȘte. Nous sommes Ă  votre disposition pour le faire ensemble. À chaque fois qu’une femme portera le voile intĂ©gral de façon forcĂ©e, nous irons ensemble faire auprĂšs d’elle un travail de pĂ©dagogie pour la convaincre de l’enlever. Les libertĂ©s individuelles, dont la libertĂ© de religion, sont des notions qui existent aujourd’hui et qui sont encadrĂ©es. Vous voyez dans la pratique du port du voile intĂ©gral une dĂ©rive sectaire. Bien qu’il n’existe pas de dĂ©finition des dĂ©rives sectaires – et je suis juriste ; je sais de quoi je parle – nous ne pouvons nous opposer Ă  une telle assimilation. Mais, comme l’a fait remarquer M. Glavany, le voile intĂ©gral est liĂ© Ă  une certaine forme d’islam comme le dopage est liĂ© au cyclisme et le hooliganisme au football. Et tous les dĂ©rapages sont Ă  dĂ©noncer. Le PrĂ©sident de la RĂ©publique a annoncĂ© Ă  Versailles que la burqa n’était pas la bienvenue en France. En mĂȘme temps, quand vous nous voyez tous en costume-cravate, vous savez que nous n’allons pas crĂ©er un vĂȘtement spĂ©cifique pour les musulmans. C’est pourquoi, nous vous demandons, quand une femme veut porter le voile intĂ©gral, de le lui permettre au nom de la libertĂ© religieuse. J’espĂšre, Madame Poletti, avoir rĂ©pondu Ă  vos interrogations. Votre hochement de tĂȘte m’indique le contraire. Je vous ai quand mĂȘme apportĂ© des rĂ©ponses prĂ©cises. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. L’important n’est pas de se convaincre les uns, les autres mais que le dĂ©bat soit ouvert et que vous soyez lĂ . Mme BerengĂšre Poletti. Je ne doute pas, Monsieur Hafiz, qu’il y ait des femmes qui veulent porter le voile intĂ©gral les femmes peuvent ĂȘtre aussi intĂ©gristes que les hommes. Mais il y en a d’autres qui sont victimes de manipulation. Or, quand l’esprit est manipulĂ©, la personne peut donner l’impression de vouloir alors qu’elle ne veut pas vraiment. Quand des personnes parviennent Ă  sortir d’une secte, elles tĂ©moignent qu’elles n’agissaient pas en pleine conscience de ce qu’elles faisaient. Par ailleurs, un tissu qui cache le visage n’est pas un vĂȘtement. C’est autre chose. Une femme qui cache son visage, cache son identitĂ©. On ne la reconnaĂźt plus. Elle n’est plus personne. La libertĂ© vestimentaire ne peut s’appliquer dans un tel cas. M. Jean Glavany. Est-ce caricaturer, Monsieur le prĂ©sident du CFCM, Messieurs les vice-prĂ©sidents, Monsieur le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral, que de dire que le message que vous ĂȘtes venus nous dĂ©livrer ce matin est laissez-nous faire de la pĂ©dagogie et de l’éducation car cela marche. Une loi nous compliquerait la tĂąche » ? PremiĂšre question cela marche-t-il vraiment ? Pensez-vous que la pratique du port du voile intĂ©gral rĂ©gresse dans la sociĂ©tĂ© grĂące Ă  votre action ? Ne faut-il pas que nous vous donnions un coup de main ? DeuxiĂšme question ce qui me frappe – je vous le dis trĂšs sincĂšrement, trĂšs franchement et trĂšs amicalement –, c’est votre refus de nommer, de qualifier, de dĂ©signer ces dĂ©rives. Or, on ne peut combattre des dĂ©rives, quelles qu’elles soient, qu’en commençant par les identifier. Vous avez parfaitement raison, Monsieur le vice-prĂ©sident Hafiz nous connaissons la place remarquable et sacrĂ©e de la femme dans la religion musulmane. Mais nous savons aussi qu’il existe deux courants idĂ©ologiques qui n’ont pas la mĂȘme conception de celle-ci et qui sont Ă  la source des dĂ©rives – que je ne qualifierai pas, pour ma part, de sectaires, mais de fondamentalistes, d’intĂ©gristes, d’extrĂ©mistes – que nous dĂ©nonçons le talibanisme, venu d’Afghanistan, et le salafisme. Ces courants dĂ©veloppent une idĂ©ologie totalement incompatible avec les valeurs de la RĂ©publique. Si on ne les dĂ©signe pas comme tels, comment voulez-vous qu’on les combatte ? Je formulerai ma question de maniĂšre encore plus pressante qu’est-ce qui vous empĂȘche de le faire ? Ce refus de qualifier vient-il d’un refus de porter atteinte Ă  une libertĂ© ? Mais la libertĂ© s’arrĂȘte lĂ  oĂč commence celle des autres. N’y a-t-il pas autre chose ? La position du CFCM est-elle unanime sur cette question ? Moi je veux combattre ces idĂ©ologies, les faire rĂ©gresser, les empĂȘcher car elles sont, Ă  certains Ă©gards, barbares. Il y a dans votre attitude quelque chose de timorĂ© qui me gĂȘne. Mme DaniĂšle Hoffman-Rispal. Vous avez beaucoup parlĂ©, Messieurs, d’espace de libertĂ©. Or mon espace de libertĂ© – et vous n’avez pas rĂ©pondu sur ce point – c’est de vous regarder. Ce n’est pas d’avoir en face de moi dans le mĂ©tro une masse dont je ne sais mĂȘme pas si c’est un homme ou une femme. Nous nous sommes documentĂ©s et connaissons la belle histoire du ProphĂšte et de sa premiĂšre femme. Mais j’ai Ă©galement relu cet Ă©tĂ© le livre d’Olivia Cattan dans lequel elle dĂ©nonce toutes les formes de radicalisme religieux qui asservissent la femme. Vous n’en avez pas parlĂ©. Or, les hommes – notamment, les religieux – ont toujours eu tendance Ă  restreindre les libertĂ©s des femmes. Vous avez dit que la question du port du voile intĂ©gral est dĂ©battue au sein du monde musulman depuis des dĂ©cennies. Pourtant, il y a dix ans, je ne voyais pas de voile intĂ©gral Ă  Paris alors qu’aujourd’hui j’en vois beaucoup. Oui, la pĂ©dagogie et l’éducation sont importantes. Vous auriez mĂȘme pu dĂ©noncer l’absence de politique d’intĂ©gration de la part de l’État français dans certains quartiers trĂšs en difficultĂ©. J’aurais pu entendre ce discours. Au lieu de cela, vous nous demandez, en quelque sorte, de vous laisser faire de la pĂ©dagogie et de l’éducation. Je suis comme Jean Glavany je ne suis pas convaincue que cela ait beaucoup marchĂ©. Envisagez-vous de publier en sortant d’ici un communiquĂ© de presse pour dire officiellement que la libertĂ© de la femme doit ĂȘtre respectĂ©e ? Si, Ă  chaque fois qu’un mĂ©decin manque de recevoir un coup parce qu’il tente de soigner une femme, vous publiez un communiquĂ© pour dĂ©noncer de telles pratiques, cela nous aiderait dans notre combat. En effet, je considĂšre que, quand une femme est en danger, lors d’un accouchement, et que la seule personne prĂ©sente pouvant la sauver est un homme, celui-ci a le droit de faire son mĂ©tier, d’autant qu’il a fait des Ă©tudes pour cela ! Vous nous dĂ©conseillez de lĂ©gifĂ©rer. Mais c’est un problĂšme rĂ©publicain. Il concerne la sociĂ©tĂ© française dans son ensemble. Si nous ne faisons rien, les choses iront en s’aggravant, pour tout le monde. M. Éric Raoult, rapporteur. Monsieur le prĂ©sident du CFCM, Messieurs les vice-prĂ©sidents, Monsieur le secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral, nous avons bien notĂ© que vous rĂ©clamiez un geste fort condamnant l’islamophobie afin de montrer aux musulmans de France, non seulement qu’on ne les montre pas du doigt, mais encore qu’ils ne sont pas les seuls concernĂ©s par notre dĂ©marche. DeuxiĂšmement, si nous lĂ©gifĂ©rons, nous pouvons interdire le voile intĂ©gral comme nous pouvons simplement prendre une disposition autorisant les vĂ©rifications d’identitĂ© dans l’espace public. Les lois ne sont pas uniquement pĂ©nales et rĂ©pressives. Les personnes qui ont cassĂ© des vitrines Ă  Poitiers n’étaient pas musulmanes. Elles avaient la tĂȘte couverte. Elles doivent ĂȘtre rĂ©primĂ©es pour les dĂ©gĂąts qu’elles ont causĂ©s. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Pour la mission parlementaire et la reprĂ©sentation nationale, il est important que cette pratique minoritaire soit caractĂ©risĂ©e. Comme je l’ai dit en introduction, nous la dissocions de la religion et de la pratique de l’islam dans l’esprit qu’a rappelĂ© M. le prĂ©sident du CFCM. Mais, pour la combattre, il faut, d’abord, clairement l’identifier. DeuxiĂšmement, le travail de pĂ©dagogie doit ĂȘtre public. DerriĂšre le phĂ©nomĂšne du port du voile intĂ©gral se cache toute une sĂ©rie d’évolutions nĂ©gatives – contraintes sur les jeunes filles concernant leurs relations amoureuses, interdiction de consulter le planning familial, etc. – qui touchent l’espace public et la vie civile et sur lesquelles nous avons des choses Ă  dire ensemble, mĂȘme si nous le faisons de maniĂšre dissociĂ©e. Nous devons affirmer haut et fort que de telles situations sont inacceptables et sont contraires Ă  l’idĂ©e que nous nous faisons d’un islam respectueux des lois de la RĂ©publique et du principe de laĂŻcitĂ©. Si nous intervenons, comme nous le souhaitons, dans le cadre de nos responsabilitĂ©s publiques et politiques et non sur l’aspect religieux et de l’islam, ce sont des sujets que nous devons pouvoir traiter ensemble. Pour aider Ă  caractĂ©riser l’idĂ©ologie responsable des dĂ©rives auxquelles nous assistons et qui, sur beaucoup d’aspects, prĂ©sente, comme l’a soulignĂ© Jean Glavany, un caractĂšre barbare, je citerai quelques thĂšmes dĂ©veloppĂ©s par l’imam Bouziane en 2004 lapidation des femmes, discours anti-blancs et antirĂ©publicain, supĂ©rioritĂ© de la loi de Dieu sur celle de la RĂ©publique. Je pense que nous sommes d’accord pour trouver ces propos totalement inacceptables et, mĂȘme si nous ne disons pas les choses de la mĂȘme maniĂšre et avec les mĂȘmes mots, il est important que nous les dĂ©noncions pour que tout le monde comprenne bien le sens de cette mission d’information du Parlement. M. Fouad Alaoui. Qui a suivi l’imam Bouziane ? Personne. M. Chems-Eddine Hafiz. Il a Ă©tĂ© expulsĂ©. M. Fouad Alaoui. Aucun musulman de France n’a exprimĂ© de la sympathie ni une quelconque proximitĂ© avec une telle idĂ©ologie la rĂ©ponse des musulmans de France a donc Ă©tĂ© claire et explicite. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Je voulais caractĂ©riser ce que nous devions combattre en commun. M. Fouad Alaoui. Pourquoi voulez-vous combattre une idĂ©e qui ne trouve aucun Ă©cho ? M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Je me permets de prĂ©ciser que deux gamins de VĂ©nissieux de dix-neuf et vingt ans, du mĂȘme quartier que l’imam Bouziane, se sont retrouvĂ©s Ă  Guantanamo, aprĂšs ĂȘtre passĂ©s par des camps d’Al-Qaida en Afghanistan et au Pakistan. M. Fouad Alaoui. Qu’est-ce que deux gamins ? M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Ils avaient Ă©tĂ© influencĂ©s par le discours de gens comme l’imam Bouziane. M. Fouad Alaoui. Moi, je parle de 6 millions de citoyens. M. Jean Glavany. Vous n’en savez rien. On ne les a pas comptĂ©s. M. Fouad Alaoui. Dans leur immense majoritĂ©, les musulmans de France n’ont jamais adoptĂ© une telle lecture radicale et intĂ©griste de l’islam. Je comprends que vous cherchiez un qualificatif. Mais est-ce cela qui va rĂ©gler le problĂšme ? Je prĂ©cise dĂ©jĂ  que l’emploi du mot burqa » est impropre car c’est un vĂȘtement afghan que l’on ne voit pas en France. Est-ce que le fait de dire que le port du voile intĂ©gral est une pratique intĂ©griste et extrĂ©miste a rĂ©glĂ© le problĂšme ? Non. Il y a une Ă©glise intĂ©griste en France, et elle a le droit d’exister. La question du qualificatif n’est pas la plus importante. Ce qui importe, c’est de trouver la rĂ©ponse adĂ©quate pour garantir l’épanouissement de l’ensemble des musulmans de France qui ne cherchent qu’à pratiquer leur religion paisiblement et dignement dans l’espace rĂ©publicain. Lorsque nous nous sommes rĂ©unis au sein du Conseil français du culte musulman pour prĂ©parer cette audition, nous avons envisagĂ© l’éventualitĂ© d’une loi interdisant le port du voile intĂ©gral sur la voie publique et nous nous sommes demandĂ©s comment elle pourrait ĂȘtre appliquĂ©e. Si, malgrĂ© tout le travail de pĂ©dagogie et d’information rĂ©alisĂ©, comme je l’ai dit, depuis longtemps, en direction des femmes, par les autoritĂ©s religieuses et les responsables associatifs, une jeune femme vient nous dire Mesdames, Messieurs du CFCM, votre avis ne m’intĂ©resse pas. J’ai dĂ©cidĂ© d’opter pour une autre interprĂ©tation de l’islam et de porter le voile intĂ©gral », que ferons-nous ? Allons-nous utiliser la contrainte pour l’obliger Ă  suivre un autre avis religieux ? On ne peut utiliser la contrainte qu’en cas de trouble Ă  l’ordre public. Mme DaniĂšle Hoffman-Rispal. Il y a trouble Ă  l’ordre public ! M. Fouad Alaoui. Les Ă©meutes de Poitiers ont eu lieu dans un espace dĂ©terminĂ© et dans un contexte particulier et, si les personnes responsables de ces Ă©meutes ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©es, c’est parce qu’elles avaient troublĂ© l’ordre public. Dans la dĂ©claration du CFCM que son prĂ©sident a lue en introduction, nous constatons que le port du voile intĂ©gral ne trouble pas l’ordre public. Il y a deux types de dĂ©bat l’un aborde la question sous l’angle religieux, l’autre sous l’angle politique et social. Sur la question religieuse, nous avons essayĂ© de vous apporter l’éclaircissement du CFCM selon l’immense majoritĂ© des Ă©coles juridiques musulmanes, le port du voile intĂ©gral n’est pas une prescription religieuse. On ne peut nier, cependant, qu’une minoritĂ© prĂŽne cette pratique. Nous ne sommes pas d’accord sur la lecture de l’islam faite par cette minoritĂ©. Nous estimons que nous n’avons pas d’autre pas Ă  faire et persistons mĂȘme Ă  penser que tout autre pas au-delĂ  de la pĂ©dagogie, de l’instruction et de l’information serait contreproductif. Il nous semble important, nĂ©anmoins, de rĂ©affirmer la nĂ©cessitĂ©, pour le maintien de l’ordre public, de pouvoir procĂ©der Ă  l’identification des personnes. Il n’y a aucune divergence entre nous sur ce sujet. Le prĂ©sident du CFCM l’a prĂ©cisĂ© dans son propos liminaire. J’ai Ă©tĂ© interrogĂ© un jour sur la question des mĂšres portant un voile intĂ©gral qui viennent chercher leur enfant Ă  l’école. Un directeur d’école remettrait-il un enfant Ă  un homme cagoulĂ© se prĂ©sentant comme le pĂšre de celui-ci ? Non. A-t-on besoin de faire une loi pour lui interdire de venir chercher son enfant ? Non. Les textes existants permettent de trouver des solutions Ă  cette problĂ©matique, comme Ă  d’autres. Le problĂšme n’est pas propre Ă  la France. Dans des pays musulmans oĂč le port du voile intĂ©gral est largement rĂ©pandu, des dispositions ont Ă©tĂ© prises pour pouvoir procĂ©der Ă  une vĂ©rification d’identitĂ© lorsque la personne se prĂ©sente devant un service public ou a besoin d’ĂȘtre identifiĂ©e. La France n’a pas besoin d’avoir des dispositions spĂ©cifiques pour cela. Il suffit d’adapter celles existant dĂ©jĂ . Une loi interdisant le port du voile intĂ©gral sur l’ensemble de l’espace public serait en revanche, je le rĂ©pĂšte, contre-productive. Comme je l’ai dĂ©jĂ  dit, la grande majoritĂ© des femmes qui portent un voile intĂ©gral le font de maniĂšre volontaire et rĂ©flĂ©chie. Si vous le leur interdisez sur la voie publique, soit elles resteront chez elles, soit elles iront dans un pays qui l’autorise, comme le YĂ©men. Nous sommes contre le choix de ces femmes et contre leur façon de penser mais je considĂšre qu’on ne doit pas pousser la logique Ă  l’extrĂȘme pour aboutir Ă  des rĂ©actions de l’extrĂȘme. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Ne prĂ©jugez pas les conclusions de la mission d’information. Nous ne sommes pas chargĂ©s de prĂ©parer une loi mais nous ne fermons la porte Ă  aucune possibilitĂ©. Vous nous parlez toujours des femmes volontaires. J’aimerais qu’on parle des mineures qui, dans certains territoires de ce pays, sont soumises Ă  des contraintes contraires Ă  la RĂ©publique au nom d’une instrumentalisation de l’islam et de la religion. C’est cela que nous voulons combattre de maniĂšre forte, claire et dĂ©terminĂ©e conjointement avec vous. Je donne un exemple rĂ©cent des jeunes filles ont demandĂ© au principal de leur collĂšge de pouvoir disposer d’un vestiaire pour s’habiller comme leurs copines dans le collĂšge parce qu’elles ne peuvent pas le faire dans leur quartier. Je ne vois aucune raison nous empĂȘchant de faire un bout de chemin sur des sujets comme celui-lĂ . M. Anouar Kbibech. Comme vous avez interpellĂ© plusieurs fois le CFCM pour qu’il nomme les choses par leur nom, je reviendrai sur un Ă©lĂ©ment essentiel signalĂ© Ă  la fois par M. Moussaoui dans son propos liminaire et par M. Fouad Alaoui, Ă  savoir l’importance Ă  la fois du texte et du contexte dans l’islam ce dernier exige de tenir compte du milieu dans lequel on Ă©volue et de la sociĂ©tĂ© dans laquelle on vit. C’est ce qui conduit le CFCM Ă  proclamer haut et fort que le port du voile intĂ©gral est totalement incompatible avec les conditions du vivre-ensemble en France et mĂȘme dans un certain nombre de pays musulmans. L’exemple du cheikh Tantaoui a Ă©tĂ© citĂ©. J’apporterai simplement une correction car son interdiction du port du voile intĂ©gral ne concerne que les lycĂ©es et non les lieux publics. Cette prĂ©cision apportĂ©e, nous sommes tout Ă  fait convaincus qu’une telle tenue n’est pas compatible avec le contexte français, voire avec celui des pays musulmans. Cela Ă©tant posĂ©, je pense que nous poursuivons globalement les mĂȘmes objectifs. Nous divergeons peut-ĂȘtre sur les moyens d’y parvenir. En ce qui nous concerne, nous insistons sur le travail d’éducation, de pĂ©dagogie et d’information. J’ai donnĂ© un exemple oĂč ce travail avait Ă©tĂ© fructueux et bĂ©nĂ©fique. Mais, si nous avons Ă©teint un foyer, nous n’avons pas pour autant Ă©teint le feu. Il faut, pour cela, rĂ©flĂ©chir Ă  une dĂ©marche globale. Je me permets d’indiquer que, alors qu’il est l’instance reprĂ©sentative du culte musulman, le CFCM dispose de moyens trĂšs limitĂ©s. Donnez-lui les moyens de ses ambitions et des vĂŽtres et il saura mener ce travail sur le terrain. Pour reprendre la suggestion de Mme Hoffman-Rispal, le CFCM peut publier le texte prĂ©sentĂ© par son prĂ©sident au dĂ©but de cette audition pour faire un communiquĂ© solennel Ă  valeur pĂ©dagogique pour l’ensemble de la communautĂ© musulmane de France. Je salue Ă©galement le travail rĂ©alisĂ© par la mission d’information pour Ă©clairer l’ensemble des composantes de la communautĂ© nationale. M. le rapporteur a indiquĂ© qu’il y aurait pour la mission un avant et un aprĂšs-audition du CFCM ». Il en sera de mĂȘme pour le CFCM concernant la question de l’islamophobie. Je note une vraie prise de conscience du problĂšme. Nous sommes sur la mĂȘme longueur d’onde et mesurons l’ampleur de ce qui est en train de se passer et la nĂ©cessitĂ© d’y faire face. C’est, pour moi, un sujet de trĂšs grande satisfaction. Dernier point vous avez Ă©voquĂ© l’idĂ©e d’un communiquĂ© du CFCM. Nous pouvons publier le texte que nous avons prĂ©parĂ© pour cette audition et dont le prĂ©sident Moussaoui vous a livrĂ© la teneur. Cela aurait un effet pĂ©dagogique, comme en a d’ailleurs un le travail, que je salue, de votre mission. Mme Colette Le Moal. Vous avez dit admettre qu’une institutrice ne remette pas un enfant Ă  une femme qui refuserait de dĂ©voiler son visage. Admettez-vous aussi que, sur un marchĂ©, une commerçante refuse de servir une personne qu’elle ne peut reconnaĂźtre, son mĂ©tier consistant aussi Ă  communiquer avec ses clients ? M. Mohammed Moussaoui. Nous avons clairement dit que le CFCM a pris position contre le port du voile intĂ©gral, que nous ne considĂ©rons pas comme une prescription religieuse mais comme une pratique minoritaire. Certains dĂ©putĂ©s ont souhaitĂ© qualifier cette pratique en des termes de leur choix. Il nous semblait important d’en dĂ©finir les contours avant de la caractĂ©riser. Aussi avons-nous soulignĂ© qu’il s’agit d’une pratique minoritaire et que nous Ɠuvrons Ă  la faire rĂ©gresser, ce qui est une condamnation en soi. Si vous voulez que nous soyons plus explicites, que nous disions qu’il s’agit d’une pratique intĂ©griste parce qu’elle ne se range pas dans le juste milieu et dans la modĂ©ration que nous prĂ©conisons, nous le disons il s’agit d’une pratique extrĂȘme dont nous ne souhaitons pas qu’elle s’installe sur le territoire national. Nous avons dit aussi qu’elle empĂȘche les femmes de mener une vie sociale normale ; or, nous souhaitons que toute citoyenne et tout citoyen puissent mener une vie sociale normale. Cela dit, cette lecture trĂšs particuliĂšre de l’islam, littĂ©raliste et d’exclusion, peut ĂȘtre alimentĂ©e et amplifiĂ©e par des discriminations sociales et Ă©conomiques. Nous devons donc travailler ensemble Ă  assĂ©cher ce terreau. La question dĂ©borde donc le seul sujet du port du voile intĂ©gral, manifestation d’un mal plus profond. Je suis satisfait que la mission ait clairement Ă©noncĂ© ses objectifs que dans l’ensemble nous partageons comme nous partageons ses prĂ©occupations. Nous avons tenu Ă  introduire la question de la lutte contre l’islamophobie dans le dĂ©bat. Je le redis, pour que le message de votre mission et de ceux qui veulent combattre ces pratiques extrĂȘmes soit audible et crĂ©dible, il convient de porter une attention particuliĂšre Ă  ce phĂ©nomĂšne inquiĂ©tant, encore marginal mais qui progresse, c’est-Ă -dire l’islamophobie. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Je vous remercie. Nous garderons votre derniĂšre remarque en mĂ©moire au moment de rĂ©diger nos prĂ©conisations. Vous avez raison on ne peut proclamer que la RĂ©publique est une et indivisible et ne pas faire que cette proclamation soit suivie d’effet, que la dignitĂ© de chacune de ses composantes soit reconnue. Il est dans l’intĂ©rĂȘt commun que la sociĂ©tĂ© française soit toujours plus rassemblĂ©e. Audition de M. Denys de BĂ©chillon, professeur de droit public Ă  l’universitĂ© de Pau, membre du Club des juristes. SĂ©ance du mercredi 14 octobre 2009 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Chers collĂšgues, nous avons le plaisir d’accueillir M. Denys de BĂ©chillon, professeur de droit public Ă  l’universitĂ© de Pau, membre fondateur du Club des juristes. Monsieur de BĂ©chillon, nous souhaitons enrichir notre rĂ©flexion sur le port du voile intĂ©gral sous l’angle juridique. La question de l’interdiction par la loi d’une telle pratique se pose-t-elle ? Je rappelle que notre mission n’a pas choisi a priori la voie lĂ©gislative elle en dĂ©cidera Ă  la fin de ses travaux. Un premier Ă©clairage nous avait Ă©tĂ© apportĂ© sur ce point par le rapporteur gĂ©nĂ©ral de la commission prĂ©sidĂ©e par M. Bernard Stasi sur l’application du principe de laĂŻcitĂ©, M. RĂ©my Schwartz, pour qui une interdiction Ă©ventuelle du port du voile intĂ©gral dans l’espace public pourrait se fonder sur la notion de dignitĂ© de la personne humaine comme composante de l’ordre public. Quel est votre sentiment sur ce point ? À l’issue de votre exposĂ© introductif, nous vous poserons quelques questions. M. Denys de BĂ©chillon, professeur de droit public Ă  l’universitĂ© de Pau, membre du Club des juristes. La rĂ©flexion juridique que je vais vous infliger » vous apparaĂźtra sans doute quelque peu rĂ©barbative par rapport aux propos tenus prĂ©cĂ©demment, mais je vais m’efforcer de rendre mon exposĂ© utile, Ă  dĂ©faut d’ĂȘtre attrayant. Vous voulez approfondir votre rĂ©flexion sur la faisabilitĂ© juridique d’une prohibition du voile intĂ©gral. Je vais seulement aborder le scĂ©nario maximal, celui qui fait problĂšme sur le plan juridique, Ă  savoir une interdiction complĂšte du port du voile intĂ©gral dans la rue, Ă©tant donnĂ© que la plupart des scĂ©narios beaucoup moins ambitieux d’une prohibition partielle trouvent aujourd’hui une rĂ©ponse juridique satisfaisante, en tout cas peu problĂ©matique. Je vais en prendre quelques illustrations. Ainsi les fonctionnaires et agents publics ne peuvent dĂ©jĂ  pas, dans l’exercice de leurs fonctions, porter de signes religieux distinctifs, a fortiori de cette ampleur. ConformĂ©ment Ă  plusieurs dĂ©cisions de justice, les salariĂ©s des entreprises privĂ©es peuvent ĂȘtre soumis Ă  des contraintes trĂšs fortes en la matiĂšre Ă  partir du moment oĂč elles sont justifiĂ©es sur le terrain de l’hygiĂšne et de la sĂ©curitĂ© ou sur celui de la qualitĂ© de la relation avec la clientĂšle. Les Ă©lĂšves des Ă©coles, des collĂšges et des lycĂ©es sont dĂ©jĂ  visĂ©s par une interdiction complĂšte, en application de la loi sur le voile. J’insiste sur le fait que cette loi est destinĂ©e aux enfants, aux mineurs, dans un contexte oĂč l’État est porteur du devoir trĂšs particulier de les protĂ©ger contre les risques du prosĂ©lytisme. L’esprit de cette loi est que l’État est porteur d’une responsabilitĂ© singuliĂšre Ă  leur Ă©gard. Il est donc trĂšs logique que cette mĂȘme loi ne prĂ©voie rien de tel Ă  l’adresse des Ă©tudiants des universitĂ©s, par exemple. On n’y a plus affaire Ă  des enfants prĂ©sumĂ©s mallĂ©ables, mais Ă  de jeunes adultes dont le discernement est Ă©tabli ou doit ĂȘtre prĂ©sumĂ©. Il n’y a donc pas lieu de les protĂ©ger. J’y reviendrai. La situation de personnes placĂ©es dans l’exercice de certaines obligations dont la nature justifie une identification immĂ©diate ne pose pas non plus de problĂšme majeur. En l’état actuel de la jurisprudence, il ne fait aucun doute que la rĂ©alisation des piĂšces d’identitĂ©, en particulier des photographies, est incompatible avec un vĂȘtement de cette nature. Selon une jurisprudence trĂšs importante sur le turban sikh, par exemple, l’obligation d’ĂȘtre photographiĂ© tĂȘte nue est aujourd’hui considĂ©rĂ©e comme valable. Ne pose toujours pas de problĂšme la situation de personnes placĂ©es dans des circonstances trĂšs particuliĂšres oĂč leur identification est Ă©galement requise. Je pense au dĂ©cret de 2009, dit anti-cagoule ». Mais j’y insiste la prohibition du port d’un vĂȘtement dissimulant le visage est strictement conditionnĂ©e Ă  l’apparition de circonstances de lieu et de temps particuliĂšres, Ă  savoir la participation Ă  – ou l’immĂ©diate proximitĂ© avec – une manifestation, dans laquelle l’ordre public est immĂ©diatement menacĂ©. C’est cela et c’est cela seulement qui nĂ©cessite de voir le visage des gens. LĂ  aussi, j’y reviendrai. Ne pose pas non plus de problĂšme, en l’état actuel du droit, la gestion privĂ©e de l’identification des personnes dans les lieux placĂ©s sous vidĂ©osurveillance, car les acteurs privĂ©s du commerce sont trĂšs concernĂ©s et trĂšs immĂ©diatement agissants. On ne peut pas entrer dans une banque ou une station-service avec un casque intĂ©gral, non plus qu’avec une burqa. Tous les gĂ©rants de lieux clos et pour lesquels existe une justification d’identification des personnes pour des raisons de sĂ©curitĂ© apparaissent dĂ©jĂ  bien fondĂ©s, le cas Ă©chĂ©ant, Ă  ne pas accueillir les personnes portant la burqa s’ils ne le font pas de maniĂšre discriminatoire. En outre, certaines personnes qui sollicitent une prestation singuliĂšre de l’État sont Ă©galement dans la situation de se voir refuser la libertĂ© du port de ce signe distinctif. C’est le cas – classique, mais trĂšs problĂ©matique – des malades Ă  l’hĂŽpital, qui ne peuvent exiger d’ĂȘtre soignĂ©s dans des conditions respectueuses de leurs croyances religieuses si cela contraint abusivement le service. Par exemple, Ă  l’heure actuelle, il est possible de ne pas dĂ©fĂ©rer Ă  l’injonction d’une femme d’ĂȘtre soignĂ©e par une femme, a fortiori une femme Ă©pousant les mĂȘmes croyances religieuses. Enfin, la jurisprudence a rĂ©cemment Ă©voluĂ© sur le terrain de l’accession Ă  la nationalitĂ© française, en posant clairement que le port d’un voile pouvait ĂȘtre considĂ©rĂ© comme incompatible avec l’intention de l’acquĂ©rir. L’idĂ©e est ici qu’un signe distinctif aussi stigmatisant peut ĂȘtre pris comme une preuve d’une mauvaise intĂ©gration Ă  la sociĂ©tĂ© française, ce qui est Ă©videmment contradictoire dans un contexte oĂč il s’agit, prĂ©cisĂ©ment, de s’y intĂ©grer complĂštement. Vous le voyez, sur le plan de l’interdiction juridique, seul le cas singulier de la voie publique et de l’espace public gĂ©nĂ©ral, si j’ose dire, pose un vĂ©ritable problĂšme juridique nouveau et suscitant une attention poussĂ©e. Peut-on interdire le port de la burqa dans la rue ou dans des lieux non spĂ©cifiques ? Avant de chercher Ă  rĂ©pondre frontalement Ă  cette question, il faut avoir trĂšs prĂ©cisĂ©ment Ă  l’idĂ©e que l’analyse de la faisabilitĂ© juridique d’une telle prohibition est entiĂšrement tributaire de trois Ă©lĂ©ments. PremiĂšrement, la question qui vous prĂ©occupe aujourd’hui se pose dans un contexte assez nouveau. En effet, les lois françaises vivent aujourd’hui sous le contrĂŽle Ă©troit des juges, et ce contrĂŽle s’appliquerait Ă©videmment Ă  une loi d’interdiction du port de la burqa. Le contrĂŽle de conventionalitĂ© internationale et notamment europĂ©enne des lois par les juges ordinaires chargĂ©s de les appliquer fonctionne trĂšs bien depuis maintenant assez longtemps. Et, de fait comme de droit, le juge de Carpentras, par exemple, pourrait parfaitement refuser d’appliquer une loi de prohibition de la burqa s’il estimait qu’elle contrevenait Ă  la Convention europĂ©enne des droits de l’homme. La Cour europĂ©enne des droits de l’homme pourrait aussi ĂȘtre amenĂ©e Ă  statuer sur ce mĂȘme problĂšme dans un second temps. Par ailleurs, vous votez ces temps-ci, Mesdames et Messieurs les dĂ©putĂ©s, une loi organique qui fait aboutir le processus de mise en Ɠuvre du mĂ©canisme de contrĂŽle de constitutionnalitĂ© des lois par voie d’exception en France. Ce mĂ©canisme va permettre au Conseil constitutionnel de censurer des textes qu’il n’aurait pas prĂ©alablement examinĂ©s et dĂ©clarĂ©s conformes Ă  la Constitution. Ainsi, une loi d’interdiction de la burqa serait non seulement soumise Ă  un contrĂŽle de constitutionnalitĂ© a priori, mais aussi et surtout, si elle ne l’était pas, au contrĂŽle du Conseil constitutionnel au cours de son application. Cela change beaucoup les donnĂ©es du problĂšme. L’atmosphĂšre de fausse sĂ©curitĂ© lĂ©gislative qui a existĂ© dans ce pays autour d’un certain nombre de lois que l’on savait Ă  la limite de la constitutionnalitĂ© – mais sur lesquelles il existait un consensus politique – n’existe plus. La loi Gayssot, par exemple, a fait l’objet d’un consensus tel qu’elle n’a jamais Ă©tĂ© discutĂ©e par le Conseil constitutionnel, et on s’est satisfait du fait qu’elle ne serait pas contrĂŽlĂ©e. Et elle ne l’a effectivement pas Ă©tĂ©. Mais dans trois mois, toute personne intĂ©ressĂ©e, qui estimerait inconstitutionnelle une loi de prohibition de la burqa serait en droit de diligenter une procĂ©dure aux fins de la faire dĂ©clarer inconstitutionnelle par le Conseil. Cela doit ĂȘtre gardĂ© Ă  l’esprit, aujourd’hui, au sein du Parlement. DeuxiĂšmement, on ne doit pas perdre de vue que la prohibition de la burqa rĂ©aliserait une ingĂ©rence forte dans l’existence d’au moins trois droits fondamentaux – la libertĂ© de religion, Ă  partir du moment oĂč ce droit comporte intrinsĂšquement celui de manifester sa religion, et donc, dans une assez large mesure, la libertĂ© de la manifester comme on l’entend ; – la libertĂ© d’opinion et donc, lĂ  encore, la libertĂ© de manifester son opinion, y compris sur la maniĂšre dont on doit soi-mĂȘme se conduire en public ; – la libertĂ© d’aller et venir, puisqu’une loi visant Ă  empĂȘcher les femmes de se promener en burqa dans la rue pourrait s’analyser dans une certaine mesure en une restriction de leurs possibilitĂ©s de dĂ©placements. Tout cela n’est ni anodin ni nĂ©gligeable, et fait entrer de plain-pied dans une vraie problĂ©matique constitutionnelle et europĂ©enne. TroisiĂšmement, il faut ĂȘtre trĂšs conscient du fait qu’une interdiction de la burqa ne serait considĂ©rĂ©e valable par les juges que si, et seulement si, elle rĂ©pondait Ă  deux impĂ©ratifs. Primo, elle devrait ĂȘtre justifiĂ©e par une prescription juridique de mĂȘme valeur que les rĂšgles dont je viens de parler, c’est-Ă -dire une prescription de type constitutionnel ou europĂ©en — la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, par exemple. Secundo, et c’est probablement l’élĂ©ment le plus important, la limitation ne devrait pas apparaĂźtre au juge comme disproportionnĂ©e. La mission d’un juge moderne est de concilier des droits fondamentaux antagoniques, en examinant le caractĂšre acceptable, car proportionnĂ©, de l’atteinte portĂ©e Ă  l’un d’entre eux pour un motif rĂ©putĂ© d’intĂ©rĂȘt public. Ce contrĂŽle de proportionnalitĂ© est commun au Conseil constitutionnel et Ă  la Cour europĂ©enne des droits de l’homme. Il impose, in fine, qu’il soit statuĂ© sur le point de savoir si la restriction d’une libertĂ© apparaĂźt vĂ©ritablement nĂ©cessaire dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique comme la nĂŽtre, et non dĂ©sĂ©quilibrĂ©e en regard de l’exercice des autres libertĂ©s. Autrement dit, on ne peut pas faire n’importe quoi ; en tout cas, on ne peut plus du tout lĂ©gifĂ©rer avec le quantum de libertĂ© dont disposait le lĂ©gislateur il y a quelques annĂ©es ou dĂ©cennies. Ces divers prĂ©alables Ă©tant versĂ©s aux dĂ©bats, nous avons Ă  nous poser les questions suivantes. Quels impĂ©ratifs constitutionnels rendraient possible l’interdiction de la burqa ? Sont-ils solides, permettent-ils d’envisager une prohibition proportionnĂ©e, Ă©quilibrĂ©e et, comme telle, acceptable selon les standards en vigueur ? Ou, au contraire, existe-t-il un grand risque juridique Ă  voter une loi de prohibition ? Pour y rĂ©pondre, je vous propose de partir de l’idĂ©e que les ressources juridiques aujourd’hui disponibles pour envisager une interdiction de la burqa sont potentiellement au nombre de trois le principe de laĂŻcitĂ© ; la protection de l’ordre public et de la sĂ©curitĂ© publique ; la dignitĂ© de la personne humaine et l’égalitĂ© des sexes, envisagĂ©e sous l’angle de la dignitĂ© des femmes. Interrogeons ensemble ces fondements possibles, et demandons-nous s’ils sont Ă  la fois efficients et suffisants pour justifier l’interdiction qui nous occupe. Nous y verrons plus clair de cette maniĂšre. PremiĂšrement, peut-on se fonder sur l’exigence de laĂŻcitĂ© pour interdire le port de la burqa ? C’est tentant, d’autant que la Cour europĂ©enne des droits de l’homme a donnĂ© quelques signes de disponibilitĂ© Ă  l’égard de cette idĂ©e, en particulier dans le trĂšs cĂ©lĂšbre arrĂȘt Leyla ƞahin c. Turquie. Étudiante d’une vingtaine d’annĂ©es dans une universitĂ© en Turquie, Leyla ƞahin s’était trĂšs violemment opposĂ©e Ă  la prohibition, non pas du voile intĂ©gral, mais du hidjab. La Cour europĂ©enne des droits de l’homme, appelĂ©e Ă  statuer sur la lĂ©gitimitĂ© de la prohibition de ce voile prononcĂ©e par la lĂ©gislation turque, a estimĂ© acceptable d’interdire le port du voile dans les universitĂ©s turques, au nom de la laĂŻcitĂ© et a donnĂ© tort Ă  la requĂ©rante. Cela suffit-il pour transposer cette solution au cas qui nous intĂ©resse ici ? Je ne le crois pas. Et ce pour deux raisons. Dans son arrĂȘt, la Cour insiste lourdement sur la situation tout Ă  fait singuliĂšre de la Turquie, la dĂ©crivant comme un pays assiĂ©gĂ©, trĂšs fragilisĂ© par la menace islamique et dont l’existence et l’identitĂ© politiques reposent sur la soliditĂ© du postulat de laĂŻcitĂ©. Or une prohibition du voile intĂ©gral ne pourrait pas ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme Ă©galement valable dans des pays beaucoup moins en situation de pĂ©ril existentiel jusqu’à plus ample informĂ©. Secundo dans son arrĂȘt de 2009 Aktas c. France, la Cour europĂ©enne des droits de l’homme n’a pas condamnĂ© la France pour prohibition du port du voile Ă  l’école. Bien au contraire, la Cour a considĂ©rĂ© lĂ©gitime qu’une jeune fille qui refusait de libĂ©rer sa chevelure en cours de gymnastique soit exclue de son lycĂ©e. Mais de nouveau, cette dĂ©cision est un faux ami pour les ennemis de la burqa dans la rue, car elle concerne le cas d’un lycĂ©e, et donc des sujets de droit rĂ©putĂ©s fragiles, pour lesquels, comme je vous l’ai dĂ©jĂ  dit, il existe un devoir trĂšs singulier de protection. Rien de tout cela n’est automatiquement transposable dans la rue, a fortiori Ă  des personnes majeures. J’insiste sur un point l’exigence de la laĂŻcitĂ© pĂšse sur l’État et non sur les personnes privĂ©es. Elle peut donc difficilement ĂȘtre invoquĂ©e pour interdire le port du voile intĂ©gral. L’État doit se comporter dans le respect de la laĂŻcitĂ©, c’est-Ă -dire tolĂ©rer toutes les religions et n’en prĂ©fĂ©rer aucune. Mais les personnes privĂ©es ne peuvent pas ĂȘtre soumises Ă  une obligation de laĂŻcitĂ©, car cela leur interdirait d’exercer librement leur libertĂ© religieuse. Imposer aux personnes un devoir de laĂŻcitĂ©, c’est leur refuser de manifester leur religion. Cela n’a pas de sens. Il est normal d’imposer cette exigence Ă  un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions parce qu’il incarne l’État, et doit, comme tel, ne manifester aucune prĂ©fĂ©rence. Mais rien de tout cela ne justifie que l’on fasse peser une obligation quelconque sur le sujet de droit banal, saisi en dehors de toute fonction singuliĂšre, a fortiori publique. Par consĂ©quent, la laĂŻcitĂ© me paraĂźt ĂȘtre un mauvais vecteur pour justifier la prohibition de la burqa. DeuxiĂšmement, peut-on se fonder sur l’ordre public et la sĂ©curitĂ© publique pour interdire le voile intĂ©gral ? En vĂ©ritĂ©, cette notion recouvre deux problĂšmes diffĂ©rents. On peut souhaiter rendre invariablement possible l’identification d’une personne. Mais on peut aussi vouloir se prĂ©munir contre le risque de dissimulation, sous un vĂȘtement trĂšs ample, d’armes ou d’explosifs. On me dit que dans certains pays, comme l’Inde ou le Pakistan, la burqa est regardĂ©e avec inquiĂ©tude sous ce rapport, parce qu’elle permet assez facilement de commettre des attentats suicides. Reprenons ces deux angles de vue. Invoquer la nĂ©cessitĂ© de se protĂ©ger contre la dissimulation d’armes ou d’explosifs n’est guĂšre convaincant de prime abord. Un tel message politique donnerait l’image d’une France en danger, en situation de quasi-guerre civile ou en proie Ă  une menace terroriste justifiant des interdictions drastiques. Je ne suis pas persuadĂ© que ce fondement soit trĂšs facilement utilisable politiquement, ni qu’il apparaisse proportionnĂ© aux yeux du juge en l’état actuel du risque pesant apparemment sur la France. Au moins pour l’instant. En outre, cette mesure apparaĂźtrait probablement disproportionnĂ©e, car discriminatoire. En effet, si l’on veut se prĂ©munir contre tout risque de dissimulation d’une arme ou d’un explosif, il faut interdire le sac Ă  dos, la mallette, le boubou et mĂȘme la soutane
, qui posent exactement le mĂȘme problĂšme ! Je ne crois pas que vous souhaiterez en arriver lĂ  s’il n’existe pas de nĂ©cessitĂ© actuelle et avĂ©rĂ©e. En tout cas, une interdiction sĂ©lective de la burqa sur ce fondement bien prĂ©cis me semble relever assez largement de la plaisanterie. Plusieurs dĂ©putĂ©s. Et le visage ? M. Denys de BĂ©chillon. Le visage, c’est l’identification. Peut-on fonder une prohibition de la burqa sur la nĂ©cessitĂ© trĂšs actuelle de reconnaĂźtre les gens, de les voir ? C’est prĂ©cisĂ©ment le second point auquel je voulais arriver. Secundo, donc, peut-on envisager d’interdire la burqa, motif pris de l’obligation qui pĂšserait sur tous de se rendre immĂ©diatement identifiable en toute circonstance ? Je le rappelle notre problĂšme ne concerne pas des lieux fermĂ©s placĂ©s sous vidĂ©osurveillance, mais l’espace public au sens large. S’il ne fait aucun doute qu’un agent de police a parfaitement le droit de demander Ă  une femme en burqa de dĂ©voiler son identitĂ© et donc son visage sur le champ, cela ne rĂ©sout pas la question de savoir si une identification immĂ©diate peut ĂȘtre imposĂ©e de maniĂšre gĂ©nĂ©rale, hors de toute demande cet ordre. Existe-t-il en droit français une obligation d’apparaĂźtre tĂȘte nue devant tous les dispositifs de vidĂ©osurveillance urbains, Ă  l’effet de montrer son visage et de pouvoir ĂȘtre reconnu ? LĂ  encore, je doute de la soliditĂ© juridique d’une telle interdiction. La jurisprudence actuelle du Conseil constitutionnel n’indique pas que les citoyens sont obligĂ©s de dĂ©voiler leur visage en permanence, d’ĂȘtre reconnaissables en tout lieu et en toutes circonstances, alors mĂȘme qu’aucun officier de police ne procĂšde Ă  un contrĂŽle d’identitĂ©. En outre, une telle justification risque d’ĂȘtre discriminatoire. Faut-il verbaliser les gens qui portent un casque de moto dĂšs qu’ils mettent un pied Ă  terre, ou une casquette Ă  longue visiĂšre, car eux aussi cachent leur visage face aux dispositifs de vidĂ©osurveillance ? Par ailleurs, cette interdiction laisserait entendre que l’État dispose du droit d’exercer une surveillance visuelle active de portĂ©e tout Ă  fait gĂ©nĂ©rale, assortie d’une conservation longue des donnĂ©es permettant de procĂ©der Ă  toutes les identifications. La Cour europĂ©enne des droits de l’homme ne semble pas favorable du tout Ă  ce genre de choses. Le degrĂ© de mise en cause de la vie privĂ©e lui paraĂźt trop Ă©levĂ©, notamment, dĂšs lors que l’encadrement de la conservation des donnĂ©es, en particulier, n’est pas suffisant. Il faut sans doute se montrer trĂšs prudent dans ce registre. En tout cas, de prime abord, la justification d’une prohibition de la burqa au motif que le visage doit ĂȘtre invariablement identifiable me paraĂźt franchement mal assurĂ©e. TroisiĂšmement, la dignitĂ© de la personne humaine et l’égalitĂ© des sexes peuvent-elles justifier la prohibition de la burqa ? Je comprends que cette perspective puisse vous apparaĂźtre tentante, en particulier au regard de la jurisprudence du Conseil d’État issue de l’arrĂȘt dit de Morsang-sur-Orge sur la fameuse affaire dite du lancer de nain ». Entrepreneur de spectacles, M. Wackenheim se produisait dans des boĂźtes de nuit oĂč il se faisait expĂ©dier sur des coussins lointains par de gros imbĂ©ciles qui trouvaient cela trĂšs drĂŽle. Au nom du respect de la dignitĂ© de la personne humaine, le Conseil d’État valida l’interdiction de ce spectacle dĂ©testable, prononcĂ©e par le maire de Morsang-sur-Orge. Autrement dit, il fit prĂ©valoir une conception de la dignitĂ© de la personne humaine dans laquelle la collectivitĂ© publique a des titres Ă  dire comment les gens doivent se comporter avec leur propre corps, c’est-Ă -dire disposer d’eux-mĂȘmes. Si l’on poursuit sur cette voie, il n’est pas complĂštement inconcevable de soutenir qu’une femme dissimulĂ©e sous une burqa se dĂ©grade et dĂ©grade sa propre dignitĂ©. Faut-il raisonner de la sorte ? Cette justification est-elle satisfaisante et juridiquement solide ? Mon sentiment est que non. Je vais essayer de vous dire pourquoi. En premier lieu, cette conception de la dignitĂ© est loin d’ĂȘtre la plus solide sur le terrain juridique. À dire vrai, seul le Conseil d’État l’a vĂ©ritablement soutenue sous cette forme et je ne suis mĂȘme pas sĂ»r qu’il la maintiendrait aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, la Cour europĂ©enne des droits de l’homme, elle, n’en n’est plus lĂ  du tout. Elle avait pourtant adoptĂ© la mĂȘme conception il y a une quinzaine d’annĂ©es s’agissant du problĂšme des sadomasochistes dans l’affaire Laskey, Jaggard et Brown c. Royaume-Uni. Un nid de sadomasochistes ayant Ă©tĂ© dĂ©couvert par hasard par la police Ă©cossaise, l’organisateur de la rencontre fut Ă©crouĂ© puis condamnĂ©, avec d’autres participants, par les tribunaux britanniques Ă  cinq ans de prison. C’est une condamnation lourde pour des gens qui considĂ©raient exercer librement leur activitĂ© sexuelle, car personne ne s’était plaint ni n’avait jamais Ă©tĂ© hospitalisĂ© ou mĂȘme soignĂ©. Si j’ose dire, tout le monde s’amusait entre soi. Il n’y avait aucun soupçon de pĂ©dophilie, de sĂ©vices non consentis, de prosĂ©lytisme, etc. Nous Ă©tions dans l’exercice d’activitĂ©s sexuelles bizarres, certes, mais, selon la formule consacrĂ©e, exercĂ©es entre adultes consentants. La Cour europĂ©enne des droits de l’homme jugea pourtant lĂ©gitime la condamnation des intĂ©ressĂ©s, estimant en gros que ces sadomasochistes avaient portĂ© une atteinte Ă  leur dignitĂ©. Il y avait donc bien une communautĂ© de vues entre cet arrĂȘt et celui de Morsang sur Orge. Mais prĂ©cisĂ©ment, la Cour europĂ©enne des droits de l’homme a radicalement rĂ©visĂ© sa position il y a quelques annĂ©es. Dans l’affaire KA et AD c. Belgique, elle a eu Ă  connaĂźtre d’une deuxiĂšme affaire de sadomasochistes – de l’ordre du film d’horreur cette fois – oĂč Ă©taient en scĂšne un mĂ©decin et un magistrat torturant la femme d’un des deux. Cette femme s’était dite consentante et ne s’était pas plainte non plus. Mais l’enregistrement vidĂ©o des scĂšnes a permis Ă  la Cour de vĂ©rifier la rĂ©alitĂ© et surtout la continuitĂ© de ce consentement. Et c’est de cela que la Cour va tirer argument cette fois. Elle va juger qu’il Ă©tait lĂ©gitime de mettre ce mĂ©decin et ce magistrat en prison, mais sur un fondement totalement diffĂ©rent. Ce qui fonde la condamnation, c’est seulement le fait que le consentement de cette derniĂšre n’était pas certain, notamment parce qu’il n’était pas actualisĂ© en permanence. En effet, les hommes avaient bu, la femme torturĂ©e devait prononcer un mot rituel convenu entre eux pour faire arrĂȘter les supplices, et ils ne s’étaient pas arrĂȘtĂ©s. Enfin, et peut-ĂȘtre surtout, la femme s’était Ă©vanouie Ă  plusieurs reprises. La Cour en a dĂ©duit que l’on n’avait plus de moyen objectif de penser que cette femme consentait toujours et continuellement. Partant, La Cour a pensĂ© que l’on n’avait plus de moyen de parler raisonnablement de libertĂ© sexuelle. En quelque sorte, c’est le consentement actualisĂ© qui fait la frontiĂšre entre la libertĂ© sexuelle, protĂ©gĂ©e, et la torture, condamnable. Le raisonnement suivi dans cette affaire est aux antipodes du prĂ©cĂ©dent. Ce qui compte et mĂ©rite la protection du droit, dans l’esprit actuel de la Cour, c’est l’autonomie de cette femme, sa volontĂ© et sa libertĂ© de consentir aux supplices qu’elle avait sollicitĂ©s ; autrement dit son libre arbitre. Vous voyez que la dignitĂ© n’est plus mise en scĂšne. Et vous voyez surtout que nous ne disposons plus du tout des mĂȘmes outils juridiques pour empĂȘcher une femme de porter la burqa si elle le souhaite. C’est mĂȘme plutĂŽt le contraire si c’est la volontĂ© de la personne qui compte, en derniĂšre analyse, et mĂ©rite la protection, il devient trĂšs difficile de l’empĂȘcher de disposer d’elle-mĂȘme — et a fortiori de son vĂȘtement — si telle est sa volontĂ©. Il me semble donc aventurĂ©, ou pour le moins imprudent, de conclure que le principe de la dignitĂ© de la personne humaine permet assurĂ©ment de fonder une interdiction du port de la burqa. En deuxiĂšme lieu, cette conception paternaliste » de la dignitĂ© de la personne humaine, dans laquelle l’État se reconnaĂźt le droit de se substituer aux personnes pour leur dire ce qui est bon pour elles, est loin de me paraĂźtre la plus cohĂ©rente, ni d’ailleurs la plus souhaitable. Sur le terrain de la cohĂ©rence, je voudrais vous faire observer que, lorsque le Conseil constitutionnel a dĂ©couvert » le principe de la dignitĂ© de la personne humaine dans la Constitution, il l’a fait en utilisant un raisonnement trĂšs convaincant, duquel dĂ©coule en droite ligne une conception de la dignitĂ© qui n’est justement pas celle-lĂ . Comme vous le savez, le principe de la dignitĂ© de la personne humaine n’est pas Ă©crit dans la Constitution. Le Conseil l’a dĂ©duit de l’intention du Constituant de 1946, qui, instruit des ravages de la barbarie nazie, avait souhaitĂ© Ă©crire un nouveau PrĂ©ambule Ă  notre Constitution, et le faire, je cite, au lendemain de la victoire remportĂ©e par les peuples libres sur les rĂ©gimes qui ont tentĂ© d’asservir et de dĂ©grader la personne humaine ». La philosophie humaniste Ă  laquelle renvoie cette intention est sans Ă©quivoque la dignitĂ©, c’est le droit dont disposent Ă©galement tous les hommes de n’ĂȘtre dominĂ©s et asservis par personne ; c’est la prĂ©rogative de pouvoir refuser l’injonction d’un autre homme. Par voie de consĂ©quence, c’est aussi l’égale libertĂ© de vouloir et de consentir, c’est-Ă -dire la libre disposition de soi qui se trouve ainsi consacrĂ©e et mise en scĂšne. Au sens de 1946, la dignitĂ© associe Ă©galitĂ© et libertĂ©, et attribue le plus grand rĂŽle au libre arbitre chacun a le mĂȘme libre arbitre, le mĂȘme droit que son voisin de gouverner son propre corps et son comportement dans la citĂ©. VoilĂ  le legs juridique et philosophique Ă  partir duquel le Conseil constitutionnel a forgĂ© le principe constitutionnel de la dignitĂ©. Si l’on en reste Ă  ces solides prĂ©misses, il n’y a rien lĂ  qui puisse justifier un gouvernement extĂ©rieur des corps et des consciences. Tout au contraire, il y a tout ce qu’il faut pour protĂ©ger la libertĂ© de chacun de se comporter comme il l’entend dans le respect de l’égale libertĂ© d’autrui. Sur ces bases, je ne saurais aucunement garantir que, en cohĂ©rence, le Conseil constitutionnel ou un juge europĂ©en admettraient sans broncher la validitĂ© d’une loi de prohibition de la burqa. Le cƓur de la dignitĂ© de la femme, n’est-il pas prĂ©cisĂ©ment contenu l’exercice de son libre arbitre, de sa libertĂ©, y compris celle de porter la burqa si elle l’entend ? Mais vous demanderez qu’en est-il des personnes et notamment des femmes qui ne sont pas vraiment libres ? Je n’ai pas de rĂ©ponse rassurante et confortable Ă  cette question. Mais j’ai une rĂ©ponse politique et juridique. Nous savons bien que, bien souvent, la libertĂ© est une fiction ; que beaucoup de gens ne sont pas rĂ©ellement libres — d’ailleurs pour de multiples raisons, familiales, sociales, Ă©conomiques, ou autres. Mais cela ne change pas grand-chose Ă  notre problĂšme bien prĂ©cis. Le lot des dĂ©mocraties est forcĂ©ment de vivre dans la fiction du libre arbitre des gens, mĂȘme si nous savons que cette fiction en est bien une. Et cela, parce nous ne pouvons ni ne savons faire autrement. Nous ne pouvons pas penser l’acte de vote, par exemple, et notamment le suffrage universel, sans prĂ©sumer le libre arbitre des Ă©lecteurs. Bien sĂ»r qu’ils subissent des influences importantes, bien sĂ»r que nous le savons. Mais nous ne devons ni ne pouvons en tirer la moindre consĂ©quence sur l’étendue de leurs droits. De la mĂȘme maniĂšre, nous ne pouvons pas penser le contrat de travail autrement que passĂ© dans l’exercice du libre arbitre, alors qu’il est sans doute explicable en fait tout autrement, dans la majeure partie des cas, par la domination Ă©conomique et la nĂ©cessitĂ© de vivre. La libertĂ© est une fiction. Mais c’est une fiction que les dĂ©mocraties s’honorent de ne renverser que si elles ont de trĂšs bonnes raisons de le faire, et de ne renverser qu’en usant des procĂ©dures extrĂȘmement contraignantes, afin de doter la personne intĂ©ressĂ©e des meilleures garanties de protection, comme dans la mise sous tutelle ou dans l’hospitalisation d’office par exemple. Hors de ces champs Ă©troits, la fiction fonctionne et doit fonctionner toujours. C’est elle qui nous prĂ©serve de voir se constituer en droit des classes de sous-hommes. Ou ici, de sous-femmes. J’ignore combien de femmes sous burqa sont effectivement libres de leur dĂ©cision. Certaines le sont ; d’autres ne le sont pas. Je ne sais pas compter, et sans doute vous non plus. Mais en l’état actuel du droit et probablement de la philosophie politique de nos dĂ©mocraties, il me semble difficile de dĂ©cider Ă  leur place si elles sont libres ou non. La dĂ©mocratie comporte le risque de vivre avec des monstres qui nuisent Ă  eux-mĂȘmes. C’est infiniment triste. Mais nous ne pouvons pas envisager de les priver de leur libertĂ© sans contredire l’un des principes d’organisation les plus importants de nos sociĂ©tĂ©s modernes. Ma conclusion est que, en l’état actuel du droit positif, la prohibition gĂ©nĂ©rale du port de la burqa serait extrĂȘmement fragile, et de nature Ă  poser plus de problĂšmes qu’elle ne saurait en rĂ©soudre. J’ajoute qu’une telle interdiction donnerait le signe d’une Ă©volution paternaliste assez terrible. Paternalisme terrible et profondĂ©ment contradictoire par-dessus le marchĂ©, car il reviendrait, soit Ă  dĂ©fendre la libertĂ© des femmes dĂ©sireuses de porter la burqa en les privant de leur libertĂ© de le faire, soit Ă  protĂ©ger la libertĂ© de choix des spectateurs de ces femmes en burqa en postulant qu’ils n’ont ni la libertĂ© ni la capacitĂ© de rĂ©sister Ă  leur prosĂ©lytisme. Cela m’effraie. Je n’aime pas la burqa, elle me rĂ©volte, mais je crois que nous n’avons ni les outils ni la culture politique pour interdire le port de ce vĂȘtement sur le territoire de la RĂ©publique. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Il nous faut discuter au fond de la servitude volontaire, mais aussi et surtout des mineures. En outre, les intervenants ont Ă©voquĂ© Ă  plusieurs reprises l’intĂ©grisme, portĂ© par une idĂ©ologie dangereuse et barbare. Nous devrons Ă©galement approfondir cette question, notamment grĂące aux exposĂ©s que nous ferons des spĂ©cialistes du salafisme. Mme Colette Le Moal. Le visage couvert porte atteinte, me semble-t-il, au troisiĂšme pilier de la RĂ©publique, la fraternitĂ©. Qu’en pensez-vous ? Mme DaniĂšle Hoffman-Rispal. Symbole de la RĂ©publique, Marianne ne porte, le plus souvent, rien autour du cou. L’inverse signifierait une privation de libertĂ©. Les reprĂ©sentants du CFCM ont Ă©voquĂ© l’islamophobie. Aujourd’hui, la sociĂ©tĂ© française rejette la burqa, et je fais partie de ceux qui pensent qu’elle provoque de rĂ©elles violences. Les parlementaires ne veulent pas a priori interdire le port du voile intĂ©gral, mais cherchent des pistes pour trouver des solutions. C’est difficile, mais c’est cela que nous vous demandons. M. Jacques Remiller. Monsieur de BĂ©chillon, vous ĂȘtes un professeur d’universitĂ© et un juriste remarquable, mais certains des exemples que vous avez citĂ©s dans votre brillant exposĂ© m’ont surpris. Vous avez parlĂ© du vĂȘtement. Dans notre RĂ©publique, chacun choisit le vĂȘtement qu’il souhaite porter, mais la burqa traduit une rĂ©elle volontĂ© de se cacher, de repousser le regard des autres, sous la contrainte ou pas. Quant au casque, il constitue une protection inscrite dans le cadre de la sĂ©curitĂ© routiĂšre et du code de la route, alors que la burqa n’est pas inscrite dans notre Constitution. J’aimerais donc obtenir des prĂ©cisions, car vos exemples n’ont rien Ă  voir avec la burqa. Mme BĂ©rengĂšre Poletti. Tout le monde est d’accord nous avons affaire Ă  un mouvement intĂ©griste, qui met Ă  l’épreuve nos dĂ©mocraties dont on cherche les limites. Je pense donc utile de chercher une rĂ©ponse juridique. Selon vous, la vidĂ©osurveillance pose problĂšme et la justification de l’ordre public ne peut ĂȘtre retenue. Mais en matiĂšre de sĂ©curitĂ© publique, la vidĂ©osurveillance n’est pas seule Ă  mĂȘme de prouver la culpabilitĂ© des gens, les tĂ©moignages des personnes prĂ©sentes dans la rue, auxquelles il est demandĂ© de faire un portrait-robot, permettent de retrouver l’identitĂ© de la personne responsable. L’argument de la vidĂ©osurveillance m’a donc semblĂ© limitĂ©. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Qu’en est-il de l’égalitĂ©, autre valeur constitutionnelle ? M. Denys de BĂ©chillon. La situation des mineurs est trĂšs intĂ©ressante car rĂ©vĂ©latrice des limites d’une prohibition. La situation est rĂ©glĂ©e Ă  l’école par la loi sur la voile. Notre prĂ©occupation est donc la situation des mineures dans la rue et, en vĂ©ritĂ©, Ă  domicile. Si l’on pense qu’il est souhaitable d’agir fermement, il faudrait agir non pas seulement dans la rue, mais aussi au domicile, pour protĂ©ger les femmes, pour protĂ©ger les enfants contre leurs parents le bon sens est lĂ . Et cela montre cruellement les limites de toute possibilitĂ© d’action juridique utile, parce que nous ne savons pas trĂšs bien faire ce genre de choses. Soit dit par parenthĂšse, parce que je sors un peu de la sphĂšre juridique en disant cela, je pense aussi que si l’on veut protĂ©ger les femmes et les enfants dans ce domaine, il est trĂšs important de maintenir toutes les possibilitĂ©s de leur socialisation. Or en cas de prohibition, les femmes contraintes de porter la burqa ne sortiront plus dans la rue. On se priverait donc de l’une des meilleures chances de les voir Ă©voluer
 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Et si nous votions une loi contre ceux qui imposent la burqa ? M. Denys de BĂ©chillon. Une loi du type de celle sur le proxĂ©nĂ©tisme, qui punit non pas les prostituĂ©es mais les souteneurs ? Cela m’irait bien, affectivement et intellectuellement, mais de nouveau, je vois les difficultĂ©s juridiques se profiler Ă  l’horizon. Pour prouver l’existence de la contrainte, il faudra entendre la plainte des femmes. Or les plus fragiles ou les plus dominĂ©es ne se plaindront pas. Vous ne toucheriez donc que la face Ă©mergĂ©e de l’iceberg des femmes placĂ©es sous une domination masculine Ă©pouvantable. Par ailleurs, nous n’avons pas besoin d’une loi nouvelle pour rĂ©gler la situation des femmes qui se plaignent ou se plaindront l’arsenal existe dĂ©jĂ . S’agissant des enfants, l’idĂ©e de les protĂ©ger contre leurs parents ouvre une perspective compliquĂ©e et, de nouveau, assez angoissante. ConformĂ©ment Ă  l’évolution juridique des derniĂšres dĂ©cennies, les enfants ne sont plus la propriĂ©tĂ© de leurs parents. La nĂ©cessitĂ© de protĂ©ger leur corps, en particulier des atteintes susceptibles de leur ĂȘtre portĂ©es par leurs parents eux-mĂȘmes, est aujourd’hui trĂšs bien admise. Le domicile n’est plus un sanctuaire. Mais comment empĂȘcher les parents de nuire moralement ou intellectuellement Ă  leurs enfants, et avec quels moyens pratiques et juridiques ? Je ne peux imaginer un dispositif efficace qui n’apparaisse disproportionnĂ© au regard des intĂ©rĂȘts et des droits des uns et des autres. Je vous rappelle que la libertĂ© Ă©ducative fait aussi partie des droits fondamentaux. Il fut mĂȘme un temps lointain oĂč la Cour europĂ©enne des droits de l’homme considĂ©rait la gifle donnĂ©e Ă  l’élĂšve par un maĂźtre d’école comme attentatoire au privilĂšge des parents, seuls dĂ©positaires de ce droit ». Je pense qu’il y a sur cette terre Ă©normĂ©ment de parents toxiques, de mauvais parents. Des choses Ă©pouvantables se passent dans les familles, en permanence. Malheureusement, il y a un degrĂ© de pĂ©nĂ©tration dans les domiciles que l’État ne peut pas franchir au risque de crĂ©er une sociĂ©tĂ© dans laquelle il serait le maĂźtre des consciences, des univers, des corps, des comportements. Nous ne pouvons pas toucher au problĂšme sans bouleverser l’ensemble du paysage, et c’est cela qui me prĂ©occupe. Comme vous, j’aimerais beaucoup voir les petites filles Ă©duquĂ©es autrement, mais je ne vois pas de quel droit et avec quels outils on peut imposer Ă  des parents de renoncer Ă  une forme d’éducation en laquelle ils croient. Malheureusement, je crains que nous ne puissions raisonnablement atteindre que des situations et des cas trĂšs sĂ©vĂšres, voire les plus apparents ceux dans lesquels la maltraitance en un sens trĂšs strict peut ĂȘtre avĂ©rĂ©e. L’au-delĂ  de ces limites, au demeurant assez molles, me semble difficilement atteignable dans une sociĂ©tĂ© de libertĂ©. Reprenons un instant le problĂšme de la dignitĂ© dont nous parlions tout Ă  l’heure. J’ai dĂ©fendu devant vous une position tolĂ©rante vis-Ă -vis de la possibilitĂ© pour une personne de disposer de son corps. Mais j’admets tout Ă  fait de ne pas verser dans un absolutisme idĂ©ologique. Et il me semble que la prise en compte, ou non, d’une atteinte irrĂ©versible au corps ouvre des perspectives intĂ©ressantes pour se donner des critĂšres d’acceptabilitĂ© de la rĂ©pression. Je ne crois pas illĂ©gitime, par exemple, d’empĂȘcher une personne de vendre l’un de ses organes, sur la base d’une distinction de ce type. Mais si vous admettez ce genre de raisonnement — qui n’est dĂ©jĂ  pas trĂšs assurĂ© au plan juridique, parce que l’on admet bien en droit français d’aujourd’hui, par exemple, qu’une personne puisse refuser des soins vitaux — vous voyez tout de suite que vous placez la frontiĂšre de l’inacceptable trĂšs loin de celle dont vous auriez besoin pour interdire la burqa. Prenons une comparaison intĂ©ressante Ă  ce sujet. Une burqa, ça s’enlĂšve, alors qu’un tatouage ça ne s’enlĂšve pas bien du tout. Faut-il interdire Ă  toutes les personnes de se faire tatouer ? Y songeriez-vous seulement ? Dans mon amphithéùtre, je vois des gens tatouĂ©s de la tĂȘte aux pieds je pense qu’ils s’en mordront les doigts une fois devenus adultes. NĂ©anmoins, encore une fois, je ne vois pas comment l’État pourrait avoir une lĂ©gitimitĂ© Ă  interdire ces pratiques et dĂ©signer ce qui est digne dans ces usages du corps, Ă  la place de son propriĂ©taire, alors mĂȘme qu’elles sont nettement plus engageantes, sur la durĂ©e, que le port d’un vĂȘtement, mĂȘme stigmatisant. J’aimerais beaucoup que les gens qui imposent aux femmes le port de la burqa aillent en prison, mais la fiction de la libertĂ© des femmes de porter la burqa si elles le souhaitent est un rempart derriĂšre lequel bute jusqu’ici le risque d’une trĂšs grande absence de libertĂ© par augmentation du contrĂŽle social. Je rĂ©ponds maintenant Ă  votre question sur le casque, M. le dĂ©putĂ©. En utilisant l’argument du casque, je cherchais seulement Ă  expliquer la difficultĂ© de justifier la prohibition de la burqa par la nĂ©cessitĂ© de voir en permanence le visage des personnes. Si on la justifie ainsi, il faut raisonner de la mĂȘme maniĂšre avec le casque Ă  l’instant oĂč la personne descend de sa moto le coursier qui vous apporte une pizza devient un criminel en puissance s’il n’enlĂšve pas son casque. C’est tout. L’objection sur le tĂ©moignage me paraĂźt de trĂšs loin la plus sĂ©rieuse. TrĂšs honnĂȘtement, je n’y avais pas pensĂ©. Est-elle suffisante pour Ă©tablir une prohibition proportionnĂ©e ? Peut-on dire que pĂšse sur chaque personne une obligation de se rendre reconnaissable et donc de s’exposer Ă  pouvoir ĂȘtre reconnu par quelqu’un susceptible de tĂ©moigner de la commission d’un crime ou d’un dĂ©lit ? Je n’ai pas connaissance d’une jurisprudence sur ce point. Creusons un instant la question. Dans la balance des coĂ»ts et des avantages, votre argument est intĂ©ressant, mais il ne suffit pas, me semble-t-il, du point de vue juridique. Je le rĂ©pĂšte, il me semble que le fait d’interdire sĂ©lectivement le port de la burqa en invoquant des motifs de sĂ©curitĂ© publique me semble objectivement discriminatoire si l’on voulait bien faire, il faudrait appliquer le mĂȘme raisonnement Ă  tout ce qui permet de dissimuler l’identitĂ©. Et les ennuis commencent lĂ  pourquoi ne faudrait-il pas considĂ©rer comme rĂ©prĂ©hensible une barbe touffue, un bonnet et une paire de lunettes, puisqu’ils permettent de se soustraire Ă  une identification facile dĂšs lors qu’on les enlĂšve, ce qui ne prend guĂšre de temps ? VoilĂ  pourquoi, si j’étais juge, je ne recevrais pas votre objection, mĂȘme si je la trouve profonde et stimulante. Je rĂ©ponds maintenant sur le terrain de la fraternitĂ©. La fraternitĂ© est une exigence juridique dont personne ne connaĂźt la signification. C’est une des rares normes constitutionnelles avec laquelle on ne sait pas faire grand-chose, si ce n’est – mais le Conseil constitutionnel y a rĂ©sistĂ© – justifier par exemple le rĂ©gime des retraites par le principe d’une exigence de solidaritĂ© entre les gĂ©nĂ©rations. Et encore, la solidaritĂ©, c’est autrement plus dense que la fraternitĂ©. Vraiment, imposer la fraternitĂ© par la prohibition de la burqa me laisse dubitatif, car il n’est Ă©crit nulle part dans la Constitution que je dois aimer mon prochain et le reconnaĂźtre comme mon frĂšre, encore moins pour nous imposer mutuellement de nous montrer nos visages. Le philosophe Emmanuel Levinas vous aurait peut-ĂȘtre suivi un peu plus que moi sur ce terrain. Mais ce point me paraĂźt ressortir Ă  l’ordre de la philosophie et non du droit. J’imagine mal comment on pourrait aboutir Ă  un dispositif juridiquement solide avec la notion de fraternitĂ©. Mme Colette Le Moal. La philosophie pourrait commencer Ă  entrer dans le droit ! M. Denys de BĂ©chillon. Je vous l’ai dĂ©jĂ  dit, la prohibition de la burqa me semble fragile. Je ne prĂ©tends pas qu’il ne faut rien faire, mais il serait intĂ©ressant de rechercher d’autres voies. Cela dit je n’ai pas la compĂ©tence pour vous les indiquer. Permettez-moi, pour finir, de soulever un dernier problĂšme. Si elle Ă©tait votĂ©e, l’interdiction de la burqa pourrait ĂȘtre dĂ©clarĂ©e illĂ©gitime par de nombreux juges et il y aurait de multiples contentieux, du tribunal correctionnel Ă  la Cour europĂ©enne de Strasbourg en passant par le Conseil constitutionnel. La question qui se pose Ă  vous est donc aussi de savoir si vous voulez cela. Voulez-vous vraiment que cette question, qui ne fait dĂ©jĂ  pas l’objet d’un consensus parlementaire, s’expose aussi Ă  un manque de consensus juridique ? Les juristes s’étripent sur la loi Gayssot s’il y a de trĂšs bons arguments de part et d’autre, le mĂ©contentement est gĂ©nĂ©ral car jamais aucun juge n’a Ă©tĂ© mis en situation de dire vĂ©ritablement ce qu’il en pensait. La prohibition de la burqa dĂ©placerait sur les juges la responsabilitĂ© ultime de dire ce qui est acceptable ou pas dans ce domaine, au risque d’ailleurs de la cacophonie. Avez-vous vĂ©ritablement envie de cette sorte de dĂ©responsabilisation et de cette sorte de dĂ©sordre lĂ  oĂč il s’agit de parler de la Nation française et de son identitĂ© ? Avez-vous envie de n’ĂȘtre que les inspirateurs de ce qui, durablement, restera en droit une polĂ©mique ? Je ne suis pas sĂ»r non plus que cela soit souhaitable. Je comprends votre dĂ©sir de faire en sorte que le Parlement dise fortement le sentiment de la Nation sur une telle question. Mais je crois vraiment qu’il vaudrait mieux le faire autrement qu’en prononçant une interdiction aussi discutable en droit. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Merci beaucoup. Audition de M. Jean BaubĂ©rot, titulaire de la chaire d’histoire et sociologie de la laĂŻcitĂ© Ă  l’École pratique des hautes Ă©tudes. SĂ©ance du mercredi 21 octobre 2009 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Au dĂ©but de cette huitiĂšme journĂ©e d’auditions, aprĂšs celles que nous avons tenues Ă  Lille et Lyon, et en attendant celles de Marseille, le 5 novembre, et les rencontres prĂ©vues Ă  Bruxelles le 13, je voudrais dresser un rapide bilan d’étape. Aujourd’hui, le sĂ©rieux et la crĂ©dibilitĂ© de cette mission ne font plus de doute
 M. Pierre Forgues. Nous n’en avons jamais doutĂ©. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. 
 non plus que la rĂ©alitĂ© de son objet une dĂ©rive intĂ©griste et fondamentaliste, une tentative d’instrumentaliser l’islam Ă  des fins politiques. S’il y a dĂ©bat sur la nĂ©cessitĂ©, ou non, d’une loi visant Ă  interdire le port du voile intĂ©gral dans l’espace public, aucun de nos interlocuteurs n’a dĂ©fendu cette pratique. D’autre part, nos travaux nous ont permis de cerner les forces qui Ɠuvrent en arriĂšre-plan – salafisme, mouvement tabligh, wahabisme et de caractĂ©riser une idĂ©ologie intĂ©griste et barbare, portĂ©e par un mouvement obscurantiste. Notre responsabilitĂ© politique est d’apporter une rĂ©ponse forte Ă  ce qui ressemble Ă  un dĂ©fi de civilisation. AprĂšs les tentatives faites pour minorer, voire ridiculiser notre mission, on se rend maintenant compte que le problĂšme n’est pas franco-français, mais bien gĂ©opolitique. Ces femmes seraient consentantes, nous dit-on avec insistance depuis quelque temps. Peut-ĂȘtre, encore que nous demanderions Ă  le vĂ©rifier. Mais comment qualifier le comportement de ces hommes qui refusent de serrer la main d’une femme, qui monopolisent la parole dans les services publics et, de plus en plus souvent, crĂ©ent des incidents dans les bureaux de l’état civil, allant jusqu’à menacer les fonctionnaires ? Et que dire de ces jeunes filles mineures, de ces adolescentes Ă  qui on impose une tenue vestimentaire, Ă  qui on reproche toute tentative de mixitĂ© et Ă  qui on interdit de s’informer sur la sexualitĂ© ? Que dire de ces garçons qui, dans les lycĂ©es et collĂšges, contestent les cours d’histoire, de sciences naturelles, de biologie, de philosophie ? Que dire encore des menaces physiques encourues par des mĂ©decins accoucheurs hommes et de ce tĂ©moignage, recueilli jeudi dernier Ă  Lyon, d’un chef de service qui dĂ©crit la situation au nouvel hĂŽpital femme-mĂšre-enfant comme catastrophique, proche de l’irrĂ©parable ? La liste de ces cas est impressionnante, et je ne livre ici que quelques exemples. Nous voulons mettre le holĂ  Ă  ces dĂ©rives attestĂ©es dans toutes les sphĂšres de la sociĂ©tĂ© – n’assiste-t-on pas ainsi Ă  la crĂ©ation de syndicats communautaristes dans certaines grandes entreprises du CAC 40 ? Cela Ă©tant, qu’il soit clair que nous entendons Ɠuvrer dans le dialogue, en particulier avec les reprĂ©sentants du culte musulman, et nous recevrons d’ailleurs, la semaine prochaine, le recteur Boubakeur de la Grande MosquĂ©e de Paris. Ce dialogue doit ĂȘtre approfondi et prĂ©cis, afin de donner toute sa place dans la RĂ©publique Ă  une religion qui doit, par ailleurs, disposer de lieux de culte dignes de ce nom. Il est, en effet, urgent d’enrayer ces dĂ©rives intĂ©gristes et nous sommes plus que jamais dĂ©terminĂ©s Ă  aller jusqu’au bout de notre dĂ©marche. * * * M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Au nom de tous ici, je vous remercie, Monsieur le professeur BaubĂ©rot, d’avoir rĂ©pondu Ă  notre invitation. Universitaire, vous avez longuement Ă©tudiĂ© l’histoire des religions ; vous avez fondĂ© en 1995 le groupe de sociologie des religions et de la laĂŻcitĂ© ; vous avez participĂ© Ă  la commission prĂ©sidĂ©e par Bernard Stasi sur l’application du principe de laĂŻcitĂ©. Selon vous, le port du voile intĂ©gral remet-il ou non en cause le principe de cette laĂŻcitĂ© Ă  laquelle vous avez consacrĂ© plusieurs ouvrages ? Pensez-vous que le dĂ©veloppement de formes de la pratique musulmane trĂšs attachĂ©es Ă  manifester dans la sphĂšre publique l’appartenance religieuse menace ce que vous avez appelĂ© le pacte laĂŻque » français, ainsi que les valeurs et les idĂ©aux les plus avancĂ©s de la RĂ©publique, issus de la RĂ©volution et de la loi de 1905 ? Peut-on s’attendre Ă  d’autres manifestations ostentatoires que le port du voile intĂ©gral ? Si on tolĂšre cette derniĂšre pratique, ne va-t-on pas favoriser d’autres revendications identitaires, comme le laissent prĂ©sager certains accommodements » prĂ©occupants ? La semaine derniĂšre, nous avons entendu les reprĂ©sentants et le prĂ©sident du Conseil français du culte musulman. Cette audition a montrĂ© tout l’intĂ©rĂȘt de cette instance reprĂ©sentative, mĂȘme si elle n’est que consultative, et notre souhait est de dialoguer avec elle, en vue d’une dĂ©marche, sinon commune, du moins convergente, forte et publique. Le message que nous entendons faire passer ne peut qu’y gagner. Cependant, nous voyons que ce Conseil est confrontĂ© aux tenants d’une lecture figĂ©e du Coran. Quel regard portez-vous sur ce phĂ©nomĂšne ? M. Jean BaubĂ©rot, titulaire de la chaire d’histoire et sociologie de la laĂŻcitĂ© Ă  l’École pratique des hautes Ă©tudes. Je vous remercie de m’avoir invitĂ© Ă  m’exprimer devant vous. Historien et sociologue de la laĂŻcitĂ©, j’ai fondĂ© la premiĂšre – et Ă  ce jour unique – chaire d’enseignement supĂ©rieur exclusivement consacrĂ©e Ă  ce sujet. Cela me conduit notamment Ă  Ă©tudier les relations entre politique et religion, les reprĂ©sentations sociales et leurs significations symboliques, dans une perspective Ă  la fois historique et sociologique. L’histoire n’étant pas seulement l’étude du passĂ©, mais aussi de l’historicitĂ© de nos sociĂ©tĂ©s, des traces de l’histoire dans le prĂ©sent et des changements qui s’opĂšrent dans le temps, elle se prĂ©occupe aussi du devenir des sociĂ©tĂ©s. Mon propos est de livrer une position citoyenne fondĂ©e sur un savoir universitaire ce que je ne pourrai, hĂ©las, faire que de façon allusive dans le temps dont je dispose. Votre commission travaille sur un sujet qui met en jeu de nombreux Ă©lĂ©ments. Le savoir disponible sur le voile intĂ©gral montre que celles qui le choisissent le relient Ă  une contestation, Ă  une prise de distance maximale, voire Ă  un refus de la sociĂ©tĂ©. Une sociĂ©tĂ© qui refuserait d’ĂȘtre critiquĂ©e ne serait plus dĂ©mocratique. Pour autant, le port de ce voile intĂ©gral n’est certainement pas une bonne maniĂšre de mener une mise en question. Partons d’un constat avant de porter un jugement de valeur. Le port du voile intĂ©gral provient de plusieurs raisons, conjointes ou non. Il peut signifier, explicitement ou implicitement, que la sociĂ©tĂ© est ressentie comme une menace dont il faut se protĂ©ger au maximum. Il peut ĂȘtre une façon d’affirmer, avec une visibilitĂ© hypertrophiĂ©e, une identitĂ© radicale, face Ă  ce qui est perçu comme une uniformisation sociale, un primat de la logique de l’équivalence sur les valeurs morales et religieuses. Il peut manifester une volontĂ© de retour aux origines, liĂ©e Ă  une lecture littĂ©raliste des textes sacrĂ©s, ou une volontĂ© de sĂ©parer le pur » – les vrais croyants – de l’ impur » – le reste de la sociĂ©tĂ©. Il peut ĂȘtre une maniĂšre de retourner un stigmate face Ă  des discriminations ressenties. Enfin, en tant que vĂȘtement fĂ©minin, il conteste le fait que, dans les sociĂ©tĂ©s dĂ©mocratiques modernes, les rĂŽles masculin et fĂ©minin doivent ĂȘtre interchangeables, et, d’autre part, il refuse une hypersexualisation de la femme, liĂ©e Ă  la communication de masse et Ă  la marchandisation des sociĂ©tĂ©s modernes. Ces derniĂšres raisons Ă©tant encore plus importantes quand le port du voile est subi. Mais, mĂȘme choisi, le voile intĂ©gral se fourvoie. Le refus du risque d’uniformisation sociale conduit Ă  porter un uniforme intĂ©gral – ce qui est trĂšs diffĂ©rent du fait de manifester son identitĂ© par tel ou tel signe – et, par ce fait mĂȘme, on englobe sa personne dans une seule identitĂ©, on gomme ses autres caractĂ©ristiques personnelles, on efface son individualitĂ©. Rappelons que le visage, dont plusieurs des personnes que vous avez auditionnĂ©es ont soulignĂ© l’importance, est une prĂ©sentation de soi Ă  autrui, une façon de conjuguer appartenance et identitĂ©, relation aux autres et individualitĂ©. Mais le port du voile n’est pas la seule dĂ©rive menaçant le rapport aux autres. L’addiction au virtuel peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e de façon assez analogue, comme d’ailleurs l’hypertrophie des racines qui permet une sĂ©paration symbolique avec d’autres peuples. Par ailleurs, le souci de la puretĂ© se manifeste aujourd’hui de façon multiple, par diverses croyances, religieuses ou non. Une certaine façon de mettre en avant la laĂŻcitĂ© participe mĂȘme de cette attitude. Et le refus de reconnaĂźtre aux femmes le mĂȘme rĂŽle dans la sociĂ©tĂ© qu’aux hommes donne lieu, vous le savez, Ă  de nombreuses stratĂ©gies, souvent implicites et subtiles – et d’autant plus efficaces. La recherche souvent exacerbĂ©e de l’identitĂ©, le dĂ©sir parfois quasi obsessionnel de purification sont des rĂ©ponses aux difficultĂ©s rencontrĂ©es dans la sociĂ©tĂ© qui aboutissent Ă  des impasses, voire Ă  des caricatures de ce que l’on prĂ©tend combattre. En ce sens, ce sont de fausses rĂ©ponses. Le voile intĂ©gral en est un cas particuliĂšrement visible, mais trĂšs minoritaire. Face Ă  cette pratique, on invoque rĂ©guliĂšrement la laĂŻcitĂ©. Or les exigences de laĂŻcitĂ© sont trĂšs diffĂ©rentes selon les secteurs de la sociĂ©tĂ©. Permettez-moi ici quelques rappels qui, directement ou indirectement, concernent votre sujet. La premiĂšre et la plus forte exigence de laĂŻcitĂ© concerne la RĂ©publique elle-mĂȘme, qui doit ĂȘtre indĂ©pendante des religions et des convictions philosophiques ou politiques, n’en officialiser aucune, assurer la libertĂ© de conscience et l’égalitĂ© dans l’exercice du culte. L’application de ces principes est toutefois sujette en France Ă  certaines dĂ©rogations. Ainsi, en Alsace-Moselle, malgrĂ© l’article 2 de la loi de 1905, trois cultes sont reconnus », tandis qu’un seul – le catholicisme – l’est en Guyane. Les lois de sĂ©paration elles-mĂȘmes, votĂ©es de 1905 Ă  1908, prĂ©voient une mise en pratique accommodante puisqu’elles autorisent la mise Ă  disposition gratuite et l’entretien des Ă©difices cultuels existant alors mais l’islam n’était pas prĂ©sent dans l’Hexagone
 Et, sans intention discriminatrice, la RĂ©publique peine, malgrĂ© certains progrĂšs, Ă  rĂ©aliser l’égalitĂ© entre religions, au dĂ©triment de l’islam. La deuxiĂšme exigence de laĂŻcitĂ© concerne les institutions, oĂč les actes de prosĂ©lytisme ne sont pas permis. Dans son avis de 1989, le Conseil d’État a interdit un port ostentatoire de signes religieux Ă  l’école publique qui serait liĂ© Ă  un tel prosĂ©lytisme, mais tolĂ©rĂ© un port qui ne s’accompagnerait pas de comportement perturbateur. La loi du 15 mars 2004 est allĂ©e plus loin pour le primaire et le secondaire mais, significativement, pas pour l’UniversitĂ©, que frĂ©quentent des personnes majeures. Elle a donc introduit une dĂ©rogation dont les effets se sont rĂ©vĂ©lĂ©s ambivalents, puisque cela a induit la crĂ©ation d’écoles privĂ©es Ă  caractĂšre propre » musulman. On peut ĂȘtre attachĂ© Ă  la libertĂ© rĂ©publicaine de l’enseignement et s’interroger sur l’effet paradoxal d’une loi de laĂŻcitĂ© qui aura favorisĂ© l’enseignement privĂ© confessionnel. Cela montre en tout cas que les consĂ©quences d’une loi ne sont jamais univoques, et ne peuvent pas toujours ĂȘtre prĂ©vues en totalitĂ©. Un troisiĂšme secteur de la sociĂ©tĂ© est l’espace public de la sociĂ©tĂ© civile, qui est Ă  la fois un prolongement de la sphĂšre privĂ©e et un lieu de dĂ©bat, de pluralisme, de grande diversitĂ© d’expression. LĂ , l’exigence principale est d’assurer la libertĂ© et le pluralisme, dont nous avons une conception plus large qu’il y a cinquante ans. Est-ce Ă  dire pour autant qu’il n’y aurait plus aucune exigence de laĂŻcitĂ© dans cet espace public ? Je ne le pense pas. Le prĂ©ambule de la Constitution Ă©nonce les principes qui forment l’idĂ©al de notre RĂ©publique, dont l’égalitĂ© des sexes. Mais chacun sait bien qu’il existe une distance entre rĂ©alitĂ© idĂ©ale et rĂ©alitĂ© empirique. L’objectif Ă©tant de rĂ©duire, sans cesse, cette distance, il convient de distinguer entre le rĂ©versible et l’irrĂ©versible. L’irrĂ©versible atteint l’individu dans sa chair, dans son ĂȘtre mĂȘme. Il induit une sorte de destin. La puissance publique doit empĂȘcher autant que faire se peut l’irrĂ©versible de se produire, pour que les individus qui le subiraient ne se trouvent pas marquĂ©s d’infamie, pour qu’ils puissent faire librement des choix personnels. L’excision est l’exemple type de l’irrĂ©versible ; dans ce cas, la loi peut contraindre et rĂ©primer. Pour le rĂ©versible, le respect de la libertĂ© individuelle doit primer, limitĂ© seulement par l’existence d’un trouble Ă  l’ordre public dĂ©mocratique ou d’une atteinte aux droits fondamentaux d’autrui. Le rĂ©versible concerne l’extĂ©rieur de la personne. Ainsi, pour couverte ou dĂ©couverte qu’elle soit, il ne s’agit pas la personne mĂȘme, mais de l’image qu’elle donne Ă  voir Ă  un moment prĂ©cis – par exemple par le vĂȘtement, qu’on peut ĂŽter, dont on peut changer. Comme le dit la sagesse des nations, l’habit ne fait pas le moine ». Cela nous invite Ă  ne pas nous montrer mimĂ©tiques ce n’est pas parce qu’une personne, carmĂ©lite ou musulmane, s’enferme dans un uniforme intĂ©gral qu’il faut porter sur elle un regard identique, qui dissoudrait son individualitĂ© dans sa tenue. Il faut au contraire sĂ©parer son ĂȘtre et son paraĂźtre, refuser son refus de se socialiser. Il faut agir avec la conviction que, comme toute personne humaine, elle possĂšde de multiples facettes et peut activer celles que, pour une raison ou une autre, elle met actuellement sous le boisseau. Et, comme au billard, cet objectif ne s’atteint pas en ligne droite. Entre le permis et l’interdit existe le tolĂ©rĂ©, oĂč l’on combat par la conviction et l’exemplaritĂ©, oĂč l’on procĂšde au cas par cas pour ne pas ĂȘtre, Ă  terme, contre-productif. Pour ce qui est rĂ©versible, rĂ©glementer quand certaines nĂ©cessitĂ©s de la vie publique l’exigent est beaucoup plus appropriĂ© que lĂ©gifĂ©rer. AmĂ©liorer le dispositif social pour lutter contre les tenues subies est Ă©galement important, mais une loi qui conduirait celles qui subissent le port du voile intĂ©gral Ă  ne plus pouvoir se dĂ©placer dans l’espace public induirait une situation pire que la situation actuelle. Et, pour le voile intĂ©gral choisi, le contraindre irait le plus souvent Ă  l’encontre du convaincre. Or c’est essentiellement de convaincre qu’il s’agit. Pour ceux qui veulent convaincre et qui sont en position de le faire – je pense principalement Ă  l’immense majoritĂ© des Français musulmans opposĂ©e au voile intĂ©gral –, le pouvoir coercitif de la loi risquerait fort d’ĂȘtre un alliĂ© dĂ©sastreux. N’étant pas forcĂ©ment comprise, s’ajoutant Ă  une situation difficile, cette coercition conforterait un ressenti victimaire dont nous savons qu’il a, par ailleurs, ses raisons. Ce ressenti, et c’est lĂ  une raison fondamentale d’ĂȘtre Ă  la fois contre le voile intĂ©gral et contre une loi, dĂ©passerait largement le petit nombre de celles et ceux qui sont favorables au port de cette tenue. Il faut se montrer trĂšs attentif au fait qu’une Ă©ventuelle loi serait la seconde qui, au niveau du symbolique, semblerait viser l’islam, mĂȘme si ce n’est pas du tout ce que vous souhaitez faire. Se crĂ©erait alors un engrenage qu’il serait ensuite trĂšs difficile d’enrayer. L’idĂ©e fausse selon laquelle une sociĂ©tĂ© laĂŻque est antimusulmane se renforcerait chez beaucoup de musulmans et, en particulier, de musulmanes aujourd’hui opposĂ©es au port du voile intĂ©gral. Inversement, des Ă©lĂ©ments antimusulmans de la sociĂ©tĂ© française y liraient un encouragement et ne se priveraient pas de donner une interprĂ©tation extensive de cette nouvelle loi, comme certains l’ont fait de la loi de 2004. La spirale infernale de la stigmatisation, de la discrimination au prĂ©nom et au faciĂšs et de la radicalisation manifesterait que rien n’est rĂ©solu – au contraire. Une troisiĂšme loi apparaĂźtrait alors indispensable Ă  certains, mais ne ferait qu’aggraver les choses. Une quatriĂšme loi serait alors rĂ©clamĂ©e
 Un tel scĂ©nario catastrophe n’a rien d’invraisemblable. Il s’est dĂ©jĂ  rĂ©alisĂ© juste aprĂšs l’affaire Dreyfus, avec la lutte anticongrĂ©ganiste. Radicalisant les positions en prĂ©sence, chaque mesure en appelait une autre plus forte. Ce combat se prĂ©valait des valeurs de la RĂ©publique, de la dĂ©fense de la libertĂ©, de l’émancipation citoyenne. Cent ans aprĂšs, le jugement des historiens, quelles que soient leurs orientations, est totalement diffĂ©rent ce dĂ©sir de laĂŻcitĂ© intĂ©grale », comme on disait Ă  l’époque, risquait d’entraĂźner la RĂ©publique Ă  sa perte et ne pouvait avoir des rĂ©sultats Ă©mancipateurs. En revanche, les mĂȘmes historiens louent Aristide Briand d’avoir changĂ© de cap et rĂ©tabli une laĂŻcitĂ© de sang-froid ». La laĂŻcitĂ© roseau » est plus solide qu’il n’y paraĂźt, plus apte Ă  rĂ©sister aux tempĂȘtes qu’une pseudo-laĂŻcitĂ© chĂȘne », qui sĂ©duira par son aspect massif alors que celui-ci constitue prĂ©cisĂ©ment sa faiblesse. DĂ©jĂ , d’aprĂšs le travail de terrain que j’ai pu effectuer, la nomination d’une mission consacrĂ©e au seul problĂšme du voile intĂ©gral a rendu plus difficile le dĂ©saveu de cette pratique par certains musulmans. Elle a engendrĂ© un effet systĂ©mique oĂč se manifeste parfois une solidaritĂ© entre victimes. Elle a, enfin, alimentĂ© des craintes de rejet. Certes, votre mission aura sans doute Ă  cƓur de proposer des mesures plus gĂ©nĂ©rales, mais le prĂ©cĂ©dent de la commission Stasi et la dĂ©ception de plusieurs de ses membres face Ă  la suite unilatĂ©rale qui lui a Ă©tĂ© donnĂ©e peuvent faire redouter une fĂącheuse rĂ©pĂ©tition. Certains ne manqueront de dire qu’il aurait Ă©tĂ© plus utile de chercher Ă  appliquer les propositions de la commission Stasi que de les oublier pour se focaliser sur la seule question du voile intĂ©gral. Pour renforcer la relation de confiance entre la RĂ©publique et ses citoyens musulmans, pour isoler l’extrĂ©misme afin de mieux le combattre, il me semble que vous devriez prendre l’initiative de transformer votre mission en mission de rĂ©flexion sur toutes les questions liĂ©es Ă  la diversitĂ© de la sociĂ©tĂ© française. Si cette diversitĂ© n’est pas un fait totalement nouveau, son ampleur est le signe d’une mutation de notre sociĂ©tĂ©, comme d’ailleurs d’autres sociĂ©tĂ©s dĂ©mocratiques modernes, dans un contexte international troublĂ©. Il n’est pas surprenant que cela s’accompagne de tensions, de tĂątonnements, d’incertitudes et mĂȘme de craintes. Aux reprĂ©sentants de la Nation de tracer des voies d’avenir ! M. Jacques Myard. Monsieur le Professeur, j’ai Ă©coutĂ© avec grand intĂ©rĂȘt votre leçon magistrale, mais elle me semble Ă  cent lieues d’une certaine rĂ©alitĂ©. Vous avez considĂ©rĂ© le problĂšme sous le seul angle de la laĂŻcitĂ©, ignorant l’atteinte Ă  la dignitĂ© de la personne et faisant peu de cas du problĂšme de l’égalitĂ© des sexes. Je veux bien qu’on distingue entre permis, tolĂ©rĂ© et interdit, qu’on invite Ă  persuader et Ă  nĂ©gocier, mais sur quelles bases nĂ©gocier et persuader, Ă  partir de quels principes ? Vous ne pouvez nier qu’on soit confrontĂ© Ă  un phĂ©nomĂšne de communautarisation active, rĂ©pondant Ă  une volontĂ© politique, ou bien je douterais que vous soyez allĂ© sur le terrain. Dire que le contraindre irait Ă  l’encontre du convaincre » est bien gentil, mais ce sont des mots. Quel poids auront-ils face Ă  des gens qui disent, eux C’est comme ça et pas autrement » ? On peut regretter qu’on n’ait pas agi plus tĂŽt, ou que les associations dites laĂŻques n’aient pas Ă©tĂ© plus convaincantes, mais les imams eux-mĂȘmes nous parlent d’un phĂ©nomĂšne de ressourcement idĂ©ologique permanent, alimentĂ© par Internet qui permet d’aller chercher jusqu’en Arabie saoudite des fatwas frelatĂ©es. En bref, votre discours est totalement dĂ©calĂ© par rapport Ă  la rĂ©alitĂ©. Stigmatisation ? Mais c’est moi qui me sens stigmatisĂ© quand je rencontre des femmes voilĂ©es dans la rue, ou que je vois des hommes refuser de serrer la main des femmes qui vont chercher les enfants dans les gymnases. Il y a un moment oĂč la loi doit rappeler les principes, quitte Ă  heurter des intĂ©rĂȘts idĂ©ologiques particuliers. La laĂŻcitĂ© exige que cesse ce prosĂ©lytisme actif, qui indispose nombre de personnes. Je m’étonne donc qu’ayant créé la premiĂšre chaire consacrĂ©e Ă  la laĂŻcitĂ©, vous dĂ©fendiez une laĂŻcitĂ© roseau ». J’ai bien lu La Fontaine, mais il me semble que des principes plus affirmĂ©s mĂ©riteraient d’ĂȘtre dĂ©fendus. M. Pierre Cardo. Nous sommes ici pour nous informer sans porter de jugement Ă  l’avance. Etablissez-vous un lien entre la loi de 2004 sur le voile Ă  l’école et le dĂ©veloppement, par la suite, du port du voile intĂ©gral ? Nous suggĂ©rez-vous de revisiter l’ensemble de la lĂ©gislation relative Ă  la laĂŻcitĂ© ? M. Pierre Forgues. Vous faites votre travail d’universitaire et il est bien que vous nous invitiez Ă  rĂ©flĂ©chir, mais je ne saurais partager votre vision d’une laĂŻcitĂ© de circonstance » pour moi, la laĂŻcitĂ© est un principe inviolable, qu’il faut faire respecter en faisant preuve de fermetĂ©. Au reste, comment espĂ©rer convaincre des gens dont l’esprit est fermĂ© aux principes de libertĂ© et de laĂŻcitĂ© ? Je n’accepte pas l’idĂ©e selon laquelle une loi serait ressentie comme visant essentiellement l’islam. Je refuse ce procĂšs d’intention, cette tentative de nous donner mauvaise conscience. Je suis, moi, partisan d’une loi elle s’appuiera sur des principes laĂŻcs. L’islam ne pouvait ĂȘtre concernĂ© par la loi de 1905 et, s’il est exact que la RĂ©publique peine Ă  Ă©tablir l’égalitĂ© entre les religions, je rĂ©cuse l’espĂšce de racisme religieux Ă  l’envers dont font preuve certains intellectuels. En dĂ©pit de toute l’estime que j’ai pour les intellectuels et pour votre travail, je dois dire que votre idĂ©e selon laquelle une loi irait Ă  l’encontre de l’objectif que nous visons, n’est pas fondĂ©e en rĂ©alitĂ©. Vous-mĂȘme devriez bien tenir compte de notre rĂ©flexion. M. Jean Glavany. Il nous est dĂ©jĂ  arrivĂ© de travailler ensemble, Monsieur BaubĂ©rot, mais, cette fois, j’ai un peu de mal Ă  vous suivre. Cependant, plutĂŽt que de vous accuser d’ĂȘtre un intellectuel coupĂ© de la rĂ©alitĂ©, je prĂ©fĂšre vous poser trois questions concrĂštes. PremiĂšrement, le port du voile intĂ©gral a deux sources principales, le salafisme et l’idĂ©ologie talibane. Ce sont, surtout la seconde, des barbaries. NĂ©gocie-t-on avec la barbarie, ou la combat-on ? DeuxiĂšmement, le port du voile intĂ©gral rompt avec le principe d’égalitĂ© je te vois, mais tu ne n’as pas le droit de me voir. » Face Ă  cela, nĂ©gocie-t-on ou combat-on ? Enfin, mĂȘme consenti, le port du voile intĂ©gral est une violence faite aux femmes. Face Ă  cela, combat-on ou nĂ©gocie-t-on ? Votre rĂ©flexion m’intĂ©resse, mais n’aide pas Ă  rĂ©soudre ces questions pratiques qui se posent aujourd’hui aux Ă©lus de la RĂ©publique. M. Jean BaubĂ©rot. Nous sommes tous d’accord, je pense, pour avoir ici un dialogue Ă©galitaire. J’userai donc de la mĂȘme rude franchise que vous. Je suis assez inquiet quand je vous entends dĂ©noncer l’obscurantisme, puis, tout aussitĂŽt, traiter les universitaires de doux utopistes. Il existe quelque chose qui s’appelle une dĂ©marche de connaissance, mais qui est difficilement acceptĂ©e en France quand cela s’applique Ă  la laĂŻcitĂ©. Je suis beaucoup plus Ă  l’aise Ă  l’étranger, parce qu’on m’y attend sur le sĂ©rieux de ma dĂ©marche de connaissance, qu’en France, oĂč l’on m’attend sur des positions idĂ©ologiques. Il y a lĂ  un problĂšme important car la laĂŻcitĂ© française est aujourd’hui un paravent derriĂšre lequel on met bien des choses, certaines honorables et d’autres qui le sont beaucoup moins. J’ai ainsi soulignĂ© – ce que vous n’avez pas relevĂ© – le paradoxe de la loi de 2004, qui a favorisĂ© l’enseignement privĂ©. Or, en 1965, M. Jean Cornec Ă©crivait, dans un livre intitulĂ© LaĂŻcitĂ©, que donner un centime aux Ă©coles privĂ©es, c’était pire que Vichy ! Craignez que, si aujourd’hui on rĂ©duit la laĂŻcitĂ© au problĂšme du voile, on ne s’occupe plus du tout de cette question dans vingt ou trente ans parce qu’on sera passĂ© Ă  encore autre chose. La laĂŻcitĂ© est un ensemble de principes qui s’appliquent Ă  tous, et pas seulement Ă  une religion. Pourquoi ne vous intĂ©ressez-vous pas, par exemple, Ă  l’Alsace-Moselle, qui bĂ©nĂ©ficie d’une dĂ©rogation Ă  la Constitution et aux principes fondamentaux qui rĂ©gissent ce pays, de sorte que la loi de 1905 n’y est pas appliquĂ©e, non plus que les lois Ferry ? Admettez que certains, et pas seulement parmi les musulmans, puissent Ă©prouver un sentiment d’inĂ©galitĂ© ! Dans une premiĂšre version de mon texte, je consacrais un plus long dĂ©veloppement Ă  la question de l’égalitĂ© des sexes et je relevais le paradoxe qu’il y a, pour une assemblĂ©e constituĂ©e Ă  80 % d’hommes, issus de partis qui paient pour ne pas avoir Ă  respecter la loi sur la paritĂ©, Ă  faire la leçon Ă  l’islam. Et quand j’ai parlĂ© d’exemplaritĂ©, vous ne l’avez pas repris. En revanche, je n’ai jamais parlĂ© de nĂ©gocier, mais, toujours, de combattre. Or, quand on veut combattre, le problĂšme est de dĂ©terminer la meilleure stratĂ©gie ainsi pour isoler les extrĂ©mistes, car il y en aura toujours. C’est cela mon problĂšme, et c’est un problĂšme qui se pose dans la rĂ©alitĂ©, pas dans le ciel des IdĂ©es ! L’exemplaritĂ© est le premier devoir de la RĂ©publique. Elle doit montrer que, pour ce qui la concerne, elle respecte scrupuleusement le principe de l’égalitĂ© des sexes. Il y a beaucoup Ă  faire en la matiĂšre, mais ce serait un message porteur pour toute une frange de gens qui ont un pied dans la RĂ©publique et un pied au dehors parce qu’ils subissent des discriminations – autre terme que nous n’avez pas repris ! Vous avez sans doute tous lu cet article dans lequel un journaliste du Monde raconte comment il a Ă©tĂ© handicapĂ© par son prĂ©nom comprenez que des gens deviennent fous Ă  force de se voir reprocher d’ĂȘtre ce qu’ils sont – de se voir reprocher leur ĂȘtre mĂȘme, non leur vĂȘtement. Il ne s’agit donc pas de dire que l’alternative est entre nĂ©gocier et combattre, mais de savoir comment on combat. Un sociologue parle de la rĂ©alitĂ©. J’essaie de mener des enquĂȘtes de terrain, mes Ă©tudiants font de mĂȘme et, sans pour autant prĂ©tendre Ă  l’infaillibilitĂ©, c’est sur cela que je fonde ma dĂ©marche de connaissance. Or je constate que, depuis 2004, un certain nombre de femmes musulmanes quittent notre pays. À l’occasion d’une enquĂȘte, j’en ai rencontrĂ© une, docteur en philosophie, qui explique Levinas aux QuĂ©bĂ©coises pure laine » comme on dit lĂ -bas elle est partie aprĂšs l’adoption de cette loi de 2004 qui, pourtant, ne la visait pas. Nous nous sommes privĂ©s ainsi de fĂ©ministes musulmanes – car il en existe, mĂȘme sous le foulard d’ailleurs –, de mĂ©diatrices. Il faut Ă©galement savoir que le QuĂ©bec recrute les immigrĂ©s dont il a besoin parce que la France a la rĂ©putation d’ĂȘtre un pays oĂč il y a des discriminations ! Cela aussi, c’est une rĂ©alitĂ© dont il faut parler. Internet – c’est indĂ©niable – complique les choses mais pas seulement en ce qui concerne l’extrĂ©misme musulman. C’est dans tous les domaines qu’il redistribue les cartes et il nous faudra du temps et bien des tĂątonnements avant de maĂźtriser cet instrument. Historien, je vous invite Ă  Ă©tudier attentivement la pĂ©riode 1899-1904. Le processus Ă©tait alors le mĂȘme que celui que vous avez enclenchĂ© on adoptait loi sur loi sans rĂ©soudre les problĂšmes, jusqu’à ce que Clemenceau constate que, pour combattre les congrĂ©gations, on transformait la France en une immense congrĂ©gation. Vint alors la laĂŻcitĂ© de 1905, une laĂŻcitĂ© roseau », une laĂŻcitĂ© accommodante, inclusive – Ă  la fois ferme et souple. En ce qui me concerne, je rĂ©fute donc totalement le reproche qu’on me fait d’ĂȘtre hors de la rĂ©alitĂ©. Pendant vingt ans, j’ai exercĂ© des responsabilitĂ©s administratives qui m’ont confrontĂ© Ă  tous les problĂšmes que vous relevez aujourd’hui. J’ai essayĂ© de les rĂ©soudre et je crois ĂȘtre parvenu Ă  maintenir Ă  la fois les principes de la RĂ©publique et la paix dans mon Ă©tablissement. C’est pourquoi j’ai suggĂ©rĂ© de rĂ©glementer au cas par cas c’est un travail de dentelle, un travail subtil, mais beaucoup plus efficace qu’une loi. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Je ne puis vous laisser dire que nous ne nous soucierions pas des discriminations. M. Jean BaubĂ©rot. J’ai simplement dit que j’avais prononcĂ© le mot et que vous ne l’aviez pas repris. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Qu’elle vous ait invitĂ© prouve que la mission a le souci d’entendre les chercheurs. M. Jean BaubĂ©rot. Dans ce cas, il ne fallait pas me faire un procĂšs en illĂ©gitimitĂ©, au motif que les intellectuels seraient coupĂ©s des rĂ©alitĂ©s. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Votre parole est entiĂšrement libre et nous n’avons pas peur du conflit, au contraire. Mais la mission a pour tĂąche d’enquĂȘter sur la rĂ©alitĂ© des dĂ©rives intĂ©gristes, communautaristes et, pour reprendre le terme employĂ© par Jean Glavany, barbares, qui se produisent depuis quinze ou vingt ans sur certains territoires de notre pays. Ce qui nous intĂ©resse, c’est de savoir comment combattre ces dĂ©rives, avec l’aide du CFCM. Mais nous n’avons pas tranchĂ© en faveur d’une loi, contrairement Ă  ce que vous semblez penser ! Nous nous interrogeons seulement, dans l’intĂ©rĂȘt des jeunes filles mineures et des enfants. Enfin, j’y insiste, nous sommes face Ă  un problĂšme, non franco-français, mais gĂ©opolitique. Allons-nous rester passifs face Ă  un obscurantisme porteur d’un recul de civilisation ? Que certains, comme le Front national, profitent du malheur des gens ne doit pas nous faire oublier qu’il y a danger, un danger que constatent d’ailleurs unanimement les associations et les musulmans eux-mĂȘmes. Nous avons donc besoin de prĂ©conisations fortes. M. Georges Mothron. Vous nous incitez Ă  la prudence pour Ă©viter la stigmatisation, mais celle-ci est-elle uniquement dirigĂ©e contre les Musulmans ? On peut se poser la question quand on voit la rĂ©action des gens qui frĂ©quentent le marchĂ© ou les supermarchĂ©s de ma circonscription, au spectacle de ces femmes totalement voilĂ©es. Et je ne parle pas seulement des vieilles dames françaises, mais aussi des musulmans eux-mĂȘmes. Ceux qui stigmatisent sont plutĂŽt ceux qui tirent les ficelles ! Il nous faut trouver impĂ©rativement une solution si l’on veut Ă©viter que la situation ne dĂ©gĂ©nĂšre. Essayons donc tous ensemble d’y parvenir, en observant la rĂ©alitĂ© avec humilitĂ© et sans nous jeter davantage des accusations Ă  la face. Mme George Pau-Langevin. J’aimerais avoir votre sentiment, parce que je sais que vous avez Ă©tudiĂ© le sujet, sur les accommodements raisonnables » pratiquĂ©s au QuĂ©bec. Plus largement, vous avez justement soulignĂ© l’insuffisance des mesures prises pour combattre la discrimination. Que proposez-vous pour amĂ©liorer la situation Ă  cet Ă©gard ? M. Jean BaubĂ©rot. Je ne tiens pas un discours de moraliste et je ne vous accuse nullement de stigmatiser – comment pourrais-je prĂ©tendre vous connaĂźtre et vous juger ? Je parle de reprĂ©sentations symboliques et de stigmatisation ressentie et cela suppose de se placer prĂ©cisĂ©ment sur le terrain dont vous avez voulu m’exclure celui de la rĂ©alitĂ©. Et, puisque vous ĂȘtes revenus Ă  plusieurs reprises sur le sujet, je dirai que votre premier interlocuteur devrait ĂȘtre le Conseil français du culte musulman, le CFCM. L’État a beaucoup travaillĂ© pour mettre sur pied cette institution, il faut qu’il soit cohĂ©rent avec lui-mĂȘme et qu’il travaille maintenant avec elle. Or le CFCM a eu le sentiment d’ĂȘtre mis sur la touche avec la loi de 2004. Il ne faut pas que cela se reproduise. Le CFCM, avec ses conseils rĂ©gionaux, est un mĂ©diateur important pour lutter contre le port du voile intĂ©gral. Lutter », dis-je ; en tout cas, mener un travail de fond, de longue haleine, pour lequel la loi ne me semble pas le meilleur instrument. En une telle matiĂšre, on ne va pas droit au but. Comme au billard, il faut passer par des zigzags pour mettre la boule dans le trou. Le premier problĂšme Ă©tant d’isoler les extrĂ©mistes, en Ă©vitant qu’il y ait un amalgame entre eux et ceux qui ont un ressenti victimaire. Or une loi, Ă  cause de sa forte portĂ©e symbolique, risque de rendre l’extrĂ©misme attractif pour ces gens dont je parlais, qui ont un pied dedans et un pied dehors et qui, aujourd’hui en situation de faiblesse, peuvent devenir demain des mĂ©diateurs. On a trop peu l’habitude en France de la mĂ©diation, qui fonctionne pourtant trĂšs bien dans certains pays. Or, ne nous faisons pas d’illusions notre pays ne sera jamais un paradis sur terre. Les atteintes aux principes rĂ©publicains demeureront. Aujourd’hui, elles sont multiples. Je ne conteste pas qu’il y ait des problĂšmes je conteste le fait qu’on en ait isolĂ© un. Qu’il y ait barbarie, je ne le conteste pas non plus, mais, je le rĂ©pĂšte, l’habit ne fait pas le moine, ni la barbarie en l’occurrence. Ce qui compte, c’est ce qui se passe dans la tĂȘte des gens. Ils peuvent laisser dominer leur esprit, mais ils peuvent aussi changer, comme les staliniens de naguĂšre. Et il est heureux Ă  cet Ă©gard que la France ait refusĂ© toute loi d’inspiration maccarthyste ! Or vous me semblez prĂ©cisĂ©ment vous inscrire aujourd’hui dans une optique maccarthyste. On ne peut figer les gens. L’histoire, cela existe, et il faut en tenir compte pour dĂ©finir la stratĂ©gie la plus efficace possible. Dans cent ans, les historiens jugeront votre travail comme ils ont jugĂ© celui de vos prĂ©dĂ©cesseurs de 1899-1904. Et ils le feront en se demandant si ce travail a Ă©tĂ©, en dĂ©finitive, utile Ă  la RĂ©publique ou, au contraire, contre-productif. Or le but, je le rĂ©pĂšte, ne s’atteint pas en droite ligne. Je vous invite Ă  rĂ©flĂ©chir Ă  ce point. J’en viens Ă  l’accommodement raisonnable, qu’on peut dĂ©finir comme une tentative pour dĂ©passer l’antagonisme entre une uniformisation qui ne fonctionne plus dans les sociĂ©tĂ©s pluriculturelles, d’une part, et la juxtaposition de communautĂ©s, d’autre part. Il est accordĂ© Ă  l’individu au cas par cas, sous rĂ©serve qu’il n’ait pas un coĂ»t excessif pour la collectivitĂ©, qu’il ne porte pas atteinte aux droits des autres membres de cette collectivitĂ© et qu’il ne contrevienne pas Ă  la Charte quĂ©bĂ©coise des droits et libertĂ©s de la personne. La mĂ©thode apparaĂźt assez efficace pour inclure dans la sociĂ©tĂ© ceux qui ont un pied dedans, un pied dehors ». M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Je vous prie de respecter la dĂ©cision de la reprĂ©sentation nationale, qui a créé cette mission, et de considĂ©rer que nous sommes capables d’assumer nos responsabilitĂ©s politiques – mais aussi d’entendre ce qu’on nous dit. M. Jean-Paul Garraud. Au moins avons-nous une explication franche, qui nous permet d’avancer et d’aller au cƓur du sujet. Le propre mĂȘme de la dĂ©mocratie n’est-il pas se donner des lois ? Et comment lutter autrement contre les dĂ©rives que nous constatons ? Nous apprĂ©cions que vous nous fassiez part de votre rĂ©flexion d’historien et de sociologue, mais je ne vois pas Ă  quelle conclusion pratique elle aboutit. Si nous plions comme votre roseau, qu’en sortira-t-il ? Que proposez-vous d’autre ? La rĂ©flexion est une chose, mais l’intellectualisme en est une autre. N’est-il pas un paravent dont se servent certains pour rendre acceptable un combat contre la dĂ©mocratie ? À tout le moins, n’est-ce pas un moyen d’éluder les problĂšmes – en l’occurrence, celui d’une barbarie Ă  combattre ? M. Pierre Forgues. NĂ©gocier, nous savons faire et nous le faisons tous les jours. Mais on ne peut pas nĂ©gocier avec tout le monde – par exemple avec les nĂ©gationnistes. Certes, vous dites que la question n’est pas lĂ , mais dans la recherche de la solution la plus efficace, et que nous serons jugĂ©s lĂ -dessus. Je rĂ©pondrai que seul l’avenir tranchera cette question de l’efficacitĂ© et qu’en attendant, nous devons mettre en Ɠuvre des principes qui, selon moi, sont inviolables. J’admets que vous ĂȘtes dans votre rĂŽle d’universitaire en nous poursuivant dans nos retranchements mais la conception de la laĂŻcitĂ© que vous dĂ©fendez est dĂ©cidĂ©ment celle d’une laĂŻcitĂ© de circonstance. La RĂ©publique doit se dĂ©fendre en affrontant la rĂ©alitĂ© telle qu’elle est et en s’appuyant sur ses principes. Quant au jugement de l’histoire
 M. Jean Glavany. Je ne suis pas contre les accommodements raisonnables quand ils ne mettent pas en jeu les principes de la RĂ©publique. Pourquoi, par exemple, refuser d’amĂ©nager les menus des cantines scolaires ? AprĂšs tout, pendant des annĂ©es, on y a servi du poisson le vendredi et, si l’on fait preuve d’honnĂȘtetĂ© intellectuelle, on voit mal les raisons de refuser Ă  l’islam ce qu’on n’a pas su refuser Ă  une autre religion. Mais il en va autrement de la pratique qui consiste Ă  occulter le visage Ă  ma connaissance, aucune autre religion n’a jamais cherchĂ© Ă  l’imposer et il ne peut y avoir en la matiĂšre d’accommodement raisonnable. S’agissant du CFCM, je serais assez enclin Ă  vous suivre, bien que je conteste les conditions de sa crĂ©ation, assez analogues Ă  celles qui, au dĂ©but du XIXe siĂšcle, avaient prĂ©sidĂ© Ă  celle de la reprĂ©sentation des juifs, avec un sanhĂ©drin convoquĂ© par l’Empereur. Cependant, je constate que ce conseil refuse catĂ©goriquement de dĂ©noncer le port du voile intĂ©gral comme une pratique intĂ©griste extrĂ©miste, parlant seulement de pratique minoritaire » et, dans ces conditions, l’idĂ©e de s’appuyer sur lui me paraĂźt un peu vaine. M. Pierre Cardo. Je ne retiendrai pas l’idĂ©e de l’accommodement raisonnable, dont je ne sais trop ce qu’elle recouvre, mais je fais mien votre propos, Monsieur BaubĂ©rot, selon lequel l’essentiel est de dĂ©terminer la mesure la plus efficace pour enrayer l’action d’une minoritĂ© agissante sans pour autant se mettre tout le monde Ă  dos. Ce moyen est-il une loi, et si oui, laquelle ? Sinon, de quoi peut-il s’agir ? D’autre part, estimez-vous que la loi votĂ©e Ă  la suite des travaux de la commission Stasi a eu quelque effet ? M. Jacques Myard. Quand vous nous accusez de maccarthysme, personne ici ne peut accepter un tel anathĂšme. D’autre part, il me semble important de signaler qu’au QuĂ©bec, des rĂ©actions trĂšs violentes se font maintenant jour contre certaines pratiques religieuses, qui sont le fait d’une minoritĂ© sectaire. Quant au jugement de l’histoire, laissons-le aux archĂ©ologues du futur ! Vous avez tort de nier la force symbolique de la loi. À vous suivre, la loi de 1905 n’aurait jamais vu le jour ! Il est des moments oĂč la loi doit rappeler des principes, quitte Ă  contraindre et, effectivement, Ă  stigmatiser. C’est pourquoi votre dĂ©marche intellectuelle me met fondamentalement mal Ă  l’aise. M. Jean BaubĂ©rot. Face au nĂ©gationnisme, vous avez bien dĂ» faire appel aux historiens. Ne les sortez pas du placard quand vous avez besoin d’eux pour les y remettre ensuite. Face Ă  une dĂ©marche de haine, une dĂ©marche de connaissance est indispensable. Cela Ă©tant, je ne prĂ©tends pas lire l’avenir comme dans le marc de cafĂ©. Simplement, le travail d’un historien, c’est aussi de considĂ©rer le devenir historique, d’étudier comment le jugement sur un fait peut se modifier au fil du temps, comment ce qui Ă©tait socialement Ă©vident Ă  une Ă©poque ne l’est plus Ă  une autre. L’examen de ces renversements nous invite Ă  nous projeter dans l’avenir pour nous interroger sur le jugement qu’on portera Ă  notre Ă©gard. Je regrette de ne pouvoir parler plus longuement de la loi de 1905. Ce ne fut pas une loi de contrainte ou d’interdiction et ses articles furent votĂ©s par des majoritĂ©s variables. Elle mĂ©contenta aussi bien la Libre PensĂ©e que le pape, mais les Ă©vĂȘques, eux, l’ont acceptĂ©e et BrunetiĂšre, qui avait la ferveur des convertis, disait La loi nous permet de croire ce que nous voulons, et de pratiquer ce que nous croyons. » C’est ce genre de mesures positives qui permettent le mieux d’isoler les extrĂ©mistes. La France a un peu trop l’idĂ©ologie de la loi et pas assez l’habitude de la mĂ©diation, qui n’est pas la nĂ©gociation – elle suppose de recourir Ă  des intermĂ©diaires culturels qui puissent discuter pied Ă  pied et dĂ©monter des argumentaires figĂ©s et dogmatiques. On peut contester la maniĂšre dont le CFCM est nĂ©, mais il existe et le traiter par-dessus la jambe ne peut qu’ĂȘtre mal ressenti. Laissez-nous convaincre », dit-il. Eh bien, il faut admettre que ce travail de persuasion, de discussion pied Ă  pied peut ĂȘtre plus productif que l’emploi de stĂ©rĂ©otypes synthĂ©tiques. MĂ©diation, dispositifs sociaux, rĂ©glementation, travail avec le CFCM, lutte contre la discrimination, prĂ©fĂ©rence donnĂ©e aux projets positifs tout cela, Ă  mon avis, serait plus efficace qu’une loi. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Je vous remercie de nous avoir exposĂ© votre position. Ce sera versĂ© au dĂ©bat. Audition de M. Farhad Khosrokhavar, directeur d’études Ă  l’École des hautes Ă©tudes en sciences sociales SĂ©ance du mercredi 21 octobre 2009 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Monsieur, vous ĂȘtes sociologue, directeur de recherches Ă  l’École des hautes Ă©tudes en sciences sociales EHESS et universitaire. Vous avez longuement Ă©tudiĂ© l’influence de l’islam sur les jeunes des quartiers populaires et vous dispensez un cours sur l’islam en prison ». Comment expliquez-vous le succĂšs aujourd’hui d’une forme de pratique islamique trĂšs attachĂ©e Ă  un retour aux origines ? Est-ce la traduction d’un dĂ©faut d’intĂ©gration de la sociĂ©tĂ© française ou l’expression d’un vĂ©ritable courant thĂ©ologique, avec des enjeux gĂ©opolitiques ? Sous quelles influences pensez-vous que les thĂšses favorables au voile intĂ©gral se sont propagĂ©es en France et en Europe ? Pensez-vous que les sites Internet communautaristes soient influents en France ? On nous parle, lors de nos auditions, d’un dĂ©calage entre le contexte français et les cyberfatwas, auxquelles certains musulmans se rĂ©fĂšrent alors qu’elles sont totalement Ă©trangĂšres Ă  ce contexte français et europĂ©en. Il semble que le voile intĂ©gral soit revendiquĂ© par des femmes d’origine europĂ©enne converties. Comment expliquez-vous ce phĂ©nomĂšne ? Certains font valoir que l’islam peut difficilement accepter les principes d’une RĂ©publique laĂŻque. Nous aimerions avoir votre point de vue sur la question. M. Fahrad Koshrokhavar, directeur d’études Ă  l’EHESS. Monsieur le prĂ©sident, les questions que vous avez posĂ©es sont essentielles et je ne saurais y rĂ©pondre de maniĂšre exhaustive. On ne peut parler d’un retour aux origines, mais d’un retour aux origines mythifiĂ©es. La burqa serait apparue au cours du XIXe siĂšcle et on ne saurait donc faire remonter son anciennetĂ© Ă  1400 ans. Il s’agit d’une recomposition, d’une revisite auxquelles les anthropologues, les sociologues et les historiens sont frĂ©quemment confrontĂ©s le passĂ© qui sert de rĂ©fĂ©rence est dĂ©jĂ  remodelĂ©, restructurĂ©, revu selon le point de vue des acteurs qui s’en rĂ©clament. On trouve dans le Coran un certain nombre de sourates allant dans le sens du voilement, mais celles-ci donnent lieu Ă  des interprĂ©tations divergentes. En Égypte, le grand mufti d’Al Azhar a refusĂ© la burqa comme n’étant pas une obligation islamique ; les FrĂšres Musulmans ont rejetĂ© ce refus et demandĂ© sa dĂ©mission en se rĂ©fĂ©rant Ă  une autre lecture du Coran. Certaines ou certains ont trouvĂ© dans le texte sacrĂ© la justification et la lĂ©gitimation de la burqa, alors que d’autres la rejettent au nom mĂȘme des sourates. J’ajoute que les divergences sur la signification d’un mot peuvent s’expliquer par la structure mĂȘme de la langue arabe. Le phĂ©nomĂšne semble liĂ© Ă  la rĂ©action des sociĂ©tĂ©s musulmanes Ă  la modernisation perçue comme impĂ©rialiste ou remettant en cause la structure communautaire, la Umma, et non Ă  un dĂ©sir de conformitĂ© Ă  une vision de soi cautionnĂ©e de maniĂšre indubitable par le Coran. Le voile n’est pas un phĂ©nomĂšne sectaire dans la mesure oĂč n’existent pas d’organisation identifiable, ni de personnage charismatique fĂ©dĂ©rant les personnes autour d’un certain nombre de normes. Pour autant, on y dĂ©cĂšle une dimension sectaire en portant le voile, je suis une bonne musulmane et je me sĂ©pare des autres qui ne le sont pas. Le voile intĂ©gral est une façon de souligner primordialement la sĂ©paration des purs et des impurs, des musulmans et des non musulmans, ou des vrais musulmans et des musulmans inauthentiques. Il n’y a pas de tradition maghrĂ©bine allant dans le sens du voile intĂ©gral, mĂȘme si l’écrasante majoritĂ© des femmes musulmanes de France sont d’origine maghrĂ©bine. Le port du voile est une maniĂšre de souligner l’appartenance Ă  une sorte de nĂ©o Umma » imaginaire transcendant les frontiĂšres, les origines ethniques et gĂ©ographiques et affirmant la prĂ©pondĂ©rance d’une foi intĂ©grale, dissociĂ©e des appartenances nationales. Cela va plus loin qu’une rĂ©volte politique au nom d’un islam radical contre les nations impies. Ces formes de comportement sont liĂ©es Ă©galement Ă  un contexte europĂ©en marquĂ© par une sĂ©cularisation intense. On peut alors parler de provocation ou de contre-provocation. C’est la raison pour laquelle il me semble, Ă  titre personnel, qu’une loi contre la burqa entraĂźnerait d’autres consĂ©quences pourquoi pas une loi contre les barbes touffues couvrant la totalitĂ© du visage ? Ou contre les turbans ? On risque de rentrer dans une logique de provocation et de contre-provocation pour une minoritĂ© infime des musulmans français ou europĂ©ens, et de crĂ©er l’envie d’en dĂ©coudre » sur le plan symbolique. Il serait plus utile de se placer sur un terrain humoristique et de combattre la burqa et ces phĂ©nomĂšnes sectaires en crĂ©ant une mode burqa unisexe », que de faire, avec un sĂ©rieux mortel, des lois qui seront Ă  l’origine d’autres provocations et risqueront de nuire Ă  la formulation sereine d’une attitude rĂ©publicaine. DĂ©jĂ , de nouveaux types de voile intĂ©gral apparaissent, comme les semi tchadors Ă  la chiite. Faudra-t-il donc faire une autre loi, dans la mesure oĂč ils sont diffĂ©rents de la burqa ou dĂ©finir celle-ci de maniĂšre synoptique en y englobant aussi les tenues qui font que les femmes montrent leur nez, leurs yeux et leur bouche tout en dissimulant de maniĂšre hermĂ©tique le reste du corps et surtout le reste du visage ? La loi ne fera que conforter la volontĂ© des minoritĂ©s concernĂ©es de se dĂ©marquer des autres. J’ai travaillĂ© et je continue Ă  travailler sur les prisons. Celles-ci sont surpeuplĂ©es. Inutile d’y ajouter quelques centaines de femmes survoilĂ©es ». Pourquoi pousser Ă  la radicalisation ? Si le port du voile intĂ©gral est considĂ©rĂ© comme un dĂ©lit, en cas de rĂ©sistance, on en fera un menu » crime, avec toutes les consĂ©quences que cela pourrait avoir. Il y a quatre ans, des femmes en burqa Ă©taient venues visiter leur mari islamiste. On leur avait refusĂ© l’accĂšs Ă  la prison parce qu’on ne pouvait pas les identifier. Il me semble d’ailleurs que la panoplie des textes existants, une fois complĂ©tĂ©e, permettrait de circonscrire le phĂ©nomĂšne et d’en attĂ©nuer, sans en avoir l’air, l’aspect provocateur. Certains se sont rĂ©fĂ©rĂ©s Ă  la loi de 1905. Mais ce qui Ă©tait appropriĂ© Ă  l’époque ne l’est pas nĂ©cessairement actuellement on avait Ă  faire Ă  des comportements de gens sĂ©rieux », alors que ceux d’aujourd’hui s’apparentent davantage au jeu du chat et de la souris. Tout en dĂ©plorant l’extension de la burqa, je considĂšre que la maniĂšre la plus adaptĂ©e n’est pas de faire des lois d’en haut. Cela dit, c’est une opinion tout Ă  fait personnelle et je comprends parfaitement que vous puissiez ne pas ĂȘtre d’accord avec moi. Plus du quart des cas que je connais concernent des converties – cinq sur 17 dans une ville proche de Paris, par exemple. On ne peut pas expliquer le phĂ©nomĂšne par des raisons patriarcales, bien au contraire les filles concernĂ©es ne se laissent pas marcher sur les pieds. Si elles portent le voile intĂ©gral, c’est qu’elles le veulent. Si elles le veulent, c’est en raison de leur conception de la foi, laquelle est Ă©videmment aux antipodes de celle de la majoritĂ© des musulmans. Elles veulent s’affirmer et en dĂ©coudre, sur le plan symbolique, avec les autres. Vous devez avoir une conscience aigue de la nature de la burqa. Dans l’écrasante majoritĂ© des cas, sociologiquement et anthropologiquement parlant, elle n’est pas l’expression de femmes attardĂ©es qui voudraient revenir Ă  un systĂšme de patriarcat gĂ©nĂ©ralisĂ© Ă  travers l’intĂ©gralitĂ© de leur vĂȘture. C’est une rĂ©action en partie rĂ©gressive et rĂ©pressive Ă  une modernitĂ© ressentie comme n’ayant plus de signification. L’écrasante majoritĂ© des musulmans, en France comme en Angleterre, dĂ©sapprouve la burqa. Mais elle dĂ©sapprouve, sans que ce soit contradictoire, une loi contre la burqa. Il faut tenir compte de cette double attitude. Une loi contre la burqa serait ressentie comme une loi contre les communautĂ©s musulmanes de France. Si vous en faites une, vous risquez de traumatiser des personnes qui n’ont rien Ă  voir avec la burqa et qui la rejettent. Dans ma pratique quotidienne de sociologue, j’ai relevĂ© la faiblesse de la mĂ©diation en France, l’absence d’instances autres que celles de l’État, qui interviennent pour restreindre ou circonscrire des phĂ©nomĂšnes qu’une grande partie de la sociĂ©tĂ© considĂšre comme n’étant pas acceptables. Il en va tout diffĂ©remment aux Pays-Bas, oĂč cette pratique est trĂšs rĂ©pandue. Elle permet de dĂ©samorcer certains problĂšmes, par exemple ceux qui ont pu surgir avec la communautĂ© musulmane au moment du meurtre de ThĂ©o Van Gogh. Il serait intĂ©ressant de renforcer en France les groupes de mĂ©diation. Les mairies et les collectivitĂ©s locales devraient s’y consacrer avec davantage de conviction. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Vous avez dit qu’il n’y avait pas de mĂ©diation ? Selon moi, depuis vingt ans, il y en a trop eu. Et c’est l’ancien maire de VĂ©nissieux, qui s’est occupĂ© du dossier symbolique du quartier des Minguettes, qui vous parle. Je voudrais attirer votre attention sur le fait que si nous parlons du voile intĂ©gral et de ce qu’il reprĂ©sente, c’est parce que nous constatons depuis quinze ou vingt ans, dans la sociĂ©tĂ© française, la progression de dĂ©rives intĂ©gristes – que la mission qualifie d’ idĂ©ologie barbare ». On parle des femmes converties et consentantes. Mais j’aimerais qu’on parle aussi des mineures de moins de dix-huit ans, des adolescentes auxquelles on impose, notamment, certaines tenues vestimentaires. S’agit-il d’une dĂ©rive intĂ©griste ? S’il y a des mĂ©diations Ă  faire, lesquelles ? Toutes les semaines, dans la rĂ©gion lyonnaise, les services de l’état civil reçoivent des femmes voilĂ©es intĂ©gralement, qui n’ont pas droit Ă  la parole ; elles sont accompagnĂ©es par des hommes qui menacent les fonctionnaires. Nous avons envie de parler de tels problĂšmes avec les reprĂ©sentants du culte musulman. Nous voulons faire en sorte que l’islam et la religion trouvent leur place dans la RĂ©publique. Depuis le mois de juillet, on nous dit que le phĂ©nomĂšne du port du voile intĂ©gral est minoritaire, dĂ©risoire et Ă©phĂ©mĂšre. Or, derriĂšre ce phĂ©nomĂšne, se profile un autre problĂšme une ingĂ©rence intĂ©griste dans la vie civile, l’islamisation de certains territoires de notre pays. Il ne s’agit pas de les diaboliser, mais d’y mettre le holĂ . Vous nous parlez de la loi. Mais de quelle loi ? Nous n’avons pas dĂ©cidĂ©, a priori, d’en faire une sur le voile intĂ©gral. M. Farhad Khosrokhavar. Ce n’est pas ce que j’ai dit. Je me suis exprimĂ© au cas oĂč ». M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Ce qui nous intĂ©resserait, c’est d’avoir une ou plusieurs lois positives, notamment sur ces mouvements intĂ©gristes ou salafistes qu’il faudra bien, Ă  un moment, caractĂ©riser. Le communautarisme et l’intĂ©grisme sont de plus en plus prĂ©sents dans la sociĂ©tĂ© française. Il faut, certes, Ă©viter toute stigmatisation. Mais les musulmans se sont sentis stigmatisĂ©s avant la mission par cette pratique. Et ils sont nombreux, parmi eux, Ă  se demander pourquoi on laisse faire. Quoi qu’il en soit, nous voulons mettre tous les Ă©lĂ©ments de la question sur la table. M. Jacques Myard. Le retour Ă  un Ăąge d’or reconstituĂ© du temps du ProphĂšte est un Ă©lĂ©ment important du fondamentalisme. Il amĂšne, pour ĂȘtre conforme Ă  la parole divine, Ă  nier le progrĂšs de la sociĂ©tĂ©. Reste que certains intĂ©gristes sont trĂšs Ă©duquĂ©s ingĂ©nieurs, informaticiens, etc. Pourriez-vous affiner votre analyse ? Au-delĂ  de la dĂ©marche religieuse, n’y aurait-il pas une dĂ©marche quasi politique visant Ă  instituer un modĂšle de sociĂ©tĂ© qui n’est pas le nĂŽtre ? La provocation humoristique et la mĂ©diation que vous prĂ©conisez ne semblent pas pouvoir aboutir. En effet, le credo de cette dĂ©marche politique est fondĂ© sur la non Ă©galitĂ© des sexes, la femme dans une situation de dhimmitude, etc. Rajoutez-y le quasi fanatisme religieux de certains, et vous comprendrez qu’à un certain moment, il faut marquer des limites – ce qu’ont fait un certain nombre d’États, oĂč l’islam est une religion officielle. Cela dit, je reconnais que vous avez fait une trĂšs bonne analyse du phĂ©nomĂšne. M. Georges Mothron. Vous avez dit qu’en Angleterre, notamment, une trĂšs grande majoritĂ© des musulmans n’acceptait pas le port du voile intĂ©gral et qu’une trĂšs grande majoritĂ© ne souhaitait pas, pour autant, que l’on lĂ©gifĂšre sur le sujet. Je voudrais faire un rapprochement avec ce que nous avons fait en 2004 s’agissant du port du voile dans les Ă©tablissements scolaires. A l’époque, cela a fait beaucoup de bruit, mais aujourd’hui, la loi est respectĂ©e Ă  quelques exceptions prĂšs et nous n’en parlons plus. En Grande-Bretagne, le problĂšme subsiste. Mme Sandrine Mazetier. Merci de votre exposĂ© et de l’humour que vous y avez su y mettre. Pouvez-vous nous dire ce que vous entendez par mĂ©diation » ? Pouvez-vous nous parler des femmes et des fĂ©ministes musulmanes ? Ce qui a Ă©tĂ© fait dans certains pays est-il transposable en France en raison, notamment, de l’absence de structure intermĂ©diaire entre les pouvoirs publics et les individus ? Mme Pascale Crozon. Merci de nous avoir permis d’y voir un peu plus clair. Dans les quartiers, dans le cadre de la politique de la ville, on a beaucoup travaillĂ© sur la mĂ©diation. Or les rĂ©sultats ne sont pas lĂ . Comment faire ? Dans la ville oĂč je suis Ă©lue, j’ai constatĂ© que des femmes que l’on voyait auparavant tĂȘte nue mettent maintenant le voile. Comment percevez-vous le phĂ©nomĂšne ? Comment pensez-vous qu’il va Ă©voluer ? Êtes-vous optimiste ? Je ne crois pas beaucoup Ă  l’idĂ©e selon laquelle les femmes ont mis ce voile d’elles-mĂȘmes. M. Pierre Cardo. Pour l’avoir pratiquĂ©e, je considĂšre que nous ne sommes pas armĂ©s pour la mĂ©diation. La sociĂ©tĂ© française n’est pas prĂȘte, et les maires n’y sont pas habituĂ©s. Il faudra nous donner les moyens d’en faire. M. Farhad Khosrokhavar. Je suis français par naturalisation. J’ai fait mes Ă©tudes en France. Je suis ravi et honorĂ© d’ĂȘtre français. Cela Ă©tant, je suis Ă  cheval sur plusieurs autres cultures – Angleterre, États-Unis, monde musulman. La sĂ©cularisation et la laĂŻcitĂ© Ă  la française sont une aubaine, Ă  condition d’ĂȘtre revisitĂ©es. D’ailleurs, tout le monde revisite. On a dit que les fondamentalistes revisitaient la foi. Les rĂ©formistes musulmans font exactement la mĂȘme chose, si ce n’est qu’ils attribuent des vertus dĂ©mocratiques au ProphĂšte. Ce que je vais dire risque de vous dĂ©plaire et j’espĂšre que vous me le pardonnerez. Le problĂšme rĂ©side essentiellement dans la maniĂšre frontale dont, en France, on aborde ces questions. Cette attitude est inscrite dans la culture politique. Le communautarisme est perçu comme une injure. DĂšs qu’un groupe est perçu comme communautariste, il perd sa lĂ©gitimitĂ©. Les sociologues parlent aujourd’hui de formes modĂ©rĂ©es de communautarisme. Ce communautarisme modĂ©rĂ© », dans le sens d’adhĂ©sion Ă  des formes de communautĂ©s intermĂ©diaires sans remise en cause de l’adhĂ©sion Ă  la RĂ©publique, n’est pas Ă  rejeter dans un monde marquĂ©, prĂ©cisĂ©ment, par la dilution du politique. Pourquoi ne pas opposer au communautarisme des burqinistes » une sorte de communautarisme positif des femmes rĂ©publicaines ? La loi de 2004 a eu des aspects indĂ©niablement positifs dans l’école publique. Elle a eu aussi pour effet de renvoyer une partie des filles voilĂ©es dans l’école catholique et d’autres Ă  la maison – et sans doute dans les Ă©coles musulmanes qui devraient ĂȘtre admises prochainement par la RĂ©publique. Mais surtout, elle a totalement dĂ©lĂ©gitimĂ© le foulard. Toute forme de foulard est perçue comme illĂ©gitime, soit fondamentaliste, soit archaĂŻque, soit antifĂ©ministe, soit contraire aux fondements de la RĂ©publique. En France, des femmes qui portent le foulard et qui peuvent se rĂ©clamer de la RĂ©publique ne pourraient pas combattre la burqa alors que c’est possible en Hollande, en Allemagne, en Angleterre. Dans notre pays, les seules qui puissent le faire sont celles qui ne portent pas le foulard. Or celles qui ne portent pas le voile n’ont aucune sorte de lĂ©gitimitĂ© face Ă  celles qui portent la burqa, voire face aux femmes musulmanes qui ont une attitude ambivalente en la matiĂšre. Notre loi nous a privĂ©s de l’appui des voilĂ©es rĂ©publicaines », qui pourraient se rĂ©clamer de la libertĂ© rĂ©publicaine, de l’égalitĂ©, de la lutte contre la polygamie et contre toutes sortes de stigmatisations de la femme. Comme sociologue, je crois que l’on a besoin de ces femmes-lĂ . Qu’on le veuille ou non, le foulard est un insigne religieux, qui continuera Ă  exister dans le monde musulman et dans le monde occidental. L’islam est devenu la seconde religion dans nombre de pays europĂ©ens. On ne peut pas lutter frontalement contre lui, mais on peut en neutraliser, de l’intĂ©rieur, la signification patriarcale ou fondamentaliste. On observe, depuis une dizaine d’annĂ©es, une fermeture des quartiers. La place centrale, qui Ă©tait frĂ©quentĂ©e par des femmes, y est devenue l’exclusivitĂ© des hommes. Et ce n’est pas parce qu’il n’y a pas suffisamment de lois, mais parce qu’on a exclu de la scĂšne lĂ©gitime et de l’espace public lĂ©gitime français les femmes qui auraient pu, d’une maniĂšre ou d’une autre, dĂ©fendre la RĂ©publique tout en portant des insignes religieux. J’ai Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© de voir, Ă  l’universitĂ© de Harvard et Ă  celle de Yale, le nombre de filles d’origine maghrĂ©bine, voire maghrĂ©bo-française, qui portaient le voile. Elles m’ont expliquĂ© qu’elles n’avaient pas d’avenir en France comme filles portant le foulard. Soyons conscients du fait que la laĂŻcitĂ© ne consiste pas Ă  exclure, mais Ă  intĂ©grer au nom de l’idĂ©al rĂ©publicain d’égalitĂ©, de fraternitĂ© et de libertĂ©. Je vous invite Ă  avoir une attitude un peu plus complaisante » face Ă  ces phĂ©nomĂšnes, ce qui vous dispensera de refaire une loi tous les deux ou trois ans. Pourquoi faire une loi sur la burqa qui ne pourrait ĂȘtre qu’une loi contre la burqa ? Les communautĂ©s intermĂ©diaires et les groupes de mĂ©diation que je prĂ©conise devront comprendre des femmes portant le foulard et qui combattront contre la burqa. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. La mission n’entend pas du tout rouvrir le dĂ©bat sur la question du foulard. Nous traitons ici de la question du voile intĂ©gral. M. Farhad Khosrokhavar. Les deux questions sont liĂ©es, malheureusement. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Nous traitons de la dĂ©rive intĂ©griste et fondamentaliste dans certains territoires français, laquelle est apparue bien avant 2004. M. Jean-Paul Garraud. Monsieur le directeur, selon vous, nous pourrions envisager une sorte de communautarisme attĂ©nuĂ©. Or, par dĂ©finition, le communautarisme fait prĂ©dominer les valeurs de ceux qui sont dans la communautĂ© sur les valeurs de la sociĂ©tĂ©. A terme, il fait exploser la RĂ©publique, fondĂ©e sur nos valeurs de libertĂ©, d’égalitĂ© et de fraternitĂ©. Pour moi, il n’y a pas de demi-mesure. TolĂ©rer une sorte de communautarisme serait un aveu de faiblesse de la dĂ©mocratie – qui ne pourrait ou ne voudrait pas s’y opposer. M. Farhad Khoroskhavar. D’abord, j’ai parlĂ© de communautarisme modĂ©rĂ© », et non attĂ©nuĂ© ». Ensuite, on peut faire des dichotomies assez tranchĂ©es entre rĂ©publicanisme et communautarisme, mais la rĂ©alitĂ© est faite de degrĂ©s et de nuances. On pourrait considĂ©rer le foulard comme un insigne religieux Ă  titre privĂ©. Or on ne le fait pas. Par une sorte d’essentialisation, on pense que le foulard est l’expression d’un communautarisme. Pourtant, ce n’est pas toujours vrai. Actuellement, une conseillĂšre de M. Obama porte le foulard. En Angleterre, des policiĂšres portent le foulard, des policiers portent le turban. Ce n’est pas parce qu’il y a un communautarisme en Angleterre, mais parce que, lĂ -bas, on essaie d’exploiter ce genre de phĂ©nomĂšnes pour intĂ©grer les populations musulmanes Ă  la sociĂ©tĂ© anglaise. En France, la RĂ©publique n’est pas si fragile qu’elle puisse succomber aux coups de quelques foulards ou de quelques communautarismes modĂ©rĂ©s. Et elle sera d’autant plus solide qu’elle saura rĂ©pondre en neutralisant le sens de ces symboles religieux. Vous avez Ă©tĂ© plusieurs Ă  soulever la question du fondamentalisme religieux derriĂšre ces phĂ©nomĂšnes. Comment faire pour combattre le fondamentalisme sous ses nombreuses formes ? Je pense aux nĂ©o-salafistes, qui sont quelques dizaines de milliers, aux walabites, voire Ă  l’UOIF, l’Union des organisations islamiques de France, qui a des dimensions communautaristes. On peut les apprivoiser », mais cela suppose d’instaurer un vrai dialogue sans imposer certaines normes au nom d’une transcendance rĂ©publicaine, dont la signification Ă©volue avec le temps. Pendant longtemps, les homosexuels ont Ă©tĂ© rejetĂ©s. Les femmes ont Ă©tĂ© exclues dans la mesure oĂč on ne leur accordait aucune spĂ©cificitĂ© au nom de l’universalisme rĂ©publicain ; aujourd’hui, on s’en accommode. Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas faire la mĂȘme chose avec les musulmanes modĂ©rĂ©es dont on ferait les fers de lance » de la RĂ©publique contre les fondamentalismes. Je suis persuadĂ© que des filles et des femmes seraient ravies d’appartenir Ă  la RĂ©publique tout en portant le foulard et en combattant ces phĂ©nomĂšnes. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Je vous remercie. Audition de M. Jean-Michel Ducomte, prĂ©sident de la Ligue de l’enseignement SĂ©ance du mercredi 21 octobre 2009 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Monsieur le prĂ©sident, vous ĂȘtes avocat, maĂźtre de confĂ©rences en droit public Ă  l’Institut d’Études Politiques de Toulouse, et vous dispensez un enseignement sur la place des religions dans la sociĂ©tĂ©. Nous aimerions connaĂźtre votre regard sur le dĂ©veloppement de la pratique du port du voile intĂ©gral. Est-ce avant tout l’expression d’un malaise identitaire de la part de la jeunesse ? Faut-il y voir une rĂ©elle influence du fondamentalisme ? N’est-il pas surprenant de voir de nombreuses jeunes filles europĂ©ennes converties Ă  l’islam adopter cette pratique rigoriste ? Pour nous, derriĂšre la question du voile intĂ©gral, il y a celle du dĂ©veloppement d’un mouvement intĂ©griste et communautariste et de ses consĂ©quences. Selon vous, quels sont les droits de l’Homme mis en cause par cette pratique ? La laĂŻcitĂ© vous paraĂźt-elle mise Ă  mal par l’extension de ce phĂ©nomĂšne ? Enfin, quelle est votre opinion sur une Ă©ventuelle interdiction de cette pratique ? M. Jean-Michel Ducomte, prĂ©sident de la Ligue de l’enseignement. C’est en qualitĂ© de prĂ©sident de la Ligue de l’enseignement que je m’exprime ici, mĂȘme si je ne saurais ignorer totalement ce que je suis par ailleurs. La question dont s’est saisie votre mission me paraĂźt essentielle. A bien des Ă©gards insupportable, elle mĂ©rite dĂ©bat et exige que, dans une logique Ă©ducative, on essaie d’y apporter une rĂ©ponse. La Ligue de l’enseignement considĂšre qu’elle ne requiert pas le recours Ă  une loi, Ă  la rĂ©daction improbable et Ă  l’application incertaine. Bien plus, je crois qu’il ne s’agit pas d’une question de laĂŻcitĂ©. Souvenons-nous – n’y voyez aucune provocation – la fiĂšre affirmation de la Constitution albanaise, selon laquelle l’Albanie Ă©tait le premier pays athĂ©e du monde le systĂšme s’est effondrĂ©, et on assiste aujourd’hui Ă  un retour du refoulĂ© » particuliĂšrement vif. Il est toujours dangereux d’adopter des logiques lĂ©gislatives qui ne visent qu’à se rassurer, sans analyser jusqu’au bout la question posĂ©e. J’observe, par ailleurs, que la rĂ©glementation ou l’interdiction du port de tel ou tel vĂȘtement accompagne le plus souvent des logiques autoritaires. Si les femmes se virent interdire longtemps le port du pantalon, c’est parce que cela ne plaisait pas Ă  Bonaparte ! Le port du voile intĂ©gral, qu’il soit volontaire ou imposĂ©, nous choque et nous scandalise par ce qu’il reprĂ©sente de mĂ©pris assumĂ© Ă  l’égard de la femme, de revendication d’une infĂ©rioritĂ© de statut et de condition, qui dĂ©noncent cyniquement les progrĂšs laborieux accomplis depuis plus d’un siĂšcle grĂące Ă  des combats rĂ©solus. Pour certains, il rĂ©vĂšle une posture clairement rĂ©fractaire aux principes de libertĂ© et d’égalitĂ© qui fondent le pacte rĂ©publicain. D’autres soulignent que l’adoption d’un tel comportement, outre ce qu’il exprime de relĂ©gation volontaire ou assumĂ©e, peut mĂ©connaĂźtre des exigences d’ordre public – par exemple la nĂ©cessitĂ©, dans telle ou telle situation, de prouver son identitĂ©. Les comportements vestimentaires dont nous parlons traduisent vraisemblablement une conviction. Mais sont-ils, dans le cas qui nous prĂ©occupe, plus rĂ©vĂ©lateurs que le port de la barbe ou de certains vĂȘtements par des hommes ? Ce n’est pas le vĂȘtement en lui-mĂȘme qui choque. C’est le fait qu’il rĂ©vĂšle un attachement religieux. Et c’est la conception du statut de la femme que cet attachement religieux pourrait rĂ©vĂ©ler. Prenons garde de ne pas nous faire, d’une façon ou d’une autre, les prescripteurs d’un avenir radieux que chacun devrait partager. Le port du voile intĂ©gral n’est pas anodin, mais ce serait une erreur que de l’interdire. Toute mesure allant dans ce sens stigmatiserait la communautĂ© musulmane et, au sein de cette communautĂ©, celles qui ont le plus Ă  espĂ©rer des vertus Ă©mancipatrices de la laĂŻcitĂ© rĂ©publicaine. Posons-nous quatre questions. PremiĂšrement, est-ce qu’une loi est nĂ©cessaire, dĂšs lors que l’on admet le caractĂšre pour partie insupportable de la situation ? Le droit positif existant n’est-il pas de nature Ă  nous offrir des rĂ©ponses ? DeuxiĂšmement, si une loi Ă©tait nĂ©cessaire, serait-elle possible ? Autrement dit, qu’y mettrait-on ? Qu’interdirait-on, et comment ? TroisiĂšmement, s’il Ă©tait effectivement possible de rĂ©diger une loi, serait-elle utile dans son application ? Enfin, peut-on tenter de mesurer les conditions dans lesquelles elle serait appliquĂ©e ? Le lĂ©gislateur doit en effet se mĂ©fier des textes d’exorcisme, dont la mise en Ɠuvre est impossible et qui ne rĂšglent rien. Une loi est-elle nĂ©cessaire ? J’en doute, si je me rĂ©fĂšre au droit positif. Tout d’abord, les deux dĂ©crets de 1999 et de 2001, relatifs Ă  la dĂ©livrance de la carte d’identitĂ© et du passeport, imposent des photos tĂȘte nue ; ils ont Ă©tĂ© validĂ©s par le Conseil d’État, dans un arrĂȘt du 27 juillet 2001. Par ailleurs, le statut personnel des individus, tel qu’il ressort du code civil, fait prĂ©valoir une conception assez largement laĂŻque. Et diverses dĂ©marches individuelles exigent la preuve de l’identitĂ© de la personne par exemple, une mĂšre de famille ne peut pas aller chercher son enfant Ă  la sortie de l’école si elle n’est pas en situation d’apporter la preuve de son identitĂ© – et il est Ă©vident que le port du voile intĂ©gral est de nature Ă  y faire obstacle. De mĂȘme, l’utilisation de certains Ă©quipements publics peut ĂȘtre refusĂ©e, pour des raisons de sĂ©curitĂ© ou sanitaires, Ă  des personnes dont l’habillement ne serait pas adaptĂ©. Nous avons tous en tĂȘte, Ă  ce sujet, le dĂ©bat rĂ©cent sur ces substituts de voile intĂ©gral, appelĂ©s burkinis, que certaines femmes voulaient imposer lorsqu’elles frĂ©quentaient des piscines publiques ; leur interdiction a suscitĂ© des recours, mais elle n’a pas Ă©tĂ© censurĂ©e. En revanche, une mesure gĂ©nĂ©rale que reprĂ©senterait un texte de nature lĂ©gislative, dĂšs lors qu’elle viserait une population particuliĂšre identifiĂ©e moins par sa façon de s’habiller que par les attachements religieux que rĂ©vĂšle son comportement vestimentaire, encourrait, tant devant le Conseil constitutionnel que devant la Cour europĂ©enne des droits de l’homme, le risque d’ĂȘtre censurĂ©e. La seule façon efficace d’aborder le problĂšme est de se placer sur le terrain de l’ordre public. En quoi l’ordre public rĂ©publicain est-il de nature Ă  ĂȘtre altĂ©rĂ© par le port du voile intĂ©gral ? Les textes actuels, lĂ©gislatifs ou rĂ©glementaires, adoptĂ©s notamment par les maires dans le cadre de leurs pouvoirs de police, ne sont-ils pas suffisants pour rĂ©gler les difficultĂ©s que peut entraĂźner le port du voile intĂ©gral par quatre cents femmes ? Pour moi, une loi serait surabondante par rapport aux textes existants. Je considĂšre donc qu’une loi n’est pas nĂ©cessaire. Mais quand bien mĂȘme elle le serait, serait-elle possible ? Quel contenu conviendrait-il de lui donner ? Il ne s’agit pas, bien sĂ»r, de faire de l’État l’arbitre des Ă©lĂ©gances vestimentaires, mais tout d’abord, quel type de voile interdire ? Que couvre le voile intĂ©gral » dont on parle ? A partir de quel niveau de couverture l’interdiction commencera-t-elle ? Je vous renvoie au rapport de la commission Stasi et Ă  sa distinction entre l’ostensible et l’ostentatoire. A partir de quand peut-on considĂ©rer qu’il s’agit d’un comportement de nature Ă  affecter l’identitĂ© rĂ©publicaine ? Est-ce que la couleur sera prise en compte ? Le vĂȘtement devra-t-il couvrir le front, la bouche, les yeux ? Ensuite, dans quels lieux interdire ? On Ă©voque souvent l’espace public », mais celui-ci se distingue des lieux publics ». L’interdiction vaudra-t-elle dans la rue, dans les administrations, au domicile ? Si on n’y prendre garde, la volontĂ© de se rassurer risque de se muer en logique liberticide et l’on risque d’hĂ©roĂŻser les victimes de l’interdiction. J’en arrive Ă  la troisiĂšme question une loi serait-elle utile ? L’utilitĂ© d’un texte se mesure aux effets que l’on cherche Ă  lui faire produire. Je n’ose pas croire que notre seule prĂ©occupation soit de soustraire Ă  notre regard un comportement qui nous dĂ©rangerait. Mais l’interdiction serait-elle le meilleur moyen de faire changer les comportements ? Dans le cas de la loi sur le port du voile Ă  l’école, certains considĂšrent que la loi a eu une dimension partiellement pĂ©dagogique, d’autres observent qu’elle a Ă©galement abouti Ă  des cas de dĂ©scolarisation ; il faudra donc faire le bilan. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas en luttant contre un signe qu’on lutte efficacement contre sa signification. Et ce n’est pas par une interdiction mais par la constitution de droits nouveaux qu’on lutte contre les discriminations. En adoptant une logique d’interdiction Ă  l’égard de populations marginalisĂ©es, on s’expose Ă  ĂȘtre contreproductif. DerniĂšre question une loi pourrait-elle ĂȘtre appliquĂ©e ? Et qui serait chargĂ© de veiller Ă  son application ? Je n’ose imaginer que l’on procĂšderait Ă  des dĂ©voilements de force sur la voie publique ou dans des lieux dĂ©terminĂ©s. Il faudrait crĂ©er une infraction spĂ©ciale, susceptible de donner lieu Ă  l’établissement d’un procĂšs-verbal, lequel permettrait Ă©ventuellement de tirer les consĂ©quences de l’inapplication de la loi. On peut rĂ©pliquer qu’il s’agit simplement de savoir si, dans tels lieux, Ă  telles occasions, le port de ce type d’appareil vestimentaire est de nature Ă  ĂȘtre interdit. Mais, encore une fois, c’est une question d’ordre public, Ă  laquelle rĂ©pondent les textes tels qu’ils existent aujourd’hui. Lorsqu’on interdit Ă  une femme voilĂ©e de se baigner dans une piscine, c’est pour des raisons d’ordre public sanitaire, et pas au nom de la laĂŻcitĂ©. Lorsqu’on demande Ă  quelqu’un de prouver son identitĂ© pour Ă©tablir sa carte d’identitĂ© ou son passeport, ou lorsqu’on le contrĂŽle dans un aĂ©roport, c’est encore pour des raisons d’ordre public. Mais ne pas recourir Ă  la loi ne veut pas dire ne rien faire. Il faut faire quelque chose, mais en se plaçant sur un terrain diffĂ©rent, auquel la Ligue de l’enseignement s’est attachĂ©e depuis un siĂšcle et demi. Il y a un dĂ©bat Ă  engager sur le terrain de l’éducation populaire. Il faut admettre l’intervention volontariste des pouvoirs publics dans des quartiers de relĂ©gation au sein desquels se dĂ©veloppent ces comportements. Et il faut prendre ces comportements pour ce qu’ils sont des marqueurs d’identitĂ© destinĂ©s Ă  souligner des rĂ©alitĂ©s de discrimination. L’un ne va pas nĂ©cessairement avec l’autre, il peut s’agir de provocation, de logiques d’identitĂ© en rupture avec le pacte rĂ©publicain – mais ce n’est sans doute pas le cas le plus frĂ©quent. La plupart du temps, il s’agit de femmes que leur entourage familial maintient dans leur univers gĂ©ographique et Ă©conomique d’appartenance, oĂč il est facile de reproduire des phĂ©nomĂšnes de domination. Dans ces conditions, adopter une logique lĂ©gislative, c’est donner raison Ă  ceux qui dĂ©veloppent ces comportements. Cela ne fait pas avancer d’un pouce l’émancipation de celles qui pourraient avoir besoin de l’aide de la RĂ©publique. En revanche, une logique d’éducation populaire, une vĂ©ritable prĂ©sence des services publics, de l’État et des collectivitĂ©s territoriales dans les quartiers de relĂ©gation serait de nature Ă  faire Ă©voluer la situation. Poser des principes est important, mais cela ne suffit pas encore faut-il leur donner substance par l’action collective, la capacitĂ© de conviction, l’implication des pouvoirs publics. Émanciper, cela ne se dĂ©crĂšte ni ne se lĂ©gifĂšre, cela se rĂ©alise. Mais il faut du temps, de la volontĂ©, et aussi de la gĂ©nĂ©rositĂ©. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Merci. Nous en venons aux questions. M. Jean Glavany. Vous dites qu’il ne s’agit pas d’un problĂšme de laĂŻcitĂ© en ĂȘtes-vous sĂ»r ? Si on entend par laĂŻcitĂ© la protection de la libertĂ© de conscience, donc de la libertĂ© religieuse, mais en mĂȘme temps un combat contre les intĂ©grismes et le fanatisme religieux qui n’acceptent pas que les lois de la RĂ©publique l’emportent sur les lois religieuses, on doit constater que ceux qui prĂ©conisent le port du voile intĂ©gral sont prĂ©cisĂ©ment des intĂ©gristes qui rĂ©futent les lois de la RĂ©publique. Vous avez prĂ©sentĂ© la question du voile intĂ©gral comme une question vestimentaire comme une autre. Or le visage n’est pas n’importe quelle partie du corps. Etre Ă  visage dĂ©couvert n’a pas seulement une utilitĂ© d’ordre public, en permettant la reconnaissance de l’identitĂ© ; c’est aussi, Ă  travers le regard, la parole, l’expression, accepter les Ă©changes, l’égalitĂ©, la fraternitĂ©. Si le port du voile intĂ©gral est insupportable comme vous le dites, je ne sais pas s’il faut l’interdire, mais il faut en tout cas l’empĂȘcher. Pourquoi est-ce insupportable ? Parce que c’est l’expression d’idĂ©ologies barbares, portĂ©es par les talibans et par les salafistes. C’est une violence faite aux femmes, mĂȘme si elle est plus ou moins consentie. Alors, comment l’empĂȘcher ? Peut-on le faire par la conviction ? Force est de constater qu’aucune femme ne portait le voile intĂ©gral sur notre territoire il y a vingt ans et que le phĂ©nomĂšne se dĂ©veloppe. Enfin, vous dites que l’émancipation des femmes se rĂ©alise par l’acquisition de droits nouveaux et non par des interdits ; mais interdire le port du voile serait justement accorder Ă  ces femmes le droit d’aller Ă  visage dĂ©couvert, droit dont elles sont privĂ©es aujourd’hui par des hommes intĂ©gristes ! M. Lionnel Luca. Je suis un peu Ă©tonnĂ© de vous entendre dire qu’il est difficile de faire un bilan de la loi sur le voile Ă  l’école. Je suis aussi enseignant et je constate que le problĂšme qui dĂ©frayait la chronique il y a cinq ans n’est plus d’actualitĂ© ; les cas sont aujourd’hui marginaux, alors que le phĂ©nomĂšne Ă©tait en train de s’amplifier. J’aimerais notamment que vous soyez un peu plus prĂ©cis quand vous affirmez que la loi a entraĂźnĂ© une dĂ©scolarisation. ConsidĂ©rez-vous que celle-ci est acceptable, dans un pays oĂč l’école est obligatoire jusqu’à seize ans ? Qu’est-ce qui vous fait dire qu’il y a eu dĂ©scolarisation ? De quels chiffres disposez-vous ? Vous vous ĂȘtes demandĂ© quel voile il s’agirait d’interdire cette innocence m’épate ! Il n’y a pas Ă  le dĂ©finir il est assez visible pour qu’on n’ait pas Ă  s’interroger, et votre interrogation me dĂ©range. Je vous invite Ă  relire l’intervention d’Élisabeth Badinter, qui a magnifiquement dit qu’il n’y avait pas de vĂȘtement du visage. Comme l’a dit Jean Glavany, ce qui est insupportable doit ĂȘtre empĂȘchĂ©. Vous prĂŽnez une logique d’éducation populaire, mais comment la concrĂ©tiser sans l’appuyer sur un interdit ? Allez-vous faire dĂ©voiler les gens simplement par la conviction ? Vraiment, soyez plus prĂ©cis. Ce qui me dĂ©range dans votre propos, c’est le sentiment d’une certaine complaisance. M. Jacques Myard. Je vois, pour ma part, une contradiction dans vos propos. Vous nous dites qu’il y a dans le droit positif beaucoup d’élĂ©ments qui peuvent interdire le port du voile intĂ©gral. C’est dĂ©jĂ  une preuve qu’il heurte un certain nombre de principes. Mais cela va au-delĂ  cela montre qu’il faut peut-ĂȘtre rĂ©affirmer certains principes. Si l’on est face Ă  une idĂ©ologie totalement contraire Ă  notre conception du vouloir-vivre ensemble, si c’est une violence faite non seulement aux femmes, mais aussi Ă  nos principes de vie, je ne vois pas en quoi le fait de l’interdire poserait des problĂšmes vis-Ă -vis du Conseil constitutionnel ou de la Cour europĂ©enne des droits de l’homme. La dignitĂ© de la personne, l’égalitĂ© des sexes ne mĂ©ritent-elles pas d’ĂȘtre dĂ©fendues ? Dans la plupart des cas, ces femmes se voilent sous la contrainte et la pression sociale ; mais elles ont le droit de ne pas ĂȘtre voilĂ©es la loi est faite pour protĂ©ger le faible face Ă  la contrainte du fort. Votre argumentation juridique me paraĂźt donc comporter beaucoup de failles. Vous devez vous demander, si ce phĂ©nomĂšne est intolĂ©rable, comment faire pour l’empĂȘcher. Mme Pascale Crozon. Vous avez indiquĂ© que les femmes avaient conquis des droits nouveaux considĂ©rez-vous que le port du voile intĂ©gral en est un ? Si c’est une violence trĂšs forte faite aux femmes, mĂȘme si elles sont consentantes, ne faut-il pas intervenir ? A mon avis, la loi qui donnera suite aux travaux de la mission sur les violences faites aux femmes devrait intĂ©grer cette forme de violence. M. Jean-Michel Ducomte. La question du port du voile intĂ©gral, que je continue de considĂ©rer comme insupportable, ne relĂšve pas du corpus juridique français de la laĂŻcitĂ© et de ce qu’il dĂ©finit comme Ă©tant permis ou dĂ©fendu. C’est une question de sĂ©cularisation, Ă  savoir d’aptitude de la sociĂ©tĂ© Ă  digĂ©rer » certaines situations. MĂȘme si la signification Ă©tait trĂšs diffĂ©rente, je vous rappelle que jusqu’à une date qui n’est pas si lointaine, des religieuses catholiques, sans porter de voile intĂ©gral, avaient une tenue parfaitement repĂ©rable. Aujourd’hui, certaines sont encore cloĂźtrĂ©es. Est-ce que l’on va obliger demain les nonnes cloĂźtrĂ©es Ă  sortir dans la rue au motif que leur enfermement serait insupportable ? Ce comportement est intolĂ©rable, certes, mais il y a aujourd’hui bien des choses intolĂ©rables, Ă  l’égard desquelles la reprĂ©sentation nationale n’est pas parvenue Ă  dĂ©finir des mesures d’interdiction claires. Par exemple, vous n’avez jamais pu interdire les sectes, parce qu’il aurait fallu les dĂ©finir, et donc dĂ©finir la religion, ce qui aurait heurtĂ© l’article 2 de la loi de 1905. Le problĂšme qui nous intĂ©resse n’est pas identique, mais superposable. Je fais une distinction entre le signe tel que nous le percevons – ce qui est ostensible – et la signification que lui donnent ceux qui le portent – dans une logique plus ostentatoire. Si la loi posait une interdiction, les femmes pourraient-elles remettre leur voile intĂ©gral en rentrant chez elles ? M. Jacques Myard. La question ne se pose pas. Qu’on ne puisse pas aller nu dans la rue n’empĂȘche pas de rester nu chez soi ! M. Jean-Michel Ducomte. Ce que je souhaite, c’est que les progrĂšs s’accomplissent dans les tĂȘtes, et que l’on voie disparaĂźtre ce type d’attitude parce que les mentalitĂ©s auront Ă©voluĂ©. Une logique d’interdiction, surtout si elle vise une infime minoritĂ©, conduit Ă  l’hĂ©roĂŻsation. Certaines femmes portent aujourd’hui le voile intĂ©gral par provocation, pour tester la logique d’interdiction qui pourrait ĂȘtre celle du Parlement, et cherchent en mĂȘme temps Ă  s’en servir comme d’un brevet de perfection musulmane Ă  l’égard de leur communautĂ©. Oui, c’est une question de droit des femmes et de violence faite aux femmes, c’est Ă©vident. C’est bien la raison pour laquelle je me suis situĂ© sur le terrain de l’ordre public, en considĂ©rant que la laĂŻcitĂ© est d’abord une façon d’apprĂ©hender l’ordre public. Ce qui m’intĂ©resse, c’est de savoir en quoi, dans tel lieu, Ă  tel moment, il peut apparaĂźtre utile ou nĂ©cessaire d’empĂȘcher ce type de comportement. Lorsqu’il y a problĂšme pour prouver son identitĂ©, problĂšme de sĂ©curitĂ© publique ou problĂšme de santĂ© publique, les textes permettent d’y rĂ©pondre. Une loi crĂ©erait un surplomb thĂ©orique par rapport Ă  l’appareil rĂ©glementaire existant. Est-ce nĂ©cessaire ? Il me semble qu’on se trouve dans une situation un peu analogue Ă  celle des lois mĂ©morielles. S’agissant des femmes venant en burkini dans les piscines, les juridictions administratives ont considĂ©rĂ© que l’interdiction ne portait pas atteinte Ă  la libertĂ© religieuse, mais Ă©tait motivĂ©e par des considĂ©rations sanitaires relevant de l’ordre public rĂ©publicain. C’est peut-ĂȘtre lĂ  une façon minimaliste d’aborder le problĂšme ; mais je pense que toute dĂ©marche lĂ©gislative valorise ce qu’on interdit, beaucoup plus qu’elle ne permet de le faire disparaĂźtre. Concernant la loi sur le port du voile Ă  l’école, je n’ai pas les chiffres exacts en tĂȘte, mais nous avons fait deux constats. Le premier est qu’au sein de l’école publique, la question est pour l’essentiel rĂ©solue. Dont acte. En revanche, la loi a eu pour consĂ©quence, ce dont je ne me satisfais pas, de fournir une clientĂšle aux Ă©tablissements d’enseignement privĂ© qui n’étaient pas regardants sur la question et auxquels la loi ne s’applique pas, et de provoquer marginalement un phĂ©nomĂšne de dĂ©scolarisation. Par ailleurs, je constate qu’à l’universitĂ©, la pratique du port du voile se dĂ©veloppe. Lorsque je suis confrontĂ© au problĂšme, je fais cours mais je dis que je trouve cela peu acceptable, non pas en termes de la laĂŻcitĂ©, mais Ă  l’égard des jeunes filles musulmanes non voilĂ©es. Ce qui m’intĂ©resse, c’est d’éviter une pression d’une minoritĂ© de la communautĂ© sur la majoritĂ© de celle-ci. Je suis d’accord avec M. Glavany je pense qu’il faut empĂȘcher le phĂ©nomĂšne. M. Jean Glavany. Comment ? M. Jean-Michel Ducomte. Il faudra du temps. Le fait que vous ayez abordĂ© le problĂšme en amont de son dĂ©veloppement est une bonne chose. Aujourd’hui, le nombre de personnes concernĂ©es est minoritaire. On peut engager un vĂ©ritable dĂ©bat. La prĂ©sence des services publics dans les lieux de relĂ©gation constitue un Ă©lĂ©ment de rĂ©ponse il vaut mieux que les femmes puissent aller au commissariat plutĂŽt que d’aller se plaindre au chef de la communautĂ© ! L’État se doit d’ĂȘtre prĂ©sent dans ces quartiers. M. Jean-Paul Garraud. Si le port du voile intĂ©gral est insupportable, il est nĂ©cessaire de faire quelque chose. Or vous savez trĂšs bien que les outils juridiques dont nous disposons actuellement ne sont pas suffisants pour interdire cette pratique dans la rue. Alors que faire ? M. Jean-Michel Ducomte. Je suis un peu Ă©bouriffĂ© par votre question ! Je n’envisageais pas une seconde l’interdiction du port du voile intĂ©gral dans la rue
 Vous allez me trouver provocateur, mais lorsqu’un cul-de-jatte se promĂšne dans la rue, cela peut aussi faire violence. Nous devons nous prĂ©occuper de la signification, pas du signe. Un signe est neutre en soi ; ce qui est important, c’est la signification qu’on lui donne le signe de croix que ferait un athĂ©e n’aurait pas de sens. Vous vous souvenez que la Turquie khĂ©maliste a Ă©dictĂ© de nombreuses interdictions, notamment sur le terrain vestimentaire. Je ne suis pas sĂ»r qu’une logique d’interdiction portĂ©e au bout des canons ait Ă©tĂ© de nature Ă  faire changer la sociĂ©tĂ© turque. M. Jacques Myard. Oh que si ! M. Jean-Michel Ducomte. Dans l’histoire, quand la laĂŻcitĂ© a Ă©tĂ© altĂ©rĂ©e, c’est souvent que l’armĂ©e est intervenue. J’avoue que, dans ma conception, la laĂŻcitĂ© va avec la dĂ©mocratie. Une dĂ©marche laĂŻque ne saurait ĂȘtre liberticide. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Merci du temps que vous nous avez consacrĂ©. Audition de M. Dalil Boubakeur, recteur de la Grande MosquĂ©e de Paris. SĂ©ance du mercredi 28 octobre 2009 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Mes chers collĂšgues, en plus de nos auditions prĂ©vues le mercredi 4 et le jeudi 12 novembre, nous nous dĂ©placerons Ă  Marseille le jeudi 5 novembre et Ă  Bruxelles le mercredi 13 novembre, avant un nouveau point d’étape que je vous propose de tenir le mercredi 25 novembre en fin de matinĂ©e. C’est avec beaucoup de plaisir que nous accueillons aujourd’hui M. Dalil Boubakeur, recteur de la Grande MosquĂ©e de Paris et, jusqu’en juin 2008, prĂ©sident du Conseil français du Culte musulman. En raison des Ă©minentes fonctions que vous avez pu exercer, vous incarnez, Monsieur Boubakeur, l’un des visages de l’islam de France. Je dis l’un des visages » car l’islam demeure traversĂ© par de multiples courants et tendances dont nous respectons la diversitĂ©. Il nous importe de nouer, d’entretenir, voire de renforcer un dialogue franc et respectueux qui permette Ă  ceux de nos compatriotes se rĂ©clamant de l’islam de vivre librement leur foi et de rĂ©gler, dans le cadre des lois de la RĂ©publique et du principe de laĂŻcitĂ©, les Ă©ventuels problĂšmes pouvant entourer la pratique de la deuxiĂšme religion en France. Il est tout Ă  fait important pour nous de vous entendre sur la question de la pratique du voile intĂ©gral sur le territoire national. Je pense pouvoir parler au nom de mes collĂšgues en indiquant que nous sommes trĂšs attachĂ©s Ă  ce que nos travaux ne soient pas interprĂ©tĂ©s comme mettant en cause l’islam et les musulmans. Ce n’est absolument pas notre propos. Nous ne voulons pas intervenir dans le champ religieux, mais dans ceux de la sociĂ©tĂ© et de la politique, car c’est notre responsabilitĂ©. Il nous importe que les grandes figures de l’islam français puissent nous aider dans notre volontĂ© de combattre les dĂ©rives intĂ©gristes et fondamentalistes, et ainsi de rĂ©pondre Ă  la majoritĂ© des musulmans. Vous avez d’ailleurs fait, fin juin, des dĂ©clarations assez tranchĂ©es sur l’absence de caractĂšre religieux de la burqa, ce qui nous conforte dans notre souci de ne pas cĂ©der Ă  la tentation de l’amalgame entre l’islam et la pratique du port du voile intĂ©gral. NĂ©anmoins, plusieurs questions se posent Ă  nous. Le port du voile intĂ©gral est-il, selon vous, le signe d’une radicalisation ? Dans quelle mesure votre analyse prĂ©vaut-elle parmi les imams de France et les autoritĂ©s de la religion musulmane ? Comment rĂ©cuser ceux qui prĂ©tendent trouver dans le Coran et la tradition de l’islam une prescription d’ordre religieux imposant aux femmes de porter le voile intĂ©gral ? Comment empĂȘcher que le port du voile intĂ©gral ne soit imposĂ© Ă  des femmes contre leur grĂ© et comment convaincre celles qui le portent volontairement ? Certaines personnes nous ont, en effet, dit le porter volontairement, mais de nombreux tĂ©moignages nous prouvent qu’il est imposĂ©, je pense en particulier aux jeunes mineures et aux adolescentes. Enfin, mĂȘme si la mission n’a nullement dĂ©cidĂ©, Ă  ce stade, de prĂ©coniser une loi, quels seraient, selon vous, les effets d’une mesure d’interdiction du port du voile intĂ©gral ? Je vous cĂšde maintenant la parole. M. Dalil Boubakeur, recteur de la Grande MosquĂ©e de Paris. Mesdames, Messieurs, en tant que recteur de la MosquĂ©e de Paris, je vais vous faire part de mon analyse sur le voile intĂ©gral sous l’angle de l’islam. Depuis sa construction en 1922 sur un budget votĂ© par le Parlement français, la MosquĂ©e de Paris s’est engagĂ©e dans la construction et la promotion d’un islam de France fidĂšle Ă  sa tradition des LumiĂšres et en accord avec l’esprit des institutions françaises en matiĂšre de lĂ©gislation, de culture et de sociĂ©tĂ©. Les reprĂ©sentants de cet islam de France sont pĂ©riodiquement interrogĂ©s sur la compatibilitĂ© de cette religion – la deuxiĂšme de France – avec soit la laĂŻcitĂ© française, soit la modernitĂ© de la sociĂ©tĂ© occidentale. Devant les rĂ©actions suscitĂ©es par l’apparition rĂ©cente des femmes intĂ©gralement voilĂ©es au nom de l’islam, le lien avec une rĂ©surgence du fondamentalisme musulman est vite Ă©tabli. L’irruption du voile intĂ©gral dans la population française des villes et des citĂ©s pose le problĂšme de l’acceptation ou non de ce qui est jugĂ© comme une atteinte Ă  la laĂŻcitĂ© de notre sociĂ©tĂ© ; une insulte Ă  la dignitĂ© de la femme, Ă  sa libertĂ© et au principe fondamental de l’égalitĂ© des hommes et des femmes ; une rĂ©surgence archaĂŻque contraire Ă  la modernitĂ© ; une attitude de provocation guidĂ©e par les fondamentalistes en France et dans le monde, puisque ce phĂ©nomĂšne se rĂ©pand un peu partout chez les musulmans. Devant l’émotion suscitĂ©e en France par cette pratique vestimentaire, M. le PrĂ©sident de la RĂ©publique, Nicolas Sarkozy, affirmait fermement le 22 juin 2009 devant le CongrĂšs du Parlement rĂ©uni Ă  Versailles Le problĂšme de la burqa n’est pas un problĂšme religieux, c’est un problĂšme de libertĂ© [et] de dignitĂ© de la femme. La burqa n’est pas un signe religieux, c’est un signe d’asservissement, d’abaissement. Je veux le dire solennellement la burqa ne sera pas la bienvenue sur le territoire de la RĂ©publique française. » Pour notre part, nous pouvons affirmer trois choses. PremiĂšrement, du point de vue religieux, ni la burqa ni le niqab – ou voiles intĂ©graux – ne sont des prescriptions religieuses de l’islam. Dans le Coran, le voile fĂ©minin est invoquĂ© dans les sourates 24-31 la LumiĂšre, 33-53 et 33-59 Les CoalisĂ©s. Il y est question de voile – appelĂ© en arabe jilbab –, de pudeur et de respect dĂ» aux femmes qu’il faut prĂ©server. Cependant, les termes de burqa ou de niqab n’y sont mentionnĂ©s nulle part. Mieux, l’un des plus grands traditionalistes de l’islam, Mohamed El Bokhari, cite le tĂ©moignage de la propre Ă©pouse du ProphĂšte, AĂŻcha, la plus Ă©rudite des croyantes de son temps, qui prĂ©cisa sans Ă©quivoque Sahih, chapitre XXIII qu’au cours du PĂšlerinage elle ne se couvrait ni la partie infĂ©rieure ni la partie supĂ©rieure du visage » durant le rite sacrĂ©. Ainsi, le rite du pĂšlerinage ihram ne s’opĂšre-t-il qu’à visage dĂ©couvert jusqu’à nos jours. RĂ©cemment, le 3 octobre 2009, le trĂšs savant Cheikh Al Tantawi, recteur de l’UniversitĂ© d’Al Azhar en Égypte, a interdit le port de la burqa ou niqab aux enseignantes et Ă©tudiantes dans les Ă©coles relevant de son universitĂ©, disant que cette tenue vestimentaire n’est qu’une simple coutume et non un acte de dĂ©votion – en arabe Ada laĂŻssa’ibada ». DeuxiĂšmement, d’autres Ă©lĂ©ments plaident contre le port du voile intĂ©gral. Si le voile intĂ©gral est souvent mis au compte d’une extension du fondamentalisme dans le monde, il faut noter que c’est l’organisation islamiste des FrĂšres Musulmans qui, en Égypte, s’éleva le plus fortement contre l’interdit du port de ce vĂȘtement, interdit prĂ©conisĂ© par le Cheikh de l’UniversitĂ© islamique d’Al Azhar. Ces fondamentalistes-lĂ  invoquent volontiers les positions radicales et littĂ©ralistes de la quatriĂšme Ă©cole de l’islam, le hanbalisme, dont l’un des juristes, Ibnu Taymiyya – dont s’inspirent tous les fondamentalistes de la planĂšte – aurait, au XIIIe siĂšcle, recommandĂ© dans ses fatwas le voile intĂ©gral, aujourd’hui portĂ© sous le nom de burqa en Afghanistan chez les Pachtounes, et de niqab dans certains pays arabes. Ce terme de burqa existe bien dans la littĂ©rature antĂ©islamique arabe Antar Ibn Shadad, mais c’est un archaĂŻsme qui n’a rien Ă  voir avec l’avĂšnement de l’islam. Ce vocable de niqab – qui signifie couvrir ou voiler en arabe – est utilisĂ© sous le terme de n’gueb dans le Sahara oĂč les Touaregs se couvrent le visage, sauf les yeux, pour se protĂ©ger des ardeurs du soleil ou des vents de sable. Cela, Ă  l’évidence, n’est pas le cas de la France ! Il est donc clair que ce vĂȘtement, limitĂ© dans son espace gĂ©ographique et historique, est Ă  tort Ă©rigĂ© aujourd’hui comme une tradition de l’islam. Cette pratique vestimentaire se rĂ©pand nĂ©anmoins en Europe et dans le monde musulman avec une volontĂ© manifeste des tenants de la quatriĂšme Ă©cole de l’islam. Elle est amplifiĂ©e dans le monde par l’effet contagieux des tĂ©lĂ©visions satellitaires moyen-orientales, d’Internet et de tous les modes de communication modernes. Ce voile intĂ©gral a Ă©tĂ© rĂ©guliĂšrement mis en cause dans l’histoire lors de diverses actions de guerres, comme chez les premiers Abbassides oĂč certains guerriers se voilaient. Plus rĂ©cemment, il en a Ă©tĂ© question s’agissant du terrorisme en Irak et en Jordanie. En Iran, certaines personnes viennent mĂȘme d’ĂȘtre accusĂ©es de l’utiliser pour des transports illicites de stupĂ©fiants. Beaucoup d’autres aspects sĂ©curitaires sont invoquĂ©s pour critiquer la non-identification de femmes arborant le voile intĂ©gral. Par exemple, aux portes des Ă©coles, dans les administrations, les douanes, les aĂ©roports, les banques, les hĂŽpitaux, oĂč une personne doit ĂȘtre reconnue par son visage dĂ©couvert. On a mĂȘme assistĂ©, paraĂźt-il, Ă  des intrusions masculines sous le camouflage de la burqa. TroisiĂšmement, la France est un Ă©tat laĂŻc, vecteur de valeurs humanistes, liĂ©es aux droits humains que sont la libertĂ©, l’égalitĂ©, la paritĂ© entre les hommes et les femmes... Bref, cette modernitĂ© rĂ©publicaine est garante de la diversitĂ© de notre sociĂ©tĂ©. Le pacte social assurant cette laĂŻcitĂ© est acceptĂ© par tous citoyens ou rĂ©sidents musulmans de France participent Ă  ce consensus et Ă  cet engagement de respecter la loi et les coutumes de notre pays. Ce fut, en 2003, l’une des conditions du contrat d’accueil et d’intĂ©gration des femmes immigrĂ©es, dĂ©sireuses de venir vivre et s’installer en France. Il faut le marteler la RĂ©publique intĂšgre les individus et refuse le communautarisme. N’excluant nullement le droit Ă  la diffĂ©rence, la sociĂ©tĂ© française manifeste ses rĂ©ticences lorsque des signes de dĂ©marcation trop ostensibles semblent prendre des significations heurtant la laĂŻcitĂ© ou le sentiment du vivre-ensemble ». C’est pourquoi nous nous rangeons Ă  l’avis du PrĂ©sident de la RĂ©publique qui a fermement soulignĂ© l’urgence d’une prise de position au sujet du voile intĂ©gral. N’étant pas juriste, il ne m’appartient pas ici de conseiller la mission parlementaire sur le plan de la lĂ©gislation. Cependant, une loi – qui serait d’exception, tout le monde le reconnaĂźt – sur le port de cette tenue vestimentaire pourrait se heurter, dans son application, Ă  diverses difficultĂ©s ou Ă  des conflits d’intĂ©rĂȘts qui concernent finalement un nombre incertain de porteuses de burqa. On n’en connaĂźt pas le nombre exact. Du reste, il n’y a pas, en Islam, de monachisme ni de tenue monacale sourate 57 al Hadid ». La Rahbaniyata Fil-Islam il n’y a pas de tenue religieuse dans l’islam. En France, toutes les personnes – hommes ou femmes – sont protĂ©gĂ©es par la loi. Et la modernitĂ© de la sociĂ©tĂ© confĂšre Ă  la femme – qu’elle soit musulmane ou non – toutes ses potentialitĂ©s d’épanouissement, de dignitĂ© et de responsabilitĂ©, dans le respect de chacune et la diversitĂ© de toutes. Dans le cas du port du voile intĂ©gral, ces conditions ne peuvent ĂȘtre remplies que si l’on privilĂ©gie une attitude de sagesse, de dialogue et de pragmatisme plutĂŽt que de contrainte. Dans une dĂ©marche de comprĂ©hension plus directe, il y aurait lieu de s’informer – au cas par cas – sur les motivations familiales, maritales, sectaires, religieuses, voire psychologiques qui poussent ces femmes Ă  arborer un tel vĂȘtement, si peu conforme aux us et coutumes de l’Europe. Chaque cas repose, en effet, sur une problĂ©matique personnelle, une histoire personnelle ou, et je le dis en tant que mĂ©decin, un Ă©tat clinique personnel. Sur un plan psychologique ou mĂȘme psychanalytique, n’y a-t-il pas une sorte de fixation, de fĂ©tichisme ? Il faudrait aller assez loin dans l’exploration intellectuelle, psychologique et sociologique pour bien connaĂźtre ce problĂšme qui me paraĂźt, pour l’instant, ressortir d’une volontĂ© personnelle, individuelle. On a mĂȘme trouvĂ© des femmes europĂ©ennes qui revendiquaient le port de ce vĂȘtement. Par ailleurs, il serait nĂ©cessaire d’établir une statistique plus fiable des cas relevĂ©s en France et de noter dans la durĂ©e l’extension ou non du phĂ©nomĂšne. GrĂące Ă  une connaissance beaucoup plus prĂ©cise de cette nouvelle situation en France, on pourra observer, si ce phĂ©nomĂšne dĂ©note une vĂ©ritable influence croissante du fondamentalisme musulman en Europe et s’il est la cause d’un certain nombre de dysfonctionnements administratifs, sociaux ou sĂ©curitaires. Dans le premier cas, si le fondamentalisme est Ă  ce point invasif et contagieux dans notre pays, alors les moyens de lutte ne seraient que politiques tout rapport de force sociĂ©tal – le fondamentalisme en est un – doit ĂȘtre traitĂ© politiquement, mais est-il encore temps de lutter sur ce plan ? Il s’agirait de mettre en place une nouvelle politique de soutien – au moins – Ă  l’islam modĂ©rĂ©, qui souffre tant de sa dĂ©shĂ©rence, et de veiller partout et avec vigilance Ă  la non-prolifĂ©ration du fondamentalisme. La sociĂ©tĂ© doit dĂ©cider politiquement de quel islam elle veut. Dans le second cas, il semble qu’il faudrait cibler les lieux et les circonstances oĂč le port du voile intĂ©gral prĂ©sente une incompatibilitĂ© avec l’exercice normal de la fonction publique, des rĂšgles de sĂ©curitĂ© ou de la simple identification d’une personne, par exemple, Ă  la sortie des Ă©coles, et partout oĂč l’identitĂ© est requise sur un plan administratif, douanier, policier, etc. Le dĂ©bat actuel sur l’identitĂ© nationale confĂšre au problĂšme de la burqa une rĂ©sonance particuliĂšre. Il faut cependant raison garder. Il appartient au seul lĂ©gislateur de concilier les diverses exigences que sont le droit de chacun Ă  la sĂ©curitĂ©, l’égalitĂ© des hommes et des femmes, et la protection des droits et des libertĂ©s d’autrui, conformĂ©ment Ă  la tradition française d’humanisme et de tolĂ©rance, tout en tenant compte de l’état actuel de notre lĂ©gislation. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Je vous remercie, Monsieur Boubakeur, pour la franchise de votre exposĂ©. M. Éric Raoult, rapporteur. Cher Dalil, aprĂšs vingt-cinq Ă  trente ans de pratique des responsabilitĂ©s dans l’islam de France, vous ĂȘtes certainement l’une des personnalitĂ©s qui le connaĂźt le mieux, car vous l’avez vu Ă©voluer. Le voile intĂ©gral est un phĂ©nomĂšne trĂšs nouveau. Il donne l’impression d’un dĂ©sir de retour aux sources, d’un souci individuel de puretĂ© chez les femmes qui le portent – parfois avec un zĂšle de converties –, mais aussi de crispation identitaire dans les dĂ©partements dont nous sommes les reprĂ©sentants. DĂ©favorables Ă  un phĂ©nomĂšne qu’elles ont qualifiĂ© de limitĂ© » et de trĂšs minoritaire », la trĂšs grande majoritĂ© des personnes auditionnĂ©es nous ont pourtant demandĂ© de ne pas l’interdire. Selon vous, quelles rĂ©actions pourraient susciter, dans la communautĂ© musulmane, l’édiction d’une mesure d’interdiction du port du voile intĂ©gral ? Vous jouez un rĂŽle Ă©minent et vos propos sont Ă©coutĂ©s, comme ceux de votre successeur Ă  la tĂȘte du Conseil français du culte musulman CFCM. Quel rĂŽle pĂ©dagogique pourraient exercer les reprĂ©sentants du culte musulman s’agissant d’une mesure d’interdiction ? M. Lionnel Luca. Vous ĂȘtes une rĂ©fĂ©rence sur l’islam et nul mieux que vous pouvait nous apporter des prĂ©cisions utiles, notamment sur le fait que rien dans le Coran n’oblige Ă  cette pratique. Une loi pouvant ĂȘtre perçue comme un amalgame entre l’islam et les pratiques religieuses, vous prĂ©conisez le cas par cas ». Or, cela suppose qu’ils ne soient pas trop nombreux. Plus concrĂštement, quels moyens efficaces permettraient de convaincre, d’empĂȘcher la prolifĂ©ration de cette pratique non conforme aux usages de la RĂ©publique, au vivre-ensemble » et Ă  notre mode de vie Ă  tous, inexistante il n’y a pas encore si longtemps ? Vous semblez Ă©voquer une contrainte. Pouvez-vous confirmer les cas prĂ©cis d’interdiction ? M. Jacques Remiller. Dimanche Ă  la mĂȘme heure, nous avons entendu deux dĂ©clarations, l’une sur RMC, l’autre au Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI selon la premiĂšre, dont je ne citerai pas l’auteur, la burqa ne menace pas l’identitĂ© nationale » ; selon la seconde, prononcĂ©e par le ministre Éric Besson, la burqa heurte de front les valeurs de l’identitĂ© nationale », la seule question Ă©tant, selon lui, celle des modalitĂ©s techniques de son interdiction. Pouvez-vous aller plus loin dans votre analyse sur l’identitĂ© nationale ? Il faut, selon vous, un soutien plus affirmĂ© Ă  l’islam modĂ©rĂ©. Qu’entendez-vous par lĂ  ? Mme Nicole Ameline. Monsieur le recteur, je vous remercie pour votre Ă©clairage particuliĂšrement intĂ©ressant. Si votre idĂ©e d’une approche individuelle me semble difficilement compatible avec un phĂ©nomĂšne collectif, il est, en revanche, trĂšs important selon moi de reprendre votre analyse selon laquelle ce phĂ©nomĂšne n’est pas religieux, car cela nous permet d’envisager le fondement, susceptible d’ĂȘtre partagĂ©, des droits de l’homme et particuliĂšrement des droits des femmes. En effet, en perdant son identitĂ©, une femme voilĂ©e n’est pas un sujet de droit elle perd une grande part de sa capacitĂ© juridique, Ă©tant privĂ©e de l’accĂšs Ă  certains actes ou responsabilitĂ©s relevant de la citoyennetĂ©. Si le port de la burqa peut traduire un refus de s’intĂ©grer, il est contraire Ă  l’émancipation des femmes et Ă  l’idĂ©e que l’on se fait de l’intĂ©gration. Cette situation doit donc nous amener Ă  envisager une loi protectrice et libĂ©ratrice. Je pense en particulier aux jeunes filles qui, aujourd’hui, fuient leur famille, leur quartier, sont contraintes de s’émanciper de leur propre culture pour se prĂ©munir de cette obligation potentielle. Comme notre rapporteur l’a dit, la communautĂ© musulmane et ses reprĂ©sentants pourraient nous rejoindre dans cette approche. Mme Sandrine Mazetier. Lors des premiĂšres auditions menĂ©es par notre mission, on nous a dĂ©crit l’apparition du phĂ©nomĂšne comme une maniĂšre de dĂ©fier l’autoritĂ© religieuse des imams de la mosquĂ©e locale, une contestation violente de l’autoritĂ© religieuse. Confirmez-vous cette vision ? Vous Ă©voquez Ă  la fois des comportements individuels et alĂ©atoires, en prĂ©conisant un traitement au cas par cas », et une offensive fondamentaliste qui appelle une rĂ©ponse politique s’il en est encore temps. Cela me semble contradictoire. Pour vous, l’apparition du voile intĂ©gral relĂšve-t-elle d’une offensive fondamentaliste ? Enfin, si le phĂ©nomĂšne du voile intĂ©gral n’était pas un problĂšme religieux, nous n’aurions pas eu le plaisir de vous entendre. N’est-il pas un peu trop facile pour l’islam moderne ou modĂ©rĂ© de dire je m’en lave les mains » ? M. Dalil Boubakeur. Vous n’en savez pas plus que je n’en sais. On parle de solution politique ou au cas par cas, mais personne ne peut dire que lĂ  est le mal et lĂ  le traitement ! J’y insiste on trouvera le traitement une fois le mal connu ! Le cas par cas ne consiste pas Ă  mettre un emplĂątre sur une jambe de bois, mais Ă  connaĂźtre la vĂ©ritĂ©. Nous le savons bien l’essentiel des musulmanes en France ne portent pas la burqa. Beaucoup d’entre elles la refusent, et mĂȘme la dĂ©noncent. Le flou rĂšgne quant au nombre de femmes portant la burqa les services de police en recenseraient tantĂŽt 300, tantĂŽt 2 000 ! Dans ces conditions, sur quelle base voter une loi d’interdiction ? Il faut raison garder. C’est vrai j’observe la communautĂ© musulmane depuis plus de vingt-cinq ans. Le GĂ©nĂ©ral de Gaulle au pouvoir, j’étais dĂ©jĂ  dans la vision de la communautĂ© musulmane, et c’est moi qui avais demandĂ© un mĂ©morial dĂ©diĂ© Ă  tous les soldats musulmans tombĂ©s pour la France Ă  Verdun, lequel n’a vu le jour qu’en 2006 ! Rendez-vous compte j’ai Ă  mon actif cinquante ans d’observation. Alors oui, l’islam va. Le voile serait une rĂ©action personnelle contre la famille, une crise d’adolescence. On a dĂ©jĂ  vu cela avec mai 1968, Woodstock, les cheveux longs, une mode qui traduisait une contestation. Comme certains arborent aujourd’hui une tenue gothique, pourquoi pas la burqa ? Avec son cĂŽtĂ© islamiste, elle va embĂȘter tout le monde ! Sortons de ce schĂ©ma rĂ©ducteur pour envisager l’autre aspect, beaucoup plus grave, selon lequel nous serions confrontĂ©s Ă  des imams salafistes qui n’auraient d’ imam » que le nom, qui seraient des militants. Mais pour s’opposer aux rĂ©fĂ©rences que je vous ai citĂ©es en prĂ©ambule – le Coran, le Cheick Al Azhar, l’imam Boukhari –, il faut se lever tĂŽt ! Ces rĂ©fĂ©rences le sont pour tous les Musulmans, fondamentalistes ou non ! C’est ça l’islam ! Le djihadisme a dĂ©jĂ  fait beaucoup de mal. Vous parliez des convertis oui, des jeunes français, des jeunes parisiens ont Ă©tĂ© convertis, emmenĂ©s en Afghanistan et sont morts Ă  Peshawar au Pakistan ! Ce militantisme islamiste est prĂ©sent dans l’islam et ce phĂ©nomĂšne est trĂšs grave. Souvenez-vous de la loi de 2004 sur le voile Ă  l’école elle avait dĂ©jĂ  nourri des craintes de violences. Cela n’a pas Ă©tĂ© le cas, parce que le CFCM, dont les membres sont plus ou moins libĂ©raux ou fondamentalistes, a jurĂ© que le devoir du musulman est le respect de la loi, quelle que soit sa tendance personnelle. Cependant, si le phĂ©nomĂšne du voile intĂ©gral semble poser l’irruption d’un fondamentalisme en France, aprĂšs tout qui s’en plaint ? Les politiques, de droite comme de gauche, prĂ©sentent-ils le fondamentalisme comme un danger en France,
 Plusieurs dĂ©putĂ©s. Oui. M. Dalil Boubakeur. 
une menace en Europe ? Lisez Huntington pour ceux qui ont des rĂ©fĂ©rences, Ă©coutez la presse, l’opinion et mĂȘme certains partis politiques qui en ont fait une arme de combat, en disant que le fondamentalisme islamique est contraire Ă  nos lois, Ă  notre sociĂ©tĂ©, Ă  notre histoire, Ă  l’identitĂ© française. NĂ©anmoins, certains fondamentalistes ont Ă©tĂ© qualifiĂ©s, dans les ministĂšres par exemple, d’orthodoxes de l’islam ! Si ceux-lĂ  sont des orthodoxes, moi qui ne partage pas leurs opinions, je serais un hĂ©rĂ©tique ! Si, hier, le fondamentalisme Ă©tait bien, pourquoi se plaindre aujourd’hui d’en voir quelques traductions au niveau de la sociĂ©tĂ© ? À mon avis, c’est dĂ©jĂ  trop tard ! Cela Ă©tant dit, on avalera une couleuvre de plus ! Un rapport du SĂ©nat fait Ă©tat d’une enquĂȘte menĂ©e dans neuf pays d’Europe pas un seul n’a votĂ© une loi contre la burqa, ni mĂȘme un interdit local ou rĂ©gional ! Un seul cas est citĂ© en Autriche, un juge a dit Ă  une dame en burqa sortez ! ». C’est tout. Face cette aboulie gĂ©nĂ©rale, ce manque de volontĂ©, cette espĂšce d’hypnotisation devant ce serpent fondamentaliste, nous ne serons pas les derniers Ă  appuyer la solution politique – Ă  condition qu’elle soit possible un jour ! Mais regardez la complexitĂ© actuelle de nos lois
 Par consĂ©quent, il faut, d’abord, s’assurer que les fondamentalistes ne sont pas derriĂšre ce phĂ©nomĂšne et, s’ils le sont, prendre des mesures, non pas contre la burqa, mais visant Ă  empĂȘcher cet islam invasif de progresser davantage. Il faut, ensuite, consulter l’islam modĂ©rĂ©, le soutenir, car la force de rĂ©sistance au niveau local est trĂšs importante et, je vous le garantis, tous les imams de la MosquĂ©e de Paris luttent pied Ă  pied. M. Jacques Remiller. Monsieur le prĂ©sident, nous aimerions obtenir des rĂ©ponses prĂ©cises Ă  nos premiĂšres questions, s’agissant notamment de l’identitĂ© nationale ! M. Dalil Boubakeur. L’identitĂ© nationale est faite de son histoire, c’est un Ă©lĂ©ment en soi et elle ne saurait ĂȘtre entamĂ©e. S’il Ă©tait prouvĂ© que la sociĂ©tĂ© française est perturbĂ©e dans son identitĂ© par telle ou telle pratique, on ne pourrait pas conserver cette derniĂšre. Mais cela suppose de traiter le problĂšme Ă  son origine en l’occurrence de reconnaĂźtre l’existence d’un fondamentalisme en France et de dĂ©cider, Ă©ventuellement au niveau europĂ©en, qu’il faut y mettre le holĂ . M. Pierre Forgues. Vous avez indiquĂ© quels Ă©taient les principes suivis par l’Islam de France. Vous avez prĂ©cisĂ© que le voile intĂ©gral n’était pas un signe religieux et que les textes n’en prĂ©conisaient pas le port. Mais je reste sur ma faim, s’agissant des parades qu’il convient de trouver en la matiĂšre. Selon vous, l’application d’une loi d’exception sur la burqa se heurterait Ă  des difficultĂ©s. C’est le cas de nombreuses lois et ce n’est pas une raison pour ne pas les prendre. Nous imaginons bien quelles difficultĂ©s nous risquons de rencontrer, mais en quoi les musulmans de France se sentiraient-ils montrĂ©s du doigt ou agressĂ©s par une loi interdisant le port du voile intĂ©gral, si ce voile n’est pas d’origine religieuse ? J’ai Ă©tĂ© gĂȘnĂ© de vous entendre assimiler ce voile intĂ©gral Ă  un vĂȘtement folklorique et son port Ă  un acte de protestation type mai 68 ». J’ai Ă©tĂ© gĂȘnĂ© Ă©galement de vous entendre vous demander si le fondamentalisme religieux Ă©tait une menace pour notre sociĂ©tĂ©. J’ai cru comprendre que vous rĂ©pondez non » Ă  cette question. Mais pour moi, on ne peut rĂ©pondre que par l’affirmative. Vous suggĂ©rez que l’on fasse un bilan un peu plus sĂ©rieux de la situation, que l’on raisonne sur la durĂ©e et que l’on intervienne Ă©ventuellement, si le phĂ©nomĂšne s’avĂ©rait invasif. Je considĂšre, pour ma part, qu’il faut prendre les problĂšmes Ă  bras-le-corps dĂšs le dĂ©part ; sinon, ils sont beaucoup plus difficiles Ă  rĂ©soudre. Vous vous dĂ©chargez un peu de la question en affirmant que son rĂšglement ne peut ĂȘtre que politique – tout en conseillant une intervention au cas par cas. Mais il semble que vous-mĂȘme, dans le cadre de vos fonctions et de vos prĂ©rogatives, n’ayez pas rĂ©ussi Ă  convaincre les membres de la communautĂ© musulmane qu’il y avait mieux Ă  faire que de porter le voile intĂ©gral. M. Jacques Myard. Nous restons en effet un peu sur notre faim, Monsieur le recteur. En vous appuyant sur certaines sourates, vous avez indiquĂ© qu’il ne s’agissait pas d’une obligation religieuse. Vous avez citĂ© Al Azhar et la fatwa qui interdit le port du voile intĂ©gral. Cette fatwa prouve bien qu’il s’agit d’une dĂ©viance religieuse inacceptable pour les docteurs de la foi. Je ne vois pas ce qui empĂȘcherait l’intervention de la loi civile, qui se fonderait sur le fait que cette pratique est contraire Ă  la dignitĂ© des personnes, contraire Ă  l’égalitĂ© des sexes dans le cadre d’un État laĂŻque dans lequel vous vous inscrivez et que vous dĂ©fendez. M. Jean Glavany. Je voudrais faire amicalement remarquer que dans la culture et la tradition rĂ©publicaines, il n’y a pas de communautĂ© musulmane », il n’y a qu’une communautĂ© nationale. Gardons-nous d’employer certains mots qui viendraient justifier le communautarisme que l’on veut par ailleurs combattre. Je voudrais dire Ă  Monsieur Remiller, M. Vincent Peillon – puisqu’il s’agit de lui – et M. Éric Besson sont aussi idiots » l’un que l’autre on ne saurait aborder le problĂšme de l’identitĂ© nationale par le biais de la burqa ! Ce serait vraiment prendre cette question par le petit bout de la lorgnette ! Si j’ai un conseil Ă  vous donner, c’est d’abandonner un tel raisonnement. M. Jacques Remiller. Depuis que le recteur Boubakeur s’est exprimĂ©, nous l’avons abandonnĂ© ! Sourires. M. Jean Glavany. Monsieur le recteur, je suis surpris par cette abstraction thĂ©orique. Qui prĂ©conise le port du voile intĂ©gral ? Les FrĂšres Musulmans et les salafistes, qui sont bien des musulmans. Pourtant, selon vous, cela n’aurait rien Ă  voir avec la religion. Il serait temps d’appeler un chat un chat. Sinon, ce serait trop facile. Ce serait – pour reprendre les propos d’un philosophe que nous avons auditionnĂ© – comme si l’on disait que le hooliganisme n’a rien Ă  voir avec le football, que le dopage n’a rien Ă  voir avec le cyclisme. Les religions, quelles qu’elles soient, n’ont pas Ă  s’affranchir de leurs dĂ©viances. Monsieur le recteur, considĂ©rez-vous que le port du voile intĂ©gral soit une violence faite aux femmes ? Pouvez-vous rĂ©pondre par oui ou par non Ă  cette question ? Enfin, dire que par principe une loi d’interdiction est une loi d’exception, est inacceptable du point de vue du droit. En l’occurrence, il pourrait s’agir d’une loi protĂ©geant le droit des femmes Ă  ne pas porter la burqa. M. Arlette Grosskost. Notre RĂ©publique garantit le droit Ă  la diffĂ©rence. Mais le droit Ă  la diffĂ©rence ne donne pas lieu Ă  la diffĂ©rence des droits et nous rĂȘvons tous de vivre ensemble autour d’un projet commun. L’identitĂ© nationale repose sur l’adhĂ©sion Ă  des valeurs communes. Vous avez dit, Monsieur le recteur, qu’il fallait se demander pourquoi certaines portaient la burqa et ne pas se contenter de constater le phĂ©nomĂšne. Le port de la burqa est certes un comportement isolĂ©, mais il provoque Ă©moi et troubles, lesquels peuvent ĂȘtre Ă  l’origine d’autres dĂ©rives. Je serais favorable Ă  ce que l’on prenne des dispositions en la matiĂšre. N’hĂ©sitez pas Ă  nous dire ce que nous devons faire. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. La mission veut traiter de la question du voile intĂ©gral et de ce qu’il y a derriĂšre. Nous sommes tĂ©moins de certains cas d’atteinte Ă  la libertĂ© Ă  l’encontre de jeunes filles ou de femmes par exemple, dans les services d’état civil, oĂč des hommes accompagnent des femmes privĂ©es de parole et n’hĂ©sitent pas Ă  menacer les fonctionnaires ; dans les services hospitaliers Ă  l’hĂŽpital Femme-mĂšre-enfant, Ă  Lyon, il a fallu rĂ©animer le membre du personnel mĂ©dical qui avait Ă©tĂ© frappĂ© par un mari qui refusait que sa femme soit aidĂ©e dans son accouchement par un homme ! Il ne s’agit pas de stigmatiser ces femmes, mais de combattre la dĂ©rive intĂ©griste, fondamentaliste et les comportements fanatiques. Il nous semble trĂšs important d’en discuter avec vous et avec les reprĂ©sentants du culte musulman en France, de manifester notre dĂ©sapprobation et d’imaginer ensemble certains gestes symboliques. Pourquoi imposer Ă  des collĂ©giennes le port du foulard ou du voile intĂ©gral dans certains territoires de nos communes ? Elles demandent au principal de disposer d’un vestiaire pour pouvoir s’habiller au collĂšge comme leurs copines ! M. Dalil Boubakeur. Mais vous avez raison et je peux vous citer bien d’autres exemples la piscine, etc. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Nous devrions rĂ©agir publiquement, et de maniĂšre forte, chacun dans son rĂŽle et Ă  sa place. Comment ? M. Dalil Boubakeur. Je peux vous livrer mon vĂ©cu personnel je suis français, nĂ© dans un pays musulman et j’ai tenu au printemps des propos extrĂȘmement sympathiques Ă  l’égard de la communautĂ© juive, considĂ©rant que l’amitiĂ© judĂ©o-musulmane doit nous faire dĂ©passer les problĂšmes du Moyen-Orient. Cela a provoquĂ© devant la Grande MosquĂ©e de Paris des manifestations de salafistes et d’intĂ©gristes. Ce sont les mĂȘmes qui provoquent des problĂšmes Ă  l’état civil ou Ă  l’hĂŽpital et qui m’inondent d’injures sur Internet. Ils agissent dans l’indiffĂ©rence gĂ©nĂ©rale de l’opinion, du Parlement, de la presse, voire de mes amis du CFCM. M. Jacques Myard. Il serait temps d’agir ! M. Dalil Boubakeur. Monsieur Myard, il a des annĂ©es que nous avons exprimĂ© l’idĂ©e que le fondamentalisme constituait un danger politique. Cette fraction trĂšs minoritaire – hamallisme ou wahhabisme – n’a rien Ă  voir avec la majoritĂ© des musulmans, mais c’est elle qui vient du Moyen-Orient, qui a les moyens et qui mĂšne le jeu non seulement en France, mais encore en Europe ou ailleurs. Je l’ai vĂ©rifiĂ© Ă  l’üle de la RĂ©union ou en Malaisie. Les mĂȘmes barbus sont partout ! On assiste actuellement dans le monde Ă  une phase d’investissement, d’invasion de ce salafisme, pour qui la femme doit ĂȘtre traitĂ©e selon les textes salafistes – et pas selon le Coran ou la tradition habituelle de la sunna que nous dĂ©fendons. Nous ne savons pas comment lutter. L’influence de la MosquĂ©e de Paris a Ă©tĂ© minorĂ©e, y compris au CFCM dont je ne fais mĂȘme plus partie. Ne mettez pas en avant les musulmans » mais les choix qui ont Ă©tĂ© faits et qui ont amenĂ© les responsables de l’Islam en France Ă  reprĂ©senter cette masse plus ou moins fondamentaliste, dans le silence, l’apathie, dans l’aboulie gĂ©nĂ©rale et avec le consensus des pouvoirs publics, en France ou ailleurs. Nous sommes tous embarquĂ©s dans la mĂȘme problĂ©matique. Nous souhaitons tous une loi de rigueur. Si cette loi venait Ă  ĂȘtre Ă©dictĂ©e, ce serait bien entendu une loi de sĂ©curitĂ© – sĂ©curitĂ© Ă  laquelle chacun a droit. Mais attendez-vous Ă  qu’elle soit vigoureusement contestĂ©e par ceux qui ont intĂ©rĂȘt Ă  ce que se poursuive l’invasion du fondamentalisme. On l’a vu au moment du foulard. Il est Ă©vident que la femme a le droit de ne pas porter la burqa. Toute solution d’évidence est la bienvenue. Mais il se trouve que, pour le malade, c’est beaucoup trop tard. Que faire ? M. Jacques Myard. Pensez-vous vraiment qu’il soit trop tard ? M. Dalil Boubakeur. On a trop longtemps laissĂ© filer le problĂšme. M. Jacques Myard. D’oĂč la nĂ©cessitĂ© d’ĂȘtre ferme ! M. Dalil Boubakeur. Il y a longtemps que l’on aurait dĂ» faire face. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Nous n’allons pas Ă©puiser le sujet aujourd’hui. Sans doute faudra-t-il que nous discutions Ă  nouveau ensemble, pour que vous nous donniez votre point de vue. J’aimerais que, sur certains sujets de sociĂ©tĂ©, nous puissions nous prononcer et relever ce qui n’est pas acceptable ou ne correspond Ă  l’idĂ©e que l’on peut se faire d’un Islam de France respectueux de la RĂ©publique. Ce qui nous intĂ©resse, c’est le vivre ensemble ». Il faut sortir de la stigmatisation et ne pas faire le jeu de ceux qui profitent de la situation pour brouiller les cartes. Il est temps, en effet, Monsieur le recteur, de prendre le taureau par les cornes et de faire preuve de davantage de courage rĂ©publicain. Je vous remercie. Audition de Mme Ismahane Chouder et de Mme Monique Crinon, du Collectif des fĂ©ministes pour l’égalitĂ© SĂ©ance du mercredi 28 octobre 2009 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Mesdames, comme il se doit, notre mission a souhaitĂ© entendre tous les points de vue et il nous a paru utile de recevoir une association de femmes telle que la vĂŽtre, qui porte un regard particulier sur la question du voile. Je rappelle en quelques mots l’histoire de votre mouvement. Le Collectif des fĂ©ministes pour l’égalitĂ© CFPE est nĂ© dans le cadre de la mobilisation contre l’exclusion des jeunes filles voilĂ©es en 2004. ConstituĂ© de femmes musulmanes et non musulmanes, portant ou non le foulard, il entend dĂ©fendre les droits des femmes tout en critiquant l’idĂ©e que le port du foulard serait un signe d’acceptation de l’oppression des femmes. Il n’est pas question pour nous de refaire le dĂ©bat de 2004 sur le voile. Notre mission ne s’intĂ©resse qu’au voile intĂ©gral et Ă  ce qu’il reprĂ©sente dans la sociĂ©tĂ© française et dans certains territoires de notre pays. Quel regard portez-vous sur le voile intĂ©gral ? Pouvez-vous Ă  son Ă©gard tenir le mĂȘme discours que celui que vous tenez sur le voile non intĂ©gral ? Comment rĂ©agissez-vous aux rĂ©actions, parfois vives, de certaines associations, notamment de femmes, qui voient dans la pratique du voile intĂ©gral une remise en cause des principes rĂ©publicains, dont le respect de l’égalitĂ© entre les hommes et les femmes et de la dignitĂ© due aux femmes ? Les associations fĂ©ministes soulignent que cette prescription, qui nie l’individualitĂ© de chaque personne, ne s’adresse qu’aux femmes alors que les hommes peuvent agir Ă  leur guise. Pourquoi une telle obligation que certains et certaines tirent d’un interprĂ©tation littĂ©raliste du Coran ne s’appliquerait-elle qu’aux femmes ? N’est-ce pas lĂ  une forme d’acceptation de l’inĂ©galitĂ© entre les hommes et les femmes fondĂ©e sur une image de la femme considĂ©rĂ©e comme perverse par nature, sur le refus de la mixitĂ© ? La question du voile intĂ©gral pose aussi la question du vivre ensemble » dans l’espace public. Nous sommes tous ici pour en tĂ©moigner, la RĂ©publique française s’honore de ses diffĂ©rences. Mais, pour nous, respect de ces diffĂ©rences ne peut signifier diffĂ©renciation des droits. Les principes rĂ©publicains s’adressent Ă  des citoyens sans distinction de sexe, car nous souhaitons affirmer l’égalitĂ© entre les hommes et les femmes, dans une RĂ©publique une et indivisible. Je vous laisse la parole. Mme Ismahane Chouder. Je vous remercie d’avoir rĂ©pondu Ă  notre demande d’ĂȘtre auditionnĂ©es en tant que porte-parole d’un collectif fĂ©ministe. Nous avons souhaitĂ© ĂȘtre entendues en binĂŽme, afin d’ĂȘtre reprĂ©sentatives de la diversitĂ© existante, que nous entendons promouvoir. Mais si nous intervenons aujourd’hui en tant que femmes musulmanes et non musulmanes, nous refusons d’ĂȘtre rĂ©duites Ă  cette dĂ©nomination, car le positionnement et l’engagement de ce collectif fĂ©ministe n’obĂ©issent pas Ă  une telle logique. Nous avons participĂ© ensemble Ă  la naissance de deux collectifs profondĂ©ment laĂŻques dans leur essence et dans leur dĂ©marche Une Ă©cole pour toutes-tous – Contre les lois d’exclusion » et le Collectif des fĂ©ministes pour l’égalitĂ© ». Le CFPE et le CEPT ont mis d’emblĂ©e en avant un certain nombre d’invariants, laĂŻques et fĂ©ministes, notamment l’égalitĂ© entre les hommes et les femmes et le droit inaliĂ©nable de se dĂ©terminer selon des choix correspondant Ă  ses convictions. Pour nous, ce qui Ă©tablit la libertĂ©, c’est l’existence rĂ©elle des principes qui la fondent et non pas la forme qu’elle peut revĂȘtir dans telle ou telle sociĂ©tĂ©. J’entends par cela le droit de choisir, de disposer de son corps et de se vĂȘtir selon les choix de chacune. Notre conception de la laĂŻcitĂ© est claire. Nous estimons qu’il est temps que les uns et les autres arrĂȘtent de se positionner par rapport Ă  la laĂŻcitĂ© et au fĂ©minisme selon le propre sens qu’ils leur donnent. J’ai visionnĂ© toutes les auditions de votre mission, dans la mesure oĂč son objet est de faire un Ă©tat des lieux sur la question particuliĂšre du port du voile intĂ©gral. Pour nous, il s’agit d’un Ă©piphĂ©nomĂšne. A ce jour, il n’existe d’ailleurs aucune Ă©tude sĂ©rieuse qui tendrait Ă  le quantifier. Pour notre part, nous nous fondons sur notre expĂ©rience du terrain. Le port du voile intĂ©gral connaĂźt-il une recrudescence ? Quelle en est la signification ? Ne risquons-nous pas de nous cantonner Ă  nous interroger sur la visibilitĂ© de certains signes ? En effet, par simple honnĂȘtetĂ© intellectuelle, nous ne sommes pas en mesure, de maniĂšre dĂ©finitive et rigide, de dĂ©cider qu’il a tel sens pour toutes et pour tous. Le lĂ©gislateur s’était engagĂ© Ă  fournir, au bout d’un an, un bilan de l’application de la loi du 15 mars 2004. N’ayant pas vu ce bilan venir, nous avons dĂ©cidĂ© de le faire nous-mĂȘmes il est paru sous la forme d’un livre intitulĂ© Les filles voilĂ©es parlent, publiĂ© en mars 2008. J’ai cru comprendre, en Ă©coutant les prĂ©cĂ©dentes auditions, que vous n’aviez pas d’a priori par rapport Ă  une loi et que votre mission dĂ©boucherait sur des prĂ©conisations. Il n’empĂȘche que toutes les questions qui ont affleurĂ© lors des dĂ©bats et des auditions rĂ©vĂšlent soit des prĂ©jugĂ©s, soit des a priori. Le port du voile intĂ©gral apparaĂźt comme constituant une menace. Les arguments qui ont Ă©tĂ© avancĂ©s lors de ces auditions et sur lesquels, en tant que collectif, nous souhaitons apporter un Ă©clairage, peuvent ĂȘtre regroupĂ©s selon trois registres fĂ©ministe, moral et sĂ©curitaire. Le voile intĂ©gral, comme tout signe, a pour signification celle que lui donnent celles qui le revĂȘtent. Mais en lui-mĂȘme, en quoi serait-il le marqueur d’une infĂ©rioritĂ© ou d’une inĂ©galitĂ© entre les hommes et les femmes, sachant que nous le dĂ©nonçons comme une pratique sectaire ? Pourquoi faudrait-il faire en sorte de lĂ©gifĂ©rer contre ce marqueur plus que contre un autre ? Je prĂ©cise qu’au sein de notre collectif, nous luttons pour l’émancipation des femmes, au-delĂ  d’un modĂšle prĂ©tendument supĂ©rieur et, tant qu’à faire, occidentalo-centrĂ©. On prĂ©sente, par ailleurs, le voile intĂ©gral comme portant atteinte aux valeurs fondamentales de la RĂ©publique, nos valeurs de laĂŻcitĂ© et de dignitĂ© humaine. Il serait enfin le symptĂŽme d’un complot visant Ă  dĂ©stabiliser notre RĂ©publique. Mais en quoi ? Dans le cadre du CFPE, nous considĂ©rons que l’émancipation ne peut pas passer par l’interdiction. L’émancipation, la libertĂ©, la dignitĂ© s’acquiĂšrent, ne se confĂšrent pas. Elles s’acquiĂšrent par des espaces oĂč le dialogue est possible, par des expĂ©riences partagĂ©es, dans des valeurs partagĂ©es, par le biais de projets communs fondateurs permettant de dĂ©passer les appartenances particuliĂšres. Mme Monique Crinon. J’interviens ici au titre de mon expĂ©rience professionnelle je travaille Ă  l’évaluation des politiques publiques, notamment la politique de la ville et je me rends rĂ©guliĂšrement dans les quartiers populaires. Mais j’interviens aussi et surtout au titre de mon expĂ©rience d’engagement. J’ai fait partie des femmes qui ont pratiquĂ© des avortements clandestins et qui ont Ă©tĂ© Ă  l’origine de la crĂ©ation du Mouvement pour la libĂ©ration de l’avortement et de la contraception MLAC et du Mouvement de libĂ©ration des femmes MLF. Ce que je retire de cette expĂ©rience-lĂ  c’est qu’au fond, on a trĂšs facilement tendance, dans nos sociĂ©tĂ©s, Ă  punir les victimes. En l’occurrence, ou les femmes qui portent le voile intĂ©gral le portent librement et c’est un dĂ©bat autour de l’exercice de la libertĂ© que nous devons avoir. Ou ce n’est pas le cas et ce sont des victimes – ce que vous pensez souvent – et je ne vois pas pourquoi elles devraient ĂȘtre punies. Souvenez-vous de ce qui s’est passĂ© s’agissant du viol, pour la pĂ©nalisation duquel j’ai combattu les femmes violĂ©es Ă©taient posĂ©es comme Ă©tant la cause premiĂšre de ce viol. Il faudrait donc mener, au nom de la RĂ©publique, une rĂ©flexion sur la façon dont l’action publique regarde les femmes qui sont ou seraient victimes de telle ou telle forme d’oppression. Si l’on considĂšre que les femmes qui portent le voile intĂ©gral sont victimes d’une forme d’oppression patriarcale liĂ©e Ă  un groupe particulier, il faut que nous nous interrogions sur les dispositifs d’aide mis Ă  leur disposition. Nous avons une lourde histoire et les acquis des femmes – qui ne sont pas ceux que la RĂ©publique nous a octroyĂ©s mais qui rĂ©sultent de nos luttes – sont infiniment prĂ©cieux. Nous devons nous battre pour les conserver. La laĂŻcitĂ© peut constituer un deuxiĂšme champ de rĂ©flexion. Sur cette question, nous avons toujours eu deux approches la premiĂšre assimile laĂŻcitĂ© et athĂ©isme ; auquel cas, on articule l’exercice de la laĂŻcitĂ© Ă  la non croyance. La seconde garantit l’exercice du dĂ©bat public et mobilise tous les outils dont nous disposons pour que toutes et tous y participent autant que faire se peut, tant que la sĂ©curitĂ© et la libertĂ© de chacune et de chacun ne sont pas menacĂ©es. Ma conception de la laĂŻcitĂ© suppose ouverture et mobilisation des outils du dialogue et de la conviction. Je ne prĂ©conise pas le port du voile intĂ©gral. Mais je me suis demandĂ© comment faire pour que les femmes qui le portent sortent de cet enfermement choisi ou subi en utilisant les outils de culture et de connaissance qu’offre notre sociĂ©tĂ©. Qui sont les groupes qui prĂ©conisent le port du voile intĂ©gral ? Comment les caractĂ©riser ? Si ce sont des sectes, nous avons les outils pour les identifier et les combattre. Auquel cas, cela relĂšve de l’action publique. Si ce sont des groupes qui pratiquent un prosĂ©lytisme, il faut aussi les combattre, en adoptant une forme d’action qui ne soit pas forcĂ©ment rĂ©pressive. A moins que l’on ne rĂ©prime ceux qui font ce prosĂ©lytisme ? Mais dans ce genre d’affaires, les hommes s’en tirent trĂšs bien, au point que – et il y a de quoi s’en Ă©tonner – ceux qui appartiennent Ă  des groupes menaçant la RĂ©publique sont absents de vos prĂ©occupations ! M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Vous avez mal suivi nos travaux
 Mme Monique Crinon. En tout cas, ils ne sont jamais identifiĂ©s comme Ă©tant la menace premiĂšre la menace premiĂšre et l’objet de la rĂ©flexion sont les femmes qui portent le voile intĂ©gral. En aucun cas on ne doit les punir et les rejeter de l’espace public. Car nous croyons dans la vertu du dĂ©bat public et dans la capacitĂ© de l’espace public d’intĂ©grer ceux qui, Ă  un moment de l’histoire de leur vie, en sortiraient. Il faut abandonner l’idĂ©e qu’il y aurait un continuum entre le port du foulard et le port du voile intĂ©gral – un peu comme si l’on disait que celui qui boit un verre de vin finira alcoolique. Vous savez trĂšs bien que ce n’est pas vrai. Les femmes qui portent le voile intĂ©gral ne le font pas nĂ©cessairement aprĂšs ĂȘtre passĂ©es par une Ă©tape intermĂ©diaire. Il faut Ă©viter que certaines populations issues de l’immigration ne se trouvent mises au ban de la sociĂ©tĂ©, comme Ă©tant celles qui produisent des dangers qui menaceraient la RĂ©publique. Les acquis du fĂ©minisme ne sont pas fragiles. Mais pourquoi construire un discours faisant apparaĂźtre comme menaçants les quelques femmes et les quelques hommes de ces groupes, que je combats par ailleurs ? C’est leur donner une importance bien plus grande qu’ils n’en ont rĂ©ellement. Et si l’on doit s’intĂ©resser Ă  la question des femmes, notamment aux victimes de violences et de discrimination, il faut plutĂŽt faire porter l’action publique sur le renforcement des dispositifs d’écoute et d’aide que punir le peu de femmes qui portent, pour des raisons diverses et variĂ©es, un voile qui les cache Ă  notre regard. M. Jean Glavany. Merci, Mesdames, pour vos interventions. Ce sont les talibans et les salafistes, groupes d’hommes religieux et intĂ©gristes, qui prĂ©conisent, entre autres, le port du voile intĂ©gral. ConsidĂ©rez-vous que ces prĂ©conisations constituent une violence faite aux femmes ? Mme Monique Crinon. Clairement oui. M. Jean Glavany. Si c’en est une, et c’est ma conviction, comment faire pour l’empĂȘcher ? La conviction suffit-elle ? Admettez-vous qu’une loi posant une interdiction n’est pas forcĂ©ment une loi de rĂ©pression, de stigmatisation et de rĂ©pression, mais qu’elle peut venir protĂ©ger un droit ? Et, en l’occurrence, qu’interdire le port du voile intĂ©gral, c’est protĂ©ger le droit de ne pas le porter ? Mme Nicole Ameline. Permettez Ă  l’ancienne ministre des droits des femmes de dire qu’on parle beaucoup ici de l’égalitĂ© entre les hommes et les femmes, et que les hommes en parlent autant que les femmes. Je vous fĂ©licite pour votre combat fĂ©ministe. J’ai Ă©tĂ© nĂ©anmoins surprise de vous entendre dĂ©clarer que le port du voile intĂ©gral constituait un Ă©piphĂ©nomĂšne. Quand bien mĂȘme il n’y aurait qu’une femme concernĂ©e, cela pose un problĂšme, compte tenu de ce qu’il reprĂ©sente. Ce serait une forme de libertĂ© ? Mais la libertĂ© suppose une volontĂ©. ConsidĂ©rez-vous d’emblĂ©e que c’est l’expression d’un choix ? Peut-on parler de violence consentie » ? La violence est une instrumentalisation et les femmes qui aujourd’hui, dans le monde, portent la burqa ne donnent jamais le sentiment, de prĂšs ou de loin, d’en avoir acceptĂ© le principe. Que faites-vous pour les jeunes filles et les jeunes femmes qui ne veulent pas porter cette burqa et se trouvent obligĂ©es de fuir leur famille ? Que suggĂ©reriez-vous, en termes d’éducation aux droits des femmes ? Celle qui est dispensĂ©e Ă  l’école est-elle suffisante ? Il n’est pas question de punir les femmes. Mais serait-il envisageable de proposer des heures d’étude du droit des femmes ? Ce serait une façon de leur permettre de sortir de chez elles et du double enfermement dans lequel elles se trouvent. M. Jacques Myard. Vous ĂȘtes deux intellectuelles de trĂšs haut niveau et je vous ai Ă©coutĂ©es avec intĂ©rĂȘt. Mais je me mĂ©fie toujours des choses un peu trop subtiles en termes de signal adressĂ© Ă  la sociĂ©tĂ©. Pourriez-vous m’indiquer comment vous pouvez expliquer qu’un habit qui est portĂ© exclusivement par les femmes serait un marqueur de la nĂ©gation hommes-femmes ? Il y a lĂ  quelque chose qui m’échappe. Nombre des tĂ©moignages extrĂȘmement forts que nous avons recueillis font Ă©tat d’une contrainte sociale, qui ne se limite d’ailleurs pas Ă  l’habit et qui s’exerce sur les femmes. Il y a derriĂšre l’obĂ©issance toute une idĂ©ologie qui est vĂ©hiculĂ©e. Vous avez Ă©voquĂ© les vertus du dialogue. Dont acte. Mais quels arguments allez-vous mettre en avant ? Sur quels principes allez-vous appuyer votre raisonnement et mener ce dialogue pour convaincre vos interlocutrices d’abandonner cette pratique ? Si une loi Ă©tait votĂ©e, elle s’accompagnerait d’un rappel, Ă  savoir que le port du voile est contraire Ă  la dignitĂ© de la personne et Ă  l’égalitĂ© des sexes. Mme Arlette Grosskost. Mesdames, vous avez beaucoup parlĂ© de libertĂ©. L’une de vous a mĂȘme prĂ©cisĂ© que la libertĂ©, c’est l’exercice rĂ©el de ce qui la fonde. Pour vous, ce sont les libertĂ©s individuelles qui fondent la libertĂ© en tant que telle. Chacun peut s’habiller comme il veut, faire ce qu’il veut, et demander, par exemple en raison de ses convictions personnelles, Ă  ne pas voir de mĂ©decins hommes. Si nous souhaitons l’adhĂ©sion de tous Ă  des valeurs communes, ne croyez-vous pas qu’il conviendrait de discipliner certains comportements ? Mme Colette Le Moal. Ne pensez-vous pas que, pour faire avancer le dĂ©bat, il faudrait traiter de maniĂšre diffĂ©rente le cas des femmes sous influence » d’un homme et le cas des femmes converties, qui sont sous une autre emprise ? La burqa gĂȘne Ă©normĂ©ment les personnes qui aiment le contact et la fraternitĂ©, l’un des piliers de notre Constitution. On peut donc dire qu’elle fait des victimes des deux cĂŽtĂ©s. Mme Ismahane Chouder. Je voudrais apporter une prĂ©cision d’ordre terminologique la burqa a Ă©voluĂ© 
 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Notre mission porte sur la pratique du voile intĂ©gral, et pas sur la question des femmes en tant que telles 
 Mme Ismahane Chouder. Sauf que j’ai entendu Ă  plusieurs reprises parler de burqa et que les lieux communs vĂ©hiculent un certain imaginaire collectif. Monsieur Myard, vous m’avez qualifiĂ©e d’intellectuelle. J’admets que ce soit un compliment dans votre bouche mais, bien souvent, quand on qualifie une personne d’intellectuelle, c’est pour la disqualifier, en fait, de son expertise du terrain. Or, j’ai une telle expĂ©rience. J’ai Ă©tĂ© professeur des Ă©coles dans ce que vous appelez les quartiers sensibles, Ă  la Courneuve. ConcrĂštement et dans l’objectif de cette audition, j’ai essayĂ©, avec mes maigres moyens, de faire le tour de la burqa, dans les territoires perdus de la RĂ©publique » comme disent certains qui usent d’une rhĂ©torique basĂ©e sur le choc des civilisations Trappes, Nanterre, la Courneuve, Dugny, etc. Je confirme donc mon propos prĂ©cĂ©dent – et je l’assume – Ă  savoir que le port du voile intĂ©gral constitue un Ă©piphĂ©nomĂšne. Les renseignements gĂ©nĂ©raux estiment Ă  367 le nombre des femmes concernĂ©es ; on peut aller jusqu’à 2 000 comme le font les sociologues. Mais quand j’utilise le terme d’épiphĂ©nomĂšne, ce n’est pas pour diminuer la portĂ©e des violences que subissent les femmes qui sont contraintes au port de ce voile, mais pour dĂ©tricoter » et dĂ©construire ce que l’on veut prĂ©senter comme une menace qui serait Ă  nos portes, une contamination, voire une pandĂ©mie. Je suis d’accord avec vous il n’y aurait qu’une femme concernĂ©e qu’il faudrait poser le dĂ©bat. Mais faut-il aller jusqu’à la loi ? Faut-il dĂ©penser autant d’énergie laĂŻque, fĂ©ministe et invoquer les doits de l’homme devant cet Ă©piphĂ©nomĂšne, alors que se posent d’autres questions sociales cruciales, notamment celles des femmes victimes de violences ? Je vous rappelle tout de mĂȘme qu’une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint, qu’à compĂ©tence Ă©gale les femmes reçoivent un salaire inĂ©gal et qu’à raison du genre, elles sont cantonnĂ©es dans des fonctions subalternes. Tout cela me paraĂźt aussi insupportable que le port du voile intĂ©gral. Traitons les questions sociales qui concernent les femmes, mais de maniĂšre responsable, en mettant en place des politiques sociales, d’action publique, qui nous prendraient tous en compte, Ă  l’aune de ce que nous sommes et de notre appartenance Ă  ce projet commun qu’est la RĂ©publique, fondĂ©e sur les principes de libertĂ©, Ă©galitĂ© et fraternitĂ©. Je parle, en effet, beaucoup de la libertĂ©, parce que c’est ce qui se joue ici. Je n’ai pas de leçon Ă  donner Ă  qui que ce soit, surtout pas Ă  vous, mais j’estime ne pas avoir Ă  en recevoir non plus. Le fĂ©minisme et la lutte pour le droit des femmes ne sont pas des discussions de salon. ConcrĂštement, sous le voile intĂ©gral, il y a des ĂȘtres humains. Et j’oserai qualifier le dĂ©bat que nous sommes en train de mener de non dĂ©bat », car il me semble orientĂ© par l’idĂ©e de mission civilisatrice. Traitons les questions sous-jacentes Ă  la question du port du voile intĂ©gral, auquel je ne suis d’ailleurs pas favorable. Mais n’oublions pas ce qui, dans l’inconscient collectif, ressort de nos dĂ©bats sur les questions de sociĂ©tĂ© des peurs et des reprĂ©sentations – car nous n’avons pas Ă  faire, comme ici, Ă  des intellectuels ou Ă  des gens de terrain. Peut-on parler d’une loi de stigmatisation ? Tout Ă  fait, et je l’assume d’autant mieux que j’ai travaillĂ© sur le livre intitulĂ© Les filles voilĂ©es parlent. Je peux vous assurer que, pour le coup, il y aurait un continuum dans la stigmatisation d’une certaine catĂ©gorie de population la population des femmes, au-delĂ  mĂȘme de toute appartenance religieuse. Il y aurait lĂ  une double peine pour les femmes que l’on contraint Ă  porter le voile intĂ©gral – qui existent, je n’en doute pas et pour lesquelles je suis prĂȘte Ă  me mobiliser
 M. Jean Glavany. J’ai bien compris que vous considĂ©reriez que ce serait une loi de stigmatisation. Mais je vous demandais si vous admettiez qu’une telle loi pourrait ĂȘtre protectrice dans la mesure oĂč elle reconnaĂźtrait aux femmes le droit de ne pas porter la burqa. Mme Ismahane Chouder. Oui. Mais, en raison de l’éducation rĂ©publicaine que j’ai reçue, j’aimerais sortir du registre dans lequel, pour produire davantage de libertĂ©, on protĂšge par la coercition. Ce qui produit de la libertĂ© dans notre pays, c’est la discussion, le dialogue, la mise en confrontation, y compris et d’abord sur les questions qui fĂąchent. Je suis mue, comme tout un chacun, par des peurs et des reprĂ©sentations
 M. Jacques Myard. Avez-vous peur de la loi ? Mme Ismahane Chouder. Non, mais j’ai peur d’une loi liberticide. Mme Monique Crinon. J’ai fait allusion Ă  l’Arabie saoudite car la politique internationale d’une RĂ©publique est un signe adressĂ© au citoyen et au monde sur ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. Je dĂ©plore que les dĂ©nonciations des rĂ©gimes liberticides vis-Ă -vis des femmes soient orientĂ©es, que ne soit pas dĂ©noncĂ© avec la mĂȘme vigueur ce qui se passe en Arabie saoudite et ce qui se passe en Afghanistan. Sur ces questions, ce gouvernement n’a pas de position claire. La question du droit de ne pas porter la burqa aurait du sens dans un pays oĂč obligation est faite de la porter, or nous ne sommes pas du tout dans cette situation. Les femmes contraintes de porter ce vĂȘtement le sont du fait de l’action d’un groupe ou d’un ou plusieurs mĂąles
 M. Jean Glavany. Ou de femmes ! Mme Monique Crinon. 
et c’est lĂ  qu’il faut porter le fer ! Ce pays a tout de mĂȘme la possibilitĂ© de dire si c’est une pratique sectaire ou non, et d’agir ! M. Jean Glavany. Non. Mme Monique Crinon. Dans ce cas, il vous faut rĂ©flĂ©chir Ă  un arsenal lĂ©gislatif un peu plus musclĂ© que celui dont nous disposons pour combattre les sectes. Car en tant que fĂ©ministe, je suis toujours trĂšs attentive Ă  ce que les femmes, les victimes, ne soient pas punies ! La possibilitĂ© pour les femmes tout de noir vĂȘtues de vivre dans l’espace public les protĂšge en ne les renvoyant pas au domicile ou au groupe. Il faut dĂ©manteler et punir le dispositif coercitif, et non interdire aux victimes d’aller dans les lieux oĂč elles sont confrontĂ©es Ă  des formes de libertĂ© susceptibles de les amener Ă  revisiter leur choix individuel. Ce pays dispose d’un arsenal lĂ©gislatif permettant de cadrer l’exercice des libertĂ©s individuelles lorsqu’elles sont rĂ©ellement menaçantes. Si, par malheur, vous dĂ©cidiez de voter une loi, je crains qu’elle soit un signe envoyĂ© Ă  une catĂ©gorie de population. Deux champs d’action me semblent importants. Le premier est l’éducation. La question des femmes est malheureusement mal traitĂ©e dans les enseignements et un travail de fond reste Ă  faire car les choses peuvent aussi Ă©voluer grĂące aux enfants et aux parents d’élĂšves. Je le sais pour avoir enseignĂ© la philosophie. Le second est la lutte contre les discriminations. Vous avez créé la Haute autoritĂ© de lutte contre les discriminations et pour l’égalitĂ© Halde, et c’est heureux, mais il faut continuer Ă  refuser la stigmatisation et toutes les discriminations dans le travail, qu’elles soient sexistes ou racistes. En agissant ainsi, nous offrons un modĂšle d’espace public suffisamment attrayant pour ĂȘtre une force de conviction. C’est Ă  cela que je crois. M. Jean Glavany. PremiĂšrement, je n’accepte pas la vision d’une loi d’interdiction, de rĂ©pression, de stigmatisation. L’histoire de la RĂ©publique est faite de lois Ă©mancipatrices et protectrices de droits. DeuxiĂšmement, en quoi permettre aux femmes de sortir dans la rue sans burqa et interdire aux hommes de les en empĂȘcher, serait une punition ? Cela les libĂ©rerait au contraire de cette oppression que leur fait subir le mĂąle ! M. Jacques Myard. Les dĂ©putĂ©s sont des gens pratiques et cherchent des solutions. Ma question est donc simple avez-vous, grĂące Ă  la vertu du dialogue que vous prĂ©conisez, rĂ©ussi Ă  convaincre ces femmes de se dĂ©voiler ? M. Christian Bataille. La rĂ©flexion philosophique nous Ă©loigne un peu du cƓur de nos dĂ©bats. Dans notre sociĂ©tĂ©, la tenue religieuse n’est plus ostentatoire depuis peu de temps. On voit encore quelques cornettes, des curĂ©s en soutane du cĂŽtĂ© de l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet, mais la religion dominante, catholique, s’est fondue dans la masse Ă  partir des annĂ©es cinquante. On a vu des femmes tout en noir dans notre sociĂ©tĂ© – ma propre mĂšre a teint tous ses habits en noir aprĂšs avoir perdu ses parents –, des voiles noirs dans les cimetiĂšres et des voiles blancs lors des mariages, c’est-Ă -dire dans des circonstances exceptionnelles. Ainsi, porter une tenue intĂ©grale noire n’est pas forcĂ©ment Ă©tranger Ă  notre culture, Ă  notre civilisation. La lĂ©gislation a tranchĂ© pour le cas particulier du voile Ă  l’école. Pour le voile intĂ©gral, il ne s’agit pas d’un problĂšme d’interdiction, mais de l’obligation de montrer les traits de son visage, qu’on soit homme ou femme. Dans la sociĂ©tĂ©, l’espace public, les hommes et les femmes qui se prĂ©sentent aux autres doivent-ils, selon vous, montrer les traits de leur visage ? Mme Ismahane Chouder. Pour moi, le visage est le miroir de l’ñme, un lien avec l’autre. Cette Ă©vidence, j’en suis sĂ»re, fait consensus en dehors de ces murs, mais la question n’est pas lĂ  ! Le problĂšme est de savoir quel outil mettre en place pour amener ces personnes Ă  prendre conscience que le voile est de la non-communication. Est-ce une loi qui les privera de leur citoyennetĂ© ? J’ai parlĂ© de double peine
 M. Jean Glavany. Qu’est-ce que cela veut dire ? M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Parler de double peine n’est pas sĂ©rieux, ces femmes sont dans des cercueils ambulants ! En outre, la mission n’a jamais dit qu’elle proposerait une loi ! Mme Ismahane Chouder. Nous avons tous des positionnements Ă  l’aune de notre vĂ©cu, de notre histoire. Je voulais dire que nous ne pouvons pas objectiver le port du voile intĂ©gral. Certes, des femmes y sont contraintes, mais d’autres l’ont choisi et – je vais plus loin – par provocation, au nom de la libertĂ© de la femme et comme fĂ©ministes ! J’assume mes propos, c’est une rĂ©alitĂ© de terrain, mĂȘme si elle ne fait sens ni pour moi ni pour vous ! Si elles font l’objet de contrĂŽles d’identitĂ© sur la voie publique, les femmes portant le voile intĂ©gral doivent se montrer, c’est tout ! Les outils lĂ©gislatifs existent dĂ©jĂ , comme pour les cagoules et les casques de moto. Pourquoi alors identifier ce signe-lĂ  plus que tout autre en matiĂšre de sĂ©curitĂ© publique ? Je parle de punition car vous voulez ajouter une violence, alors que ces femmes sont dĂ©jĂ  victimes, subissent une violence de la part de leurs oppresseurs 
 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Ne nous faites pas de procĂšs d’intention, Madame. Mme Ismahane Chouder. Ce n’est pas du tout mon propos et, si c’était le cas, je ne serais pas ici ! Enfin, Monsieur Myard, votre question m’a choquĂ©e le dĂ©voilement des femmes est-il un objectif humaniste ? M. Jacques Myard. La question Ă©tait y ĂȘtes-vous arrivĂ©e ? Mme Ismahane Chouder. Mon objectif premier n’est pas celui-lĂ , mais de faire en sorte que, au-delĂ  de nos appartenances particuliĂšres, nous travaillions ensemble Ă  l’aune de nos valeurs communes. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Ce dernier point rejoint ce que nous avons entendu. Mme Monique Crinon. Effectivement, les lois sont Ă©mancipatrices, en gĂ©nĂ©ral quand elles rĂ©sultent de luttes et de mouvements sociaux forts. La punition est une question clĂ©. J’en parle dans l’hypothĂšse oĂč une femme contrainte de porter le voile dispose de capacitĂ©s de choix rĂ©duites ; sinon, elle n’accepterait pas cette soumission. Comme pour les femmes battues, la contrainte est d’autant plus forte que les victimes en arrivent Ă  ne plus avoir les capacitĂ©s de choisir qui leur permettent de s’en sortir. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Nous sommes d’accord. Mme Monique Crinon. Par consĂ©quent, les renvoyer au domicile, leur interdire la frĂ©quentation d’un espace ouvert Ă  tous, c’est les laisser encore davantage sans protection. Enfin, le visage est bien Ă©videmment un Ă©lĂ©ment essentiel, mais il y a mille et une façons de le dissimuler, de le transformer. L’arsenal qui contraint Ă  montrer son visage en cas de nĂ©cessitĂ© existe. Ainsi, une loi serait avant tout le signe d’une stigmatisation d’une catĂ©gorie de population, avant d’ĂȘtre perçue comme un signe d’émancipation pour cette poignĂ©e de femmes. M. Jean Glavany. Comment pouvez-vous dire cela ? Des femmes sont mortes pour avoir conquis le droit de ne pas porter la burqa ! Mme Monique Crinon. Dans d’autres pays ! M. Jean Glavany. Ce sont partout les mĂȘmes qui vĂ©hiculent cette idĂ©ologie. Mme Monique Crinon. Nous ne parlons pas de lois mondiales, Monsieur Glavany. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Merci, Mesdames. Je voudrais ajouter que tous les exemples d’atteintes aux libertĂ©s d’autrui relatĂ©s dans le cadre de cette mission nous confortent dans notre certitude de vouloir dĂ©finir des prĂ©conisations pertinentes qui soient le plus partagĂ©es possible, y compris par les responsables du culte musulman. Notre souci est d’empĂȘcher l’emprise des fondamentalistes de porter gravement prĂ©judice Ă  la place de l’islam respectueux de la RĂ©publique dans la sociĂ©tĂ© française. Audition de M. Samir Amghar, chercheur Ă  l’École des hautes Ă©tudes en sciences sociales, spĂ©cialiste du salafisme SĂ©ance du mercredi 4 novembre 2009 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Nous poursuivons aujourd’hui nos travaux par l’audition de M. Samir Amghar, universitaire, spĂ©cialiste du salafisme et des courants intĂ©gristes de l’islam. Vous avez aussi, Monsieur, travaillĂ© sur les enjeux d’une reprĂ©sentation institutionnelle de l’islam en France. La question du salafisme et de son influence s’est trĂšs clairement posĂ©e depuis le dĂ©but de nos travaux. Nous sommes donc particuliĂšrement heureux de vous accueillir aujourd’hui car nous avons besoin d’éclaircissements sur cette mouvance. Est-ce un mouvement nouveau ? Une organisation structurĂ©e ? En expansion ? Nous aimerions, par ailleurs, savoir quel regard vous portez sur le port du voile intĂ©gral. Y voyez-vous l’influence du salafisme, du fondamentalisme ou plutĂŽt, comme certains nous le disent, une rĂ©action identitaire de la part de personnes mal intĂ©grĂ©es Ă  la sociĂ©tĂ© française ? Nous aimerions Ă©galement connaĂźtre les vecteurs d’influence de l’islam intĂ©griste. Je vous laisse la parole. M. Samir Amghar, chercheur Ă  l’École des hautes Ă©tudes en sciences sociales. J’achĂšve, Ă  l’École des hautes Ă©tudes en sciences sociales, sous la direction du professeur Olivier Roy, une thĂšse de doctorat en sociologie politique qui porte sur les dynamiques de rĂ©islamisation et sur les transformations de l’islamisme en Europe, et, plus particuliĂšrement, sur l’émergence et le dĂ©veloppement du salafisme en France. À ce titre, j’ai menĂ© pendant plus de cinq ans des enquĂȘtes de terrain et conduit plus de 70 entretiens avec des imams, des prĂ©dicateurs, des militants et des sympathisants appartenant Ă  cette mouvance, ainsi qu’avec des femmes portant le voile intĂ©gral. Je vous proposerai donc ici un voyage au cƓur de l’univers salafi. J’examinerai tout d’abord dans quelle mesure le voile intĂ©gral fait partie d’une certaine tradition islamique. Je vous prĂ©senterai ensuite les caractĂ©ristiques doctrinales et politiques du salafisme en France. Enfin, je tenterai d’inventorier les motivations mises en avant par les femmes appartenant Ă  ce mouvement pour justifier le port du voile intĂ©gral. Le niqab fait-il ou non partie de la tradition islamique ? Il importe de rĂ©pondre Ă  cette question dans la mesure oĂč la plupart des femmes qui le portent le justifient par des arguments religieux. N’étant que sociologue, ou apprenti sociologue, je me garderai bien de faire ici l’exĂ©gĂšse des versets coraniques se rapportant au voile. Je soulignerai plutĂŽt qu’en matiĂšre religieuse, les textes ne parlent pas d’eux-mĂȘmes ce sont les hommes qui les font parler. Je m’intĂ©resserai donc, non Ă  ce que disent les textes Ă  ce sujet, mais Ă  ce qu’en dit l’orthodoxie musulmane. Il existe dans la thĂ©ologie musulmane quatre Ă©coles de jurisprudence tout d’abord, l’école mĂąlekite, dominante en Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest ; l’école chĂąfĂ©ite, dominante en Afrique de l’Est et en Asie ; l’école hanafite, dominante dans le monde turcophone ; enfin, l’école hambalite, dominante dans la pĂ©ninsule arabique. Ces quatre Ă©coles, qui Ă©dictent les normes en matiĂšre de loi islamique, sont unanimes Ă  affirmer que le port du voile relĂšve d’une obligation religieuse pour toute femme pubĂšre. Certains courants donnent une interprĂ©tation plus souple des versets coraniques se rapportant au voile, mais ils demeurent encore minoritaires et n’ont de relais ni dans le monde musulman ni dans les communautĂ©s musulmanes installĂ©es en Europe. S’il ne fait aucun doute pour les quatre Ă©coles susnommĂ©es que le Coran Ă©lĂšve le port du voile en obligation religieuse, elles divergent quant Ă  ce que ce voile doit recouvrir, en sus du corps le visage ou seulement les cheveux ? L’école qui penche le plus en faveur du voile intĂ©gral est l’école hambalite. Or les salafistes aujourd’hui prĂ©sents en France s’inscrivent dans cette filiation. Mais au sein mĂȘme de cette Ă©cole hambalite, il existe des divergences, certains affirmant le caractĂšre obligatoire du voile intĂ©gral quand d’autres indiquent qu’il peut ĂȘtre portĂ© mais ne relĂšve pas strictement d’une obligation religieuse. Le dĂ©veloppement du port du voile intĂ©gral en France y est intimement liĂ© Ă  celui du salafisme. Ce mouvement est chez nous d’implantation rĂ©cente, apparu seulement au dĂ©but des annĂ©es 90, sous l’effet de la prĂ©dication de quelques jeunes issus de l’immigration musulmane qui Ă©taient partis Ă©tudier le Coran et les sciences religieuses dans les universitĂ©s islamiques d’Arabie saoudite, de Jordanie ou du YĂ©men, mais aussi de militants appartenant Ă  l’aile salafiste du Front islamique du salut, le parti islamiste algĂ©rien. Qu’est-ce donc que le salafisme ? C’est un courant qui prĂŽne une comprĂ©hension et une application littĂ©rales de l’islam. Ce mouvement, ultra-orthodoxe et puritain, appelle les musulmans Ă  vivre ou revivre l’islam selon les prĂ©ceptes invoquĂ©s par les compagnons du ProphĂšte. Il prĂ©sente la particularitĂ© de n’ĂȘtre pas homogĂšne, mais divisĂ© en plusieurs tendances et sensibilitĂ©s politiques. Tout d’abord, le salafisme rĂ©volutionnaire, dit djihadiste, lequel non seulement appelle Ă  une pratique ultra-orthodoxe de l’islam, mais prĂŽne l’usage de la violence et de l’action directe comme seuls moyens politiques pour peser dans le dĂ©bat public. Ensuite, le salafisme politique, appelant lui aussi Ă  une lecture littĂ©rale des textes et Ă  une pratique ultra-orthodoxe, mais qui invite les musulmans Ă  ne s’engager dans le dĂ©bat public que par le biais d’instruments politiques pacifiques – manifestations, pĂ©titions
 Enfin, le salafisme piĂ©tiste qui, lui, n’a aucune vision djihadiste ni politique mais se concentre sur la dimension religieuse et missionnaire. En France, les deux premiĂšres tendances du salafisme sont ultra-minoritaires. La trĂšs grande majoritĂ© des personnes qui s’y rĂ©clament du salafisme appartiennent Ă  la troisiĂšme. Sur deux mille mosquĂ©es prĂ©sentes sur le territoire français, entre vingt et trente seulement auraient Ă  leur tĂȘte un imam salafiste. Une enquĂȘte des Renseignements gĂ©nĂ©raux de 2004 estime qu’entre cinq et dix mille personnes appartiendraient Ă  ce mouvement. Le salafisme dominant en France se dĂ©finit par son piĂ©tisme, son apolitisme et son caractĂšre non-violent, s’inscrivant d’abord dans une logique prĂ©dicatrice missionnaire. Son piĂ©tisme tout d’abord pour ses tenants, l’urgence n’est ni de politiser l’islam ni de s’inscrire dans une logique guerriĂšre, mais de convertir les musulmans sociologiques Ă  une pratique orthodoxe et puritaine de leur religion. Ils se consacrent donc Ă  deux tĂąches principales l’éducation religieuse, dans la mesure oĂč ils tiennent les musulmans installĂ©s en Europe pour des musulmans Ă©garĂ©s, pratiquant un mauvais islam, et la purification d’une religion qui est, selon eux, altĂ©rĂ©e par des pratiques hĂ©rĂ©tiques. DeuxiĂšme caractĂ©ristique de ce mouvement l’apolitisme – ce qui n’exclut pas une dimension Ă©minemment politique. Les salafis français s’opposent Ă  toute forme d’engagement politique au nom de l’islam – d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, il convient pour eux de dĂ©laisser la politique. J’en donnerai plusieurs exemples. En 2004-2005, menant des enquĂȘtes de terrain, j’ai participĂ© Ă  diverses manifestations organisĂ©es par des associations musulmanes appelant Ă  s’opposer Ă  toute loi interdisant le port de signes religieux ostentatoires Ă  l’école. J’ai Ă©tĂ© surpris du faible nombre de personnes se rĂ©clamant du salafisme dans ces manifestations. Lors de celles qui ont Ă©tĂ© ensuite organisĂ©es contre les caricatures du ProphĂšte, il n’y avait aucun salafi. Enfin, en janvier 2009, quand des associations musulmanes ont appelĂ© Ă  manifester contre l’invasion des territoires palestiniens occupĂ©s par Tsahal, les sites salafis sur Internet ont appelĂ©, eux, Ă  ne pas se joindre Ă  ce mouvement. Plus surprenant encore, les salafis Ă©vitent d’intervenir mĂȘme lorsqu’une question les concerne directement. Assistant l’étĂ© dernier Ă  une confĂ©rence donnĂ©e en banlieue parisienne par un imam salafi sur la bonne pratique de l’islam, j’ai, comme il est de coutume chez les salafis dans ce genre de rĂ©unions, demandĂ© par Ă©crit Ă  cet imam quelle Ă©tait sa position en tant qu’autoritĂ© religieuse sur le port du voile intĂ©gral. AprĂšs avoir rĂ©pondu Ă  toutes les autres questions, il a lu la mienne et l’a Ă©cartĂ©e, indiquant qu’il Ă©tait des questions qu’il ne fallait pas poser, pour Ă©viter de diviser la communautĂ© musulmane. Les salafis vivent dans une sorte de bulle, dressent un cordon sanitaire entre eux et le reste de la sociĂ©tĂ©. TroisiĂšme caractĂ©ristique ce mouvement se veut aussi non-violent. Ainsi, ses autoritĂ©s religieuses, aussi bien en France qu’en Arabie saoudite, en Jordanie ou au YĂ©men, ont condamnĂ© de maniĂšre unanime les attentats du 11 septembre 2001, ainsi que les attentats de Madrid en 2004 et de Londres en 2005. Enfin, pourquoi les femmes appartenant au mouvement salafiste dĂ©cident-elles de porter le voile intĂ©gral ? Trois explications principales me paraissent pouvoir ĂȘtre avancĂ©es. C’est une protestation symbolique ; un signe de distinction sociale ; l’expression d’un hyper-individualisme. Le salafisme sĂ©duit un grand nombre de jeunes filles issues de l’immigration musulmane, mais aussi de Françaises de souche. Lorsque celles-ci dĂ©cident de se salafiser, une minoritĂ© seulement opte pour le niqab, la grande majoritĂ© choisissant le djilbeb, voile informe mais qui ne masque pas le visage. Lorsqu’on discute avec les premiĂšres, elles expliquent que porter le voile intĂ©gral est, pour elles, une maniĂšre d’exprimer une protestation, de manifester leur dĂ©saccord avec les valeurs dominantes de la sociĂ©tĂ© dans laquelle elles vivent, de mettre symboliquement cette sociĂ©tĂ© Ă  distance. Le voile intĂ©gral marque une rĂ©bellion symbolique contre l’ordre hiĂ©rarchique incarnĂ© par leurs parents, critiquĂ©s pour pratiquer un mauvais islam, et contre l’ordre social. Mais le voile intĂ©gral est Ă©galement le signe d’une distinction sociale. Celles qui le portent et le revendiquent en tirent une grande fiertĂ© et le ressentent comme un symbole de respectabilitĂ©. En se salafisant et en portant le niqab, d’adolescentes elles deviennent des adultes respectĂ©es, notamment dans les quartiers populaires. Le voile intĂ©gral est enfin le signe d’un hyper-individualisme religieux. Selon des observateurs, le port du niqab, loin d’ĂȘtre volontaire ou consenti, rĂ©sulterait d’une contrainte Ă©manant du groupe auquel appartiennent ces jeunes filles ou d’un membre de leur famille. De fait, il y a bien contrainte, mais elle ne rĂ©sulte pas d’une pression sociale externe exercĂ©e par un imam ou leur famille sur ces jeunes femmes. Il s’agit bien plutĂŽt d’une contrainte volontairement intĂ©riorisĂ©e, parce que ressentie comme lĂ©gitime. C’est en lisant, en Ă©coutant sur Internet des imams prĂȘcher l’islam et la nĂ©cessitĂ© de porter le voile intĂ©gral que progressivement les jeunes femmes qui s’islamisent en viennent Ă  dĂ©sirer ou Ă  s’imposer de porter le niqab pour se comporter de maniĂšre plus conforme Ă  leur foi. Elles y voient le signe d’une plus grande islamitĂ© », d’une appartenance Ă  une Ă©lite, Ă  une avant-garde religieuse appelĂ©e Ă  guider la communautĂ© musulmane Ă©garĂ©e. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Je vous remercie de cette prĂ©sentation, synthĂ©tique et pertinente. J’invite maintenant ceux de nos collĂšgues qui le souhaitent Ă  vous poser des questions. M. Lionnel Luca. Il est communĂ©ment admis qu’il n’y a pas dans l’islam de sĂ©paration entre le politique et le religieux. Or, vous prĂ©tendez l’inverse en affirmant que les salafis vivant en France refusent de s’engager en politique. Pourriez-vous nous en dire davantage sur ce qu’il faut entendre par religieux et politique dans la tradition de l’islam ? Vous affirmez enfin que les salafistes en France refusent systĂ©matiquement de prendre part Ă  la vie politique. Mais ne pensez-vous pas qu’ils prĂ©parent, de maniĂšre subliminale peut-ĂȘtre, les esprits Ă  faire de la politique et Ă  s’engager dans d’autres voies, au risque qu’une mauvaise assimilation de certains principes de purification et d’idĂ©alisation incite certaines personnes Ă  franchir le pas » ? M. Pierre Cardo. Le port du voile intĂ©gral serait une marque de distinction sociale, avez-vous dit. Ne constituerait-il pas aussi une protection contre la sociĂ©tĂ© ? Mme Arlette Grosskost. Selon vous, le mouvement salafiste est-il un mouvement sectaire ? Si oui, souhaite-t-il mettre en avant une identitĂ© particuliĂšre ? Mme Colette Le Moal. Vous avez parlĂ© de jeunes portant le voile intĂ©gral. Est-on bien sĂ»r que ce sont essentiellement des jeunes ? M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. J’aimerais aussi que vous abordiez la dimension gĂ©opolitique. M. Samir Amghar. Du point de vue du sociologue que je suis, le salafisme est, en effet, une secte – est en tout cas travaillĂ© par des dynamiques sectaires. Lorsque les sociologues parlent de secte, il n’y a lĂ  aucune connotation pĂ©jorative. Pour eux, c’est un courant religieux comme un autre. Mais, par opposition Ă  l’église, la secte se dĂ©finit premiĂšrement par son refus de compromis avec le reste d’une sociĂ©tĂ© qu’elle considĂšre comme corrompue ; deuxiĂšmement par la nature charismatique de l’autoritĂ© religieuse qui la guide les groupes salafistes s’organisent ainsi autour de leaders charismatiques ayant souvent Ă©tudiĂ© en Arabie saoudite, en Jordanie ou au YĂ©men. La troisiĂšme caractĂ©ristique d’une secte pour le sociologue est que ses membres l’ont rejointe volontairement. Si on naĂźt musulman, on choisit de devenir salafi. Le salafisme en France entretient un rapport nĂ©gatif avec son environnement. Lorsque j’ai commencĂ© Ă  travailler sur ce mouvement il y a quelque six ans, j’ai Ă©tĂ© surpris de son sectarisme, de son refus de se mĂȘler au reste de la sociĂ©tĂ©, de ses critiques de la sociĂ©tĂ© française et des valeurs rĂ©publicaines. Mais force est de constater qu’en dĂ©pit de ce sectarisme, les salafis sont contraints de passer des compromis avec leur environnement, quelque insuffisamment islamique qu’ils le considĂšrent. Alors que, dans les annĂ©es 1990, il n’était pas question de mariage Ă  la mairie et, pour les salafis Ă©trangers, de naturalisation, cela se pratique de plus en plus. Preuve que les salafis se dĂ©sectarisent » et s’ouvrent progressivement Ă  notre sociĂ©tĂ©. M. Lionnel Luca. Ou font de l’entrisme ! M. Samir Amghar. Non, le salafisme n’est pas pour moi le courant islamique qui fait de l’entrisme en France, prĂ©cisĂ©ment dans la mesure oĂč c’est un mouvement sectaire qui se dĂ©sintĂ©resse de la politique. La seule urgence pour ses tenants est de garantir leur place au paradis et d’appeler les musulmans Ă  la rĂ©islamisation. Je n’ai jamais constatĂ© que les imams salafis ou les salafis eux-mĂȘmes pratiquent l’entrisme ou dĂ©veloppent des relations clientĂ©listes avec les maires des communes oĂč se trouvent leurs mosquĂ©es. Ils ne se situent pas du tout dans la logique entriste qui peut ĂȘtre celle des FrĂšres musulmans ou de l’UOIF Union des organisations islamiques de France. La sphĂšre politique ne les intĂ©resse pas du tout. Mme Arlette Grosskost. Pour l’instant ! M. Samir Amghar. Le salafisme prĂ©pare-t-il les jeunes Ă  s’engager en politique ? Non, bien au contraire une grande partie du mouvement est constituĂ©e de jeunes qui ont Ă©tĂ© déçus de leur engagement politique antĂ©rieur au sein d’associations musulmanes. Beaucoup des salafis actuels Ă©taient proches des FrĂšres musulmans dans les annĂ©es 90, Ă©coutaient Tariq Ramadan, dans la pensĂ©e duquel ils se reconnaissaient. Mais ces organisations, qui n’ont pas, Ă  leurs yeux, tenu leurs promesses, les ont progressivement déçus. Mme DaniĂšle Hoffman-Rispal. Mais ceux-lĂ  ont maintenant la trentaine ! M. Samir Amghar. Les salafis qui ont vingt ans aujourd’hui rejettent aussi la politique, institutionnelle ou associative, musulmane. Pour eux, on ne changera les choses que par le retour Ă  un islam authentique. S’agissant du lien entre islam et politique, n’étant pas islamologue, il m’est difficile de rĂ©pondre. En France, deux conceptions s’affrontent. Il y a d’un cĂŽtĂ© celle dĂ©fendue par les FrĂšres musulmans selon lesquels l’islam n’est pas seulement une religion, mais un systĂšme global, Ă  la fois religieux, politique, philosophique, Ă©thique
, et pour qui ĂȘtre un bon musulman, c’est non seulement frĂ©quenter la mosquĂ©e, faire ses cinq priĂšres par jour, mais aussi s’engager au nom de ses valeurs religieuses. Et les mouvements frĂ©ristes » se situent, en effet, dans une logique entriste ou de lobbying. D’un autre cĂŽtĂ©, il y a les salafis pour qui, en revanche, l’urgence n’est pas de politiser l’islam mais bien plutĂŽt, dans une posture missionnaire et piĂ©tiste, d’appeler les musulmans Ă  la pratique de l’islam vĂ©ritable. Cela Ă©tant, il est vrai que les imams professent qu’il faudra ensuite passer Ă  une autre Ă©tape, celle de l’organisation, mais cela fait vingt ans qu’ils tiennent le mĂȘme discours sans avoir rien fait en ce sens – de sorte que ce courant est le seul Ă  n’ĂȘtre pas organisĂ© et hiĂ©rarchisĂ© Ă  l’échelle nationale. N’existent que des associations locales, constituĂ©es autour d’un imam prĂ©dicateur charismatique – et celui de Lille, par exemple, n’a pas de relations avec celui de la rĂ©gion marseillaise. Ces groupes fonctionnent de maniĂšre autonome les uns par rapport aux autres et n’ont pas de projet politique. Le seul projet des jeunes salafis est, Ă  mon sens, de quitter la France pour s’installer dans un pays musulman, parce qu’ils estiment que la France manque de respect Ă  l’égard de ses musulmans et que l’on ne peut y vivre pleinement sa religion. M. Jacques Remiller. Combien cette mouvance regroupe-t-elle de personnes ? Dans quelles rĂ©gions est-elle plus particuliĂšrement reprĂ©sentĂ©e ? M. Samir Amghar. Comme je l’ai dit, une enquĂȘte des Renseignements gĂ©nĂ©raux datant de 2004 estime qu’il y aurait quelque 5 000 salafistes en France. Entre vingt et trente mosquĂ©es ont Ă  leur tĂȘte un imam salafiste une dizaine en banlieue parisienne, deux dans la rĂ©gion lyonnaise, une Ă  Marseille et une Ă  Romans-sur-IsĂšre. M. Pierre Cardo. Toutes de tendance piĂ©tiste ? M. Samir Amghar. Les deux autres tendances salafistes sont, en effet, ultra-minoritaires, voire inexistantes. La tendance djihadiste Ă©tait prĂ©sente dans les mosquĂ©es au dĂ©but des annĂ©es 2000 mais elle en a disparu, ses imams ayant renoncĂ© Ă  tenir ce discours rĂ©volutionnaire » sous la pression policiĂšre. Mme BĂ©rengĂšre Poletti. Disposez-vous d’informations sur la progression du salafisme en France ces derniĂšres annĂ©es ? Le nombre d’imams salafistes a-t-il augmentĂ© ? M. Samir Amghar. Le nombre de mosquĂ©es salafies reste stable les seules variations tiennent au fait que tel ou tel imam est parti de l’une pour aller dans une autre, qui devient alors salafie Ă  son tour. M. Pierre Cardo. Nous cherchons au travers de ces auditions la rĂ©ponse la mieux adaptĂ©e au problĂšme du port du voile intĂ©gral. Nous ne vous demanderons pas quelle serait cette rĂ©ponse, mais quelle est, selon vous, l’erreur Ă  surtout ne pas commettre ? Mme Pascale Crozon. Quels rapports entretiennent les salafistes avec les autres courants de l’islam qui font Ă©galement du prosĂ©lytisme ? M. Samir Amghar. Les salafistes, pensant ĂȘtre les seuls dĂ©positaires du vĂ©ritable islam, considĂšrent tous les autres mouvements comme hĂ©rĂ©tiques, qu’il s’agisse du mouvement Tabligh, mouvement missionnaire d’origine indo-pakistanaise, des FrĂšres musulmans ou d’autres mouvements soufis. Ils se situent dans une logique d’excommunication par rapport Ă  ces autres courants, du moins dans le discours. Car dans les faits, on constate souvent des accommodements ». Les salafistes frĂ©quentent, par exemple, des mosquĂ©es ayant Ă  leur tĂȘte un imam de la mouvance des FrĂšres musulmans si c’est la seule dans la ville. De mĂȘme, beaucoup se rendent au congrĂšs que tiennent chaque annĂ©e au Bourget les FrĂšres musulmans et qui rassemble entre 20 000 et 50 000 personnes, et ils y tiennent mĂȘme des stands. La pratique est donc bien plus nuancĂ©e que le discours – et relĂšve un peu du bricolage. S’agissant de l’erreur Ă  ne pas commettre, je me bornerai Ă  relever que la loi de 2004, rĂ©affirmant la primautĂ© du principe de laĂŻcitĂ© dans l’enceinte scolaire, a eu des effets positifs, mais aussi des effets pervers. Beaucoup de jeunes filles qui portaient le voile au collĂšge ou au lycĂ©e ont cessĂ© de frĂ©quenter ces Ă©tablissements, se sont dĂ©scolarisĂ©es et se sont mises Ă  frĂ©quenter de plus en plus les cercles salafis. ConsĂ©quence celles qui portaient en 2004 le hijab portent aujourd’hui le niqab. La loi de 2004 a Ă©galement favorisĂ© une forme de communautarisme. En effet, Ă  partir de cette date, les FrĂšres musulmans ont créé des Ă©coles confessionnelles et depuis lors, de nombreux projets, Ă  Lyon, Ă  Marseille, dans le Nord et plus rĂ©cemment Ă  Vitry-sur-Seine, ont vu le jour. La rĂ©affirmation tout Ă  fait lĂ©gitime du principe de laĂŻcitĂ© a donc eu, hĂ©las, ces effets pervers que l’on perçoit mieux avec le recul. Il faudrait en tenir compte au moment d’évaluer l’intĂ©rĂȘt d’une loi Ă©ventuelle sur la burqa. M. Georges Mothron. Votre exposĂ© a Ă©tĂ© trĂšs clair mais j’ai bien le sentiment qu’il y a une comptabilitĂ© » officielle du salafisme et une officieuse. Dans la rĂ©gion parisienne, par exemple, Ă  cĂŽtĂ© du salafisme mesurĂ© par les Renseignements gĂ©nĂ©raux et qui a passĂ© des compromis avec les collectivitĂ©s, il y a celui qui se dĂ©veloppe ou fait rĂ©surgence dans des lieux de priĂšre non reconnus, parfois Ă  quelques centaines de mĂštres seulement d’une mosquĂ©e, et avec des dĂ©rives non nĂ©gligeables. Je ne veux pas gĂ©nĂ©raliser ce qui se passe dans ma circonscription, mais il me semble que le salafisme a gagnĂ© du terrain, au prix d’un sectarisme accru. Mme Françoise Hostalier. Comme l’a souvent soulignĂ© le prĂ©sident de notre mission, le port de la burqa ou du niqab ne constitue que la partie Ă©mergĂ©e de l’iceberg. On ne sait pas trĂšs bien ce qu’il y a en dessous, mais c’est en tout cas mal ressenti par beaucoup de nos concitoyens, y compris de confession musulmane. Je pense en particulier Ă  ces revendications de plus en plus nombreuses, exprimĂ©es au nom du droit de vivre sa religion mais incompatibles avec les exigences d’un Etat laĂŻc. Passe encore dans les prisons ou les maisons de retraite, dont les intĂ©ressĂ©s ne peuvent sortir, mais cela ne peut s’admettre Ă  l’école ou dans l’hĂŽpital. Pourquoi voit-on de plus en plus de femmes portant le voile intĂ©gral ou d’hommes affichant ostensiblement leur appartenance religieuse dans les transports et les lieux publics, et exprimant des exigences croissantes vis-Ă -vis de nous, Gaulois – si je puis m’exprimer ainsi ? On m’a rapportĂ© que, dans certaines entreprises, les salariĂ©s avaient reçu pour consigne de ne pas manger leur sandwich sur place pendant le ramadan, pour ne pas risquer de heurter des collĂšgues de confession musulmane. On va finir par aboutir Ă  un communautarisme inversĂ© et Ă  des rĂ©actions de rejet, alors que jusqu’à prĂ©sent la population musulmane ne posait pas de problĂšme. Comment le sociologue que vous ĂȘtes analyse-t-il cette montĂ©e d’un islamisme dĂ©rangeant » et le risque qu’il fait courir ? Mme DaniĂšle Hoffman-Rispal. Je m’associe Ă  la question de Françoise Hostalier. Vous nous avez dit, Monsieur, que le port du voile intĂ©gral traduit un hyper-individualisme » et un refus de nos valeurs », et que lĂ©gifĂ©rer, comme nous pensons qu’il est de notre devoir de rĂ©publicains laĂŻcs de le faire au nom du respect des valeurs universelles que nous dĂ©fendons, pourrait avoir des effets pervers. Alors, que pouvons-nous faire ? Dans ma circonscription de Belleville, alors qu’auparavant je croisais une femme en niqab une fois tous les six mois, j’en croise maintenant dix tous les vendredis ! Et le phĂ©nomĂšne semble s’amplifier. Je me demande d’ailleurs si le simple fait d’avoir posĂ© publiquement le problĂšme n’a pas joué . Pourquoi devrions-nous accepter les valeurs de personnes qui, ostensiblement, refusent les nĂŽtres ? Cela me pose un problĂšme philosophique, encore plus que politique. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. J’ai Ă©galement l’impression qu’avec le voile intĂ©gral, on parle de l’arbre, non de la forĂȘt qu’il cache. Je ne sais pas si vos donnĂ©es sont parfaitement actualisĂ©es car c’est bien toute une forĂȘt que nous dĂ©couvrons. Nous en avions dĂ©jĂ  quelque idĂ©e avant le dĂ©but de cette mission mais, allant plus avant dans nos travaux, en essayant de dĂ©battre, notamment, avec les responsables du culte musulman, nous cherchons Ă  caractĂ©riser ce que nous constatons. S’agit-il d’une dĂ©rive intĂ©griste, fondamentaliste, d’une idĂ©ologie barbare », comme certains l’ont dit ? Toutes les informations que vous nous avez livrĂ©es sont intĂ©ressantes mais comment se fait-il que, dans des territoires entiers, on oblige des mineures Ă  porter certaines tenues vestimentaires qu’elles ĂŽtent dĂšs qu’elles arrivent dans leur Ă©tablissement scolaire, pour s’habiller comme leurs copines », en venant mĂȘme Ă  demander Ă  disposer d’un vestiaire oĂč se changer ? Comment se fait-il que l’on observe de plus en plus de comportements fanatiques d’hommes vis-Ă -vis de leur femme dans les hĂŽpitaux, les maternitĂ©s
 ? Il est important de pouvoir caractĂ©riser ces Ă©volutions afin de faire reculer ces comportements. Nous souhaiterions en France un islam qui s’adapte aux conditions de notre pays. Une clarification s’impose Ă  ce sujet. Dans ma seule commune, je connais douze lieux de priĂšre officieux dans des caves ou en pied d’immeuble. Je suis donc sceptique quant au chiffre que vous avez avancĂ© concernant l’agglomĂ©ration lyonnaise. M. Pierre Cardo. Si nous avons créé cette mission d’information et dĂ©cidĂ© d’auditionner toute une sĂ©rie de personnalitĂ©s, c’est que nous avons besoin de comprendre le phĂ©nomĂšne auquel nous nous attaquons. Si nous avons demandĂ© Ă  entendre M. Amghar, c’est parce qu’il est un spĂ©cialiste du salafisme, dont nous cherchons Ă  comprendre l’origine et ce qui motive ses adeptes. Je pense qu’il faut Ă©viter, Monsieur le prĂ©sident, de donner aux universitaires et aux chercheurs qui partagent avec nous leurs connaissances le sentiment de se trouver devant un tribunal. Nous sommes lĂ  pour les Ă©couter, leur poser des questions, pas pour donner des leçons. Ce que nous affrontons est certes Ă  la fois inquiĂ©tant et complexe, mais c’est une raison de plus de procĂ©der avec dĂ©licatesse. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. J’en suis tout Ă  fait d’accord. Il est important que nous dialoguions avec les scientifiques pour mieux comprendre certains phĂ©nomĂšnes et si je souhaite disposer de donnĂ©es actualisĂ©es concernant la rĂ©gion lyonnaise, ce n’est nullement une critique Ă  l’égard de M. Amghar, d’autant que ce n’est pas nĂ©cessairement lui qui peut nous les fournir. M. Samir Amghar. Dans l’agglomĂ©ration lyonnaise, il y a une mosquĂ©e salafiste aux Minguettes, Ă  VĂ©nissieux – la mosquĂ©e Al Fourqan – et une autre Ă  Lyon mĂȘme, dans le 8e arrondissement. Elles sont trĂšs actives, faisant preuve d’un grand prosĂ©lytisme. Le mouvement salafi est sans doute, en effet, le plus hĂ©gĂ©monique et celui qui connaĂźt le plus fort dĂ©veloppement, notamment au dĂ©triment du mouvement Tabligh. Dans les quartiers populaires, lorsqu’on dĂ©cide de se convertir Ă  l’islam ou de se rĂ©islamiser, on le fait bien souvent au contact du salafisme car c’est la seule offre religieuse qui y reste et qui apparaĂźt comme la plus lĂ©gitime et la plus authentique. Quant Ă  Argenteuil, c’est un bastion historique du salafisme, la premiĂšre ville oĂč il s’est dĂ©veloppĂ© et oĂč des femmes ont commencĂ© Ă  porter le voile intĂ©gral, et celle oĂč se trouve la plus grande mosquĂ©e salafie de France, pouvant accueillir plusieurs centaines de fidĂšles, la mosquĂ©e As Salaam. Mais l’imam, le franco-marocain Abou Omar, considĂšre que le voile intĂ©gral n’a pas sa place en France, mais seulement dans les pays musulmans qui l’acceptent. Il se situe donc dans une logique de compromis, invitant les jeunes filles Ă  dĂ©couvrir leur visage. C’est l’exemple du bricolage auquel sont conduits des imams salafis, malgrĂ© le sectarisme propre au mouvement. Cela Ă©tant, il est vrai qu’il existe un certain nombre de lieux de culte non rĂ©pertoriĂ©s, mais les chiffres que je vous ai donnĂ©s permettent d’avoir un ordre de grandeur les salafistes sont une minoritĂ© dans la minoritĂ© musulmane, mais une minoritĂ© trĂšs active. Mme BĂ©rengĂšre Poletti. Votre curriculum vitae, Monsieur, nous apprend que vous avez Ă©tĂ© l’auteur en 2000 d’un mĂ©moire sur l’islamisme tunisien face Ă  la dĂ©mocratie ». Or je crois savoir que la Tunisie interdit le port du voile intĂ©gral. J’aurais aimĂ© connaĂźtre votre sentiment Ă  ce sujet. Vous allez par ailleurs trĂšs prochainement soutenir une thĂšse sur le salafisme en Europe. Le salafisme a-t-il un projet, explicite ou non, de conquĂȘte de territoires ? Mme Pascale Crozon. Quels rapports entretient-il avec les autres courants de l’islam ? Y a-t-il dĂ©jĂ  eu des confrontations entre ces courants ou risque-t-il d’y en avoir ? M. Samir Amghar. Il y a dĂ©jĂ  eu des confrontations, mais les salafistes Ă©tant persuadĂ©s de dĂ©tenir la vĂ©ritĂ©, ils les Ă©vitent car ils savent que, de toute façon, FrĂšres musulmans et tablighis sont vouĂ©s Ă  l’enfer ! J’ai assistĂ© Ă  des pugilats, Ă  des bagarres, mais je les crois exceptionnels. Les conflits de territoires restent discrets, l’objectif de chacun Ă©tant nĂ©anmoins de convertir le plus grand nombre de personnes. En Tunisie, dont je souligne que je ne suis pas un spĂ©cialiste, le voile intĂ©gral n’est pas interdit en soi, mais la pression sociale et policiĂšre y est telle que les femmes qui souhaiteraient le porter ne le font pas, pour Ă©viter les ennuis. Cela dit, la tendance piĂ©tiste du salafisme se dĂ©veloppe de plus en plus dans ce pays, avec la bĂ©nĂ©diction du rĂ©gime parce qu’il voit dans ce courant, orthodoxe mais apolitique, l’outil idĂ©al pour faire barrage Ă  l’islamisme politique. S’agissant des effets pervers que pourrait avoir une loi sur le voile intĂ©gral, il faut voir que celui-ci est portĂ© par des personnes qui ont un rapport conflictuel avec la France, estimant avoir Ă©tĂ© durant des annĂ©es montrĂ©es du doigt parce que d’origine Ă©trangĂšre et de confession musulmane, se considĂ©rant donc comme victimes de racisme et d’exclusion. Pour elles, le salafisme est une sorte de revanche. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Mais sans connotation politique ? M. Samir Amghar. Non, car les salafistes n’ont pas de programme politique prĂ©cis et ne cherchent pas non plus Ă  nĂ©gocier avec l’État. M. Jacques Remiller. OĂč sont formĂ©s les imams des mosquĂ©es salafistes ? M. Samir Amghar. Essentiellement en Arabie saoudite. À partir des annĂ©es 60, ce pays a voulu apparaĂźtre comme une superpuissance religieuse et a créé de nombreuses universitĂ©s islamiques qui, Ă  la diffĂ©rence de celles d’AlgĂ©rie, du Maroc ou d’Égypte, allouent des bourses Ă  leurs Ă©tudiants. Des reprĂ©sentants de ces Ă©tablissements dĂ©marchent les mosquĂ©es françaises pour recruter de futurs Ă©tudiants en thĂ©ologie. Elles dispensent par ailleurs un enseignement de grande qualitĂ©. Être diplĂŽmĂ© d’une universitĂ© islamique saoudienne quand on veut devenir imam, c’est comme ĂȘtre diplĂŽmĂ© de l’Institut d’études politiques de Paris quand on veut faire de la science politique en France ! M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Nous avons l’exemple de l’imam Bouziane. Nous vous remercions, Monsieur. Vous nous avez vraiment donnĂ© envie d’en savoir davantage. Audition de Mme Yvette Roudy, ancien ministre SĂ©ance du mercredi 4 novembre 2009 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Madame la ministre, merci d’ĂȘtre lĂ . Vous vous ĂȘtes battue sans relĂąche pour l’avancĂ©e des droits de la femme aussi bien comme militante associative que comme femme politique, notamment comme ministre chargĂ©e des droits de la femme dans le gouvernement Mauroy ou comme parlementaire au moment de la discussion de mesures relatives Ă  la paritĂ©. Il nous a paru, Ă  ce stade de nos travaux, utile de vous entendre, vous qui avez vĂ©cu de l’intĂ©rieur l’évolution du mouvement fĂ©ministe. Je souhaiterais savoir quel regard vous portez sur le voile intĂ©gral. Est-ce avant tout l’expression d’un malaise identitaire de la part de jeunes personnes qui sont mal intĂ©grĂ©es Ă  la sociĂ©tĂ© française ou faut-il y voir une rĂ©elle influence du fondamentalisme ? N’est-il pas surprenant de voir beaucoup de jeunes filles de souche europĂ©enne converties Ă  l’islam adopter cette pratique rigoriste ? Selon vous, quels sont les droits de l’homme – et de la femme – mis en cause par cette pratique ? J’aimerais aussi vous demander si, selon vous, le port du voile intĂ©gral remet en cause les valeurs rĂ©publicaines et, plus particuliĂšrement, le principe de laĂŻcitĂ©. Une loi portant sur le voile intĂ©gral pourrait comprendre des mesures positives visant Ă  amĂ©liorer la tolĂ©rance et les droits des femmes. Quelles mesures proposeriez-vous pour que la communautĂ© musulmane comprenne bien qu’il ne s’agit pas d’une loi antimusulmane, mais d’une maniĂšre de prĂ©server le vivre ensemble », lequel ne peut se faire au dĂ©triment des femmes ? La mission ne s’est pas encore prononcĂ©e dĂ©finitivement, mais elle verrait dans la loi un moyen de libĂ©ration, et non de rĂ©pression, comme le craignent certains. Mme Yvette Roudy. Merci de m’avoir invitĂ©e Ă  donner mon avis. La question du voile intĂ©gral, qui Ă©meut beaucoup de monde, me rappelle l’affaire du voile ». À cette Ă©poque, nous avons entendu, notamment au Parlement et au sein de la commission prĂ©sidĂ©e par M. Bernard Stasi, les mĂȘmes arguments que ceux que nous entendons aujourd’hui. Ces arguments sont de trois ordres. PremiĂšrement, il faudrait autoriser le voile intĂ©gral au nom de la religion. DeuxiĂšmement, le port du voile relĂšverait de la libertĂ© des femmes, qui peuvent choisir de se promener dans un scaphandre ambulant – on peut s’interroger sur le sens que ces jeunes femmes donnent au mot libertĂ©. TroisiĂšmement, il ne faudrait surtout pas, par une loi, stigmatiser toute une communautĂ©. Je remarque d’abord que le port du voile, intĂ©gral ou non, n’est pas inscrit dans le Coran. Selon moi, c’est une invention de la part d’une branche intĂ©griste religieuse qui vise Ă  propager son idĂ©ologie. Nous savons d’ailleurs que toutes les religions ont leurs intĂ©gristes il y en a eu chez les catholiques et chez les protestants. Nous disposons en France de l’excellente loi de 1905, dite de sĂ©paration des Églises et de l’État. Il en rĂ©sulte que la loi de la RĂ©publique est au-dessus des lois religieuses. Ce sont des arguments simples, qu’il faut rappeler Ă  ceux qui se laisseraient intimider, notamment par des accusations d’intolĂ©rance. Je n’ai aucun Ă©tat d’ñme il s’agit d’une propagande politique orchestrĂ©e par un courant politique particulier qui utilise la religion et s’attaque Ă  nos principes. Elle profite de notre point faible les droits des femmes. Il suffit de gratter un peu, de discuter pour en avoir la preuve certains affirment que tout est rĂ©glĂ© en ce domaine et, rĂ©guliĂšrement, certains tentent de revenir sur des droits acquis par les femmes. Comme il s’agit de droits rĂ©cents, il n’est pas Ă©tonnant qu’ils ne soient pas compris par tous ni suffisamment dĂ©fendus. Les intĂ©gristes, qui sont trĂšs intelligents et cultivĂ©s, savent bien ce qu’ils font en agissant ainsi. DerriĂšre cette attaque, c’est notre RĂ©publique, notre État de droit, notre principe de laĂŻcitĂ© qui se trouvent attaquĂ©s. Or le principe de laĂŻcitĂ© est inscrit dans la Constitution. Il serait inconstitutionnel d’accepter de revenir dessus. Nous devons ĂȘtre fiers de ce principe de laĂŻcitĂ©, qui est propre Ă  la France. Il est d’ailleurs intraduisible dans d’autres langues et on a du mal Ă  l’expliquer aux Anglo-Saxons. Mais nous nous sommes suffisamment battus pour l’affirmer et il est maintenant admis par l’Église catholique. Pour avoir Ă©tĂ© maire d’une ville de pĂšlerinage pendant douze ans, j’ai rencontrĂ© rĂ©guliĂšrement des Ă©vĂȘques, et cela se passait trĂšs bien. J’en veux aussi pour preuve un texte de Mgr Jean-Louis Tauran, conseiller du Pape, d’oĂč il ressort qu’il accepte trĂšs bien la laĂŻcitĂ©. Nous n’avons donc pas de problĂšmes avec les hauts responsables de l’Église catholique romaine en France. Il faut expliquer que la loi sur la laĂŻcitĂ© s’applique partout, quelles que soient les religions les Églises sont sĂ©parĂ©es de l’État et la religion relĂšve du domaine privĂ©. Je remarque, par ailleurs, que le port du voile ne concerne que les femmes. Les hommes ne demandent pas Ă  ĂȘtre traitĂ©s de maniĂšre diffĂ©rente ou spĂ©cifique. J’y vois donc la manifestation d’un traitement inĂ©galitaire – qui s’oppose au principe constitutionnel d’égalitĂ© entre hommes et femmes. Certaines femmes dĂ©clarent que porter le voile relĂšve de leur libertĂ©. Elles sont en gĂ©nĂ©ral jeunes et d’allure trĂšs libre. Elles nous expliquent qu’il s’agit pour elles d’un choix, et elles sont probablement sincĂšres. Mais nous savons que la manipulation est facile et que certains esclaves aiment leurs chaĂźnes. Enfin, certains conditionnements, qui commencent trĂšs tĂŽt, peuvent convaincre ceux qui n’auraient pas pratiquĂ© ou Ă©prouvĂ© leur libertĂ©. C’est donc une affaire de conditionnement, de soumission organisĂ©e et de domination. Essayez de vous promener avec une burqa cela ne facilite pas la vision et constitue une gĂȘne quand il faut traverser la rue. Par ailleurs, personne ne sait qui se cache sous la burqa – ce qui pose au demeurant un problĂšme de sĂ©curitĂ©. L’identitĂ© de la femme est gommĂ©e, la femme est masquĂ©e, elle n’existe pas – et c’est bien le but. Les manipulateurs font preuve d’une habiletĂ© machiavĂ©lique. Un des arguments avancĂ©s est qu’il ne faudrait pas stigmatiser une communautĂ©. La communautĂ© musulmane serait-elle si fragile ? J’ai discutĂ© avec des musulmans, des imams, qui dĂ©fendent la laĂŻcitĂ©, qui ne sont pas favorables Ă  la burqa et qui, Ă  mon sens, voudraient que l’on vote une loi. Au reste, je leur ai demandĂ© pourquoi ils ne pourraient pas rĂ©gler eux-mĂȘmes le problĂšme au sein de la communautĂ© ils sont tout de mĂȘme les premiers intĂ©ressĂ©s. Ce phĂ©nomĂšne du port de la burqa rĂ©vĂšle un problĂšme de vision du monde, dans laquelle le corps des femmes est jugĂ© dangereux. Comme on me l’a dit, les femmes doivent se masquer car, sinon, les hommes vont se dĂ©chaĂźner, pris par des pulsions irrĂ©pressibles. Si elles s’exposent, cela signifie qu’elles sont disponibles. Le voile intĂ©gral permettrait donc de protĂ©ger les femmes contre de possibles agressions. Attention Ă  ce cheval de Troie » que l’on veut faire pĂ©nĂ©trer dans notre sociĂ©tĂ©. Les personnes qui sont derriĂšre savent trĂšs bien ce qu’elles font. AprĂšs le port de tel costume pour sacrifier Ă  la tradition, on nous demandera des horaires rĂ©servĂ©s dans les piscines – j’ai mĂȘme entendu dire que certains maires les avaient acceptĂ©s – ou des programmes scolaires Ă©dulcorĂ©s, notamment en biologie, etc. Et pourquoi pas, peu Ă  peu, des espaces sĂ©parĂ©s pour les hommes et les femmes dans les bus, dans le mĂ©tro, dans les restaurants, les théùtres ou les cinĂ©mas ? On risque d’aboutir Ă  un vĂ©ritable apartheid. C’est un engrenage, et sachez que les femmes qui circuleraient librement s’exposeraient Ă  des agressions. Pour moi, c’est trĂšs clair une loi s’impose. Nous nous adressons Ă  une population qui souhaite vivre chez nous, parce que la vie y est meilleure. Elle sait trĂšs bien que, pour vivre en paix dans un pays comme la France, il faut avant toute chose respecter la loi. Je pense donc qu’elle comprendra si nous en faisons une. AprĂšs, bien sĂ»r, il faudra veiller Ă  son application. Mais vous connaissez tous la trĂšs belle phrase de Lacordaire Entre le fort et le faible, le riche et le pauvre, le maĂźtre et le serviteur, c’est la libertĂ© qui opprime et la loi qui affranchit. » Mme Françoise Hostalier. Vous avez remarquĂ©, Madame, que le phĂ©nomĂšne ne concernait que les femmes. Mais, dans la rĂ©gion lilloise, les hommes sont de plus en plus nombreux Ă  porter une barbe longue et touffue et refusent de regarder une femme dans les yeux. Je suis allĂ©e l’autre jour Ă  la mosquĂ©e de mon quartier et la moitiĂ© des hommes a refusĂ© de me serrer la main. Cela ne m’est jamais arrivĂ© dans des pays musulmans, par exemple en Afghanistan ou en Tunisie. J’observe donc, chez les hommes Ă©galement, une radicalisation des comportements. J’ai cru comprendre que, dans votre propos, vous visiez surtout les femmes d’origine Ă©trangĂšre. Mais le problĂšme se pose aussi pour les femmes françaises converties, que leurs parents soient ou non d’origine Ă©trangĂšre. Je pense tout particuliĂšrement Ă  celles que je pourrais qualifier de gauloises » et qui, une fois converties, sont encore plus religieuses » que les autres. Vous avez Ă©tĂ© dĂ©putĂ©e et ministre. Vous avez sans doute une idĂ©e de la façon dont on pourrait rĂ©diger cette loi, et surtout de la façon dont on pourrait la faire appliquer. L’application de la loi de 2004 a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© difficile il a fallu agir avec dĂ©licatesse, convaincre les parents, passer par des mĂ©diatrices, trouver des solutions pour scolariser les Ă©lĂšves qui ne voulaient pas se dĂ©voiler, etc. Mais pour cette loi-ci, comment l’appliquer, notamment dans les lieux publics ? Faudra-t-il prĂ©voir des amendes ? Mme Pascale Crozon. Comment analysez-vous, Madame, l’application de la loi de 2004 ? Mme Yvette Roudy. On n’interdit pas aux hommes dont vous parliez de se promener en bras de chemise ou nue tĂȘte, et je ne pense pas qu’il leur soit obligatoire de porter la barbe. Il est nĂ©anmoins Ă©vident que ce sont des intĂ©gristes, qui peuvent refuser de serrer la main des femmes. Cela m’est arrivĂ© en France et dans certains autres pays. Vous avez raison de dire que les nouveaux convertis sont encore plus stricts que les autres, parce qu’ils ont quelque chose Ă  prouver. J’ai rencontrĂ© aux États-Unis une trĂšs jeune femme qui portait le voile et trouvait l’idĂ©ologie intĂ©ressante. Elle Ă©tait nĂ©e dans ce pays et n’en Ă©tait jamais sortie. Je ne sais pas ce qu’elle est devenue, mais je pense qu’elle ouvrira un jour les yeux, surtout si elle va dans le pays d’origine de ses ancĂȘtres et se rend compte de ce que cela peut reprĂ©senter au quotidien impossibilitĂ© de sortir, absence de droits, etc. Certaines femmes sont sĂ©duites. Mais toutes les sectes savent pratiquer la sĂ©duction. Le port de la burqa est Ă©galement le moyen, en particulier pour les jeunes, de se distinguer et de dĂ©fier la sociĂ©tĂ© et l’autoritĂ© dominante. L’intĂ©grisme religieux obĂ©it Ă  toutes les rĂšgles auxquelles les sectes obĂ©issent – ayant participĂ© dans cette assemblĂ©e Ă  la commission d’enquĂȘte sur les sectes, je sais de quoi je parle. DerriĂšre tout cela, il y a des comportements sectaires qui peuvent aboutir Ă  des lavages de cerveau, Ă  des conditionnements et Ă  un embrigadement total. On assiste Ă  une montĂ©e du phĂ©nomĂšne. Que faire ? C’est vous qui allez devoir trouver la solution. Celle-ci ne peut ĂȘtre que globale. Une loi est nĂ©cessaire, mais elle ne sera pas suffisante ; il faudra l’accompagner – ce que nous ne savons pas trĂšs bien faire, Ă  la diffĂ©rence des pays scandinaves. Il conviendra aussi d’aller dans les endroits oĂč cela se passe, pour discuter et dĂ©fendre bec et ongles notre laĂŻcitĂ©. Quant Ă  la loi de 2004, c’est mieux que rien, mais ce n’est pas parfait. Elle n’est pas appliquĂ©e dans les universitĂ©s, ce qui est dommage, ni dans les lieux publics. Cela dit, on peut admettre que des femmes portent un foulard dans un lieu public, mais pas qu’elles portent la burqa. De toute façon, c’est dangereux, et l’on peut mettre en avant des arguments de sĂ©curitĂ© elles peuvent crĂ©er des accidents ou en avoir et, de surcroĂźt, on ne sait pas qui se cache dessous. En tout cas, notre sociĂ©tĂ© n’est pas organisĂ©e pour cela. Il faudra dire aux personnes qui vivent chez nous, et qui ne s’y trouvent pas mal – et je ne vise pas que les femmes venant de l’étranger – que la loi ne permet pas d’adopter de telles pratiques. Je me souviens avoir agi ainsi lorsqu’il a fallu empĂȘcher l’excision. Certains avaient alors une attitude assez complaisante vis-Ă -vis de cette coutume et nous accusaient de faire preuve de nĂ©ocolonialisme et d’intolĂ©rance. En dernier recours, je leur ai dit que c’était la loi et que l’excision Ă©tait interdite, et alors ils ont acceptĂ© cette disposition. Bien sĂ»r, vous pouvez essayer de convaincre, mais vous n’y parviendrez pas. En l’occurrence, vous avez face Ă  vous un systĂšme trĂšs bien organisĂ© et des personnes trĂšs habiles comme Tariq Ramadan, qui ont fait leurs Ă©tudes dans nos universitĂ©s et connaissent nos points faibles. RĂ©pondez aux personnes concernĂ©es que ce sont nos rĂšgles, nos lois, que notre sociĂ©tĂ© est organisĂ©e de cette façon et que si elles ne s’y conforment pas, elles encourront des sanctions. Vous devrez prĂ©voir ces sanctions et faire payer des amendes. Nous avions eu des craintes aprĂšs le vote de la loi de 2004 sur le voile islamique. Mais j’ai constatĂ© que, globalement, la loi a Ă©tĂ© respectĂ©e. En conclusion, mettre en avant la loi simplifie bien les choses. Au reste, vous ĂȘtes lĂ  pour faire la loi. M. Jean Glavany. Je nuancerai vos propos sur la loi de 2004. Tout le monde est d’accord pour dire qu’elle a rĂ©glĂ© le problĂšme dans l’école publique et qu’il n’y a quasiment plus de conflit Ă  l’entrĂ©e. Mais on ne connaĂźt pas le nombre des familles qui ont placĂ© leurs enfants, sinon Ă  l’étranger, tout au moins dans les Ă©coles privĂ©es, qu’elles soient musulmanes ou catholiques. Vous avez parlĂ© des populations qui voulaient vivre dans notre pays. Mais il faut aussi tenir compte des gauloises » converties au culte musulman et qui se lancent dans cette provocation. Nous sommes tous d’accord pour dire qu’il faut empĂȘcher ce phĂ©nomĂšne, dans la mesure oĂč il n’est pas acceptable. Mais si le Parlement français explique qu’il le fait pour des raisons de sĂ©curitĂ©, on nous rĂ©torquera que, mĂȘme si ces raisons de sĂ©curitĂ© existent, nous n’abordons pas le problĂšme tel qu’il se pose, ni la provocation telle qu’elle se prĂ©sente, c’est-Ă -dire comme une provocation intĂ©griste et fondamentaliste. Ensuite, la loi que nous pourrions prendre pour interdire la burqa serait trĂšs ciblĂ©e. Pourrions-nous prendre une mesure Ă©quivalente s’intĂ©grant dans un dispositif lĂ©gislatif qui ne viserait pas que les femmes musulmanes ? Cela m’amĂšne Ă  revenir Ă  la loi de 2004, qui reprenait une des propositions de la commission prĂ©sidĂ©e par M. Bernard Stasi. Celle-ci avait fait un Ă©norme travail et il est dommage qu’on l’ait rĂ©duit Ă  cette mesure. De ce fait, la loi a Ă©tĂ© ressentie par ceux qui Ă©taient visĂ©s par cette mesure comme une loi qui les ciblait. Si on avait repris l’ensemble des propositions de la commission Stasi et que l’on avait fait une grande loi sur la laĂŻcitĂ©, cela n’aurait pas Ă©tĂ© le cas et aurait eu davantage de sens rĂ©publicain. De mon cĂŽtĂ©, je suis disponible pour travailler sur une grande loi laĂŻque dans la prolongation de la commission Stasi. Le groupe socialiste a, d’ailleurs, Ă©laborĂ© une proposition de loi en ce sens. Toutefois, je ne suis pas sĂ»r qu’elle emporterait un consensus. Un autre projet pourrait faire consensus. Il y a un an ou deux, l’AssemblĂ©e nationale a créé une mission d’évaluation de la politique de prĂ©vention et de lutte contre les violences faites aux femmes – la prĂ©sidente de cette mission Ă©tait Mme Danielle Bousquet, du groupe socialiste, et son rapporteur M. Guy Geoffroy, du groupe de l’UMP —, un peu Ă  l’instar de ce qu’a fait M. Zapatero lorsqu’il est arrivĂ© au pouvoir. Il en est rĂ©sultĂ© un rapport contenant une vingtaine de propositions. Ne pourrait-on pas, dans cet ensemble, insĂ©rer une mesure destinĂ©e Ă  empĂȘcher le port de la burqa, considĂ©rĂ©e comme une violence faite aux femmes ? M. Pierre Cardo. Madame la ministre, ne pensez-vous pas que la loi de 1905, telle qu’elle est construite, ne nous enlĂšve pas les moyens d’intervenir sur le fait religieux ? En effet, il s’agit d’une loi sur la laĂŻcitĂ©. Est-il souhaitable de maintenir cet Ă©tat de fait ou faut-il revisiter cette loi ? En 2004, nous avons votĂ© la loi sur le port du voile dans les collĂšges. Aujourd’hui nous sommes confrontĂ©s au problĂšme de la burqa. Cela signifie que cette premiĂšre loi a Ă©tĂ© suivie d’une rĂ©action et que l’on continue Ă  lutter contre certaines valeurs de la RĂ©publique. S’il faut y voir une stratĂ©gie, est-ce qu’une nouvelle loi, trop ciblĂ©e, ne risque pas de nous obliger Ă  passer ultĂ©rieurement Ă  une nouvelle Ă©tape et donc Ă  une troisiĂšme loi ? S’il en est ainsi, jusqu’oĂč ira-t-on ? Nous risquons d’ĂȘtre Ă  court d’arguments. Ce serait peut-ĂȘtre au monde musulman lui-mĂȘme de rĂ©gler le problĂšme. Mais peut-on compter sur lui, d’autant qu’il est assez divisĂ© en la matiĂšre ? Mme BĂ©rengĂšre Poletti. Vous dites, Madame la ministre, que le port de la burqa n’est pas d’ordre religieux. Je suis tout Ă  fait d’accord il n’est pas imposĂ© par le Coran, mais par des extrĂ©mistes et des fanatiques. Vous dites aussi que c’est aux musulmans eux-mĂȘmes de s’emparer du problĂšme. Je pense que, sans eux, il sera, en effet, difficile d’arriver Ă  le rĂ©gler. Toutefois, les reprĂ©sentants du Conseil français du culte musulman CFCM, que nous avons auditionnĂ©s rĂ©cemment, refusent d’appliquer les termes d’extrĂ©mistes, d’intĂ©gristes et de fanatiques Ă  ceux qui veulent faire porter le voile intĂ©gral aux femmes et parlent mĂȘme de fait religieux. Nous sommes donc sur un terrain difficile. Nous avons Ă©galement auditionnĂ© les reprĂ©sentants de la Ligue des droits de l’homme. Leur discours nous a choquĂ©s. Ils s’opposent totalement Ă  ce qu’on lĂ©gifĂšre sur le sujet. Ils parlent de tolĂ©rance, d’éducation et de non-discrimination ; ils disent que si on en est lĂ , c’est parce qu’on a Ă©tĂ© discriminants vis-Ă -vis des musulmans de France. Quel est votre avis ? Mme Yvette Roudy. Quand une question semble trĂšs compliquĂ©e, il faut la simplifier. J’ai eu un grand maĂźtre en ce domaine François Mitterrand. Il disait que lorsque l’on doit choisir entre plusieurs principes, il faut retenir le plus Ă©levĂ©. Je vous ai Ă©numĂ©rĂ© un certain nombre d’arguments. Mais n’en utilisez qu’un celui de l’inĂ©galitĂ© entre hommes et femmes – le principe de l’égalitĂ© entre hommes et femmes figurant dans la Constitution. Ne vous laissez pas embarquer sur d’autres terrains, comme celui du complexe nĂ©ocolonialiste ou celui de la culpabilitĂ©. J’ai discutĂ© avec le prĂ©sident de la Ligue des droits de l’homme, et cela s’est trĂšs mal passĂ©. Selon lui, il ne faudrait pas stigmatiser les musulmans. Pourquoi ? Seraient-ils si fragiles ? N’oublions pas que nous sommes en RĂ©publique, dans un État de droit. Dans cette affaire, on essaiera de tout mĂ©langer, de vous culpabiliser, de vous opposer la religion. L’argument fondĂ© sur la sĂ©curitĂ© est, certes, un peu ridicule, mais je l’ai entendu ; il ne faut pas le retenir. Il faut retenir un seul principe et, Ă  mon avis, c’est celui de l’égalitĂ© entre les hommes et les femmes. DerriĂšre tout cela, se cache tout de mĂȘme la loi de la charia. Les femmes musulmanes savent bien que le fait d’arborer le voile n’est pas neutre c’est un symbole Ă©vident, s’agissant surtout du voile intĂ©gral. J’attendais beaucoup de la commission Stasi et je regrette aussi qu’elle n’ait accouchĂ© que d’une souris. Pourquoi ne pas utiliser le rapport de Danielle Bousquet sur les violences faites aux femmes ? M. Zapatero a fait ce que nous n’avons pas eu le courage de faire une loi visant la dignitĂ© des femmes – j’avais proposĂ© de faire une loi Ă  ce sujet, mais le texte n’a jamais Ă©tĂ© examinĂ©. Si vous pouviez voter le mĂȘme genre de loi, ce serait bien. C’est peut-ĂȘtre possible, vingt ans plus tard. Monsieur Cardo, s’agissant de la loi de 1905, j’ai du mal Ă  vous suivre. Pourquoi vouloir se mĂȘler de la religion ? Cette loi est simple il y a les Églises d’un cĂŽtĂ©, et l’État de l’autre. J’ai eu de sĂ©rieuses discussions avec des Ă©vĂȘques, avec Mgr Lustiger ou avec Mgr Tauran, qui a beaucoup rĂ©flĂ©chi Ă  la question de la laĂŻcitĂ© et avec lequel on peut s’entendre. À Lisieux, j’ai rencontrĂ© beaucoup de religieux, et cela se passait trĂšs bien. Nous avons suffisamment souffert avec cette loi de 1905, tout au moins au dĂ©but. N’y touchez pas ! M. Pierre Cardo. Est-ce que cela ne simplifierait pas les choses ? Mme Yvette Roudy. En touchant Ă  la loi de 1905, vous ne saurez pas oĂč vous allez. Cette loi est une loi sur la sĂ©paration des Églises et de l’État. La religion est une affaire privĂ©e. J’ai de trĂšs grands amis croyants, catholiques ou non, qui respectent la laĂŻcitĂ©. Je crois profondĂ©ment que le phĂ©nomĂšne auquel nous assistons est une affaire politique. C’est une tentative de dĂ©stabilisation, extrĂȘmement habile, quasiment machiavĂ©lique. J’approuve la proposition de M. Glavany de partir de l’excellent rapport de Danielle Bousquet. Il s’agit bien d’une violence faite aux femmes
 mĂȘme s’il plaĂźt Ă  certaines d’ĂȘtre battues. On sait, d’ailleurs, trĂšs bien ce qu’une telle attitude peut masquer un complexe, un conditionnement trĂšs difficile Ă  faire disparaĂźtre. Mais Ă  certains moments, il faut trancher. Je crois que la loi de 2004 ne s’applique pas aux universitĂ©s, ce qui est dommage. Elle ne s’applique pas non plus aux hĂŽpitaux, parce que l’on n’est pas allĂ© jusqu’au bout. Allez-y carrĂ©ment. Et ce n’est pas notre faute si la Ligue des droits de l’homme a pris une telle position. M. Pierre Cardo. La question qui se pose est d’adopter la bonne stratĂ©gie. Mme Yvette Roudy. Faites simple et tenez-vous en Ă  un seul principe. M. Pierre Cardo. Vous avez sĂ»rement raison. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Merci de ce rafraĂźchissement ». Audition de M. Abdelwahab Meddeb, enseignant Ă  l’UniversitĂ© Paris X SĂ©ance du mercredi 4 novembre 2009 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Mes chers collĂšgues, nous poursuivons nos travaux avec l’audition de M. Abdelwahab Meddeb, universitaire, professeur de littĂ©rature comparĂ©e Ă  l’UniversitĂ© Paris X, et soucieux de faire connaĂźtre les courants culturels inspirĂ©s par l’islam. Monsieur Meddeb, vous ĂȘtes aussi producteur de l’émission Cultures d’islam, sur France Culture, qui s’intĂ©resse Ă  la diversitĂ© culturelle des sociĂ©tĂ©s musulmanes. Quel regard portez-vous sur le voile intĂ©gral et quelles diffĂ©rences faites-vous entre la question du foulard et celle du voile intĂ©gral ? Certains estiment qu’il s’agirait, une fois de plus, de stigmatiser les populations de culture musulmane, qui ont dĂ©jĂ  des difficultĂ©s Ă  s’insĂ©rer dans la sociĂ©tĂ© française. Qu’en pensez-vous ? Que pensez-vous aussi des rĂ©actions, parfois vives, de certaines associations, notamment de femmes, qui voient dans la pratique du voile intĂ©gral une remise en cause des principes rĂ©publicains, en particulier du respect de la dignitĂ© de la femme et de l’égalitĂ© entre les hommes et les femmes ? Les associations fĂ©minines soulignent que cette prescription, qui nie l’individualitĂ© de chaque personne, ne s’adresse qu’aux femmes, alors que les hommes peuvent agir Ă  leur guise. Pourquoi une telle obligation ne s’appliquerait-elle qu’aux femmes ? N’est-ce pas une forme d’intĂ©riorisation de l’inĂ©galitĂ© entre les hommes et les femmes, avec l’idĂ©e que la femme est considĂ©rĂ©e comme perverse et secondaire ? Vous qui avez travaillĂ© sur le corps et son image, pouvez-vous nous expliquer pourquoi, selon le Coran, le respect de la pudeur impose aux femmes de se couvrir ? Existe-t-il d’autres prescriptions relatives au comportement qui s’appliqueraient aux hommes ? Comment le Coran considĂšre-t-il le visage ? A-t-il une valeur particuliĂšrement sacrĂ©e ? MĂȘme si la mission n’a pas a priori dĂ©cidĂ© de lĂ©gifĂ©rer, une loi portant sur le voile intĂ©gral pourrait comprendre des mesures positives visant Ă  amĂ©liorer le dialogue interreligieux et la tolĂ©rance. Nous dĂ©nonçons la dĂ©rive intĂ©griste, fondamentaliste, voire les comportements fanatiques, car nous voulons laisser toute sa place Ă  l’islam tolĂ©rant et respectueux des valeurs de la RĂ©publique – et c’est pourquoi le dialogue avec les reprĂ©sentants du Culte musulman est trĂšs important. Quelles mesures proposeriez-vous pour que la communautĂ© musulmane comprenne bien qu’il ne s’agirait pas d’une loi contre les musulmans, mais d’une maniĂšre de prĂ©server le vivre-ensemble » et de permettre la libĂ©ration de la femme ? Je vous laisse la parole. M. Abdelwahab Meddeb, enseignant Ă  l’UniversitĂ© Paris X. Merci de m’avoir invitĂ©. Vous allez devoir faire preuve d’une attention particuliĂšre et d’une certaine patience, car mon discours ne sera pas politique, mais philosophique et thĂ©ologique. La burqa se multiplie dans l’espace public français et europĂ©en. Elle a le don d’irriter tout le monde. Cela affecte mĂȘme les archi-libĂ©raux du multiculturalisme anglo-saxon, qui respectent tous les particularismes. Cette disparition de la face, cette annulation du visage affole. Le critĂšre d’une identitĂ© franche disparaĂźt. Comment, dĂšs lors, respecter l’intĂ©gritĂ© du corps ? La conquĂȘte sĂ©culaire de l’habeas corpus n’exige-t-elle pas un visage et un corps visibles, palpables, reconnaissables par l’accord du nom et de la face pour qu’autour de leur clartĂ© fonctionnent l’état civil et le pacte dĂ©mocratique ? L’éclipse de la face occulte la lumiĂšre Ă©manant du visage et accueillant Ă  travers l’autre le miroir oĂč se reflĂšte le miracle de la vie, oĂč se reconnaĂźt la plus franche des Ă©piphanies divines, rĂ©vĂ©lation qui a tant inspirĂ© la vie de l’esprit et du cƓur de bien des musulmans dans l’histoire de l’islam. Les soufis voyaient, en effet, le signe de Dieu dans le miracle surgi de la face humaine, surtout lorsqu’elle se pare des traits qui animent un visage de beautĂ© fĂ©minin. On remonte ainsi, de visage en visage, du visible Ă  l’invisible, de l’humain au divin, selon la parole prophĂ©tique, inspirĂ©e de la Bible, qui dit que l’homme a Ă©tĂ© façonnĂ© Ă  l’image de Dieu. Tout est pĂ©rissable, ne perdure que la face de Ton seigneur », proclame le Coran sourate LV, versets 26-27, qui loue ainsi la pĂ©rennitĂ© de la face divine en tant qu’absolu dont la trace de splendeur se reflĂšte sur le support que lui tend tout visage humain. Le voilement du visage par un tissu aussi noir que la robe qui couvre la Ka’ba appelĂ©e aussi burqa, dessaisit l’humain de la franchise qu’exigent aussi bien le politique que l’esthĂ©tique, l’éthique ou la mĂ©taphysique. C’est un masque qui annule le visage, qui l’abolit, nous cachant les intensitĂ©s tĂ©moignant de l’altĂ©ritĂ© qu’Emmanuel Levinas a saisie et dont nous recueillons les prĂ©coces rudiments chez de nombreux penseurs de la millĂ©naire tradition islamique, qui ont mĂ©ditĂ© le franc face-Ă -face entre eux et leur Seigneur Ă©prouvant leur singularitĂ© dans l’esseulement du retrait. Le visage ainsi couvert est retirĂ© de la circulation urbaine comme de la relation intersubjective ou mĂ©taphysique. Se trouve donc effacĂ© le visage qui est, encore selon Emmanuel LĂ©vinas, le lieu d’une ouverture infinie de l’éthique », au carrefour du souci de soi et des autres. Le niqab ou la burqa, radicalisation du hijĂąb qui voile les cheveux et laisse le visage Ă  dĂ©couvert, est un crime qui assassine la face, privant l’humain de son ouverture infinie vers l’autre qui vient. Ce costume prĂ©tendument islamique transforme les femmes en prisons ou en cercueils mobiles, exhibant au cƓur de nos citĂ©s des fantĂŽmes barrant l’accĂšs aux vĂ©ritĂ©s invisibles qui s’extraient du visible. Le port du niqab ou de la burqa vient d’ĂȘtre interdit dans les enceintes scolaires et universitaires dĂ©pendant d’Al-AzhĂąr au Caire, la plus haute institution sunnite du monde. Le patron de cette institution, le cheikh TantawĂź, a rappelĂ© que le niqab n’est ni une obligation islamique, une farĂźd’a, ni une disposition cultuelle, une ibĂąda, mais seulement une Ăąda, une coutume. De mĂȘme, le mufti d’Égypte, le cheikh AlĂź Jum’a, confirme ce rappel ; il prĂ©cise en outre qu’il s’agit d’une coutume arabique antĂ©islamique, laissant entendre par lĂ  que l’islam est en mesure – et mĂȘme a le devoir – de l’abolir. Ces arguments internes Ă  l’islam peuvent ĂȘtre exploitĂ©s si la mission parlementaire se dĂ©cide Ă  Ă©laborer une loi interdisant le port du voile intĂ©gral – et je suis Ă  votre disposition pour vous apporter des Ă©lĂ©ments Ă©manant de mon enquĂȘte sur le dĂ©bat actuel en Égypte. Je n’insisterai pas sur la difficultĂ© de la mise en pratique d’une telle loi, sur laquelle d’autres experts ont dĂ» attirer votre attention et Ă  laquelle vous avez dĂ» penser vous-mĂȘmes. Je voudrais seulement rĂ©pondre Ă  certaines objections de juristes qui Ă©voquent la libertĂ© de l’individu et le respect de ses choix l’amenant Ă  disposer de son corps comme il l’entend. C’est qu’en effet les porteuses de burqa se rĂ©clament de ce principe tant en France qu’en Égypte. Cette considĂ©ration est sans nul doute centrale aussi bien dans l’esprit du droit positif que dans la DĂ©claration des droits de l’homme. Il me paraĂźt pertinent de ne pas cĂ©der sur ce point, comme le font certains juristes qui nous demandent d’abandonner le recours Ă  ce principe et de nous rĂ©fugier, au cas oĂč une loi serait Ă©laborĂ©e, derriĂšre les principes de dignitĂ© et surtout d’égalitĂ©, qui sont, eux aussi, juridiquement opĂ©ratoires ; nous y reviendrons. Mais pour la libertĂ©, je voudrais revenir Ă  la dĂ©finition humoristique – mais qui fait sens – de la dĂ©mocratie par le poĂšte amĂ©ricain Mark Twain selon lui, la dĂ©mocratie repose sur trois facteurs la libertĂ© d’expression, la libertĂ© de conscience et la prudence de ne jamais user de la premiĂšre ni de la seconde. » J’interprĂšte cette prudence avec Éric Voegelin comme la sagesse de ne pas user de ces droits d’une maniĂšre inconditionnelle. Et je m’appuie, avec le mĂȘme politologue germano-amĂ©ricain, sur la courtoisie » nĂ©cessaire au fonctionnement de nos sociĂ©tĂ©s, disposition que nourrissent les compromis et les concessions faites aux autres. Quiconque a une idĂ©e fixe et cherche Ă  l’imposer, c’est-Ă -dire quiconque interprĂšte la libertĂ© d’expression et la libertĂ© de conscience en ce sens que la sociĂ©tĂ© doit se comporter de la maniĂšre qu’il juge bonne, n’a pas les qualitĂ©s requises pour ĂȘtre citoyen d’une dĂ©mocratie. » Ce problĂšme est dĂ©jĂ  traitĂ© par Aristote autour de la statis la crise qui provoque une discorde, une rĂ©volte mĂȘme si je me fixe sur une opinion, et si je m’obstine Ă  la suivre, une contre-statis peut ĂȘtre enclenchĂ©e, et le dĂ©sordre s’installe dans la citĂ©. Telle serait notre rĂ©ponse sur le principe de la libertĂ© individuelle rĂ©clamĂ©e par les provocatrices ou les victimes porteuses de burqa. Quant Ă  la dignitĂ© de la femme et au principe d’égalitĂ©, qui sont tout aussi intangibles que la libertĂ©, incontestablement le port de la burqa les malmĂšne. La burqa procĂšde de la prescription du voile et la radicalise. La diffĂ©rence n’est pas de nature ni de structure, mais de degrĂ© et d’intensitĂ© entre la burqa et le hjjĂąb, lequel est lui-mĂȘme une atteinte au principe de l’égalitĂ© et de la dignitĂ© partagĂ©es entre les sexes. Tous les rĂ©formistes et modernisateurs qui, en islam, ont prĂŽnĂ© le dĂ©voilement des femmes depuis la fin du XIXe siĂšcle ont organisĂ© leur discours de persuasion sur les trois principes de libertĂ©, d’égalitĂ© et dignitĂ©, et dans les trois grandes langues de l’islam, le turc, l’arabe et le persan. C’est un aspect oubliĂ© de l’histoire. L’atteinte Ă  l’égalitĂ© est patente, elle est manifeste dans le verset coranique qui constitue une des rĂ©fĂ©rences scripturaires Ă  l’origine du commandement du voile il s’agit du verset 31 de la sourate XXIV, lequel crĂ©e la dissymĂ©trie au dĂ©triment des femmes dans la sĂ©quence qui concerne la question du dĂ©sir et de la sĂ©duction qui propage la sĂ©dition fitna est un mot unique qui rassemble ces deux sens, sĂ©duction et sĂ©dition. Une telle sĂ©quence appelle Ă  la vertu, Ă  la pudeur, au contrĂŽle de soi ; elle s’adresse systĂ©matiquement aux deux sexes et, je cite le Coran, aux croyants et aux croyantes », Ă  qui il est notamment conseillĂ© au verset 30 de baisser le regard » et de prĂ©server leur sexe ». Cependant, il est demandĂ© aux femmes un supplĂ©ment de vigilance, qui est Ă  l’origine de la dissymĂ©trie, en lequel les docteurs de la loi interprĂ©tĂšrent la nĂ©cessitĂ© du port du voile pour elles – alors que, littĂ©ralement, le verset peut ĂȘtre entendu tout autrement, la pudeur recommandĂ©e aux femmes se limitant Ă  couvrir leur bustier. La lecture consensuelle des docteurs qui approfondit la dissymĂ©trie est symptomatique elle rĂ©vĂšle l’état anthropologique patriarcal et phallocratique qui attribue aux femmes l’origine de la sĂ©duction alliĂ©e de la sĂ©dition gĂ©nĂ©ratrice de troubles. Or rien, ni psychologiquement ni en termes d’économie et d’énergie sexuelles, ne lĂ©gitime l’attribution de ce supplĂ©ment aux femmes, pas mĂȘme la vĂ©ritĂ© et la rĂ©alitĂ© de leur diffĂ©rence sexuelle confirmĂ©e par la psychanalyse. Il s’agit lĂ  d’une vision patriarcale et phallocratique intĂ©gralement dĂ©passĂ©e par l’évolution anthropologique Ă  laquelle sont notamment parvenues les sociĂ©tĂ©s modernes encadrĂ©es par un droit confirmant l’égalitĂ© et la dignitĂ© que partagent les humains hors toute discrimination de sexe ou de genre. Avant mĂȘme d’en venir Ă  considĂ©rer la burqa, il convient de situer l’impĂ©ratif du voile dans une sociĂ©tĂ© phallocratique, misogyne, construite sur la sĂ©paration des sexes, sur une hiĂ©rarchie des genres, considĂ©rant que les femmes excitent plus le dĂ©sir que les hommes. Il faut donc attester au commencement que l’imposition du voile aux femmes Ă©mane de la sociĂ©tĂ© en laquelle est nĂ© l’islam il y a quinze siĂšcles, une sociĂ©tĂ© patriarcale et endogamique – qui encourage le mariage de proximitĂ©, entre cousins –, oĂč prĂ©vaut, en outre, l’obsession de la gĂ©nĂ©alogie, oĂč la sexualitĂ© est indissociable de la filiation. La preuve en est que les femmes dites qwĂąid, entendez mĂ©nopausĂ©es, sont dispensĂ©es de se soumettre aux prescriptions de la seconde sĂ©quence coranique qui est utilisĂ©e par les docteurs de la loi pour couvrir de voile les femmes Coran, sourate XXIV, verset 60. C’est donc la hantise de l’homme face Ă  l’incontrĂŽlable libertĂ© de la femme qui est Ă  l’origine de la prescription du voile que le niqĂąb et la burqa radicalisent. Hantise de l’homme qui ne pouvait jamais authentifier l’origine de sa supposĂ©e progĂ©niture, par laquelle se transmettent le nom et la fortune. Ainsi, la structure anthropologique qui est aux origines du voile ordonnĂ© aux femmes est dĂ©passĂ©e avec la naissance et l’universalisation de la contraception chimique qui rend opĂ©ratoire la distinction entre sexe et filiation, entre jouissance et engendrement. Par la quĂȘte de la jouissance seule rendue biologiquement possible, s’organisent ontologiquement la libertĂ© et l’égalitĂ© des sexes qui partagent une mĂȘme dignitĂ©. Cette situation se rĂ©percute sur l’édifice juridique et situe la condition de l’humanitĂ© moderne loin des archaĂŻsmes que continue d’entretenir l’islam, parfois d’une maniĂšre polĂ©mique et provocatrice. La question de la burqa mĂ©rite, en outre, d’ĂȘtre envisagĂ©e sous deux autres aspects. Le premier met en confrontation une sociĂ©tĂ© restĂ©e rivĂ©e sur le culte, celle de l’islam, et une sociĂ©tĂ© qui est passĂ©e du culte Ă  la culture – dans mon Ă©mission Cultures d’Islam », il n’est question que de cultures, mĂȘme lorsqu’on approche des questions cultuelles. Notre sociĂ©tĂ© approche, en effet, mĂȘme le culte et la religion comme faits de culture. Et lorsqu’elle sent que l’esprit en elle se rĂ©ifie, elle peut recourir au culte dans ses marges, dans l’espace circonscrit Ă  la demeure ou au temple ; et si jamais elle place le culte au centre de son agora, elle le met en scĂšne dans la pluralitĂ© de ses formes, loin de tout penchant exclusiviste. Nous estimons aussi qu’avec la burqa, nous nous confrontons Ă  une stratĂ©gie du grignotage. Au-delĂ  des cas isolĂ©s et singuliers, au-delĂ  des converties zĂ©lĂ©es, il ne faut jamais perdre de vue que des islamistes, mais aussi de pieux salafistes, appliquent les recommandations du Conseil europĂ©en de la fetwa – dirigĂ© par le prĂ©dicateur al-QardhĂąwĂź, ex-frĂšre musulman Ă©gyptien qui agit Ă  l’horizon du monde en parlant depuis le Qatar, prĂ©cisĂ©ment de la tribune que lui offre la chaĂźne satellitaire al-Jazira. Dans cette instance, dont les derniĂšres rĂ©unions annuelles se sont tenues en Irlande, les militants sont exhortĂ©s Ă  agir avec agilitĂ© et dans la lĂ©galitĂ© afin de gagner en Europe des parcelles de visibilitĂ© en faveur de la loi islamique. C’est donc le dispositif juridique sĂ©culier qui est visĂ© par l’affaire de la burqa. C’est comme si l’instrumentation de sa radicalitĂ© rendait plus digne, plus acceptable le hijĂąb. Ne tombons pas dans ce piĂšge. À nous de voir s’il faut rĂ©pondre ponctuellement par une loi ou s’il faut mobiliser les ressources dĂ©jĂ  existantes du droit en lesquelles nous avons Ă  puiser en Ă©laborant une ligne stratĂ©gique face Ă  ces assauts rĂ©pĂ©tĂ©s – eux-mĂȘmes s’inscrivant dans une stratĂ©gie. Je finirai par remarquer qu’avec ce dĂ©bat, on nous impose une rĂ©gression par rapport Ă  nos acquis. Le dĂ©bat sur le mĂȘme sujet, tel qu’il a eu lieu et tel qu’il continue en Égypte, est un dĂ©bat d’idiots. N’élargissons pas avec notre complaisance la communautĂ© des idiots
 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Merci pour cette clarification et la profondeur de votre discours. M. Pierre Cardo. Qu’entendez-vous par ligne stratĂ©gique » ? M. Abdelwahab Meddeb. Je ne sais pas s’il est nĂ©cessaire de lĂ©gifĂ©rer ou non. En outre, s’il faut une loi, comment la mettre en pratique ? Ce sont de vraies questions auxquelles nous devons rĂ©flĂ©chir. Je serais symboliquement favorable Ă  une loi pour, d’une part, marquer une diffĂ©rence radicale et ferme, d’autre part, envoyer un signal aux modernistes de l’islam. C’est notre universalitĂ© qui doit gagner voilĂ  notre rĂȘve ! L’enjeu est considĂ©rable, il est au-delĂ  de la France nous appartenons au Monde ! Comment construire une loi, comment la rendre opĂ©rationnelle ? RĂ©cemment, j’ai vu aux Champs-ÉlysĂ©es une vingtaine de Saoudiennes, pesant des millions d’euros, sous la burqa. Faut-il les arrĂȘter dans la rue ? Faut-il leur interdire l’accĂšs au territoire ? On le peut, il n’y a aucune raison. M. Pierre Cardo. On peut utiliser les contrĂŽles d’identitĂ©. M. Abdelwahab Meddeb. Oui, on peut puiser dans notre dispositif juridique existant. Mais une loi symbolique me semble trĂšs importante ; elle pourrait d’ailleurs rappeler le dispositif du contrĂŽle d’identitĂ©. En visite d’inspection dans une institution universitaire de filles, le cheikh d’Al-Azhar a Ă©tĂ© trĂšs surpris, et mĂȘme scandalisĂ©, d’y voir un nombre impressionnant de burqas et a immĂ©diatement demandĂ© qu’elles soient retirĂ©es. Son argument a tenu en deux points d’une part, a-t-il dit aux jeunes filles, votre exemple est trĂšs mauvais pour les petites parce qu’il est le signe d’une pratique radicale et extrĂȘme de votre religion ; d’autre part, il y a un vrai danger, car qui me dit qu’un poseur de bombe ne se dĂ©guiserait pas sous l’une de vos burqas ? M. Pierre Cardo. Le problĂšme des bombes ne concerne pas uniquement la burqa. M. Jean Glavany. C’est tout de mĂȘme une pratique qui se dĂ©veloppe en Afghanistan. Monsieur Meddeb, vous n’ĂȘtes pas le premier Ă  nous dire que le port du niqab ou de la burqa n’est pas un commandement de l’Islam, mais une pratique minoritaire extrĂ©miste. Or les Ă©lus de la RĂ©publique n’ont pas Ă  faire le tri entre les bonnes et les mauvaises pratiques religieuses – la loi de 1905 interdit Ă  la religion d’influer sur le politique et aux politiques de s’immiscer dans le champ religieux –, mais cherchent Ă  savoir comment empĂȘcher ce phĂ©nomĂšne du voile intĂ©gral. Vous parlez du contrĂŽle d’identitĂ©, mais les moyens juridiques existent dĂ©jĂ  – on doit par exemple avoir le visage dĂ©couvert aux guichets des services publics – et rendent inutile une loi supplĂ©mentaire. La question Ă  laquelle nous rĂ©flĂ©chissons n’est pas celle-lĂ , mais de savoir si nous devons aller plus loin, en empĂȘchant – Ă©ventuellement par la voie lĂ©gislative – le port de la burqa ou du niqab dans l’espace public, dans la rue, considĂ©rant qu’elle est une provocation. Mme Nicole Ameline. La force symbolique de la loi pourrait trouver son prolongement dans son effet symbolique, car nous voulons aussi nous placer sur le terrain des valeurs. Nous craignons un effet pervers du dispositif, enfermant davantage les femmes non plus seulement sous la burqa, mais aussi dans leur logement. Sans parler de sanctions, inciter les femmes Ă  accĂ©der Ă  l’enseignement des droits des femmes et Ă  l’égalitĂ© pour permettre Ă  celles qui sont dans une situation de soumission absolue de pouvoir continuer Ă  sortir de chez elles vous semble-t-il opportun ? L’accĂšs Ă  l’enseignement du français, qui nous a Ă©tĂ© suggĂ©rĂ©, mais aussi du droit pourrait-il faire partie des mesures symboliques ? M. Pierre Cardo. On s’adresserait alors Ă  une minoritĂ©, car beaucoup de jeunes femmes sont trĂšs Ă©duquĂ©es, et n’ont donc pas de problĂšme de langue, et la plupart ne sont pas des primo-arrivantes, mais françaises depuis longtemps. Mme BĂ©rengĂšre Poletti. Elles sont parfois diplĂŽmĂ©es. M. Abdelwahab Meddeb. Certaines sont mĂȘme converties. Mme Nicole Ameline. Certes, mais je ne pense pas qu’elles soient majoritaires. M. Pierre Cardo. Le caractĂšre symbolique de la loi suffira-t-il ? Elle rĂ©glera le problĂšme en apparence, comme pour le voile dans les Ă©coles, collĂšges et lycĂ©es publics
 M. Abdelwahab Meddeb. À mon avis, la loi de 2004 n’a pas rĂ©glĂ© le problĂšme uniquement en apparence au vu du rĂ©sultat, c’est pour moi une trĂšs bonne loi ! M. Pierre Cardo. Certes, nĂ©anmoins face Ă  cette autre provocation apparue dans l’espace public, une loi, une mesure symbolique, si elle peut avoir une efficacitĂ©, ne changera pas les Ă©tats d’esprit. Au-delĂ  de l’aspect lĂ©gal, y a-t-il des choses Ă  faire ? Comment peut-on lutter contre une stratĂ©gie », car on a affaire Ă  des gens convaincus et pas seulement soumis ? M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Loi symbolique, certes, mais parlons aussi de loi de libĂ©ration, car s’il y a des femmes converties et militantes, n’oublions pas les jeunes femmes mineures et les adolescentes. Il faut penser Ă  tout ce que recouvre la question du voile, car il est la face Ă©mergĂ©e de l’iceberg, il cache une dĂ©rive fondamentaliste dans certains territoires de notre pays et un conditionnement imposĂ© notamment aux jeunes filles dans la famille et le quartier. Mme Nicole Ameline. Tout Ă  fait ! Il faut penser aux plus faibles. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. La loi du religieux ne doit en aucun cas dĂ©terminer les pratiques sociales dans l’espace public de certains de nos territoires, de notre sociĂ©tĂ© – c’est le sens de notre dĂ©marche. M. Pierre Cardo. Nous sommes d’accord. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Le voile intĂ©gral est un signal, il est l’arbre derriĂšre lequel se cache la forĂȘt, un problĂšme beaucoup plus profond et grave, un phĂ©nomĂšne qui prend de l’ampleur, mais auquel nous voulons mettre un terme. C’est pourquoi, si nous dĂ©cidons de lĂ©gifĂ©rer, les conclusions de la mission devront insister fortement sur le sens d’une loi de libĂ©ration. Mme BĂ©rengĂšre Poletti. Je suis d’accord, le voile est la partie visible de l’iceberg, il est un des moyens de soumettre les femmes et d’en faire des ĂȘtres obĂ©issants et infĂ©rieurs. Au nom de la libertĂ© entre les hommes et les femmes, certains Ă©lus ont fait preuve d’une grande inconscience – je pense aux crĂ©neaux horaires rĂ©servĂ©s aux femmes dans des piscines –, et ce sont les mĂȘmes qui, aujourd’hui, prĂ©tendent que l’interdiction du voile intĂ©gral aboutira Ă  enfermer ces femmes chez elles. Accepter cette vision, c’est se soumettre au discours intĂ©griste et extrĂ©miste. Peut-on envisager quelque chose de plus global qui dĂ©fende la libertĂ© des femmes, leur permette d’exercer toute profession et d’aller et venir normalement dans l’espace public, comme les hommes ? M. Abdelwahab Meddeb. Le chantier est intĂ©gral, car il doit porter sur l’école, la pĂ©dagogie, les programmes des mĂ©dias, les multiples discours
 L’enjeu est considĂ©rable, il est national et gĂ©opolitique. Comment lutter contre ce fameux al-QardhĂąwĂź, Ă©galement chef du Conseil europĂ©en de la fetwa qui, deux heures par semaine sur la chaĂźne al-Jazira, reçoit des questions du monde entier – la moitiĂ© provenant d’AmĂ©rique et d’Europe, dont beaucoup de France ! – et profĂšre ses fatwas ? J’estime que nous avons Ă  dĂ©fendre fortement l’histoire, la particularitĂ© de ce pays, la singularitĂ© française. L’idĂ©e canadienne des accommodements raisonnables me met en colĂšre le terme mĂȘme ne correspond pas Ă  l’esprit du droit français ! M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Aujourd’hui au Canada, certains se posent des questions ! M. Abdelwahab Meddeb. Il y a deux ans, j’ai personnellement combattu, avec d’autres, comme un beau diable car ces accommodements ont failli aboutir Ă  l’application de la charia dans quelques villages lĂ -bas – comme le droit coutumier indien invoquĂ© par les tenants de la loi islamique ! Et ce sont des Ă©migrĂ©s musulmans d’origine iranienne qui ont mobilisĂ©, dans le monde entier, les musulmans libĂ©raux notamment. Et regardez l’état misĂ©rable de nos mĂ©dias ! M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Il nous faut effectivement regarder le problĂšme d’al-Jazira. Mme Colette Le Moal. Dans certains pays, comme l’Italie et les Pays-Bas, des projets de loi ont Ă©tĂ© dĂ©posĂ©s. À l’heure de l’Europe, n’aurions-nous pas intĂ©rĂȘt Ă  savoir oĂč en est leur rĂ©flexion ? M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. C’est en cours un questionnaire dans les ambassades va nous ĂȘtre retournĂ©. M. Abdelwahab Meddeb. La loi de 2004 est de plus en plus bien vue Ă  l’étranger car, quoi qu’on en dise, elle a Ă©tĂ© rĂ©gulatrice. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. C’est une bonne nouvelle ! M. Abdelwahab Meddeb. La pĂ©dagogie Ă  l’école, la question des valeurs communes Ă  transmettre pose aujourd’hui problĂšme. À Tunis, oĂč j’ai grandi dans l’esprit des valeurs communes, le monde a changĂ© en trente ans d’une maniĂšre terrible ! Mme BĂ©rengĂšre Poletti. Je suis assez rĂ©servĂ©e sur la pĂ©dagogie Ă  l’école, car les jeunes filles embrigadĂ©es dans la thĂ©orie du port du voile intĂ©gral que je connais ont grandi dans nos Ă©coles rĂ©publicaines, ont eu des mƓurs, des coutumes tout Ă  fait dans la culture française et Ă©taient libĂ©rĂ©es. Quelque chose s’est passĂ©, quelqu’un est arrivĂ© dans leur vie, et tout a changĂ©, malgrĂ© l’éducation. M. Abdelwahab Meddeb. Il devait y avoir une blessure quelque part. Mme BĂ©rengĂšre Poletti. Nous avons tous une blessure quelque part. M. Abdelwahab Meddeb. Certes, c’est la fragilitĂ© humaine. Mme BĂ©rengĂšre Poletti. Par ailleurs, la France est singuliĂšre, mais doit-elle ĂȘtre exemplaire sur ce sujet ? M. Abdelwahab Meddeb. Je le pense. Mme Nicole Ameline. Lors de notre premiĂšre rĂ©union, j’étais intervenue sur la nĂ©cessitĂ© de l’exemplaritĂ© de la France Ă  l’extĂ©rieur car, pour avoir fait partie de ceux qui ont essayĂ© d’expliquer la laĂŻcitĂ© en France, je peux tĂ©moigner que nous avons eu du mal Ă  expliquer la loi de 2004 Ă  l’extĂ©rieur. Or si nous rĂ©ussissons Ă  placer ce dĂ©bat sur le plan juridique, nous aurons beaucoup plus de facilitĂ© Ă  porter ce projet, nous aiderons des femmes dans le monde, nous sensibiliserons des gouvernements et, surtout, notre pays enverra un signal fort sur le terrain des droits de l’homme. M. Abdelwahab Meddeb. L’exemplaritĂ© doit aussi ĂȘtre europĂ©enne. Mme Nicole Ameline. Absolument. M. Pierre Cardo. Qu’entendez-vous par Ă©tat misĂ©rable de nos mĂ©dias » ? Et comment rĂ©soudre ce problĂšme qu’on n’a pas su traiter jusqu’à prĂ©sent ? Par ailleurs, j’espĂšre qu’on sera exemplaire parce qu’efficace, et non pas immodeste. M. Abdelwahab Meddeb. L’exemplaritĂ© Ă  laquelle je crois ne peut pas tomber du ciel elle est produite grĂące au travail sur soi. L’invention europĂ©enne, particuliĂšrement française, a Ă©tĂ© ruinĂ©e parce que l’humanitĂ© europĂ©enne comme acteur historique a passĂ© sa vie Ă  malmener ses propres principes dans le monde. Mais au cours de ces soixante derniĂšres annĂ©es, quelque chose a changĂ© avec la paix en Europe, avec l’énorme travail fait par les EuropĂ©ens sur eux-mĂȘmes – les Allemands beaucoup plus que les Français. Ouvrir le chantier du travail sur soi aide Ă  lĂ©gitimer l’exemplaritĂ©. Les principes que nous avons inventĂ©s ont certes Ă©tĂ© malmenĂ©s un moment, mais l’acte historique que nous produisons maintenant est en cohĂ©rence avec nos principes voilĂ  ce que nous devons dire ! M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. C’est le courage civique. M. Abdelwahab Meddeb. Quant aux mĂ©dias, j’ignore ce qu’il faut faire, car je n’arrive mĂȘme pas Ă  regarder la tĂ©lĂ©vision française dont la mĂ©diocritĂ© me terrorise ! La puissance d’al-Jazira est qu’elle pense le monde, elle maĂźtrise intĂ©gralement la sĂ©miologie du mĂ©diatique – mĂȘme France 24, créée Ă  la hauteur de cette chaĂźne, n’a pas la mĂȘme rhĂ©torique, la mĂȘme puissance de frappe. Al-Jazira a rĂ©ussi Ă  faire passer son discours crypto-islamiste grĂące notamment au tsunami en envoyant trente ou quarante correspondants sur place pour recevoir les images originales les plus spectaculaires ! VoilĂ  un exemple ! Je le rĂ©pĂšte il est trĂšs important de penser local et mondial, singularitĂ© française et gĂ©opolitique. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Nous vous remercions chaleureusement et amicalement, Monsieur Meddeb, pour votre courage rĂ©publicain. Nous vous solliciterons certainement Ă  nouveau lors de l’ébauche de nos prĂ©conisations. M. Abdelwahab Meddeb. Merci beaucoup. Audition de M. Henri Pena-Ruiz, philosophe SĂ©ance du jeudi 12 novembre 2009 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Henri Pena-Ruiz, philosophe, professeur de chaire supĂ©rieure en khĂągne au lycĂ©e FĂ©nelon et maĂźtre de confĂ©rence Ă  l’Institut d’études politiques de Paris. Si nous avons souhaitĂ© vous entendre, Monsieur Pena-Ruiz, c’est que vous ĂȘtes l’un des meilleurs spĂ©cialistes français de la laĂŻcitĂ©, thĂšme auquel vous avez consacrĂ© de nombreux ouvrages dont Dieu et Marianne philosophie de la laĂŻcitĂ©, paru en 1999. À ce titre, vous avez Ă©tĂ© membre de la commission prĂ©sidĂ©e par M. Bernard Stasi. Dans un article rĂ©cent, vous indiquiez que la laĂŻcitĂ© ne combat pas la foi mais le processus qui consiste Ă  dicter la loi Ă  partir de la foi. » Selon vous, le port du voile intĂ©gral remet-il en cause le principe de laĂŻcitĂ© ? Ce principe ne doit-il concerner que l’État et ses agents ou trouve-t-il Ă©galement Ă  s’appliquer dans l’espace public, notamment dans la rue ? Estimez-vous le dĂ©bat concernant le port du voile intĂ©gral comparable Ă  celui de 2004 ? Peut-on comparer d’autres pratiques religieuses ostentatoires au port du voile intĂ©gral ou celui-ci prĂ©sente-t-il une particularitĂ© ? Si l’on tolĂšre le port du voile intĂ©gral, ne va-t-on pas assister Ă  l’émergence d’autres revendications ? M. Henri Pena-Ruiz, philosophe. Le problĂšme qui nous est posĂ© aujourd’hui est Ă©videmment celui des dĂ©rives communautaristes qui compromettent ce que l’historien GĂ©rard Noiriel a appelĂ© le creuset français », fondĂ© sur l’idĂ©e d’une rĂ©publique laĂŻque et sociale. Au travers des inquiĂ©tantes manifestations d’enfermement identitaire qui se multiplient et des rĂ©gressions qu’elles constituent au regard des conquĂȘtes du droit comme de l’émancipation individuelle et collective, c’est sans doute Ă  une offensive politique que nous avons Ă  faire. Un dĂ©fi est donc lancĂ© Ă  la RĂ©publique, que nous devons prendre au sĂ©rieux. Pour voir comment y rĂ©pondre, je rappellerai les principes de l’identitĂ© rĂ©publicaine puis j’analyserai le sens des manifestations Ă©voquĂ©es, notamment le port du voile intĂ©gral, avant de suggĂ©rer les orientations possibles de l’action Ă  mener. Dans le contexte du dĂ©bat sur l’identitĂ© nationale, il me paraĂźt nĂ©cessaire de rappeler quelle nation et quelle politique nous pouvons concevoir. La RĂ©volution française a refondĂ© l’idĂ©e de nation. Il ne s’agit plus d’inclure par le partage obligĂ© de particularismes exclusifs mais de vivre ensemble, sur la base de principes fondĂ©s sur le droit et librement choisis par le peuple souverain. Nation et RĂ©publique vont ainsi de pair. Le bien commun Ă  tous, c’est ce qui nous unit par-delĂ  nos diffĂ©rences, comme le rappelait Ernest Renan dans Qu’est-ce qu’une nation ? Notre rĂ©publique est une communautĂ© de droit, universaliste ; elle repose sur la volontĂ© de vivre ensemble selon des lois que nous nous donnons Ă  nous-mĂȘmes – c’est le fameux plĂ©biscite de tous les jours » dont parlait Renan. La nation ainsi fondĂ©e n’exalte aucune tradition, aucune religion, aucune culture particuliĂšre. Par la sĂ©paration laĂŻque des Églises et de l’État du 9 dĂ©cembre 1905, elle a mĂȘme su mettre Ă  distance une tradition qui pourtant faisait rĂ©fĂ©rence. Une telle patrie est l’objet d’un attachement civique et affectif qui n’a rien d’exclusif, car elle constitue une communautĂ© de droit dont les principes sont universalisables. Ces principes organisent un cadre d’accueil affranchi de ce qui jadis opposait les hommes religions, coutumes, traditions ne sont pas niĂ©es mais elles ne peuvent s’affirmer que dans le respect de la loi commune Ă  tous. La religion n’engage que les croyants. La laĂŻcitĂ©, en bannissant tout privilĂšge public de la religion et tout privilĂšge public de l’athĂ©isme, garantit Ă  chacun le libre choix de ses convictions et l’égalitĂ© de traitement. En 1905, les crucifix ont regagnĂ© les lieux de culte et la neutralitĂ© enfin conquise des lieux emblĂ©matiques de la RĂ©publique – mairies, palais de justice, Ă©coles publiques, hĂŽpitaux publics – a rendu visible sa vocation d’accueil universel. Le primat de la loi commune sur tout enfermement particulariste n’est nullement une oppression mais au contraire une Ă©mancipation. Ainsi les traditions discriminatoires, celles par exemple qui peuvent exister entre les sexes, ne dictent plus la loi. Promus par la puissance publique, le bien commun et l’ordre public au sens juridique recouvrent l’égalitĂ© des droits et l’autonomie de jugement comme d’action, qui donnent chair et vie Ă  la libertĂ©. L’identitĂ© nationale n’a donc plus Ă  se marquer par la valorisation de particularismes. La rĂ©publique laĂŻque permet Ă  chacun de choisir son type d’accomplissement personnel dans le respect de la loi commune qui fonde une telle libertĂ© et une telle Ă©galitĂ©. L’internationalisme, disait JaurĂšs, ramĂšne Ă  la patrie ainsi conçue. Nous sommes donc aux antipodes du choc des civilisations » thĂ©orisĂ© par Samuel Huntington, ou de la guerre des dieux » Ă©voquĂ©e par Max Weber. Les conquĂȘtes de l’esprit de libertĂ©, d’égalitĂ© et de fraternitĂ© peuvent unir les populations en les Ă©mancipant alors que la rĂ©activation de traditions particuliĂšres et rĂ©trogrades tend Ă  les opposer. Aujourd’hui, en une Ă©poque de migrations croissantes, un tel universalisme est essentiel. La diversitĂ© des cultures n’entraĂźne pas fatalement le conflit, dĂšs lors que le creuset rĂ©publicain met en jeu des principes de droit qui sont les conditions politiques de l’intĂ©gration. Mais Ă  l’évidence, pour que celle-ci soit rĂ©ussie, la justice sociale doit dessiner les conditions d’une authentique fraternitĂ©. La mondialisation glacĂ©e de l’ultralibĂ©ralisme n’y contribue guĂšre ; elle favorise, au contraire, des mĂ©canismes sociaux d’exclusion qui semblent dĂ©mentir les beaux principes de la RĂ©publique. Les replis communautaristes prolifĂšrent alors, compensation identitaire illusoire et supplĂ©ment d’ñme d’un monde sans Ăąme. Ceux qui imputent au modĂšle rĂ©publicain de telles dĂ©rives se trompent de diagnostic et courent le risque de lĂ©gitimer la remise en cause de sa fonction Ă©mancipatrice. Il en est de mĂȘme de ceux qui semblent imprudemment imputer Ă  l’immigration une menace exercĂ©e sur l’identitĂ© nationale et ne proposent de contrer les dĂ©rives communautaristes qu’en agitant la question de la sĂ©curitĂ©. Il serait erronĂ© d’interdire des pratiques aliĂ©nantes en allĂ©guant qu’elles seraient incompatibles avec les valeurs prĂ©tendues de la civilisation occidentale ; on serait alors dans une logique de choc des civilisations ». Je rappelle, d’ailleurs, que les valeurs en question ne sont pas propres Ă  cette civilisation, oĂč elles furent niĂ©es pendant quinze siĂšcles avant d’ĂȘtre conquises dans le sang et les larmes – des conquĂȘtes accomplies Ă  rebours de la tradition occidentale, qui inventa les bĂ»chers de l’Inquisition, les guerres de religion et la notion de peuple dĂ©icide qui causa les malheurs que l’on sait. Claude LĂ©vi-Strauss qui, dans sa confĂ©rence Ă  l’Unesco intitulĂ© Race et histoire, invitait Ă  se dĂ©barrasser de toute posture ethnocentriste, condamnerait Ă  n’en pas douter toute logique de choc des civilisations » et de guerre des dieux ». Au demeurant, les pratiques aliĂ©nantes qui sont le sujet du jour ne portent pas atteinte Ă  une culture particuliĂšre mais aux droits universels de l’ĂȘtre humain et au type de projet Ă©mancipateur qui sous-tend la dĂ©mocratie et la RĂ©publique. Tels sont les Ă©lĂ©ments de philosophie laĂŻque et rĂ©publicaine Ă  partir desquels il convient d’analyser la situation, puis l’enfermement communautariste. DĂ©boutĂ©s de leur prĂ©tention d’investir les Ă©coles et les institutions publiques qui ont part Ă  l’autoritĂ© publique, certains extrĂ©mistes religieux entendent subvertir la sociĂ©tĂ© civile elle-mĂȘme et mettre Ă  profit le rĂ©gime de droit des libertĂ©s publiques qui y rĂšgne pour y faire consacrer et y dĂ©velopper des Ăźlots identitaires d’ampleur croissante – et ce, en bafouant des exigences irrĂ©fragables de la RĂ©publique telles que l’égalitĂ© des sexes et le droit de la personne Ă  s’affirmer dans sa singularitĂ©. Face Ă  cette offensive politique, qui appelle une rĂ©ponse politique, faut-il intervenir ? Si oui, comment ? Par une loi, par un travail d’éducation et de persuasion, par des leviers d’émancipation sociaux et idĂ©ologiques ? Je tenterai de rĂ©pondre Ă  ces questions. Le voile intĂ©gral n’est pas analysable d’abord comme un simple signe religieux. Il est tout Ă  la fois un instrument et un symbole d’aliĂ©nation – aliĂ©nation de la personne singuliĂšre Ă  une communautĂ© exclusive qui se retranche de l’ensemble du corps social en entendant imposer sa loi propre contre la loi commune – et ce, paradoxalement, au nom mĂȘme de la dĂ©mocratie que rend possible cette loi commune. Le voile intĂ©gral est en mĂȘme temps un instrument de soumission de la femme qu’il dessaisit de sa libertĂ©, de sa visibilitĂ© assumĂ©e, de son Ă©galitĂ© de principe avec l’homme. AliĂ©nĂ©e par une tenue qui la cache, la femme ne peut plus exister comme sujet, se montrer en sa singularitĂ©. Se montrer, ce serait nĂ©cessairement provoquer l’homme, comme si c’était Ă  elle d’éviter toute incitation et non Ă  l’homme de savoir retenir son dĂ©sir. Dans Bas les voiles, Mme Chahdortt Djavann a analysĂ© la signification aussi sexiste et discriminatoire qu’humiliante du voile. Tu trahis ta communautĂ© !» Mme Fadela Amara, en 2003, rappelait cette accusation menaçante lancĂ©e contre les femmes qui montraient leur visage et leur chevelure, voire leurs bras et leurs jambes. Quand le voile est intĂ©gral, l’analyse doit se radicaliser. La dissimulation presque totale efface la personne, la rĂ©ifie, la rĂ©duit Ă  n’ĂȘtre qu’un Ă©chantillon anonyme d’une communautĂ© sĂ©parĂ©e. Le voile intĂ©gral est une nĂ©gation en acte des principes Ă©mancipateurs de la RĂ©publique. Car enfin, citoyen et citoyenne sont aussi des personnes et on ne peut transformer ces personnes en une cohorte de fantĂŽmes. Une telle dĂ©personnalisation, curieusement accomplie au nom de l’identitĂ© culturelle, ne mĂ©rite Ă  mon sens qu’un seul nom, celui d’aliĂ©nation. Bien des femmes se sont d’ailleurs insurgĂ©es contre un tel dĂ©ni d’identitĂ© et de libertĂ©, de singularitĂ© et d’égalitĂ©. Je n’y insisterai pas davantage, sinon pour dire qu’à l’évidence la RĂ©publique ne saurait consacrer une telle aliĂ©nation qui n’avoue pas son nom. Le prĂ©texte de la tolĂ©rance est hors sujet et il se contredirait lui-mĂȘme en commençant par accepter l’inacceptable, Ă  savoir la rature de la libertĂ© et de l’égalitĂ© des sexes. Invoquer la religion est aussi un subterfuge ; d’ailleurs bien des thĂ©ologiens affirment que la mettre en cause en l’occurrence, c’est la confondre avec un projet politique Ă©tranger Ă  sa nature. On n’entrera pas dans ce dĂ©bat et on se contentera de juger une pratique Ă  l’aune de la seule question qui compte quel sort rĂ©serve-t-elle aux droits fondamentaux de la personne ? Il est Ă©vident que le voile intĂ©gral nie la femme dans sa dimension d’ĂȘtre social, publiquement affirmĂ©e ; il la confine Ă  un espace intime oĂč se jouent le plus souvent des rapports de dĂ©pendance personnelle par rapport Ă  l’homme – le mari, le frĂšre ou le pĂšre. Le droit d’ĂȘtre une personne libre, niĂ© en l’occurrence, va pourtant de pair avec celui d’ĂȘtre une citoyenne, que revendiquait Olympe de Gouges. La citoyennetĂ© serait abstraite et dĂ©sincarnĂ©e sans la personne qui en est le support. Qui ne voit que ce marquage dĂ©personnalisant est aussi un vĂ©ritable exil, une sorte d’exclusion sĂ©paratrice propre Ă  priver la personne qui en est victime de toute rĂ©fĂ©rence autre que celle de sa communautĂ© d’origine, comme si l’expĂ©rience de l’humanitĂ© diverse et universelle avait le sens d’une souillure, d’une corruption Ă  Ă©viter ? Cela s’appelle un enfermement, Ă©videmment attentatoire Ă  la dignitĂ© de la personne humaine. Le fait que certaines femmes, dit-on sans vraiment le savoir, consentent Ă  leur aliĂ©nation, ne lĂ©gitime pas celle-ci pour autant – Simone de Beauvoir le soulignait dans Le DeuxiĂšme sexe, le consentement des victimes ne produit aucune lĂ©gitimitĂ©. Il ne s’agit Ă©videmment pas de forcer les femmes Ă  s’émanciper, mais au moins ne peut-on faire en sorte que les ressorts de l’aliĂ©nation ne soient plus consacrĂ©s par la puissance publique ? On ne peut non plus admettre l’étrange relativisme de ceux qui refusent l’interprĂ©tation du voile intĂ©gral comme signe et instrument d’oppression et se rĂ©fugient derriĂšre la pluralitĂ© supposĂ©e de ses sens, car ce relativisme a pour effet de laisser en l’état les ressorts de l’aliĂ©nation. Comprenons-nous bien. Les jugements qui prĂ©cĂšdent ne sont pas portĂ©s au nom d’une culture contre une autre, d’une nation contre d’autres – c’est pourquoi j’ai tenu Ă  rappeler la conception universaliste de la nation dans la RĂ©publique française – mais au nom d’une certaine idĂ©e de la libertĂ© d’accomplissement de l’ĂȘtre humain. À ceux qui prĂ©tendent qu’il s’agirait d’une spĂ©cificitĂ© française, d’un autre particularisme donc, je rappellerai que Taslima Nasreen, courageuse militante des droits de la femme et de la laĂŻcitĂ© au Bangladesh, affirme la validitĂ© d’une telle idĂ©e pour sa propre culture, ce qui conforte l’idĂ©e de la portĂ©e universelle de cet idĂ©al de laĂŻcitĂ© et d’émancipation. Alors, que faire ? Difficile question. Selon moi, il y a trois leviers Ă  une politique d’émancipation – l’emancipatio latine, cet ex mancipium par lequel, Ă  Rome, les jeunes hommes s’affranchissaient de l’autoritĂ© du pater familias. Cette Ă©mancipation se dĂ©cline dans les registres politique, juridique, social, Ă©conomique, culturel, intellectuel, par l’école notamment. Il faut rĂ©affirmer la politique de l’émancipation. Autant dire que le problĂšme qui nous est posĂ© dĂ©passe par son ampleur et par les signes multiformes de dĂ©rives communautaristes la simple question de la burqa et du voile intĂ©gral. Il met en jeu l’ensemble de la vie sociale, ce qui impose d’envisager une action en trois volets nĂ©cessairement insĂ©parables. Le premier volet, c’est Ă©videmment celui d’une loi. La loi ne peut pas tout rĂ©gler, mais elle peut jouer un rĂŽle nĂ©cessaire mĂȘme s’il n’est pas suffisant. Rappelons que les lois, telles que dĂ©finies par Rousseau dans le Contrat social, sont des actes du peuple statuant sur lui-mĂȘme ; la loi doit toujours ĂȘtre gĂ©nĂ©rale et il faudra donc ĂȘtre trĂšs attentif Ă  la formulation retenue et Ă  l’objet du texte. L’autre volet doit ĂȘtre celui de la politique sociale, pour transformer la dĂ©tresse sociale et Ă©conomique qui incite au repli communautariste ; ce n’est pas un hasard si le taux de chĂŽmage est beaucoup plus Ă©levĂ© dans certains milieux issus de l’immigration que dans le reste de la population. Enfin, l’école, celle de la formation permanente autant que de la formation initiale, doit jouer pleinement son rĂŽle d’émancipation comme lieu d’apprentissage des droits – de la femme notamment – et de l’autonomie de jugement ; c’est le troisiĂšme levier d’action. S’agissant de la loi, je tenterai de rĂ©pondre Ă  la question de M. le prĂ©sident Gerin par analogie avec la loi de 2004 encadrant, en application du principe de laĂŻcitĂ©, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les Ă©coles, collĂšges et lycĂ©es publics, un texte issu des prĂ©conisations de la Commission Stasi. Quelle loi, maintenant, et avec quels attendus ? La question est difficile au regard du rĂ©gime des libertĂ©s publiques, et la laĂŻcitĂ© ne peut ĂȘtre invoquĂ©e sinon par l’affirmation du primat de la loi commune Ă  tous sur les lois particuliĂšres Ă  des communautĂ©s, en ce que ces lois peuvent consacrer des formes d’assujettissement. Le principe de laĂŻcitĂ© a dĂ©jĂ  agi Ă  travers la loi issue des prĂ©conisations de la Commission Stasi les tenues ostentatoires n’ont pas droit de citĂ© dans les Ă©coles publiques ni chez les reprĂ©sentants des institutions publiques. À l’époque, les journalistes nous ont rendu un trĂšs mauvais service en parlant de loi sur le voile », produisant ainsi la stigmatisation de l’islam dont on a ensuite accusĂ© la Commission Stasi, qui avait pourtant proposĂ© une interdiction de portĂ©e gĂ©nĂ©rale. Il faudra dĂ©finir trĂšs prĂ©cisĂ©ment le motif de la loi et la formuler trĂšs rigoureusement. Une nouvelle fois, rappelons Rousseau aucune loi ne peut viser une catĂ©gorie particuliĂšre de citoyens. Un texte qui ne vaudrait pas pour tous n’aurait pas de lĂ©gitimitĂ© ; aussi ne peut-on interdire une tenue vestimentaire particuliĂšre. Partant, il me semblerait malheureux de dĂ©signer une tenue qui serait malvenue » ou bienvenue » sur notre sol, car par ces notions on oppose les nationaux » aux Ă©trangers ». Or, il y a de la place pour tous sur le territoire de la RĂ©publique et la seule question qui vaille est celle de la conformitĂ© des pratiques aux droits fondamentaux de la personne, ce qui n’a rien Ă  voir avec des critĂšres gĂ©ographiques ou nationaux. La patrie française Ă©tant une communautĂ© de droits, une pratique ne peut y ĂȘtre jugĂ©e que pour savoir si elle est conforme au droit ou si elle ne l’est pas, et non si elle est conforme Ă  une tradition qui nous serait propre. ProcĂ©der autrement, c’est rĂ©introduire l’ethnocentrisme, l’idĂ©ologie nĂ©ocolonialiste que dĂ©nonçait Claude LĂ©vi-Strauss. Nous ne le devons pas, sous peine d’invalider nos propositions a priori. Alors, que faire ? Aujourd’hui, la discrimination sexiste et le dĂ©ni d’identitĂ© personnelle ne sont pas le fait de l’institution mais d’une logique communautariste qu’incarnent des ĂȘtres humains et que subissent des ĂȘtres humains. Doit-on s’abstenir d’agir lorsque la discrimination tient Ă  l’intĂ©riorisation d’une logique de soumission ? Il est toujours difficile d’identifier les responsables volontaires de cette logique, mais Ă  tout le moins l’interdiction lĂ©gale de toute tenue qui consacrerait cette soumission peut leur ĂŽter une arme dĂ©cisive. Lors des consultations de la Commission Stasi, Mme Fadela Amara rappelait l’argumentaire de certains chefs religieux qui disaient Puisque l’école tolĂšre le voile, les femmes n’ont aucune raison de refuser de le porter ». La loi d’interdiction a donc pu produire un effet Ă©mancipateur en rappelant qu’à l’école, la loi du chef religieux ne rĂšgne pas. Dans ce cas, il suffisait de rappeler que l’école a vocation Ă  instruire dans la sĂ©rĂ©nitĂ©, ce qui conduit Ă  poser des rĂšgles qui lui sont propres, dont cette interdiction. Mais si l’on envisage d’étendre l’interdiction Ă  la sociĂ©tĂ© civile, ce ne peut ĂȘtre que pour un motif de droit commun. En existe-t-il un ? Il semble utile de rappeler ici que l’affaire du lancer de nain » a abouti, le 27 octobre 1995, Ă  un arrĂȘt par lequel le Conseil d’État a considĂ©rĂ© une atteinte Ă  la dignitĂ© humaine comme un trouble Ă  l’ordre public. Le Conseil d’État a ainsi reconnu pour la premiĂšre fois explicitement que le respect de la dignitĂ© de la personne humaine est une des composantes de l’ordre public, et le consentement des principaux intĂ©ressĂ©s – les nains – Ă  une telle pratique n’a pas empĂȘchĂ© l’interdiction. C’était une maniĂšre de rappeler que l’ordre public a pour fondement des principes qu’il convient de respecter. Peut-ĂȘtre le lĂ©gislateur pourrait-il se fonder sur cet arrĂȘt pour Ă©tudier la possibilitĂ© d’un dispositif soigneusement pesĂ© pour le cas qui nous occupe. VoilĂ  pour ce qui est de la perspective d’une loi. Mais, j’y insiste, ce levier politique et juridique doit s’articuler Ă  une politique sociale et Ă  la rĂ©affirmation de la nĂ©cessitĂ© d’une formation permanente et du dĂ©veloppement de la connaissance de leurs droits par les femmes. Il me semble donc possible d’intervenir, mais en s’en tenant Ă  des principes gĂ©nĂ©raux tels que l’égalitĂ© des sexes, le dĂ©ni d’identitĂ©, l’absence de respect des droits de la personne singuliĂšre. M. Éric Raoult, rapporteur. Une remarque prĂ©liminaire je considĂšre infondĂ© le reproche d’ethnocentrisme que vous avez fait Ă  l’utilisation du terme bienvenue » dans le cadre qui nous occupe. En indiquant dans son discours devant le CongrĂšs rĂ©uni Ă  Versailles le 22 juin 2009 que la burqa n’est pas la bienvenue sur le territoire de la RĂ©publique française » le prĂ©sident de la RĂ©publique a voulu rappeler que le voile intĂ©gral n’est pas une coutume traditionnelle de notre pays, voilĂ  tout. On utilise ce mot en de nombreuses occasions – rappelons-nous Bienvenue chez les Ch’tis – sans qu’il ait la signification philosophique que vous avez voulu lui donner. J’en viens Ă  mes questions. Pourquoi, parmi les recommandations de la Commission Stasi, seule celle qui portait sur les signes religieux Ă  l’école a-t-elle Ă©tĂ© suivie d’effet ? L’auraient-elles toutes Ă©tĂ© dĂšs 2004, n’aurions-nous pas prĂ©venu les problĂšmes encore en suspens aujourd’hui ? Par ailleurs, ĂȘtes-vous favorable Ă  l’enseignement du fait religieux et des grands courants spirituels Ă  l’école ? Ne peut-on partir du principe qu’une meilleure connaissance est porteuse d’une plus grande tolĂ©rance, en particulier qu’une meilleure connaissance de l’islam par les jeunes femmes leur permettrait d’en savoir davantage sur la signification rĂ©elle du port du voile intĂ©gral ? M. Jacques Myard. Vos propos, Monsieur Pena-Ruiz, m’ont paru frappĂ©s au coin du bon sens, mais deux points me semblent devoir ĂȘtre prĂ©cisĂ©s. Vous avez rappelĂ©, citant Simone de Beauvoir, que le consentement des victimes ne lĂ©gitime rien, mais l’on est aussi frappĂ© de constater que certaines femmes disent porter le voile librement ; est-ce une libertĂ© conditionnĂ©e, une libertĂ© aliĂ©nĂ©e ? Les membres des sectes se disent toujours libres, jusqu’au jour oĂč ils en sortent et admettent alors que leur prĂ©tendue libertĂ© Ă©tait falsifiĂ©e. Pourriez-vous revenir sur la question de la libertĂ© individuelle dans les choix vestimentaires ? D’autre part, je partage votre dĂ©finition de la loi comme un acte du peuple statuant sur lui-mĂȘme. La loi est aussi une force symbolique dĂ©montrant le vouloir vivre ensemble ». La loi doit-elle alors seulement exprimer une conviction ou doit-elle ĂȘtre assortie de sanctions et dans ce cas, lesquelles ? M. Christian Bataille. Je vous remercie, Monsieur Pena-Ruiz, de nous avoir fait partager votre grande connaissance des principes philosophiques qui sous-tendent la laĂŻcitĂ© et la RĂ©publique. Sans doute saurez-vous nous donner l’argument dont nous avons besoin pour rĂ©pondre Ă  ceux qui craignent que nous ne stigmatisions l’islam, ou qui nous accusent de vouloir le faire, si nous recommandons en cette matiĂšre une obligation ou une interdiction. Par ailleurs, ne pensez-vous pas qu’un texte juridique prescrivant que l’on doit se montrer le visage dĂ©couvert dans l’espace public serait prĂ©fĂ©rable Ă  une interdiction ? C’est l’idĂ©e avancĂ©e par Mme Elisabeth Badinter. Je considĂšre moi-mĂȘme qu’une loi rigoureuse d’interdiction serait inadaptĂ©e en la circonstance. M. Jean Glavany. Je vous remercie pour cet exposĂ© Ă©clairant et enrichissant. Je vous suis assurĂ©ment lorsque vous liez la loi, la question sociale et l’éducation, puisqu’il s’agit lĂ  du triptyque rĂ©publicain. Toutefois, je doute que le port du voile intĂ©gral soit le fait des familles les plus dĂ©favorisĂ©es. En rĂ©alitĂ©, c’est presque l’inverse cette pratique est plus caractĂ©risĂ©e par son aspect provocateur, intĂ©griste et extrĂ©miste qu’elle ne traduit la dĂ©tresse sociale de ceux qui la promeuvent. Vous avez rappelĂ© la nĂ©cessitĂ© posĂ©e par Rousseau de ne pas faire de lois particuliĂšres. Cet impĂ©ratif nous guide et c’est pourquoi nous rĂ©flĂ©chissons au moyen de ne pas forcĂ©ment rĂ©diger une loi d’interdiction spĂ©cifique mais de nous servir d’un texte plus global de lutte contre les violences faites aux femmes – un rapport parlementaire de grande qualitĂ© a Ă©tĂ© rendu il y a peu Ă  ce sujet, dont les conclusions pourraient servir de base, assez vite, Ă  un texte lĂ©gislatif. Cette maniĂšre de procĂ©der – inclure dans un texte concernant toutes les femmes l’interdiction du port du voile intĂ©gral – conviendrait-elle selon vous ? D’autre part, pour ne pas verser dans l’ethnocentrisme, il ne faut pas, me semble-t-il, interdire le port du voile intĂ©gral mais interdire de se masquer le visage car une telle pratique porte atteinte aux droits des femmes et constitue une violence Ă  leur encontre ; traiter la question de la sorte correspondrait-il Ă  ce que vous prĂ©conisez ? Mme BĂ©rengĂšre Poletti. Le problĂšme ne se pose pas qu’en France mais Ă  l’échelle planĂ©taire. Ainsi dans tels pays africains contraint-on dĂ©sormais Ă  porter des tee-shirts des femmes qui avaient l’habitude de dĂ©ambuler seins nus, ainsi assiste-t-on Ă  l’envahissement de l’espace public syrien et Ă©gyptien par des femmes voilĂ©es
 Mais, toute laĂŻque que je sois, je m’interroge cette Ă©volution n’est-elle pas le signe de la recherche d’une spiritualitĂ© qui manque peut-ĂȘtre en France ? M. Henri Pena-Ruiz. Je le maintiens, Monsieur Raoult dire que la burqa n’est pas la bienvenue en RĂ©publique » n’est pas une formulation heureuse. La phrase a certes eu l’effet positif d’appeler l’attention sur le caractĂšre aliĂ©nant de cette tenue mais l’on n’a pas Ă  poser le problĂšme en termes de dĂ©placement gĂ©ographique, d’accueil. Ce n’est pas un problĂšme de Français Ă  Ă©tranger qui se pose mais de relations d’homme Ă  homme, ou d’homme Ă  femme. Je ne veux pas que l’on en arrive Ă  ce qui pourrait apparaĂźtre comme une condamnation d’une pratique culturelle au nom d’une autre culture. C’était la raison de ma critique
 voilĂ©e
 Comme vous, je me demande pourquoi le Gouvernement n’a retenu qu’une seule des vingt-trois prĂ©conisations de la Commission Stasi. Nous avions en particulier beaucoup insistĂ© sur la nĂ©cessitĂ© du volet social d’accompagnement de la loi afin que les grands principes rĂ©publicains soient parfaitement compris, la RĂ©publique se montrant capable de garantir la prĂ©sence des services publics dans les quartiers dĂ©shĂ©ritĂ©s. Cela n’a pas Ă©tĂ© fait, ce qui a rendu la dĂ©cision bancale. Selon le rapport ChĂ©rifi sur la mise en Ɠuvre de la loi du 15 mars 2004, l’application de cette prĂ©conisation a toutefois Ă©tĂ© trĂšs positive, en permettant de mettre fin Ă  des bras de fer locaux. Le Gouvernement a donc eu raison de retenir la proposition de dispositif lĂ©gislatif qui lui Ă©tait faite, mais il aurait Ă©tĂ© bon que le caractĂšre global de l’exigence laĂŻque soit pris en compte par l’application des autres mesures prĂ©conisĂ©es par la Commission Stasi. Nous appelions notamment l’attention sur ce qui se passait dans les hĂŽpitaux ; je crois savoir que vous avez Ă  nouveau Ă©tĂ© saisis de cette question et j’espĂšre que votre mission reprendra l’ensemble du chantier qui avait Ă©tĂ© celui de la Commission Stasi. Pourquoi le religieux ferait-il l’objet d’un enseignement spĂ©cifique ? À l’époque oĂč l’école enseignait les humanitĂ©s, elle enseignait naturellement la connaissance des Ɠuvres inspirĂ©es par la religion une Annonciation de Fra Angelico comme la teneur du dĂ©bat sur la grĂące dans Les Provinciales de Pascal. C’était le contenu mĂȘme de l’enseignement, et je regrette que l’école, au nom d’une certaine modernitĂ©, ne mette plus assez l’accent sur les humanitĂ©s. D’autre part, dans la sphĂšre spirituelle, le religieux ne doit pas faire l’objet d’un privilĂšge. L’expression enseigner les religions » est toujours ambivalente et les religieux sont toujours prĂȘts Ă  se dire les mieux placĂ©s pour cela, alors que les professeurs de l’Éducation nationale sont parfaitement capables de le faire. L’enseignement du religieux n’a pas Ă  ĂȘtre dissociĂ© du reste de la culture. On peut, en effet, enseigner la connaissance des doctrines religieuses, mais pourquoi pas aussi celle des humanismes athĂ©es ou agnostiques ? Montaigne, Diderot et Hume n’ont-ils pas jouĂ© un rĂŽle au moins aussi important dans l’émergence des valeurs qui constituent notre socle culturel ? Je ne voudrais pas d’un enseignement qui privilĂ©gie le fait religieux mĂȘme si, j’en suis d’accord, l’école publique et laĂŻque doit intĂ©grer tout ce qui compte dans la culture. Il est exact, Monsieur Myard, que des femmes sont consentantes pour porter le voile intĂ©gral et que certaines souhaitent ainsi, de maniĂšre quelque peu provocante, affirmer leur identitĂ© face Ă  un monde qu’elles jugent mauvais. Mais si la personne est consentante, cela signifie qu’elle a un libre arbitre. Pourquoi, alors, ne pas miser sur ce statut de sujet capable de rĂ©flexion pour convaincre, pour expliquer que l’interdiction du port du voile intĂ©gral n’est pas une oppression mais qu’elle tend Ă  mettre en avant ce qui constitue le vivre ensemble » ? Soit la femme n’est pas consentante et la rĂšgle est Ă©mancipatrice puisqu’elle proscrit une violence qui s’exerce contre elle, soit elle est consentante et c’est le rĂŽle des Ă©lus d’expliquer Ă  la population ce que sont nos valeurs communes. Selon moi, une rĂšgle qui ne prĂ©voit pas de sanction en cas de manquements est inopĂ©rante. Dans le mĂȘme temps, on ne peut s’en tenir au seul langage rĂ©pressif, et un travail Ă©ducatif doit ĂȘtre fait. En proposant une loi prohibant les signes religieux ostentatoires Ă  l’école, la Commission Stasi avait beaucoup insistĂ© pour que le texte s’accompagne de toute la pĂ©dagogie nĂ©cessaire. Qu’est-ce Ă  dire ? Que si une jeune fille se prĂ©sente voilĂ©e dans ma classe, je ne lui dirai pas d’emblĂ©e Mademoiselle, dehors ». J’engagerai un entretien avec elle, puis avec ses parents, pour expliquer la raison de cette rĂšgle. Il faut d’abord dĂ©ployer tous les trĂ©sors de pĂ©dagogie possible, et ne sanctionner qu’en dernier lieu. J’ai moi-mĂȘme, Monsieur Bataille, Ă©tĂ© accusĂ© de stigmatiser l’islam alors que, dĂ©fendant la loi issue des prĂ©conisations de la Commission Stasi, j’étais interviewĂ© par Radio Beur. J’ai rappelĂ© que la RĂ©publique française s’est installĂ©e sur un territoire, celui de la France, qui Ă©tait dite la fille aĂźnĂ©e de l’Église », et que le 9 dĂ©cembre 1905, la RĂ©publique a dĂ©cidĂ© que les emblĂšmes du christianisme devaient quitter tous les lieux publics pour regagner les seuls lieux oĂč ils sont lĂ©gitimes la maison commune des croyants – l’église ou le temple – et la sphĂšre privĂ©e – leur maison. La RĂ©publique ne vise pas une religion particuliĂšre, elle a des motifs gĂ©nĂ©raux d’affirmer la laĂŻcitĂ©. C’est en rappelant notre histoire rĂ©publicaine que l’on peut montrer que la volontĂ© n’est pas de stigmatiser l’islam mais de faire que toutes les religions, islam compris, soient soumises Ă  la mĂȘme rĂšgle. Je suis tout Ă  fait d’accord avec Madame Badinter, la rĂšgle doit ĂȘtre formulĂ©e de maniĂšre positive. Une photo de carte d’identitĂ© doit ĂȘtre une photo du visage non couvert. Il doit ĂȘtre possible d’expliquer que pour les raisons dĂ©jĂ  dites mais aussi pour des raisons de sĂ©curitĂ© il est essentiel que tous les citoyens et toutes les citoyennes de la RĂ©publique se prĂ©sentent le visage dĂ©couvert. Madame Badinter a tout Ă  fait raison de dire qu’une norme peut ĂȘtre prĂ©sentĂ©e de maniĂšre positive – mĂȘme si elle signifie Ă©videmment en creux il ne faut pas porter un voile intĂ©gral ». J’en suis d’accord, Monsieur Glavany, la question du port du voile intĂ©gral n’est pas rĂ©ductible Ă  un malaise social, mais l’on peut reconnaĂźtre qu’une personne, mĂȘme si elle n’en est pas directement victime, peut ĂȘtre affectĂ©e par la tournure que prend le vivre ensemble », par le fait que subsistent des pratiques discriminatoires – ces discriminations au logement et Ă  l’emploi que l’on veut combattre par les CV anonymes. Ces personnes peuvent avoir lĂ  des raisons de chercher une compensation identitaire, laquelle peut prendre la forme d’une provocation, d’une interpellation de la puissance publique. C’est une raison supplĂ©mentaire pour que les sanctions envisagĂ©es soient globales, et que l’on prĂ©voie les trois volets complĂ©mentaires que j’ai Ă©voquĂ©s. Je serais tout Ă  fait d’accord avec la dĂ©marche consistant Ă  combattre globalement les violences faites aux femmes. Je rappelle que l’islam n’est pas la seule religion qui, dans son interprĂ©tation intĂ©griste, stigmatise les femmes. Relisez l’Ancien Testament Tes dĂ©sirs se porteront vers ton mari mais il dominera sur toi » ! Relisez saint Paul Femme, sois soumise Ă  ton mari » ! En d’autres termes, les trois religions du Livre ont une approche sexiste et hiĂ©rarchisante des sexes, ce qui n’est pas Ă©tonnant puisqu’elles font rĂ©fĂ©rence Ă  des sociĂ©tĂ©s patriarcales oĂč les mĂąles dominaient – ce qui dessaisit ces propos de leur Ă©ternitĂ© d’inspiration supposĂ©e et permet de les soumettre davantage Ă  la critique
 Relisons, Ă  ce sujet le Discours dĂ©cisif d’AverroĂšs Lorsque un verset du Coran heurte la raison, il faut l’interprĂ©ter au second degrĂ© ». Il y a lĂ  un principe d’émancipation, contraire, donc, Ă  ce qu’affirment les intĂ©gristes qui cherchent Ă  maintenir une interprĂ©tation littĂ©raliste du Coran. Il est vrai, Madame Poletti, que les militantes laĂŻques qui, partout dans le monde, veulent renforcer les droits des femmes, attendent de la France qu’elle rĂ©affirme les principes de la laĂŻcitĂ©. Au demeurant, ce n’est pas tant la laĂŻcitĂ© qui semble en cause que les droits des femmes et leur dignitĂ©. Vous proposez de revitaliser la spiritualitĂ© ; soit, mais pour moi la spiritualitĂ© ne se rĂ©duit Ă©videmment pas Ă  sa dimension religieuse ; le thĂ©orĂšme de Pythagore, les pyramides d’Egypte, La Rose et le rĂ©sĂ©da d’Aragon sont aussi des actes spirituels. C’est donc toute la culture spirituelle qu’il faut rĂ©habiliter et non, seulement, le religieux. On a besoin de la vie de l’esprit, qui ne peut avoir lieu aussi longtemps que subsistent des injustices qui crĂ©ent des abĂźmes entre les hommes, les pays, les cultures. C’est pourquoi je juge nĂ©cessaire une action en trois volets complĂ©mentaires. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Vous avez insistĂ© sur les consĂ©quences de la dĂ©tresse sociale. Nous avons beaucoup progressĂ© depuis le dĂ©but de nos travaux, en juillet, quant Ă  la nĂ©cessitĂ© de mettre en Ă©vidence une dĂ©rive fondamentaliste caractĂ©risĂ©e par une idĂ©ologie barbare. Nous voulons marquer notre combat politique contre ceux qui se comportent en tĂȘtes de rĂ©seaux » sans mĂȘme habiter les quartiers considĂ©rĂ©s et qui mĂšnent un travail de sape en instrumentalisant la pauvretĂ©. Nous savons cette stratĂ©gie Ă  l’Ɠuvre et nous y ferons rĂ©fĂ©rence dans nos prĂ©conisations, en disant, par exemple, que ces fanatiques ont un comportement intolĂ©rable dans les maternitĂ©s, oĂč ils refusent que leurs femmes aient Ă  faire Ă  des mĂ©decins hommes. Nous avons soulignĂ©, dĂšs le dĂ©but de nos travaux, que nous n’avions aucun a priori et que rien n’était dĂ©cidĂ© quant Ă  l’éventualitĂ© d’une loi, notamment relative au port du voile intĂ©gral. Au fil des auditions, nous nous prĂ©occupons toujours davantage des situations contraintes – plus que du seul port du voile intĂ©gral. À ce jour, nous ne savons pas encore sur quoi dĂ©boucheront nos travaux, mais nous souhaitons, dans tous les cas, faire partager nos prĂ©conisations aux responsables du culte musulman, afin que les musulmans de France comprennent qu’il s’agit de favoriser le vivre ensemble » pour que l’islam, deuxiĂšme religion de France, trouve toute sa place dans la RĂ©publique. Monsieur Pena-Ruiz, je vous remercie d’avoir contribuĂ© Ă  notre rĂ©flexion. Audition de Mme Caroline Fourest, journaliste et sociologue SĂ©ance du jeudi 12 novembre 2009 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Nous accueillons Mme Caroline Fourest, essayiste, rĂ©dactrice en chef de la revue ProChoix, chroniqueuse au Monde et sur France Culture, enseignante Ă  l’Institut d’études politiques de Paris. Vous ĂȘtes, Madame, l’auteure de nombreux ouvrages, pour la plupart consacrĂ©s Ă  la laĂŻcitĂ© et Ă  l’extrĂ©misme religieux. Vous avez notamment Ă©crit Tirs croisĂ©s. La laĂŻcitĂ© Ă  l’épreuve des intĂ©grismes juif, chrĂ©tien et musulman, avec Fiammetta Venner, en 2003, et La tentation obscurantiste, en 2005. En votre qualitĂ© de journaliste spĂ©cialiste des questions de laĂŻcitĂ© et d’extrĂ©misme religieux, estimez-vous qu’il existe des indices objectifs permettant de confirmer une progression des courants de l’islam radical en France ? Que pensez-vous de l’idĂ©e, qui nous est frĂ©quemment soumise, selon laquelle l’extrĂ©misme islamiste – avec sa consĂ©quence, le port du voile intĂ©gral – dĂ©coulerait des discriminations subies en France par les musulmans ? Mme Caroline Fourest, journaliste et sociologue. Les rĂ©flexions dont je vous ferai part sont le fruit Ă  la fois d’une enquĂȘte entamĂ©e voilĂ  une douzaine d’annĂ©es concernant les mouvements intĂ©gristes de toutes les religions, et de mon cours Ă  Sciences Po, intitulĂ© Multiculturalisme et universalisme », lequel a dĂ©bouchĂ© sur une rĂ©flexion de ma part relative Ă  la crise du multiculturalisme, objet de mon dernier livre, La derniĂšre utopie. Un dĂ©fi aussi complexe que celui que vous vous ĂȘtes lancĂ© impose de bien dĂ©finir les termes du problĂšme. De la justesse du diagnostic dĂ©pendra, en effet, l’efficacitĂ© des solutions que vous proposerez. Ainsi, parler de burqa » est une commoditĂ© Ă  laquelle les mĂ©dias ont cĂ©dĂ© trop facilement il existe peu de femmes portant ces voiles d’origine afghane en France, certains des voiles que nous voyons Ă©tant des niqab », voiles noirs et couvrants, d’inspiration saoudienne. Comme Dounia Bouzar l’a soulignĂ© lors de son audition, il faut insister sur la dimension sectaire et intĂ©griste – beaucoup plus que religieuse – de ces comportements qui concernent souvent des converties. Celles-ci, en masquant leur visage, tentent de faire oublier qu’elles sont d’origine bretonne, basque ou alsacienne, avec tout le zĂšle des nouveaux croyants. Le port du voile intĂ©gral est Ă  rapprocher d’une dĂ©marche sectaire, avec tout ce que cela comporte d’aliĂ©nation volontaire, sachant qu’il est Ă©minemment complexe de faire la part entre celles qui le portent dĂ©libĂ©rĂ©ment et celles qui le portent par choix. Lorsque vous interrogez des tĂ©moins de JĂ©hovah ou des scientologues, ils vous disent d’ailleurs rarement qu’ils appartiennent Ă  une secte. Pour eux, c’est un choix qu’ils ont fait et qui les rend parfaitement heureux. Les femmes, qu’elles portent le voile simple ou le voile intĂ©gral, soulignent souvent l’incomprĂ©hension dont elles font l’objet en tant qu’émettrices d’un message – le fait de porter un voile dans un pays laĂŻc – de la part des rĂ©cepteurs, Ă  savoir les personnes qui sont confrontĂ©es au voile. Pour autant, toute une diversitĂ© de situations existe chez la personne qui Ă©met – celle qui porte le voile. Il peut tout aussi bien s’agir d’une femme ayant dĂ©cidĂ©, au soir de sa vie, de porter le voile traditionnel dans une dĂ©marche religieuse mais non fondamentaliste, que d’une jeune femme nĂ©e en France qui choisit de porter le voile par militantisme, souvent contre l’avis de ses parents, aprĂšs avoir Ă©coutĂ© un prĂ©dicateur, s’identifiant ainsi Ă  d’autres femmes qui portent le voile dans d’autres contextes. Je m’oppose, Ă  cet Ă©gard, Ă  la rĂ©flexion souvent entendue selon laquelle il serait beaucoup moins grave de porter le voile en France – parce que c’est souvent voulu – qu’en Iran ou en Arabie saoudite il est, selon moi, beaucoup plus symbolique et radical de faire le choix du voile ici qu’en Iran, oĂč le port du voile est imposĂ©, ou au YĂ©men, oĂč les contrevenantes risquent d’ĂȘtre aspergĂ©es d’acide. Dans ce dernier pays, oĂč, seule femme non voilĂ©e, j’ai dĂ©battu devant des parterres de femmes intĂ©gralement voilĂ©es de noir, l’obligation du voile est d’ailleurs rĂ©cente, suite Ă  un retour Ă  la loi islamique. Mais celui-ci, paradoxalement, ne s’est pas accompagnĂ© de la prohibition du quat, produit stupĂ©fiant dont la consommation est trĂšs rĂ©pandue. La loi a ses raisons que la raison ne connaĂźt pas toujours... Qu’en est-il des rĂ©cepteurs de ce message dans les pays comme les nĂŽtres ? En tant que femme, fĂ©ministe et laĂŻque, je ressens, lorsque je vois dans la rue un voile intĂ©gral, exactement ce que ressentirait un militant des droits civiques s’il apercevait quelqu’un faire son marchĂ© recouvert d’une cagoule du Ku Klux Klan. Le voile est un signal, le drapeau de groupes, minoritaires certes, mais radicaux. Il est Ă©vident qu’il ne peut contribuer Ă  un vivre-ensemble pacifiĂ©. Je suis Ă  cet Ă©gard stupĂ©faite de l’ignorance de ce qu’est l’islam politique, dans sa complexitĂ© et dans la diversitĂ© de ses tendances. Aussi en brosserai-je rapidement un tableau afin de souligner un point prĂ©occupant le dĂ©bat sur le voile intĂ©gral risque de fournir Ă  des groupes intĂ©gristes pas aussi extrĂ©mistes que les salafistes l’occasion de banaliser le voile simple en s’autoproclamant arbitres du juste milieu. Il convient, sur la scĂšne de l’islam aujourd’hui, de distinguer les modernistes des fondamentalistes, et ces derniers des intĂ©gristes. À cet effet, il importe de bien faire la diffĂ©rence entre ce qui relĂšve d’une pratique religieuse radicale et ce qui a trait Ă  la radicalitĂ© politique, prĂŽnĂ©e au nom de la religion. À la frange extrĂȘme, le salafisme revendique le retour Ă  une lecture Ă  la fois fondamentaliste et littĂ©raliste du Coran. Parmi les divers courants qui le composent, certains prĂŽnent le sĂ©paratisme, adoptant un mode de vie repliĂ©, puriste, comparable Ă  celui des Amish aux États-Unis, sans vouloir pour autant l’imposer et en faire un mode de vie en sociĂ©tĂ©. Bien que trĂšs littĂ©raliste, cette posture est moins intĂ©griste que celle observĂ©e par certains mouvements qui, eux, tendent Ă  instrumentaliser la religion Ă  des fins politiques liberticides. Ce qui complique la situation, c’est que l’espace public peut laisser apparaĂźtre des prĂ©dicateurs mĂ©diatiques charismatiques, qui, sans ĂȘtre ni littĂ©ralistes ni promoteurs d’une lecture totalement archaĂŻque des textes, peuvent avoir une influence politique bien plus rĂ©trograde et liberticide que certains prĂ©dicateurs littĂ©ralistes et fondamentalistes. Il n’est, en effet, pas toujours simple de ne pas confondre un moderniste avec un fondamentaliste ou un fondamentaliste avec un intĂ©griste. Ainsi, dans la mouvance issue des FrĂšres musulmans – qui ne sont ni des salafistes ni des littĂ©ralistes – on trouvera des personnes qui se diront sincĂšrement choquĂ©es par le port du voile intĂ©gral, voire qui aimeraient ĂȘtre les arbitres du conflit, voyant dans le port du voile simple une solution alternative. Cette nĂ©buleuse regroupe des courants trĂšs divers, incarnĂ©s notamment par l’Union des organisations islamiques de France – UOIF – et par des prĂ©dicateurs comme Hani Ramadan, Tariq Ramadan, qui intervient auprĂšs des jeunes de l’UOIF, ou Hassan Iquioussen, qui considĂšre qu’un homme et une femme qui dialoguent sur l’Internet sont Ă  trois avec le diable. D’autres, comme Tareq Oubrou sont dans une dĂ©marche diffĂ©rente, plus isolĂ©e ce prĂ©dicateur, que l’on peut considĂ©rer comme un fondamentaliste non intĂ©griste, Ă  la vision assez traditionnelle de sa religion, est prĂȘt Ă  proposer une charia de la minoritĂ©, c’est-Ă -dire une charia rĂ©sumĂ©e Ă  l’essentiel – la spiritualitĂ© – Ă  mĂȘme de s’adapter aux lois de la RĂ©publique et de la laĂŻcitĂ©. C’est une dĂ©marche Ă  laquelle Tariq Ramadan s’oppose au nom d’un islam politique qui, sans qu’on s’en aperçoive en l’écoutant Ă  la tĂ©lĂ©vision, provoque Ă©normĂ©ment de dĂ©gĂąts sur le terrain en matiĂšre de recul de la mixitĂ©, de port du voile et de comportements que je qualifierais d’intĂ©gristes. Cette mouvance, qui regroupe donc des personnalitĂ©s trĂšs diffĂ©rentes mais se qualifiant elles-mĂȘmes de rĂ©formistes salafistes, reprĂ©sente une dĂ©marche qu’il ne faut pas confondre avec celle d’un rĂ©formiste moderniste comme Abdelwahab Meddeb. En islam, la rĂ©forme peut signifier tout et son contraire aussi bien un mouvement vers les fondements – la rĂ©forme fondamentaliste des FrĂšres musulmans – qu’une dĂ©marche vers le progrĂšs – la rĂ©forme moderniste incarnĂ©e par des intellectuels comme Monsieur Meddeb. Si je tenais Ă  dĂ©crire la scĂšne musulmane, c’est pour que l’on comprenne bien que faire du voile intĂ©gral le nouveau drapeau d’éventuels martyrs reviendrait Ă  donner un prĂ©texte aux uns et aux autres pour Ă©largir leur recrutement. C’est ce qui me fait dire qu’adopter une loi interdisant le port du voile intĂ©gral serait faire un cadeau Ă  la propagande intĂ©griste. L’argument de la laĂŻcitĂ© ne doit pas ĂȘtre utilisĂ©, au risque de la faire passer pour un instrument de lutte contre les libertĂ©s individuelles. De mĂȘme, celui de l’idĂ©e d’identitĂ© nationale ne rĂ©pondrait pas au dĂ©fi complexe auquel nous sommes confrontĂ©s, qui est un dĂ©fi sur les valeurs et non pas sur les identitĂ©s. Quelle attitude les autres pays observent-ils Ă  l’égard du voile intĂ©gral ? C’est prĂ©cisĂ©ment au nom de l’identitĂ© nationale que son port est interdit en Iran, car il rappelle, avec l’uniforme des Saoudiennes, le grand rival sunnite. En Egypte, le cheikh Mohammed Sayyed Tantaoui – l’une des plus hautes autoritĂ©s islamiques reconnues –, grand imam de la mosquĂ©e Al-Azhar, a essayĂ© de rĂ©glementer le port du voile intĂ©gral en proposant de l’interdire Ă  l’universitĂ©, mais il faut voir lĂ  la position d’un islam traditionnel, dĂ©passĂ© par un autre extrĂ©misme et qui cherche Ă  reprendre le contrĂŽle. En Turquie, le port du voile intĂ©gral, comme celui du voile simple, est interdit dans les universitĂ©s au nom de la laĂŻcitĂ© ; mais il s’agit d’une laĂŻcitĂ© tellement autoritaire, imposĂ©e par l’armĂ©e, qui a favorisĂ© par la frustration qu’elle a engendrĂ©e, l’arrivĂ©e au pouvoir de militants islamistes dits modĂ©rĂ©s, c’est-Ă -dire non pas modĂ©rĂ©s par eux-mĂȘmes mais en raison d’une contrainte laĂŻque voulue par la Constitution et de la peur d’un coup d’État de la part de l’armĂ©e – laquelle porte la responsabilitĂ© du succĂšs des islamistes faute d’avoir suffisamment dĂ©mocratisĂ© la sociĂ©tĂ©. Interdire – ce contre quoi je milite – le voile simple dans la rue et Ă  l’universitĂ© serait tirer la laĂŻcitĂ© française vers une laĂŻcitĂ© autoritaire qui produirait, Ă  mon avis, plus d’effets pervers que d’effets positifs. La Grande-Bretagne, elle, a choisi le laissez-faire total. Elle est dans un processus diffĂ©rentialiste, confondant multiculturalisme et relativisme culturel. Les Britanniques prĂŽnent ainsi une forme de politesse vis-Ă -vis de l’autre qui, pourtant, n’a d’autre effet que d’enfermer celui-ci dans son exotisme. Dans le dĂ©bat sur le voile intĂ©gral – sachant que celui sur le voile simple ne se pose mĂȘme pas –, l’ancien ministre des affaires Ă©trangĂšres Jack Straw – qui avait Ă©tĂ© trĂšs critique vis-Ă -vis de la France au moment du vote de la loi interdisant le port de signes religieux Ă  l’école publique – a cependant avouĂ© avoir subi un choc en recevant dans son quartier gĂ©nĂ©ral de campagne une femme entiĂšrement voilĂ©e qui s’exprimait avec un accent trĂšs british. Ce jour-lĂ , Jack Straw semble avoir rĂ©alisĂ© qu’une femme en voile intĂ©gral, ce n’était tout de mĂȘme pas tout Ă  fait normal en Grande-Bretagne. Tant qu’il s’agissait de migrantes ou de filles d’immigrĂ©s s’exprimant avec un accent ou laissant deviner des yeux de couleur marron, cela ne dĂ©rangeait personne c’était de l’exotisme. Mais que l’autre soit une semblable » – ce qui est, selon moi, la base de l’antiracisme –, et le symbole sexiste devient criant. Le dĂ©bat n’a pour l’instant pas dĂ©bouchĂ©, la crainte de paraĂźtre raciste empĂȘchant d’aborder ces questions. Un dernier modĂšle, celui de la Belgique, a peut-ĂȘtre trouvĂ© une forme de solution certaines communes ont exhumĂ© un ancien rĂšglement qui interdit de sortir masquĂ© en dehors des pĂ©riodes de carnaval, sous peine d’amende, ce qui permet d’exiger l’identification quand cela est nĂ©cessaire. Je vois lĂ  une façon assez drĂŽle de rĂ©soudre la question, ce qui est plutĂŽt bon signe. Par ailleurs, les Belges ont tardĂ© Ă  s’emparer de la question du voile Ă  l’école. Les Flamands, qui jouissent d’une grande libertĂ© pĂ©dagogique, ont introduit l’interdiction du port du voile dans leurs rĂšglements intĂ©rieurs, mais en Wallonie, la situation est plus compliquĂ©e et l’on voit des petites filles se rendre voilĂ©es Ă  l’école primaire. Le devoir de prĂ©server le vivre-ensemble et l’ordre public nĂ©cessite Ă©galement de s’opposer aux demandes particularistes, formulĂ©es au nom du religieux – ce qui ne concerne pas qu’une seule religion ou qu’une seule dĂ©rive sectaire –, qui tendent Ă  mettre en pĂ©ril la sĂ©curitĂ© collective et qui se multiplient. Je pense notamment Ă  une demande prĂ©sentĂ©e par une communautĂ© juive ultra-orthodoxe Ă  la municipalitĂ© d’Outremont, au QuĂ©bec. Il s’agissait d’installer dans la ville un Ă©rouv, clĂŽture symbolique dĂ©marquant l’espace urbain dans lequel les observants du shabbat peuvent se dĂ©placer. Le conseil municipal a rejetĂ© la demande, la considĂ©rant comme incompatible avec la notion de voie publique. Mais la Cour supĂ©rieure du QuĂ©bec, invoquant la libertĂ© de religion et l’obligation d’ accommodement raisonnable », a autorisĂ© l’installation de l’érouv. Une demande similaire a Ă©tĂ© formulĂ©e en France, Ă  Garges-lĂšs-Gonesse. La communautĂ© juive qui y rĂ©side demandait non seulement la mise en place d’un Ă©rouv, mais Ă©galement la neutralisation des codes Ă©lectriques Ă  l’entrĂ©e des immeubles pendant le shabbat. Il faut imaginer ce qu’une telle demande impliquerait savoir qui est juif pratiquant et dans quel immeuble, gĂ©rer les conflits qui ne manqueraient pas de naĂźtre entre les pratiquants et leurs voisins Ă  qui l’on a dĂ©branchĂ© le code pour des raisons religieuses, dans le cas d’un cambriolage, voire mĂȘme regrouper les juifs pratiquants dans des immeubles qui ne seront pas protĂ©gĂ©s Ă©lectriquement, etc. Heureusement, en France, aucun tribunal n’a acceptĂ© l’accommodement raisonnable admis au Canada. La Grande-Bretagne et ce dernier pays ont Ă©galement Ă©tĂ© confrontĂ©s Ă  des demandes provenant, cette fois, de la communautĂ© sikh. L’une d’elles portait sur le kirpan, petit couteau rituel dont les hommes ne peuvent se sĂ©parer, et qu’il s’agissait d’autoriser Ă  l’école au nom du multiculturalisme, il a Ă©tĂ© admis que les enfants l’emportent en classe, Ă  condition qu’il soit placĂ© dans un Ă©tui cousu Ă  l’intĂ©rieur du vĂȘtement. Cette dĂ©cision, qui pose un problĂšme de sĂ©curitĂ©, introduit aussi une discrimination entre les Ă©lĂšves puisque les autres enfants ne sont pas autorisĂ©s Ă  apporter leur Opinel favori. Un problĂšme se pose quand le religieux, lorsqu’il est invoquĂ©, lĂ©gitime des droits diffĂ©renciĂ©s De la mĂȘme maniĂšre, alors que l’État a parfois le devoir de protĂ©ger les citoyens contre eux-mĂȘmes, les sikhs peuvent, en Grande-Bretagne, dĂ©roger Ă  l’obligation de porter un casque, incompatible avec le turban religieux. Aux États-Unis, les AmĂ©rindiens ont obtenu de la Cour suprĂȘme le droit de consommer le peyotl, substance hallucinogĂšne classĂ©e parmi les stupĂ©fiants, au nom du libre exercice d’un culte. Il paraĂźt que depuis, de nombreux AmĂ©ricains se sont dĂ©couvert une nouvelle foi. Utiliser l’argument de la sĂ©curitĂ© et du vivre-ensemble est la meilleure façon d’aborder la question qui nous rĂ©unit. J’en veux pour preuve le cambriolage perpĂ©trĂ© le 10 novembre dernier dans une bijouterie de Marseille 350 000 euros de bijoux ont Ă©tĂ© emportĂ©s par un couple qui s’est rĂ©vĂ©lĂ© ĂȘtre deux braqueurs, l’un portant une djellabah, l’autre un voile intĂ©gral et poussant un landau. Il y a lĂ  matiĂšre Ă  arguer, sur la base de la sĂ©curitĂ© – au-delĂ  de toute question de laĂŻcitĂ© ou d’identitĂ© nationale –, que tout ce qui ne permet pas l’identification d’une personne dans les services publics et dans un certain nombre de lieux publics oĂč la sĂ©curitĂ© est de mise doit faire l’objet d’un rĂšglement. Pour autant, l’interdiction du voile intĂ©gral ne doit pas ĂȘtre le fait de prestataires de services, qui seraient libres de trier leurs clients selon leurs dĂ©sirs. Ainsi, dans l’arrĂȘt Truchelut de 2006, le juge a estimĂ© qu’interdire l’entrĂ©e d’un gĂźte rural Ă  des femmes voilĂ©es constituait un comportement discriminatoire. Le gĂ©rant d’un Ă©tablissement commercial n’est pas l’État qui peut se permettre de chasser le voile et les signes religieux ostensibles de l’école publique au nom du respect d’un lieu sacralisĂ©, celui de l’apprentissage de la citoyennetĂ©. La rue, les hĂŽtels, les restaurants, sont des lieux de libertĂ© que l’on doit chĂ©rir, car c’est ce qui fait aussi notre diffĂ©rence avec des pays qui ne sont pas dĂ©mocratisĂ©s. Vous devez relever un dĂ©fi complexe il vous faut travailler Ă  partir d’un signe beaucoup plus fort que le simple voile, sur lequel a travaillĂ© notamment la commission prĂ©sidĂ©e par Bernard Stasi, mais Ă©galement d’un espace bien plus libre que celui de l’école publique, Ă  savoir la rue. Aussi devez-vous imaginer des solutions nouvelles. Je pense, et c’est la conclusion de mon dernier ouvrage, qu’il est possible de rĂ©soudre la crise du multiculturalisme en dissociant de maniĂšre intelligente les espaces ceux qui relĂšvent du sens, comme l’école publique ou le Parlement, incarnations du modĂšle rĂ©publicain, et ceux qui relĂšvent de la libertĂ© individuelle. Dans leur lutte contre l’homophobie, le sexisme ou le racisme, les groupes minoritaires ont exigĂ© de la RĂ©publique une ouverture d’esprit, l’invitant Ă  revisiter le concept d’universalisme pour leur accorder non pas des droits particuliers, mais l’égalitĂ©. D’autres groupes utilisent aujourd’hui cette ouverture comme une faille, afin d’asseoir des demandes qui visent, cette fois, Ă  instaurer l’inĂ©galitĂ©. Une sociĂ©tĂ© engagĂ©e dans la voie du multiculturalisme doit impĂ©rativement dissocier ce qui relĂšve du politique liberticide et doit ĂȘtre refusĂ©, et ce qui a trait au culturel, qui nous enrichit tous. Cela oblige Ă  imaginer des ripostes intelligentes et proportionnĂ©es, qui distinguent au cas par cas et espace par espace, nous permettant ainsi de rĂ©sister Ă  l’intolĂ©rance sans, pour autant, devenir intolĂ©rants. M. Lionnel Luca. Quels arguments opposeriez-vous Ă  ceux qui soutiennent que le port du voile intĂ©gral est une question de libertĂ© individuelle, qu’il n’y a pas lieu de lĂ©gifĂ©rer ou de rĂ©glementer, mais de faire de la pĂ©dagogie et de l’information ? Par ailleurs, cela ne me dĂ©range pas d’ĂȘtre intolĂ©rant Ă  l’égard des intolĂ©rants il est bien interdit d’arborer une croix gammĂ©e dans la rue ! M. Jacques Myard. Vous avez dĂ©crit prĂ©cisĂ©ment le phĂ©nomĂšne auquel nous sommes confrontĂ©s, rappelant sa nature sectaire et politique. Vous avez dĂ©noncĂ© avec toute la force de conviction qui est la vĂŽtre, en tant que femme et citoyenne, les intĂ©gristes porteurs d’un message politico-religieux, dont certains, comme Tariq Ramadan, avancent masquĂ©s. Pour autant, je ne comprends pas que vous nous invitiez Ă  distinguer les diffĂ©rents lieux oĂč s’exprime cette intolĂ©rance. Comment cette atteinte fondamentale Ă  la dignitĂ© peut-elle ĂȘtre plus ou moins grave, selon l’endroit oĂč elle s’exerce ? Il est impossible de dĂ©couper ainsi la libertĂ© ! Mme BĂ©rengĂšre Poletti. Autant votre exposĂ© Ă©tait remarquable, autant les solutions que vous proposez sont difficilement comprĂ©hensibles. Vous suggĂ©rez d’interdire, pour des raisons de sĂ©curitĂ©, ce qui ne permet pas d’identifier les personnes. Mais derriĂšre le dĂ©bat sur le port du voile intĂ©gral se jouent d’autres questions, qui touchent aussi Ă  la libertĂ© des femmes accĂšs aux soins, accĂšs aux services publics, reconnaissance du diplĂŽme. Comment y rĂ©pondre si la RĂ©publique ne prend pas une position claire sur le voile intĂ©gral ? M. Christian Bataille. Je veux d’abord vous remercier pour la part que vous prenez Ă  la dĂ©fense de la laĂŻcitĂ© et souligner la grande qualitĂ© de la revue Prochoix, que vous dirigez. Si nous retenons la solution d’une lĂ©gislation positive, qui consisterait non pas Ă  interdire un habit, mais Ă  rappeler la nĂ©cessitĂ© de dĂ©couvrir son visage dans l’espace public, pour des raisons de sĂ©curitĂ© et de vivre-ensemble, nous nous limiterons Ă  une mesure de police publique. OĂč sera la condamnation du fondamentalisme ? Ne faudrait-il pas refaire une grande loi, semblable Ă  celle de 1905, qui permettrait de traiter l’ensemble des problĂšmes auxquels nous serons confrontĂ©s, comme la question de la laĂŻcitĂ© Ă  l’hĂŽpital ou dans les cantines ? Globalement, de quelles armes dispose notre sociĂ©tĂ© pour faire reculer l’intĂ©grisme partout oĂč il se trouve ? Mme Caroline Fourest. Finalement, ce qui m’est demandĂ©, c’est pourquoi je ne veux pas interdire l’intĂ©grisme que je dĂ©cris pourtant comme reprĂ©sentant un grave danger. C’est tout simplement parce que l’on ne peut pas interdire l’intĂ©grisme ! Nos angles d’analyse ne sont pas les mĂȘmes vous tenez compte, et c’est lĂ©gitime, de la psychologie de ceux qui vous ont Ă©lus et qui vous Ă©liront demain ; je travaille en fonction de ce que je sais de la psychologie des groupes islamistes. Je connais la façon dont ils opĂšrent et je suis convaincue qu’ils instrumentaliseront ce qui sortira de cette mission parlementaire en le simplifiant Ă  l’extrĂȘme, comme ils l’ont fait des propositions complexes et variĂ©es de la commission Stasi. Si la loi interdisant le port de signes religieux ostentatoires Ă  l’école Ă©tait la meilleure solution en la matiĂšre, je crains qu’elle ne se trouve fragilisĂ©e par une loi qui restreindrait les libertĂ©s individuelles au-delĂ  de cet espace. En tant qu’intellectuels, nous ne cessons de dĂ©fendre cette loi, y compris Ă  l’étranger, en expliquant sans relĂąche la conception française de l’école publique un lieu d’apprentissage de la citoyennetĂ©, qui suppose l’égalitĂ© sur les bancs, oĂč les signes ostentatoires n’ont pas leur place. Si l’on Ă©largit l’interdiction, cette ligne subtile de dĂ©marcation tombera, en mĂȘme temps que notre argumentaire. L’idĂ©e d’une grande loi nationale positive, avec toute sa charge rituelle, est sans aucun doute plaisante, mais la nuance intelligente imaginĂ©e ici entre lĂ©galisation nĂ©gative et lĂ©gislation positive ne sera pas ressentie Ă  l’extĂ©rieur. En revanche, peut-ĂȘtre peut-on rĂ©glementer positivement le devoir de s’identifier dans certains lieux publics. Le rĂ©sultat sera Ă  mon avis plus efficace en ne donnant pas du grain Ă  moudre aux groupes qui attendent, avec une impatience que vous n’imaginez pas, de se proclamer arbitres de l’espace public ou de se poser en victimes. Je n’en conclus pas pour autant qu’il faille cĂ©der Ă  la tyrannie du refus de la stigmatisation. La liste des comportements que j’observe dans l’espace public et qui me posent problĂšme en tant que fĂ©ministe et laĂŻque est longue, mais je refuse simplement que l’on interdise l’intĂ©grisme parce que c’est une idĂ©e, une valeur, une idĂ©ologie. Or je ne veux pas que l’on interdise les idĂ©es – nous ne sommes ni en Iran, ni en Arabie saoudite, mais dans une grande dĂ©mocratie –, mĂȘme si c’est Ă©puisant, car cela signifie qu’il faut se confronter aux idĂ©es des autres tout le temps et rĂ©pondre argument aprĂšs argument. Aussi le lĂ©gislateur doit-il ĂȘtre suffisamment intelligent pour permettre aux militants des droits des femmes et de la laĂŻcitĂ© de poursuivre la bataille. Il ne doit pas voter des lois qui donneraient l’avantage Ă  la propagande intĂ©griste sur leurs arguments. Les comportements et les valeurs intĂ©gristes ne peuvent, je le rĂ©pĂšte, ĂȘtre tous mis hors la loi. C’est un combat d’idĂ©es qu’il faut mener. Si je me bats pour ne pas ĂȘtre taxĂ©e d’ islamophobe », terme qui permet de confondre la critique intellectuelle de la religion avec un comportement raciste illĂ©gal, ce n’est pas pour souhaiter que l’on interdise les idĂ©es intĂ©gristes. Laissons intervenir la loi ou, dans ce cas prĂ©cis, le rĂšglement quand, Ă  la marge, des problĂšmes trĂšs concrets se posent, en l’occurrence des problĂšmes de sĂ©curitĂ© et d’identification qui ne concernent pas seulement le voile intĂ©gral. Notre RĂ©publique doit ĂȘtre cohĂ©rente et traiter le problĂšme dans son ensemble. Ainsi, si la prioritĂ© Ă©tait de sanctuariser » l’espace de l’école par une loi, il fallait ensuite s’attaquer aux causes du port du voile. Mais qu’a-t-on fait pour lutter contre le recul de la mixitĂ© sociale et l’apparition de communautarismes religieux ? Pourquoi n’amĂ©liore-t-on pas le taux d’encadrement dans certains Ă©tablissements de quartiers populaires ? S’il y avait dix Ă©lĂšves par classe dans certains d’entre eux, pensez-vous que les problĂšmes actuels se poseraient dans les mĂȘmes proportions ? Est-ce en rĂ©duisant les moyens consacrĂ©s Ă  l’école publique que l’on favorise la mixitĂ© scolaire, l’éducation, la culture ? Or, on a prĂ©fĂ©rĂ© voter une loi-cadre qui autorise les communes Ă  faciliter la scolarisation de leurs Ă©lĂšves dans des Ă©coles privĂ©es religieuses qui favorisent le communautarisme religieux. Il est vrai qu’il est plus coĂ»teux d’organiser la mixitĂ© scolaire et sociale... Mais si l’on ne s’attaque pas aux racines du problĂšme, on ne s’en dĂ©barrassera pas. Pour autant, je ne dis pas que le fait de subir des discriminations ou d’appartenir aux classes populaires est une voie automatique vers l’intĂ©grisme. Mais de la mĂȘme maniĂšre qu’il faut combattre, sur le plan des idĂ©es, le militantisme intĂ©griste, il faut, par l’action politique, supprimer les facteurs structurels qui participent Ă  l’extension du phĂ©nomĂšne. M. Éric Raoult, rapporteur. Nombre d’entre nous semblent oublier le contexte dans lequel nous avons dĂ©battu de la loi de 2004. La France faisait alors l’objet de fatwas, nos diplomates Ă©taient menacĂ©s. Finalement, l’application de la loi a permis de pacifier la situation et un an aprĂšs, on n’en parlait plus. Je crois Ă  la force symbolique de la loi. J’ai rencontrĂ© Ă  la mosquĂ©e des Omeyyades, Ă  Damas, une jeune femme voilĂ©e d’origine française, mariĂ©e Ă  un KoweĂŻtien. Elle m’a dit qu’elle retirait son voile intĂ©gral lorsqu’elle prenait l’avion pour DubaĂŻ parce que la loi, simplement, l’exigeait. Je ne crois pas que tout ce qui est fait pour lutter contre les facteurs structurels – politique de la ville, crĂ©ation de la Haute autoritĂ© contre les discriminations et pour l’égalitĂ© HALDE – puisse rĂ©duire le zĂšle des nouvelles converties, qui portent le voile avec encore plus de dĂ©termination. Seule la fermetĂ© d’une loi pourrait apporter une solution. C’est le regard que nous portons sur cette loi qui importe, pas l’interprĂ©tation qui en sera faite par les groupes minoritaires. Mme DaniĂšle Hoffman-Rispal. Depuis la loi de 2004, j’ai le sentiment de voir dans ma circonscription de Belleville de plus en plus de jeunes filles portant un voile strict et, dans le XIe arrondissement, davantage de femmes portant le voile intĂ©gral. J’avoue que les croiser Ă  longueur de journĂ©e dans la rue ou me trouver dans une salle d’attente face Ă  une femme dont je ne vois pas les yeux, suscite chez moi un profond malaise. Je partage votre constat selon lequel le dĂ©bat qui nous anime pourrait susciter, en retour, un rĂ©flexe identitaire, y compris chez les plus modĂ©rĂ©s et qu’une loi, sur un sujet aussi sensible et complexe, pourrait avoir des effets contre-productifs. Pour autant, la voie rĂ©glementaire sera-t-elle suffisante ? Les maires que nous avons auditionnĂ©s nous ont demandĂ© de favoriser la voie lĂ©gislative, universelle, plutĂŽt que de les autoriser Ă  Ă©dicter des rĂšglements, ce qui aboutirait Ă  stigmatiser certaines communes. Enfin, la mission sur les violences faites aux femmes vient de rendre son rapport. La proposition de loi qui dĂ©coulera de ses prĂ©conisations ne pourrait-elle pas ĂȘtre le cadre d’une mesure concernant le port du voile intĂ©gral, lequel peut lĂ©gitimement ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une violence ? Mme Caroline Fourest. Mon propos Ă©tait de vous donner un aperçu des effets boomerang que peuvent produire des dĂ©cisions mal interprĂ©tĂ©es. La loi sur les signes ostentatoires Ă©tait une bonne initiative, qui a permis de sanctuariser l’école, mais elle n’a pas mis fin au phĂ©nomĂšne, lequel, au contraire, a explosĂ©. Je pense que des jeunes femmes en crise identitaire guettent aujourd’hui votre dĂ©cision, pour passer du voile simple au voile intĂ©gral. Je vous rejoins sur le risque de stigmatisation que ferait peser la voie rĂ©glementaire sur les communes concernĂ©es. D’ordinaire, je suis davantage favorable Ă  la loi, car le rĂšglement suppose des arbitrages et des rapports de force individuels compliquĂ©s Ă  gĂ©rer. Mais j’estime que la voie rĂ©glementaire est plus adaptĂ©e Ă  ce cas d’espĂšce, compte tenu du nombre rĂ©duit de femmes concernĂ©es. Je n’aurais peut-ĂȘtre pas le mĂȘme avis si elles Ă©taient 5 000 ou 10 000. Par ailleurs, il convient de distinguer les lieux, Monsieur Myard – vous ne vous habillez pas au Parlement comme chez vous – et de ne pas se laisser aller Ă  une interdiction gĂ©nĂ©rale. Les pays musulmans qui ont voulu Ă©touffer l’intĂ©grisme par l’interdit, plutĂŽt que par la dĂ©mocratisation et l’égalitĂ© des chances, se sont fourvoyĂ©s. La Tunisie a toujours un problĂšme avec l’islamisme et si le pays s’en sort grĂące Ă  la laĂŻcitĂ©, c’est une main de fer qui s’y applique. De mĂȘme en Turquie, oĂč rĂ©gnait la laĂŻcitĂ© mais pas la dĂ©mocratie, un retour de flamme est survenu. M. Jacques Myard. Mais le mouvement intĂ©griste, qui est apparu il y a quatre-vingts ans, se place aujourd’hui dans une stratĂ©gie d’affrontement ! Nous sommes engagĂ©s dans un combat, et il va durer. Mme Caroline Fourest. Ce n’est pas parce que nous livrons ce combat que nous devons nous interdire de penser. En Grande-Bretagne, en Belgique ou aux Pays-Bas, oĂč l’on a tardĂ© Ă  s’attaquer au phĂ©nomĂšne, les politiques sont en train de privilĂ©gier des solutions simples, parce qu’elles sont plus mĂ©diatiques et plus faciles Ă  expliquer Ă  leurs Ă©lecteurs. Mais l’objectif n’est pas de se faire plaisir, il est d’ĂȘtre efficace. Si vous renoncez Ă  vos propres valeurs, sous prĂ©texte que vous livrez bataille aux extrĂ©mistes, il leur sera facile ensuite de vous taxer d’intolĂ©rants et d’inviter les citoyens Ă  rejoindre leur camp, censĂ© offrir plus de solidaritĂ© et de repĂšres identitaires. Messieurs Myard et Raoult, je travaille sur tous les intĂ©grismes et je ne vois pas en quoi les comportements sexistes observĂ©s au nom du judaĂŻsme et du christianisme sont moins graves. Si l’on dĂ©cide de lĂ©gifĂ©rer ou de rĂ©glementer le port du voile intĂ©gral dans la rue, il faut prendre garde Ă  ce que cela n’apparaisse pas comme une mesure particulariste, qui nourrirait en retour la propagande islamiste. Il est vrai que ce combat va durer longtemps ; le plus grand risque est de perdre patience et, par lassitude, se mettre Ă  renier nos valeurs et nos principes pour proposer des solutions simples Ă  un problĂšme extrĂȘmement complexe. Je ne vous dis pas cela par angĂ©lisme, mais parce que ma dĂ©termination est sans faille ; j’espĂšre vous en avoir convaincus. Audition de reprĂ©sentants d’obĂ©diences maçonniques Pour la Grande loge fĂ©minine de France Mme Denise Oberlin, grande maĂźtresse ; Mme Anne-Marie PĂ©nin, prĂ©sidente de la commission conventuelle de la laĂŻcitĂ© ; Mme Marie-France Picart, ancienne grande maĂźtresse, membre de la Haute autoritĂ© de lutte contre les discriminations et pour l’égalitĂ© HALDE ; Pour la Grande loge de France M. Jean-Michel Balling, membre ; Pour le Grand orient de France M. Patrice Billaud, vice-prĂ©sident. SĂ©ance du jeudi 12 novembre 2009 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Cette nouvelle audition organisĂ©e sous forme de table ronde est l’occasion d’entendre les reprĂ©sentants de trois obĂ©diences maçonniques qui ont rĂ©pondu Ă  notre invitation et auxquels je souhaite la bienvenue. Le port du voile intĂ©gral – notamment sur la voie publique – remet-il selon vous en cause les valeurs rĂ©publicaines et, plus particuliĂšrement, la laĂŻcitĂ© ? Le considĂ©rez-vous plutĂŽt comme emblĂ©matique d’une appartenance religieuse ou d’une revendication politique extrĂ©miste ? M. Jean-Michel Balling, membre de la Grande loge de France. La Grande loge de France GLF a toujours dĂ©fendu le triptyque libertĂ©, Ă©galitĂ©, fraternitĂ© » qui fonde notre RĂ©publique et garantit la dignitĂ© individuelle de la personne mais, Ă©galement, les droits de l’homme. Le ciment de cette fondation est la laĂŻcitĂ© qui, aprĂšs avoir Ă©tĂ© de combat » jusqu’à la loi de sĂ©paration de 1905, devint ensuite de neutralitĂ© ». C’est elle qui permet Ă  chacun de vivre librement sa croyance ou sa non-croyance – lesquelles relĂšvent de l’espace privĂ© – sans que les convictions religieuses interfĂšrent jamais dans le domaine public. C’est Ă©galement elle qui, aujourd’hui, doit permettre l’ouverture d’un dialogue afin que chacun puisse s’enrichir des diffĂ©rences d’autrui. Le port du voile intĂ©gral rĂ©pond-il Ă  ces prĂ©occupations ? En dĂ©pit du faible nombre de celles qui s’en vĂȘtent, il tĂ©moigne bien plutĂŽt d’une agression des consciences qui, comme telle, peut ĂȘtre de nature Ă  provoquer un dĂ©sordre public alors mĂȘme que le combat pour l’égalitĂ© et l’émancipation se poursuit dans le monde entier, les femmes y sont en effet emmurĂ©es ». Nous laisserons aux thĂ©ologiens le soin de dĂ©terminer s’il s’agit-lĂ  d’un prĂ©cepte religieux ou d’une coutume, mais l’impossibilitĂ© de rencontrer effectivement la personne que l’on croise dans un espace public n’en demeure pas moins une agression. Le visage, c’est l’ĂȘtre mĂȘme d’une personne, cette persona latine qui fait entendre une parole Ă  travers le masque du comĂ©dien nous n’existons que dans la relation Ă  l’autre ; la dignitĂ© est incompatible avec l’exclusion et la rupture ; le vĂ©ritable humanisme reconnaĂźt en tout autre un alter ego. Si, comme disait Victor Hugo, la libertĂ© est du domaine du droit, l’égalitĂ© de celui des faits et la fraternitĂ© de celui du devoir, une communautĂ© nationale fondĂ©e sur ces valeurs ne peut prĂ©cisĂ©ment admettre que ses membres s’excluent du devoir de construction du vivre ensemble. En la matiĂšre, la notion de devoir doit ĂȘtre fortement mise en avant. Une loi s’impose-t-elle donc ? Sans doute pas en un sens rĂ©pressif mĂȘme si la reprĂ©sentation nationale doit se pencher sur les devoirs de l’homme en tant qu’ils sont porteurs de cohĂ©sion et d’ordre public. L’un d’entre eux, dans une sociĂ©tĂ© laĂŻque, consiste Ă  ne pas objectiver son appartenance religieuse. De ce point de vue, les communautĂ©s religieuses ont une grande responsabilitĂ©, celle d’éliminer l’ignorance et de contribuer Ă  faire respecter l’ordre dans la citĂ© elles doivent faire connaĂźtre dans les mĂ©dias les actions qu’elles entreprennent en la matiĂšre, de maniĂšre Ă  Ɠuvrer au renforcement de la communautĂ© nationale. C’est ainsi que nous parviendrons Ă  Ă©viter une interdiction lĂ©gale du port du voile intĂ©gral qui risquerait de stigmatiser les musulmans de France et de radicaliser l’engagement de certains d’entre eux au sein de groupes marginaux et sectaires. C’est Ă©galement ainsi que nos compatriotes musulmans se sentiront membres Ă  part entiĂšre de la collectivitĂ© nationale dans laquelle le droit Ă  la diffĂ©rence n’est pas la diffĂ©rence des droits. Mme Denise Oberlin, grande maĂźtresse de la Grande loge fĂ©minine de France. Je vous remercie d’avoir acceptĂ© d’entendre la Grande loge fĂ©minine de France GLFF. AprĂšs consultations de nos commissions spĂ©cialisĂ©es, nous affirmons explicitement que nous sommes favorables Ă  l’adoption d’une loi interdisant le port du voile intĂ©gral dans tous les lieux publics, dont la rue il en va, en effet, du droit des femmes, mais Ă©galement du respect de la laĂŻcitĂ©. AuditionnĂ©e en 2003 par la commission de rĂ©flexion sur l’application du principe de laĂŻcitĂ© dans la RĂ©publique, prĂ©sidĂ©e par Bernard Stasi, la GLFF avait alors Ă©tĂ© la seule obĂ©dience maçonnique française Ă  se prononcer en faveur de l’interdiction du port du voile islamique Ă  l’école. Un an plus tard, dans le cadre de la mission parlementaire conduite par le PrĂ©sident DebrĂ© sur les signes religieux Ă  l’école, elle s’opposait Ă©galement au port de ces derniers voilĂ , en effet, plus de soixante ans que nous dĂ©fendons le respect de tous les droits fondamentaux de tous les ĂȘtres humains et, particuliĂšrement, ceux des femmes. Depuis plus de vingt ans, l’intĂ©grisme religieux ne cesse de prospĂ©rer notamment par l’intermĂ©diaire de mouvements sectaires Ă©trangers qui horrifient la majoritĂ© des musulmans de France respectueux des valeurs rĂ©publicaines. Si rien, dans le Coran, n’oblige les femmes Ă  se voiler intĂ©gralement, c’est pourtant au nom de la religion que le port du voile intĂ©gral est revendiquĂ©, souvent par des militantes salafistes qui instrumentalisent les femmes Ă  des fins politiques. C’est ainsi que ces derniĂšres sont mises en premiĂšre ligne sous le fallacieux prĂ©texte de leur libertĂ© individuelle » afin de promouvoir, en fait, une vision archaĂŻque, inĂ©galitaire, fascisante et hĂ©gĂ©monique de la sociĂ©tĂ© visant Ă  nier les fondements de notre RĂ©publique. MĂȘme si le port du voile intĂ©gral demeure minoritaire, il ne faut pas laisser cette pratique s’installer et gagner du terrain. Nous devons nous interroger sur sa signification profonde et sur les dangers qu’elle fait courir Ă  notre modĂšle social dĂ©mocratique en tant que fer de lance d’une nouvelle offensive intĂ©griste l’histoire a montrĂ© que la complaisance face Ă  la montĂ©e des extrĂ©mismes se paie trĂšs cher et qu’il est prĂ©fĂ©rable de les Ă©radiquer le plus rapidement possible. Chaque ĂȘtre humain est porteur d’identitĂ©s multiples qui forment sa personnalitĂ© mais, en l’occurrence, le voile intĂ©gral dĂ©shumanise les femmes en effaçant les particularitĂ©s qui font de chacune d’entre elles un ĂȘtre unique. Parce que l’occultation du visage interdit toute vĂ©ritable communication ou identification, les femmes sans visage sont privĂ©es de leur ĂȘtre. A cela s’ajoute que c’est la photographie du visage et non celle de la main ou de l’iris que l’on appose sur la carte d’identitĂ© – l’argument relatif Ă  la sĂ©curitĂ© publique suffit donc Ă  justifier l’interdiction lĂ©gislative du port du voile intĂ©gral. Celui-ci, par ailleurs, rĂ©duit les femmes Ă  ĂȘtre des objets sexuels alors qu’elles sont bien entendu des sujets de droit. VĂ©ritable apartheid », il piĂ©tine de surcroĂźt la dignitĂ© de toutes les femmes – et pas seulement de celles qui le portent –, mais aussi le principe non nĂ©gociable de l’égalitĂ© des sexes, pilier de la dĂ©mocratie. Contraire Ă  la convention de l’Organisation des Nations unies pour l’élimination de toutes les formes de discrimination Ă  l’égard des femmes, mais Ă©galement aux valeurs de l’Union europĂ©enne, il constitue un signe paroxystique de la discrimination des femmes, de leur mutilation symbolique et de la violence inouĂŻe qui s’exerce Ă  leur encontre. En outre, il convient de se rĂ©fĂ©rer au principe de symĂ©trie afin de s’assurer du respect de l’égalitĂ© connaissez-vous des hommes exigeant de porter la burqa, le tchadri ou le niqab ? Quant Ă  celles qui en revendiquent le port au nom d’une pratique religieuse jugĂ©e plus pure, sont-elles conscientes de ce qu’a coĂ»tĂ© au monde la revendication de la puretĂ© ? Pensons Ă©galement Ă  la pression morale que subissent certaines jeunes filles dans des quartiers difficiles ! Lors des discussions qui ont eu lieu Ă  l’occasion de la loi de 2004, nombre d’entre elles disaient Ă  leurs professeures Surtout, Madame, n’acceptez jamais le port du voile Ă  l’école, sinon nos familles nous obligerons Ă  le mettre ! ». Allons-nous aujourd’hui les abandonner ? N’ont-elles pas le droit de s’habiller comme elles le souhaitent ? Cette provocation qu’est le port du voile intĂ©gral a plusieurs objectifs dĂ©noncer publiquement les mauvaises musulmanes » ; faire croire que l’islam est discriminĂ© ; entretenir la confusion entre politique et religion ; revendiquer une exigence confessionnelle au sein de l’espace public national – ce qui constitue un vĂ©ritable coup de boutoir contre nos valeurs dĂ©mocratiques ; afficher une certaine forme de religiositĂ© dans la vie civile et civique qui est contraire au principe constitutionnel de laĂŻcitĂ© ; refuser de se faire connaĂźtre aux yeux des autres ; revendiquer, enfin, une libertĂ© contre la libertĂ© et un droit Ă  la diffĂ©rence qui aboutit Ă  une diffĂ©rence des droits – comportement contraire Ă  la DĂ©claration des droits de l’homme et du citoyen du 26 aoĂ»t 1789 selon laquelle nul ne doit ĂȘtre inquiĂ©tĂ© pour ses opinions, mĂȘme religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public Ă©tabli par la loi. Ne laissons donc pas les intĂ©gristes et les fondamentalistes dĂ©fier les lois de la RĂ©publique ! Ne laissons pas les droits des femmes se dĂ©liter dans une attaque contre le pays de la libertĂ©, de l’égalitĂ© et de la fraternitĂ© ! Ne laissons pas les jeunes filles qui se dĂ©voilent se faire attaquer et souiller au nom d’une religion qui donne tout pouvoir aux hommes sur notre sol national ! De plus, ces manƓuvres cachent mal un nouveau danger de banalisation du port du foulard pour les femmes et les jeunes filles alors que l’école les a Ă©mancipĂ©es d’une telle obligation. La dĂ©claration de principe de la GLFF proclame, quant Ă  elle, sa fidĂ©litĂ© Ă  la patrie ainsi que son indĂ©fectible attachement aux principes de libertĂ©, de tolĂ©rance, de laĂŻcitĂ©, de respect des autres et de soi-mĂȘme, lesquels ont valeur universelle. Le devoir de les faire rayonner nous incombe d’autant plus que la RĂ©publique, l’État de droit et la laĂŻcitĂ© sont attaquĂ©s ! Ne laissons donc pas les porteuses de voile intĂ©gral confondre des slogans pavloviens avec la libertĂ© de penser ou l’examen critique de la raison ! Ne les laissons pas devenir hors la loi par un comportement qui trouble l’ordre public et menace la sĂ©curitĂ© ! Nous avons le devoir de travailler au changement de mentalitĂ© de certains hommes issus de sociĂ©tĂ©s patriarcales ! Enfin, la mise en avant de revendications communautaires constitue un obstacle Ă  l’exercice d’une citoyennetĂ© pleine et entiĂšre Ă  laquelle toutes les femmes ont droit les droits et devoirs ne constituent-ils pas les deux conditions de l’épanouissement citoyen ? Un consensus fort doit nous rassembler autour de principes inaliĂ©nables tels que la libertĂ© d’opinion, la libertĂ© de croire ou de ne pas croire, la possibilitĂ© de se convertir Ă  une religion et de la renier, l’égale dignitĂ© des ĂȘtres humains, le droit des garçons et des filles Ă  l’instruction. C’est ainsi que la nation, selon la formule de Renan, demeurera un plĂ©biscite de tous les jours pour une communautĂ© de destins. » M. Patrice Billaud, vice-prĂ©sident du Grand orient de France. Au nom du grand maĂźtre du Grand orient de France GODF Pierre Lambicchi, qui vous prie de bien vouloir excuser son absence en raison d’un dĂ©placement dans les DOM-TOM, je vous remercie pour votre invitation. Les 50 000 francs-maçons du GODF, comme nombre de leurs concitoyens, attachent une importance essentielle Ă  la laĂŻcitĂ© qui, depuis plus d’un siĂšcle, constitue le socle de notre RĂ©publique humaniste et la garantie du vivre ensemble d’une sociĂ©tĂ© française multiculturelle et multiconfessionnelle. Ils attachent Ă©galement une trĂšs grande importance au respect de la dignitĂ© de la personne et de ses droits essentiels. Notre amour de la laĂŻcitĂ© n’est en rien l’avers d’une hostilitĂ© Ă  quelque religion ou croyance que ce soit, bien au contraire. MĂȘme si nous assumons pleinement leur hĂ©ritage, il n’est pas non plus le signe d’une pseudo-nostalgie des hussards noirs de la TroisiĂšme RĂ©publique. C’est justement parce que nous sommes attachĂ©s Ă  la libertĂ© absolue de conscience et Ă  la libertĂ© de culte que nous dĂ©fendons la loi de 1905 sur la sĂ©paration des Ă©glises et de l’État comme clĂ© de voĂ»te de la relation institutionnelle entre ces deux entitĂ©s mais aussi garantie de la paix religieuse et cadre de l’ordre public rĂ©publicain en matiĂšre de libertĂ© de conscience et d’expression de cette libertĂ© dans l’espace public. La laĂŻcitĂ© n’est pas le monopole de la civilisation occidentale chrĂ©tienne. Alors que l’on souligne constamment le danger islamique qui menace l’Europe et le monde libre, on ne dit jamais rien des intellectuels libĂ©raux musulmans qui, malgrĂ© un danger permanent dans leurs pays, se battent pour dĂ©fendre une vision ouverte et tolĂ©rante de l’islam, voire, pour promouvoir la laĂŻcitĂ©. Il ne s’agit donc en aucun cas de stigmatiser telle ou telle religion mais d’ĂȘtre fidĂšles aux principes fondamentaux qui, issus des LumiĂšres, fondent la RĂ©publique française et inspirent tous ceux qui sont attachĂ©s aux valeurs humanistes. Enfin, le GODF attache une importance essentielle aux principes de la DĂ©claration universelle des droits de l’homme qui, en son article premier, proclame que tous les ĂȘtres humains naissent et demeurent libres et Ă©gaux en dignitĂ© et en droits. Selon nous, le port du voile intĂ©gral n’est pas a priori un signe religieux qui pourrait ĂȘtre assimilĂ© Ă  la croix, Ă  la kippa ou au voile simple. Loin de constituer l’expression lĂ©gitime et normale de la pratique de l’islam, il relĂšve du salafisme le plus radical, courant religieux extrĂ©miste et intĂ©griste vĂ©hiculant une idĂ©ologie et un projet de sociĂ©tĂ© porteur de confrontations. Notre obĂ©dience tient Ă  prĂ©senter trois observations principales. Tout d’abord, le GODF estime que le voile intĂ©gral est une nĂ©gation symbolique absolue de la femme qui le porte. Il s’agit, en quelque sorte, d’une disparition totale de l’individu au bĂ©nĂ©fice de l’appartenance Ă  un groupe repliĂ© sur lui-mĂȘme. La femme est ainsi niĂ©e en tant que telle mais, Ă©galement, comme citoyenne. En outre, le caractĂšre prĂ©tendument volontaire de ce port est hautement suspect compte tenu de l’environnement oppressif, inĂ©galitaire et parfois violent moralement et/ou physiquement de ces femmes dont la libertĂ© de conscience est, Ă  tout le moins, compromise. En tout Ă©tat de cause, le risque d’aliĂ©nation inconsciente du consentement individuel est trĂšs Ă©levĂ©. Par ailleurs, le fait mĂȘme de considĂ©rer que cette attitude serait authentiquement volontaire et librement consentie ne suffirait pas Ă  justifier sa lĂ©gitimitĂ© et sa lĂ©galitĂ© rĂ©publicaines, le Conseil d’État considĂ©rant que cette pratique vestimentaire est incompatible avec les valeurs essentielles de la communautĂ© française, notamment avec le principe d’égalitĂ© des sexes. » Cette derniĂšre juridiction a, par ailleurs, rappelĂ© que le refus du voile intĂ©gral n’a ni pour objet ni pour effet de porter atteinte Ă  la libertĂ© religieuse et ne mĂ©connaĂźt nullement le principe constitutionnel de libertĂ© d’expression religieuse ou l’article 9 de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme. Ensuite, le GODF souligne que cet habit introduit une discrimination sexuelle immĂ©diate en niant l’identitĂ© et la personnalitĂ© des femmes au profit d’une domination masculine en contradiction flagrante avec le principe d’égalitĂ© rĂ©publicaine. La burqa est donc bien un instrument de soumission et de domination sexuelle inacceptable. L’égalitĂ© entre les citoyens supposant que la loi protĂšge hommes et femmes de la servitude, le port du voile constitue une intolĂ©rable rĂ©gression. Chacun sait combien il peut ĂȘtre difficile pour des femmes vivant dans des quartiers difficiles de s’émanciper d’un environnement culturel et social chargĂ© de prĂ©jugĂ©s et de visions machistes ; tolĂ©rer le port du niqab et de la burqa serait leur rendre un bien mauvais service dans ce combat pour la dignitĂ©, le respect et l’égalitĂ© des droits et des devoirs qui est le leur. Enfin, le GODF considĂšre – et c’est un Ă©lĂ©ment qui peut participer du dĂ©bat sur l’identitĂ© nationale – que le port de la burqa constitue un dĂ©fi lancĂ© Ă  la RĂ©publique, laquelle ne reconnaĂźt que des citoyens et non des communautĂ©s segmentĂ©es. Si la laĂŻcitĂ© de l’État n’est pas mise en cause en tant que telle – pour autant que cet habit ne soit pas portĂ© Ă  l’école de la RĂ©publique ou dans les autres lieux dĂ©diĂ©s au service public de l’État –, la forme humaniste de la sociĂ©tĂ© française fondĂ©e sur le respect de l’individu, la libertĂ© et l’égalitĂ©, n’en est pas moins bafouĂ©e. Dans l’espace public, la libertĂ© individuelle doit s’exprimer dans les limites culturelles de la communautĂ© nationale Ă  une pĂ©riode donnĂ©e. Pas plus qu’il ne peut nier l’égalitĂ© des droits et des devoirs, un citoyen ne peut librement consentir Ă  son aliĂ©nation. Veut-on donc vivre ensemble avec ou Ă  cĂŽtĂ© des autres ? Le GODF est donc favorable Ă  une loi prohibant le port du voile intĂ©gral dans la sphĂšre publique. En effet, outre que le dialogue et la pĂ©dagogie ne nous semblent pas adaptĂ©s aux principes du salafisme – nous savons que des groupes trĂšs organisĂ©s testent le cadre juridique rĂ©publicain et qu’ils disposent de puissants relais au sein de certains États Ă©trangers qui appliquent la charia et qui, au sein du ComitĂ© des droits de l’homme de l’ONU, cherchent rĂ©guliĂšrement Ă  faire condamner la France pour discrimination religieuse –, il existe dans notre pays une vĂ©ritable religion de la loi en tant qu’expression de la volontĂ© collective et de l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral dans une RĂ©publique normative qui est seule Ă  mĂȘme de rĂ©pondre au problĂšme que nous Ă©voquons. En tant que lĂ©gislateurs de la RĂ©publique, il vous appartient donc, Mesdames et Messieurs les dĂ©putĂ©s, de codifier une nouvelle fois le vivre ensemble de la sociĂ©tĂ© française avec ses espaces de libertĂ© et ses interdits c’est ainsi que nous rappellerons combien notre choix en faveur d’une sociĂ©tĂ© humaniste n’est pas nĂ©gociable. M. Christian Bataille. Les propos qui viennent d’ĂȘtre tenus me rĂ©jouissent et je gage que nombre de nos collĂšgues les partagent. Je suis heureux des fortes paroles de la GLFF qui me rappellent celles que cette obĂ©dience avait tenues lors de la tenue de la mission parlementaire prĂ©sidĂ©e par Jean-Louis DebrĂ© Ă  la diffĂ©rence des autres organisations maçonniques, elle avait, en effet, pris fermement position en faveur de l’interdiction du port du voile Ă  l’école. Par ailleurs, je me rĂ©jouis que la GLF et le GODF se positionnent, cette fois-ci, clairement en faveur de la nĂ©cessitĂ© d’une loi. Ne considĂ©rez-vous pas toutefois que d’autres extrĂ©mismes religieux, qu’ils soient par exemple israĂ©lites ou chrĂ©tiens, menacent la laĂŻcitĂ© ? M. Jacques Myard. Si je m’interroge sur la position exacte de la GLF – considĂšre-t-elle que seule une prise de conscience de la communautĂ© musulmane permettra de mettre fin au port du voile intĂ©gral ? –, j’ai en revanche beaucoup apprĂ©ciĂ© les points de vue trĂšs explicites de la GLFF et du GODF. NĂ©anmoins, que rĂ©pondez-vous Ă  ceux qui prĂ©tendent qu’une loi entraĂźnerait la stigmatisation d’une partie de la population ? Est-ce un argument pour ne rien faire ou, au contraire, pour placer un certain nombre de personnes face Ă  leurs responsabilitĂ©s ? J’ajoute que j’ai eu l’occasion de rencontrer le Grand Mufti de la RĂ©publique de Syrie qui, lui, a une vision trĂšs claire de ce que doivent ĂȘtre les rĂšgles dans un pays qui se veut laĂŻc en cas de dĂ©bordements, ce sont les ministres responsables du culte en cause qui sont immĂ©diatement sanctionnĂ©s. Enfin, quelles relations le GODF entretient-il avec la Turquie et quels propos les francs-maçons autochtones tiennent-ils quant Ă  la lutte contre le fondamentalisme ? Mme DaniĂšle Hoffman-Rispal. DĂ©putĂ©e de Belleville, je ne supporte pas de voir une femme recouverte de la tĂȘte aux pieds – phĂ©nomĂšne qui d’ailleurs ne fait que croĂźtre. Toutefois, aprĂšs quatre mois d’auditions, ma religion, si j’ose dire, n’est pas faite quant Ă  l’opportunitĂ© ou non d’une loi. Contribuerait-elle vraiment Ă  rĂ©former les mentalitĂ©s ? Nous savons hĂ©las fort bien que si la loi de 2004 a interdit le port du voile Ă  l’école, nombre de jeunes filles le portent en y allant ou en la quittant. Mme BĂ©rengĂšre Poletti. Je vous remercie pour vos propos dĂ©pourvus de toute ambiguĂŻtĂ©. Comment rĂ©introduire une pensĂ©e humaniste dans nos sociĂ©tĂ©s souvent dĂ©pourvues d’une spiritualitĂ© Ă  laquelle certains aspirent, fĂ»t-ce en se fourvoyant dans des impasses extrĂ©mistes ? M. Jean-Michel Balling. En effet, Monsieur Bataille, d’autres intĂ©grismes voient le jour – qu’il suffise de songer Ă  la reconnaissance toujours plus poussĂ©e de certaines chapelles intĂ©gristes par leur maison mĂšre – si je puis employer cette expression – ou Ă  la rĂ©apparition de certains signes d’autres religions. Si la GLF, Monsieur Myard, se refuse en l’occurrence Ă  envisager une acception rĂ©pressive de la loi – laquelle serait, d’ailleurs, trĂšs difficile Ă  mettre en place –, je note qu’aprĂšs les affaires liĂ©es au voile en 2004, nous sommes, cinq ans plus tard, confrontĂ©s Ă  celles du voile intĂ©gral, des maillots de bain ou de la mixitĂ© dans les piscines. A cela s’ajoute qu’un tribunal du Nord de la France a rĂ©cemment rendu un jugement de sĂ©paration d’un couple en fonction de critĂšres relevant de la Charia – mĂȘme s’il a ensuite Ă©tĂ© cassĂ©. Au rythme de la surenchĂšre et au risque de pointer du doigt le Coran, quelle loi sera donc nĂ©cessaire dans vingt ans ? Pourquoi le dĂ©bat religieux devrait-il prendre place au cƓur de la citĂ© ? M. Jacques Myard. Nous n’y sommes pour rien ! Mme Denise Oberlin. Toutes les religions ont leurs extrĂ©mistes qui font de la tradition un carcan. Allez vous promener dans le quartier CrimĂ©e et vous verrez que d’autres signes religieux font florĂšs ! Quoi qu’il en soit, les chefs d’établissement sont bien heureux, depuis 2004, de pouvoir se retrancher derriĂšre une loi. J’ajoute que ce sont les musulmanes modĂ©rĂ©es qui risquent de souffrir d’un amalgame alors qu’elles veulent seulement vivre en citoyennes libres. Par ailleurs, c’est Ă  l’État de faire respecter le principe de laĂŻcitĂ© ainsi que son application si la loi donne des droits, elle exige Ă©galement des devoirs. Enfin, je reprĂ©sente 13 000 franc-maçonnes françaises et Ă©trangĂšres. Parce que la spiritualitĂ© – laquelle n’est pas rĂ©ductible Ă  son versant religieux – de la franc-maçonnerie et le respect absolu de la libertĂ© de conscience constituent prĂ©cisĂ©ment un chemin de vie Ă©mancipateur, je considĂšre que nous devons initier encore plus de musulmanes. M. Patrice Billaud. S’il est Ă©vident que d’autres extrĂ©mismes religieux existent bel et bien, la situation de notre pays a considĂ©rablement changĂ© depuis la loi de 1905, notamment en raison de la prĂ©sence de l’islam. Je ne mĂ©connais pas, non plus, la prĂ©sence de certaines sectes au sein de notre RĂ©publique qui rendent parfois difficile une claire distinction d’avec les religions. Quoi qu’il en soit, nous sommes dĂ©terminĂ©s Ă  nous battre contre toute forme de fondamentalisme religieux qui menacerait la laĂŻcitĂ©. En outre, s’il faut tenir compte du risque de stigmatisation d’une partie de la population, les principes de vivre ensemble que nous nous sommes donnĂ©s n’en importent pas moins ce corpus de rĂšgles doit en effet s’appliquer Ă  tous. Par ailleurs, nous avons des relations trĂšs amicales avec nos frĂšres et sƓurs des obĂ©diences libĂ©rales et a-dogmatiques de Turquie qui Ɠuvrent Ă  la promotion de la laĂŻcitĂ©. Nous le savons, ils sont de plus en plus confrontĂ©s Ă  l’intĂ©grisme musulman le port du voile augmente, de mĂȘme que les actions politiques visant Ă  dĂ©tricoter l’édifice laĂŻque et rĂ©publicain. S’il ne faut rien lĂącher en la matiĂšre, ce n’est pas en raison de je ne sais quelle idĂ©ologie laĂŻciste mais parce que le principe de laĂŻcitĂ© est fondamental ici comme ailleurs. Une loi, quant Ă  elle, nous semblerait appropriĂ©e une application nationale Ă©viterait de focaliser l’attention sur telle ou telle municipalitĂ© ou tel ou tel quartier. Mais elle devrait s’accompagner d’une pĂ©dagogie citoyenne afin que nul ne se sente stigmatisĂ© et qu’aucune femme ne soit abandonnĂ©e. En outre, la rĂ©currence de notre dĂ©bat tĂ©moigne de ce que nous n’avons pas Ă©tĂ© au bout des prĂ©conisations de la commission prĂ©sidĂ©e par Bernard Stasi. Nombre de mesures hautement symboliques et spirituelles figuraient dans son rapport permettant d’intĂ©grer tous les membres de la communautĂ© nationale et de reconnaĂźtre Ă  nos compatriotes musulmans le droit de pratiquer leur religion dans des conditions normales et acceptables. Y revenir aiderait Ă  replacer le problĂšme soulevĂ© par la burqa dans un cadre beaucoup plus gĂ©nĂ©ral et essentiel pour notre pacte rĂ©publicain. Enfin, comme en tĂ©moigne le groupe de travail Religion et sociĂ©tĂ© » qui vient d’ĂȘtre mis en place par le Haut conseil Ă  l’intĂ©gration auquel nous participons avec la GLFF, les valeurs humanistes qui fondent la RĂ©publique que nous aimons constituent une vĂ©ritable spiritualitĂ© laĂŻque. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. De cette mission doivent, selon moi, rĂ©sulter un certain nombre de prĂ©conisations. N’hĂ©sitez donc pas Ă  nous transmettre des prĂ©cisions sur le type de loi que vous souhaiteriez Ă©ventuellement voir adopter sachant que le voile intĂ©gral est, en quelque sorte, l’arbre qui cache la forĂȘt et que nous devons nous atteler plus gĂ©nĂ©ralement au problĂšme de la mise en cause du bien commun au sein mĂȘme de l’espace public. J’ajoute, Ă  propos des diffĂ©rents intĂ©grismes qui ont Ă©tĂ© Ă©voquĂ©s, que nous parlons, en l’occurrence, de la deuxiĂšme religion de France si nous devons mener un combat politique contre les idĂ©ologies barbares, les responsables du culte musulman doivent, quant Ă  eux, se saisir particuliĂšrement et publiquement de la question de la place de l’islam dans la RĂ©publique française, du respect de la laĂŻcitĂ© et de la lutte contre le fondamentalisme. C’est Ă  un vĂ©ritable enjeu de civilisation auquel nous sommes confrontĂ©s si nous voulons poursuivre l’Ɠuvre rĂ©publicaine d’émancipation. M. Jacques Myard. Ne croyez-vous pas que nous avons trop longtemps fait preuve de laxisme en considĂ©rant que la notion de laĂŻcitĂ© Ă©tait dĂ©finitivement acquise ? M. Jean-Michel Balling. J’ai eu l’occasion de mettre en avant la notion de devoir de l’homme » et vos propos, Monsieur le prĂ©sident, s’agissant en particulier des diffĂ©rentes institutions religieuses en relĂšvent. C’est ainsi que nous garderons l’idĂ©al de fraternitĂ© humaine Ă  l’horizon de notre conception du vivre ensemble. Par ailleurs, je considĂšre en effet que nous avons sans doute Ă©tĂ© un peu trop laxistes. Mme Denise Oberlin. La GLFF ne manquera pas de vous faire part de ses propositions. Je ne porterai pas de jugement sur ce que les parlementaires ont fait ou non, mais il est vrai que la laĂŻcitĂ© est aujourd’hui en danger et que nous devons rester vigilants pour faire respecter les droits de l’homme et du citoyen. M. Patrice Billaud. Les propos de Monsieur Myard me rĂ©jouissent car nous portons une responsabilitĂ© collective dans la situation que nous connaissons – le GODF s’est d’ailleurs Ă©mu Ă  plusieurs reprises de certains accommodements dont nous voyons aujourd’hui les rĂ©sultats. De surcroĂźt, le voile intĂ©gral est symptomatique d’un enjeu autrement plus vaste c’est ce dernier qui devrait ĂȘtre visĂ© dans le cadre d’une Ă©ventuelle loi qui, outre des dispositions prĂ©cises, dĂ©finirait le vivre ensemble dont nous avons besoin dans la sociĂ©tĂ© française d’aujourd’hui. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Je vous remercie. Audition de Mme Anne Levade, professeur de droit public Ă  l’UniversitĂ© Paris XII SĂ©ance du mercredi 18 novembre 2009 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. AprĂšs avoir entendu M. RĂ©mi Schwartz, conseiller d’État, et M. Denys de BĂ©chillon, professeur de droit public, nous poursuivons nos travaux avec l’audition de Mme Anne Levade, professeur de droit public Ă  l’UniversitĂ© de Paris XII et directrice du Centre de recherches communautaires dans cette universitĂ©. Nous partageons tous le souci d’apporter la rĂ©ponse la plus adaptĂ©e aux problĂšmes posĂ©s par la pratique du port du voile intĂ©gral. Cette rĂ©ponse doit Ă  l’évidence revĂȘtir un caractĂšre politique, dans la mesure oĂč cette pratique met en cause les fondements du pacte rĂ©publicain et oĂč le combat Ă  mener porte sur des valeurs aussi essentielles que la dignitĂ© de la femme et l’égalitĂ© des sexes. Mais la rĂ©affirmation de ces valeurs demeurerait vaine et notre riposte serait sans effet si, dans notre dĂ©marche, nous ne prenions pas en considĂ©ration les exigences – et parfois les contraintes – de l’État de droit. Or, qu’il s’agisse d’une loi ou d’une disposition rĂ©glementaire, une mesure d’interdiction peut soulever des difficultĂ©s tant au regard du droit français qu’au regard du droit europĂ©en. Sur quels fondements les pouvoirs publics pourraient-ils prendre une mesure d’interdiction ? Pourraient-ils se fonder sur la notion de dignitĂ© de la personne humaine, comme composante de l’ordre public, ou sur le respect de la laĂŻcitĂ© ? Faudrait-il prĂ©ciser des circonstances de temps et de lieu ou bien Ă©dicter une interdiction gĂ©nĂ©rale ? À quelles conditions une mesure d’interdiction serait-elle compatible avec la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, dont on nous dit qu’elle pourrait rĂ©duire la marge de manƓuvre du lĂ©gislateur ? Mme Anne Levade, professeur de droit public Ă  l’UniversitĂ© Paris XII. Permettez-moi tout d’abord de vous remercier de l’honneur que vous me faites en me recevant. L’honneur est grand, mais il est aussi redoutable, compte tenu de l’objet de votre mission bien sĂ»r, mais aussi de l’utilitĂ© que doit avoir mon audition. La question Ă©tant complexe, il me semble de bonne mĂ©thode, le temps m’étant comptĂ©, de procĂ©der par affirmations simples, au risque parfois de simplifier, sachant que vos questions me permettront d’apporter des prĂ©cisions et, le cas Ă©chĂ©ant, des clarifications. Par ailleurs, n’étant ni la seule, ni la premiĂšre personne auditionnĂ©e en qualitĂ© de juriste et souscrivant largement aux propos tenus, avant moi, par M. RĂ©mi Schwartz et par le Professeur Denys de BĂ©chillon, je ferai le choix de ne pas rĂ©pĂ©ter des arguments dĂ©jĂ  dĂ©veloppĂ©s, pour m’interroger sur la faisabilitĂ© juridique d’un encadrement – quels que soient sa forme et son contenu – de la pratique du port du voile intĂ©gral. Je rappellerai donc briĂšvement l’état du droit pour, ensuite, cerner la problĂ©matique et, enfin, vous exposer les pistes possibles. L’état du droit est, de mon point de vue, matĂ©riellement parcellaire, formellement hĂ©tĂ©rogĂšne, mais substantiellement cohĂ©rent. MatĂ©riellement parcellaire, d’abord. Les solutions juridiques qui ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© apportĂ©es sont de trois types. Certaines concernent prĂ©cisĂ©ment le port du voile intĂ©gral. En juin 2008, le Conseil d’État a confirmĂ© le refus de la nationalitĂ© française Ă  une Marocaine portant un voile intĂ©gral. Il est important de constater que ce n’est pas le port du voile intĂ©gral qui a motivĂ© sa dĂ©cision, mais le mode de vie adoptĂ© par l’intĂ©ressĂ©e. Les conclusions du commissaire du Gouvernement sont sur ce point Ă©clairantes. En septembre 2008, la Haute autoritĂ© de lutte contre les discriminations et pour l’égalitĂ© HALDE, adoptant une position qui n’est pas trĂšs Ă©loignĂ©e d’un jugement de valeur, a estimĂ© que la burqa porte une signification de soumission de la femme qui dĂ©passe sa portĂ©e religieuse et pourrait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme portant atteinte aux valeurs rĂ©publicaines ». Une telle formulation peut ĂȘtre rapprochĂ©e de celle retenue par la Cour europĂ©enne des droits de l’homme dans un arrĂȘt rendu en 2001 et trĂšs critiquĂ© Ă  l’époque dans une affaire mettant en cause une enseignante portant le foulard, la Cour avait jugĂ© utile d’indiquer que le port du foulard Ă©tait un signe extĂ©rieur fort », imposĂ© aux femmes par un prĂ©cepte religieux difficilement conciliable avec le principe d’égalitĂ© des sexes ». On peut Ă©voquer aussi certaines rĂ©ponses ministĂ©rielles apportĂ©es Ă  des parlementaires. Le garde des Sceaux avait ainsi indiquĂ© en 2003 que, pour s’assurer du consentement des Ă©poux au mariage, le visage devait impĂ©rativement ĂȘtre dĂ©couvert. Au-delĂ  de ces quelques cas, on peut considĂ©rer, afin d’élargir le champ des solutions juridiques Ă©ventuellement pertinentes, que le voile intĂ©gral s’apparente au port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse » – expression de la loi de 2004 –, mais aussi Ă  un acte motivĂ© ou inspirĂ© par une religion ou une conviction religieuse », formule issue de la jurisprudence de la Cour europĂ©enne des droits de l’homme. S’agissant du port de signes et de tenues manifestant une appartenance religieuse », les solutions sont connues. On songe en premier lieu, dans la sphĂšre particuliĂšre des services publics, Ă  la loi de 2004 sur l’enseignement public, aux jurisprudences relatives Ă  l’hĂŽpital public, ainsi qu’à l’interdiction gĂ©nĂ©rale faite aux fonctionnaires et agents publics de manifester leurs convictions religieuses dans l’exercice de leurs fonctions. Participe Ă©videmment de cette logique la Charte de la laĂŻcitĂ© dans les services publics du 13 avril 2007. En deuxiĂšme lieu, on songe aux cas oĂč l’identification des personnes est requise, ce qui peut imposer que l’on n’y fasse pas obstacle. Enfin, essentiellement en raison de contraintes liĂ©es Ă  la sĂ©curitĂ© ou l’hygiĂšne, des entreprises privĂ©es peuvent faire peser sur leurs employĂ©s des contraintes de type vestimentaire. Quant aux actes motivĂ©s ou inspirĂ©s par une conviction religieuse », ils ont fait l’objet de solutions jurisprudentielles. Je citerai la dĂ©cision que le Conseil constitutionnel a rendue en 2001, selon laquelle un praticien hospitalier peut, au nom de ses convictions personnelles, refuser de pratiquer une interruption volontaire de grossesse. Les dĂ©cisions du Conseil constitutionnel relatives Ă  la libertĂ© de conscience sont suffisamment peu nombreuses pour que je la mentionne. On le voit dans tous les cas, les convictions religieuses sont prises en considĂ©ration et peuvent, quelle que soit leur manifestation, ĂȘtre encadrĂ©es. En deuxiĂšme lieu, l’état du droit est, formellement, hĂ©tĂ©rogĂšne. Les solutions juridiques que je viens de mentionner sont trĂšs exceptionnellement lĂ©gislatives – la loi de 2004 demeure isolĂ©e – et trĂšs largement jurisprudentielles. Parfois enfin, elles sont portĂ©es par des instruments de nature trĂšs variĂ©e et juridiquement non contraignants, tels que recommandations, codes de bonne conduite ou chartes. Le fait qu’il s’agisse principalement d’un droit jurisprudentiel n’est guĂšre surprenant, mais il a son importance car le juge, Ă  l’exception du juge constitutionnel, statue en prenant en considĂ©ration la situation particuliĂšre qui lui est soumise – ce qui explique que certaines jurisprudences puissent paraĂźtre contradictoires. Que l’état du droit soit matĂ©riellement parcellaire et formellement hĂ©tĂ©rogĂšne n’empĂȘche pas qu’il soit, en troisiĂšme lieu, substantiellement cohĂ©rent. D’une part, entendu comme un acte motivĂ© par une conviction religieuse, le port d’un signe religieux distinctif – et donc, notamment, le port d’un voile intĂ©gral – est la mise en Ɠuvre du principe constitutionnel Ă©noncĂ© Ă  l’article 10 de la DĂ©claration des droits de l’homme et du citoyen, aux termes duquel Nul ne doit ĂȘtre inquiĂ©tĂ© pour ses opinions, mĂȘme religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public Ă©tabli par la loi ». D’autre part, parce que l’exercice des libertĂ©s peut ĂȘtre encadrĂ©, le droit peut intervenir pour fixer des limites, lesquelles doivent toujours ĂȘtre justifiĂ©es et rĂ©pondre aux impĂ©ratifs de nĂ©cessitĂ© et de proportionnalitĂ© – examinĂ©s dans cet ordre. L’état du droit est assez comparable Ă  l’étranger. On ne saurait Ă©videmment faire abstraction de l’histoire et des traditions de chaque État, notamment dans les rapports avec la religion. Il n’en demeure pas moins que tous les États ont, pour l’instant, rĂ©solu leurs difficultĂ©s par des textes ponctuels et des solutions jurisprudentielles. Ils n’ont pas de texte unique sur la question des signes religieux, en particulier sur le voile intĂ©gral, mais tous s’interrogent sur l’opportunitĂ© de lĂ©gifĂ©rer. J’en arrive, dans ce contexte, aux termes de la problĂ©matique. S’interroger sur la faisabilitĂ© juridique de l’encadrement du port du voile intĂ©gral impose de se poser trois questions, concernant respectivement la notion d’espace public, la pratique visĂ©e et les principes en cause. Tout d’abord, votre mission porte sur la pratique du port du voile intĂ©gral sur le territoire national », autrement dit dans l’espace public ». Cette expression, qui a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© utilisĂ©e Ă  plusieurs reprises par d’autres personnes auditionnĂ©es, n’est pas une notion juridique, mais si le juriste doit s’en saisir, il doit essayer de dĂ©terminer de quoi il s’agit. Pour cela, on peut procĂ©der par Ă©tapes. Le juriste a l’habitude de raisonner en termes de sphĂšre publique et de sphĂšre privĂ©e, mĂȘme s’il ne les distingue pas forcĂ©ment de maniĂšre trĂšs claire – parce qu’elles ne sont pas toujours faciles Ă  distinguer. La vie privĂ©e – prioritairement Ă  l’intĂ©rieur du domicile, de l’espace clos – est distinguĂ©e de la vie publique, quel que soit son contexte. Mais un signe religieux distinctif, tel que le voile intĂ©gral, qui est une maniĂšre de manifester sa conviction, peut ĂȘtre portĂ© aussi bien chez soi que dans la sphĂšre publique ; ce n’est donc pas lĂ  que l’on peut trouver une dĂ©finition de l’espace public. On peut alors imaginer opposer l’espace public Ă  ce que serait l’espace privĂ©. Il serait donc d’abord un espace physique, n’appartenant Ă  personne en particulier, par opposition Ă  l’espace privĂ© car privatisĂ©, Ă  commencer par le domicile. Ainsi entendu, il serait par nature un espace partagĂ©, Ă  l’usage de tous. Dans une vision juridicisĂ©e » de cet espace partagĂ©, on peut entendre l’espace public comme Ă©tant, par nature, un espace de libertĂ©, soumis Ă  l’article 4 de la DĂ©claration de 1789, selon laquelle cette libertĂ© consiste Ă  pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas Ă  autrui ». Cette libertĂ© n’aurait pour bornes, dans cet espace, que celles qui assurent aux autres membres de la sociĂ©tĂ© la jouissance des mĂȘmes droits », ces bornes ne pouvant ĂȘtre fixĂ©es que par la loi – selon les termes de la DĂ©claration – ou plus gĂ©nĂ©ralement par le droit. L’espace public n’échappe donc pas au droit, mais le droit y a pour objet de permettre Ă  chacun de jouir Ă©galement des mĂȘmes libertĂ©s. Ce raisonnement permet de justifier la distinction faite, en droit français, entre d’une part l’espace public dĂ©diĂ© Ă  la libertĂ© de circuler, dont l’encadrement juridique se limite aux exigences de sĂ©curitĂ©, et d’autre part, l’espace public affectĂ© Ă  une mission de service public, dans lequel on peut Ă©videmment admettre l’existence de rĂšgles destinĂ©es Ă  permettre l’exercice de ladite mission. DeuxiĂšme Ă©lĂ©ment la pratique visĂ©e. LĂ  encore, le juriste est de prime abord un peu dĂ©muni, la pratique du port du voile intĂ©gral n’ayant Ă©videmment pas vocation Ă  avoir une dĂ©finition juridique. On doit donc essayer de savoir comment il peut l’apprĂ©hender. De nouveau, je procĂ©derai en trois temps. PremiĂšrement, la pratique du port du voile intĂ©gral ne peut pas donner lieu Ă  un exercice de qualification juridique si l’on peut Ă©ventuellement dĂ©battre du caractĂšre intĂ©gral de tel vĂȘtement, le port du voile et sa pratique sont des Ă©lĂ©ments objectifs, non susceptibles d’ĂȘtre dĂ©battus. DeuxiĂšmement, la pratique du port du voile doit ĂȘtre juridiquement apprĂ©hendĂ©e. Autrement dit, le juriste ne peut pas tout faire ; en tout cas, il doit aborder cette pratique avec objectivitĂ©. C’est pourquoi je suis en dĂ©saccord avec ce qu’ont pu dire la HALDE ou la Cour europĂ©enne des droits de l’homme CEDH en 2001. D’abord, le droit n’est pas le lieu de dĂ©battre de la question de savoir si la religion musulmane, ou une religion quelconque, impose ou non le port de telle tenue ou de tel signe d’appartenance. Il n’a pas davantage vocation Ă  apprĂ©cier le bien-fondĂ© d’une obligation religieuse ; Ă  cet Ă©gard, je partage la position du juge Tulkens, l’un des critiques les plus Ăąpres de l’arrĂȘt de la CEDH le rĂŽle du droit n’est pas de porter une apprĂ©ciation, positive ou nĂ©gative, sur une religion ou une pratique religieuse, pas plus que d’interprĂ©ter les raisons pour lesquelles une religion impose telle ou telle obligation, notamment vestimentaire. En revanche, parce que le port du voile intĂ©gral, ou de tout autre signe ou tenue, est une maniĂšre d’exercer sa libertĂ© de manifester sa religion, le droit peut dĂ©terminer les conditions dans lesquelles cette libertĂ© peut ĂȘtre exercĂ©e. TroisiĂšmement, il faut se demander si l’on peut apprĂ©hender le voile intĂ©gral isolĂ©ment ou s’il faut l’aborder comme une forme de la manifestation d’une appartenance religieuse par la voie vestimentaire. La question est d’importance car elle pose le problĂšme du caractĂšre discriminatoire d’un texte, ou d’une rĂšgle juridique, qui serait appliquĂ© au seul voile intĂ©gral ; j’aurai l’occasion d’y revenir. TroisiĂšme Ă©lĂ©ment de la problĂ©matique les principes en cause. D’un cĂŽtĂ©, celles qui pratiquent le port du voile peuvent invoquer la libertĂ© de religion, entendue dans sa double dimension de libertĂ© de conviction et de libertĂ© de manifester sa religion. Si une interdiction ou une limitation ferme du port du voile intĂ©gral devaient ĂȘtre envisagĂ©es, pourraient aussi ĂȘtre invoquĂ©s la libertĂ© d’aller et venir et le principe d’égalitĂ©. De l’autre cĂŽtĂ©, l’exercice d’une libertĂ© constitutionnelle ne pouvant ĂȘtre limitĂ© qu’en invoquant des principes eux-mĂȘmes constitutionnels, les principes qui seraient susceptibles de fonder une interdiction ou une rĂ©glementation sont au nombre de trois – et de trois seulement le principe de laĂŻcitĂ©, le principe de sauvegarde de la dignitĂ© de la personne humaine et l’objectif de protection de l’ordre public. J’écarte le principe de non-discrimination car il n’est pas imaginable, sur le fondement du seul principe d’égalitĂ© entre les hommes et les femmes, d’interdire le port du voile intĂ©gral, sauf Ă  dĂ©montrer juridiquement que celui-ci a une spĂ©cificitĂ© telle qu’il doit ĂȘtre traitĂ© diffĂ©remment de tous les autres signes d’appartenance religieuse. Ces trois principes sont-ils opĂ©rants ? Le port du voile intĂ©gral dans l’espace public n’est pas une atteinte au principe de laĂŻcitĂ©. Non seulement ce principe s’impose seulement Ă  l’État, et non aux personnes privĂ©es, mais la laĂŻcitĂ© de l’État se justifie par le respect de la libertĂ© de conscience des personnes privĂ©es – et on pourrait donc mĂȘme considĂ©rer que le principe de laĂŻcitĂ© implique d’autoriser les manifestations de cette libertĂ©. De ce point de vue, on ne peut nier la spĂ©cificitĂ©, d’une part, du service public, et d’autre part, des obligations qui, dans certaines hypothĂšses, peuvent ĂȘtre imposĂ©es aux usagers de certains services publics, en particulier l’enseignement public. La question est plus dĂ©licate pour le principe de dignitĂ©, consacrĂ© par le Conseil constitutionnel dans une formulation qui montre sa spĂ©cificitĂ© – principe de sauvegarde de la dignitĂ© de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dĂ©gradation ». C’est un principe de droit objectif et, de ce fait, auquel on ne peut dĂ©roger ; autrement dit, il n’y a pas de petites et de grandes atteintes Ă  la dignitĂ©, il n’y a pas des atteintes acceptables et d’autres qui ne le seraient pas. Toute atteinte au principe de dignitĂ© est, par nature, inacceptable et doit donc conduire Ă  une prohibition. Cela vaut non seulement dans l’espace public, mais aussi dans l’espace privĂ©. Par consĂ©quent, si l’on dĂ©cidait d’invoquer le principe de dignitĂ©, la seule solution serait l’interdiction gĂ©nĂ©rale et absolue en toutes circonstances. Cela n’irait pas sans difficultĂ© car il faudrait parvenir Ă  dĂ©montrer, alors que la libertĂ© est le propre de l’homme, que l’exercice d’une libertĂ© conduit Ă  la nĂ©gation de sa dignitĂ©. Ce dĂ©bat me paraĂźt dangereux, et c’est pourquoi ce fondement ne me semble pas le plus pertinent. Il est plus simple d’aborder les choses sous l’angle de la protection de l’ordre public – Ă  condition de convenir que l’ordre public, Ă  l’inverse du principe de dignitĂ©, prĂ©sente la particularitĂ© d’ĂȘtre nĂ©cessairement apprĂ©ciĂ© en fonction des circonstances. Il ne fait aucun doute que sa protection peut justifier la limitation ou l’encadrement des libertĂ©s. De mĂȘme, l’ordre public peut conduire Ă  exiger d’une personne qu’elle fasse la preuve de son identitĂ©. On ne peut pas davantage contester que, si l’on considĂšre qu’il y a menace, l’ordre public peut justifier que certains signes ou certaines tenues soient, momentanĂ©ment et dans certains lieux, prohibĂ©s. Mais j’y insiste, l’ordre public ne peut pas, de maniĂšre gĂ©nĂ©rale et Ă  l’échelle de l’ensemble du territoire, conduire Ă  une prohibition, sauf Ă  considĂ©rer qu’il y aurait une menace permanente liĂ©e, en l’espĂšce, Ă  une manifestation de la libertĂ© de religion. Les obstacles juridiques Ă  l’interdiction ou Ă  l’encadrement de la pratique du port du voile intĂ©gral sont donc sĂ©rieux. Cela ne signifie pas que l’on ne peut rien faire, et c’est pourquoi j’en viens, pour la troisiĂšme et derniĂšre partie de mon intervention, aux pistes possibles. Il ne s’agit Ă©videmment pas pour moi d’envisager ce que pourraient ĂȘtre vos prĂ©conisations ; mon but est de cerner ce qui est juridiquement faisable. Tout d’abord, quels sont les instruments juridiques disponibles ? Votre mission est le premier. La rĂ©solution en est un autre, qui me paraĂźt utile et important. Cet instrument nouveau permet une prise de position politique et symbolique. Bien sĂ»r, il n’exclut pas la solution normative, mais la rĂ©solution et la loi devraient, Ă  mon sens, avoir chacune un objet diffĂ©rent la loi n’est pas, ou de moins en moins, le lieu du symbole, alors que la rĂ©solution peut en ĂȘtre le lieu privilĂ©giĂ©. S’agissant de la voie normative, il faut s’interroger sur ce que peut la loi. La pratique du port du voile intĂ©gral s’inscrivant dans le cadre du droit des libertĂ©s, la loi pourrait avoir pour objet de consacrer, de prohiber ou d’encadrer l’exercice de cette libertĂ©. J’écarte la question de la consĂ©cration qui, face Ă  des principes de valeur constitutionnelle, ne se pose pas. Du point de vue juridique, la prohibition prĂ©sente les mĂȘmes contraintes et les mĂȘmes exigences que l’encadrement – qui consiste en des limitations –, si ce n’est que le contexte juridique doit ĂȘtre encore plus affirmĂ©. Que l’on prohibe ou que l’on limite, il faut nĂ©cessairement dĂ©montrer que le cadre juridique retenu rĂ©pond Ă  une nĂ©cessitĂ©, et qu’il est proportionnĂ©. Bien sĂ»r, en cas de prohibition, la question de la proportionnalitĂ© se pose avec encore plus d’acuitĂ©, a fortiori si l’ensemble du territoire est visĂ©. Une fois la dĂ©cision prise de prohiber ou d’encadrer, il faut dĂ©terminer la pratique susceptible d’en faire l’objet. En 2004, en se prononçant sur ce que l’on avait pris l’habitude d’appeler le foulard islamique, le lĂ©gislateur avait jugĂ© utile d’élargir le champ d’application de la loi en visant, Ă  juste titre, le port des signes et tenues manifestant une appartenance religieuse. Le principe d’égalitĂ© Ă©tait, en effet, en cause. Si l’on veut viser un signe spĂ©cifique, il faut arriver Ă  dĂ©montrer qu’il l’est suffisamment pour justifier un encadrement juridique particulier. J’insiste sur ce point, important en droit français mais aussi en droit europĂ©en la Cour europĂ©enne des droits de l’homme a l’habitude d’examiner de maniĂšre combinĂ©e la violation d’un droit – en l’occurrence, ce serait la libertĂ© de religion – et le principe de non-discrimination ; le risque juridique est donc avĂ©rĂ©. Pour conclure, ni la laĂŻcitĂ©, ni la dignitĂ©, ni l’ordre public ne peuvent, en l’état, justifier une interdiction gĂ©nĂ©rale et absolue visant spĂ©cifiquement le port du voile intĂ©gral. Ils ne justifient pas davantage une interdiction Ă©tendue Ă  l’ensemble des signes ou tenues manifestant une appartenance religieuse, une extension du champ d’application du texte afin qu’il ne revĂȘte pas un caractĂšre discriminatoire posant naturellement d’autres difficultĂ©s. Par ailleurs, pour les raisons que j’ai indiquĂ©es, le principe de dignitĂ© ne me paraĂźt pas susceptible de fonder des limitations. La dignitĂ© ne se met pas en Ɠuvre, elle est un fait ; par consĂ©quent, on ne peut pas encadrer une pratique en se fondant sur ce principe. Cela dit, laĂŻcitĂ© et ordre public peuvent ponctuellement fonder des interdictions ou des limitations, Ă  condition d’ĂȘtre justifiĂ©es au regard de la nĂ©cessitĂ© et de la proportionnalitĂ©. Ainsi, il serait possible d’envisager un texte visant, d’une part, Ă  faire une synthĂšse des solutions qui sont actuellement matĂ©riellement Ă©parses et formellement hĂ©tĂ©rogĂšnes, et d’autre part, Ă  proposer des solutions aux questions nouvelles qui n’ont pas encore Ă©tĂ© tranchĂ©es – faute pour le juge d’avoir Ă©tĂ© saisi ou pour d’autres autoritĂ©s d’avoir eu l’occasion de se prononcer. La voie est sans doute Ă©troite, mais elle ne me semble pas impraticable, et je suggĂšre au lĂ©gislateur d’explorer la combinaison des diffĂ©rents instruments Ă  sa disposition – rapport de la mission, rĂ©solutions, lois Ă©ventuelles. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Merci. Nous en arrivons aux questions. M. Éric Raoult, rapporteur. Madame le professeur, avez-vous suivi le dĂ©bat de 2004 ? Quelles analogies constatez-vous avec le dĂ©bat actuel ? Pensez-vous qu’une rĂ©solution » puisse ĂȘtre suffisamment Ă©vocatrice pour la population ? M. Jean Glavany. Merci, Madame, pour votre Ă©clairage juridique approfondi. En Ă©voquant nos principes de droit, vous n’avez pas rappelĂ© que le droit français a Ă©dictĂ© des normes visant Ă  combattre certaines idĂ©ologies, comme le racisme et l’antisĂ©mitisme. Or notre civilisation combat ouvertement les deux idĂ©ologies, talibane et salafiste, qui encouragent la pratique du port du voile intĂ©gral. Cela peut ĂȘtre une piste juridique. En ce qui concerne la laĂŻcitĂ©, je suis assez d’accord avec vous c’est un principe qu’il est difficile d’invoquer. Sur l’ordre public, je ne me sens pas loin de vous non plus. Comme certains pays de l’Union europĂ©enne commencent Ă  le faire, on peut considĂ©rer que l’ordre public impose que l’on puisse tĂ©moigner de son identitĂ© Ă  tout moment sur le territoire national ; cependant les lois actuelles sont suffisantes, en cas de contrĂŽle d’identitĂ©, pour obliger les femmes portant une burqa ou un niqab Ă  se dĂ©couvrir. On risque donc, en s’engageant dans cette voie, de prendre une mesure disproportionnĂ©e. Il reste les principes de dignitĂ© et de non-discrimination. Je suis frappĂ© que la professeure agrĂ©gĂ©e que vous ĂȘtes n’ait pas du tout Ă©voquĂ© le fait que, Ă©tant imposĂ© aux seules femmes, le voile intĂ©gral crĂ©e une inĂ©galitĂ© manifeste entre les hommes et les femmes et porte atteinte Ă  la dignitĂ© de la femme dans la mesure oĂč il cache le visage, cette partie du corps qui sert Ă  l’identification, Ă  l’échange, Ă  l’expression. Que penseriez-vous de l’idĂ©e d’intĂ©grer le port du voile intĂ©gral dans le champ de la proposition de loi relative Ă  la lutte contre les violences faites aux femmes, issue du travail effectuĂ© l’an dernier par une mission parlementaire et qui semble aujourd’hui faire consensus ? M. Jacques Myard. Madame, votre exposĂ© m’a fait penser Ă  La guerre de Troie n’aura pas lieu de Giraudoux, qu’aimait citer mon maĂźtre Gilbert Guillaume. Les juristes, quand ils sont interrogĂ©s, rĂ©pondent que, selon les cas, on peut trancher d’un cĂŽtĂ© ou de l’autre. Vous n’avez pas tranchĂ© intellectuellement parlant. Je suis trĂšs surpris que vous n’ayez pas mentionnĂ© l’article 14 de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, trĂšs net sur l’égalitĂ© des sexes. Pour ma part, je ne vois d’ailleurs d’obstacle Ă  une dĂ©marche lĂ©gislative ni dans la Constitution ni dans la CEDH. Permettez-moi de vous lire un passage du courriel que m’a envoyĂ© une personne qui dĂ©fend le voile intĂ©gral. L’objectif de mon Dieu est de protĂ©ger le musulman et la musulmane contre le pĂ©chĂ© de l’adultĂšre et ses consĂ©quences. Il a commandĂ© aux deux, homme et femme, de ne pas regarder la beautĂ© de personnes de sexe opposĂ©. C’est toujours dans la philosophie de dĂ©truire la racine du pĂ©chĂ© d’adultĂšre ». Sans juger la religion de cet homme, je constate pour ma part que depuis des temps immĂ©moriaux, les femmes ont toujours Ă©tĂ© dĂ©voilĂ©es Ă  nos cĂŽtĂ©s – et j’y vois beaucoup d’avantages. Il faudra trancher, et nous prendrons nos responsabilitĂ©s. La distinction que vous avez faite entre espace public et espace privĂ© est un faux problĂšme si l’on considĂšre que le port du voile intĂ©gral est une violence faite aux femmes, une discrimination et une atteinte Ă  la dignitĂ© de la personne humaine, il n’y a plus de diffĂ©rence Ă  faire entre sphĂšre privĂ©e et sphĂšre publique. M. Pierre Cardo. Vous avez Ă©voquĂ© le principe de libertĂ©, mais notre RĂ©publique affiche aussi les principes d’égalitĂ© et de fraternitĂ©. Lorsqu’une personne apparaĂźt en portant le voile intĂ©gral, elle refuse l’un des modes d’expression des individus dans l’espace public. N’y a-t-il pas lĂ  une inĂ©galitĂ©, non de traitement, mais de comportement, sur laquelle on pourrait s’appuyer juridiquement ? Quant au principe de fraternitĂ©, qui certes a un caractĂšre subjectif, est-il respectĂ© quand certains jugent nĂ©cessaire d’imposer une protection contre tous les reprĂ©sentants du sexe masculin, susceptibles d’avoir par leur regard des pensĂ©es malsaines ? Mme Nicole Ameline. Je partage totalement la position de mes collĂšgues le port du voile intĂ©gral n’est pas une libertĂ©, mais une atteinte Ă  la libertĂ©. Il faudrait, Monsieur le prĂ©sident, que nous approfondissions notre travail au regard de la Convention des Nations Unies sur l’élimination de toutes les formes de discriminations Ă  l’égard des femmes, connue sous le nom de convention CEDAW. Il nous faut, en effet, assurer, et je vous rejoins sur ce plan, Madame, la conformitĂ© de la loi que nous pourrions adopter avec le droit europĂ©en et international ; mais cela, en nous fondant sur le fait que le port du voile intĂ©gral est une discrimination Ă  l’égard des femmes, et non en considĂ©rant que c’est la loi qui aurait un caractĂšre discriminatoire. Mme DaniĂšle Hoffman-Rispal. Comme l’a dit notre collĂšgue Glavany, le port du voile intĂ©gral est une violence faite aux femmes. En France, les juristes nous disent qu’une loi pourrait ĂȘtre jugĂ©e discriminatoire par la Cour europĂ©enne des droits de l’homme. Or en Belgique, oĂč la mission s’est rendue, un vieux rĂšglement qui permettait aux communes d’interdire le port d’un masque dans l’espace public en dehors des pĂ©riodes de carnaval a Ă©tĂ© remis Ă  l’honneur, et le port du voile est aujourd’hui prohibĂ© dans presque toutes les communes belges par des rĂšglements municipaux. Si ce rĂšglement ne pose pas de problĂšme Ă  la Cour europĂ©enne des droits de l’homme, pourquoi l’adoption d’une loi en France en poserait-elle un ? Mme Sandrine Mazetier. Parmi les outils utilisables, vous avez citĂ© la rĂ©solution, que nous avons depuis peu Ă  notre disposition, mais vous avez Ă©tĂ© trĂšs brĂšve sur le sujet. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ? Pour respecter le principe d’égalitĂ©, la proposition de loi Ă©voquĂ©e par notre collĂšgue Glavany ne devrait-elle pas inclure dans les violences faites aux femmes, outre le port du voile intĂ©gral, des pratiques telles que l’interdiction d’appartenir Ă  tel ou tel groupe ? Dans ce cas, jusqu’oĂč faudrait-il aller ? Enfin, si vous avez Ă©tĂ© trĂšs convaincante sur les limites et les contraintes de la prohibition, pouvez-vous prĂ©ciser votre pensĂ©e au sujet de l’encadrement ? M. Nicolas Perruchot. Merci, Madame, pour votre exposĂ© trĂšs complet. Les explications que vous nous avez donnĂ©es vous conduisent-elles Ă  considĂ©rer que le droit actuel est suffisant et Ă  recommander au lĂ©gislateur le statu quo juridique ? M. Pierre Forgues. Le panorama que vous avez dressĂ©, Madame le professeur, ne nous aide pas beaucoup Ă  trouver la solution. On ne peut pas y parvenir en partant comme vous le faites de la notion de libertĂ©. Le bon point de dĂ©part est le fait que le port du voile intĂ©gral est un asservissement, une discrimination, une atteinte Ă  la dignitĂ©. Mme Anne Levade. Oui, Monsieur le rapporteur, j’avais suivi les discussions sur la loi de 2004. Le parallĂšle avec le dĂ©bat d’aujourd’hui tient Ă©videmment au fait que l’on parlait du port d’un signe vestimentaire. Mais les particularitĂ©s Ă©taient de deux ordres d’abord, on visait un service public, oĂč pouvait donc s’appliquer le principe de laĂŻcitĂ© ; ensuite, il s’agissait d’un service public bien particulier, celui de l’enseignement, lequel concerne des enfants et des adolescents, dont on considĂšre qu’ils peuvent lĂ©gitimement bĂ©nĂ©ficier d’une protection renforcĂ©e. Tout en ayant la libertĂ© de conscience, ils n’ont sans doute pas la maturitĂ© suffisante pour forger leur conscience de maniĂšre totalement libre ; c’est la raison pour laquelle on considĂšre que la disparition de tout signe est conforme Ă  l’exigence de laĂŻcitĂ©, mais c’est un cas trĂšs particulier. Le milieu hospitalier est lui aussi un espace public particulier ; pour l’instant, on en est Ă  ce que les Canadiens appellent les accommodements raisonnables », c’est-Ă -dire qu’on s’arrange pour trouver des solutions. La rĂ©solution n’aura de retentissement dans l’opinion, bien Ă©videmment, que si les parlementaires se saisissent de ce nouvel instrument. Les premiĂšres utilisations seront dĂ©terminantes. Les conditions dans lesquelles une rĂ©solution sera adoptĂ©e le seront aussi je pense Ă  la prĂ©sence des parlementaires au moment du dĂ©bat, mais aussi Ă  la possibilitĂ© d’un consensus rĂ©publicain, comme ce fut le cas pour la loi de 2004 ; une rĂ©solution votĂ©e Ă  l’unanimitĂ© aurait un retentissement certain. L’intĂ©rĂȘt de la rĂ©solution me paraĂźt double. D’abord, la rĂ©solution affirme le rĂŽle politique des parlementaires – qu’on avait voulu, disons-le, effacer en 1958 – et c’est pourquoi il faut l’utiliser. Ensuite, elle permet – c’est son objet mĂȘme – de dire ce qui n’a pas vocation Ă  ĂȘtre dit par le droit, et par exemple de prendre une position exprimant un jugement de valeur, en faisant rĂ©fĂ©rence, le cas Ă©chĂ©ant, Ă  des principes rĂ©publicains. Mais une prise de position politique n’a pas nĂ©cessairement vocation Ă  produire des effets juridiques ; c’est pourquoi la norme et la rĂ©solution, j’y insiste, sont combinables vous pouvez d’une part afficher une position politique de principe, et d’autre part en tirer les consĂ©quences juridiques possibles, en tenant compte des contraintes de l’état de droit. Je n’ai pas ici Ă  prĂ©coniser, ou non, le statu quo. Je pense cependant que, de maniĂšre parcellaire et dispersĂ©e, il est possible de trouver des rĂ©ponses Ă  de nombreuses questions. On le constate Ă  chaque fois qu’un problĂšme se pose devant un juge. La loi pourrait ĂȘtre l’occasion de rappeler et de regrouper ces solutions. S’agissant des questions nouvelles qui peuvent se poser, sur le voile intĂ©gral comme sur d’autres signes d’appartenance religieuse, le lĂ©gislateur peut avoir un rĂŽle d’anticipation. Une loi, nĂ©cessairement lapidaire, qui poserait le principe d’une prohibition entraĂźnerait deux problĂšmes. Le premier est celui de ses consĂ©quences juridiques immĂ©diates comment faire pour appliquer cette prohibition de maniĂšre concrĂšte et gĂ©nĂ©rale, sur l’ensemble du territoire, dans la sphĂšre privĂ©e comme dans la sphĂšre publique ? D’autre part, cette loi apparaĂźtrait nĂ©cessairement comme ayant un caractĂšre politique, prĂ©cisĂ©ment parce que les modalitĂ©s juridiques concrĂštes de sa mise en Ɠuvre ne seraient pas immĂ©diatement visibles. J’en viens enfin Ă  trois thĂšmes rĂ©currents dans vos questions la dignitĂ©, la non-discrimination, les violences faites aux femmes. Vous me reprochez de m’ĂȘtre positionnĂ©e du point de vue de la libertĂ© de religion. Or je ne vois pas comment le juriste peut analyser le port d’un signe ou d’une tenue visant Ă  manifester une appartenance religieuse autrement que comme l’exercice d’une libertĂ© ; le droit n’est pas le lieu d’un jugement de valeur. Ensuite, on peut s’interroger sur la possibilitĂ© qu’offre le droit de protĂ©ger l’individu contre lui-mĂȘme – car c’est bien de cela qu’il s’agit. Je souscris entiĂšrement aux propos du professeur de BĂ©chillon sur le consentement. Si chacun peut, Ă  titre individuel, donner son sentiment sur tel ou tel comportement, il est extrĂȘmement difficile, voire impossible, Ă  l’auteur d’une norme juridique, et notamment au lĂ©gislateur, d’affirmer de façon gĂ©nĂ©rale que telle pratique est un asservissement ou une atteinte Ă  la dignitĂ©. Le rĂŽle du producteur de normes juridiques n’est pas de dĂ©finir la dignitĂ© humaine. D’ailleurs, la jurisprudence, notamment administrative, se fondant sur le principe de dignitĂ© est rare. M. Jean Glavany. Et la dĂ©cision du Conseil d’État sur le lancer de nains » ? Mme Anne Levade. Elle est trĂšs isolĂ©e. Et on a vu les problĂšmes que pouvait poser le principe de dignitĂ© Ă  propos des arrĂȘtĂ©s anti-mendicitĂ©. Ensuite, le lĂ©gislateur peut-il, et doit-il, dire que le port d’un signe religieux distinctif est une violence faites aux femmes ? La problĂ©matique du consentement est entiĂšre. Le droit n’utilise que dans des cas trĂšs circonstanciĂ©s l’argument de la protection de l’individu contre lui-mĂȘme car cela conduit Ă  considĂ©rer que l’individu n’est plus libre de son consentement – ce qui justifie par exemple des rĂ©gimes de protection juridique comme la curatelle ou la tutelle. ConsidĂ©rer que le port d’un signe d’appartenance religieuse implique nĂ©cessairement une situation d’asservissement, c’est admettre que l’on parle d’individus qui ne sont pas libres ; cela renvoie au dĂ©bat sur les femmes qui seraient contraintes de porter la burqa et celles dont le choix serait libre et Ă©clairĂ©. Mon seul propos est de souligner que le droit a des limites et qu’il serait risquĂ© de s’aventurer sur ce terrain. Quant au principe de non-discrimination, il est trĂšs riche, mais il faut y avoir recours avec prudence. Si je n’ai pas citĂ© l’article 14 de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, c’est que la Cour europĂ©enne des droits de l’homme ne l’utilise jamais de maniĂšre isolĂ©e. M. Jacques Myard. Elle vient de le faire. Mme Anne Levade. Sur un cas trĂšs particulier. Notamment en matiĂšre de libertĂ© de religion, elle n’utilise traditionnellement le principe de non-discrimination qu’en combinaison avec d’autres principes. Peut-on invoquer le principe de non-discrimination ? Si l’on considĂšre qu’il y a asservissement et violence faite aux femmes, on peut le combiner avec le principe d’égalitĂ©. Mais demeure l’incertitude quant Ă  la recevabilitĂ© des arguments invoquĂ©s pour mettre en Ă©vidence la spĂ©cificitĂ© du signe, s’agissant de justifier une mesure qui, si l’on invoque en outre la dignitĂ©, ne pourrait ĂȘtre qu’une interdiction gĂ©nĂ©rale et absolue. Je termine par la distinction entre prohibition et encadrement. La prohibition est l’interdiction du port d’un signe religieux distinctif de maniĂšre gĂ©nĂ©rale et absolue. La limitation est l’interdiction de cette pratique soit dans certaines circonstances, soit dans certains lieux. Les motifs de cette interdiction, qui doivent ĂȘtre bien prĂ©cisĂ©s, pourraient se fonder sur la laĂŻcitĂ© ou sur des considĂ©rations d’ordre public. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Merci beaucoup. Je ferai trois remarques. Nous n’entendons jamais parler Ă  l’occasion de nos auditions des cas avĂ©rĂ©s de femmes, d’adolescentes et mĂȘme de fillettes de moins de dix ans en situation de contrainte. Pour notre part, nous considĂ©rons que le voile intĂ©gral relĂšve d’une idĂ©ologie barbare. La question – politique – est donc de savoir si nous voulons prendre des mesures lĂ©gislatives pour combattre cette idĂ©ologie barbare. Enfin, nous voulons vraiment en finir avec les accommodements, et c’est lĂ  un message que nous voulons faire entendre. Audition de M. Benjamin Stora, historien SĂ©ance du mercredi 18 novembre 2009 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Nous avons le plaisir d'accueillir M. Benjamin Stora, professeur des universitĂ©s enseignant l'histoire du Maghreb et de la colonisation française, directeur scientifique de l'Institut Maghreb-Europe et membre du laboratoire Tiers-Monde-Afrique au CNRS. Vous avez consacrĂ© l'essentiel de votre vie de chercheur, Monsieur le professeur, Ă  l'histoire du Maghreb, en particulier de l'AlgĂ©rie, ainsi qu'Ă  la colonisation française c'est votre point de vue de connaisseur du monde arabe et de ses relations avec l'Occident qui nous intĂ©resse aujourd'hui. En effet, nous ne pouvons pas occulter l'impact de l'environnement gĂ©opolitique sur la pratique du port du voile intĂ©gral. L'Ă©tat des lieux que nous avons entrepris tend Ă  suggĂ©rer que cette pratique trouve en partie ses origines dans les bouleversements que connaĂźt le monde arabo-musulman depuis plus d'un siĂšcle et dans les relations qu'entretiennent les sociĂ©tĂ©s de part et d’autre de la MĂ©diterranĂ©e. Les Ă©ventuelles sĂ©quelles de la dĂ©colonisation peuvent-elle, selon vous, expliquer ce qui peut apparaĂźtre comme une crispation identitaire ? L’échec de l’intĂ©gration, les Ă©vĂ©nements politiques et religieux rĂ©cents ou plus anciens survenus au Maghreb, sont-ils d’autres facteurs explicatifs ? M. Benjamin Stora, historien. Permettez-moi d’apporter une prĂ©cision qui n’est pas inutile, puisqu’elle Ă©claire le point de vue depuis lequel je me place. Je suis professeur dans deux universitĂ©s, enseignant l’histoire du monde arabe Ă  l’Inalco et l’histoire du Maghreb contemporain Ă  Paris XIII-Villetaneuse, en Seine-Saint-Denis. Pour en avoir discutĂ© avec des centaines d’étudiants, pour m’ĂȘtre trouvĂ© devant des amphithéùtres oĂč Ă©taient assises une quarantaine de jeunes filles entiĂšrement voilĂ©es, je crois connaĂźtre ce problĂšme. Les rĂ©flexions que je vous livrerai ne sont donc pas seulement celles de l’historien ; elles sont aussi inspirĂ©es par mon vĂ©cu et ma pratique universitaire. En guise d’introduction, il convient de rappeler que les populations d’origine ou de culture musulmane vivant en France proviennent dans leur grande majoritĂ© du Maghreb. Les statistiques Ă©tablissent leur nombre entre cinq et huit millions. Les voiles dont il est ici question – burqa ou niqab – n’appartiennent pas Ă  la tradition du Maghreb. Dans ces pays, c’est le haĂŻk qui faisait figure de voile traditionnel jusqu’à la fin des annĂ©es 1970, de couleur blanche Ă  Alger ou noire Ă  Constantine, masquant le visage ou le jilbab, vĂȘtement qui recouvre entiĂšrement le corps. L’indĂ©pendance a Ă©tĂ© une formidable sĂ©quence d’émancipation, notamment pour les femmes qui ont participĂ© Ă  la guerre. Mais elle a placĂ© le rapport au voile dans une grande ambivalence, puisque le voile Ă©tait Ă  la fois une marque de dĂ©fi Ă  l’égard de la prĂ©sence française et une oppression dont il s’agissait de se libĂ©rer une fois l’indĂ©pendance obtenue. Dans les annĂ©es 1970, notamment en Tunisie sous l’influence d’Habib Bourguiba, ces vĂȘtements appartenant Ă  la tradition religieuse, culturelle et patriarcale avaient pratiquement disparu. Les voiles que nous connaissons aujourd’hui se sont implantĂ©s pendant les annĂ©es 1980, en rapport Ă  des Ă©vĂ©nements historiques trĂšs prĂ©cis. Cette dĂ©cennie s’ouvre avec la rĂ©volution iranienne en 1979 et se clĂŽt en 1989, qui n’est pas seulement l’annĂ©e de la chute du Mur, mais aussi celle du retrait des troupes soviĂ©tiques d’Afghanistan et de la naissance officielle du Front islamique du salut en AlgĂ©rie. Pendant cette pĂ©riode dĂ©cisive, un renversement de tendance se produit, qui permettra aux rĂ©volutions religieuses de l’emporter et ouvrira la voie Ă  de nouvelles idĂ©ologies. Les vĂȘtements afghans », portĂ©s aussi bien par les hommes que par les femmes, deviennent l’expression de cette radicalitĂ© politique. Ils sont une sorte d’armure, le signe d’appartenance Ă  des groupes en situation de guerre. Ils vont alors traverser la MĂ©diterranĂ©e pour s’installer en France 1989, c’est aussi l’affaire de Creil. Vingt ans aprĂšs, la situation est encore diffĂ©rente. Le voile est aujourd’hui la marque d’un ressourcement identitaire, ce qu’il n’était pas auparavant. Si la burqa ou le niqab n’ont pas trouvĂ© leur place au Maghreb, le hijab a progressivement envahi l’espace public et est dĂ©sormais portĂ© par prĂšs de 90 % des AlgĂ©riennes et des Marocaines. Il est souvent perçu comme un instrument d’émancipation, dans la mesure oĂč il permet aux femmes de s’approprier la rue et d’y circuler sans crainte du regard masculin. Certains groupes politiques ont instrumentalisĂ© le voile. Ils ont fait de cet accessoire, qui symbolise de maniĂšre Ă©vidente la diffĂ©rence et la sĂ©paration, une marque de dĂ©fi Ă  l’encontre des États arabes et des dĂ©mocraties europĂ©ennes. Mais dans la durĂ©e, ce dĂ©fi s’est peu Ă  peu transformĂ© en croyance le port du voile a alors Ă©tĂ© revendiquĂ© par d’autres factions comme une pratique religieuse consentie. De fait, c’est Ă  l’intĂ©rieur de l’espace religieux – l’islam est la deuxiĂšme religion de France – que le combat se livre, alors que les groupes qui ont enfourchĂ© ce cheval de bataille sont des idĂ©ologues, qui poseront ensuite la question des services publics ou de l’enseignement, et visent, au-delĂ , l’instauration d’un systĂšme de sociĂ©tĂ©. C’est la raison pour laquelle je ne pense pas que ce combat puisse ĂȘtre menĂ© uniquement d’un point de vue juridique ou religieux il doit l’ĂȘtre sur un plan idĂ©ologique, culturel et politique. Le port du voile intĂ©gral me semble inacceptable dans deux situations Ă  l’hĂŽpital, oĂč le mĂ©decin doit savoir qui il soigne, et lors des examens universitaires, oĂč le principe d’égalitĂ© entre citoyens doit ĂȘtre respectĂ©. Ainsi, en tant que professeur, je refuse de faire passer un examen Ă  une femme si je ne peux pas vĂ©rifier son identitĂ©. Je dois noter que la plupart de mes Ă©tudiantes ont acceptĂ© d’îter ponctuellement leur jilbab ; par ailleurs, je constate que celles qui portaient le voile intĂ©gral en 2004 ont changĂ© de tenue vestimentaire lorsqu’elles sont entrĂ©es en master. Incidemment, lorsque je leur fais remarquer que le voile intĂ©gral ne les aidera pas Ă  trouver un emploi, ces femmes me rĂ©pondent qu’elles iront travailler au sein de quartiers communautarisĂ©s. L’apparition de secteurs » rĂ©servĂ©s aux croyants, hors des lois de la laĂŻcitĂ© et de la RĂ©publique, avec commerces et institutions scolaires ad hoc constitue l’un des problĂšmes auxquels nous serons confrontĂ©s dans les vingt prochaines annĂ©es. Partant de ces situations, frĂ©quentes dans les milieux hospitalier et universitaire, nous devons pouvoir Ă©noncer des rĂšgles simples, pratiques et Ă©videntes. J’avoue ne pas voir la nĂ©cessitĂ© de concevoir une grande loi. M. Éric Raoult, rapporteur. Vous faites partie des grands connaisseurs du Maghreb. Mme Habchi, que nous avons auditionnĂ©e, nous a rapportĂ© en des termes trĂšs Ă©mouvants la situation qu’avaient vĂ©cue ses cousines en AlgĂ©rie pendant la guerre civile. Pouvez-vous nous en dire davantage ? Par ailleurs, il nous semble que le voile intĂ©gral est une façon, pour les jeunes femmes issues de l’immigration et rĂ©cemment converties, d’exprimer leur zĂšle et de combler l’absence de repĂšres linguistiques ou culturels. Faites-vous ce constat en Seine-Saint-Denis ? M. Jean Glavany. La professeure Anne Levade, que nous venons d’auditionner, part du principe que le port du voile intĂ©gral est le signe d’une appartenance religieuse et qu’en consĂ©quence, une loi pourrait porter atteinte Ă  la libertĂ© religieuse. Votre dĂ©marche est diffĂ©rente, puisque vous estimez qu’il s’agit de l’expression d’une radicalitĂ© politique. L’historien que vous ĂȘtes peut-il nous indiquer quels sont les fondements de cet asservissement des femmes et pourquoi cette radicalitĂ© a trouvĂ© dans le voile intĂ©gral un moyen d’expression ? M. Jacques Myard. AprĂšs avoir rencontrĂ© Ă  Damas une Marseillaise mariĂ©e Ă  un KoweĂŻtien et portant le voile intĂ©gral, je m’interroge sur les motivations de ces femmes. Votre pratique d’enseignant vous permet-elle de nous donner des Ă©lĂ©ments sur la libertĂ© dont elles jouissent, oĂč Ă  l’inverse, sur les pressions sociales dont elles peuvent faire l’objet ? M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Vous avez parlĂ© du retentissement des Ă©vĂ©nements de 1979 et de 1989. Quelle est l’incidence des deux guerres du Golfe et, tout particuliĂšrement en France, de la guerre civile algĂ©rienne ? M. Benjamin Stora. Effectivement, les femmes – enlevĂ©es, forcĂ©es Ă  des mariages de jouissance, assassinĂ©es – ont payĂ© un tribut terrible Ă  la guerre civile algĂ©rienne. Mais il faut savoir que cette question a servi d’alibi au pouvoir en place, de faire-valoir pour lĂ©gitimer la rĂ©pression. Depuis, le statut des femmes datant de 1984 n’a pas Ă©tĂ© modifiĂ© et la charia, dont l’instauration n’est pas le fait des islamistes puisqu’elle remonte Ă  1963, est toujours en vigueur. Et si l’on met l’accent sur l’islamisme radical, on oublie souvent que c’est l’État qui a encouragĂ© le dĂ©veloppement de l’islam comme religion d’État. Bien sĂ»r, les jeunes femmes voilĂ©es qui apprennent l’arabe Ă  l’Inalco sont souvent des Françaises converties ou des Beurettes qui ne connaissent pas le pays de leurs parents et n’en parlent pas la langue. Le voile renforce certainement leur sentiment d’appartenance identitaire et les installe dans une posture victimaire, soulignant les persĂ©cutions dont elles imaginent faire l’objet. Elles croient souvent Ă  l’existence d’une continuitĂ© entre la France coloniale et la France d’aujourd’hui. Cette reprĂ©sentation imaginaire d’une sociĂ©tĂ© française qui perpĂ©tuerait l’esprit colonialiste, qu’on le veuille ou non, s’est installĂ©e dans les banlieues et chez beaucoup de jeunes. Ce constat en amĂšne un autre, que je me permets de vous soumettre l’absence de chaires universitaires sur le monde arabe, sur l’histoire du Maghreb ou sur la langue arabe explique les lacunes de la transmission mĂ©morielle. Il faut y voir une des raisons pour lesquelles beaucoup vont chercher dans les formes les plus radicales de la religion ou les plus thĂ©oriques du nationalisme arabe – dans sa version laĂŻcisĂ©e mais islamiste – des outils de rĂ©fĂ©rence. Il est donc heureux que des jeunes femmes voilĂ©es assistent Ă  mes cours sur l’histoire des rapports entre le Maghreb et la France – la façon dont le nationalisme algĂ©rien s’est inspirĂ© des principes de la RĂ©publique par exemple –, plutĂŽt qu’elles aillent Ă©couter des discours essentialistes et religieux, faisant des guerres de dĂ©colonisation un jihad livrĂ© contre l’Occident. Je ne peux pas traiter ici de la question, bien trop large, des fondements historiques de l’inĂ©galitĂ© entre les hommes et les femmes en islam. Je ferai simplement remarquer que ces sociĂ©tĂ©s patriarcales, rurales et mĂ©diterranĂ©ennes n’ont pas bĂ©nĂ©ficiĂ© du mouvement de rĂ©forme, amorcĂ© au XIXe en Égypte, qui visait Ă  sĂ©culariser les sociĂ©tĂ©s musulmanes et, par voie de consĂ©quence, Ă  instaurer l’égalitĂ© politique. La Nahda a Ă©tĂ© interrompue, sauf dans les sociĂ©tĂ©s dites kĂ©malistes ». L’absence de laĂŻcisation des États issus des indĂ©pendances, le choc de la dĂ©personnalisation culturelle, le problĂšme de la dĂ©possession identitaire par l’intermĂ©diaire de la langue sont autant de phĂ©nomĂšnes qui se cumulent et doivent ĂȘtre analysĂ©s. Pour autant, ils n’expliquent pas la situation qui prĂ©vaut depuis 1979, quand la rĂ©volution iranienne a donnĂ© un coup d’accĂ©lĂ©rateur Ă  l’histoire. Depuis trente ans, le problĂšme du ressourcement et de la recherche d’une personnalitĂ© authentique face Ă  un Occident considĂ©rĂ© comme dominateur, ont permis Ă  l’islam politique de s’inscrire comme une idĂ©ologie Ă  part entiĂšre. À nous d’en rechercher les thĂ©ories, d’analyser ses programmes, de comprendre ses visĂ©es. Les motivations qui peuvent conduire une jeune femme Ă  se recouvrir d’un voile sont multiples ressourcement identitaire ; dĂ©fi lancĂ© aux parents ; dĂ©fi lancĂ© Ă  l’école ; volontĂ© de se sĂ©parer d’une sociĂ©tĂ© considĂ©rĂ©e comme injuste ; sentiment de revanche par rapport Ă  des grands-parents immigrĂ©s, condamnĂ©s Ă  une relĂ©gation sociale et culturelle. Il faut prendre la mesure de cette rĂ©alitĂ© pour mieux l’affronter et ne pas se limiter Ă  des considĂ©rations abstraites sur l’islam. Le rapport que ces personnes entretiennent avec la France procĂšde Ă  la fois d’une fascination et d’un sentiment de rejet. Nous vivons dans la sociĂ©tĂ© multiculturelle la plus riche d’Europe. Si celle-ci est attirante, elle ne fait pas toute sa place Ă  cette immense jeunesse qui aspire Ă  y entrer. À cet Ă©gard, il me paraĂźt essentiel que nous puissions Ă  la fois combattre le rejet de l’autre – ces vieux dĂ©mons de l’islamisme que sont la misogynie, l’homophobie, l’antisĂ©mitisme et la xĂ©nophobie prospĂšrent dans les quartiers – et en mĂȘme temps adresser un message qui rappelle l’impĂ©ratif d’accueil, de gĂ©nĂ©rositĂ© et d’égalitĂ© citoyenne. Sans cela, vos lois seront toujours perçues comme allant dans le mĂȘme sens, celui de la stigmatisation et de l’assignation Ă  rĂ©sidence identitaire perpĂ©tuelle. M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Je vous remercie. Audition de M. Patrick Gaubert, prĂ©sident de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisĂ©mitisme LICRA, prĂ©sident du Haut conseil Ă  l’intĂ©gration, M. GĂ©rard Unger, vice-prĂ©sident et M. Richard SĂ©rĂ©ro, secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral SĂ©ance du mercredi 18 novembre 2009 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Avant de procĂ©der Ă  notre troisiĂšme audition, je donne la parole Ă  M. Myard, pour une communication. M. Jacques Myard. Je dĂ©sire donner Ă  la mission une idĂ©e de la littĂ©rature qui circule dans nos banlieues, Ă  partir d’un ouvrage que j’ai trouvĂ© en vente sur un marchĂ©. Ce livre, imprimĂ© en Belgique, a fait la une d’un hebdomadaire il s’agit du Recueil de fatwas concernant les femmes, fatwas Ă©manant de Ibn BĂąz, Al-AlbĂąnĂź, Al-UthaymĂźn et de nombreux autres savants ». Voici, par exemple, textuellement, la rĂ©ponse Ă  la question n° 13, Du jugement relatif Ă  l’urine du nourrisson touchant le vĂȘtement ». Ce qui est juste Ă  ce propos est que l’urine du garçon qui allaite est d’une impuretĂ© lĂ©gĂšre, il suffit pour la purifier d’éparpiller de l’eau, c’est-Ă -dire que la zone soit couverte d’eau sans frotter ni essorer. Cela est rapportĂ© du ProphĂšte Ă  qui l’on amena un jeune bĂ©bĂ© et qu’il posa sur ses genoux qui lui urina dessus. Il demanda de l’eau et en couvrit la zone sans la laver. Quant Ă  la fille, il faut obligatoirement laver son urine car la rĂšgle premiĂšre est que l’urine est impure, il incombe donc de la laver. Toutefois, l’exception est faite pour le petit garçon vu ce qu’indique la Sunna Ă  ce sujet. » On interroge Est-il permis aux femmes de prendre une imam parmi elles, qui les guidera dans la priĂšre durant le ramadan ? » Pour ce qui est de l’égalitĂ© des sexes, on rapporte un propos du ProphĂšte Jamais ne rĂ©ussira un peuple qui confĂšre ses affaires Ă  une femme. » Il est Ă©galement affirmĂ© que la femme peut prendre la pilule Ă  condition que son mari l’autorise. Et le livre traite ainsi de quelque deux cents questions dans le mĂȘme esprit
 M. AndrĂ© Gerin, prĂ©sident. Nous poursuivons maintenant nos travaux par l’audition de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisĂ©mitisme LICRA, reprĂ©sentĂ©e par son prĂ©sident, M. Patrick Gaubert, par son vice-prĂ©sident, M. GĂ©rard Unger, et par son secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral, M. Richard SĂ©rĂ©ro. M. Gaubert prĂ©side Ă©galement le Haut conseil Ă  l’intĂ©gration. Outre le combat dans lequel elle s’illustre depuis plus de quatre-vingts ans contre le racisme et l’antisĂ©mitisme, la LICRA Ɠuvre depuis 1999 contre la discrimination au travail, pour la citoyennetĂ© et en faveur des jeunes des milieux dĂ©favorisĂ©s. Ce sont lĂ  des sujets qui intĂ©ressent au plus haut point l’avenir de notre sociĂ©tĂ© et que nous ne souhaitons pas nĂ©gliger dans notre rĂ©flexion sur la pratique du port du voile intĂ©gral. Je tiens Ă  le redire avec force nous refusons toute stigmatisation d’une frange de la population française Ă  raison de ses origines ou de sa religion supposĂ©e. Le propos de cette mission est d’analyser et de combattre ce qui nous apparaĂźt comme une dĂ©rive sectaire et intĂ©griste, qui plus est source de discriminations et d’amalgame au dĂ©triment de nos concitoyens de confession musulmane. Dans nos Ă©changes, notamment avec les responsables du culte musulman, nous avons toujours insistĂ© sur la nĂ©cessitĂ© de sĂ©parer la question, politique, du port du voile intĂ©gral, de celle de la place qu’il convient de reconnaĂźtre, dans notre RĂ©publique, Ă  l’islam, deuxiĂšme religion de France. Dans cette optique, Monsieur Gaubert, je souhaiterais avoir votre sentiment sur le poids des discriminations dans le phĂ©nomĂšne du voile intĂ©gral et sur les conditions d’une rĂ©ponse Ă©quilibrĂ©e Ă  apporter Ă  cette question. M. Patrick Gaubert, prĂ©sident de la LICRA. Monsieur Myard, tout ce qui est excessif est insignifiant. Cette littĂ©rature relĂšve de l’anecdotique – mais elle existe, c’est vrai. Je voudrais partir d’un constat il y a cinq ou dix ans, le phĂ©nomĂšne du port du voile intĂ©gral en France tenait de l’exceptionnel ; aujourd’hui, c’est devenu un phĂ©nomĂšne marginal. La nuance est importante. Qu’en sera-t-il demain ? Dans certains quartiers de Paris, Lille, Lyon, Marseille ou ailleurs, les burqas ou les tenues salafistes modifient le paysage urbain et entrent en contradiction avec un choix fait de longue date par les citoyens français celui de ne pas afficher trop ostensiblement ses diffĂ©rences dans l’espace public. Il est clair que le port du voile intĂ©gral porte le sceau d’un combat qui est politique avant que d’ĂȘtre religieux. Les intĂ©gristes travestissent habilement un sectarisme politique en religion pour bĂ©nĂ©ficier d’un blanc-seing en vertu du principe de laĂŻcitĂ© qui garantit la libertĂ© de croyance telle est la souriciĂšre dans laquelle ils veulent nous entraĂźner. Il y a, par consĂ©quent, un premier chemin sur lequel la LICRA ne se hasardera pas celui de la thĂ©ologie, de l’exĂ©gĂšse religieuse, du dĂ©cryptage des sourates du Coran. Il n’appartient pas aux dĂ©mocrates que nous sommes de diffĂ©rencier le bon du mauvais islam et d’en tracer les frontiĂšres – et j’espĂšre donc que le dĂ©bat ne s’engagera pas dans cette voie. C’est un autre chemin que la Ligue empruntera, avec prudence et mĂ©nagement. Tout au long de son histoire, elle n’a eu de cesse de dĂ©fendre un principe essentiel qui rĂ©git le vivre ensemble » le respect de la laĂŻcitĂ©, qui fait partie de sa raison d’ĂȘtre et qu’elle ne manque pas de placer au centre de ses activitĂ©s, notamment Ă©ducatives. AuditionnĂ©e par la commission prĂ©sidĂ©e par M. Stasi en 2003, la LICRA a pris parti pour la loi qui, Ă  ses yeux, a eu en 2004 l’incontestable vertu de pacifier les situations de revendication religieuse dans les Ă©tablissements scolaires. NĂ©anmoins, veillons Ă  ne pas transformer la laĂŻcitĂ© en placebo de l’ensemble des maux identitaires de notre sociĂ©tĂ©, au risque d’affaiblir ce pilier de la RĂ©publique. Ainsi, est-il opportun d’en appeler Ă  la laĂŻcitĂ© pour rĂ©glementer la tenue vestimentaire d’adultes dans la rue ? Le voile intĂ©gral, instrument politique d’une dĂ©marche politique, porte atteinte au projet de communautĂ© de destin et d’unitĂ© nationale dans notre pays, ce pour plusieurs motifs. Tout d’abord, il porte atteinte Ă  la condition et Ă  la dignitĂ© des femmes. C’est un instrument d’oppression enfermant la femme – le seul sujet visĂ© dans cette pratique – dans une vĂ©ritable prison. Il la soumet Ă  un authentique apartheid physique et social. Il frappe son corps en rendant visible l’invisible. Il est le symbole mĂȘme de l’endoctrinement idĂ©ologique qui fait que ces femmes s’autostigmatisent. Le plus souvent, elles le portent soumises et forcĂ©es ou, comme dans une secte, avec la foi aveugle de la bigote. Il ne fait aucun doute que le voile intĂ©gral exclut la femme de l’espace public et efface son identitĂ© de citoyenne. Il l’enferme de facto dans une caste d’intouchables. Le voile intĂ©gral est une atteinte aux valeurs de la RĂ©publique. Certains objectent que c’est le choix de ces femmes d’ĂȘtre voilĂ©es et qu’elles disposent de leur libertĂ©. Eh bien non, pour nous, Ă  la LICRA, on ne dispose pas de sa libertĂ© quand celle-ci tourne le dos aux deux principes fondamentaux de notre RĂ©publique l’égalitĂ© et la fraternitĂ©. VoilĂ  comment les intĂ©gristes renversent les principes de libertĂ© et de droit Ă  la diffĂ©rence en les instrumentalisant contre la RĂ©publique et ses valeurs. Ce stratagĂšme est bien connu Ă  la LICRA et combattu par l’association. Dans des instances internationales, aux Nations unies notamment, on voit certains États remettre en cause l’universalitĂ© des droits de l’homme au nom du relativisme culturel, au nom mĂȘme des principes de la dĂ©mocratie. LĂ -dessus, il n’y a pas matiĂšre Ă  nĂ©gocier. Il n’y a qu’une rĂ©ponse ferme Ă  apporter la France doit ĂȘtre courageuse, camper sur une position intangible, et dĂ©fendre les valeurs issues des LumiĂšres et de la DĂ©claration des droits de l’homme et du citoyen, qu’elle a faites siennes depuis 1789. Le voile intĂ©gral est une atteinte au vivre ensemble ». Quand les valeurs de la RĂ©publique sont bousculĂ©es, c’est le vivre ensemble qui est malmenĂ©. Si la libertĂ© individuelle est un droit fondamental, elle inclut mĂ©caniquement des devoirs, notamment envers l’autre envers son concitoyen avec lequel on partage l’espace public. L’article 29 de la DĂ©claration universelle des droits de l’homme rappelle notamment que l’individu a des devoirs envers la communautĂ© dans laquelle seule le libre et plein dĂ©veloppement de sa personnalitĂ© est possible. 
 Chacun n’est soumis qu’aux limitations Ă©tablies par la loi, exclusivement en vue d’assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertĂ©s d’autrui, et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l’ordre public et du bien-ĂȘtre gĂ©nĂ©ral dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique. » Le voile intĂ©gral constitue donc – mais il faut ĂȘtre capable de l’entendre – une intrusion violente et difficilement supportable dans l’espace public, dans le quotidien de la communautĂ© nationale, dans une sociĂ©tĂ© sur qui pĂšse dĂ©jĂ  le poids des discours identitaires. Le voile intĂ©gral porte atteinte au maintien de l’ordre public, rĂšgle essentielle en droit français. Sur la base de ce critĂšre, la libertĂ© de conscience et la libertĂ© de religion peuvent ĂȘtre lĂ©gitimement limitĂ©es par le lĂ©gislateur, Ă  condition que cette limitation soit nĂ©cessaire dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique. Le Conseil d’État comme la Cour europĂ©enne des droits de l’homme admettent l’interdiction du voile dĂšs lors qu’elle est justifiĂ©e par le maintien de l’ordre public. Dans le cas particulier de la photographie d’identitĂ© pour un permis, un passeport, un titre de sĂ©jour, les juges acceptent l’obligation d’ĂȘtre photographiĂ© tĂȘte nue. Cette prescription devrait Ă©galement s’appliquer au guichet d’une banque, Ă  la caisse d’un supermarchĂ© – pour un paiement par chĂšque par exemple –, ou Ă  la sortie d’une Ă©cole. Le refus d’îter le voile intĂ©gral soustrait la femme Ă  une rĂšgle Ă©lĂ©mentaire de sĂ©curitĂ© publique. Lutter contre l’enfermement sectaire et identitaire que reprĂ©sente le port du voile intĂ©gral passe incontestablement par la rĂ©affirmation des valeurs de la RĂ©publique et par une meilleure application et transmission de ses principes. Il y a un combat Ă  mener, avec toujours plus de dĂ©termination, contre le racisme et les discriminations. Ces dĂ©rives d’exclusion mĂšnent inĂ©vitablement vers le repli identitaire, dont le voile intĂ©gral est le phĂ©nomĂšne le plus patent. Il y a un combat Ă  mener plus fortement pour une vĂ©ritable Ă©galitĂ© des chances dans l’ensemble des espaces de notre RĂ©publique Ă  l’école, dans l’entreprise, dans le logement, etc. Il y a un combat Ă  poursuivre avec tĂ©nacitĂ© pour l’égalitĂ© entre les femmes et les hommes. Enfin, il y a un combat Ă  mener pour la laĂŻcitĂ©. Il faut se dresser contre ceux – les promoteurs du voile intĂ©gral en sont – qui veulent imposer une vision sectaire de l’humanitĂ©, selon laquelle les individus seraient avant tout dĂ©finis par leur appartenance religieuse ou ethnique. La LICRA est aujourd’hui favorable Ă  une extension du principe de laĂŻcitĂ© par exemple s’agissant des usagers des hĂŽpitaux – loi hospitaliĂšre – ou du rĂšglement intĂ©rieur des entreprises – code du travail. Dans son rapport rendu en 2003, la commission Stasi avait Ă©mis vingt-sept propositions. Trois seulement ont Ă©tĂ© retenues, centrĂ©es sur la question du voile Ă  l’école. Aujourd’hui, la LICRA demande que les vingt-quatre propositions restantes soient remises Ă  jour dans les conclusions que rendra en janvier la mission d’information parlementaire, et que l’on prĂ©cise les conditions de leur application. Je pense que si ces vingt-quatre propositions avaient Ă©tĂ© appliquĂ©es, nous n’aurions pas Ă  nous rĂ©unir aujourd’hui autour de cette table. Le dĂ©b
NvC2W3l. 456 103 285 352 465 105 462 134 100

horaires des séances du film la piÚce rapportée